J’aimerais bien savoir qui nous sommes, à la fin, et qui sont aussi les autres, les ceusses d’en-face, en l’occurrence d’outre-Méditerranée.
C’est une phrase de Claude Guéant, faisant naître une énième semi-polémique, qui nous met la puce à l’oreille : « le président a pris la tête de la croisade pour mobiliser le Conseil de sécurité des Nations unies et puis la Ligue arabe et l’Union africaine », a-t-il dit lundi 21 mars, le malheureux, sur Le Figaro.fr dans un « talk ».
Chez Dassault, dont il rentabilise enfin les Rafale, il devait se sentir en confiance. Toute la sainte cléricocratie de lui illico tomber sur le râble, c’est le jeu. Mais c’était encore le ministre allemand des Affaires étrangères allemand, Guido Westerwelle, qui avait estimé il y a une semaine qu’il était « essentiel que nous ne donnions pas l’impression qu’il s’agit (…) d’une croisade chrétienne contre des populations de croyance musulmane ».
Pour moi, je croyais avoir compris depuis quelques années, en suivant les arguments des doctes de plateaux-télé, que la France – et, partant j’imaginais le reste de l’Europe et les Etats-Unis – était diverse, plurielle, musulmane comme juive comme athée comme chrétienne. J’avais même cru saisir, à la suite de vagues cours d’histoire et à la lecture d’excellents ouvrages[1. Comme Le Christ s’est-il arrêté à Tizi-Ouzou ?, de Salah Guemriche, Denoël, 2011] qu’il y avait des chrétiens et des Juifs au Maghreb et au Machreq, très anciens ou très nouveaux. Bref, que les nations en présence étaient des sociétés ouvertes, comme toutes celles qui désormais couvrent la surface de la terre.
Il semble que ce ne soit pas le cas, et que tous les pilotes de chasse français, comme tous les marins du Charles de Gaulle, comme tous les fonctionnaires des ministères de la Défense et des Affaires étrangères, de Matignon et de l’Elysée soient de gros blancs bien poilus et bien catholiques. D’ailleurs j’en discutais avec mon curé dimanche soir. Il regrettait que Mgr Vingt-Trois ne soit pas monté en chaire pour bénir Nicolas Sarkozy, notre nouveau Bouillon, lui confiant le soin de délivrer le tombeau de Simon de Cyrène qui doit se trouver pas loin de Benghazi. En tout cas, par toute la terre, les prières de deux milliards de chrétiens accompagnent l’Ordre des Templiers dans sa sainte mission. J’espère que vous me croyez.
Ils savent deux ans à l’avance si vous allez divorcer avec une marge d’erreur de 2%, où vous serez demain (10%), ils ont même calculé combien vous dépenserez pour les autres quand vous préférez vous asseoir côté couloir dans les avions…
Qui ? Les algorithmes utilisés par vos compagnies de cartes de crédit ou vos réseaux sociaux. Un des plus pointus répond au délicieux nom de Hunch (« l’intuition » !), il lui faut quelques secondes pour établir votre profil de consommateur jusque dans les moindres détails, définir votre espérance de vie et l’avenir de vos enfants grâce aux informations que vous laissez généreusement sur la toile et chaque fois que vous utilisez une carte à puce.
Mais pour le moment, personne n’a l’intention de recouper ou d’exploiter ces données. La main sur le cœur, le vice-président de Google, grand algorithmophage devant l’éternel, l’a assuré et certifié au Southwest Interactive festival de Dallas.
Et nous allons, bien entendu, lui faire une confiance aveugle.
Nous avons tous une vision grandiose des règnes des derniers Bourbons – de Louis XIII à Louis XVI – et de l’action de leurs ministres – Richelieu, Mazarin, Colbert et Fleury. L’Histoire (avec majuscule) a retenu les fastes de Versailles, les victoires militaires et le luxe de la cour mais ce que l’histoire (avec un petit h, celle du commun des mortels) nous apprend, c’est que la vie de la grande majorité des Français de l’époque se résumait à une misère abyssale. Une épigramme fameuse, du temps de Louis XV, résumait assez bien le sentiment du peuple : « La France est un malade que, depuis cent ans, trois médecins de rouge vêtus ont successivement traité. Le premier (Richelieu) l’a saigné ; le second (Mazarin) l’a purgé ; et le troisième (Fleury) l’a mis à la diète. »[access capability= »lire_inedits »]
Une anecdote rapportée dans ses Mémoires par René-Louis d’Argenson, ministre des Affaires étrangères de Louis XV, rapporte que le duc d’Orléans porta au conseil un morceau de pain de fougère et, à l’ouverture de la séance, le posa sur la table du roi en disant : « Sire, voilà de quoi vos sujets se nourrissent », alors même que Monsieur Orry vante la régularité avec laquelle les impôts alimentent le trésor royal. Cet épisode résume assez bien les informations qu’on tire de la lecture des auteurs de l’époque : les Français sont écrasés d’impôts et de corvées, l’administration est partout, une réglementation tentaculaire et arbitraire brise toute activité commerciale ou industrielle, tout est centralisé à Paris qui festoie dans l’insouciance la plus totale tandis que, jusqu’aux abords de Versailles, les gens meurent – littéralement – de faim. « Si les peuples étaient à l’aise, écrit Richelieu dans son Testament politique, difficilement resteraient-ils dans les règles. » Tout est dit.
Or, comme le rapporte notamment Tocqueville, le règne de Louis XVI fut certainement le plus prospère de tous – pour les Français s’entend. L’auteur de L’Ancien régime et la Révolution note (L3, IV) qu’environ trente ou quarante ans avant la Révolution, l’économie française se met progressivement à croître : pour la première fois depuis plus d’un siècle, la condition des gens ordinaires s’améliore, le commerce se développe, les industries fleurissent un peu partout et la population augmente. Les sources de l’époque sont sans ambiguïtés : le prix des fermages ne cesse d’augmenter ; le bail de 1786 donne 14 millions de plus que celui de 1780 ; Arthur Young, dans ses Voyages en France, s’émerveille de la prospérité retrouvée de Bordeaux qui surpasse, selon lui, celle de Liverpool… Partout les gens s’enrichissent dans des proportions jamais vues. Malgré le poids encore écrasant de l’État et la gestion calamiteuse des finances, les tentatives de libéralisation de l’économie française − en particulier par Turgot − permettent enfin à la France de ressentir les premiers effets de la révolution industrielle venue d’Angleterre.
Mais alors, pourquoi les Français, qui vivent désormais de mieux en mieux, vont-ils faire leur Révolution ? Tocqueville propose une réponse qui, je crois, résonne parfaitement avec les événements auxquels nous assistons aujourd’hui en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Ce que cette période de croissance et d’enrichissement a implanté dans le cœur de nos ancêtres, c’est l’espoir. Pour la première fois, les Français goûtent aux effets de la liberté, connaissent la prospérité et commencent à y croire. Avec leur bien-être matériel désormais mieux assuré, ils commencent à rêver de libertés politiques. Là où, quelques décennies plus tôt, rien ne pouvait se faire hors l’État, hors le roi, c’est un peuple entier qui ose enfin rêver de prendre son destin en main. Tocqueville résume son idée en une phrase : « Vingt ans auparavant, on n’espérait rien de l’avenir ; maintenant, on n’en redoute rien. »
Des milliards de gens vivent mieux et se mettent à rêver de liberté politique
À quoi d’autre assistons-nous aujourd’hui ? Les cinquante dernières années ont été, dans le monde entier et dans les pays dits « émergents » en particulier, la plus formidable période de croissance et de recul de la pauvreté que l’humanité ait jamais connu. Jugez plutôt : en 2005, on estimait le nombre de gens vivant avec moins de 1,25 dollar par jour à 1 337,8 millions (25,7% de la population mondiale). D’après une mise à jour publiée récemment par Laurence Chandy et Geoffrey Gertz, deux chercheurs de la Brookings Institution, ce chiffre est tombé à 878,2 millions (15,8%) en 2010. Un dixième de l’humanité qui sort de la misère extrême en cinq ans ! Partout, de l’Asie du Sud-Est à l’Afrique du Nord, des milliards de gens vivent mieux aujourd’hui qu’hier et, comme nos Français du XVIIIe siècle, se prennent à rêver de liberté politique.
