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Un feu follet nommé Berthet

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Les bulles sont souvent tristes les nuits de Noël. Le cœur fragile d’un père, par exemple, se débat pour que le tic-tac ne s’arrête pas. Le 24 décembre 1983, c’est le scénariste Paul Gégauff qui s’en va, à couteaux tirés. Vingt ans plus tard, l’écrivain Frédéric Berthet s’écroule dans son appartement de la rue Tournefort, à bout de souffle, d’alcool.[access capability= »lire_inedits »]

L’époque ne goûtant guère la grâce fragile des feux follets, ils ne seront pas nombreux à saluer, d’un « Tchin… » plein de larmes, sa mémoire lunaire : Olivier Frébourg, Patrick Besson, Éric Neuhoff. Des amis qui, naturellement, trouvent leur place dans la correspondance de Berthet qu’éditent les Éditions de la Table Ronde, aux côtés de Philippe Sollers, Roland Barthes, Jean Echenoz, de quelques demoiselles et de Michel Déon.

Michel Déon, pour Berthet, fut ce que Chardonne a été pour Nimier : un aîné qui donne le tempo. A la différence de l’auteur de Claire et de Vivre à Madère, qui conseillait au « hussard » dix ans de silence, Déon incite par contre Berthet à aller au bout de ses idées: « Je crois aussi qu’il faut que vous vous preniez par la main et que vous travailliez. Les vieux dictons ont souvent raison : le travail, c’est la santé. Un écrivain (et vous en êtes un) est fait pour écrire. Sans cela, il n’est rien. Ne soyez pas rien. Ce serait vraiment dommage, à la fois pour vous-même et pour ceux qui ont foi en vous. Je sais que ce n’est pas facile, mais il y a une formidable ivresse quand on a réussi, quand on est venu à bout d’une page, de plusieurs pages. »

Une certaine fêlure

En 1978, Berthet semblait répondre par avance à Déon, posant les derniers mots de toutes ses esquisses : « Mais si un soir, prenant la plume, vous en venez à écrire une page qui ne s’adresse plus à personne, alors, dans ce vide succédant à l’absence, vous aurez une idée de ce qu’est un roman, même si vous n’en écrivez jamais. »

Dans les lettres qu’il poste des campagnes de France, de New York, de Malte ou d’autres contrées, Berthet promet beaucoup. Oui, il passe ses journées à écrire. Oui, il est heureux que le livre soit presque achevé. Oui, il relit l’ultime version de son chef-d’œuvre. Oui, Antoine Gallimard en aura pour son argent. Chacun des titres qu’il annonce donne envie : L’Homme de confiance, Trimb, Traité complet de pêche suivi de Le Tennis moderne en 5 leçons, En marche, ou un particulièrement excitant Tour du monde en 80 filles.

L’envie, justement : carburant de Berthet, mêlé à la fatigue qui saisit, parfois, les grands vivants. Longtemps, la quête de la blue note a été la plus forte. Puis le goulot d’une bouteille de gin, de vin ou de ouisquie a cogné les mots recueillis dans ses carnets – son Journal de trêve posthume – , dans ses nouvelles – Simple journée d’été, en 1986 – et dans son unique roman, Daimler s’en va, en 1988 et prix Roger-Nimier.

Un orfèvre de l’émotion

Daimler s’en va, à (re)découvrir aujourd’hui en format poche, raconte la vie, l’ennui, les petits plaisirs et la mort de Raphaël Daimler, dit « Raph ». Daimler ne va pas à la fiesta qu’organisent son ami Bonneval et sa petite amie Véro. Il envoie à Bonneval une longue lettre, bye bye rieur aux excès et aux éclats de rire. Daimler est un chic type. Il écrit, sous le pseudo de Martin Hawaï, les paroles d’Héroïque − « J’ai perdu mon lipstick / Ça me rend hystérique / J’peux pas rester statique / Va falloir que j’me pique » − qu’on imagine bien sur un Maxi 45 Tours d’Elli & Jacno. Il fume lentement des cigarettes et se souvient de son premier flirt. Il est amoureux des jeunes filles blondes courant dans les blés, ce qui lui permet d’oublier, champagne et psychanalyse aidant, une femme fatale enfuie dans de lointaines îles anglaises. Il envoie des télégrammes qui commencent par « Old sport », s’interroge sur le dandysme aussi. A Bonneval lisant Le Chasseur français, il lance des phrases du genre : « Charlie, le dandysme consiste à se placer du point de vue de la femme de ménage qui découvrira le cadavre, au matin. »

Daimler n’est donc pas un jeune homme triste. Daimler est juste fatigué, fenêtre ouverte sur l’amer et sur le sentiment de s’exprimer dans une langue étrangère. Daimler, avant le grand saut, se répète en boucle la mélancolique chute finale du recueil Paris-Berry : « Que de fois n’ai-je pas, dans ma vie, entendu l’expression : Mais tu ne te rends pas compte ! Il faut croire que non. Ou alors, pas des mêmes choses, peut-être ? » Daimler, héros aux fulgurances stylées, est le vieux frère de Frédéric Berthet.[/access]

Correspondances: (1973-2003)

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Daimler s'en va

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« Mitchum est mort » : ruée vers le nord!

L’action du film Robert Mitchum est mort[1. Robert Mitchum est mort, long-métrage de Fred Kihn et Olivier Babinet (sur les écrans depuis le 13 avril)], de Fred Kihn et Olivier Babinet se déroule quelque part après la mort de Robert Mitchum. Dans un monde triste, gris et désenchanté, dans lequel il est assez pénible de vivre. Arsène (Olivier Gourmet) est un ancien rocker de seconde-zone, vieillissant, rétro, anachronique, gavé de rockabilly, et passablement mythomane, qui tente de se reconvertir en agent d’acteurs. Il prend sous son aile fragile un jeune-homme mou et paumé, Franky Pastor (Pablo Nicomedes), qui rêve de devenir comédien. Franky est encore sous le coup d’un sérieux chagrin d’amour, et quand il re-joue ad libitum, le cœur gros, et dans sa chambre à coucher, une émouvante scène de mélo américain, Arsène a les larmes aux yeux. Ce dernier apprend que le réalisateur mythique du film qui obsède Franky participera bientôt à un festival de cinéma aux confins de la Finlande, et il décide d’y emmener son poulain. C’est là que les problèmes commencent…

Petites cylindrées et grands chevaux

Arsène revend sa guitare et quelques vinyles de collec’ pour financer cette épopée insensée vers un pôle arctique de fantasme où le soleil ne se couche jamais. Le western d’Arsène et Franky, biberonnés au rêve américain, n’est pas une course vers l’ouest, mais vers les glaces septentrionales. La première bagnole volée de ce road-movie halluciné, qu’Arsène choisit car elle est raccord avec la couleur de son costume, permet à la bande d’amorcer sa dérive. Première escale à Strasbourg, chez le frangin d’Arsène qui est un vieux rocker dégénéré coachant un orchestre de bal glorieux tout droit sorti des années 50. Ensuite direction la Finlande, via la Pologne. Des cylindrées il y en aura d’autres… En filigrane, Arsène – fonçant bille en tête vers son improbable désir de réussite – est un Dom Quichotte punk-rock sur son destrier peu fier, affrontant les hideux moulins à vent du monde réel… (Ces gens de cinéma qui ne veulent rien comprendre à la sensibilité de Franky ! Ces flics qui le harcèlent, alors qu’il ne cherche qu’à faire le bien, c’est-à-dire du cinéma…)

