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Notre pain quotidien (10)

Gandhi en goguette. Nos confrères du Point ont eu la riche idée de nous donner enfin des nouvelles de François Bayrou. Mais si, souvenez-vous, l’éleveur de chevaux au parti centriste orange pâle, qui avait tout de même réuni plus de 18% d’électeurs sur son nom au premier tour de l’élection présidentielle de 2007. L’hebdomadaire nous décrit un voyage du gentleman-farmer béarnais « en immersion » en Inde, et plus précisément à Dharavi, un bidonville près de Bombay. Le décor est planté : « Mains jointes, tête baissée, il fait le salut indien. Se déchausse. Pénètre dans la pièce et va s’asseoir en tailleur au milieu d’un parterre de saris multicolores. » Bayrou – cherchant à se donner une posture internationale – se métamorphose progressivement en Gandhi, sous les yeux ébahis de la journaliste du Point. Il rencontre la population, les businessmen, parle culture, quand soudain, c’est le drame : « Bayrou n’est pas Gandhi. Contrairement au penseur hindou, le leader du MoDem, même en déplacement, consulte les dépêches sur Internet trois fois par jour. ‘MAM va sauter !’ lance t-il à Marielle de Sarnez, devant le Taj Mahal Palace » De retour à Paris Bayrou serait devenu – tenez-vous bien – un homme « dopé à l’énergie indienne » et « sûr de son destin ». Les récents sondages Harris le créditent seulement de 6 à 8% d’intentions de votes au premier tour… Vivement la présidentielle de 2017, et même l’après-presidentielle ; qu’il parte se ressourcer en « immersion médiatique » dans une contrée encore plus lointaine : la Mongolie ? La Papouasie ? L’Île de la Tortue ? Et… qu’il y reste ?

Arsenic et vieilles dentelles. Avocat n’est pas un métier facile, à la différence de pilote de chasse ou cardiologue. Il n’est pas aisé de forger des stratégies de défense visant à toucher les petits cœurs tendres des magistrats (syndiqués ou non)… Il faut justifier tel vol à main armée par une « situation personnelle inextricable », il faut expliquer telle agression par une « enfance difficile », éventuellement mâtinée de problèmes psychiatriques, etc. Bref, avocat, c’est un vrai métier. Un exemple de cette maestria nous est donné dans le contexte du procès d’un homme de 52 ans qui a tenté de tuer sa femme, riche viticultrice de la région de Chablis, en l’empoisonnant durant près d’un an avec de l’arsenic. La défense expliquera glorieusement, nous apprend la presse « qu’il ne voulait pas la tuer, mais qu’il aurait fait ce geste par amour parce qu’elle travaillait trop et ne prenait pas assez soin d’elle. Il voulait, en la rendant malade, l’avoir auprès de lui. » Bien tenté. Moralité : l’empoisonneur débile a été condamné à cinq ans de prison, dont deux fermes. Et le Parquet a fait appel… Il ne lui reste plus qu’à tenter de s’empoisonner lui-même avec la nourriture servie en prison.

Femme de gauche. La jeune chanteuse Camélia Jordana (« révélée » – le mot est de Télé 7 Jours ! – par l’émission « La Nouvelle Star » de M6) déclare crânement dans l’émission « Sept à huit » de TF 1 qu’elle souhaite voir advenir en France un… « gouvernement de gauche ». Bang ! La jeune-femme, qui nous exhorte au passage de ne pas nous « pignoler » (le mot est d’elle…) sur la Burqa, estime qu’ « on est dans une espèce de société débile où il ne se passe que des choses débiles. » Un si bel engagement fait plaisir à voir ! Une si belle conscience citoyenne fait plaisir à entendre ! Ah, qu’il est dommage qu’à la place de la maigre soupe musicale markétée qu’elle tente de nous vendre habituellement, la demoiselle n’ait pas décidé de faire de vraies chansons avec ses ardents refus. On aurait peut-être vu advenir une nouvelle nouvelle chanson française…

« Lutter politiquement contre les paniques morales »

Gaël Brustier, docteur en science politique, co-auteur du remarqué Recherche le Peuple désespérément, membre du Parti Socialiste, vient de publier avec Jean-Philippe Huelin Voyage au bout de la droite (Mille et Une nuits). C’est en militant politique, intellectuel et néanmoins ami qu’il a répondu à mes questions.

Daoud Boughezala : À vous lire, Jean-Philippe Huelin et toi, les slogans libertaires de mai 1968 appuieraient un nouvel occidentalisme fondé sur les valeurs marchandes…

Gaël Brustier : Ce que nous appelons « droitisation » n’est ni unilinéaire ni uniforme. Tu fais référence, en l’occurrence, à ce que nous définissons comme l’hédonisme sécuritaire, qu’on ne peut pas expressément traiter sous l’angle de l’histoire des idées. En expliquant que les enfants des soixante-huitards veulent, comme leurs parents, jouir sans entrave mais sous la protection d’un arsenal sécuritaire renforcé, nous pointons autant une évolution sociologique qu’une évolution correspondante des droites extrêmes européennes. C’est vrai et évident aux Pays-Bas avec Wilders. Cela peut devenir vrai dans d’autres pays, en particulier en France. Il est vrai que la France n’est pas encore touchée massivement par ce phénomène que nous entrevoyons à l’horizon d’une ou deux décennies…

DB : Pour prendre l’exemple français, Marine Le Pen surfe allègrement sur les « paniques morales » que tu évoques. N’est-ce pas là aussi une conséquence de la désertion du réel par une gauche muette sur la sécurité et l’immigration ?

GB : Marine Le Pen surfe sur beaucoup d’interrogations de notre société. Son actuelle percée est d’abord le fruit de sa capacité à se saisir d’une détresse sociale face à la mondialisation, aux délocalisations, au poids que la mondialisation fait porter à la société française. Mais les questions « morales » ne sont pas indifférentes à la droitisation actuelle. Nous reprenons en partie les analyses de Stanley Cohen pour expliquer qu’un ensemble de « paniques morales » parcourent la société. Elles ont un degré de sophistication différent mais se rapportent souvent à la question de l’Islam, devenue obsessionnelle dans une partie des élites notamment. C’est ce phénomène que tente de capter Marine Le Pen qui parle un langage démagogique mais habile. Les « paniques morales » existent : il faut savoir y répondre.

Ce qui est regrettable c’est de voir la gauche, ou une certaine gauche, éprouver, par exemple, une certaine mansuétude à l’égard du groupe Sexion d’Assaut qui tient des propos manifestement homophobes. Les mêmes sont plus durs avec Marine Le Pen lorsqu’elle prétend défendre les gays. C’est, à notre sens, une erreur stratégique qui peut, à terme, se payer durement dans les urnes, en particulier dans les grandes villes. En matière de stratégie électorale, il ne faut pas « flatter sa conscience avec son indignation » comme aurait dit Pasolini. Il faut d’abord être efficace politiquement.

DB : D’accord, mais vous parlez de paniques « morales ». Comment lutter politiquement ?

GB : Lutter contre les panique morales c’est à la fois bannir l’angélisme et le différentialisme et refuser le discours islamophobe et occidentaliste qui se pare des habits de la laïcité… Penser que la France est en voie d’islamisation relève du délire le plus achevé mais il ne faut pas, dans le même temps, refuser de voir qu’il existe des problèmes liés à des phénomènes para-sectaires qui posent des problèmes à beaucoup de nos concitoyens… Et qu’on cesse enfin de feindre d’assigner à « résidence culturelle » certains de nos concitoyens en les intégrant automatiquement à une catégorie religieuse…

DB : Penses-tu que la gauche peut sortir de l’angélisme pour reconquérir des classes populaires en quête de valeurs morales?

GB: Je pense que la gauche pèche par buonisme et aime avant tout flatter sa conscience en s’indignant. Il faut à la gauche le courage de regarder en face la société française. Elle doit analyser la géographie sociale du pays et la capacité de la droite à se fondre dans celle-ci en définissant un imaginaire collectif compatible avec elle. Nous avions analysé cette géographie sociale dans Recherche le peuple désespérément. Aujourd’hui nous nous attachons à décrire la droitisation dans Voyage au bout de la droite. Les hésitations stratégiques de Messieurs Buisson et Guaino, la difficile articulation de la visite au Puy-en-Velay et de la défense de la laïcité, l’impossibilité évidente, pour la droite, de faire campagne sur le mérite et le pouvoir d’achat, laissent l’élection présidentielle très ouverte.

DB : Donc, l’effondrement actuel de la popularité de Nicolas Sarkozy ne garantit pas la victoire de la gauche en 2012 ?

GB : Certainement pas ! La gauche a donc tort de se reposer sur ses lauriers. On ne répondra pas à la droitisation en criant « à gauche, à gauche, à gauche ! ». Et pas plus en transformant l’adversaire en diable. Il s’agit de définir à la fois un projet pour le pays en rapport avec la mondialisation et un imaginaire collectif qui lui corresponde. Pour les droites, l’explication du monde est simple, « du coin de la rue à Kaboul ». Pour la gauche, quelle est-elle ?