Après les régimes tunisien et égyptien, ce sont pratiquement tous les régimes autocratiques de la planète qui sentent passer ce formidable souffle de liberté. Alors que Kadhafi tente désespérément de sauver son régime, les autorités chinoises viennent de couper l’accès à certains réseaux sociaux sur lesquels la contestation commençait à s’organiser. Ce que nous renvoient ces millions de gens n’est rien d’autre que notre propre image, il y a un peu plus de deux siècles.
La liberté, écrivait Tocqueville, « certains peuples la poursuivent obstinément à travers toutes sortes de périls et de misères. Ce ne sont pas les biens matériels qu’elle leur donne que ceux-ci aiment alors en elle; ils la considèrent elle-même comme un bien si précieux et si nécessaire qu’aucun autre ne pourrait les consoler de sa perte et qu’ils se consolent de tout en la goûtant. D’autres se fatiguent d’elle au milieu de leurs prospérités ; ils se la laissent arracher des mains sans résistance, de peur de compromettre par un effort ce même bien-être qu’ils lui doivent. Que manque-t-il à ceux-là pour rester libres ? Quoi ? Le goût même de l’être. »
Ce qui a été insinué discrètement avec maints clins d’œil est maintenant presque ouvertement admis : des « croisés » sont bel et bien en train de souiller le sol libyen. Selon le Daily Mail Online une équipe de SAS britanniques serait même en mission en plein centre-ville de Tripoli !
Avant-hier une formation de Tornado GR4 de la RAF était sur le point de larguer ses munitions sophistiquées sur une cible que le Mail Online identifie comme le complexe de Bab-el-Aziza, qui abrite entre autres les logements du Colonel. La cible avait déjà été frappée une première fois par une salve de Tomahawk lancés par un sous-marin de la Royal Navy et les bombardiers de Sa Majesté étaient supposés rajouter une deuxième couche assez épaisse. Or, entre-temps le pouvoir libyen a organisé une visite de presse dans l’immeuble touché et donc au moment où l’attaque aurait dû avoir lieu l’endroit était plein de monde et notamment de journalistes étrangers. Les commandos britanniques qui étaient en observation – voire plus, car certaines munitions sont guidées par rayon laser – ont repéré le problème et fait annuler la mission. Selon les mêmes sources d’autres missions ont été annulées car les cibles étaient protégées par des boucliers humains.
Si cette information est vraie il faut tout simplement prier pour que ces SAS soient plus chanceux que leurs camarades, cueillis par les rebelles il y a trois semaines. Kadhafi ne pourrait rêver meilleure prise de guerre.
Marine Le Pen : elle n'est pas candidate dans chaque canton.
C’est la cacophonie. Depuis deux jours, l’actualité française est dominée par un fait politique majeur : l’UMP doit-elle donner des consignes précises de vote à ses électeurs, dans le cas où son candidat ne serait pas présent au second tour d’une élection cantonale et que le scrutin se jouerait en un hypothétique duel opposant le FN à un représentant d’un parti de gauche ? Bref, le parti présidentiel doit-il jouer le jeu du Front républicain, cette règle qui prévaut depuis des lustres dans le pays et qui a fonctionné si bien que le FN n’a cessé d’accroître son électorat tandis que la droite républicaine perdait pied à chaque élection locale ?
Bref, l’UMP doit-elle se contenter de se faire battre au premier tour ou doit-elle aussi jouer les violons dans l’orchestre du bal au second ? Un bal, oui, bien sûr : on ne va pas déployer les registres des grandes orgues pour si peu. Des élections cantonales restent des élections cantonales. Que siège – éventuellement – dans l’une ou l’autre assemblée départementale un élu FN n’est pas une infamie en soi. Ou alors il faut organiser des sit-in permanents d’indignation devant le siège des Conseils régionaux français, dont chacun compte l’un ou l’autre élu frontiste. Ne pas oublier non plus de déployer banderoles et calicots devant les Hôtels de Ville, quand s’y tient un conseil municipal et qu’un élu du Front national vient y rejoindre sa place.
Tout cela porte un nom. Cela s’appelle la démocratie : ce système est si méprisable qu’il se trouve élues des personnes dont on ne partage ni les idées ni les valeurs. Il est si méprisable qu’il se trouve même élus des candidats qui n’ont à l’évidence aucune compétence pour exercer correctement le mandat qui leur est confié.
Dès lors que l’on admet ça, on peut s’attendre à tout, puisque la démocratie est, par nature, un système imprévisible. S’attendre à tout pour les élections cantonales actuelles, c’est s’attendre, en réalité, à ce qu’aucun élu frontiste ne soit en mesure d’être élu dimanche. S’il y en a un – ou dix –, la belle affaire : il siègera dans des assemblées départementales où il n’aura pas son mot à dire. Enfin, si, il l’aura. Il pourra s’exprimer, parce que la minorité a toute latitude à s’exprimer dans les conseils généraux. Mais une fois qu’il aura répété dix fois qu’il est favorable à l’instauration de la préférence départementale contre la mondialisation, qu’il aura répété, contre Brassens, qu’on est moins imbécile d’être né ici plutôt que quelque part, on ne l’entendra même plus. L’écouter sera oublié depuis longtemps. Et l’on passera au point suivant.
Le point suivant, il concernera quoi d’ailleurs ? Pas grand-chose à vrai dire. Les transferts qu’a accomplis l’Etat – depuis Michel Rocard et la création du RMI devenu RSA – sur les départements ont fait augmenter à un tel point ce qu’on appelle dans un budget le « contingent d’aide sociale » que toute marge de manœuvre politique a disparu, en réalité, de l’échelon départemental. Ajoutez à cela les dépenses quasi-obligatoires que sont les routes départementales et le transfert, sous Jean-Pierre Raffarin, des anciennes directions départementales de l’Equipement (DDE), vous pourrez, à peu de choses près, considérer le champ des possibles qui reste à un exécutif départemental. Un président de Conseil général n’a aujourd’hui comme latitude politique qu’à choisir la couleur du papier du carton que ses services expédieront pour inaugurer un projet qu’il n’a pas voulu mais que la simple technique impose. Si jamais il veut innover, la meilleure chose qu’il pourra faire c’est mettre l’ingénierie départementale au service des communes et des intercommunalités… J’exagère, je sais. Mais à peine. Les différents rapports de la Cour des Comptes sur la décentralisation nous montrent, depuis des années, que les collectivités territoriales encaissent le contre-coup de l’absence de réforme de nos administrations centrales. On accuse les collectivités territoriales de plaies dont l’Etat n’a pas voulu se soigner lui-même.
On m’objectera : la RGPP ! Sous ce sigle, se cache la « Révision générale des politiques publiques ». Elle a été adoptée il y a trois ans. Mais entièrement conçue par des représentants de l’administration centrale, elle ne concerne quasiment, sur la réduction de la fonction publique, que les cadres de catégorie B et C. La catégorie A, désolé, mais pas touche : ce sont des copains, on a fait les grandes écoles ensemble, même qu’on a bu des coups. Il faut être des barbares pour vouloir porter un coup à une aussi belle amitié.
Oui, et le Front républicain dans tout ça ? Bah, on veut viser le front, mais, maladroit, on se met le doigt dans l’œil. Pour une bonne et simple raison : si les partis politiques et les élus avaient encore quelque influence sur leur électorat, ne croyez-vous pas que, malgré leurs appels répétés, leurs électeurs se seraient déplacés en nombre afin de voter pour eux au premier tour ? Ne croyez-vous qu’un candidat UMP, qui s’est fait éjecter à l’issue du premier tour, ne se fait pas beaucoup d’illusion sur ses capacités à donner quelque consigne de vote que ce soit à « ses » électeurs pour le second ?
Il ne faut pas avoir usé longtemps ses fonds de culotte sur les bancs de Sciences-Po, pour comprendre une chose : les électeurs font ce qu’ils veulent. C’est le mot qu’on prête à François Ier : « Souvent femme varie, bien fol qui s’y fie. » Il vaut pour le corps électoral français actuel, où les consignes de vote, les admonestations, les mains pressées sur le cœur ne signifient rien quand, seule, compte la libre expression du suffrage.
En 2007, Ségolène Royal – qui, je le rappelle en passant, était la candidate socialiste à l’élection présidentielle – faisait si confiance au peuple qu’elle en appelait à la « démocratie participative » et qu’elle poussait l’idée jusqu’à vouloir instaurer des « jurys populaires » aptes à déterminer le bien-fondé des décisions des élus. Que fait-on quand un jury populaire estime qu’un élu FN est fidèle à ses engagements ? On le convoque place Tien-An-Men, le jury populaire ? Et on lui fait rouler des chars dessus ? Je prends l’exemple chinois à dessein, parce que la justice de ce pays est, quand même, plus expéditive que la nôtre…
« F comme fasciste, N comme nazi » n’a jamais constitué une politique. Mais une simple insulte crachée aux victimes. Ce qui est déjà trop.