Cercle polaire et autres images pittoresques

C’est avec un évident sens poétique du décalage que Kihn et Babinet nous invitent à suivre leurs personnages. Les situations loufoques s’enchaînent, les apparitions solaires se succèdent (dont un mystérieux griot tendance psychobilly, de Strasbourg – Bakary Sangaré, de la Comédie Française s’il vous plait ! – voyageant clandestinement dans le coffre de la voiture et jouant d’un mystérieux instrument de musique au clair de lune…), et peu à peu s’illustre la philosophie minimaliste énoncée par Arsène-la-loose : « Faut faire avec ce qu’on a, même si on n’a pas grand-chose…»
Mitchum

L’intriguant titre de l’excellent premier long-métrage de Kihn et Babinet ne s’explique qu’à moitié par la citation de l’acteur américain qui est mise en exergue de leur film : « Un jour, j’ai vu les Aventures du chien Rintintin à Télévision. Et je me suis dit, si lui peut le faire, je peux le faire ». Si Mitchum peut le faire, pourquoi pas Franky ? Un Mitchum éternel qui a d’ailleurs joué son ultime rôle au milieu des années 90 dans un film de Jim Jarmusch (référence évidente de Kihn et Babinet, avec Aki Kaurismaki)… Pour qu’il puisse affronter la mort, les amis de Mitchum l’ont mis en bière – façon Egypte ancienne – avec des bouteilles de Scotch. Pour faire face à la vie Arsène se bourre de molécules diverses, antidépresseurs et excitants, qui altèrent peu à peu son état de conscience ; tandis que Franky, lui, se shoote allégrement à la rêverie poétique en regardant défiler les nuages qui surplombent la route. Franky parviendra t-il à rencontrer ce réalisateur américain mythique qui pourrait bien faire décoller sa carrière ? Arsène – au bout de sa dérive – parviendra t-il au nord magnétique de la gagne ? Arriveront-ils – au bout du monde – à métamorphoser leur attachante « déglingue » en cinéma ?
Les réalisateurs ont trouvé une sympathique formule pour qualifier l’univers de leur film : « mélancomique ». On ne saurait mieux dire.

Un nouveau cinéma américain ?

Cette année aux Oscars, trois cinéastes américains partageaient plus que des nominations. Christopher Nolan, Darren Aronofsky et David Fincher, nommés respectivement pour Inception, Black Swan et The Social Network, sont devenus en une quinzaine d’années les représentants quasi-officiels du renouveau hollywoodien.

Un nouveau style contre des studios finissants

Si la chose mérite d’être soulignée, c’est qu’il n’en a pas toujours été ainsi. D’une part parce qu’ils ont tous trois commencé à réaliser au relatif moment de grâce du cinéma américain indépendant, les années 1990, où il s’agissait d’imposer son propre style face aux studios finissants. D’autre part parce que le prestige dont ils sont aujourd’hui nimbés tranche avec la réception critique de leurs premiers films. En gros : Seven (de Fincher) est passé pour un bon film dans son genre, Pi (d’Aronofsky) pour un nouveau gadget paranoïaque et Following (de Nolan) comme un film potable de scénariste. Qu’a donc, pourtant, de si particulier cette nouvelle génération?

Les films dont nous parlons ont au moins en commun d’avoir été érigés très tôt en objets cultes par un jeune public cinéphile. Pas de politique des auteurs pour ces trois cinéastes : ce n’est pas dans les colonnes des revues, mais dans les forums du Web qu’ils ont d’abord été défendus. C’est que nous avons affaire, dès le départ, à des films reposant sur des concepts scénaristiques forts. Un mystère mathématique dans Pi, une réalité qui se décompose comme un puzzle dans The Game et une histoire qui commence par la fin et se termine par le début dans Memento.

C’est le reproche qui leur a souvent été adressé : trop de gadgets, trop de scénario, pas assez de cinéma. Un reproche parfois fondé, par exemple contre un film comme Requiem for a dream (Darren Aronofsky), tragédie sur la drogue, avec des effets visuels à gogo, qui suscita l’émoi de toute une génération de lycéennes filière L. Le poids du concept et la tentation de l’abstrait deviennent difficilement supportables dans The Fountain, le délire new age d’Aronofsky sur l’amour et la mort, avec Hugh Jackman et Rachel Weisz.

Une réalité hackée

Mais cette piste vers l’abstraction et la plasticité du monde connaît chez David Fincher et Christopher Nolan des bifurcations autrement plus intéressantes. Chez l’auteur de Fight Club, le monde ressemble à un système d’illusions qu’il s’agit d’infiltrer et de saboter. L’intérieur de la maison de Panic Room, film négligé de Fincher, est un monde virtuel minutieusement exploré par la caméra. Cet environnement en trompe-l’œil est le territoire d’un rapport de force : la réalité peut toujours être « hackée », détournée par une force incontrôlable. Un peu à l’image du jeune Mark Zuckerberg de The Social Network, qui parvient avec brio à pirater les codes aristocratiques et les usages élitistes d’Harvard pour les étendre littéralement au monde entier. Le modelage du monde est aussi un enjeu chez Nolan. Ses premiers personnages, de Memento à Insomnia, sont frappés d’impuissance dans leur relation à un environnement incertain et fragmentaire. A l’inverse, ses personnages les plus récents, comme le Batman de Dark Knight ou le Cobb d’Inception, connaissent le grand vertige de la maîtrise des choses et des êtres. Cette dualité n’est possible que dans un monde fait d’écrans et de morceaux de virtualité. Un monde qui ressemble assez au nôtre.

Le retour paradoxal du corps

Pour autant, il ne faudrait pas croire que la chair soit absente du cinéma de cette nouvelle génération. Les personnages existent, ils ont un corps essentiellement souffrant. Ils ont l’air, parfois, d’être les cobayes d’un savant fou. Le Benjamin Button du film de Fincher est un monstre qui porte dans la douleur l’hypothèse étrange présidant à sa destinée. Le corps est tout ce qui reste à Leonard, dans Memento, pour s’accrocher à la vie et retrouver l’assassin de sa femme : c’est sur sa peau qu’il note les indices, liste les faits, tatoue ses maximes. Mais c’est probablement Aronofsky qui est allé le plus loin dans ce sens avec The Wrestler. Jouant avec la souffrance véritable et la souffrance simulée, le corps et le spectacle du corps, le cinéaste a donné à la figure du freak une humanité inédite.

Avec Black Swan, Aronofsky a à nouveau perdu en consistance, faisant de son personnage de danseuse une psychologie vide, au corps purement théorique, manipulable à l’envi. De leur côté, David Fincher et Christopher Nolan ont réalisé, en 2010, des films synthétisant à merveille les enjeux esthétiques de cette nouvelle génération. Le premier en mettant en scène, avec The Social Network, un personnage à la fois singulier et symbolique de notre temps, le second en dissimulant dans une rêverie sur le rêve, Inception, une divagation sur le monde trouble et flottant que nous autres modernes sommes en train de nous construire. Chacun à leur manière, sur un mode inégal et hétérogène, ces trois cinéastes contribuent désormais au miroir inquiétant que l’industrie hollywoodienne sait parfois présenter au monde.