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Juges partout, justice nulle part

J’apprécie souvent, mais pas toujours, les coups de gueule de Sarkozy tout en regrettant qu’il ne joigne pas davantage le geste à la parole. Je ne comprends pas la mobilisation présidentielle pour Florence Cassez. D’abord, je la crois coupable mais, quand bien même serait-elle innocente, elle n’est pas infirmière bulgare et le Mexique n’est pas la Libye. Bien sûr, soixante ans de taule, c’est cher, et on peut souhaiter, par simple humanité, qu’elle bénéficie des mêmes ristournes que les condamnés incarcérés dans nos prisons, mais quand les Mexicains tiennent un criminel ou quelqu’un qu’ils ont jugé comme tel, s’ils choisissent d’accorder à la société soixante ans de répit et si c’est leur droit, c’est leur droit. Ils ont peut-être aussi voulu envoyer un message à toutes les gourdes qui en pincent pour les bandits : « Si vous voulez fricoter avec la racaille, restez donc au pays des droits de l’homme criminel et de sa femme complice, ça coûte moins cher. »[access capability= »lire_inedits »]

Si, sur ce coup-là, Sarkozy m’a déçu, sur le coup de pied dans la fourmilière judiciaire, j’applaudis. Comme toujours, il ne va pas assez loin et j’aurais été comblé par le spectacle d’un juge laxiste cloué à la porte d’une grange, histoire de dissuader les mauvais esprits de continuer à se moquer du monde, mais je sais me contenter de plaisirs simples et la simple grogne de ces fonctionnaires-là en est un. Si le chef de l’État s’interdisait de demander des comptes, au nom du peuple français, à la corporation censée rendre la justice au nom du même peuple, parce qu’elle est des plus susceptibles, il faillirait à sa tache et nous verrions une magistrature à l’abri de la critique, aussi sourde aux doléances et satisfaite du sentiment de son indépendance que les criminels le sont du sentiment de leur impunité.

La réponse imparable à toute critique : le manque de moyens !

Qu’un juge puisse travailler à l’abri des pressions du pouvoir politique, c’est une garantie à laquelle nous tenons tous, mais si la justice est rendue « au nom du peuple français », le moins que l’on puisse dire est que le peuple n’y trouve pas son compte. Quand les cas de meurtres commis par des condamnés multirécidivistes se multiplient, quand des délinquants sont arrêtés cent fois et relâchés cent fois, il faut bien constater que, pour ceux-là, le crime est plus payant que le respect de la loi. Et si le crime paye, à qui la faute sinon à ceux qui fixent le tarif ?

La réponse à cette critique est invariable et tellement imparable qu’elle est devenue celle de tous les fonctionnaires à qui on a l’audace de demander des résultats : « C’est la faute au manque de moyens ! »
Ils ont sûrement raison, il suffirait de mettre un contrôleur sur les talons de tout criminel dès sa sortie de prison jusqu’à la fin de sa vie pour réduire le taux de récidive ou encore de verser une « allocation Iphone » à tous les voleurs pour faire baisser les chiffres de la délinquance, mais en attendant que la société et le contribuable acceptent de tels sacrifices, il faut faire avec les moyens du bord. Avec la sur-représentation des étrangers ou des Français d’origine étrangère dans nos prisons comme dans toutes celles d’Europe, on pourrait aussi fermer le robinet de l’immigration avant de s’attaquer au kärcher à la délinquance, mais c’est un autre débat.

Le droit du condamné prime sur le droit de l’honnête homme à la sécurité

Dans certains pays d’Afrique, l’État n’a pas les moyens de nourrir les gens en prison et ne s’interdit pas d’incarcérer les criminels pour autant. La bouffe, c’est le problème du prisonnier et on ne demande pas à des populations qui ont du mal à faire vivre leurs enfants de nourrir leurs voleurs, leurs violeurs et leurs assassins. Toutefois, il ne s’agit pas de suivre ce modèle, mais de retrouver un peu du bon sens qui l’anime.

Chez nous, c’est au criminel que le manque de moyens profite. Pas assez de psys et les malades sexuels sont lâchés dans la nature sans suivi ! Pas assez de juges ou de places dans les prisons, et les délinquants n’effectuent pas leurs peines ! Que ne les garde-t-on à l’ombre en attendant que des postes soient créés et des prisons construites ! On place l’impératif d’incarcérer dans des conditions décentes au-dessus de celui d’incarcérer et le droit du condamné prime sur le droit de l’honnête homme à la sécurité.

L’immense majorité des Français finance une lourde machine judiciaire et s’en félicite ou s’en accommode parce que, comparée à la loi du talion, la justice est un progrès. Encore faudrait-il empêcher les prêtres gauchistes de la religion des droits de l’homme à l’œuvre au sein du Syndicat de la magistrature de dévoyer cet humanisme.

Le législateur sarkozyste s’y emploie quand il tord le bras aux juges à coup de lois sur la rétention de sûreté, les peines planchers ou les jurys populaires pour les forcer à rendre la justice. Naturellement, ça les fait brailler. Moi, ça me rassure.[/access]

Guéant et les cantonales: plus c’est gros, moins ça passe ?

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Me serais-je félicité trop tôt du culot monstre dont a su faire preuve Claude Guéant hier soir ? Sitôt lancée, l’opération « Déni de réel », lancée depuis l’Elysée et Beauvau pour tenter d’accréditer la «bonne tenue» de l’UMP aux cantonales a semble-t-il salement loupé sa cible.

Pas besoin d’être gauchiste pour savoir faire une addition, et ainsi, sous le titre: « Cantonales : l’UMP enregistre un recul historique » mon excellente consœur Judith Waintraub du Figaro remet les calculettes à l’heure : « Avec 17 % des suffrages, l’UMP et ses alliés du centre qui se sont présentés sous leur étiquette nationale perdent presque quatre points par rapport à l’élection de 2004, où les mêmes cantons étaient en jeu. Ils avaient fait à l’époque 20,95 % ».

Et pour ceux qui n’auraient pas compris la magouille ministérielle, Judith Waintraub enfonce le clou : « Claude Guéant, en annonçant les résultats encore partiels dont il disposait en milieu de soirée, a additionné d’office au score UMP-centre celui des candidats « majorité présidentielle » (autour de 5,5 %) et celui des divers droite (9,5 %). Ce qui lui a permis d’atteindre un résultat nettement plus flatteur, autour de 32,5 % des voix. D’autant plus flatteur que le nouveau ministre de l’Intérieur s’est bien gardé d’effectuer la même opération avec les voix de gauche ».

Bon, on pourra à juste titre expliquer que Mlle Waintraub, quoique peu suspecte de sujétion idéologique à la gauche, est connue pour son indépendance d’esprit voire ses tendances au ronchonnage. Mais quid de Nadine Morano, qui après quelques circonvolutions assez cocasses a reconnu un recul de 3,5 points de son camp ce matin au micro de Jean-Pierre Elkabbach ?

S’il n’a même pas réussi à convaincre de la « bonne tenue » de l’UMP la plus godillote des godillots, le ministre va devoir penser à affiner sa com’. D’autant plus que dimanche prochain, quand il faudra annoncer le nombre d’élus gagnés ou perdus par chaque camp, il risque d’avoir un peu plus de mal à brouiller les communications adverses.

Libération sexuel

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« Réenchanter la gauche ». C’est l’objectif que s’est assigné Nicolas Demorand en prenant la tête de Libération. On attendait les premiers signes de cet enchantement nouveau avec impatience. Si au passage, d’ailleurs, Demorand pouvait en profiter pour réenchanter la droite, la politique et, last but not least, la presse quotidienne nationale, nous n’en serions pas complètement fâchés.

Le récent article de Régis Jauffret sur sa rencontre avec Marine Le Pen s’inscrit-il dans cette mission ? Simone de Beauvoir, compagne du fondateur de Libé, doit être toute chose, là où elle est, de découvrir le premier paragraphe de l’écrivain Jauffret : « Si je n’étais pas féministe et partisan de la parité au Parlement, je me serais dit que c’est exactement le genre de fille qu’on a envie de sauter entre deux portes en espérant qu’elle vous demande de lui donner des baffes avant de jouir pour pouvoir se mettre un instant dans la peau d’un sans-papiers macho et irascible. » Ouf ! Heureusement que l’auteur de ces lignes délicates nous prévient qu’il est féministe. On a eu peur. Sans cette subordonnée, nous aurions pu croire que Demorand avait confié une tribune à Alain Soral, afin de promouvoir le réenchantement de la gauche française. Tout cela ne laisse pas de nous étonner de la part de l’ancien matinalier de France Inter et d’Europe1, quand on se souvient de l’émotion qu’il avait exprimée sur le plateau de Canal + après un débordement de Didier Porte du mauvais côté de la ceinture[1. Porte avait joué, dans un sketch radiophonique, Villepin hurlant « j’encule Sarkozy » toutes les 10 secondes. Demorand avait dit chez Denisot sa désapprobation, argumentant sur le fait que son enfant de 8 ans aurait pu écouter la chronique. Question à quelques euros : Demorand Junior a t-il accès à Libé ?]. Que Jauffret ait des fantasmes rock-and-roll de prisunic, cela arrive à des gens très bien ; qu’il les confie, accoudé au zinc à ses potes, pourquoi pas. Qu’il les écrive et que Libé les publie, on entre de plain-pied dans la quatrième dimension.