Dans ces conditions, le Front républicain n’est pas une solution. C’est une supercherie. Le Front national n’est pas républicain ? Soit ! Alors, interdisons-le comme en 1936 le Front populaire a dissous les Ligues ! Exilons Marine Le Pen sur l’île d’Elbe. Non, j’ai mieux : Sainte-Hélène. Demandons aux Anglais de la surveiller si nous ne pouvons le faire nous-mêmes. L’autre option possible, c’est de le battre, le Front national, dès le premier tour, et de le faire rendre à des pourcentages dignes d’un Tixier-Vignancourt. Mais qu’on ne convoque pas, de grâce, les plus belles idées, qu’on ne décroche pas La République en danger pour queue de chique. Oui, de grâce. Pas pour un canton.
La péniche était-elle une galère ? Pour l’un des trois participants aux émouvantes retrouvailles familiales de dimanche soir, cela semble avéré. À tel point que le communiste Pierre Laurent, furieux d’avoir été abusé par cette croisière, menace de torpiller l’alliance PS/Verts aux sénatoriales de l’automne prochain, au cas où ses équipiers continueraient de le mener en bateau.
Bref, en 24 heures, on est passé du sourire Ultra-Brite au couteau entre les dents ? Où est l’embrouille ?
Très précisément dans les 75 circonscriptions où les Verts sont en position de se maintenir face à un autre candidat de gauche arrivé en tête au premier tour. En général, ledit autre candidat de gauche est un conseiller général sortant et dans la très grande majorité des cas, il s’agit d’un sortant communiste face à un candidat vert ayant bénéficié au premier tour de l’investiture du Parti socialiste, laquelle lui a permis de dépasser ses traditionnels 5 à 10%. Vous suivez ?
Un exemple, que je n’irai pas chercher loin, vu qu’il s’agit de mon propre canton, à Ivry Ouest dans le 9/4. La sortante PCF Chantal Bourvic y a fait 42% au premier tour, sa challengeuse Verte-Europe-Ecologie Chantal Duchène[1. Dans mon canton, c’est comme ça, toutes les candidates de gauche s’appellent Chantal], soutenue par le PS, a atteint 25%. Compte tenu du taux d’abstention record, ni l’UMP ni le FN ne sont en situation de se maintenir, ce qui est souvent le cas dans les fameux 75 cantons à problème.
Dans un tel cas de figure, les règles de ce qu’on appelle depuis le Front Populaire la « discipline républicaine » à gauche sont archi-claires : le second se désiste automatiquement en faveur du candidat de gauche arrivé en tête. Cette tradition doit sembler bien archaïque à la si moderne Cécile Duflot, qui a décidé de la jeter par dessus bord et de maintenir au second tour ses petits camarades qui auraient dû rester à quai.
Vous me direz que ça semble logique de vouloir tenter sa chance dans la mesure où les lois électorales vous en donnent la possibilité. À ceci près que la discipline républicaine ne relève pas seulement de la tradition mais aussi d’une certaine logique, voire d’une certaine morale politique, la même morale dont tout le monde se gargarise à propos des choix à géométrie variable de l’UMP quand le FN est en lice au second tour. Je m’explique: se désister en faveur du candidat de gauche le mieux placé, cela signifie tout bêtement qu’on ne laisse pas les électeurs de droite ou d’extrême droite choisir au second tour quel candidat de gauche leur convient le mieux.
En partant du principe que l’électeur UMP ou FN est plus foncièrement anticommuniste qu’autre chose(et c’est son droit le plus absolu), ledit cas de figure général évoqué plus haut revient donc à faire appel aux voix de droite et d’extrême droite pour sortir le sortant communiste au bénéfice d’un Vert. Elle est pas belle ma morale ?
La méthode est d’ailleurs éprouvée, c’est celle qu’avait utilisé l’intarissable donneur de leçons antifascistes Noël Mamère qui, en 1989, avait entamé sa carrière politique nationale en conquérant la mairie communiste de Begles (près de Bordeaux) grâce au soutien sans faille de tous les notables chabanistes locaux et au désistement miraculeux en sa faveur du candidat du très très droitier CNI.
Encore s’agissait-il là d’un cas isolé. Cécile Duflot a, semble-t-il, décidé d’en faire une règle, donnant raison à Jean-Pierre Mélenchon qui avait conseillé en termes on ne peut plus clairs à Pierre Laurent de ne pas aller aux côtés de Martine et Cécile sur la fameuse péniche : « Tu vas voir que juste après la photo, ils vont te faire les poches ». Mis à part que les « ils » étaient des « elles », c’était assez bien vu…
La presse chinoise rapporte que d’ici le 15 avril, les annonceurs devront cesser la « promotion de l’hédonisme » et le « culte des produits étrangers » qui créeraient un climat malsain en Chine. En conséquence de quoi les mots luxe, classe et royal sont dorénavant interdits sur les affiches et à la télévision, sous peine d’une amende.
Mieux vaut tard que jamais : le Parti communiste chinois s’alarme enfin du fossé croissant entre riches (à sac à mains siglés) et pauvres (enchaînés dans lesdites usines de sacs, si ça se trouve). Alors, place à la sobriété, qui serait la vertu des classes moyennes. Et si ça se trouve aux sacs en plastique pour remplacer les coûteux accessoires de mode malsains, occidentaux.
Méfiance quand même : vu les chiffres d’affaire en jeu – la Chine est le principal marché pour l’industrie du luxe, avec des taux de croissance à deux chiffres – on peut parier que d’ici quelques saisons, même les sacs jetables des équivalents pékinois de Leader Price ou Kiabi pourraient être réinterprétés par les créateurs.
La télé est la caméra de surveillance du monde et il est rassurant d’avoir, toujours à portée de regard, un de ces écrans allumés, comme ça, sans le son, juste pour vérifier de temps à autre que tout est normal dans les succursales de l’empire : je ne voudrais pas louper la dramaturgie de l’hyper-événement trouant le grillage de l’antenne ou d’une apocalypse débarquant en pleine « Roue de la fortune » ![access capability= »lire_inedits »]
Mais avec la prolifération des chaînes d’info permanente, on a vite fait de monter le son toutes les cinq minutes, de se laisser aguicher par les cent petits feuilletons qu’elles tricotent dans le quotidien et de finir la journée la tronche plus farcie qu’un vigile de supermarché dans la salle de contrôle ou avec le profil pervers d’un guetteur de drame.
Par contre, avec les révoltes arabes de la rentrée, culpabilité walou ! Je me suis adonné à l’événement sur canapé, d’abord avec la bonne conscience du citoyen qui fait son devoir, puis fasciné. J’allais en avoir pour le prix de mes paraboles !
Discrète et inattendue, la Tunisie dégaine la révolte plus vite que son ombre : le coup part. À peine Ben Ali et consorts ont-ils vidé les lieux que l’Égypte confirme une théorie de la contagion en rodage. Les journalistes ne se sentent plus de joie. De belles émeutes, même réprimées dans le sang, c’est autre chose que l’exotisme fatigué du Dakar, même délocalisé.
Al-Jazira, Al-Arabiya, CNN, les France 24, LCI, TV5, LCP, Euronews et autres BFM et I-Télé, pour la flopée proliférante des chaînes s’évertuant à fictionner l’information en épisodes et en saisons, c’est l’aubaine, une claque salutaire dans le dos de leurs antennes bègues et un grand coup de fouet sur le rythme hoquetant de leurs infos en flux. Les journalistes euphoriques peinent à trouver la componction minimale de rigueur pour annoncer les bilans des victimes. Les images des hauts faits des dernières heures montées et remontrées en boucle alternent avec les plateaux d’experts et les interviews dégotées à l’arrache au téléphone. Si la Tunisie, où le suspense tourne vite court avec le départ-éclair de Ben Ali, est traitée en fait divers, la perspective très prometteuse d’un embrasement généralisé du Proche-Orient nous propulse dans le fait d’univers.