La culture sur des plateaux

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photo : Cuahchic

L’actualité culturelle et politique à la télé, c’est essentiellement sur le service public, et pour cause : la réflexion n’est pas la spécialité de la télé commerciale, qu’on dit pudiquement « privée » sans préciser de quoi. TF1 entretient pourtant une « exception culturelle » qui confirme ses règles : ça s’appelle « Au Field de la nuit » (gag !) et ça se trouve tous les lundis vers 1 heure du matin, à une heure où, de toute façon, les « beaufs » de Cabu, s’ils existent encore, ronflent.[access capability= »lire_inedits »]

Le Michel du titre sert-il donc d’alibi culturel à la chaîne des « cerveaux disponibles pour Coca-Cola » ? Peu lui chaut ! De toute façon, il a d’autres casquettes. Sur TF1, Field se contente de « faire le job » qui lui est demandé : celui de l’intello médiatique accueillant, comme dit son dossier de presse, « les auteurs et les artistes qui font l’actualité ».

Ça a l’air simple, comme ça, mais c’est un métier ! On n’a pas toujours la chance de tomber sur un Denis Jeambar recrachant de bonne grâce cinquante ans de rancœurs rentrées, avec ragots à la clé ; ni même sur un Philippe Besson qui n’en finit pas de faire son coming out romancé (ça reste tendance).

Entre Christine Angot et le McDo au Cantal, Michel Field assure

Il faut parfois se coltiner des Christine Angot, toujours au bord de la crise de nerfs sans que l’on comprenne bien pourquoi. Mais l’ami Field sait aussi comment gérer ce genre de clients délicats. Des relances polies, à la rigueur ; le droit de suite, jamais !

Ainsi la mère Angot peut-elle détailler sans être contredite – mais sans quitter pour autant son air de bête traquée − l’épastrouillant secret de ses vraies-fausses autofictions : c’est compliqué, tout simplement ! « Mon  » Je », ce n’est pas moi : c’est un personnage qui est construit, et c’est beaucoup de travail. » Les autres romanciers devraient en prendre de la graine… Seule la publicité ose interrompre Christine − pour vanter les mérites d’un opérateur téléphonique, d’un jeu vidéo ou du McDo « au Cantal » − sans qu’elle moufte : faut ce qu’il faut !

En fait de débat culturel nocturne, le pendant de Michel Field sur TF1, c’est Philippe Lefait sur France 2. Ça s’appelle « Des Mots de minuit » et, croyez-m’en, les seules blagues sont dans le titre : « Des mots » pour « démons » (j’ai mis un an à comprendre), et « minuit » pour 1h30 (au mieux). A part ça, rien que du sérieux ! Pas de pub, bien sûr – et pourtant, c’est déjà le matin… Pas non plus de gens censés « faire l’actualité » ; rien que des amis choisis, que Philippe reçoit dans une pénombre feutrée : un écrivain kurde anti-kurde, une chorégraphe de la compagnie « Par terre » (sic), un combo chilien anti-Pinochet au chômage technique depuis vingt ans…

Philippe Lefait reçoit tard dans la nuit, mais pas vous !

Entre ces gens de bonne compagnie, jamais un éclat de voix, ni de rire, ne vient troubler les monologues croisés. Chacun se sent chez lui, sauf peut-être nous… A chaque fois qu’il m’est arrivé – par hasard, je le reconnais − de tomber sur cette émission, Philippe faisait ses yeux sérieux par-dessus ses lunettes, et je l’ai pris pour moi : ayant vaguement l’impression de déranger, je suis reparti sur la pointe de la zapette. Après réflexion, il me semble que cette « cérémonie secrète » mériterait d’être rebaptisée : je suggère « Le Cercle des téléspectateurs disparus ».

Voilà en tout cas un titre que l’on n’oserait pas proposer à Yves Calvi, dont l’ego télévisuel se satisfait à peine d’une quotidienne et d’une hebdo. Sur France 5, c’est tous les jours à 17h45 (avec rediff’ à 22h45 pour les fans). Ça s’appelle « C dans l’air », et j’ai toujours pas saisi le jeu de mots ; l’essentiel, c’est que Calvi s’y épanouit dans le genre qu’il affectionne : celui d’éditorialiste déguisé en intervieweur. Cet homme-là a tout compris et il aimerait bien nous en faire profiter, dans la mesure de nos moyens.

Yves Calvi, l’intervieweur qui fait aussi les réponses

Il faut le voir faire la leçon à ses invités, et jouer avec eux comme un gamin avec des marionnettes : et que je vous lance l’un contre l’autre, et que je fais les deux voix si je veux ! A la limite, avec son talent, Yves pourrait se passer d’autres intervenants.

Tel n’est pas le cas sur France 2, le lundi à 22 heures. Dans ce « créneau exposé », comme on dit, les invités sont forcément des poids lourds. Du coup, l’ami Calvi est contraint de brider ses dons pour le one-man-show. Ça s’appelle « Mots croisés » et là, au moins, on comprend la blague ; quant à Yves, il a compris le principe, et se contente modestement de passer les plats…

L’autre semaine, par exemple, il était entouré de deux ministres, dont un ancien, d’un philosophe − « nouveau » −, d’un écrivain en vue et d’un chercheur. Autant de gens qu’il ne faut pas interrompre à tout bout de champ, même sous prétexte de les aider à terminer leurs phrases.

Dans un registre moins « sérieux », comme disent les drôles, il y a Guillaume Durand ; dans notre univers de certitudes impensées, le moindre de ses charmes n’est pas de sembler découvrir ses idées au fur et à mesure qu’il les formule, entre deux « Comment dirais-je… ».

Guillaume Durand, un concept aux reflets auburn

Après avoir cherché pendant vingt-cinq ans, de Berlusconi à « Nulle part ailleurs », la place de son transat’ au soleil de la télé, Durand a fini par poser son ULM à France 2. Pour autant, il ne semble pas avoir encore trouvé son terrain, entre culture lyophilisée et scandales formatés. Mais l’essentiel de Guillaume est ailleurs : dans ses nuances auburn, sa gouaille gavrochienne et même ses fautes de français (Quand on aime, on ne compte pas !).

Cette saison, il anime, le mercredi à 22h50, « Conversations inédites face aux Français ». N’allez pas chercher le gag dans le titre, il est dans le concept : deux personnalités qui n’ont rien à se dire le disent tour à tour, face à un « panel » de Français dont personne n’écoute les questions – sans même parler d’y répondre.
Heureusement, il y a Frédéric Bonnaud, un « Monsieur Éthique » qui sait en toutes circonstances traduire les doléances du panel, incarner le Camp du Bien et dénoncer les « dérapages » avant même qu’ils se soient produits.

Faut-il parler de la « Semaine critique ! » de Franz-Olivier Giesbert ? (France 2, vendredi, 23 heures). Oui, ne serait-ce que pour en saluer le titre : ici, le double sens est si fin qu’il tient tout entier dans un point d’exclamation ! Mais avec FOG, l’écueil (et non pas l’écureuil) serait sans doute de prendre son magazine plus au sérieux que lui-même, qui a un peu souvent l’air de s’en foutre.
Dans sa façon de conduire sa Petite Bande, comme dirait Sigiswald Kuijken, il ressemble de plus en plus à ce qu’il est : un chef d’orchestre star, à l’abondante chevelure négligemment soignée, que toutes les partitions amusent parce que plus rien ne l’abuse.

