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Zemmour sur RTL: les petits jaloux du Grand Journal

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Jeudi soir, Michel Denisot conviait à son Grand Journal, les dirigeants de RTL, Radio France et de RMC afin de commenter avec eux les derniers résultats d’audience de leurs stations respectives annoncées le matin même par Médiamétrie.

Christophe Baldelli, qui préside aux destinées de RTL, est interrogé par Denisot sur les bons résultats de la mère des tranches horaires, la matinale. Il répond qu’ils sont notamment provoqués par l’arrivée de deux belles signatures, celles d’Eric Zemmour à 7h15 et d’Yves Calvi à 8h15.

Mais Baldelli, juste après qu’il a prononcé le mot « Zemmour », est coupé par un Baddou qui sur un ton, mi-rigolard mi-méprisant lance « Une belle ! ». Le chroniqueur continue de ricaner et Massenet embraye: «Zemmour, vous avez eu peur, quand même ?![1. On était dans l’exclamation tout autant que dans l’interrogation]». Baldelli ne se démonte pas tandis qu’Aphatie se cache pour rigoler :«Peur de quoi ?». « Peur des excès, des dérapages ![2. Là, on est davantage dans l’exclamation que dans l’interrogation]» Christophe Baldelli explique que les études qualitatives ont démontré que l’argumentation à base de références historiques était appréciée des auditeurs de la station. «Mais vous, personnellement !», relance Baddou. «Je tiens à ce que diverses pensées, sensibilités, puissent être représentées sur RTL. J’y tiens beaucoup ». « Vous pourriez faire de la politique», conclut Denisot.

Décryptage.

Baldelli – […]deux belles signatures, celles d’Eric Zemmour à 7h15…

Baddou – Ha, ha,ha, de la merde en branche, oui ! Ha, ha, ha

Baldelli – …et d’Yves Calvi à 8h15.

Massenet – Mais vous êtes foldingo, ou quoi ?

Baldelli – Mais, pourquoi donc ?

Massenet – Ce type est le Diable en personne, et vous lui donnez un micro, espèce d’irresponsable !

Baldelli – Mais nos études prouvent que ce qu’il dit est apprécié par nombre de nos auditeurs.

Baddou – Oui mais vous, vous n’appréciez, pas ! Dites le ! Je ne peux pas croire que vous appréciez le Démon comme tous ces gens !

Baldelli – Je tiens à ce que diverses pensées, sensibilités, puissent être représentées sur RTL. J’y tiens beaucoup.

Denisot – Ah on sait bien que vous pensez comme nous, espèce d’hypocrite ! Vous faites ça pour le fric, c’est tout.

Baddou et Massenet – Ha, ha, ha. Expie ! Expie ! Tu aimes flirter avec le Malin ! Expie !

Aphatie – Hi, hi, hi (mes copains ont raison mais je peux pas le dire).

Voilà donc le véritable sens de cet échange. Baldelli a de la classe. D’une part, il a assumé son choix. Il a dit à quel point il avait fait une bonne affaire en recrutant Zemmour dont les analyses sont appréciées par un public qui n’avait jusque là que Duhamel (depuis combien de temps, déjà ?) et Aphatie à se mettre sous la dent. La bande de Denisot voulait absolument qu’il expie, qu’il avoue sa faute morale dans le procès cool -mais procès quand même- qu’on lui faisait. Qu’il lâche qu’il n’était pas d’accord, mais alors pas du tout, avec tout ce que disait Zemmour au micro de sa station. Il ne l’a pas fait.

Vous me direz que c’est la moindre des choses puisque c’est lui-même qui a embauché Zemmour et qu’il aurait été plutôt lâche de se comporter autrement. Certes. Mais il l’a assumé d’une belle manière. En insistant sur la nécessité d’un certain pluralisme sur une antenne. Denisot, alors, n’y a vu que du feu en pensant qu’il s’agissait d’une réponse politique. Alors que c’était une flèche acérée qui le visait. Décidément, Baldelli est bien plus intelligent que cette bande de truffes. Chapeau bas, monsieur.

Bon sens ne saurait mentir

Vous n'aimez pas Murakami ? C'est que vous êtes populiste !
Vous n'aimez pas Murakami ? C'est que vous êtes populiste !

Bien sûr que le populisme est un fourre-tout. Et qu’on aurait plus de mal à le définir sérieusement qu’à essayer de cerner la philosophie politique de Luc Besson. Ceux qui veulent supprimer tous les impôts ? Populistes ! Ceux qui veulent faire payer les riches? Populistes itou ! Y’a pas comme un problème, là ? On met dans le même sac d’opprobre ceux qui veulent rouvrir les maisons closes et ceux qui veulent criminaliser putes et clients, ceux qui pensent que les fonctionnaires sont tous des charançons et ceux qui exigent que l’Etat crée des emplois pour tous. Ceux qui pensent que l’immigration musulmane est mère de tous nos maux et ceux qui insinuent qu’on voit trop d’Arthur, d’Elie Semoun ou de Gad Elmaleh à la télé. Et ainsi de suite…

Bref, le populisme, contrairement au fascisme ou au naturisme, est une fiction. S’il existe, c’est essentiellement grâce à ses contempteurs. En conséquence de quoi l’antipopulisme est, lui, beaucoup plus facile à cerner. Et à abhorrer un brin, en en ce qui nous concerne. On s’explique.[access capability= »lire_inedits »]

Tout d’abord pour le mot : parler de « populisme » la bouche en cul-de-poule, c’est décréter que le peuple pue. Que le mot « populiste » ait remplacé le mot « démagogue » en dit long sur l’inconscient de nos éditorialistes favoris, et accessoirement sur leur statut social.

Ensuite pour l’usage : techniquement, pas de procès en populisme viable sans recours systématique à l’amalgame. Vous ne goûtez pas Murakami à Versailles ? Tiens, tiens… Le Pen aussi est archi-contre. Vous réclamez une loi contre la burqa, n’en pinceriez-vous pas pour Geert Wilders ? Vous critiquez le FMI ? Comme les complotistes, non ? Vous préférez Benny Hill à François Ozon ? Hum hum…

Le peuple n’a pas toujours tort

Enfin et surtout, nous supportons mal qu’on nous rabâche que tout ce qui en appelle au bon sens va forcément dans le mauvais sens. Le bon sens, pour mémoire, c’est grosso modo ce que pensent nos mamans ou nos cousins de province (pardon, de région). Ils sont donc populistes quand ils trouvent que, depuis l’euro, tout a augmenté. Que le pognon de la guerre en Afghanistan serait peut-être mieux employé pour relever le minimum vieillesse. Que les députés ne savent pas de quoi ils parlent quand ils causent pouvoir d’achat, retraites ou même radars. Ou bien que ça serait mieux que les mômes apprennent à lire et à écrire avant d’aller en sixième. On peut se contenter d’objecter que c’est plus compliqué que ça. Les mépriser et rester entre soi pour éviter d’être pollué par ce poujadisme moisi qui salit nos semelles. Voire changer le peuple quand les électeurs osent voter non à certains traités européens, alors qu’ils auraient dû dire oui, ces cons.

Nous, on préfère penser que, si le peuple n’a pas toujours raison, ce n’est pas pour autant qu’il a forcément tort.

On accuse couramment les supposés « populistes » d’abuser de l’argument du « Tous pourris ! ». C’est vrai que cette analyse de la classe politico-médiatique est un peu basse de plafond. Mais cette rengaine n’aurait aucun impact si nos élites ne prouvaient pas chaque jour que, pour elles, le peuple est tout pourri.[/access]

Bourdieu, Carles, Pinçon, qui a écrit ça ? Help !

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En faisant les antiquaires, je suis tombé, chez un bouquiniste, sur les pages dactylographiées et quelque peu jaunies d’un texte intéressant, teinté d’une violence contenue. Impossible d’en connaitre l’auteur et le vendeur n’a pas pu m’éclairer sur ce point. Le passage me rappelle que la sociologie est peut-être un sport de combat, que les chances sont décidément inégales à la naissance et que les privilèges de classe, de caste et de bandes se perpétuent, toujours, sans fin. Je lis et relis encore mais pas moyen d’identifier l’auteur qui parle si bien de ce que l’on reçoit en héritage, de ce capital social et culturel qui à la toute fin des fins vous place devant les autres dans les centres de pouvoir et de décision. Voilà ce que ça dit:
« … Il s’agit toujours d’exclure en distinguant, que ce soit dans l’apparence – la marque a remplacé l’habit et la voiture de collection le carrosse -, le langage et une sociabilité fermée. Si Versailles a disparu, les élites vivent toujours dans les mêmes quartiers et se retrouvent entre elles dans des espaces étroits édifiés à l’abri des regards indiscrets : clubs privés, restaurants sélects, cercles de réflexion hérités des salons d’antan, sans oublier les voyages, les chasses, les lieux de villégiature pour happy few où l’on se retrouve entre soi, comme les défuntes aristocraties allaient prendre les eaux. Les dirigeants s’y croisent, se parlent, s’échangent des services, des informations dont le commun des mortels est dépourvu, dans une promiscuité inconnue des grandes démocratie fédéralistes, comme l’Allemagne. Seule différence notable : la place considérable et récente prise par l’argent et les médi… »

La suite est déchirée. J’ai pensé à Pierre Bourdieu, même à Pierre Carles voire Serge Halimi, comme j’ai interviewé Monique Pinçon (de chez Pinçon et Charlot), sociologue des riches, pour On revient vers vous je lui ai immédiatement demandé si ce texte était d’elle, mais non. Le paragraphe en question m’a également fait penser à ce qu’on peut lire chez Cycéron, mais il est blogueur. Bref, ces quelques lignes me plongent dans une certaine perplexité d’autant qu’elles auraient pu être écrites récemment par un de ceux qui ont manifesté devant le Crillon, juste avant un dîner du Siècle, pour dénoncer ce qu’ils estiment être une collusion des élites politiques et économiques et certains hauts représentant des médias traditionnels. A mon avis, ce texte émane d’un courant de pensée aguerri dans la critique des élites mais à vrai dire, je n’en sais pas davantage, peut-être est-ce tout simplement, la page d’un mémoire de socio…

Si vous avez une idée, donc, n’hésitez pas

Stupeur et tout le tremblement

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Je l’ai déjà avoué dans ces colonnes, je suis abonné à Télérama depuis quelques années, presque un lustre déjà. Il n’y a pas de quoi être fier certes, mais pas de quoi être honteux non plus. Télérama a été fondé par Georges Montaron, un grand catholique « de gauche », dont on n’a pas besoin de partager toutes les idées pour l’admirer. Certes, ce n’est pas là que l’on trouvera de profondes réflexions sur le sens de la foi aujourd’hui. Cela fait longtemps que le pape des magazines télé fait l’affranchi et s’est transformé en un journal comme les autres, la prétention culturelle en plus : ses « racines chrétiennes » ne sont qu’un souvenir honteux, rarement évoqué d’ailleurs, comme tous les souvenirs honteux. On dirait presque, si l’on était mauvaise langue, que c’est dans le déni de ses origines chrétiennes que ce magazine pour la populace semi-cultivée dont je fais partie, fait preuve d’un léger snobisme, ce qui le rendrait presque sympathique au fond. Quand Télérama parle de l’Eglise, c’est un peu comme quand un adepte de la psychanalyse se décide enfin, dans le secret d’une confession laïque, à parler de ses relations avec papa-maman: on pressent que ça ne va pas être tendre, et que d’autre coulpes que la sienne vont être battues.