On sent l’envie des présentateurs de voir la révolution dépasser le Proche-Orient pour gagner la Chine et le reste du monde…Vient alors la question posée avec le plus grand sérieux : quelle onde de choc risque-t-on à Paris ? L’ambiance est assurée au moins jusqu’au coming out de DSK! Mais derrière ces vœux sincères de contagion fiévreuse, on sent une vraie perplexité quant au sens profond de ses mouvements. À l’opposé d’une classe politique qui, le tempo des événements dans la peau, rivalise de finesse dans l’analyse et de pertinence dans la gestion diplomatique, les médias s’interrogent, invitant ici un dissident égyptien en exil, là un restaurateur tunisien très en vue qui a bien connu Bourguiba… La quête de sens est insatiable. On veut comprendre!
Il semble bien difficile d’admettre qu’un peuple assuré par la force implacable de la légitimité, servie par une maîtrise parfaite des outils technologiques du quotidien, doublée d’une connaissance intuitive aiguë de l’information et de ses relais atteigne une telle efficacité, sans préméditation, sans cadre idéologique ni véritable logistique militante. Quelle force occulte agit dans les replis de l’Histoire ? Porte-elle la barbe ? Qu’une jeune génération déterminée, née au cœur de la civilisation des images, élevée dans ses trames, exorcise ces drames[1. A Sidi Bouzid, l’immolation de Mohamed Bouazizi lance la révolte ; au Caire, c’est Khaled Saïd, battu à mort par des policiers, en juin, à la sortie d’un cybercafé, qui va fédérer la jeunesse qui occupera six mois plus tard la place Tahrir] depuis Facebook et précipite, avec ses portables et sa conscience d’être à l’antenne sur Al-Jazira et les écrans du monde, la chute d’un régime corrompu, rend perplexe (jalouse ?) une société notoirement plus riche et plus âgée, dont les jeunes très gâtés érigent sur les murs de leur Facebook, en summum de la subversion, l’invitation au prochain apéro géant.
Les reporters étrangers au Caire, contraints pour leur sécurité au repli dans les immeubles bordant Al-Tahrir, la place de la libération la plus célèbre du monde depuis la veille, finiront par louer des balcons pour y placer leurs caméras et envoyer dans le monde entier la même vue panoramique : plan large standard en surplomb pour un direct permanent sur la place que les commentaires, interviews et plateaux parisiens en vignette à l’écran ou en voix off n’interrompent désormais plus. Face à l’énormité des événements, les grandes chaînes généralistes bousculent, elles aussi, leurs grilles et sautent sur place, les chaînes thématiques rallient le ban comme elles peuvent, avec la recette fameuse des boulettes de viande à la cairote sur Frichti TV ou les mérites du pur-sang arabe, sa tête très typée et son port de queue relevé si caractéristiques pour Adada Channel !
Je n’ai pas souvenir d’un tel plan fixe, en direct, sur autant de chaînes différentes et pendant aussi longtemps (les trois jours qui précèdent le « vendredi du départ »[2. Le vendredi 4 février, jour de la prière]). Vous pouvez zapper ad lib, vous tombez sans cesse sur cette même diapo animée, nouvelle mire du PAF, la place où la focale mondiale s’est postée pour guetter l’Histoire en train d’accoucher.
Seuls quelques flashes d’info s’immiscent encore, pour rappeler à notre souvenir un monde gagné par la contagion de cette image universelle. En réquisitionnant l’attention planétaire, le peuple égyptien se dispense de l’arraisonnement de la télévision d’État et de la prise en force du Palais d’hiver. Un peuple résolu, adroit et vigilant pousse un dirigeant dépassé sur la place publique de l’opinion mondiale. Je suis le témoin donc l’acteur, au balcon de l’Histoire… de la révolution en mire.[/access]
La crise libyenne commencerait-t-elle à déstabiliser tout le Maghreb? Ainsi nous apprenons que l’armée algérienne vient de déployer une brigade de fantassins d’élite près de la frontière avec la Libye. A Alger on a peur d’un trafic d’armes provenant de la Libye où certains des énormes dépôts de Kadhafi ont été pillés.
Le pouvoir algérien a pris d’autres mesures, notamment aériennes, pour renforcer la surveillance de cette frontière longue de 900 kilomètres. Selon le quotidien algérien El Khabar, ces craintes algériennes seraient fondées et des armes seraient d’ores et déjà entrées en Algérie sans vraiment prendre le temps de s’arrêter aux postes de douane.
Si tel est le cas en Algérie, logiquement la Tunisie et l’Egypte, tout aussi frontalières, devraient être confrontées au même genre de problèmes. Et y répondre de la même façon, voire un peu plus nerveusement , sans s’en tenir à de seules mesures passives.
Un peu comme si la guerre en Libye ne faisait que commencer…
Il était le sauveur de Sarkozy, le vice-président voire le véritable chef de l’exécutif. Il y a trois semaines, l’ensemble de la presse et de la classe politique célébrait dans l’euphorie le retour d’Alain Juppé au Quai d’Orsay. Le triomphe – modeste – du ministre prodigue aura été de courte durée : à la mi-mars, celui qui, fin février, imposait ses conditions à un président de la République aux abois, a perdu la plupart de ses cartes.
Autant le dire d’emblée, je ne dispose pas de la moindre information confidentielle. Qu’Alain Juppé ait ou non failli démissionner, comme l’affirme Anna Cabana du Point, il est certain que c’est que par une dépêche d’agence que le patron de la diplomatie française a appris que Nicolas Sarkozy avait décidé de reconnaître le Conseil national de transition libyen, et autorisé ses leaders à l’annoncer au monde sur le perron de l’Élysée. On n’a pas besoin d’avoir une « gorge profonde » à l’Elysée pour comprendre que Nicolas Sarkozy a choisi de ne pas prévenir Juppé et que ce dernier ne pouvait rien faire. L’imagine-t-on démissionner en plein crise libyenne, prenant le risque d’être le responsable de la chute de Benghazi et d’une victoire de Kadhafi ? Impossible. Juppé était coincé. Nicolas Sarkozy le savait.
La guerre en Libye est loin d’être gagnée – on peut même dire que les ennuis commencent, et avec eux les polémiques. Mais, à défaut du scalp de Kadhafi, le président de la République a déjà conquis un premier trophée : en reconnaissant les rebelles libyens et plaçant son ministre des Affaires étrangères devant le fait accompli, Nicolas Sarkozy a regagné le terrain qu’il lui avait cédé pour clore l’affaire MAM. On sait en effet que Juppé s’était déjà vu proposer le Quai d’Orsay lors du remaniement de novembre. Il avait posé ses conditions : la première d’entre elles était la clarification, en matière de diplomatie, des relations entre le ministre et le président, mais aussi entre l’administration du Quai et la machine élyséenne. En clair, Juppé exigeait d’être pleinement associé à l’élaboration de la politique étrangère française, domaine traditionnellement réservé du chef de l’Etat. En novembre, encore sûr de lui, Sarkozy avait refusé. Trois mois plus tard, affaibli par l’affaire MAM et les échecs de sa diplomatie dans le monde arabe, il cédait. En échange de ce ralliement, Sarkozy offrait à Juppé la tête de Guéant sur un plateau, l’âme damnée du chef de l’Etat étant alors « promu » mais surtout éloigné place Beauvau.
Et voilà que trois semaines après avoir été obligé de capituler devant « le meilleur d’entre nous », Sarkozy a repris les rênes de la politique étrangère de la France. Ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle en soi. Sauf qu’il n’est pas certain que le panache de BHL soit meilleur conseiller que la prudence de techno de Guéant.
Il est vrai que si l’opération libyenne ne s’avère pas, au bout du compte, aussi bonne pour la France que ne le laissaient penser les drapeaux tricolores agités par la « rue arabe » au lendemain du vote de l’ONU, elle ne peut être que gagnante pour le président. N’en doutons pas, ce sont les sentiments les plus nobles qui ont poussé Sarkozy à prendre la tête du camp anti-Kadhafi. Mais on ne peut pas ne pas voir qu’il était le leader occidental qui avait le moins à perdre et le plus à gagner. Troisième dans les sondages pour le premier tour de l’élection présidentielle, tenu responsable du naufrage de la diplomatie française face aux révolutions arabes, il a trouvé, avec la crise libyenne une excellente occasion de retourner la situation. La petite victoire remportée sur Juppé n’est qu’un petit avantage en nature récupéré dans l’opération.
On ne sait pas et on ne saura peut-être jamais si Kadhafi a contribué à la campagne de Sarkozy en 2007. Ce qui est certain, c’est qu’il a déjà fait beaucoup pour celle de 2012.