Bien sûr, Benoît Rayski, chez Atlantico, tord du nez. Il imagine Jauffret écrire le même paragraphe avec Rama Yade dans le rôle de Marine Le Pen, et un beauf lepéniste dans celui du sans-papiers. Et nous laisse deviner entre les lignes qu’à son humble avis, Libération n’aurait jamais publié un tel article.

C’est là qu’on découvre sur Libération.fr un questions-réponses entre les internautes et Sylvie Ayral, professeure d’espagnol au collège et docteur[2. Pourquoi un « e » à la fin de professeure et pas à docteur ? Faute de frappe ? Inconscient néo-sexiste ?] en science de l’éducation. Toute à son explication sur les ravages de la punition envers le collégien mâle, cette dernière précise : « J’essaye de lui faire formuler sa colère, pour l’amener vers le décalage qui existe entre son émotion de départ, et le mot qu’il a prononcé, qui, en général, est de connotation sexiste. Il a le droit d’être en colère, je ne remets pas en question ce sentiment, mais j’essaye de lui faire comprendre qu’il peut l’exprimer autrement que par des injures. » Pas de sanction, donc, contre le gamin qui traite sa prof de « grosse salope » ou de « sale pute ».

Décidément, le réenchantement de la gauche via Libé nouvelle formule s’annonce plein de surprises. La suite… La suite…

Cantonales : Guéant, c’est géant!

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Claude Guéant a fait très fort pour son allocution de 21h30 consacrée aux résultats du premier tour des cantonales.

En se félicitant, de la « bonne tenue » de son camp et en attribuant à ce qu’il appelle « la majorité présidentielle » plus de 32% des voix -contre 25% seulement pour le PS – et ce sans évoquer une seule fois le score que les premiers résultats attribuaient à l’UMP (entre 16 et 17% à cette heure-là), le ministre de l’Intérieur a définitivement prouvé que Nicolas Sarkozy avait mis the right man at the right place à l’occasion du dernier remaniement.

Et le plus extraordinaire, c’est que Claude Guéant a dit tout cela sans rire. Remarquez voire Guéant rire, ou même sourire, ça, ç’aurait été vraiment extraordinaire…

Objectif Tripoli

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Libye : les Rafale laisseront-ils place aux piétons ?

Au moment où la bataille pour le contrôle du ciel de la Libye est pratiquement gagnée, la question du contrôle du terrain reste plus que jamais ouverte. Comme l’ont démontré les deux guerres d’Irak et la guerre au Liban en 2006, la force aérienne, essentielle, ne peut pas à elle seule gagner une guerre. À moins d’un assassinat ciblé de Kadhafi, on ne voit pas comment les seules frappes pourraient mettre le régime libyen échec et mat. Or, pour le moment, les rebelles ne semblent pas être capables de mettre en place une force terrestre capable – même sous le parapluie aérien de la Coalition – d’occuper le terrain et de balayer physiquement les éléments armés qui soutiennent le pouvoir. Or, malheureusement, transformer une bande de civils jouant les Rambo en une force armée entraînée et efficace est un travail de longue haleine qui demandera bien plus de quelques semaines ou mois. En revanche, après plusieurs semaines de mobilisation, Kadhafi est arrivé à déployer des unités militaires de plus en plus efficaces.  

Le calcul des planificateurs de l’opération libyenne repose sur la psychologie : ils espèrent que l’usage massif de la force aérienne fissurera le pouvoir et poussera certains militaires à déserter ou mieux, à passer avec armes et bagages chez les rebelles. Mais les stratèges occidentaux ne se contentent pas d’espérer. Si on écoute attentivement les déclarations et commentaires des anciens chefs des armées américaines et britanniques – notamment le général US Wesley Clark et le général britannique Sir Mike Jackson –, on entend déjà la petite musique de la suite. Tous deux ont jugé utile de préciser le sens du terme « occupation » – strictement interdite par la décision du Conseil de sécurité. Selon les deux généraux, cela n’empêche pas le déploiement de forces sur le sol mais uniquement une occupation à long terme du territoire libyen. À bon entendeur… 

Pour être clair, si Kadhafi et son clan ne craquent pas rapidement, on peut s’attendre à des opérations de moins en moins aériennes. L’évolution vers une intervention terrestre est dans la logique des choses. Quoique nous racontent les communicateurs en uniforme, « défendre les civils » n’est pas un objectif militaire. Un militaire ne sait pas quoi faire d’un tel cahier des charges. Il comprend très bien, en revanche, si on lui ordonne de « détruire les capacités de combat des forces fidèles à Kadhafi ». Mais même clairement définie, cette mission est plus difficile à mener à bien qu’elle n’en a l’air. Détruire l’armée libyenne, d’accord – encore que le coup de la promenade de santé marche rarement – mais ensuite que faut-il faire des milices pro-Kadhafi montées sur des 4×4 Toyota ? Quelles différences y a-t-il entre celles-ci et les rebelles ? En quoi sont-elles « moins civiles » ? Dès qu’on en arrive à ce type de questions, on comprend qu’il ne s’agit pas seulement de mener une opération humanitaire armée mais de prendre parti dans une guerre civile et de faire tomber un régime.   

Ne tournons pas autour du pot. Ni un Rafale, ni un F-18 ni un drone ne feront pas l’affaire. Cette guerre sera longue et il faudra bien que quelqu’un prenne Tripoli pour aller extirper d’un certain bunker cet homme bizarre qui, depuis quarante ans, n’est pas seulement un dictateur local mais, et le mot est faible, un emmerdeur international.

Drôle de guerre à Benghazi

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Hier, alors que les invités du sommet de Paris étaient en train de se rendre à l’Elysée, un étrange épisode a eu lieu dans le ciel libyen.

Tout commence avec l’information suivante : un chasseur-bombardier est en train d’attaquer Benghazi. Bien évidement, tout le monde croit qu’il s’agit de l’aviation libyenne, celle-là même qui pilonne sans relâche des rebelles mal armés. Après quelques piqués, cet appareil a été touché et a fini par s’écraser dans un quartier de Benghazi. Les rebelles libyens ont donc abattu un avion qui était en train de bombarder leur bastion.

Or la joie des insurgés aura été aussi intense que brève : peu de temps après on a appris qu’il s’agissait d’un chasseur bombardier appartenant aux… insurgés. Nous avons appris avec étonnement que les rebelles ont une certaine force aérienne (ce qui n’est pas rien – pensez à la logistique nécessaire pour faire voler un chasseur-bombardier). Nous avons appris avec moins d’étonnement que la pagaille chez eux est telle que leurs propres forces terrestres ne sont pas au courant de l’existence de cette force aérienne. De fait, on n’est pas totalement certain que ce soient les rebelles qui ont abattu le Mig-23, mais selon les journalistes présents, ils ont tout fait pour ! Espérons qu’ils sauront faire la différence entre nos Mirages et ceux du Colonel…

Radiohead se dématérialise

Depuis la suppression des limbes par le Vatican[1. Jusqu’au mois d’avril de l’année 2007, les petits enfants morts avant leur baptême allaient dans les limbes, mais Sa Sainteté Benoît XVI a changé tout ça : la notion de « limbes » n’a plus valeur d’article de foi. Où diable sont-ils alors entreposés ?], on a toutes les raisons de reléguer ce vocable dans le domaine de l’embryologie sacrée ou dans le souvenir ému plutôt flou que nous aurait laissé la lecture du roman de Michel Tournier (Vendredi ou les limbes du Pacifique) si on est allé au bout. Heureusement que le nouvel album de Radiohead a la bonne idée de nous maintenir dans le formol : le groupe culte des années 1990 revient avec un huitième album intitulé The King of Limbs et fait le point sur cet étrange objet dématérialisé par les démons de l’ère digitale.[access capability= »lire_inedits »]

Disque de dépressifs en préretraite

Entre ciel et terre, certes : la production des cinq d’Oxford a souvent été qualifiée d’« aérienne ». Entre chien et loup : leur son qui hésite entre le rock et l’électro depuis toujours. Et dernièrement, entre le disque et le fichier numérique, avec In Rainbows (paru sans label, en 2007) et ce nouvel opus, dont les sorties successives sont programmées à la manière d’un teasing à répétition. Depuis vendredi 18 février, on a la possibilité de se procurer l’album dans sa version MP3, en téléchargement payant sur un site « dédié », thekingoflimbs.com. Pour le reste (le 28 mars, puis le 9 mai, date où l’album est même censé changer de nom…), on s’y perd : coffret à 36 euros avec des images ou simple CD à 11 euros. Il y en a pour tous les goûts et pour toutes les bourses ! Et pourquoi pas la version avec les chipsters ou le maillot de bain ? Que la musique se dématérialise, que Radiohead cherche à être absolument « dans le coup », OK (Computer). Mais cela ajoute-t-il quoi que ce soit à la qualité de la production ? Sous le fallacieux prétexte d’une lutte contre la grande machine des labels, la bannière alter d’une lutte anti-système, il ne s’agit évidemment que d’un immense coup de pub de la bande à Thom Yorke.