C’est pourquoi le catholique que je suis tremble un peu lorsqu’il constate que son canard décoincé choisit de s’intéresser à la place de l’Eglise dans le monde contemporain, sujet qu’il aborde longuement dans son numéro 3174, du 13 au 19 novembre 2010. D’emblée, la charge est vive. Nos cathos repentis décrivent sans ambages dans la présentation du dossier « l’intellectuel catholique » comme « une espèce en voie de disparition » qu’il ne s’agit pas d’ailleurs, contrairement à toutes les autres sans doute, de protéger particulièrement, si l’on en croit la place à peu près nulle que le journal lui réserve. Un peu comme s’il fallait à toute force que ça ne pense pas de ce côté-là, le côté que l’on a renié. Il faudrait avouer que l’on se trouverait Gros-Jean comme devant si l’on se mettait dans la délicate position de devoir constater que l’on a troqué le droit d’ainesse de la richesse de la pensée catholique pour l’indigeste plat de lentilles de la modernôlatrie. J’ai fait le trajet inverse, et « redécouvre » chaque jour, après une enfance très vaguement chrétienne, et une jeunesse parfaitement en phase avec l’air du temps de mon époque, la richesse intellectuelle du catholicisme, à travers la lecture de penseurs et de romanciers catholiques contemporains, (citons seulement Girard, Ivan Illich, Muray ou Taillandier). C’est pourquoi le diagnostic m’a laissé d’abord coi, puis légèrement hilare. La méthode Coué est peut-être efficace, mais toujours un peu comique.

Par ailleurs, à en croire mon magazine télé unique et préféré, « être catholique aujourd’hui », thème du grand reportage du dossier, c’est très notamment vouloir « faire bouger l’Eglise ». Bon. S’il y a bien un truc qui ne bouge pas de nos jours, c’est cette volonté de tout faire bouger, même ce que que l’on croyait être le plus inamovible. On se souvient peut-être de publicitaires qui, il y a plus de vingt ans déjà, prétendaient nous faire bouger avec La Poste. « Bouger avec La Poste ! » Il faudrait peut-être aussi que je porte mes colis moi-même, en vélo en compagnie du postier, jusqu’à leur destinataire? A ce compte là, pourquoi pas l’Eglise, certes.

Cependant, personnellement, moi qui tente d’être catholique, aujourd’hui et demain aussi, si j’aime l’Eglise c’est justement parce qu’elle ne bouge pas trop. Parce qu’elle reste bien en place, à l’endroit où je sais qu’elle se trouve, contrairement au reste. Quand tout se met à bouger frénétiquement, l’Eglise est là. Très concrètement, c’est ainsi que j’aime à voir mon église paroissiale à moi, l’église St Pierre St Paul de Montreuil, où fut baptisé le roi Charles V, et qui est aujourd’hui environnée de bistrots chinois, de marchands des quatre-saisons arabes, et où les taxiphones prennent la place des boulangeries. La présence ancestrale de l’église que fréquentait saint Louis en compagnie de sa mère Blanche de Castille me rassure et me permet d’accepter d’un cœur moins lourd le remodelage incessant de la ville. « Tu es petrus et super hanc petram aedificabo ecclesiam meam » disait quelqu’un, avec sans doute l’idée derrière la tête que malgré ses reniements passés cette pierre là ne bougerait pas trop. Mais apparemment, l’Eglise selon le Christ, ça n’est pas trop ce qui branche mes amis journalistes de Télérama. La couverture du magazine nous montre ainsi une magnifique église démontable à loisir puisqu’elle est composée de cubes de bois vraisemblablement trouvés chez Joué Club, même si à mon humble avis de père de famille, ça ne sera pas le produit star du prochain noël. Je fais ce que je veux avec mon Eglise, que j’exige montable et surtout démontable à souhait. Le rêve infantile des cathos « progressistes » enfin réalisé : que l’Eglise s’adapte à moi plutôt que moi à elle. Qu’elle se confonde avec le monde, avec mon petit monde transitoire à moi, et qu’on n’en parle plus.

On peut ainsi entendre comme un lapsus amusant la phrase qu’un journaliste de Télérama met dans la bouche d’un valeureux curé de campagne : à l’occasion d’un mini- apéritif géant organisé pour les commerçants du coin, il s’agissait d’ouvrir grand les portes afin de « faire sortir la communauté de l’église », avec l’idée sans doute qu’elle n’aurait plus l’envie, une fois qu’elle se serait fait des copains dans la vraie vie du vrai monde réel, d’y retourner jamais.

Des populaires populistes ?

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Christian Vanneste

« Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! » L’injonction que lance Kant à la modernité n’est pas chez Christian Vanneste tombée dans une oreille sourde. Le député du Nord, qui enseigna la philosophie à Tourcoing, n’est pas du genre à se faire signer une permission rue de la Boétie, au siège de l’UMP, pour oser penser. Il essaie de le faire par lui-même, avec les petits moyens du bord que sont la raison et la liberté, au risque de déplaire, de fâcher, de se tromper aussi et, parfois, de se prendre les pieds dans le plat – ce qui est pourtant plus recommandable, pour un élu de la République, qu’être pris la main dans le sac. Mais ce n’est pas du goût de tout le monde.

Les récentes prises de position de Christian Vanneste sur un éventuel rapprochement de l’UMP et du Front national ne lui ont pas valu que des oppositions fermes et des volées de bois vert. Rama Yade a réclamé la tête du député. Xavier Bertrand a annoncé que son cas serait « traité » par le bureau national du parti. Éric Besson a parlé de « faute morale ». Sos-Racisme a emboîté le pas en réclamant l’exclusion du député de son propre parti – de quoi je me mêle ? Attendons-nous à ce que, demain, quelque ligue de vertu réclame les supplices chinois pour le parlementaire indigne. Quant à Marine Le Pen, en pleine guerre de succession au FN, elle a rejeté – pas folle, la guêpe ! – l’idée vannestienne de toute alliance électorale avec l’UMP.[access capability= »lire_inedits »]

FN-UMP : le débat interdit

Dans une démocratie bien réglée, le débat public consiste en un échange, parfois véhément, d’arguments, voire même en une querelle, souvent violente, de personnes. Or, sur le sujet des alliances entre l’UMP et le FN, non seulement aucun débat n’est possible, mais le simple fait d’évoquer la possibilité d’un tel débat vaut anathème immédiat.

Élaborée au milieu des années 1980 pour contenir, avec le succès que l’on sait, l’ascension du parti lepéniste, la doctrine du cordon sanitaire a pris valeur d’un dogme indiscutable. Au vu de la totale inefficacité du containment qui a conduit le candidat frontiste au second tour de l’élection présidentielle de 2002, on est en droit de se demander si les tenants de cette stratégie ne sont pas, finalement, les alliés les plus objectifs, peutêtre aussi les plus bêtes, du Front national.

C’est, en somme, ce que me confiait, en février 2004, le philosophe Paul Ricoeur. Nous roulions sur les routes de cette Alsace où près de soixante ans avant il avait commencé sa carrière universitaire. Je conduisais. Il me parlait et puisque le Front national tenait un Congrès le même jour à Strasbourg, la conversation en vint assez naturellement au parti de Jean-Marie Le Pen.

Ricoeur ne comprenait pas la diabolisation dont le FN était l’objet : selon lui, plus la classe politique française ostracisait le parti lepéniste, plus ce dernier grossissait ses scores d’électeurs déçus par les partis de gouvernement. La stratégie du containment n’a jamais affaibli Le Pen : elle l’a durablement érigé en tribun de la plèbe, allant même jusqu’à le nourrir jusqu’à satiété de la détestation que lui vouaient les partis et les médias. Le populisme ne naît jamais sui generis : il est toujours l’enfant turbulent de la démocratie.

La seule stratégie viable, selon Paul Ricoeur, aurait consisté à absorber le Front national au sein de l’UMP qui venait de naître deux ans auparavant. Toutes les grandes démocraties qui vivent à l’heure du bipartisme ont procédé de la sorte et ont réduit leurs extrêmes en les faisant rentrer dans le rang.

Le philosophe ajoutait que l’alignement du FN est contenu dans le « code génétique » de l’UMP : cernée, sur sa gauche, par le frondeur François Bayrou et, sur sa droite, par le frontiste Jean-Marie Le Pen, la réserve électorale de la nouvelle UMP se réduit, en définitive, aux meilleurs scores de l’ancien RPR. Si l’UMP veut, tôt ou tard, devenir l’égal des grands partis politiques européens, elle est condamnée à absorber le centre droit et l’extrême droite. En maintenant sa stratégie actuelle, l’UMP se résigne à jouer son destin au cours de triangulaires favorables à la gauche et à perdre les élections.

Évidemment, les analyses politiques de Paul Ricoeur ne valent pas grand-chose face à l’extraordinaire finesse politique de Mme Yade. Mais, de grâce, Madame, ne demandez pas l’exclusion de Paul Ricoeur de l’UMP. Il n’en a jamais été membre. Et, de toute façon, le pauvre est déjà mort.[/access]

Centristes, c’est pas triste !

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Il a été bien court le « printemps du centre »… Interrogé sur France Info ce matin sur les soupçons de rétrocommissions qui auraient pu servir à financer la campagne présidentielle d’Edouard Balladur en 1995 dans le cadre des ventes d’armes à Karachi, Hervé Morin a suggéré d’interroger les soutiens du candidat malheureux, citant notamment un certain François Bayrou, à l’époque secrétaire général de l’UDF.

Quelques jours à peine après que le gouvernement Fillon s’est vidé de ses centristes et que tout le monde prédisait des lendemains qui chantent pour le centre qui allait renaître de ses cendres, tout cela semble avoir fait long feu. On attend avec impatience que François Bayrou demande à ce qu’on vérifie les emplois du temps de Morin et Borloo le jour de la disparition du petit Grégory.

Proche Orient : le retour des Clinton

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Photo : marcn

Pour découvrir ce qui se passe de nouveau et d’important sur la planète dans nos médias de tous acabits, il faut aller chercher dans les profondeurs des pages intérieures des journaux et des sites web à prétention informative, qui n’en finissent pas de gloser sur nos petites affaires. Les feuilletons du remaniement, de l’affaire Bettencourt, des circonstances de l’attentat de Karachi suffisent, semble-t-il, au bonheur des journalistes et de leurs lecteurs. Qu’on me pardonne donc de jouer les raseurs en ramenant sur le tapis des questions exotiques qui ne sont ni glamour, ni sexy, ni même crapoteuses.

On a vite tourné la page de la raclée prise par Barack Obama lors du scrutin de mi-mandat, en raison du désagrément provoqué chez ses admirateurs inconditionnels par le comportement, à leurs yeux insensé, des électeurs américains.

Cette nouvelle donne au Congrès n’a pourtant pas été sans influence sur l’évolution de la politique étrangère de Washington, où on voit le département d’Etat reprendre en main un certain nombre de dossiers qui étaient jusque-là pilotés en direct de la Maison blanche.