J’aimerais bien savoir qui nous sommes, à la fin, et qui sont aussi les autres, les ceusses d’en-face, en l’occurrence d’outre-Méditerranée.
C’est une phrase de Claude Guéant, faisant naître une énième semi-polémique, qui nous met la puce à l’oreille : « le président a pris la tête de la croisade pour mobiliser le Conseil de sécurité des Nations unies et puis la Ligue arabe et l’Union africaine », a-t-il dit lundi 21 mars, le malheureux, sur Le Figaro.fr dans un « talk ».
Chez Dassault, dont il rentabilise enfin les Rafale, il devait se sentir en confiance. Toute la sainte cléricocratie de lui illico tomber sur le râble, c’est le jeu. Mais c’était encore le ministre allemand des Affaires étrangères allemand, Guido Westerwelle, qui avait estimé il y a une semaine qu’il était « essentiel que nous ne donnions pas l’impression qu’il s’agit (…) d’une croisade chrétienne contre des populations de croyance musulmane ».
Pour moi, je croyais avoir compris depuis quelques années, en suivant les arguments des doctes de plateaux-télé, que la France – et, partant j’imaginais le reste de l’Europe et les Etats-Unis – était diverse, plurielle, musulmane comme juive comme athée comme chrétienne. J’avais même cru saisir, à la suite de vagues cours d’histoire et à la lecture d’excellents ouvrages[1. Comme Le Christ s’est-il arrêté à Tizi-Ouzou ?, de Salah Guemriche, Denoël, 2011] qu’il y avait des chrétiens et des Juifs au Maghreb et au Machreq, très anciens ou très nouveaux. Bref, que les nations en présence étaient des sociétés ouvertes, comme toutes celles qui désormais couvrent la surface de la terre.
Il semble que ce ne soit pas le cas, et que tous les pilotes de chasse français, comme tous les marins du Charles de Gaulle, comme tous les fonctionnaires des ministères de la Défense et des Affaires étrangères, de Matignon et de l’Elysée soient de gros blancs bien poilus et bien catholiques. D’ailleurs j’en discutais avec mon curé dimanche soir. Il regrettait que Mgr Vingt-Trois ne soit pas monté en chaire pour bénir Nicolas Sarkozy, notre nouveau Bouillon, lui confiant le soin de délivrer le tombeau de Simon de Cyrène qui doit se trouver pas loin de Benghazi. En tout cas, par toute la terre, les prières de deux milliards de chrétiens accompagnent l’Ordre des Templiers dans sa sainte mission. J’espère que vous me croyez.
Ils savent deux ans à l’avance si vous allez divorcer avec une marge d’erreur de 2%, où vous serez demain (10%), ils ont même calculé combien vous dépenserez pour les autres quand vous préférez vous asseoir côté couloir dans les avions…
Qui ? Les algorithmes utilisés par vos compagnies de cartes de crédit ou vos réseaux sociaux. Un des plus pointus répond au délicieux nom de Hunch (« l’intuition » !), il lui faut quelques secondes pour établir votre profil de consommateur jusque dans les moindres détails, définir votre espérance de vie et l’avenir de vos enfants grâce aux informations que vous laissez généreusement sur la toile et chaque fois que vous utilisez une carte à puce.
Mais pour le moment, personne n’a l’intention de recouper ou d’exploiter ces données. La main sur le cœur, le vice-président de Google, grand algorithmophage devant l’éternel, l’a assuré et certifié au Southwest Interactive festival de Dallas.
Et nous allons, bien entendu, lui faire une confiance aveugle.
Nous avons tous une vision grandiose des règnes des derniers Bourbons – de Louis XIII à Louis XVI – et de l’action de leurs ministres – Richelieu, Mazarin, Colbert et Fleury. L’Histoire (avec majuscule) a retenu les fastes de Versailles, les victoires militaires et le luxe de la cour mais ce que l’histoire (avec un petit h, celle du commun des mortels) nous apprend, c’est que la vie de la grande majorité des Français de l’époque se résumait à une misère abyssale. Une épigramme fameuse, du temps de Louis XV, résumait assez bien le sentiment du peuple : « La France est un malade que, depuis cent ans, trois médecins de rouge vêtus ont successivement traité. Le premier (Richelieu) l’a saigné ; le second (Mazarin) l’a purgé ; et le troisième (Fleury) l’a mis à la diète. »[access capability= »lire_inedits »]
Une anecdote rapportée dans ses Mémoires par René-Louis d’Argenson, ministre des Affaires étrangères de Louis XV, rapporte que le duc d’Orléans porta au conseil un morceau de pain de fougère et, à l’ouverture de la séance, le posa sur la table du roi en disant : « Sire, voilà de quoi vos sujets se nourrissent », alors même que Monsieur Orry vante la régularité avec laquelle les impôts alimentent le trésor royal. Cet épisode résume assez bien les informations qu’on tire de la lecture des auteurs de l’époque : les Français sont écrasés d’impôts et de corvées, l’administration est partout, une réglementation tentaculaire et arbitraire brise toute activité commerciale ou industrielle, tout est centralisé à Paris qui festoie dans l’insouciance la plus totale tandis que, jusqu’aux abords de Versailles, les gens meurent – littéralement – de faim. « Si les peuples étaient à l’aise, écrit Richelieu dans son Testament politique, difficilement resteraient-ils dans les règles. » Tout est dit.
Or, comme le rapporte notamment Tocqueville, le règne de Louis XVI fut certainement le plus prospère de tous – pour les Français s’entend. L’auteur de L’Ancien régime et la Révolution note (L3, IV) qu’environ trente ou quarante ans avant la Révolution, l’économie française se met progressivement à croître : pour la première fois depuis plus d’un siècle, la condition des gens ordinaires s’améliore, le commerce se développe, les industries fleurissent un peu partout et la population augmente. Les sources de l’époque sont sans ambiguïtés : le prix des fermages ne cesse d’augmenter ; le bail de 1786 donne 14 millions de plus que celui de 1780 ; Arthur Young, dans ses Voyages en France, s’émerveille de la prospérité retrouvée de Bordeaux qui surpasse, selon lui, celle de Liverpool… Partout les gens s’enrichissent dans des proportions jamais vues. Malgré le poids encore écrasant de l’État et la gestion calamiteuse des finances, les tentatives de libéralisation de l’économie française − en particulier par Turgot − permettent enfin à la France de ressentir les premiers effets de la révolution industrielle venue d’Angleterre.
Mais alors, pourquoi les Français, qui vivent désormais de mieux en mieux, vont-ils faire leur Révolution ? Tocqueville propose une réponse qui, je crois, résonne parfaitement avec les événements auxquels nous assistons aujourd’hui en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Ce que cette période de croissance et d’enrichissement a implanté dans le cœur de nos ancêtres, c’est l’espoir. Pour la première fois, les Français goûtent aux effets de la liberté, connaissent la prospérité et commencent à y croire. Avec leur bien-être matériel désormais mieux assuré, ils commencent à rêver de libertés politiques. Là où, quelques décennies plus tôt, rien ne pouvait se faire hors l’État, hors le roi, c’est un peuple entier qui ose enfin rêver de prendre son destin en main. Tocqueville résume son idée en une phrase : « Vingt ans auparavant, on n’espérait rien de l’avenir ; maintenant, on n’en redoute rien. »
Des milliards de gens vivent mieux et se mettent à rêver de liberté politique
À quoi d’autre assistons-nous aujourd’hui ? Les cinquante dernières années ont été, dans le monde entier et dans les pays dits « émergents » en particulier, la plus formidable période de croissance et de recul de la pauvreté que l’humanité ait jamais connu. Jugez plutôt : en 2005, on estimait le nombre de gens vivant avec moins de 1,25 dollar par jour à 1 337,8 millions (25,7% de la population mondiale). D’après une mise à jour publiée récemment par Laurence Chandy et Geoffrey Gertz, deux chercheurs de la Brookings Institution, ce chiffre est tombé à 878,2 millions (15,8%) en 2010. Un dixième de l’humanité qui sort de la misère extrême en cinq ans ! Partout, de l’Asie du Sud-Est à l’Afrique du Nord, des milliards de gens vivent mieux aujourd’hui qu’hier et, comme nos Français du XVIIIe siècle, se prennent à rêver de liberté politique.