FOG, ou l’indifférentisme télégénique

Dans sa fosse, chaque semaine : quatre solistes réputés, qui jouent volontiers leur partition sous ses compliments généreusement distribués ; quatre critiques censés pointer leurs fausses notes, mais souvent trop occupés à en faire d’autres entre eux. Et puis, à la bombarde, Nicolas Bedos qui, à force d’en rajouter dans la cacophonie, semble bien avoir inventé un créneau : l’arrivisme punk.

Si vraiment un tel créneau existe, tant mieux pour lui et pour nous ! Contrairement au prévisible Guillon, Bedos se comporte comme un bouffon digne de ce nom : parmi les quatre « rois » qu’intronise FOG chaque semaine, Nicolas en laisse toujours au moins un à poil − et généralement pas le moindre.

Vous me direz : « Tout ça n’est guère sérieux ! », et je vous répondrai du tac au tac : « Mais c’est de la télé ! » Et même encore là, je serai injuste. Par exemple « Ce soir (ou jamais !) », ça passe bien à la télé et, pourtant, ça a un sens (même le titre …).

Enfin, bon, il faudra bientôt en parler au passé : à la rentrée, l’émission quotidienne de Frédéric Taddeï et de sa bande deviendra hebdomadaire. C’est l’idée de Pierre Sled, que je croyais footballeur et qui, paraît-il, est directeur des programmes de France 3.

Dommage parce que, chaque soir, du lundi au jeudi, « CSOJ » nous proposait un truc « nouveau et intéressant », comme disait Bizot : un plateau télé où tout le monde parlait de tout avec tout le monde d’une manière civilisée : une controverse polie entre gens qui, en d’autres temps ou en d’autres lieux, auraient dû s’étriper.

Taddeï, ou l’intelligence rétrogradée

Que diable le service public peut-il bien reprocher à cette émission ? Une audience insuffisante ? Mais ça se saurait, depuis cinq ans ! Son « usure », alors ? Mais qu’est-ce qui s’use moins vite qu’une formule permettant d’inviter, chaque saison, des centaines de personnalités souvent inconnues du grand public ? À moins que ce ne soit là, justement, le problème : donner la parole à tous ces gens sous prétexte qu’ils ont quelque chose à dire, ça a peut-être fini par agacer beaucoup de monde…

Il y a vingt-cinq ans, notre intelligentsia s’était mobilisée pour défendre « Droit de réponse », pétaudière millimétrée par Polac pour assouvir les fantasmes les plus vains de la gauche d’époque. Rien de tel aujourd’hui pour défendre Taddeï, qui d’ailleurs n’en demande pas tant. Au contraire, on l’attaque…

La dernière manifestation en date d’antitaddéisme primaire, on la doit à Laurent Joffrin. Depuis trois décennies maintenant, cet éternel adulescent n’en finit pas de promener sa grande conscience, telle un toutou virtuel, de Libé en Nouvel Obs et retour.

Le mois dernier, il a quand même trouvé le temps de visionner un « CSOJ » consacré à Marine Le Pen, et d’y poser son diagnostic. Tardif peut-être, mais sans appel : décidément ce Taddeï-là serait un crypto-facho, capable d’organiser froidement « une opération de propagande lepéniste au cœur de la télévision publique »[1. NouvelObs.com, 11 mars 2011]. Il veut la place, ou quoi ?

Sans en venir à une telle extrémité, on peut s’interroger sur l’urgence qu’il y avait à fermer cette fenêtre quotidienne de réflexion sur l’actualité. Pour la remplacer par quoi ? Enquêtes criminelles, saison 13 ? « Mireille Dumas, la quotidienne » ? Ou une rediff’ avancée de Plus belle la vie ?

Pierre Sled jugera.[/access]

Le capitaliste est écologiste par nature

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photo : Karl Marx, par Dunechaser

Dans le livre III du Capital, Karl Marx décrit pourquoi le capitaliste est « un fanatique de l’économie des moyens de production » et comment il cherche par tous les moyens à perfectionner ses méthodes de travail de manière à ce qu’elles consomment le moins possible de ressources rares et organise de lui-même le recyclage des déchets afin d’éviter les gaspillages. C’est ainsi, selon Marx, que le capitaliste satisfait « son besoin d’économiser les éléments de production »[1. Karl Marx, Le Capital, Livre III, chapitre V, section 1]. Economiser les ressources et recycler les déchets : je ne sais pas pour vous mais ça ressemble à de l’écologie pur sucre. Ce que Karl Marx himself nous explique c’est donc que la recherche du profit devrait pousser les industriels à se comporter de manière éco-responsable.

Evidemment, je ne devrai pas avoir trop de mal à illustrer l’idée selon laquelle les entreprises privées sont naturellement incitées à économiser les ressources – produire beaucoup avec peu ; c’est le b.a.-ba de la recherche de profits. Mais il est en revanche utile d’illustrer les conséquences que peut avoir cette obsession des économies. Prenez l’état des forêts par exemple : l’ennemi naturel (si j’ose dire) des forêts et de la biodiversité qu’elles abritent c’est bien évidemment l’agriculture. Eh bien imaginez-vous qu’en cinquante ans, les progrès technologiques motivés par la volonté d’économiser les terres agricoles – et donc de maximiser les profits – ont permis d’économiser cette ressource rare à hauteur de 68% : en 1960, pour produire 100 boisseaux de maïs, un agriculteur étasunien devait exploiter de 1.88 acres de terres agricoles contre 0.61 acres en 2010 [2. Données de l’« United States Department of Agriculture » (USDA)]. Le résultat de ce « fanatisme de l’économie des moyens de production », c’est que les forêts étasuniennes ont progressé de 769 millions d’hectares rien qu’au cours des vingt dernières années (+0.3%) et que les forêts françaises sont aujourd’hui plus étendues qu’au début de la révolution industrielle (15.9 millions d’hectares contre 11 millions en 1950 et 9 millions au XIXème siècle). Notez au passage que l’excellent état de notre parc forestier n’est pas étranger au fait que les trois-quarts de nos forêts sont privées. Bien sûr, la déforestation existe, mais elle a essentiellement lieu en Amérique du Sud : au Brésil (qui a perdu 1.1% de sa surface forestière depuis 1990) mais aussi au Venezuela (-1.2%), en Bolivie (-1%) ou en Argentine (-1.8%) tandis qu’étrangement, les deux pays notoirement capitalistes de la région (le Chili et l’Uruguay) sont aussi les deux seuls à voir leurs forêts progresser [3. FAO, « Situations des forêts du monde 2011 »]. On a donc bien recherche de profit, économie des ressources et – in fine – des forêts qui ne s’en portent que mieux. Un point pour Marx.

La valorisation des déchets : une idée capitaliste qu’on a recyclée

Marx a également vu juste sur le recyclage. Par exemple, l’explosion de la production de cuivre à l’échelle mondiale a laissé sur les bras des industriels des quantités astronomiques d’un sous-produit de l’exploitation minière – le molybdène – qui n’avait jusqu’alors pas beaucoup d’autres applications que celle curiosité de laboratoire. Devinez ce qu’il advint du molybdène : on lui trouva rapidement toute une série d’applications très pratiques – alliages avec l’acier, catalyseur… – de telle sorte qu’aujourd’hui les mines de cuivre arrondissent largement leurs fins de mois en revendant cet ex-déchet pour quelque chose de l’ordre de $37 le kilo. En se donnant la peine de détailler les processus des industriels, on découvre une multitude d’autres exemples analogues : les « cendres volantes », résidus de la combustion du charbon qui était autrefois rejeté dans l’atmosphère, ont depuis trouvé une application rentable dans la production de béton et les drêches de distillerie, elles, servent aujourd’hui à nourrir le bétail. Le recyclage a été inventé par des industriels à la recherche de débouchés pour leurs déchets bien avant que les premiers écologistes voient le jour. Ce qui nous fait donc un deuxième point pour Marx.