Depuis le départ pour Chicago de Rahm Emanuel, principal conseiller d’Obama, les négociations entre Israël et les Palestiniens sont entre les mains d’Hillary Clinton et de ses experts comme Dennis Ross et… Bill Clinton. Le premier fut le principal artisan du sommet de Camp David entre Ehud Barak et Yasser Arafat qui échoua d’un cheveu en juillet 2000. Son étoile et son influence sont en hausse proportionnelle à la baisse de celles de George Mitchell, l’envoyé personnel d’Obama au Proche Orient. Quant à l’ancien président et époux d’Hillary, il a mouillé sa chemise pour tenter de sauver les démocrates de la débâcle électorale du 2 novembre, et n’a pas fait mystère de son mécontentement devant les bourdes à répétitions des stratèges du parti. Fort d’une popularité qu’il a pu sentir durant les dizaines de meetings électoraux dont il a été la vedette, il se risque aujourd’hui à donner son avis sur les problèmes qui lui tiennent à cœur.

Dans un discours prononcé à l’occasion de l’anniversaire de l’assassinat d’Itzhak Rabin, il ne s’est pas contenté de faire l’éloge du défunt, mais il a exhorté les parties en présence à « finir le travail » de Rabin (donc le sien aussi) brutalement interrompu par le déclenchement de la seconde Intifada. En creux, il critiquait ainsi la première phase de la politique proche-orientale de la Maison blanche, qui privilégiait la main tendue à l’ensemble du monde musulman au détriment d’une approche plus réaliste du dossier israélo-palestinien. Il n’est ainsi plus question de « tordre le bras » de Benyamin Netanyahou pour qu’il obéisse aux injonctions de Washington, notamment sur la question des constructions dans les implantations de Cisjordanie. On ne lui met pas non plus le couteau sous la gorge pour qu’il modifie sa coalition et chasse l’extrême droite pour faire entrer Tzipi Livni et ses amis de Kadima. Le département d’Etat a donc pris la main dans la gestion de ce problème, alors qu’Obama est obligé de se consacrer à la reconquête de son électorat déboussolé.

Avec Hillary Clinton, le dialogue est âpre, certes, mais le premier ministre israélien sait qu’il a en face de lui non pas un idéologue hors sol comme le président Obama, mais une « réaliste » qui veut parvenir au résultat que son mari n’avait pas été en mesure d’obtenir : la solution dite de « deux Etats pour deux peuples » avalisée par l’ensemble des puissances arabes sunnites inquiètes de l’hégémonisme iranien. On ne connaît pas le détail précis des conclusions de la longue discussion (sept heures !) qui a eu lieu le 12 novembre entre Bibi et Hillary, mais le deal qui en est sorti a paru suffisamment intéressant au Premier ministre israélien pour qu’il le soumette, une fois couché sur du papier, à son conseil des ministres où il pourrait l’emporter de justesse, en comptant sur l’abstention des membres du parti ultrareligieux sépharade Shas. Le vote devrait avoir lieu dès que le document aura été finalisé, vraisemblablement avant la fin novembre.
En échange d’un moratoire de quatre-vingt dix jours sur de nouvelles constructions dans les implantations de Cisjordanie, les Etats-Unis s’engageraient à fournir à Israël des garanties de sécurité accrues, notamment avec la livraison de vingt avions F35 supplémentaires. De plus, Washington s’engagerait à bloquer toute initiative à l’ONU visant à la reconnaissance d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967, et à ne pas exiger de renouvellement du moratoire à l’issue de ces trois mois d’abstinence bâtisseuse. Un point de discorde demeure cependant : les Palestiniens exigent, pour la reprise des négociations, que le moratoire s’applique aux constructions entreprises à Jérusalem-Est, ce que Netanyahou ne peut accepter, sauf à voir éclater sa coalition. Aux dernières nouvelles, une astuce semble avoir été trouvée, en évitant de désigner précisément les territoires auxquels s’applique ce moratoire. L’ambiguïté est un outil diplomatique qui peut se révéler fort utile pour sortir d’une impasse…

Le pari d’Hillary Clinton est hardi : il se fonde sur l’espoir qu’au cours de ces trois mois de négociations directes, un accord sur les futures frontières de l’Etat palestinien pourra être conclu, éliminant de ce même fait la questions épineuses des constructions dans les implantations, puisque chacun saurait désormais quel territoire lui sera dévolu. Les cartes sont prêtes, et ne devraient pas différer notablement de celles qui avaient été établies à Camp David, avec rattachement à Israël des grands blocs d’implantation contiguës à la « ligne verte » de 1967, échange de territoires, partage de Jérusalem et statut international pour les Lieux saints.

Une potion rude à avaler, non seulement pour la droite nationaliste de Lieberman et consorts, mais aussi pour une fraction non négligeable du Likoud, le parti de Netanyahou. S’il le veut vraiment, Netanyahou peut s’appuyer sur une majorité de l’opinion publique israélienne pour faire admettre ces « concessions douloureuses » à la Knesset, quitte à désoler son centenaire de papa, ancien secrétaire de Vladimir Zeev Jabotinsky, théoricien du « Grand Israël ».
Il se retrouverait alors dans la situation de son vieux rival Ariel Sharon, qui n’hésita pas à affronter les « durs » du Likoud, dont Netanyahou lui-même, lors de l’évacuation, en 2005 des implantations juives de Gaza. À propos de Sharon, toujours dans un état végétatif au bout de six ans de coma, il vient d’être transféré de l’hôpital Sheba à Tel Aviv vers son ranch du Néguev, signe que l’on a perdu tout espoir de le voir ressusciter…

Deux analyses de ces derniers développements s’opposent parmi les observateurs habituels de cet interminable feuilleton de la paix toujours ajournée.
Les optimistes font valoir que la crainte inspirée par l’Iran aux pays arabes dits modérés (Arabie Saoudite, Jordanie, Emirats du Golfe) les incitera à faire pression sur Mahmoud Abbas pour qu’il accepte ce qu’Arafat refusa à Camp David.
Les pessimistes pensent au contraire que tout cela n’est qu’un jeu de dupes, où Israéliens et Palestiniens manœuvrent à qui mieux mieux pour faire porter à l’autre le chapeau d’un nouvel échec des négociations sans avoir l’air d’attaquer de front la puissance américaine. À court terme, le statu quo est relativement confortable pour Netanyahou comme pour Abbas : l’opinion israélienne se fiche complètement du sort des Palestiniens, pour autant qu’ils ne se fassent pas exploser sur les marchés de Tel Aviv. L’économie marche fort et le carpe diem est un mode de vie passablement agréable. Mahmoud Abbas, dont le statut politique est pour le moins bancal[1. Son mandat de président de l’Autorité palestinienne est échu depuis 2009, mais l’élection d’un nouveau président est sans cesse reportée en raison de la situation à Gaza] craint, non sans raisons, d’être balayé par le Hamas dès le retrait des forces d’occupation israéliennes. Jusque-là, depuis soixante deux ans, les faits ont donné raison aux pessimistes. Si cela devait changer, il serait convenable que Barack Obama fasse cadeau de son prix Nobel de la paix à Hillary Clinton et, pourquoi pas, qu’il s’efface devant elle pour l’élection présidentielle de 2012.

Harry Potter et les reliques du mort…

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Il est né au début des années 1920, non loin de la ville de Birmingham en Angleterre. On ignore pourquoi, mais en 1938, avant même ses 18 ans, il décide de tricher sur son âge pour s’engager dans les rangs de l’armée britannique. Il est incorporé dans le régiment d’infanterie du Worcestershire et envoyé en Palestine – à l’époque sous mandat britannique. Quelques mois plus tard, en juillet 1939, il trouve la mort dans la ville d’Hébron en Cisjordanie. On ne connaît pas les circonstances de son décès mais on peut supposer sans trop de risques que sa fin tragique n’est pas sans lien avec la répression de la grande révolte arabe, une sorte d’Intifada avant la lettre, qui avait éclaté trois ans auparavant et visait à l’élimination de la communauté juive de la Palestine.

Mais si on vous parle de lui aujourd’hui, ce n’est pas pour évoquer « une page d’histoire » car ce qui fait sortir aujourd’hui de l’oubli cet obscur adolescent décédé il y a plus de 70 ans c’est qu’il s’appelait… Harry Potter ! Ainsi, depuis que son homonyme posthume a acquis la notoriété que l’on sait, sa tombe dans le cimetière de la ville de Ramla (à ne pas confondre avec la ville palestinienne de Ramallah), non loin de Tel-Aviv, attire un nombre grandissant de curieux qui viennent fleurir sa sépulture.

Jusqu’à un passé récent, le seul titre de gloire de cette localité était la tombe supposée de saint Georges. Heureusement que le seconde classe Harry Potter ne servait pas dans un régiment de cavalerie, et encore moins d’infanterie montée. Il eut été de mauvais aloi de voir la postérité de saint Georges terrassée par un dragon…

Maurice, populiste savoyard

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Savoie

Etre les populistes et les démagogues, la différence est souvent affaire de tour de taille : le démagogue, enjôleur des foules par calcul cynique, tient à garder une parfaite maîtrise de lui-même, évite la bonne chère et les boissons alcoolisées, ne s’enivre que de son propre verbe. Sa jouissance est toute cérébrale, et son mépris pour ce peuple dont il fait l’instrument de sa toute-puissance infini. Il a souvent les joues creuses et un regard perçant. Goebbels.

Le populiste, à l’inverse, est un homme (ou une femme) qui se fie à son instinct plutôt qu’à son intelligence, même s’il en est souvent fort bien pourvu. Georges Frêche en France, et Franz-Josef Strauss en Allemagne, que j’ai eu l’occasion de côtoyer naguère, appartenaient à cette catégorie. La fréquentation festive de ses semblables, et les pratiques sociales qu’elle implique dans le domaine gastronomique et œnologique, sert au populiste d’institut de sondage, de think tank informel et d’assurance électorale. Cela n’est pas sans conséquence sur la masse graisseuse, à moins que l’on soit doté par la nature d’un métabolisme exceptionnel comme Jacques Chirac, populiste intermittent, mais bâfreur impénitent.[access capability= »lire_inedits »]

Pour mon ami Maurice, maire de S…, ville de Haute-Savoie d’environ 6 000 habitants, et conseiller général d’un canton s’étageant de 400 à 2500 mètres d’altitude, la taille XXL s’applique aussi bien à ses pantalons qu’aux scores qu’il obtient aux élections : 80% aux municipales et 60% aux cantonales.

Maurice n’était pas, de son propre aveu, une flèche à l’école primaire qu’il fréquenta dans les années 1950, au contraire de son « classard » Jean-Claude, aujourd’hui maire de la ville voisine. Les deux compères se disputent d’ailleurs régulièrement pour savoir laquelle des deux communes jumelles doit être considérée comme la capitale française du décolletage, industrie micromécanique dont la vallée de l’Arve s’est fait la spécialité.

« Z’ai ptèt pas été aux hautes écoles, mais ze sais reconnaître ceux qui cherchent à m’enculer ! »

Leur dialogue récurrent pourrait aisément tenir lieu de sketch de café-théâtre : Jean-Claude l’intello avale ses mots à en être souvent incompréhensible, et Maurice le cancre est affecté d’un zézaiement qui ne l’empêche nullement d’exprimer de manière tonitruante ses opinions sur la marche du monde. « Z’ai ptèt pas été aux hautes écoles, mais ze sais reconnaître ceux qui cherchent à m’enculer ! »

On aura compris que le vocabulaire de Maurice ne s’embarrasse ni de périphrases ni de circonvolutions. Les métaphores qui l’aident à formuler sa pensée politique se situent dans un registre limité et font de fréquentes références au fondement.