Le « buzz Radiohead », c’est encore plus que ça : leur affranchissement du diktat d’EMI depuis 2007 révèle surtout une double hypocrisie. S’ils se passent du concours d’une maison de disques, c’est avant tout parce qu’ils ont les moyens de se le permettre. Maison de disques qui, au demeurant, leur avait permis de devenir ce qu’ils sont, depuis Pablo Honey et le succès mondial du single Creep. Du reste, j’ai personnellement pu écouter l’album en entier gratuitement sur le site internet d’un quotidien régional, et l’ensemble est pire que décevant. Je m’adresse aux fans : imaginez un album entier qui sonnerait comme Pulk/Pull Revolving Doors, cette piste nuisible et obsédante de l’album Amnesiac sorti en 2001. Dix ans plus tard, on réduit encore les moyens : voici un disque de dépressifs en préretraite, à écouter en Damart juste avant de se coucher à 18 h 30. Quant au visuel, on sera moins étonné d’apprendre qu’il est seulement laid, avec ses montres expressionnistes − du street-art pour zombies. Si « le beau est toujours bizarre », le moche peut l’être tout autant, et gageons qu’une pochette de Radiohead l’est assez souvent.

Une guerre civile à 20 mètres de profondeur

Farce virtuose ou génie incompris : ce huitième album est-il intentionnellement faible ou trop subtil pour les oreilles de l’auditeur ? Le mystère ne sort pas des limbes, pas à la première écoute en tout cas. On diffuse, paraît-il, de la musique classique dans les parkings pour limiter les agressions. La majeure partie de The King of Limbs, elle, nous promet une guerre civile à 20 mètres de profondeur. Bloom, Feral ou Give Up the Ghost révèlent des boucles obsédantes qui rappellent les travaux de Thom Yorke en solo sur The Eraser (2006) et des rifs qui marquent quelques influences techno. On est si loin du génie de Kid A (2000) !

D’année en année, le projet de Radiohead a consisté à épurer la musique au profit de la technique : de moins en moins de mélodies, des paroles qui se répètent, un abandon des structures de base d’une chanson et de plus en plus de dissonances. Lotus Flower et Codex sont tout de même de bons morceaux, le premier pour sa force mélodique, le second pour son piano qui rappellera (un peu) Pink Floyd.

Si les autres disques de Radiohead restent pour longtemps dans nos mémoires et nos enceintes, cet album buzzé et surbuzzé ne mérite pas son paradis. Pire que les limbes, et parce qu’il ne s’agit pas de petits enfants, je les aurais bien laissés au purgatoire.[/access]

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Qui joue avec la nourriture ?

On estime que notre espèce a franchi le cap du milliard de représentants en 1804, qu’en 1960 nous étions 3 milliards et que nous pourrions bien être 7 milliards dans les premiers mois de 2012. La population mondiale a plus que doublé en une cinquantaine d’années. Non seulement, nous sommes beaucoup plus nombreux, mais nous consommons aussi beaucoup plus. Au cours des cinquante dernières années, le niveau de vie de nos semblables a pratiquement triplé. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, autant de gens ne s’étaient enrichis dans de telles proportions et aussi vite. Malgré la crise, cette évolution se confirme : le nombre de gens vivants dans la pauvreté absolue (avec moins de 1,25 dollar par jour) est passé de 25,7 % de la population mondiale en 2005 à 15, 8% en 2010 – 459,6 millions de gens en cinq ans !

Face à la gigantesque croissance de nos besoins alimentaires, l’agriculture mondiale a réalisé de véritables prouesses de productivité. La « révolution verte », liée à l’abandon des systèmes collectivistes, a considérablement augmenté le rendement des exploitations agricoles. Du matériel d’exploitation aux variétés plantées, en passant par les fertilisants et l’optimisation des systèmes d’irrigation, les investissements réalisés en matière agricole ont entrainé un progrès technologique sans précédent. Les données de l’United States Department of Agriculture (USDA) sur la culture du maïs aux États-Unis sont tout simplement stupéfiantes : durant la saison 1959-1960, les États-Unis ont produit 3,8 milliards de boisseaux de maïs, avec une productivité moyenne de 53,1 boisseaux par acre cultivé. En 2009-2010, la production a atteint 13 milliards de boisseaux – soit une augmentation de 242 %, pour une productivité de 164,7 boisseaux par acre.

L’un dans l’autre, les prévisions malthusiennes des années 1960-1970 – et notamment les famines apocalyptiques prédites par Paul Ehrlich, l’auteur de la fameuse Bombe démographique (1968) – ne se sont donc pas réalisées (les malthusiens vendent beaucoup de livres mais leurs prévisions ont une fâcheuse tendance à ne jamais se réaliser…). Mais nous constatons tous, depuis plusieurs années, l’état d’extrême tension des marchés de produits agricoles. Signe des temps, ont voit fleurir ici et là des théories fumeuses mettant en cause de prétendus spéculateurs, qui ne sont pas sans rappeler les « accapareurs » qu’on accusait volontiers lors des famines d’Ancien Régime avec, en complément, l’inévitable réchauffement climatique qui provoque des hivers froids, des pluies diluviennes et donc de mauvaises récoltes. Soyons clairs : les mauvaises récoltes sont aussi vieilles que l’agriculture et, sauf à démontrer que celles qui nous frappent aujourd’hui sont plus fréquentes ou plus destructrices que celles d’autrefois et que, de surcroît, elles sont bien liées à une modification des conditions climatiques, ces allégations ne sont rien d’autre que des affirmations gratuites. Quand aux fameux spéculateurs, ce sont pour l’essentiel des commerçants qui achètent des denrées alimentaires dans les pays où elles sont abondantes et relativement peu onéreuses, pour les revendre là où elles manquent cruellement et y sont donc plus chères ; ce qui a principalement pour effet, justement, d’éviter des famines.

C’est justement là que le bât blesse : les prix alimentaires sont un enjeu politique majeur dans de nombreux pays et l’intervention des états a déjà et à plusieurs reprises prouvé son extrême nocivité. En 2008, par exemple, l’interdiction d’exporter du riz prononcée par le gouvernement indien alors que le marché était déjà particulièrement tendu avait violemment accentué la hausse des cours et déclenché une famine au Bangladesh. Une étude récente publiée par deux chercheurs américains sur les marchés mondiaux de matières premières agricoles trouve que les coûts de transaction – transport et barrières douanières – sont proches de ceux associés à un équilibre autarcique. D’après leurs calculs, si tous les pays alignaient leurs barrières douanières sur les niveaux des pays les plus ouverts aux importations, les baisses de prix à la consommation pourraient atteindre 57 %. Jamais le commerce international de produits alimentaire n’a été aussi vital : fermer les frontières, dans un sens ou dans l’autre, permettrait peut-être à quelques pays de contenir provisoirement la hausse des cours, mais ce serait au prix de famines dramatiques ailleurs dans le monde.

Autre imbécillité, qui est pour le coup bel et bien liée au réchauffement climatique : les biocarburants en général et l’éthanol d’origine végétale en particulier. Pour rester dans l’exemple du maïs américain, sachez qu’en 2009, 35 % de la production étasunienne de maïs ont été utilisés pour produire de l’éthanol destiné à la production de biocarburant. En d’autres termes, la production d’éthanol subventionné a absorbée, à elle seule, pratiquement 90 % de l’augmentation de la production américaine des trente dernières années. En 2010, l’adoption du mélange E15 (15 % d’éthanol pour 85 % d’essence) par l’Environmental Protection Agency (EPA) a clairement démontré – s’il en était encore besoin – les effets dévastateurs de cette politique, en provoquant une hausse des cours du maïs de près de 80 %. Naturellement, cette flambée des prix incite les agriculteurs à planter du maïs à la place d’autres céréales – comme le blé – et entraîne, à son tour, le prix des autres denrées alimentaires de base à la hausse, sans parler des coûts de production des éleveurs bovins. Quand on sait, par ailleurs, que l’industrie des carburants à base d’éthanol n’est absolument pas viable sans subvention et procède à un lobbying éhonté pour s’attirer de nouvelles faveurs gouvernementales, on est légitimement fondé à demander à nos gouvernements d’arrêter de jouer avec la nourriture – surtout quand les voisins ont faim.

Vous avez entendu et entendrez encore des malthusiens vous expliquer que nous vivons dans un monde de ressources finies – ce qui est parfaitement exact – et que la croissance de la population mondiale provoquera inévitablement des pénuries à l’avenir. La meilleure réponse à cet argument m’a été soufflée par un spécialiste des marchés de matières premières : parier sur la hausse continue des cours ou la disparition des denrées alimentaires (ou du pétrole, de l’or, etc.), c’est parier contre l’ingéniosité humaine. Et ça, c’est un très mauvais pari. Nous pouvons faire face à ce défit et nourrir dans de bonnes conditions plus de 9 milliards de nos semblables et probablement même plus. C’est techniquement et physiquement possible, mais il faudra pour cela que nos gouvernements cessent une bonne foi pour toutes de s’occuper d’agriculture et de distribution alimentaire. Qu’ils s’intéressent, pour changer, à notre système judiciaire par exemple ! Et qu’ils laissent les marchés fonctionner correctement.

Laissez faire ! Morbleu ! Laissez faire !