Rajoutez à cela les considérations écologiques des consommateurs qui, par le jeu de la concurrence entre marques, ont poussé les industriels à adapter non seulement leurs produits – les voitures américaines modernes consomment 60% de moins qu’en 1973 – mais aussi leurs processus de production et vous admettrez avec moi que l’ami Karl mérite un troisième point. En revanche, vous m’accorderez aussi que le procès instruit par les marxistes modernes et autres partisans de la décroissance planifiée qui n’ont de cesse d’expliquer que le capitalisme pille les ressources de la planète et déverse ses tombereaux de déchets industriels aux quatre coins du monde est pour le moins un peu hâtif.

D’autant plus qu’en matière de pailles et de poutres, les bougres s’y entendent : nos partisans de la planification écologique arriveraient presque à nous faire croire qu’une économie socialiste est par nature respectueuse de l’environnement et donc supérieure – de ce point de vue – à une économie de marché. On nous présente, par exemple, la catastrophe de Fukushima comme un produit typique du « capitalisme mondialisé » en oubliant non seulement que celle de Tchernobyl n’a pas exactement eu lieu dans une économie ultralibérale mais surtout que si la première est la conséquence d’un séisme d’une ampleur exceptionnelle, la seconde était le bien le fruit d’erreurs humaines, de défauts de conceptions et surtout d’une cascade de mauvais choix bureaucratiques pas tout à fait sans rapports avec le régime politique local.

On pourrait aussi aligner les exemples des succès écologiques des économies planifiées – c’est sans doute la recherche de toujours plus de profits qui a présidé à l’assèchement de la mer d’Aral – mais les chiffres de l’économiste Mikhail Bernstam cités par Cécile Philippe [4. Cécile Philippe, docteur en économie, directrice de l’Institut économique Molinari et auteur de « C’est trop tard pour la terre » (éd. Jean-Claude Lattès) à qui cet article doit plus que beaucoup] devraient permettre de remettre quelques pendules à l’heure : «Il observe qu’en 1987 l’émission de polluants industriels et domestiques dans l’air était cinq fois plus élevée en URSS qu’aux Etats-Unis, malgré un PIB deux fois plus faible. Parallèlement, l’emploi des ressources polluantes s’intensifiait à l’Est et se réduisait à l’Ouest. Par exemple, de 1980 à 1986, l’auteur souligne que l’énergie nécessaire pour générer 1$ de PIB diminuait de 14% aux Etats-Unis et en France alors qu’elle augmentait de 14% en URSS, de 21% en Bulgarie et de 67% en ex-RDA. En 1986, les économies socialistes étaient, à production égale, deux à trois fois plus polluantes que les économies de marché. »

Evidemment, de là à dire que nous vivons dans un monde parfaitement respectueux de l’environnement, il y a un pas de géant que seul un imbécile franchirait. Mais les solutions – les vraies, les bonnes et les durables – sont à chercher dans le cadre d’une économie de marché et pas dans les délires totalitaires des nostalgiques staliniens et autres décroissants.

Vittorio Arrigoni : Vie et mort d’un pacifiste à Gaza

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Il s’appelait Vittorio Arrigoni, il avait 36 ans et était italien. Son corps sans vie vient d’être découvert dans une maison proche de Gaza, où il vivait depuis 2008. Sur place, il soutenait les activités de l’ONG à laquelle il appartenait, l’International Solidarity Movement qui se definit ainsi sur son site : « l’ISM est une organisation non gouvernementale palestinienne
militant pour la fin de l’occupation sioniste en Palestine. »

A son propos, la presse française, recopiant les dépêches d’agences, le qualifie de « militant pacifiste ». On ne fera pas insulte à sa mémoire et ses engagements (en le qualifiant plutôt, et sans polémique, d’ardent antisioniste). C’est d’ailleurs à ce titre qu’il était amené à collaborer avec les autorités locales des islamistes du Hamas mais peut-être le vocabulaire en vigueur voudrait-il qu’on parlât des « pacifistes » du Hamas.

Cette collaboration n’était pas du goût d’une des nombreux factions salafistes qui font de la surenchère sur le Hamas. C’est ainsi qu’un groupe se nommant « Monothéisme et Guerre sainte » a kidnappé « Vik », publié sur Youtube une vidéo le montrant entravé, les yeux bandés, et le visage ensanglanté. « Monothéisme et Guerre sainte » exigeait la libération de ses militants emprisonnés à Gaza en échange de l’otage. Lequel sera finalement assassiné plusieurs heures avant la fin de l’ultimatum.

A Gaza, on trouve toujours plus pacifiste que soi

Voyage au pays de la Droite populaire

photo : michael clarke

Ils sont nés d’une défaite, celle de l’UMP aux élections régionales de 2010 : ils pourraient bien prospérer sur la rude présidentielle annoncée pour Nicolas Sarkozy. Les 60 députés de la Droite populaire, collectif créé par Thierry Mariani et Lionnel Luca, poursuivent un objectif en apparence simple : « Revenir aux fondamentaux du sarkozysme 2007 et faire barrage au Front national. » À en croire les résultats des cantonales, la deuxième partie du programme semble bien mal embringuée. À tel point que certaines mauvaises langues, à droite, considèrent que la Droite populaire avance masquée et qu’elle est en fait le chaînon manquant entre une UMP affaiblie et un Front national normalisé en vue d’une alliance indispensable à la droite pour se maintenir au pouvoir après 2012.[access capability= »lire_inedits »]

Le pas pourrait être vite franchi, poursuivent ces méchants camarades, brandissant à l’appui de leur pronostic l’épouvantail Christian Vanneste. Le député du Nord s’est en effet toujours montré hostile au « cordon sanitaire » censé isoler l’extrême droite depuis les années 1980. À l’automne 2010, il s’était prononcé sans chichis pour une alliance avec le FN aux législatives de 2012. Ce qui lui a valu une menace d’exclusion de l’UMP. Certains de ses collègues députés considèrent qu’il est « presque plus à droite que Marine Le Pen ».

Lui en rigole et m’explique très placidement que son seul but est de « restaurer le versant droit de l’UMP, ce qu’était le RPR autrefois. C’est en laissant cet espace vide qu’on a permis la progression du FN. » La droite populaire, poursuit-il, n’est ni un chaînon manquant, ni une passerelle en construction : « On est là pour proposer des idées au Président de la République quand on le rencontre. Par exemple, les jurys populaires, ça vient de chez nous. »

«Entre la gauche bien-pensante et l’extrême droite montante»

Pour une partie des élus qui en sont membres, la Droite populaire doit, en vue de la présidentielle, se structurer en vrai courant dans l’UMP, au-delà du simple club de parlementaires. « Si on est malins, on réussira à imposer nos thématiques pour 2012 », glisse un député. Car l’ennemi, en ces temps difficiles pour la droite, ce n’est ni la gauche, ni le Front. L’ennemi, c’est Borloo et son « idéologie centriste », tranche Vanneste : « Le Parti radical est dépourvu d’idées, il ne fait que de la tactique. Y a-t-il plus éloigné du gaullisme que ça ? »

Lionnel Luca, député des Alpes-Maritimes, enfonce le même clou. Il y a un mois, il dénonçait le recul du Président qui avait accepté, sous la pression des centristes, de retirer de la loi « Loopsi 2 » l’article sur la déchéance de nationalité. « Pour moi, c’est le mardi noir de la majorité présidentielle, explique-t-il. Une décision pareille, ça nous flingue dans notre électorat, qui nous reproche de ne pas tenir notre ligne. » Borloo et ses « rêveries de démocrate-chrétien centriste », selon un autre membre de la Droite populaire, sont presque plus un sujet d’angoisse que la « Peste blonde ». « L’idéologie centriste va nous coincer en tenailles entre une gauche bien-pensante et l’extrême droite montante », conclut Vanneste.