La seule université fréquentée par Maurice aura été ces deux années passées à « courir derrière les fellouzes dans les dzebels, tant et si bien que ze m’y suis niqué les zenous, et c’est pour ça que maintenant ze prends mon 4×4 pour aller aux champignons ». À son retour d’Algérie, Maurice, comme tous ses copains de la vallée, est retourné gagner son pain devant un tour à décolleter, les mains dans l’huile et dans un boucan d’enfer. Il fonde son propre atelier, car sa « tête de cochon » lui crée quelques problèmes avec les patrons.

Quelques décennies plus tard, Maurice a perdu sa sveltesse de jeune homme, et sa taille s’est arrondie en même temps que son compte en banque, sa petite boîte ayant grandi et prospéré grâce à son travail et à son instinct pour les bonnes affaires. Entre-temps, la ville de S… a bien changé. Les logements sociaux ont poussé comme des champignons, majoritairement occupés par des travailleurs maghrébins et leurs familles, employés aux tâches les plus pénibles du décolletage, comme l’essorage des pièces dans les vapeurs délétères de solvants. C’est peu dire que l’intégration de ces nouvelles populations n’a pas été aussi rapide que celle des travailleurs italiens du bâtiment arrivés dans la région dans les années 1940 et 1950. La route nationale 205 fait office de limite entre la ville « blanche » et le quartier majoritairement maghrébin.

À la fin des années 1980, le FN, à S… et aux alentours, obtient des scores impressionnants, traduction politique du désarroi des Savoyards passés en une génération du cul des vaches en été et au limage des pignons[1. Façonnage des pièces d’horlogerie à domicile.] en hiver à l’univers impitoyable de l’industrie de sous-traitance mondialisée.

Elu grâce au FN, il l’a effacé du paysage

C’est dans ce contexte que démarre la carrière politique locale de mon ami Maurice. En 1995, lors des municipales, les sbires locaux du FN voient une bonne occasion de s’emparer de la mairie, le sortant étant fort contesté à cause de travaux pharaoniques, source d’un endettement que les fourmis savoyardes ont en sainte horreur. Il leur faut cependant trouver quelques têtes d’affiche présentables pour conduire une liste officiellement apolitique, mais en fait noyautée par les lepénistes. Parmi ces « notables » voués au rôle d’idiots utiles, Maurice qui résume ainsi la situation et son évolution : « Ceux du FN, y zont dit : on va mettre maire le gros con, mais c’est nous qu’on tiendra la plume et le gros con y signera et pis c’est tout. Eh ben le gros con, il est dv’nu maire et il a pas signé ! » Les relations de Maurice avec le FN local sont alors devenues exécrables, à la grande satisfaction de quelques avocats qui ont largement profité des démêlés judiciaires entre le nouveau maire et ses anciens colistiers.

Et c’est ainsi que, depuis quinze ans, le FN a été effacé du paysage politique municipal. Pendant qu’il s’efforce de remettre en ordre les finances municipales, Maurice confie à son vieil ami Jean, un ancien pied-noir débarqué jadis en métropole aussi pauvre qu’il le fut, dans son enfance, dans le pays natal d’Albert Camus et de sa mère. « Le social, z’y connais rien, alors ze sous-traite », telle est la lettre de mission délivrée par Maurice à Jean, bombardé premier adjoint et en charge de gérer les « bougnoules » de l’autre côté de la nationale.

C’est alors que l’on vit débarquer un contingent de « beurettes » dans le personnel municipal, et que se mirent en place des programmes financés dans le cadre des grands projets de politique de la ville lancés par les gouvernements de toutes tendances pour tenter de remettre en marche la machine républicaine d’intégration des étrangers.

On devrait, comme pour les grands vins, faire des dégustations « à l’aveugle » des politiques menées par des municipalités étiquetées à droite ou à gauche. On pourrait avoir quelques surprises, et découvrir que les actions menées à S…, ville de droite, dont le maire utilise un vocabulaire politiquement très incorrect pour désigner une partie de ses administrés, se comporte dans ce domaine mieux qu’une bonne vieille municipalité de gauche.

Maurice est aussi fidèle en amitié qu’il est rancunier avec ses ennemis. Par bonheur, et pour des raisons liées à la météo politique locale, il se trouve que je suis dans la bonne liste du carnet de bal de Maurice. « Tu sais, me confia -t-il un jour, z’ai touzours eu les zuifs à la bonne, depuis qu’en Alzérie z’avais chopé les hémorroïdes. Le médecin aspirant du réziment, y s’appelait Zacob, et y m’a guéri ça en un rien de temps. On a touzours de la reconnaissance pour celui qui s’occupe bien de votre trou du cul. »
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Naissance du clown anti-festif

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Photo : RobertFrancis

Au pays des Oxymores, un personnage manquait encore à l’appel : le clown anti-festif. Grâce à Bertrand Delanoë et aux premiers « états généraux des nuits parisiennes » tenus le 12 novembre dernier, le clown anti-festif va enfin pouvoir rejoindre ses frères de la comédie hyperfestive et serrer dans ses bras le clown de clinique et le clown militant. Au printemps 2011, les trottoirs parisiens verront fleurir des clowns de silence.

L’interdiction sympa

Révélant ses « pistes pour régler le conflit entre fêtards et dormeurs », tout en « défendant le droit à la fête », Delanoë a choisi, suivant l’exemple de Barcelone, de confier à des mimes et à des clowns le rôle délicat d’« agents de silence » – puisque telle est leur dénomination officielle. « Il s’agira de performances artistiques silencieuses faisant passer le message avec humour. » Grâce à Bertrand Delanoë, le nez rouge devient désormais le symbole de la répression anti-festive. Vive la censure fun ! Gloire à l’interdiction sympa ! Delanoë ose enfin dire un « non ! » ferme et décalé aux rêves d’Homo Festivus.

Les clowns de silence devront pourtant circonscrire un ennemi prioritaire : le fumeur. L’interdiction de fumer dans les lieux publics a provoqué, outre une plus grande résistance au froid chez les fumeurs et l’accroissement de leur nombre, une augmentation du bruit sur les trottoirs parisiens. Non contents de nuire gravement à la santé de leur entourage, les fumeurs sont devenus la plus coupable « source de nuisances sonores ».

Ces clowns de merde et ces mimes à la con seront donc chargés en priorité d’insonoriser les fumeurs, ces nuisants suprêmes. Dans ce registre de la persécution loufoque, Delanoë aurait pu songer également à lancer sur les trottoirs des patrouilles d’enfants-citoyens, auxquels il eût pu confier la mission d’écraser par surprise entre deux cymbales les clopes ardentes qui déshonorent nos rues. Mais il n’est pas certain, il est vrai, que cette solution eût permis de mener une lutte convaincante contre les nuisances sonores.

Un autre clown est possible

Et les mimes, dans tout ça ? Parviendront-ils à tirer leur épingle du jeu ? Quelles seront leurs inventions gestuelles décapantes visant à signifier : « Fermez vos gueules, bande de crétins bourrés ! » ? Parviendront-ils à mimer un vieillard en pantoufles furieux mettant en joue les fêtards avec son fusil de chasse ? Et s’ils sont vraiment drôles, comme on nous en menace, ne porteront-ils pas au contraire à incandescence l’hilarité des nuits parisiennes et son nuisible tonnerre ?

La lumineuse invention des clowns de silence nous susurre à l’oreille une bonne nouvelle : d’autres clowns sont encore possibles ! Qu’il me soit permis de faire quelques suggestions aux industriels du clown. Dans le monde de la dérision devenue terreur, quatre clowns de demain manquent encore cruellement.

D’abord, le clown-marchandise, chargé de pousser violemment les passants à l’intérieur des commerces ou des restaurants, en se moquant d’eux et en faisant mine de pleurer s’ils s’obstinent à vouloir ressortir. Ensuite, les clowns violeurs, qui interviendront, à chaque fois qu’une femme se fait violer dans la rue, en s’allongeant à côté du violeur et en mimant un coït brutal avec le trottoir afin de déconcentrer les violeurs et de leur faire prendre conscience de leur abjection de manière sympa. Dans le cadre du plan Vigipirate renforcé dans nos gueules, les militaires en treillis qui patrouillent dans nos gares démocrates pourraient revêtir eux aussi des costumes de clown et se muer en sémillants clowns-Kalachnikov. Enfin, en ce qui concerne les clowns-antiterroristes, il n’est hélas nul besoin de les inventer. Cependant, lorsque le procès des « dix de Tarnac » aura eu lieu, en 2025, je propose que le statut de clown de tous les membres de la Sous-direction anti-terroriste (SDAT) soit enfin officiellement reconnu, à titre de compensation pour les innombrables personnes à qui ils ont fait des blagues et qu’ils soient dès lors statutairement obligés à porter l’unique costume qui leur sied.

Pour finir, j’aimerais néanmoins souligner l’un de mes nombreux désaccords parfaits avec Philippe Muray. Son excellente théorie du festivisme ne me semble pas décrire la totalité sociale. Le festivisme est l’une des tendances majeures du présent, mais non la seule. Comme tout phénomène social, il produit nécessairement sa tendance réellement antagoniste. L’anti-festif – je parle de l’élément réellement anti-festif, non de sa parodie hyperfestive – fait aussi partie du réel. La théorie du festivisme permet d’expliquer tout sauf l’existence effective de Philippe Muray et de sa pensée.

Paris n’est plus une fête

Si les premiers « états généraux des nuits parisiennes » fourmillent de détails qui auraient fait les délices de Muray, ils nous apportent aussi la preuve que, comme tout ce qui est humain, le festivisme ne saurait connaître une expansion infinie. Dans le monde concret, il y a des clowns de silence, mais ils ne sont pas seuls. Ils cohabitent avec ce fait murayo-dérangeant : en 2009, selon la préfecture de police, cent dix-neuf établissements ont été provisoirement fermés à Paris pour « tapages avec musique amplifiée » et « atteintes à la tranquillité publique constituées par des éclats de voix et des rires ». Dans le monde concret, il existe aussi des juges et des « riverains » anti-festifs. Muray me répondrait sans doute, après quelques bordées d’injures nanophobes, qu’il s’agit là d’une rixe entre modernes et que ma cervelle de jeune crétin a négligé le fait que c’est tout bonnement « l’envie du pénal » qui s’en prend ici au festivisme.
Il me demanderait pourquoi, s’il n’en allait pas ainsi, Bruno Blanckaert aurait eu besoin de proposer, lors de ces états généraux du silence festif, la mise en place d’un admirable « diagnostic bruit », obligatoire au moment de l’acquisition d’un appartement, visant à limiter les « recours excessifs ». Il tenterait enfin de détourner mon attention en tournant obstinément le projecteur vers d’autres chiffres : les seize mille personnes qui ont signé la pétition dénonçant ces fermetures administratives pour nuisances sonores, lancée par l’impayable collectif « Quand la nuit meurt en silence ». Philippe déploierait en somme, une fois encore, sa merveilleuse et regrettée, sa souveraine et irrésistible mauvaise foi.

Cependant, nous nous serions sans doute accordés sur un point : Paris n’est plus une fête. Non pas depuis dix ans, mais depuis le commencement même de l’ère hyperfestive. Elle ne redeviendra une fête que le jour où ce monde festif sera enfin entièrement dévasté.