Notre pain quotidien (10)

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Gandhi en goguette. Nos confrères du Point ont eu la riche idée de nous donner enfin des nouvelles de François Bayrou. Mais si, souvenez-vous, l’éleveur de chevaux au parti centriste orange pâle, qui avait tout de même réuni plus de 18% d’électeurs sur son nom au premier tour de l’élection présidentielle de 2007. L’hebdomadaire nous décrit un voyage du gentleman-farmer béarnais « en immersion » en Inde, et plus précisément à Dharavi, un bidonville près de Bombay. Le décor est planté : « Mains jointes, tête baissée, il fait le salut indien. Se déchausse. Pénètre dans la pièce et va s’asseoir en tailleur au milieu d’un parterre de saris multicolores. » Bayrou – cherchant à se donner une posture internationale – se métamorphose progressivement en Gandhi, sous les yeux ébahis de la journaliste du Point. Il rencontre la population, les businessmen, parle culture, quand soudain, c’est le drame : « Bayrou n’est pas Gandhi. Contrairement au penseur hindou, le leader du MoDem, même en déplacement, consulte les dépêches sur Internet trois fois par jour. ‘MAM va sauter !’ lance t-il à Marielle de Sarnez, devant le Taj Mahal Palace » De retour à Paris Bayrou serait devenu – tenez-vous bien – un homme « dopé à l’énergie indienne » et « sûr de son destin ». Les récents sondages Harris le créditent seulement de 6 à 8% d’intentions de votes au premier tour… Vivement la présidentielle de 2017, et même l’après-presidentielle ; qu’il parte se ressourcer en « immersion médiatique » dans une contrée encore plus lointaine : la Mongolie ? La Papouasie ? L’Île de la Tortue ? Et… qu’il y reste ?

Arsenic et vieilles dentelles. Avocat n’est pas un métier facile, à la différence de pilote de chasse ou cardiologue. Il n’est pas aisé de forger des stratégies de défense visant à toucher les petits cœurs tendres des magistrats (syndiqués ou non)… Il faut justifier tel vol à main armée par une « situation personnelle inextricable », il faut expliquer telle agression par une « enfance difficile », éventuellement mâtinée de problèmes psychiatriques, etc. Bref, avocat, c’est un vrai métier. Un exemple de cette maestria nous est donné dans le contexte du procès d’un homme de 52 ans qui a tenté de tuer sa femme, riche viticultrice de la région de Chablis, en l’empoisonnant durant près d’un an avec de l’arsenic. La défense expliquera glorieusement, nous apprend la presse « qu’il ne voulait pas la tuer, mais qu’il aurait fait ce geste par amour parce qu’elle travaillait trop et ne prenait pas assez soin d’elle. Il voulait, en la rendant malade, l’avoir auprès de lui. » Bien tenté. Moralité : l’empoisonneur débile a été condamné à cinq ans de prison, dont deux fermes. Et le Parquet a fait appel… Il ne lui reste plus qu’à tenter de s’empoisonner lui-même avec la nourriture servie en prison.

Femme de gauche. La jeune chanteuse Camélia Jordana (« révélée » – le mot est de Télé 7 Jours ! – par l’émission « La Nouvelle Star » de M6) déclare crânement dans l’émission « Sept à huit » de TF 1 qu’elle souhaite voir advenir en France un… « gouvernement de gauche ». Bang ! La jeune-femme, qui nous exhorte au passage de ne pas nous « pignoler » (le mot est d’elle…) sur la Burqa, estime qu’ « on est dans une espèce de société débile où il ne se passe que des choses débiles. » Un si bel engagement fait plaisir à voir ! Une si belle conscience citoyenne fait plaisir à entendre ! Ah, qu’il est dommage qu’à la place de la maigre soupe musicale markétée qu’elle tente de nous vendre habituellement, la demoiselle n’ait pas décidé de faire de vraies chansons avec ses ardents refus. On aurait peut-être vu advenir une nouvelle nouvelle chanson française…

« Lutter politiquement contre les paniques morales »

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Gaël Brustier, docteur en science politique, co-auteur du remarqué Recherche le Peuple désespérément, membre du Parti Socialiste, vient de publier avec Jean-Philippe Huelin Voyage au bout de la droite (Mille et Une nuits). C’est en militant politique, intellectuel et néanmoins ami qu’il a répondu à mes questions.

Daoud Boughezala : À vous lire, Jean-Philippe Huelin et toi, les slogans libertaires de mai 1968 appuieraient un nouvel occidentalisme fondé sur les valeurs marchandes…

Gaël Brustier : Ce que nous appelons « droitisation » n’est ni unilinéaire ni uniforme. Tu fais référence, en l’occurrence, à ce que nous définissons comme l’hédonisme sécuritaire, qu’on ne peut pas expressément traiter sous l’angle de l’histoire des idées. En expliquant que les enfants des soixante-huitards veulent, comme leurs parents, jouir sans entrave mais sous la protection d’un arsenal sécuritaire renforcé, nous pointons autant une évolution sociologique qu’une évolution correspondante des droites extrêmes européennes. C’est vrai et évident aux Pays-Bas avec Wilders. Cela peut devenir vrai dans d’autres pays, en particulier en France. Il est vrai que la France n’est pas encore touchée massivement par ce phénomène que nous entrevoyons à l’horizon d’une ou deux décennies…

DB : Pour prendre l’exemple français, Marine Le Pen surfe allègrement sur les « paniques morales » que tu évoques. N’est-ce pas là aussi une conséquence de la désertion du réel par une gauche muette sur la sécurité et l’immigration ?

GB : Marine Le Pen surfe sur beaucoup d’interrogations de notre société. Son actuelle percée est d’abord le fruit de sa capacité à se saisir d’une détresse sociale face à la mondialisation, aux délocalisations, au poids que la mondialisation fait porter à la société française. Mais les questions « morales » ne sont pas indifférentes à la droitisation actuelle. Nous reprenons en partie les analyses de Stanley Cohen pour expliquer qu’un ensemble de « paniques morales » parcourent la société. Elles ont un degré de sophistication différent mais se rapportent souvent à la question de l’Islam, devenue obsessionnelle dans une partie des élites notamment. C’est ce phénomène que tente de capter Marine Le Pen qui parle un langage démagogique mais habile. Les « paniques morales » existent : il faut savoir y répondre.

Ce qui est regrettable c’est de voir la gauche, ou une certaine gauche, éprouver, par exemple, une certaine mansuétude à l’égard du groupe Sexion d’Assaut qui tient des propos manifestement homophobes. Les mêmes sont plus durs avec Marine Le Pen lorsqu’elle prétend défendre les gays. C’est, à notre sens, une erreur stratégique qui peut, à terme, se payer durement dans les urnes, en particulier dans les grandes villes. En matière de stratégie électorale, il ne faut pas « flatter sa conscience avec son indignation » comme aurait dit Pasolini. Il faut d’abord être efficace politiquement.

DB : D’accord, mais vous parlez de paniques « morales ». Comment lutter politiquement ?

GB : Lutter contre les panique morales c’est à la fois bannir l’angélisme et le différentialisme et refuser le discours islamophobe et occidentaliste qui se pare des habits de la laïcité… Penser que la France est en voie d’islamisation relève du délire le plus achevé mais il ne faut pas, dans le même temps, refuser de voir qu’il existe des problèmes liés à des phénomènes para-sectaires qui posent des problèmes à beaucoup de nos concitoyens… Et qu’on cesse enfin de feindre d’assigner à « résidence culturelle » certains de nos concitoyens en les intégrant automatiquement à une catégorie religieuse…

DB : Penses-tu que la gauche peut sortir de l’angélisme pour reconquérir des classes populaires en quête de valeurs morales?

GB: Je pense que la gauche pèche par buonisme et aime avant tout flatter sa conscience en s’indignant. Il faut à la gauche le courage de regarder en face la société française. Elle doit analyser la géographie sociale du pays et la capacité de la droite à se fondre dans celle-ci en définissant un imaginaire collectif compatible avec elle. Nous avions analysé cette géographie sociale dans Recherche le peuple désespérément. Aujourd’hui nous nous attachons à décrire la droitisation dans Voyage au bout de la droite. Les hésitations stratégiques de Messieurs Buisson et Guaino, la difficile articulation de la visite au Puy-en-Velay et de la défense de la laïcité, l’impossibilité évidente, pour la droite, de faire campagne sur le mérite et le pouvoir d’achat, laissent l’élection présidentielle très ouverte.

DB : Donc, l’effondrement actuel de la popularité de Nicolas Sarkozy ne garantit pas la victoire de la gauche en 2012 ?

GB : Certainement pas ! La gauche a donc tort de se reposer sur ses lauriers. On ne répondra pas à la droitisation en criant « à gauche, à gauche, à gauche ! ». Et pas plus en transformant l’adversaire en diable. Il s’agit de définir à la fois un projet pour le pays en rapport avec la mondialisation et un imaginaire collectif qui lui corresponde. Pour les droites, l’explication du monde est simple, « du coin de la rue à Kaboul ». Pour la gauche, quelle est-elle ?