« Ces gens-là pensent que tout est perdu, alors ils font sécession sans oser en prononcer le nom », balance un député droito-populiste. Du coup, chez Borloo, on hésite entre le fatalisme − « On ne s’est jamais vraiment aimés », avoue un borlooïste − et le roulage de mécaniques – « Ils sentent bien qu’on représente quelque chose, sinon pourquoi s’en prendraient-ils à nous ? » La coexistence pacifique entre ces deux chapelles de la droite a clairement du plomb dans l’aile. D’ailleurs, Borloo a déjà annoncé que les radicaux quitteront l’UMP en avril. « Franchement, on respirera mieux dehors qu’avec ces types qui voient des islamistes partout et ne pensent la France et la politique qu’en termes de conflit », poursuit un député radical.

Ligne droite et de droite

Lionnel Luca entend assumer ce conflit et considère que c’est en traçant cette ligne droite et de droite que l’on neutralisera le danger frontiste pour Sarkozy : « Regardez dans mon département, les Alpes-Maritimes, gros scores du FN mais pas un élu. Parce que nous sommes réactifs avec les gens modestes. » C’est d’ailleurs ce qui rassemble les députés de la Droite populaire ; ils ont tous eu ou ont toujours de gros problèmes avec le Front dans leurs circonscriptions : Vanneste dans le Nord, Mariani dans le Vaucluse, Luca dans les Alpes-Maritimes,ou même François Vannson dans les Vosges. « Ce n’est pas la fascination de l’extrême droite qui les rassemble, explique un député du Sud de la France. Certains, comme Mariani, ont ou ont eu des ennemis et concurrents directs au Front, comme Jacques Bompard. D’autres manifestent une forme de fidélité brutale au gaullisme, au RPR dur. Dire qu’ils sont le chaînon manquant vers le FN est un peu léger. »

Un peu léger, mais quand même : faisons donc un peu de politique-fiction. Il est difficile d’imaginer que Marine Le Pen se contentera très longtemps de cartonner dans les urnes sans jamais guigner de fauteuils. On peut même penser que, contrairement à son père, elle veut exercer le pouvoir. Quand on lui parle d’alliance avec l’UMP ou tout autre parti de droite, elle ricane. Pour combien de temps ?

À l’UMP, on s’offusque : « Ceux qui nous font passer pour le point de ralliement cherchent à nous discréditer », s’énerve Lionnel Luca. Voire. Après le pavé dans la mare – à moins que ce ne fût un ballon d’essai − de Vanneste à l’automne, certains observent avec attention l’Italie, où le MSI, ex-néofasciste, s’est mué en parti de gouvernement respectable et respecté, ou bien l’Espagne et son Parti populaire. Dans ces expériences, l’extrême droite, recouverte de peinture fraîche, a toute sa place. On imagine ainsi des « alliances géographiques ». « Il faut combiner idéologie et géographie, explique un député de la Droite populaire qui préfère rester anonyme, et pour cause. Les positions radicales n’intéressent pas l’Ouest catholique de la France, c’est un fait. Mais dans le Nord ou le Sud, il faut imaginer travailler à des alliances géographiques. » Avec un Front qui ne serait plus vraiment le Front. C’est-à-dire celui de Marine, non ?

Avant d’arriver à ce futur pas si lointain, la Droite populaire doit gagner dans l’esprit de Sarkozy et imposer ses thèmes pour la campagne. Éviter « l’ouverture à la gauche caviar has been », l’installation dans la vie politique de « starlettes façon Rama Yade », voire la centrisation du discours de campagne 2012. Ses élus vont aller se faire entendre à l’Élysée, à l’UMP, multiplier les tribunes, les colloques pour dire qu’ils sont LA droite. « Dans ce pays, la droite est considérée comme fréquentable si elle est de gauche. Nous, nous ne souffrons pas de la culpabilité traditionnelle de la droite », argumente Lionnel Luca. Reste à savoir si ses troupes apprécieront la blague qui court à l’Assemblée, qualifiant la « Droite pop » d’« UMP bleu Marine »…[/access]

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La prostitution viole t-elle la constitution ?

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Jacques et Bernard viennent tous les deux de fêter leurs soixante-deux ans. Ils ne se connaissent pas. Entre eux, quelques points communs et quelques différences.
Jacques et Bernard sont mariés tous les deux depuis une grosse trentaine d’années. Leurs épouses, sexagénaires elles aussi, ne pratiquent plus beaucoup la bagatelle. La première, parce que c’est Jacques qui ne la touche plus depuis une douzaine d’années, la seconde, parce qu’elle se refuse à Bernard depuis cinq ou six ans estimant, à tort, avoir dépassé la date de péremption.

Jacques vit à Paris pour son travail la semaine et rentre chaque fin de semaine dans sa bourgade provinciale. Bernard, en revanche, retraité après avoir passé la case pré-retraite, vit dans un pavillon de banlieue dans le Val d’Oise.

Jacques a un secret. Depuis quinze ans, il mène une double vie. Successivement, Tatiana, Corinne et Ursula, étudiantes en… sciences humaines, ont partagé avec lui les quatre soirées et nuits qu’il passe chaque semaine dans la capitale. Avec Ursula, vingt-et-un ans, cela dure depuis trois ans. Il lui paye un appartement. Il lui donne aussi de l’argent de poche, beaucoup d’argent de poche. Accessoirement, son titre de séjour est renouvelé sans aucun problème grâce aux excellentes relations de Jacques. Ursula n’est pas une ingrate. Si elle a des petits amis pendant les absences de son bienfaiteur en fin de semaine, elle fait preuve d’une grande énergie, d’une énorme générosité et d’une certaine imagination dans des longues séances que le cœur de Jacques arrive encore à supporter.

Bernard, chaque jeudi après-midi, part en RER vers la capitale. Depuis de longues années, il voit Géraldine. Géraldine a trente-huit ans et elle est divorcée. Elle a un boulot à mi-temps de caissière dans une superette du Val de Marne, insuffisant pour faire vivre ses quatre enfants. Alors, avec son vieux monospace d’occasion, dont elle rabat les sièges deux fois par semaine, elle voit quelques habitués au bois de Boulogne. Bernard en fait partie. Elle leur prend entre cinquante et deux cents euros selon les cas. Elle fixe le prix en fonction du dégoût que lui inspire le monsieur et, bien entendu, des prestations gratifiées.

Jacques, en fait, est député. Et je me pose une question. Fait-il partie de la commission qui préconise de transformer Bernard en délinquant parce qu’il va voir Géraldine chaque jeudi ? Votera t-il cette loi de pénalisation des clients de prostituées sans s’interroger sur la nature de sa relation avec Ursula ?