Zemmour sur RTL: les petits jaloux du Grand Journal

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Jeudi soir, Michel Denisot conviait à son Grand Journal, les dirigeants de RTL, Radio France et de RMC afin de commenter avec eux les derniers résultats d’audience de leurs stations respectives annoncées le matin même par Médiamétrie.

Christophe Baldelli, qui préside aux destinées de RTL, est interrogé par Denisot sur les bons résultats de la mère des tranches horaires, la matinale. Il répond qu’ils sont notamment provoqués par l’arrivée de deux belles signatures, celles d’Eric Zemmour à 7h15 et d’Yves Calvi à 8h15.

Mais Baldelli, juste après qu’il a prononcé le mot « Zemmour », est coupé par un Baddou qui sur un ton, mi-rigolard mi-méprisant lance « Une belle ! ». Le chroniqueur continue de ricaner et Massenet embraye: «Zemmour, vous avez eu peur, quand même ?![1. On était dans l’exclamation tout autant que dans l’interrogation]». Baldelli ne se démonte pas tandis qu’Aphatie se cache pour rigoler :«Peur de quoi ?». « Peur des excès, des dérapages ![2. Là, on est davantage dans l’exclamation que dans l’interrogation]» Christophe Baldelli explique que les études qualitatives ont démontré que l’argumentation à base de références historiques était appréciée des auditeurs de la station. «Mais vous, personnellement !», relance Baddou. «Je tiens à ce que diverses pensées, sensibilités, puissent être représentées sur RTL. J’y tiens beaucoup ». « Vous pourriez faire de la politique», conclut Denisot.

Décryptage.

Baldelli – […]deux belles signatures, celles d’Eric Zemmour à 7h15…

Baddou – Ha, ha,ha, de la merde en branche, oui ! Ha, ha, ha

Baldelli – …et d’Yves Calvi à 8h15.

Massenet – Mais vous êtes foldingo, ou quoi ?

Baldelli – Mais, pourquoi donc ?

Massenet – Ce type est le Diable en personne, et vous lui donnez un micro, espèce d’irresponsable !

Baldelli – Mais nos études prouvent que ce qu’il dit est apprécié par nombre de nos auditeurs.

Baddou – Oui mais vous, vous n’appréciez, pas ! Dites le ! Je ne peux pas croire que vous appréciez le Démon comme tous ces gens !

Baldelli – Je tiens à ce que diverses pensées, sensibilités, puissent être représentées sur RTL. J’y tiens beaucoup.

Denisot – Ah on sait bien que vous pensez comme nous, espèce d’hypocrite ! Vous faites ça pour le fric, c’est tout.

Baddou et Massenet – Ha, ha, ha. Expie ! Expie ! Tu aimes flirter avec le Malin ! Expie !

Aphatie – Hi, hi, hi (mes copains ont raison mais je peux pas le dire).

Voilà donc le véritable sens de cet échange. Baldelli a de la classe. D’une part, il a assumé son choix. Il a dit à quel point il avait fait une bonne affaire en recrutant Zemmour dont les analyses sont appréciées par un public qui n’avait jusque là que Duhamel (depuis combien de temps, déjà ?) et Aphatie à se mettre sous la dent. La bande de Denisot voulait absolument qu’il expie, qu’il avoue sa faute morale dans le procès cool -mais procès quand même- qu’on lui faisait. Qu’il lâche qu’il n’était pas d’accord, mais alors pas du tout, avec tout ce que disait Zemmour au micro de sa station. Il ne l’a pas fait.

Vous me direz que c’est la moindre des choses puisque c’est lui-même qui a embauché Zemmour et qu’il aurait été plutôt lâche de se comporter autrement. Certes. Mais il l’a assumé d’une belle manière. En insistant sur la nécessité d’un certain pluralisme sur une antenne. Denisot, alors, n’y a vu que du feu en pensant qu’il s’agissait d’une réponse politique. Alors que c’était une flèche acérée qui le visait. Décidément, Baldelli est bien plus intelligent que cette bande de truffes. Chapeau bas, monsieur.

Bon sens ne saurait mentir

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Vous n'aimez pas Murakami ? C'est que vous êtes populiste !
Vous n'aimez pas Murakami ? C'est que vous êtes populiste !
Vous n'aimez pas Murakami ? C'est que vous êtes populiste !
Vous n'aimez pas Murakami ? C'est que vous êtes populiste !

Bien sûr que le populisme est un fourre-tout. Et qu’on aurait plus de mal à le définir sérieusement qu’à essayer de cerner la philosophie politique de Luc Besson. Ceux qui veulent supprimer tous les impôts ? Populistes ! Ceux qui veulent faire payer les riches? Populistes itou ! Y’a pas comme un problème, là ? On met dans le même sac d’opprobre ceux qui veulent rouvrir les maisons closes et ceux qui veulent criminaliser putes et clients, ceux qui pensent que les fonctionnaires sont tous des charançons et ceux qui exigent que l’Etat crée des emplois pour tous. Ceux qui pensent que l’immigration musulmane est mère de tous nos maux et ceux qui insinuent qu’on voit trop d’Arthur, d’Elie Semoun ou de Gad Elmaleh à la télé. Et ainsi de suite…

Bref, le populisme, contrairement au fascisme ou au naturisme, est une fiction. S’il existe, c’est essentiellement grâce à ses contempteurs. En conséquence de quoi l’antipopulisme est, lui, beaucoup plus facile à cerner. Et à abhorrer un brin, en en ce qui nous concerne. On s’explique.[access capability= »lire_inedits »]

Tout d’abord pour le mot : parler de « populisme » la bouche en cul-de-poule, c’est décréter que le peuple pue. Que le mot « populiste » ait remplacé le mot « démagogue » en dit long sur l’inconscient de nos éditorialistes favoris, et accessoirement sur leur statut social.

Ensuite pour l’usage : techniquement, pas de procès en populisme viable sans recours systématique à l’amalgame. Vous ne goûtez pas Murakami à Versailles ? Tiens, tiens… Le Pen aussi est archi-contre. Vous réclamez une loi contre la burqa, n’en pinceriez-vous pas pour Geert Wilders ? Vous critiquez le FMI ? Comme les complotistes, non ? Vous préférez Benny Hill à François Ozon ? Hum hum…

Le peuple n’a pas toujours tort

Enfin et surtout, nous supportons mal qu’on nous rabâche que tout ce qui en appelle au bon sens va forcément dans le mauvais sens. Le bon sens, pour mémoire, c’est grosso modo ce que pensent nos mamans ou nos cousins de province (pardon, de région). Ils sont donc populistes quand ils trouvent que, depuis l’euro, tout a augmenté. Que le pognon de la guerre en Afghanistan serait peut-être mieux employé pour relever le minimum vieillesse. Que les députés ne savent pas de quoi ils parlent quand ils causent pouvoir d’achat, retraites ou même radars. Ou bien que ça serait mieux que les mômes apprennent à lire et à écrire avant d’aller en sixième. On peut se contenter d’objecter que c’est plus compliqué que ça. Les mépriser et rester entre soi pour éviter d’être pollué par ce poujadisme moisi qui salit nos semelles. Voire changer le peuple quand les électeurs osent voter non à certains traités européens, alors qu’ils auraient dû dire oui, ces cons.

Nous, on préfère penser que, si le peuple n’a pas toujours raison, ce n’est pas pour autant qu’il a forcément tort.

On accuse couramment les supposés « populistes » d’abuser de l’argument du « Tous pourris ! ». C’est vrai que cette analyse de la classe politico-médiatique est un peu basse de plafond. Mais cette rengaine n’aurait aucun impact si nos élites ne prouvaient pas chaque jour que, pour elles, le peuple est tout pourri.[/access]

Bourdieu, Carles, Pinçon, qui a écrit ça ? Help !

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En faisant les antiquaires, je suis tombé, chez un bouquiniste, sur les pages dactylographiées et quelque peu jaunies d’un texte intéressant, teinté d’une violence contenue. Impossible d’en connaitre l’auteur et le vendeur n’a pas pu m’éclairer sur ce point. Le passage me rappelle que la sociologie est peut-être un sport de combat, que les chances sont décidément inégales à la naissance et que les privilèges de classe, de caste et de bandes se perpétuent, toujours, sans fin. Je lis et relis encore mais pas moyen d’identifier l’auteur qui parle si bien de ce que l’on reçoit en héritage, de ce capital social et culturel qui à la toute fin des fins vous place devant les autres dans les centres de pouvoir et de décision. Voilà ce que ça dit:
« … Il s’agit toujours d’exclure en distinguant, que ce soit dans l’apparence – la marque a remplacé l’habit et la voiture de collection le carrosse -, le langage et une sociabilité fermée. Si Versailles a disparu, les élites vivent toujours dans les mêmes quartiers et se retrouvent entre elles dans des espaces étroits édifiés à l’abri des regards indiscrets : clubs privés, restaurants sélects, cercles de réflexion hérités des salons d’antan, sans oublier les voyages, les chasses, les lieux de villégiature pour happy few où l’on se retrouve entre soi, comme les défuntes aristocraties allaient prendre les eaux. Les dirigeants s’y croisent, se parlent, s’échangent des services, des informations dont le commun des mortels est dépourvu, dans une promiscuité inconnue des grandes démocratie fédéralistes, comme l’Allemagne. Seule différence notable : la place considérable et récente prise par l’argent et les médi… »

La suite est déchirée. J’ai pensé à Pierre Bourdieu, même à Pierre Carles voire Serge Halimi, comme j’ai interviewé Monique Pinçon (de chez Pinçon et Charlot), sociologue des riches, pour On revient vers vous je lui ai immédiatement demandé si ce texte était d’elle, mais non. Le paragraphe en question m’a également fait penser à ce qu’on peut lire chez Cycéron, mais il est blogueur. Bref, ces quelques lignes me plongent dans une certaine perplexité d’autant qu’elles auraient pu être écrites récemment par un de ceux qui ont manifesté devant le Crillon, juste avant un dîner du Siècle, pour dénoncer ce qu’ils estiment être une collusion des élites politiques et économiques et certains hauts représentant des médias traditionnels. A mon avis, ce texte émane d’un courant de pensée aguerri dans la critique des élites mais à vrai dire, je n’en sais pas davantage, peut-être est-ce tout simplement, la page d’un mémoire de socio…

Si vous avez une idée, donc, n’hésitez pas

Stupeur et tout le tremblement

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Je l’ai déjà avoué dans ces colonnes, je suis abonné à Télérama depuis quelques années, presque un lustre déjà. Il n’y a pas de quoi être fier certes, mais pas de quoi être honteux non plus. Télérama a été fondé par Georges Montaron, un grand catholique « de gauche », dont on n’a pas besoin de partager toutes les idées pour l’admirer. Certes, ce n’est pas là que l’on trouvera de profondes réflexions sur le sens de la foi aujourd’hui. Cela fait longtemps que le pape des magazines télé fait l’affranchi et s’est transformé en un journal comme les autres, la prétention culturelle en plus : ses « racines chrétiennes » ne sont qu’un souvenir honteux, rarement évoqué d’ailleurs, comme tous les souvenirs honteux. On dirait presque, si l’on était mauvaise langue, que c’est dans le déni de ses origines chrétiennes que ce magazine pour la populace semi-cultivée dont je fais partie, fait preuve d’un léger snobisme, ce qui le rendrait presque sympathique au fond. Quand Télérama parle de l’Eglise, c’est un peu comme quand un adepte de la psychanalyse se décide enfin, dans le secret d’une confession laïque, à parler de ses relations avec papa-maman: on pressent que ça ne va pas être tendre, et que d’autre coulpes que la sienne vont être battues.