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Juges partout, justice nulle part

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J’apprécie souvent, mais pas toujours, les coups de gueule de Sarkozy tout en regrettant qu’il ne joigne pas davantage le geste à la parole. Je ne comprends pas la mobilisation présidentielle pour Florence Cassez. D’abord, je la crois coupable mais, quand bien même serait-elle innocente, elle n’est pas infirmière bulgare et le Mexique n’est pas la Libye. Bien sûr, soixante ans de taule, c’est cher, et on peut souhaiter, par simple humanité, qu’elle bénéficie des mêmes ristournes que les condamnés incarcérés dans nos prisons, mais quand les Mexicains tiennent un criminel ou quelqu’un qu’ils ont jugé comme tel, s’ils choisissent d’accorder à la société soixante ans de répit et si c’est leur droit, c’est leur droit. Ils ont peut-être aussi voulu envoyer un message à toutes les gourdes qui en pincent pour les bandits : « Si vous voulez fricoter avec la racaille, restez donc au pays des droits de l’homme criminel et de sa femme complice, ça coûte moins cher. »[access capability= »lire_inedits »]

Si, sur ce coup-là, Sarkozy m’a déçu, sur le coup de pied dans la fourmilière judiciaire, j’applaudis. Comme toujours, il ne va pas assez loin et j’aurais été comblé par le spectacle d’un juge laxiste cloué à la porte d’une grange, histoire de dissuader les mauvais esprits de continuer à se moquer du monde, mais je sais me contenter de plaisirs simples et la simple grogne de ces fonctionnaires-là en est un. Si le chef de l’État s’interdisait de demander des comptes, au nom du peuple français, à la corporation censée rendre la justice au nom du même peuple, parce qu’elle est des plus susceptibles, il faillirait à sa tache et nous verrions une magistrature à l’abri de la critique, aussi sourde aux doléances et satisfaite du sentiment de son indépendance que les criminels le sont du sentiment de leur impunité.

La réponse imparable à toute critique : le manque de moyens !

Qu’un juge puisse travailler à l’abri des pressions du pouvoir politique, c’est une garantie à laquelle nous tenons tous, mais si la justice est rendue « au nom du peuple français », le moins que l’on puisse dire est que le peuple n’y trouve pas son compte. Quand les cas de meurtres commis par des condamnés multirécidivistes se multiplient, quand des délinquants sont arrêtés cent fois et relâchés cent fois, il faut bien constater que, pour ceux-là, le crime est plus payant que le respect de la loi. Et si le crime paye, à qui la faute sinon à ceux qui fixent le tarif ?

La réponse à cette critique est invariable et tellement imparable qu’elle est devenue celle de tous les fonctionnaires à qui on a l’audace de demander des résultats : « C’est la faute au manque de moyens ! »
Ils ont sûrement raison, il suffirait de mettre un contrôleur sur les talons de tout criminel dès sa sortie de prison jusqu’à la fin de sa vie pour réduire le taux de récidive ou encore de verser une « allocation Iphone » à tous les voleurs pour faire baisser les chiffres de la délinquance, mais en attendant que la société et le contribuable acceptent de tels sacrifices, il faut faire avec les moyens du bord. Avec la sur-représentation des étrangers ou des Français d’origine étrangère dans nos prisons comme dans toutes celles d’Europe, on pourrait aussi fermer le robinet de l’immigration avant de s’attaquer au kärcher à la délinquance, mais c’est un autre débat.

Le droit du condamné prime sur le droit de l’honnête homme à la sécurité

Dans certains pays d’Afrique, l’État n’a pas les moyens de nourrir les gens en prison et ne s’interdit pas d’incarcérer les criminels pour autant. La bouffe, c’est le problème du prisonnier et on ne demande pas à des populations qui ont du mal à faire vivre leurs enfants de nourrir leurs voleurs, leurs violeurs et leurs assassins. Toutefois, il ne s’agit pas de suivre ce modèle, mais de retrouver un peu du bon sens qui l’anime.

Chez nous, c’est au criminel que le manque de moyens profite. Pas assez de psys et les malades sexuels sont lâchés dans la nature sans suivi ! Pas assez de juges ou de places dans les prisons, et les délinquants n’effectuent pas leurs peines ! Que ne les garde-t-on à l’ombre en attendant que des postes soient créés et des prisons construites ! On place l’impératif d’incarcérer dans des conditions décentes au-dessus de celui d’incarcérer et le droit du condamné prime sur le droit de l’honnête homme à la sécurité.

L’immense majorité des Français finance une lourde machine judiciaire et s’en félicite ou s’en accommode parce que, comparée à la loi du talion, la justice est un progrès. Encore faudrait-il empêcher les prêtres gauchistes de la religion des droits de l’homme à l’œuvre au sein du Syndicat de la magistrature de dévoyer cet humanisme.

Le législateur sarkozyste s’y emploie quand il tord le bras aux juges à coup de lois sur la rétention de sûreté, les peines planchers ou les jurys populaires pour les forcer à rendre la justice. Naturellement, ça les fait brailler. Moi, ça me rassure.[/access]

Guéant et les cantonales: plus c’est gros, moins ça passe ?

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Me serais-je félicité trop tôt du culot monstre dont a su faire preuve Claude Guéant hier soir ? Sitôt lancée, l’opération « Déni de réel », lancée depuis l’Elysée et Beauvau pour tenter d’accréditer la «bonne tenue» de l’UMP aux cantonales a semble-t-il salement loupé sa cible.

Pas besoin d’être gauchiste pour savoir faire une addition, et ainsi, sous le titre: « Cantonales : l’UMP enregistre un recul historique » mon excellente consœur Judith Waintraub du Figaro remet les calculettes à l’heure : « Avec 17 % des suffrages, l’UMP et ses alliés du centre qui se sont présentés sous leur étiquette nationale perdent presque quatre points par rapport à l’élection de 2004, où les mêmes cantons étaient en jeu. Ils avaient fait à l’époque 20,95 % ».

Et pour ceux qui n’auraient pas compris la magouille ministérielle, Judith Waintraub enfonce le clou : « Claude Guéant, en annonçant les résultats encore partiels dont il disposait en milieu de soirée, a additionné d’office au score UMP-centre celui des candidats « majorité présidentielle » (autour de 5,5 %) et celui des divers droite (9,5 %). Ce qui lui a permis d’atteindre un résultat nettement plus flatteur, autour de 32,5 % des voix. D’autant plus flatteur que le nouveau ministre de l’Intérieur s’est bien gardé d’effectuer la même opération avec les voix de gauche ».

Bon, on pourra à juste titre expliquer que Mlle Waintraub, quoique peu suspecte de sujétion idéologique à la gauche, est connue pour son indépendance d’esprit voire ses tendances au ronchonnage. Mais quid de Nadine Morano, qui après quelques circonvolutions assez cocasses a reconnu un recul de 3,5 points de son camp ce matin au micro de Jean-Pierre Elkabbach ?

S’il n’a même pas réussi à convaincre de la « bonne tenue » de l’UMP la plus godillote des godillots, le ministre va devoir penser à affiner sa com’. D’autant plus que dimanche prochain, quand il faudra annoncer le nombre d’élus gagnés ou perdus par chaque camp, il risque d’avoir un peu plus de mal à brouiller les communications adverses.

Libération sexuel

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« Réenchanter la gauche ». C’est l’objectif que s’est assigné Nicolas Demorand en prenant la tête de Libération. On attendait les premiers signes de cet enchantement nouveau avec impatience. Si au passage, d’ailleurs, Demorand pouvait en profiter pour réenchanter la droite, la politique et, last but not least, la presse quotidienne nationale, nous n’en serions pas complètement fâchés.

Le récent article de Régis Jauffret sur sa rencontre avec Marine Le Pen s’inscrit-il dans cette mission ? Simone de Beauvoir, compagne du fondateur de Libé, doit être toute chose, là où elle est, de découvrir le premier paragraphe de l’écrivain Jauffret : « Si je n’étais pas féministe et partisan de la parité au Parlement, je me serais dit que c’est exactement le genre de fille qu’on a envie de sauter entre deux portes en espérant qu’elle vous demande de lui donner des baffes avant de jouir pour pouvoir se mettre un instant dans la peau d’un sans-papiers macho et irascible. » Ouf ! Heureusement que l’auteur de ces lignes délicates nous prévient qu’il est féministe. On a eu peur. Sans cette subordonnée, nous aurions pu croire que Demorand avait confié une tribune à Alain Soral, afin de promouvoir le réenchantement de la gauche française. Tout cela ne laisse pas de nous étonner de la part de l’ancien matinalier de France Inter et d’Europe1, quand on se souvient de l’émotion qu’il avait exprimée sur le plateau de Canal + après un débordement de Didier Porte du mauvais côté de la ceinture[1. Porte avait joué, dans un sketch radiophonique, Villepin hurlant « j’encule Sarkozy » toutes les 10 secondes. Demorand avait dit chez Denisot sa désapprobation, argumentant sur le fait que son enfant de 8 ans aurait pu écouter la chronique. Question à quelques euros : Demorand Junior a t-il accès à Libé ?]. Que Jauffret ait des fantasmes rock-and-roll de prisunic, cela arrive à des gens très bien ; qu’il les confie, accoudé au zinc à ses potes, pourquoi pas. Qu’il les écrive et que Libé les publie, on entre de plain-pied dans la quatrième dimension.