Evidemment, Jacques et Bernard constituent des personnages totalement fictifs. Mais ils permettent tout de même de se poser de bonnes questions. De très bonnes questions.

Guerre en Libye, guéguerre à l’Otan

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photo : Algaddafi International Prize for human rights

Un mois après le vote de la résolution 1973 par le Conseil de sécurité de l’ONU, quatre semaines après le début de la campagne militaire en Libye qui s’en est ensuivie, Mouammar Kadhafi est toujours à Tripoli, Ajdabiya continue à passer alternativement du contrôle des insurgés à celui des forces du régime et une grosse moitié du pays reste toujours sous contrôle des forces fidèles au pouvoir. En revanche, et ce n’est pas un succès négligeable, les rebelles tiennent toujours Benghazi. Quoi qu’on pense de cette guerre, il faut rappeler qu’il y a un mois, cette ville, devenue capitale symbolique de l’insurrection, était à deux doigts de tomber entre les mains des kadhafistes.

Que penser de ce bilan ? Est-il décevant ? Satisfaisant ? Ça dépend pour qui : les pays engagés dans cette guerre ne sont pas tous d’accord sur les buts qu’ils poursuivent. La France et la Grande-Bretagne ont clairement pour objectif la chute de Kadhafi et, soyons fous, l’instauration d’un régime démocratique, tandis que nombre d’Etats arabes et africains entendent bien se contenter d’un service minimum. La crainte d’être tenus pour responsables de la chute de Benghazi et des éventuels massacres qui y auraient été perpétrés, conformément à ce que le « Guide » avait claironné, par ses forces armées, a poussé les plus réticents à sauter le pas. Arrachée in extremis pour éviter une catastrophe annoncée, la résolution 1973 était donc le fruit d’un compromis, obtenu, comme souvent, grâce à l’ambiguïté volontaire du texte. Le problème, c’est que le consensus des premiers jours ayant volé en éclats, cette ambiguïté apparaît au grand jour. Reste à savoir au détriment desquels de ses membres la Coalition en sortira.

Dans un premier temps, forte de l’aval de l’ONU obtenu par l’activisme de son président et de ses diplomates, la France a pris la tête des opérations et, en accord avec les Britanniques, elle a donné à la résolution onusienne l’interprétation la plus large possible : dans cette perspective, mener à bien la mission définie par l’ONU, à savoir la protection des populations civiles, suppose de faire tomber Kadhafi et d’aider les rebelles à prendre le pouvoir. Même ce qui semblait clair comme l’eau de roche – « No boots on the ground », pas de troupes au sol – semble sujet à débat : il semble que, pour certains, cela n’interdise pas forcément des opérations commandos

Autant dire que la belle unanimité humanitaire des premiers jours a cédé la place à une lutte feutrée mais au couteau dont l’enjeu, au-delà des opérations militaires en Libye, est l’interprétation de la résolution 1973. Soyons clairs : les franco-britanniques ont perdu la partie. Leurs adversaires, Turquie en tête, avançaient masqués. Avant le vote, ils ont multiplié les manœuvres de couloirs pour torpiller les efforts diplomatiques de la France. Paris a gagné, et les Turcs ont eu l’intelligence de monter à bord, ce qui leur permet de dire leur mot sur la trajectoire – et sur le choix du commandant.

C’est ainsi qu’a démarré la querelle sur le rôle de l’OTAN. Londres et Paris tenaient à garder la main afin de faire prévaloir leur lecture de la résolution 1973. Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan, plutôt réticent au départ a, au contraire, pesé de tout son poids pour que la Coalition du 19 mars passe le relais à l’OTAN quand il a compris que c’était la meilleure manière de mettre en échec Paris et Londres. Avec le soutien de Washington, Ankara a fini par l’emporter et l’OTAN a pris le contrôle des opérations. Depuis, comme le souhaitaient les Turcs, l’opération a peu à peu perdu ses airs de guerre juste, voire justicière, pour s’enliser dans une quasi routine – quittant par là-même la « une » des JT. C’est que, au sein de l’OTAN dont elle est membre, la Turquie a habilement joué pour faire endosser par les stratèges de Bruxelles (siège de l’OTAN) l’interprétation la plus minimaliste de la résolution 1973.

Il est vrai que les Turcs doivent actuellement jouer une partie délicate. Pour eux – comme pour pas mal d’autres dirigeants dans la région – le merveilleux printemps arabe va trop loin. Applaudir le départ de Ben Ali, souhaiter celui de Moubarak et pointer du doigt les Occidentaux hésitants et embarrassés était à la fois facile et amusant. Cela ne menaçait pas leurs intérêts mais cela pouvait les servir : à Ankara on ne regrette ni l’affaiblissement de l’Egypte ni l’embarras d’Israël. Dans ces conditions, proclamer son amour des droits de l’homme ne mangeait pas de pain. Sauf que quand la tourmente atteint la Syrie, autrement dit l’arrière-cour de la Turquie, l’affaire se complique. S’agissant d’un voisin, la stabilité est aussi précieuse, sinon plus, que les libertés civiles. Et le même raisonnement s’applique à la Libye. Comme quoi la realpolitik n’est pas l’apanage des méchants Occidentaux.

Après avoir reçu du Frère Guide himself – et pas plus tard qu’en décembre dernier – le « Prix Kadhafi des droits de l’homme », Erdogan a dû être un peu gêné de voir s’effondrer la respectabilité – très relative il est vrai – de son ami Kadhafi. Peu importait au Premier ministre turc que les Kurdes rient, même jaune, de ses envolées lyriques sur le droit du peuple palestinien. Mais quand les habitants de Benghazi se demandent pourquoi ils n’ont pas droit à la même compassion que ceux de Gaza, il commence à transpirer. S’il était français, Erdogan serait sans doute aujourd’hui à Saint-Jean-de-Luz en train de rédiger ses mémoires.

Avec la Libye, la rhétorique de la liberté des peuples qu’affectionne Erdogan a montré ses limites : les investissements turcs mais aussi le grand nombre de travailleurs émigrés au pays de Kadhafi rappellent ce champion des Droits de l’homme aux pénibles réalités stratégiques. Comme Sarkozy et comme Obama dont il se moquait volontiers il y a quelques mois, le Premier ministre turc doit procéder à des arbitrages déprimants entre valeurs et intérêts. Et il serait fort surprenant qu’il sacrifie ceux-ci à celles-là.

Le résultat, c’est que la Turquie joue les trouble-fête, empêchant la France et la Grande-Bretagne de mobiliser l’OTAN pour mener à bien leur politique qui, juste ou non, avait au moins le mérite de la cohérence. Au point que tout le monde finit par se demander ce que font nos avions au-dessus du désert libyen. Certes, ils assurent la sanctuarisation de Benghazi et la pérennisation des institutions créées par les rebelles. And so what ? À l’évidence, les insurgés sont incapables de prendre Tripoli. Et l’OTAN ne le fera pas pour eux. Dans ces conditions, l’opération « Aube de l’Odyssée » a toutes les chances d’aboutir, non pas à l’avenir radieux rêvé dans l’euphorie des premiers jours, mais à la partition de la Libye en deux Etats. Reste à espérer que l’un d’eux sera vaguement démocratique.