Après les régimes tunisien et égyptien, ce sont pratiquement tous les régimes autocratiques de la planète qui sentent passer ce formidable souffle de liberté. Alors que Kadhafi tente désespérément de sauver son régime, les autorités chinoises viennent de couper l’accès à certains réseaux sociaux sur lesquels la contestation commençait à s’organiser. Ce que nous renvoient ces millions de gens n’est rien d’autre que notre propre image, il y a un peu plus de deux siècles.
La liberté, écrivait Tocqueville, « certains peuples la poursuivent obstinément à travers toutes sortes de périls et de misères. Ce ne sont pas les biens matériels qu’elle leur donne que ceux-ci aiment alors en elle; ils la considèrent elle-même comme un bien si précieux et si nécessaire qu’aucun autre ne pourrait les consoler de sa perte et qu’ils se consolent de tout en la goûtant. D’autres se fatiguent d’elle au milieu de leurs prospérités ; ils se la laissent arracher des mains sans résistance, de peur de compromettre par un effort ce même bien-être qu’ils lui doivent. Que manque-t-il à ceux-là pour rester libres ? Quoi ? Le goût même de l’être. »
Ce qui a été insinué discrètement avec maints clins d’œil est maintenant presque ouvertement admis : des « croisés » sont bel et bien en train de souiller le sol libyen. Selon le Daily Mail Online une équipe de SAS britanniques serait même en mission en plein centre-ville de Tripoli !
Avant-hier une formation de Tornado GR4 de la RAF était sur le point de larguer ses munitions sophistiquées sur une cible que le Mail Online identifie comme le complexe de Bab-el-Aziza, qui abrite entre autres les logements du Colonel. La cible avait déjà été frappée une première fois par une salve de Tomahawk lancés par un sous-marin de la Royal Navy et les bombardiers de Sa Majesté étaient supposés rajouter une deuxième couche assez épaisse. Or, entre-temps le pouvoir libyen a organisé une visite de presse dans l’immeuble touché et donc au moment où l’attaque aurait dû avoir lieu l’endroit était plein de monde et notamment de journalistes étrangers. Les commandos britanniques qui étaient en observation – voire plus, car certaines munitions sont guidées par rayon laser – ont repéré le problème et fait annuler la mission. Selon les mêmes sources d’autres missions ont été annulées car les cibles étaient protégées par des boucliers humains.
Si cette information est vraie il faut tout simplement prier pour que ces SAS soient plus chanceux que leurs camarades, cueillis par les rebelles il y a trois semaines. Kadhafi ne pourrait rêver meilleure prise de guerre.
Marine Le Pen : elle n'est pas candidate dans chaque canton.
C’est la cacophonie. Depuis deux jours, l’actualité française est dominée par un fait politique majeur : l’UMP doit-elle donner des consignes précises de vote à ses électeurs, dans le cas où son candidat ne serait pas présent au second tour d’une élection cantonale et que le scrutin se jouerait en un hypothétique duel opposant le FN à un représentant d’un parti de gauche ? Bref, le parti présidentiel doit-il jouer le jeu du Front républicain, cette règle qui prévaut depuis des lustres dans le pays et qui a fonctionné si bien que le FN n’a cessé d’accroître son électorat tandis que la droite républicaine perdait pied à chaque élection locale ?
Bref, l’UMP doit-elle se contenter de se faire battre au premier tour ou doit-elle aussi jouer les violons dans l’orchestre du bal au second ? Un bal, oui, bien sûr : on ne va pas déployer les registres des grandes orgues pour si peu. Des élections cantonales restent des élections cantonales. Que siège – éventuellement – dans l’une ou l’autre assemblée départementale un élu FN n’est pas une infamie en soi. Ou alors il faut organiser des sit-in permanents d’indignation devant le siège des Conseils régionaux français, dont chacun compte l’un ou l’autre élu frontiste. Ne pas oublier non plus de déployer banderoles et calicots devant les Hôtels de Ville, quand s’y tient un conseil municipal et qu’un élu du Front national vient y rejoindre sa place.
Tout cela porte un nom. Cela s’appelle la démocratie : ce système est si méprisable qu’il se trouve élues des personnes dont on ne partage ni les idées ni les valeurs. Il est si méprisable qu’il se trouve même élus des candidats qui n’ont à l’évidence aucune compétence pour exercer correctement le mandat qui leur est confié.
Dès lors que l’on admet ça, on peut s’attendre à tout, puisque la démocratie est, par nature, un système imprévisible. S’attendre à tout pour les élections cantonales actuelles, c’est s’attendre, en réalité, à ce qu’aucun élu frontiste ne soit en mesure d’être élu dimanche. S’il y en a un – ou dix –, la belle affaire : il siègera dans des assemblées départementales où il n’aura pas son mot à dire. Enfin, si, il l’aura. Il pourra s’exprimer, parce que la minorité a toute latitude à s’exprimer dans les conseils généraux. Mais une fois qu’il aura répété dix fois qu’il est favorable à l’instauration de la préférence départementale contre la mondialisation, qu’il aura répété, contre Brassens, qu’on est moins imbécile d’être né ici plutôt que quelque part, on ne l’entendra même plus. L’écouter sera oublié depuis longtemps. Et l’on passera au point suivant.
Le point suivant, il concernera quoi d’ailleurs ? Pas grand-chose à vrai dire. Les transferts qu’a accomplis l’Etat – depuis Michel Rocard et la création du RMI devenu RSA – sur les départements ont fait augmenter à un tel point ce qu’on appelle dans un budget le « contingent d’aide sociale » que toute marge de manœuvre politique a disparu, en réalité, de l’échelon départemental. Ajoutez à cela les dépenses quasi-obligatoires que sont les routes départementales et le transfert, sous Jean-Pierre Raffarin, des anciennes directions départementales de l’Equipement (DDE), vous pourrez, à peu de choses près, considérer le champ des possibles qui reste à un exécutif départemental. Un président de Conseil général n’a aujourd’hui comme latitude politique qu’à choisir la couleur du papier du carton que ses services expédieront pour inaugurer un projet qu’il n’a pas voulu mais que la simple technique impose. Si jamais il veut innover, la meilleure chose qu’il pourra faire c’est mettre l’ingénierie départementale au service des communes et des intercommunalités… J’exagère, je sais. Mais à peine. Les différents rapports de la Cour des Comptes sur la décentralisation nous montrent, depuis des années, que les collectivités territoriales encaissent le contre-coup de l’absence de réforme de nos administrations centrales. On accuse les collectivités territoriales de plaies dont l’Etat n’a pas voulu se soigner lui-même.
On m’objectera : la RGPP ! Sous ce sigle, se cache la « Révision générale des politiques publiques ». Elle a été adoptée il y a trois ans. Mais entièrement conçue par des représentants de l’administration centrale, elle ne concerne quasiment, sur la réduction de la fonction publique, que les cadres de catégorie B et C. La catégorie A, désolé, mais pas touche : ce sont des copains, on a fait les grandes écoles ensemble, même qu’on a bu des coups. Il faut être des barbares pour vouloir porter un coup à une aussi belle amitié.
Oui, et le Front républicain dans tout ça ? Bah, on veut viser le front, mais, maladroit, on se met le doigt dans l’œil. Pour une bonne et simple raison : si les partis politiques et les élus avaient encore quelque influence sur leur électorat, ne croyez-vous pas que, malgré leurs appels répétés, leurs électeurs se seraient déplacés en nombre afin de voter pour eux au premier tour ? Ne croyez-vous qu’un candidat UMP, qui s’est fait éjecter à l’issue du premier tour, ne se fait pas beaucoup d’illusion sur ses capacités à donner quelque consigne de vote que ce soit à « ses » électeurs pour le second ?
Il ne faut pas avoir usé longtemps ses fonds de culotte sur les bancs de Sciences-Po, pour comprendre une chose : les électeurs font ce qu’ils veulent. C’est le mot qu’on prête à François Ier : « Souvent femme varie, bien fol qui s’y fie. » Il vaut pour le corps électoral français actuel, où les consignes de vote, les admonestations, les mains pressées sur le cœur ne signifient rien quand, seule, compte la libre expression du suffrage.
En 2007, Ségolène Royal – qui, je le rappelle en passant, était la candidate socialiste à l’élection présidentielle – faisait si confiance au peuple qu’elle en appelait à la « démocratie participative » et qu’elle poussait l’idée jusqu’à vouloir instaurer des « jurys populaires » aptes à déterminer le bien-fondé des décisions des élus. Que fait-on quand un jury populaire estime qu’un élu FN est fidèle à ses engagements ? On le convoque place Tien-An-Men, le jury populaire ? Et on lui fait rouler des chars dessus ? Je prends l’exemple chinois à dessein, parce que la justice de ce pays est, quand même, plus expéditive que la nôtre…
« F comme fasciste, N comme nazi » n’a jamais constitué une politique. Mais une simple insulte crachée aux victimes. Ce qui est déjà trop.
