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Villepin, fenêtre sur cour


Villepin, fenêtre sur cour

Dominique de Villepin se présente comme le chevalier blanc de la politique, au cœur purifié de toutes les scories courtisanes, entièrement dévoué à servir la France avec honneur, loyauté et panache gaulliste. Il ne s’est pourtant pas privé, ces jours-ci, d’agir en parfait « homme de l’occasion » pour reprendre les termes de Balthazar Gracian. La parution de son dernier livre, De l’esprit de cour, la malédiction française, combinée par ses piques oratoires à l’encontre du Président, lancées le dimanche 7 novembre sur l’antenne d’Europe 1, tombaient à pic.
En soutenant que l’esprit de cour est à l’origine du blocage de la société, de l’essoufflement général du pays et de la corruption du régime politique, puis en accusant Nicolas Sarkozy d’être aujourd’hui « un des problèmes de la France », Dominique de Villepin a retiré au pouvoir une crédibilité qu’il veut gagner en le critiquant. À la veille du remaniement ministériel, voilà qui n’était pas mal joué. Sa thèse prenait tout son éclat à mesure que le ballet des prétendants agitait fébrilement l’Elysée.

Virus curial[1. Les termes sont de Dominique de Villepin lui-même : précieux un jour, précieux toujours]

Or, l’habileté et l’opportunisme dont fait preuve Dominique de Villepin ne sont-ils pas des qualités qui caractérisent le courtisan avisé ? En disant ce qu’il faut au moment où il faut, ne s’est-il pas tenu « au centre de l’occasion », comme ferait un parfait homme de cour, qui saurait profiter de l’inconstance, des humeurs et de la contingence du sort pour être certain de plaire et de s’attirer la faveur populaire ? En effet, à défaut de flatter notre Prince, son ennemi juré, c’est le peuple que Dominique de Villepin tente de courtiser en prenant bien soin de dissimuler son intention sous le paravent de la satire.
Et pour couronner cette stratégie, tout s’est passé à quelques jours de la commémoration du quarantième anniversaire de la mort du Général De Gaulle, envisagé par l’intéressé comme contre modèle idéal du sarkozysme. Voilà qui lui donne des gages d’assurance pour se présenter comme l’homme providentiel qui vivifierait à nouveau l’esprit républicain étouffé actuellement par l’esprit de cour.
Mais penchons-nous sur ce « virus curial », jugé par Dominique de Villepin comme « une spécificité française constamment à l’œuvre au cœur du pouvoir ». L’auteur prend la cour comme « fil d’Ariane » pour voyager dans un passé, comparé, si on file la métaphore jusqu’au bout, à un labyrinthe. Et là, la perplexité gagne. N’est-ce pas surprenant pour se diriger dans le labyrinthe du passé d’utiliser la cour, qui est elle-même un véritable labyrinthe où chacun simule pour mieux dissimuler et guide pour mieux égarer ?

Comme le courtisan, la cour présente deux faces. L’une artificielle et apparente cache l’autre, nuisible et invisible.
Dominique de Villepin montre comment, grâce à cette duplicité, la cour fait croire qu’elle renforce le pouvoir alors qu’elle conspire contre lui. Vue du dehors, la cour apparaît comme l’instrument du pouvoir. Mais en réalité, la cour verrouille tout de l’intérieur tandis que du dedans, elle exerce sa capacité de nuisance et devient moins le lieu où l’on paraît qu’un foyer où l’on manigance contre le pouvoir en place, le mécanisme des passions aidant à alimenter la sédition des courtisans humiliés.
Cour monarchique, cour impériale, pour Villepin, la cour se métamorphose selon la nature des régimes, mais son fonctionnement oligarchique reste foncièrement le même.

Un diseur de vérité

Se drapant dans les habits de Ruy Blas, Dominique de Villepin prend plaisir à décrire le climat perpétuel de guerre froide, où les courtisans donneraient les apparences de servir l’intérêt général pour mieux se servir eux-mêmes et évincer leurs rivaux potentiels en se fourvoyant dans un cortège de coups bas, d’intrigues et de complots. Avec la démocratie parlementaire, la cour se désincarnerait mais ne perdrait pas en influence. Bien au contraire, en se masquant, en devenant une sorte de société secrète, qui prospèrerait entre le monde des affaires et le monde du pouvoir, son influence se répandrait plus facilement. Ainsi, comme le phoenix, la cour ne meurt jamais, elle renaît de ses cendres et se survit dans l’esprit qui l’anime.
En apparence, Dominique de Villepin se présente comme un diseur de vérité qui ose nommer le mal qui ronge la France et que les élites s’évertuent à dissimuler.
En réalité, dans les plis et les replis de sa critique et de l’éloge adressé aux hommes illustres, se glisse son propre sacre. En filigrane de son analyse historique, il ne cesse d’affirmer sa différence avec l’actuel Président et établit in fine sa propre légitimité présidentielle.
Dominique de Villepin ne manque à aucun moment de souligner le gouffre qui le sépare du « Premier des courtisans » : Nicolas Sarkozy lui-même et sa vision d’un pouvoir aimé pour les effets de plaisir et de gloire qu’il procure. Pour Villepin, l’ode au Général De Gaulle, le culte voué à l’idéal d’indépendance et de fidélité représente autant de manières de dessiner en creux son autoportrait.

Mise en scène

Dans le passage consacré au Général, résonne son discours de l’ONU où, en plaidant l’opposition à la guerre en Irak, il s’affirme comme le gardien de l’indépendance de la France, tout en marquant bien la séparation avec Nicolas Sarkozy, relayé au statut de vil laquais à la solde de l’Empire Américain.
Ainsi l’esprit gaulliste animerait le verbe villepiniste et inversement.
Le sursaut républicain que Dominique de Villepin appelle de ses vœux, au début et à la fin de son livre, voudrait être aussi une façon de s’inscrire dans la droite ligne de l’appel gaulliste, c’est à dire à refuser le fatalisme tout en se présentant comme celui qui serait porteur d’un grand projet collectif capable de guérir la France de cette fameuse tumeur « curiale ».
Tombée de rideau !
Villepin, en affirmant que le propre du courtisan moderne, est « qu’il n’est plus identifié comme tel, ce qui le rend encore plus redoutable car il avance masqué », finit donc par se trahir lui-même. A travers cette séduisante mise en scène, c’est lui qui finit par apparaître comme l’archétype du courtisan.
Parce que tout de même, il ne faudrait pas oublier que l’ « esprit villepiniste » s’incarne lui aussi banalement dans un système politique et que si l’homme est un féru d’histoire, il parle, tout d’abord, en tant que chef de parti politique soumis, comme tous les autres partis, aux dérives courtisanes.



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