C’est pourquoi le catholique que je suis tremble un peu lorsqu’il constate que son canard décoincé choisit de s’intéresser à la place de l’Eglise dans le monde contemporain, sujet qu’il aborde longuement dans son numéro 3174, du 13 au 19 novembre 2010. D’emblée, la charge est vive. Nos cathos repentis décrivent sans ambages dans la présentation du dossier « l’intellectuel catholique » comme « une espèce en voie de disparition » qu’il ne s’agit pas d’ailleurs, contrairement à toutes les autres sans doute, de protéger particulièrement, si l’on en croit la place à peu près nulle que le journal lui réserve. Un peu comme s’il fallait à toute force que ça ne pense pas de ce côté-là, le côté que l’on a renié. Il faudrait avouer que l’on se trouverait Gros-Jean comme devant si l’on se mettait dans la délicate position de devoir constater que l’on a troqué le droit d’ainesse de la richesse de la pensée catholique pour l’indigeste plat de lentilles de la modernôlatrie. J’ai fait le trajet inverse, et « redécouvre » chaque jour, après une enfance très vaguement chrétienne, et une jeunesse parfaitement en phase avec l’air du temps de mon époque, la richesse intellectuelle du catholicisme, à travers la lecture de penseurs et de romanciers catholiques contemporains, (citons seulement Girard, Ivan Illich, Muray ou Taillandier). C’est pourquoi le diagnostic m’a laissé d’abord coi, puis légèrement hilare. La méthode Coué est peut-être efficace, mais toujours un peu comique.

Par ailleurs, à en croire mon magazine télé unique et préféré, « être catholique aujourd’hui », thème du grand reportage du dossier, c’est très notamment vouloir « faire bouger l’Eglise ». Bon. S’il y a bien un truc qui ne bouge pas de nos jours, c’est cette volonté de tout faire bouger, même ce que que l’on croyait être le plus inamovible. On se souvient peut-être de publicitaires qui, il y a plus de vingt ans déjà, prétendaient nous faire bouger avec La Poste. « Bouger avec La Poste ! » Il faudrait peut-être aussi que je porte mes colis moi-même, en vélo en compagnie du postier, jusqu’à leur destinataire? A ce compte là, pourquoi pas l’Eglise, certes.

Cependant, personnellement, moi qui tente d’être catholique, aujourd’hui et demain aussi, si j’aime l’Eglise c’est justement parce qu’elle ne bouge pas trop. Parce qu’elle reste bien en place, à l’endroit où je sais qu’elle se trouve, contrairement au reste. Quand tout se met à bouger frénétiquement, l’Eglise est là. Très concrètement, c’est ainsi que j’aime à voir mon église paroissiale à moi, l’église St Pierre St Paul de Montreuil, où fut baptisé le roi Charles V, et qui est aujourd’hui environnée de bistrots chinois, de marchands des quatre-saisons arabes, et où les taxiphones prennent la place des boulangeries. La présence ancestrale de l’église que fréquentait saint Louis en compagnie de sa mère Blanche de Castille me rassure et me permet d’accepter d’un cœur moins lourd le remodelage incessant de la ville. « Tu es petrus et super hanc petram aedificabo ecclesiam meam » disait quelqu’un, avec sans doute l’idée derrière la tête que malgré ses reniements passés cette pierre là ne bougerait pas trop. Mais apparemment, l’Eglise selon le Christ, ça n’est pas trop ce qui branche mes amis journalistes de Télérama. La couverture du magazine nous montre ainsi une magnifique église démontable à loisir puisqu’elle est composée de cubes de bois vraisemblablement trouvés chez Joué Club, même si à mon humble avis de père de famille, ça ne sera pas le produit star du prochain noël. Je fais ce que je veux avec mon Eglise, que j’exige montable et surtout démontable à souhait. Le rêve infantile des cathos « progressistes » enfin réalisé : que l’Eglise s’adapte à moi plutôt que moi à elle. Qu’elle se confonde avec le monde, avec mon petit monde transitoire à moi, et qu’on n’en parle plus.

On peut ainsi entendre comme un lapsus amusant la phrase qu’un journaliste de Télérama met dans la bouche d’un valeureux curé de campagne : à l’occasion d’un mini- apéritif géant organisé pour les commerçants du coin, il s’agissait d’ouvrir grand les portes afin de « faire sortir la communauté de l’église », avec l’idée sans doute qu’elle n’aurait plus l’envie, une fois qu’elle se serait fait des copains dans la vraie vie du vrai monde réel, d’y retourner jamais.

Des populaires populistes ?

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Christian Vanneste

« Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! » L’injonction que lance Kant à la modernité n’est pas chez Christian Vanneste tombée dans une oreille sourde. Le député du Nord, qui enseigna la philosophie à Tourcoing, n’est pas du genre à se faire signer une permission rue de la Boétie, au siège de l’UMP, pour oser penser. Il essaie de le faire par lui-même, avec les petits moyens du bord que sont la raison et la liberté, au risque de déplaire, de fâcher, de se tromper aussi et, parfois, de se prendre les pieds dans le plat – ce qui est pourtant plus recommandable, pour un élu de la République, qu’être pris la main dans le sac. Mais ce n’est pas du goût de tout le monde.

Les récentes prises de position de Christian Vanneste sur un éventuel rapprochement de l’UMP et du Front national ne lui ont pas valu que des oppositions fermes et des volées de bois vert. Rama Yade a réclamé la tête du député. Xavier Bertrand a annoncé que son cas serait « traité » par le bureau national du parti. Éric Besson a parlé de « faute morale ». Sos-Racisme a emboîté le pas en réclamant l’exclusion du député de son propre parti – de quoi je me mêle ? Attendons-nous à ce que, demain, quelque ligue de vertu réclame les supplices chinois pour le parlementaire indigne. Quant à Marine Le Pen, en pleine guerre de succession au FN, elle a rejeté – pas folle, la guêpe ! – l’idée vannestienne de toute alliance électorale avec l’UMP.[access capability= »lire_inedits »]

FN-UMP : le débat interdit

Dans une démocratie bien réglée, le débat public consiste en un échange, parfois véhément, d’arguments, voire même en une querelle, souvent violente, de personnes. Or, sur le sujet des alliances entre l’UMP et le FN, non seulement aucun débat n’est possible, mais le simple fait d’évoquer la possibilité d’un tel débat vaut anathème immédiat.

Élaborée au milieu des années 1980 pour contenir, avec le succès que l’on sait, l’ascension du parti lepéniste, la doctrine du cordon sanitaire a pris valeur d’un dogme indiscutable. Au vu de la totale inefficacité du containment qui a conduit le candidat frontiste au second tour de l’élection présidentielle de 2002, on est en droit de se demander si les tenants de cette stratégie ne sont pas, finalement, les alliés les plus objectifs, peutêtre aussi les plus bêtes, du Front national.

C’est, en somme, ce que me confiait, en février 2004, le philosophe Paul Ricoeur. Nous roulions sur les routes de cette Alsace où près de soixante ans avant il avait commencé sa carrière universitaire. Je conduisais. Il me parlait et puisque le Front national tenait un Congrès le même jour à Strasbourg, la conversation en vint assez naturellement au parti de Jean-Marie Le Pen.

Ricoeur ne comprenait pas la diabolisation dont le FN était l’objet : selon lui, plus la classe politique française ostracisait le parti lepéniste, plus ce dernier grossissait ses scores d’électeurs déçus par les partis de gouvernement. La stratégie du containment n’a jamais affaibli Le Pen : elle l’a durablement érigé en tribun de la plèbe, allant même jusqu’à le nourrir jusqu’à satiété de la détestation que lui vouaient les partis et les médias. Le populisme ne naît jamais sui generis : il est toujours l’enfant turbulent de la démocratie.

La seule stratégie viable, selon Paul Ricoeur, aurait consisté à absorber le Front national au sein de l’UMP qui venait de naître deux ans auparavant. Toutes les grandes démocraties qui vivent à l’heure du bipartisme ont procédé de la sorte et ont réduit leurs extrêmes en les faisant rentrer dans le rang.

Le philosophe ajoutait que l’alignement du FN est contenu dans le « code génétique » de l’UMP : cernée, sur sa gauche, par le frondeur François Bayrou et, sur sa droite, par le frontiste Jean-Marie Le Pen, la réserve électorale de la nouvelle UMP se réduit, en définitive, aux meilleurs scores de l’ancien RPR. Si l’UMP veut, tôt ou tard, devenir l’égal des grands partis politiques européens, elle est condamnée à absorber le centre droit et l’extrême droite. En maintenant sa stratégie actuelle, l’UMP se résigne à jouer son destin au cours de triangulaires favorables à la gauche et à perdre les élections.

Évidemment, les analyses politiques de Paul Ricoeur ne valent pas grand-chose face à l’extraordinaire finesse politique de Mme Yade. Mais, de grâce, Madame, ne demandez pas l’exclusion de Paul Ricoeur de l’UMP. Il n’en a jamais été membre. Et, de toute façon, le pauvre est déjà mort.[/access]

Centristes, c’est pas triste !

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Il a été bien court le « printemps du centre »… Interrogé sur France Info ce matin sur les soupçons de rétrocommissions qui auraient pu servir à financer la campagne présidentielle d’Edouard Balladur en 1995 dans le cadre des ventes d’armes à Karachi, Hervé Morin a suggéré d’interroger les soutiens du candidat malheureux, citant notamment un certain François Bayrou, à l’époque secrétaire général de l’UDF.

Quelques jours à peine après que le gouvernement Fillon s’est vidé de ses centristes et que tout le monde prédisait des lendemains qui chantent pour le centre qui allait renaître de ses cendres, tout cela semble avoir fait long feu. On attend avec impatience que François Bayrou demande à ce qu’on vérifie les emplois du temps de Morin et Borloo le jour de la disparition du petit Grégory.

Proche Orient : le retour des Clinton

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Photo : marcn
Photo : marcn

Pour découvrir ce qui se passe de nouveau et d’important sur la planète dans nos médias de tous acabits, il faut aller chercher dans les profondeurs des pages intérieures des journaux et des sites web à prétention informative, qui n’en finissent pas de gloser sur nos petites affaires. Les feuilletons du remaniement, de l’affaire Bettencourt, des circonstances de l’attentat de Karachi suffisent, semble-t-il, au bonheur des journalistes et de leurs lecteurs. Qu’on me pardonne donc de jouer les raseurs en ramenant sur le tapis des questions exotiques qui ne sont ni glamour, ni sexy, ni même crapoteuses.

On a vite tourné la page de la raclée prise par Barack Obama lors du scrutin de mi-mandat, en raison du désagrément provoqué chez ses admirateurs inconditionnels par le comportement, à leurs yeux insensé, des électeurs américains.

Cette nouvelle donne au Congrès n’a pourtant pas été sans influence sur l’évolution de la politique étrangère de Washington, où on voit le département d’Etat reprendre en main un certain nombre de dossiers qui étaient jusque-là pilotés en direct de la Maison blanche.