Dans ces conditions, le Front républicain n’est pas une solution. C’est une supercherie. Le Front national n’est pas républicain ? Soit ! Alors, interdisons-le comme en 1936 le Front populaire a dissous les Ligues ! Exilons Marine Le Pen sur l’île d’Elbe. Non, j’ai mieux : Sainte-Hélène. Demandons aux Anglais de la surveiller si nous ne pouvons le faire nous-mêmes. L’autre option possible, c’est de le battre, le Front national, dès le premier tour, et de le faire rendre à des pourcentages dignes d’un Tixier-Vignancourt. Mais qu’on ne convoque pas, de grâce, les plus belles idées, qu’on ne décroche pas La République en danger pour queue de chique. Oui, de grâce. Pas pour un canton.
La péniche était-elle une galère ? Pour l’un des trois participants aux émouvantes retrouvailles familiales de dimanche soir, cela semble avéré. À tel point que le communiste Pierre Laurent, furieux d’avoir été abusé par cette croisière, menace de torpiller l’alliance PS/Verts aux sénatoriales de l’automne prochain, au cas où ses équipiers continueraient de le mener en bateau.
Bref, en 24 heures, on est passé du sourire Ultra-Brite au couteau entre les dents ? Où est l’embrouille ?
Très précisément dans les 75 circonscriptions où les Verts sont en position de se maintenir face à un autre candidat de gauche arrivé en tête au premier tour. En général, ledit autre candidat de gauche est un conseiller général sortant et dans la très grande majorité des cas, il s’agit d’un sortant communiste face à un candidat vert ayant bénéficié au premier tour de l’investiture du Parti socialiste, laquelle lui a permis de dépasser ses traditionnels 5 à 10%. Vous suivez ?
Un exemple, que je n’irai pas chercher loin, vu qu’il s’agit de mon propre canton, à Ivry Ouest dans le 9/4. La sortante PCF Chantal Bourvic y a fait 42% au premier tour, sa challengeuse Verte-Europe-Ecologie Chantal Duchène[1. Dans mon canton, c’est comme ça, toutes les candidates de gauche s’appellent Chantal], soutenue par le PS, a atteint 25%. Compte tenu du taux d’abstention record, ni l’UMP ni le FN ne sont en situation de se maintenir, ce qui est souvent le cas dans les fameux 75 cantons à problème.
Dans un tel cas de figure, les règles de ce qu’on appelle depuis le Front Populaire la « discipline républicaine » à gauche sont archi-claires : le second se désiste automatiquement en faveur du candidat de gauche arrivé en tête. Cette tradition doit sembler bien archaïque à la si moderne Cécile Duflot, qui a décidé de la jeter par dessus bord et de maintenir au second tour ses petits camarades qui auraient dû rester à quai.
Vous me direz que ça semble logique de vouloir tenter sa chance dans la mesure où les lois électorales vous en donnent la possibilité. À ceci près que la discipline républicaine ne relève pas seulement de la tradition mais aussi d’une certaine logique, voire d’une certaine morale politique, la même morale dont tout le monde se gargarise à propos des choix à géométrie variable de l’UMP quand le FN est en lice au second tour. Je m’explique: se désister en faveur du candidat de gauche le mieux placé, cela signifie tout bêtement qu’on ne laisse pas les électeurs de droite ou d’extrême droite choisir au second tour quel candidat de gauche leur convient le mieux.
En partant du principe que l’électeur UMP ou FN est plus foncièrement anticommuniste qu’autre chose(et c’est son droit le plus absolu), ledit cas de figure général évoqué plus haut revient donc à faire appel aux voix de droite et d’extrême droite pour sortir le sortant communiste au bénéfice d’un Vert. Elle est pas belle ma morale ?
La méthode est d’ailleurs éprouvée, c’est celle qu’avait utilisé l’intarissable donneur de leçons antifascistes Noël Mamère qui, en 1989, avait entamé sa carrière politique nationale en conquérant la mairie communiste de Begles (près de Bordeaux) grâce au soutien sans faille de tous les notables chabanistes locaux et au désistement miraculeux en sa faveur du candidat du très très droitier CNI.
Encore s’agissait-il là d’un cas isolé. Cécile Duflot a, semble-t-il, décidé d’en faire une règle, donnant raison à Jean-Pierre Mélenchon qui avait conseillé en termes on ne peut plus clairs à Pierre Laurent de ne pas aller aux côtés de Martine et Cécile sur la fameuse péniche : « Tu vas voir que juste après la photo, ils vont te faire les poches ». Mis à part que les « ils » étaient des « elles », c’était assez bien vu…
La presse chinoise rapporte que d’ici le 15 avril, les annonceurs devront cesser la « promotion de l’hédonisme » et le « culte des produits étrangers » qui créeraient un climat malsain en Chine. En conséquence de quoi les mots luxe, classe et royal sont dorénavant interdits sur les affiches et à la télévision, sous peine d’une amende.
Mieux vaut tard que jamais : le Parti communiste chinois s’alarme enfin du fossé croissant entre riches (à sac à mains siglés) et pauvres (enchaînés dans lesdites usines de sacs, si ça se trouve). Alors, place à la sobriété, qui serait la vertu des classes moyennes. Et si ça se trouve aux sacs en plastique pour remplacer les coûteux accessoires de mode malsains, occidentaux.
Méfiance quand même : vu les chiffres d’affaire en jeu – la Chine est le principal marché pour l’industrie du luxe, avec des taux de croissance à deux chiffres – on peut parier que d’ici quelques saisons, même les sacs jetables des équivalents pékinois de Leader Price ou Kiabi pourraient être réinterprétés par les créateurs.
La télé est la caméra de surveillance du monde et il est rassurant d’avoir, toujours à portée de regard, un de ces écrans allumés, comme ça, sans le son, juste pour vérifier de temps à autre que tout est normal dans les succursales de l’empire : je ne voudrais pas louper la dramaturgie de l’hyper-événement trouant le grillage de l’antenne ou d’une apocalypse débarquant en pleine « Roue de la fortune » ![access capability= »lire_inedits »]
Mais avec la prolifération des chaînes d’info permanente, on a vite fait de monter le son toutes les cinq minutes, de se laisser aguicher par les cent petits feuilletons qu’elles tricotent dans le quotidien et de finir la journée la tronche plus farcie qu’un vigile de supermarché dans la salle de contrôle ou avec le profil pervers d’un guetteur de drame.
Par contre, avec les révoltes arabes de la rentrée, culpabilité walou ! Je me suis adonné à l’événement sur canapé, d’abord avec la bonne conscience du citoyen qui fait son devoir, puis fasciné. J’allais en avoir pour le prix de mes paraboles !
Discrète et inattendue, la Tunisie dégaine la révolte plus vite que son ombre : le coup part. À peine Ben Ali et consorts ont-ils vidé les lieux que l’Égypte confirme une théorie de la contagion en rodage. Les journalistes ne se sentent plus de joie. De belles émeutes, même réprimées dans le sang, c’est autre chose que l’exotisme fatigué du Dakar, même délocalisé.
Al-Jazira, Al-Arabiya, CNN, les France 24, LCI, TV5, LCP, Euronews et autres BFM et I-Télé, pour la flopée proliférante des chaînes s’évertuant à fictionner l’information en épisodes et en saisons, c’est l’aubaine, une claque salutaire dans le dos de leurs antennes bègues et un grand coup de fouet sur le rythme hoquetant de leurs infos en flux. Les journalistes euphoriques peinent à trouver la componction minimale de rigueur pour annoncer les bilans des victimes. Les images des hauts faits des dernières heures montées et remontrées en boucle alternent avec les plateaux d’experts et les interviews dégotées à l’arrache au téléphone. Si la Tunisie, où le suspense tourne vite court avec le départ-éclair de Ben Ali, est traitée en fait divers, la perspective très prometteuse d’un embrasement généralisé du Proche-Orient nous propulse dans le fait d’univers.