Bien sûr, Benoît Rayski, chez Atlantico, tord du nez. Il imagine Jauffret écrire le même paragraphe avec Rama Yade dans le rôle de Marine Le Pen, et un beauf lepéniste dans celui du sans-papiers. Et nous laisse deviner entre les lignes qu’à son humble avis, Libération n’aurait jamais publié un tel article.

C’est là qu’on découvre sur Libération.fr un questions-réponses entre les internautes et Sylvie Ayral, professeure d’espagnol au collège et docteur[2. Pourquoi un « e » à la fin de professeure et pas à docteur ? Faute de frappe ? Inconscient néo-sexiste ?] en science de l’éducation. Toute à son explication sur les ravages de la punition envers le collégien mâle, cette dernière précise : « J’essaye de lui faire formuler sa colère, pour l’amener vers le décalage qui existe entre son émotion de départ, et le mot qu’il a prononcé, qui, en général, est de connotation sexiste. Il a le droit d’être en colère, je ne remets pas en question ce sentiment, mais j’essaye de lui faire comprendre qu’il peut l’exprimer autrement que par des injures. » Pas de sanction, donc, contre le gamin qui traite sa prof de « grosse salope » ou de « sale pute ».

Décidément, le réenchantement de la gauche via Libé nouvelle formule s’annonce plein de surprises. La suite… La suite…

Cantonales : Guéant, c’est géant!

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Claude Guéant a fait très fort pour son allocution de 21h30 consacrée aux résultats du premier tour des cantonales.

En se félicitant, de la « bonne tenue » de son camp et en attribuant à ce qu’il appelle « la majorité présidentielle » plus de 32% des voix -contre 25% seulement pour le PS – et ce sans évoquer une seule fois le score que les premiers résultats attribuaient à l’UMP (entre 16 et 17% à cette heure-là), le ministre de l’Intérieur a définitivement prouvé que Nicolas Sarkozy avait mis the right man at the right place à l’occasion du dernier remaniement.

Et le plus extraordinaire, c’est que Claude Guéant a dit tout cela sans rire. Remarquez voire Guéant rire, ou même sourire, ça, ç’aurait été vraiment extraordinaire…

Objectif Tripoli

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Libye : les Rafale laisseront-ils place aux piétons ?

Au moment où la bataille pour le contrôle du ciel de la Libye est pratiquement gagnée, la question du contrôle du terrain reste plus que jamais ouverte. Comme l’ont démontré les deux guerres d’Irak et la guerre au Liban en 2006, la force aérienne, essentielle, ne peut pas à elle seule gagner une guerre. À moins d’un assassinat ciblé de Kadhafi, on ne voit pas comment les seules frappes pourraient mettre le régime libyen échec et mat. Or, pour le moment, les rebelles ne semblent pas être capables de mettre en place une force terrestre capable – même sous le parapluie aérien de la Coalition – d’occuper le terrain et de balayer physiquement les éléments armés qui soutiennent le pouvoir. Or, malheureusement, transformer une bande de civils jouant les Rambo en une force armée entraînée et efficace est un travail de longue haleine qui demandera bien plus de quelques semaines ou mois. En revanche, après plusieurs semaines de mobilisation, Kadhafi est arrivé à déployer des unités militaires de plus en plus efficaces.  

Le calcul des planificateurs de l’opération libyenne repose sur la psychologie : ils espèrent que l’usage massif de la force aérienne fissurera le pouvoir et poussera certains militaires à déserter ou mieux, à passer avec armes et bagages chez les rebelles. Mais les stratèges occidentaux ne se contentent pas d’espérer. Si on écoute attentivement les déclarations et commentaires des anciens chefs des armées américaines et britanniques – notamment le général US Wesley Clark et le général britannique Sir Mike Jackson –, on entend déjà la petite musique de la suite. Tous deux ont jugé utile de préciser le sens du terme « occupation » – strictement interdite par la décision du Conseil de sécurité. Selon les deux généraux, cela n’empêche pas le déploiement de forces sur le sol mais uniquement une occupation à long terme du territoire libyen. À bon entendeur… 

Pour être clair, si Kadhafi et son clan ne craquent pas rapidement, on peut s’attendre à des opérations de moins en moins aériennes. L’évolution vers une intervention terrestre est dans la logique des choses. Quoique nous racontent les communicateurs en uniforme, « défendre les civils » n’est pas un objectif militaire. Un militaire ne sait pas quoi faire d’un tel cahier des charges. Il comprend très bien, en revanche, si on lui ordonne de « détruire les capacités de combat des forces fidèles à Kadhafi ». Mais même clairement définie, cette mission est plus difficile à mener à bien qu’elle n’en a l’air. Détruire l’armée libyenne, d’accord – encore que le coup de la promenade de santé marche rarement – mais ensuite que faut-il faire des milices pro-Kadhafi montées sur des 4×4 Toyota ? Quelles différences y a-t-il entre celles-ci et les rebelles ? En quoi sont-elles « moins civiles » ? Dès qu’on en arrive à ce type de questions, on comprend qu’il ne s’agit pas seulement de mener une opération humanitaire armée mais de prendre parti dans une guerre civile et de faire tomber un régime.   

Ne tournons pas autour du pot. Ni un Rafale, ni un F-18 ni un drone ne feront pas l’affaire. Cette guerre sera longue et il faudra bien que quelqu’un prenne Tripoli pour aller extirper d’un certain bunker cet homme bizarre qui, depuis quarante ans, n’est pas seulement un dictateur local mais, et le mot est faible, un emmerdeur international.

Drôle de guerre à Benghazi

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Hier, alors que les invités du sommet de Paris étaient en train de se rendre à l’Elysée, un étrange épisode a eu lieu dans le ciel libyen.

Tout commence avec l’information suivante : un chasseur-bombardier est en train d’attaquer Benghazi. Bien évidement, tout le monde croit qu’il s’agit de l’aviation libyenne, celle-là même qui pilonne sans relâche des rebelles mal armés. Après quelques piqués, cet appareil a été touché et a fini par s’écraser dans un quartier de Benghazi. Les rebelles libyens ont donc abattu un avion qui était en train de bombarder leur bastion.

Or la joie des insurgés aura été aussi intense que brève : peu de temps après on a appris qu’il s’agissait d’un chasseur bombardier appartenant aux… insurgés. Nous avons appris avec étonnement que les rebelles ont une certaine force aérienne (ce qui n’est pas rien – pensez à la logistique nécessaire pour faire voler un chasseur-bombardier). Nous avons appris avec moins d’étonnement que la pagaille chez eux est telle que leurs propres forces terrestres ne sont pas au courant de l’existence de cette force aérienne. De fait, on n’est pas totalement certain que ce soient les rebelles qui ont abattu le Mig-23, mais selon les journalistes présents, ils ont tout fait pour ! Espérons qu’ils sauront faire la différence entre nos Mirages et ceux du Colonel…

Radiohead se dématérialise

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Depuis la suppression des limbes par le Vatican[1. Jusqu’au mois d’avril de l’année 2007, les petits enfants morts avant leur baptême allaient dans les limbes, mais Sa Sainteté Benoît XVI a changé tout ça : la notion de « limbes » n’a plus valeur d’article de foi. Où diable sont-ils alors entreposés ?], on a toutes les raisons de reléguer ce vocable dans le domaine de l’embryologie sacrée ou dans le souvenir ému plutôt flou que nous aurait laissé la lecture du roman de Michel Tournier (Vendredi ou les limbes du Pacifique) si on est allé au bout. Heureusement que le nouvel album de Radiohead a la bonne idée de nous maintenir dans le formol : le groupe culte des années 1990 revient avec un huitième album intitulé The King of Limbs et fait le point sur cet étrange objet dématérialisé par les démons de l’ère digitale.[access capability= »lire_inedits »]

Disque de dépressifs en préretraite

Entre ciel et terre, certes : la production des cinq d’Oxford a souvent été qualifiée d’« aérienne ». Entre chien et loup : leur son qui hésite entre le rock et l’électro depuis toujours. Et dernièrement, entre le disque et le fichier numérique, avec In Rainbows (paru sans label, en 2007) et ce nouvel opus, dont les sorties successives sont programmées à la manière d’un teasing à répétition. Depuis vendredi 18 février, on a la possibilité de se procurer l’album dans sa version MP3, en téléchargement payant sur un site « dédié », thekingoflimbs.com. Pour le reste (le 28 mars, puis le 9 mai, date où l’album est même censé changer de nom…), on s’y perd : coffret à 36 euros avec des images ou simple CD à 11 euros. Il y en a pour tous les goûts et pour toutes les bourses ! Et pourquoi pas la version avec les chipsters ou le maillot de bain ? Que la musique se dématérialise, que Radiohead cherche à être absolument « dans le coup », OK (Computer). Mais cela ajoute-t-il quoi que ce soit à la qualité de la production ? Sous le fallacieux prétexte d’une lutte contre la grande machine des labels, la bannière alter d’une lutte anti-système, il ne s’agit évidemment que d’un immense coup de pub de la bande à Thom Yorke.