Depuis le départ pour Chicago de Rahm Emanuel, principal conseiller d’Obama, les négociations entre Israël et les Palestiniens sont entre les mains d’Hillary Clinton et de ses experts comme Dennis Ross et… Bill Clinton. Le premier fut le principal artisan du sommet de Camp David entre Ehud Barak et Yasser Arafat qui échoua d’un cheveu en juillet 2000. Son étoile et son influence sont en hausse proportionnelle à la baisse de celles de George Mitchell, l’envoyé personnel d’Obama au Proche Orient. Quant à l’ancien président et époux d’Hillary, il a mouillé sa chemise pour tenter de sauver les démocrates de la débâcle électorale du 2 novembre, et n’a pas fait mystère de son mécontentement devant les bourdes à répétitions des stratèges du parti. Fort d’une popularité qu’il a pu sentir durant les dizaines de meetings électoraux dont il a été la vedette, il se risque aujourd’hui à donner son avis sur les problèmes qui lui tiennent à cœur.

Dans un discours prononcé à l’occasion de l’anniversaire de l’assassinat d’Itzhak Rabin, il ne s’est pas contenté de faire l’éloge du défunt, mais il a exhorté les parties en présence à « finir le travail » de Rabin (donc le sien aussi) brutalement interrompu par le déclenchement de la seconde Intifada. En creux, il critiquait ainsi la première phase de la politique proche-orientale de la Maison blanche, qui privilégiait la main tendue à l’ensemble du monde musulman au détriment d’une approche plus réaliste du dossier israélo-palestinien. Il n’est ainsi plus question de « tordre le bras » de Benyamin Netanyahou pour qu’il obéisse aux injonctions de Washington, notamment sur la question des constructions dans les implantations de Cisjordanie. On ne lui met pas non plus le couteau sous la gorge pour qu’il modifie sa coalition et chasse l’extrême droite pour faire entrer Tzipi Livni et ses amis de Kadima. Le département d’Etat a donc pris la main dans la gestion de ce problème, alors qu’Obama est obligé de se consacrer à la reconquête de son électorat déboussolé.

Avec Hillary Clinton, le dialogue est âpre, certes, mais le premier ministre israélien sait qu’il a en face de lui non pas un idéologue hors sol comme le président Obama, mais une « réaliste » qui veut parvenir au résultat que son mari n’avait pas été en mesure d’obtenir : la solution dite de « deux Etats pour deux peuples » avalisée par l’ensemble des puissances arabes sunnites inquiètes de l’hégémonisme iranien. On ne connaît pas le détail précis des conclusions de la longue discussion (sept heures !) qui a eu lieu le 12 novembre entre Bibi et Hillary, mais le deal qui en est sorti a paru suffisamment intéressant au Premier ministre israélien pour qu’il le soumette, une fois couché sur du papier, à son conseil des ministres où il pourrait l’emporter de justesse, en comptant sur l’abstention des membres du parti ultrareligieux sépharade Shas. Le vote devrait avoir lieu dès que le document aura été finalisé, vraisemblablement avant la fin novembre.
En échange d’un moratoire de quatre-vingt dix jours sur de nouvelles constructions dans les implantations de Cisjordanie, les Etats-Unis s’engageraient à fournir à Israël des garanties de sécurité accrues, notamment avec la livraison de vingt avions F35 supplémentaires. De plus, Washington s’engagerait à bloquer toute initiative à l’ONU visant à la reconnaissance d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967, et à ne pas exiger de renouvellement du moratoire à l’issue de ces trois mois d’abstinence bâtisseuse. Un point de discorde demeure cependant : les Palestiniens exigent, pour la reprise des négociations, que le moratoire s’applique aux constructions entreprises à Jérusalem-Est, ce que Netanyahou ne peut accepter, sauf à voir éclater sa coalition. Aux dernières nouvelles, une astuce semble avoir été trouvée, en évitant de désigner précisément les territoires auxquels s’applique ce moratoire. L’ambiguïté est un outil diplomatique qui peut se révéler fort utile pour sortir d’une impasse…

Le pari d’Hillary Clinton est hardi : il se fonde sur l’espoir qu’au cours de ces trois mois de négociations directes, un accord sur les futures frontières de l’Etat palestinien pourra être conclu, éliminant de ce même fait la questions épineuses des constructions dans les implantations, puisque chacun saurait désormais quel territoire lui sera dévolu. Les cartes sont prêtes, et ne devraient pas différer notablement de celles qui avaient été établies à Camp David, avec rattachement à Israël des grands blocs d’implantation contiguës à la « ligne verte » de 1967, échange de territoires, partage de Jérusalem et statut international pour les Lieux saints.

Une potion rude à avaler, non seulement pour la droite nationaliste de Lieberman et consorts, mais aussi pour une fraction non négligeable du Likoud, le parti de Netanyahou. S’il le veut vraiment, Netanyahou peut s’appuyer sur une majorité de l’opinion publique israélienne pour faire admettre ces « concessions douloureuses » à la Knesset, quitte à désoler son centenaire de papa, ancien secrétaire de Vladimir Zeev Jabotinsky, théoricien du « Grand Israël ».
Il se retrouverait alors dans la situation de son vieux rival Ariel Sharon, qui n’hésita pas à affronter les « durs » du Likoud, dont Netanyahou lui-même, lors de l’évacuation, en 2005 des implantations juives de Gaza. À propos de Sharon, toujours dans un état végétatif au bout de six ans de coma, il vient d’être transféré de l’hôpital Sheba à Tel Aviv vers son ranch du Néguev, signe que l’on a perdu tout espoir de le voir ressusciter…

Deux analyses de ces derniers développements s’opposent parmi les observateurs habituels de cet interminable feuilleton de la paix toujours ajournée.
Les optimistes font valoir que la crainte inspirée par l’Iran aux pays arabes dits modérés (Arabie Saoudite, Jordanie, Emirats du Golfe) les incitera à faire pression sur Mahmoud Abbas pour qu’il accepte ce qu’Arafat refusa à Camp David.
Les pessimistes pensent au contraire que tout cela n’est qu’un jeu de dupes, où Israéliens et Palestiniens manœuvrent à qui mieux mieux pour faire porter à l’autre le chapeau d’un nouvel échec des négociations sans avoir l’air d’attaquer de front la puissance américaine. À court terme, le statu quo est relativement confortable pour Netanyahou comme pour Abbas : l’opinion israélienne se fiche complètement du sort des Palestiniens, pour autant qu’ils ne se fassent pas exploser sur les marchés de Tel Aviv. L’économie marche fort et le carpe diem est un mode de vie passablement agréable. Mahmoud Abbas, dont le statut politique est pour le moins bancal[1. Son mandat de président de l’Autorité palestinienne est échu depuis 2009, mais l’élection d’un nouveau président est sans cesse reportée en raison de la situation à Gaza] craint, non sans raisons, d’être balayé par le Hamas dès le retrait des forces d’occupation israéliennes. Jusque-là, depuis soixante deux ans, les faits ont donné raison aux pessimistes. Si cela devait changer, il serait convenable que Barack Obama fasse cadeau de son prix Nobel de la paix à Hillary Clinton et, pourquoi pas, qu’il s’efface devant elle pour l’élection présidentielle de 2012.

Harry Potter et les reliques du mort…

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Il est né au début des années 1920, non loin de la ville de Birmingham en Angleterre. On ignore pourquoi, mais en 1938, avant même ses 18 ans, il décide de tricher sur son âge pour s’engager dans les rangs de l’armée britannique. Il est incorporé dans le régiment d’infanterie du Worcestershire et envoyé en Palestine – à l’époque sous mandat britannique. Quelques mois plus tard, en juillet 1939, il trouve la mort dans la ville d’Hébron en Cisjordanie. On ne connaît pas les circonstances de son décès mais on peut supposer sans trop de risques que sa fin tragique n’est pas sans lien avec la répression de la grande révolte arabe, une sorte d’Intifada avant la lettre, qui avait éclaté trois ans auparavant et visait à l’élimination de la communauté juive de la Palestine.

Mais si on vous parle de lui aujourd’hui, ce n’est pas pour évoquer « une page d’histoire » car ce qui fait sortir aujourd’hui de l’oubli cet obscur adolescent décédé il y a plus de 70 ans c’est qu’il s’appelait… Harry Potter ! Ainsi, depuis que son homonyme posthume a acquis la notoriété que l’on sait, sa tombe dans le cimetière de la ville de Ramla (à ne pas confondre avec la ville palestinienne de Ramallah), non loin de Tel-Aviv, attire un nombre grandissant de curieux qui viennent fleurir sa sépulture.

Jusqu’à un passé récent, le seul titre de gloire de cette localité était la tombe supposée de saint Georges. Heureusement que le seconde classe Harry Potter ne servait pas dans un régiment de cavalerie, et encore moins d’infanterie montée. Il eut été de mauvais aloi de voir la postérité de saint Georges terrassée par un dragon…

Maurice, populiste savoyard

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Savoie

Savoie

Etre les populistes et les démagogues, la différence est souvent affaire de tour de taille : le démagogue, enjôleur des foules par calcul cynique, tient à garder une parfaite maîtrise de lui-même, évite la bonne chère et les boissons alcoolisées, ne s’enivre que de son propre verbe. Sa jouissance est toute cérébrale, et son mépris pour ce peuple dont il fait l’instrument de sa toute-puissance infini. Il a souvent les joues creuses et un regard perçant. Goebbels.

Le populiste, à l’inverse, est un homme (ou une femme) qui se fie à son instinct plutôt qu’à son intelligence, même s’il en est souvent fort bien pourvu. Georges Frêche en France, et Franz-Josef Strauss en Allemagne, que j’ai eu l’occasion de côtoyer naguère, appartenaient à cette catégorie. La fréquentation festive de ses semblables, et les pratiques sociales qu’elle implique dans le domaine gastronomique et œnologique, sert au populiste d’institut de sondage, de think tank informel et d’assurance électorale. Cela n’est pas sans conséquence sur la masse graisseuse, à moins que l’on soit doté par la nature d’un métabolisme exceptionnel comme Jacques Chirac, populiste intermittent, mais bâfreur impénitent.[access capability= »lire_inedits »]

Pour mon ami Maurice, maire de S…, ville de Haute-Savoie d’environ 6 000 habitants, et conseiller général d’un canton s’étageant de 400 à 2500 mètres d’altitude, la taille XXL s’applique aussi bien à ses pantalons qu’aux scores qu’il obtient aux élections : 80% aux municipales et 60% aux cantonales.

Maurice n’était pas, de son propre aveu, une flèche à l’école primaire qu’il fréquenta dans les années 1950, au contraire de son « classard » Jean-Claude, aujourd’hui maire de la ville voisine. Les deux compères se disputent d’ailleurs régulièrement pour savoir laquelle des deux communes jumelles doit être considérée comme la capitale française du décolletage, industrie micromécanique dont la vallée de l’Arve s’est fait la spécialité.

« Z’ai ptèt pas été aux hautes écoles, mais ze sais reconnaître ceux qui cherchent à m’enculer ! »

Leur dialogue récurrent pourrait aisément tenir lieu de sketch de café-théâtre : Jean-Claude l’intello avale ses mots à en être souvent incompréhensible, et Maurice le cancre est affecté d’un zézaiement qui ne l’empêche nullement d’exprimer de manière tonitruante ses opinions sur la marche du monde. « Z’ai ptèt pas été aux hautes écoles, mais ze sais reconnaître ceux qui cherchent à m’enculer ! »

On aura compris que le vocabulaire de Maurice ne s’embarrasse ni de périphrases ni de circonvolutions. Les métaphores qui l’aident à formuler sa pensée politique se situent dans un registre limité et font de fréquentes références au fondement.