On sent l’envie des présentateurs de voir la révolution dépasser le Proche-Orient pour gagner la Chine et le reste du monde…Vient alors la question posée avec le plus grand sérieux : quelle onde de choc risque-t-on à Paris ? L’ambiance est assurée au moins jusqu’au coming out de DSK! Mais derrière ces vœux sincères de contagion fiévreuse, on sent une vraie perplexité quant au sens profond de ses mouvements. À l’opposé d’une classe politique qui, le tempo des événements dans la peau, rivalise de finesse dans l’analyse et de pertinence dans la gestion diplomatique, les médias s’interrogent, invitant ici un dissident égyptien en exil, là un restaurateur tunisien très en vue qui a bien connu Bourguiba… La quête de sens est insatiable. On veut comprendre!
Il semble bien difficile d’admettre qu’un peuple assuré par la force implacable de la légitimité, servie par une maîtrise parfaite des outils technologiques du quotidien, doublée d’une connaissance intuitive aiguë de l’information et de ses relais atteigne une telle efficacité, sans préméditation, sans cadre idéologique ni véritable logistique militante. Quelle force occulte agit dans les replis de l’Histoire ? Porte-elle la barbe ? Qu’une jeune génération déterminée, née au cœur de la civilisation des images, élevée dans ses trames, exorcise ces drames[1. A Sidi Bouzid, l’immolation de Mohamed Bouazizi lance la révolte ; au Caire, c’est Khaled Saïd, battu à mort par des policiers, en juin, à la sortie d’un cybercafé, qui va fédérer la jeunesse qui occupera six mois plus tard la place Tahrir] depuis Facebook et précipite, avec ses portables et sa conscience d’être à l’antenne sur Al-Jazira et les écrans du monde, la chute d’un régime corrompu, rend perplexe (jalouse ?) une société notoirement plus riche et plus âgée, dont les jeunes très gâtés érigent sur les murs de leur Facebook, en summum de la subversion, l’invitation au prochain apéro géant.
Les reporters étrangers au Caire, contraints pour leur sécurité au repli dans les immeubles bordant Al-Tahrir, la place de la libération la plus célèbre du monde depuis la veille, finiront par louer des balcons pour y placer leurs caméras et envoyer dans le monde entier la même vue panoramique : plan large standard en surplomb pour un direct permanent sur la place que les commentaires, interviews et plateaux parisiens en vignette à l’écran ou en voix off n’interrompent désormais plus. Face à l’énormité des événements, les grandes chaînes généralistes bousculent, elles aussi, leurs grilles et sautent sur place, les chaînes thématiques rallient le ban comme elles peuvent, avec la recette fameuse des boulettes de viande à la cairote sur Frichti TV ou les mérites du pur-sang arabe, sa tête très typée et son port de queue relevé si caractéristiques pour Adada Channel !
Je n’ai pas souvenir d’un tel plan fixe, en direct, sur autant de chaînes différentes et pendant aussi longtemps (les trois jours qui précèdent le « vendredi du départ »[2. Le vendredi 4 février, jour de la prière]). Vous pouvez zapper ad lib, vous tombez sans cesse sur cette même diapo animée, nouvelle mire du PAF, la place où la focale mondiale s’est postée pour guetter l’Histoire en train d’accoucher.
Seuls quelques flashes d’info s’immiscent encore, pour rappeler à notre souvenir un monde gagné par la contagion de cette image universelle. En réquisitionnant l’attention planétaire, le peuple égyptien se dispense de l’arraisonnement de la télévision d’État et de la prise en force du Palais d’hiver. Un peuple résolu, adroit et vigilant pousse un dirigeant dépassé sur la place publique de l’opinion mondiale. Je suis le témoin donc l’acteur, au balcon de l’Histoire… de la révolution en mire.[/access]
La crise libyenne commencerait-t-elle à déstabiliser tout le Maghreb? Ainsi nous apprenons que l’armée algérienne vient de déployer une brigade de fantassins d’élite près de la frontière avec la Libye. A Alger on a peur d’un trafic d’armes provenant de la Libye où certains des énormes dépôts de Kadhafi ont été pillés.
Le pouvoir algérien a pris d’autres mesures, notamment aériennes, pour renforcer la surveillance de cette frontière longue de 900 kilomètres. Selon le quotidien algérien El Khabar, ces craintes algériennes seraient fondées et des armes seraient d’ores et déjà entrées en Algérie sans vraiment prendre le temps de s’arrêter aux postes de douane.
Si tel est le cas en Algérie, logiquement la Tunisie et l’Egypte, tout aussi frontalières, devraient être confrontées au même genre de problèmes. Et y répondre de la même façon, voire un peu plus nerveusement , sans s’en tenir à de seules mesures passives.
Un peu comme si la guerre en Libye ne faisait que commencer…
Il était le sauveur de Sarkozy, le vice-président voire le véritable chef de l’exécutif. Il y a trois semaines, l’ensemble de la presse et de la classe politique célébrait dans l’euphorie le retour d’Alain Juppé au Quai d’Orsay. Le triomphe – modeste – du ministre prodigue aura été de courte durée : à la mi-mars, celui qui, fin février, imposait ses conditions à un président de la République aux abois, a perdu la plupart de ses cartes.
Autant le dire d’emblée, je ne dispose pas de la moindre information confidentielle. Qu’Alain Juppé ait ou non failli démissionner, comme l’affirme Anna Cabana du Point, il est certain que c’est que par une dépêche d’agence que le patron de la diplomatie française a appris que Nicolas Sarkozy avait décidé de reconnaître le Conseil national de transition libyen, et autorisé ses leaders à l’annoncer au monde sur le perron de l’Élysée. On n’a pas besoin d’avoir une « gorge profonde » à l’Elysée pour comprendre que Nicolas Sarkozy a choisi de ne pas prévenir Juppé et que ce dernier ne pouvait rien faire. L’imagine-t-on démissionner en plein crise libyenne, prenant le risque d’être le responsable de la chute de Benghazi et d’une victoire de Kadhafi ? Impossible. Juppé était coincé. Nicolas Sarkozy le savait.
La guerre en Libye est loin d’être gagnée – on peut même dire que les ennuis commencent, et avec eux les polémiques. Mais, à défaut du scalp de Kadhafi, le président de la République a déjà conquis un premier trophée : en reconnaissant les rebelles libyens et plaçant son ministre des Affaires étrangères devant le fait accompli, Nicolas Sarkozy a regagné le terrain qu’il lui avait cédé pour clore l’affaire MAM. On sait en effet que Juppé s’était déjà vu proposer le Quai d’Orsay lors du remaniement de novembre. Il avait posé ses conditions : la première d’entre elles était la clarification, en matière de diplomatie, des relations entre le ministre et le président, mais aussi entre l’administration du Quai et la machine élyséenne. En clair, Juppé exigeait d’être pleinement associé à l’élaboration de la politique étrangère française, domaine traditionnellement réservé du chef de l’Etat. En novembre, encore sûr de lui, Sarkozy avait refusé. Trois mois plus tard, affaibli par l’affaire MAM et les échecs de sa diplomatie dans le monde arabe, il cédait. En échange de ce ralliement, Sarkozy offrait à Juppé la tête de Guéant sur un plateau, l’âme damnée du chef de l’Etat étant alors « promu » mais surtout éloigné place Beauvau.
Et voilà que trois semaines après avoir été obligé de capituler devant « le meilleur d’entre nous », Sarkozy a repris les rênes de la politique étrangère de la France. Ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle en soi. Sauf qu’il n’est pas certain que le panache de BHL soit meilleur conseiller que la prudence de techno de Guéant.
Il est vrai que si l’opération libyenne ne s’avère pas, au bout du compte, aussi bonne pour la France que ne le laissaient penser les drapeaux tricolores agités par la « rue arabe » au lendemain du vote de l’ONU, elle ne peut être que gagnante pour le président. N’en doutons pas, ce sont les sentiments les plus nobles qui ont poussé Sarkozy à prendre la tête du camp anti-Kadhafi. Mais on ne peut pas ne pas voir qu’il était le leader occidental qui avait le moins à perdre et le plus à gagner. Troisième dans les sondages pour le premier tour de l’élection présidentielle, tenu responsable du naufrage de la diplomatie française face aux révolutions arabes, il a trouvé, avec la crise libyenne une excellente occasion de retourner la situation. La petite victoire remportée sur Juppé n’est qu’un petit avantage en nature récupéré dans l’opération.
On ne sait pas et on ne saura peut-être jamais si Kadhafi a contribué à la campagne de Sarkozy en 2007. Ce qui est certain, c’est qu’il a déjà fait beaucoup pour celle de 2012.