Le « buzz Radiohead », c’est encore plus que ça : leur affranchissement du diktat d’EMI depuis 2007 révèle surtout une double hypocrisie. S’ils se passent du concours d’une maison de disques, c’est avant tout parce qu’ils ont les moyens de se le permettre. Maison de disques qui, au demeurant, leur avait permis de devenir ce qu’ils sont, depuis Pablo Honey et le succès mondial du single Creep. Du reste, j’ai personnellement pu écouter l’album en entier gratuitement sur le site internet d’un quotidien régional, et l’ensemble est pire que décevant. Je m’adresse aux fans : imaginez un album entier qui sonnerait comme Pulk/Pull Revolving Doors, cette piste nuisible et obsédante de l’album Amnesiac sorti en 2001. Dix ans plus tard, on réduit encore les moyens : voici un disque de dépressifs en préretraite, à écouter en Damart juste avant de se coucher à 18 h 30. Quant au visuel, on sera moins étonné d’apprendre qu’il est seulement laid, avec ses montres expressionnistes − du street-art pour zombies. Si « le beau est toujours bizarre », le moche peut l’être tout autant, et gageons qu’une pochette de Radiohead l’est assez souvent.

Une guerre civile à 20 mètres de profondeur

Farce virtuose ou génie incompris : ce huitième album est-il intentionnellement faible ou trop subtil pour les oreilles de l’auditeur ? Le mystère ne sort pas des limbes, pas à la première écoute en tout cas. On diffuse, paraît-il, de la musique classique dans les parkings pour limiter les agressions. La majeure partie de The King of Limbs, elle, nous promet une guerre civile à 20 mètres de profondeur. Bloom, Feral ou Give Up the Ghost révèlent des boucles obsédantes qui rappellent les travaux de Thom Yorke en solo sur The Eraser (2006) et des rifs qui marquent quelques influences techno. On est si loin du génie de Kid A (2000) !

D’année en année, le projet de Radiohead a consisté à épurer la musique au profit de la technique : de moins en moins de mélodies, des paroles qui se répètent, un abandon des structures de base d’une chanson et de plus en plus de dissonances. Lotus Flower et Codex sont tout de même de bons morceaux, le premier pour sa force mélodique, le second pour son piano qui rappellera (un peu) Pink Floyd.

Si les autres disques de Radiohead restent pour longtemps dans nos mémoires et nos enceintes, cet album buzzé et surbuzzé ne mérite pas son paradis. Pire que les limbes, et parce qu’il ne s’agit pas de petits enfants, je les aurais bien laissés au purgatoire.[/access]

The King of Limbs

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Qui joue avec la nourriture ?

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On estime que notre espèce a franchi le cap du milliard de représentants en 1804, qu’en 1960 nous étions 3 milliards et que nous pourrions bien être 7 milliards dans les premiers mois de 2012. La population mondiale a plus que doublé en une cinquantaine d’années. Non seulement, nous sommes beaucoup plus nombreux, mais nous consommons aussi beaucoup plus. Au cours des cinquante dernières années, le niveau de vie de nos semblables a pratiquement triplé. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, autant de gens ne s’étaient enrichis dans de telles proportions et aussi vite. Malgré la crise, cette évolution se confirme : le nombre de gens vivants dans la pauvreté absolue (avec moins de 1,25 dollar par jour) est passé de 25,7 % de la population mondiale en 2005 à 15, 8% en 2010 – 459,6 millions de gens en cinq ans !

Face à la gigantesque croissance de nos besoins alimentaires, l’agriculture mondiale a réalisé de véritables prouesses de productivité. La « révolution verte », liée à l’abandon des systèmes collectivistes, a considérablement augmenté le rendement des exploitations agricoles. Du matériel d’exploitation aux variétés plantées, en passant par les fertilisants et l’optimisation des systèmes d’irrigation, les investissements réalisés en matière agricole ont entrainé un progrès technologique sans précédent. Les données de l’United States Department of Agriculture (USDA) sur la culture du maïs aux États-Unis sont tout simplement stupéfiantes : durant la saison 1959-1960, les États-Unis ont produit 3,8 milliards de boisseaux de maïs, avec une productivité moyenne de 53,1 boisseaux par acre cultivé. En 2009-2010, la production a atteint 13 milliards de boisseaux – soit une augmentation de 242 %, pour une productivité de 164,7 boisseaux par acre.

L’un dans l’autre, les prévisions malthusiennes des années 1960-1970 – et notamment les famines apocalyptiques prédites par Paul Ehrlich, l’auteur de la fameuse Bombe démographique (1968) – ne se sont donc pas réalisées (les malthusiens vendent beaucoup de livres mais leurs prévisions ont une fâcheuse tendance à ne jamais se réaliser…). Mais nous constatons tous, depuis plusieurs années, l’état d’extrême tension des marchés de produits agricoles. Signe des temps, ont voit fleurir ici et là des théories fumeuses mettant en cause de prétendus spéculateurs, qui ne sont pas sans rappeler les « accapareurs » qu’on accusait volontiers lors des famines d’Ancien Régime avec, en complément, l’inévitable réchauffement climatique qui provoque des hivers froids, des pluies diluviennes et donc de mauvaises récoltes. Soyons clairs : les mauvaises récoltes sont aussi vieilles que l’agriculture et, sauf à démontrer que celles qui nous frappent aujourd’hui sont plus fréquentes ou plus destructrices que celles d’autrefois et que, de surcroît, elles sont bien liées à une modification des conditions climatiques, ces allégations ne sont rien d’autre que des affirmations gratuites. Quand aux fameux spéculateurs, ce sont pour l’essentiel des commerçants qui achètent des denrées alimentaires dans les pays où elles sont abondantes et relativement peu onéreuses, pour les revendre là où elles manquent cruellement et y sont donc plus chères ; ce qui a principalement pour effet, justement, d’éviter des famines.

C’est justement là que le bât blesse : les prix alimentaires sont un enjeu politique majeur dans de nombreux pays et l’intervention des états a déjà et à plusieurs reprises prouvé son extrême nocivité. En 2008, par exemple, l’interdiction d’exporter du riz prononcée par le gouvernement indien alors que le marché était déjà particulièrement tendu avait violemment accentué la hausse des cours et déclenché une famine au Bangladesh. Une étude récente publiée par deux chercheurs américains sur les marchés mondiaux de matières premières agricoles trouve que les coûts de transaction – transport et barrières douanières – sont proches de ceux associés à un équilibre autarcique. D’après leurs calculs, si tous les pays alignaient leurs barrières douanières sur les niveaux des pays les plus ouverts aux importations, les baisses de prix à la consommation pourraient atteindre 57 %. Jamais le commerce international de produits alimentaire n’a été aussi vital : fermer les frontières, dans un sens ou dans l’autre, permettrait peut-être à quelques pays de contenir provisoirement la hausse des cours, mais ce serait au prix de famines dramatiques ailleurs dans le monde.

Autre imbécillité, qui est pour le coup bel et bien liée au réchauffement climatique : les biocarburants en général et l’éthanol d’origine végétale en particulier. Pour rester dans l’exemple du maïs américain, sachez qu’en 2009, 35 % de la production étasunienne de maïs ont été utilisés pour produire de l’éthanol destiné à la production de biocarburant. En d’autres termes, la production d’éthanol subventionné a absorbée, à elle seule, pratiquement 90 % de l’augmentation de la production américaine des trente dernières années. En 2010, l’adoption du mélange E15 (15 % d’éthanol pour 85 % d’essence) par l’Environmental Protection Agency (EPA) a clairement démontré – s’il en était encore besoin – les effets dévastateurs de cette politique, en provoquant une hausse des cours du maïs de près de 80 %. Naturellement, cette flambée des prix incite les agriculteurs à planter du maïs à la place d’autres céréales – comme le blé – et entraîne, à son tour, le prix des autres denrées alimentaires de base à la hausse, sans parler des coûts de production des éleveurs bovins. Quand on sait, par ailleurs, que l’industrie des carburants à base d’éthanol n’est absolument pas viable sans subvention et procède à un lobbying éhonté pour s’attirer de nouvelles faveurs gouvernementales, on est légitimement fondé à demander à nos gouvernements d’arrêter de jouer avec la nourriture – surtout quand les voisins ont faim.

Vous avez entendu et entendrez encore des malthusiens vous expliquer que nous vivons dans un monde de ressources finies – ce qui est parfaitement exact – et que la croissance de la population mondiale provoquera inévitablement des pénuries à l’avenir. La meilleure réponse à cet argument m’a été soufflée par un spécialiste des marchés de matières premières : parier sur la hausse continue des cours ou la disparition des denrées alimentaires (ou du pétrole, de l’or, etc.), c’est parier contre l’ingéniosité humaine. Et ça, c’est un très mauvais pari. Nous pouvons faire face à ce défit et nourrir dans de bonnes conditions plus de 9 milliards de nos semblables et probablement même plus. C’est techniquement et physiquement possible, mais il faudra pour cela que nos gouvernements cessent une bonne foi pour toutes de s’occuper d’agriculture et de distribution alimentaire. Qu’ils s’intéressent, pour changer, à notre système judiciaire par exemple ! Et qu’ils laissent les marchés fonctionner correctement.

Laissez faire ! Morbleu ! Laissez faire !