La seule université fréquentée par Maurice aura été ces deux années passées à « courir derrière les fellouzes dans les dzebels, tant et si bien que ze m’y suis niqué les zenous, et c’est pour ça que maintenant ze prends mon 4×4 pour aller aux champignons ». À son retour d’Algérie, Maurice, comme tous ses copains de la vallée, est retourné gagner son pain devant un tour à décolleter, les mains dans l’huile et dans un boucan d’enfer. Il fonde son propre atelier, car sa « tête de cochon » lui crée quelques problèmes avec les patrons.

Quelques décennies plus tard, Maurice a perdu sa sveltesse de jeune homme, et sa taille s’est arrondie en même temps que son compte en banque, sa petite boîte ayant grandi et prospéré grâce à son travail et à son instinct pour les bonnes affaires. Entre-temps, la ville de S… a bien changé. Les logements sociaux ont poussé comme des champignons, majoritairement occupés par des travailleurs maghrébins et leurs familles, employés aux tâches les plus pénibles du décolletage, comme l’essorage des pièces dans les vapeurs délétères de solvants. C’est peu dire que l’intégration de ces nouvelles populations n’a pas été aussi rapide que celle des travailleurs italiens du bâtiment arrivés dans la région dans les années 1940 et 1950. La route nationale 205 fait office de limite entre la ville « blanche » et le quartier majoritairement maghrébin.

À la fin des années 1980, le FN, à S… et aux alentours, obtient des scores impressionnants, traduction politique du désarroi des Savoyards passés en une génération du cul des vaches en été et au limage des pignons[1. Façonnage des pièces d’horlogerie à domicile.] en hiver à l’univers impitoyable de l’industrie de sous-traitance mondialisée.

Elu grâce au FN, il l’a effacé du paysage

C’est dans ce contexte que démarre la carrière politique locale de mon ami Maurice. En 1995, lors des municipales, les sbires locaux du FN voient une bonne occasion de s’emparer de la mairie, le sortant étant fort contesté à cause de travaux pharaoniques, source d’un endettement que les fourmis savoyardes ont en sainte horreur. Il leur faut cependant trouver quelques têtes d’affiche présentables pour conduire une liste officiellement apolitique, mais en fait noyautée par les lepénistes. Parmi ces « notables » voués au rôle d’idiots utiles, Maurice qui résume ainsi la situation et son évolution : « Ceux du FN, y zont dit : on va mettre maire le gros con, mais c’est nous qu’on tiendra la plume et le gros con y signera et pis c’est tout. Eh ben le gros con, il est dv’nu maire et il a pas signé ! » Les relations de Maurice avec le FN local sont alors devenues exécrables, à la grande satisfaction de quelques avocats qui ont largement profité des démêlés judiciaires entre le nouveau maire et ses anciens colistiers.

Et c’est ainsi que, depuis quinze ans, le FN a été effacé du paysage politique municipal. Pendant qu’il s’efforce de remettre en ordre les finances municipales, Maurice confie à son vieil ami Jean, un ancien pied-noir débarqué jadis en métropole aussi pauvre qu’il le fut, dans son enfance, dans le pays natal d’Albert Camus et de sa mère. « Le social, z’y connais rien, alors ze sous-traite », telle est la lettre de mission délivrée par Maurice à Jean, bombardé premier adjoint et en charge de gérer les « bougnoules » de l’autre côté de la nationale.

C’est alors que l’on vit débarquer un contingent de « beurettes » dans le personnel municipal, et que se mirent en place des programmes financés dans le cadre des grands projets de politique de la ville lancés par les gouvernements de toutes tendances pour tenter de remettre en marche la machine républicaine d’intégration des étrangers.

On devrait, comme pour les grands vins, faire des dégustations « à l’aveugle » des politiques menées par des municipalités étiquetées à droite ou à gauche. On pourrait avoir quelques surprises, et découvrir que les actions menées à S…, ville de droite, dont le maire utilise un vocabulaire politiquement très incorrect pour désigner une partie de ses administrés, se comporte dans ce domaine mieux qu’une bonne vieille municipalité de gauche.

Maurice est aussi fidèle en amitié qu’il est rancunier avec ses ennemis. Par bonheur, et pour des raisons liées à la météo politique locale, il se trouve que je suis dans la bonne liste du carnet de bal de Maurice. « Tu sais, me confia -t-il un jour, z’ai touzours eu les zuifs à la bonne, depuis qu’en Alzérie z’avais chopé les hémorroïdes. Le médecin aspirant du réziment, y s’appelait Zacob, et y m’a guéri ça en un rien de temps. On a touzours de la reconnaissance pour celui qui s’occupe bien de votre trou du cul. »
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Naissance du clown anti-festif

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Photo : RobertFrancis
Photo : RobertFrancis

Au pays des Oxymores, un personnage manquait encore à l’appel : le clown anti-festif. Grâce à Bertrand Delanoë et aux premiers « états généraux des nuits parisiennes » tenus le 12 novembre dernier, le clown anti-festif va enfin pouvoir rejoindre ses frères de la comédie hyperfestive et serrer dans ses bras le clown de clinique et le clown militant. Au printemps 2011, les trottoirs parisiens verront fleurir des clowns de silence.

L’interdiction sympa

Révélant ses « pistes pour régler le conflit entre fêtards et dormeurs », tout en « défendant le droit à la fête », Delanoë a choisi, suivant l’exemple de Barcelone, de confier à des mimes et à des clowns le rôle délicat d’« agents de silence » – puisque telle est leur dénomination officielle. « Il s’agira de performances artistiques silencieuses faisant passer le message avec humour. » Grâce à Bertrand Delanoë, le nez rouge devient désormais le symbole de la répression anti-festive. Vive la censure fun ! Gloire à l’interdiction sympa ! Delanoë ose enfin dire un « non ! » ferme et décalé aux rêves d’Homo Festivus.

Les clowns de silence devront pourtant circonscrire un ennemi prioritaire : le fumeur. L’interdiction de fumer dans les lieux publics a provoqué, outre une plus grande résistance au froid chez les fumeurs et l’accroissement de leur nombre, une augmentation du bruit sur les trottoirs parisiens. Non contents de nuire gravement à la santé de leur entourage, les fumeurs sont devenus la plus coupable « source de nuisances sonores ».

Ces clowns de merde et ces mimes à la con seront donc chargés en priorité d’insonoriser les fumeurs, ces nuisants suprêmes. Dans ce registre de la persécution loufoque, Delanoë aurait pu songer également à lancer sur les trottoirs des patrouilles d’enfants-citoyens, auxquels il eût pu confier la mission d’écraser par surprise entre deux cymbales les clopes ardentes qui déshonorent nos rues. Mais il n’est pas certain, il est vrai, que cette solution eût permis de mener une lutte convaincante contre les nuisances sonores.

Un autre clown est possible

Et les mimes, dans tout ça ? Parviendront-ils à tirer leur épingle du jeu ? Quelles seront leurs inventions gestuelles décapantes visant à signifier : « Fermez vos gueules, bande de crétins bourrés ! » ? Parviendront-ils à mimer un vieillard en pantoufles furieux mettant en joue les fêtards avec son fusil de chasse ? Et s’ils sont vraiment drôles, comme on nous en menace, ne porteront-ils pas au contraire à incandescence l’hilarité des nuits parisiennes et son nuisible tonnerre ?

La lumineuse invention des clowns de silence nous susurre à l’oreille une bonne nouvelle : d’autres clowns sont encore possibles ! Qu’il me soit permis de faire quelques suggestions aux industriels du clown. Dans le monde de la dérision devenue terreur, quatre clowns de demain manquent encore cruellement.

D’abord, le clown-marchandise, chargé de pousser violemment les passants à l’intérieur des commerces ou des restaurants, en se moquant d’eux et en faisant mine de pleurer s’ils s’obstinent à vouloir ressortir. Ensuite, les clowns violeurs, qui interviendront, à chaque fois qu’une femme se fait violer dans la rue, en s’allongeant à côté du violeur et en mimant un coït brutal avec le trottoir afin de déconcentrer les violeurs et de leur faire prendre conscience de leur abjection de manière sympa. Dans le cadre du plan Vigipirate renforcé dans nos gueules, les militaires en treillis qui patrouillent dans nos gares démocrates pourraient revêtir eux aussi des costumes de clown et se muer en sémillants clowns-Kalachnikov. Enfin, en ce qui concerne les clowns-antiterroristes, il n’est hélas nul besoin de les inventer. Cependant, lorsque le procès des « dix de Tarnac » aura eu lieu, en 2025, je propose que le statut de clown de tous les membres de la Sous-direction anti-terroriste (SDAT) soit enfin officiellement reconnu, à titre de compensation pour les innombrables personnes à qui ils ont fait des blagues et qu’ils soient dès lors statutairement obligés à porter l’unique costume qui leur sied.

Pour finir, j’aimerais néanmoins souligner l’un de mes nombreux désaccords parfaits avec Philippe Muray. Son excellente théorie du festivisme ne me semble pas décrire la totalité sociale. Le festivisme est l’une des tendances majeures du présent, mais non la seule. Comme tout phénomène social, il produit nécessairement sa tendance réellement antagoniste. L’anti-festif – je parle de l’élément réellement anti-festif, non de sa parodie hyperfestive – fait aussi partie du réel. La théorie du festivisme permet d’expliquer tout sauf l’existence effective de Philippe Muray et de sa pensée.

Paris n’est plus une fête

Si les premiers « états généraux des nuits parisiennes » fourmillent de détails qui auraient fait les délices de Muray, ils nous apportent aussi la preuve que, comme tout ce qui est humain, le festivisme ne saurait connaître une expansion infinie. Dans le monde concret, il y a des clowns de silence, mais ils ne sont pas seuls. Ils cohabitent avec ce fait murayo-dérangeant : en 2009, selon la préfecture de police, cent dix-neuf établissements ont été provisoirement fermés à Paris pour « tapages avec musique amplifiée » et « atteintes à la tranquillité publique constituées par des éclats de voix et des rires ». Dans le monde concret, il existe aussi des juges et des « riverains » anti-festifs. Muray me répondrait sans doute, après quelques bordées d’injures nanophobes, qu’il s’agit là d’une rixe entre modernes et que ma cervelle de jeune crétin a négligé le fait que c’est tout bonnement « l’envie du pénal » qui s’en prend ici au festivisme.
Il me demanderait pourquoi, s’il n’en allait pas ainsi, Bruno Blanckaert aurait eu besoin de proposer, lors de ces états généraux du silence festif, la mise en place d’un admirable « diagnostic bruit », obligatoire au moment de l’acquisition d’un appartement, visant à limiter les « recours excessifs ». Il tenterait enfin de détourner mon attention en tournant obstinément le projecteur vers d’autres chiffres : les seize mille personnes qui ont signé la pétition dénonçant ces fermetures administratives pour nuisances sonores, lancée par l’impayable collectif « Quand la nuit meurt en silence ». Philippe déploierait en somme, une fois encore, sa merveilleuse et regrettée, sa souveraine et irrésistible mauvaise foi.

Cependant, nous nous serions sans doute accordés sur un point : Paris n’est plus une fête. Non pas depuis dix ans, mais depuis le commencement même de l’ère hyperfestive. Elle ne redeviendra une fête que le jour où ce monde festif sera enfin entièrement dévasté.