Testez votre PC

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Un instant, une terrible angoisse m’a étreint en consultant le site du Parisien Libéré qui s’ouvrait sur une bannière publicitaire ressemblant à un vrai titre et que j’ai crue m’être personnellement adressé : « Un PC peut accumuler des centaines d’erreurs cachées chaque mois : celles-ci peuvent ralentir votre système. Testez votre PC ».

Où allait se nicher l’anticommunisme, tout de même ! Des centaines d’erreurs cachées chaque mois, c’était très exagéré. Quelques unes, comme la parenthèse huiste et la participation au gouvernement Jospin, d’accord, mais elles n’étaient pas cachées. Elles s’étaient même sérieusement vues dans les résultats électoraux de cette période. Puis j’ai réalisé que je faisais ma Nadine Morano et que je confondais, non pas un chanteur et une marque automobile, mais un ordinateur et une glorieuse organisation.

En plus, cela aurait été injuste, cette histoire d’erreur : le jour même, le groupe communiste, Parti de gauche et Verts de l’assemblée nationale venait de virer Gremetz après sa brillante prestation il y a quelques semaines lors d’un débat en commission sur le nucléaire.

Un feu follet nommé Berthet

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Les bulles sont souvent tristes les nuits de Noël. Le cœur fragile d’un père, par exemple, se débat pour que le tic-tac ne s’arrête pas. Le 24 décembre 1983, c’est le scénariste Paul Gégauff qui s’en va, à couteaux tirés. Vingt ans plus tard, l’écrivain Frédéric Berthet s’écroule dans son appartement de la rue Tournefort, à bout de souffle, d’alcool.[access capability= »lire_inedits »]

L’époque ne goûtant guère la grâce fragile des feux follets, ils ne seront pas nombreux à saluer, d’un « Tchin… » plein de larmes, sa mémoire lunaire : Olivier Frébourg, Patrick Besson, Éric Neuhoff. Des amis qui, naturellement, trouvent leur place dans la correspondance de Berthet qu’éditent les Éditions de la Table Ronde, aux côtés de Philippe Sollers, Roland Barthes, Jean Echenoz, de quelques demoiselles et de Michel Déon.

Michel Déon, pour Berthet, fut ce que Chardonne a été pour Nimier : un aîné qui donne le tempo. A la différence de l’auteur de Claire et de Vivre à Madère, qui conseillait au « hussard » dix ans de silence, Déon incite par contre Berthet à aller au bout de ses idées: « Je crois aussi qu’il faut que vous vous preniez par la main et que vous travailliez. Les vieux dictons ont souvent raison : le travail, c’est la santé. Un écrivain (et vous en êtes un) est fait pour écrire. Sans cela, il n’est rien. Ne soyez pas rien. Ce serait vraiment dommage, à la fois pour vous-même et pour ceux qui ont foi en vous. Je sais que ce n’est pas facile, mais il y a une formidable ivresse quand on a réussi, quand on est venu à bout d’une page, de plusieurs pages. »

Une certaine fêlure

En 1978, Berthet semblait répondre par avance à Déon, posant les derniers mots de toutes ses esquisses : « Mais si un soir, prenant la plume, vous en venez à écrire une page qui ne s’adresse plus à personne, alors, dans ce vide succédant à l’absence, vous aurez une idée de ce qu’est un roman, même si vous n’en écrivez jamais. »

Dans les lettres qu’il poste des campagnes de France, de New York, de Malte ou d’autres contrées, Berthet promet beaucoup. Oui, il passe ses journées à écrire. Oui, il est heureux que le livre soit presque achevé. Oui, il relit l’ultime version de son chef-d’œuvre. Oui, Antoine Gallimard en aura pour son argent. Chacun des titres qu’il annonce donne envie : L’Homme de confiance, Trimb, Traité complet de pêche suivi de Le Tennis moderne en 5 leçons, En marche, ou un particulièrement excitant Tour du monde en 80 filles.

L’envie, justement : carburant de Berthet, mêlé à la fatigue qui saisit, parfois, les grands vivants. Longtemps, la quête de la blue note a été la plus forte. Puis le goulot d’une bouteille de gin, de vin ou de ouisquie a cogné les mots recueillis dans ses carnets – son Journal de trêve posthume – , dans ses nouvelles – Simple journée d’été, en 1986 – et dans son unique roman, Daimler s’en va, en 1988 et prix Roger-Nimier.

Un orfèvre de l’émotion

Daimler s’en va, à (re)découvrir aujourd’hui en format poche, raconte la vie, l’ennui, les petits plaisirs et la mort de Raphaël Daimler, dit « Raph ». Daimler ne va pas à la fiesta qu’organisent son ami Bonneval et sa petite amie Véro. Il envoie à Bonneval une longue lettre, bye bye rieur aux excès et aux éclats de rire. Daimler est un chic type. Il écrit, sous le pseudo de Martin Hawaï, les paroles d’Héroïque − « J’ai perdu mon lipstick / Ça me rend hystérique / J’peux pas rester statique / Va falloir que j’me pique » − qu’on imagine bien sur un Maxi 45 Tours d’Elli & Jacno. Il fume lentement des cigarettes et se souvient de son premier flirt. Il est amoureux des jeunes filles blondes courant dans les blés, ce qui lui permet d’oublier, champagne et psychanalyse aidant, une femme fatale enfuie dans de lointaines îles anglaises. Il envoie des télégrammes qui commencent par « Old sport », s’interroge sur le dandysme aussi. A Bonneval lisant Le Chasseur français, il lance des phrases du genre : « Charlie, le dandysme consiste à se placer du point de vue de la femme de ménage qui découvrira le cadavre, au matin. »

Daimler n’est donc pas un jeune homme triste. Daimler est juste fatigué, fenêtre ouverte sur l’amer et sur le sentiment de s’exprimer dans une langue étrangère. Daimler, avant le grand saut, se répète en boucle la mélancolique chute finale du recueil Paris-Berry : « Que de fois n’ai-je pas, dans ma vie, entendu l’expression : Mais tu ne te rends pas compte ! Il faut croire que non. Ou alors, pas des mêmes choses, peut-être ? » Daimler, héros aux fulgurances stylées, est le vieux frère de Frédéric Berthet.[/access]

Correspondances: (1973-2003)

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Daimler s'en va

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« Mitchum est mort » : ruée vers le nord!

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L’action du film Robert Mitchum est mort[1. Robert Mitchum est mort, long-métrage de Fred Kihn et Olivier Babinet (sur les écrans depuis le 13 avril)], de Fred Kihn et Olivier Babinet se déroule quelque part après la mort de Robert Mitchum. Dans un monde triste, gris et désenchanté, dans lequel il est assez pénible de vivre. Arsène (Olivier Gourmet) est un ancien rocker de seconde-zone, vieillissant, rétro, anachronique, gavé de rockabilly, et passablement mythomane, qui tente de se reconvertir en agent d’acteurs. Il prend sous son aile fragile un jeune-homme mou et paumé, Franky Pastor (Pablo Nicomedes), qui rêve de devenir comédien. Franky est encore sous le coup d’un sérieux chagrin d’amour, et quand il re-joue ad libitum, le cœur gros, et dans sa chambre à coucher, une émouvante scène de mélo américain, Arsène a les larmes aux yeux. Ce dernier apprend que le réalisateur mythique du film qui obsède Franky participera bientôt à un festival de cinéma aux confins de la Finlande, et il décide d’y emmener son poulain. C’est là que les problèmes commencent…

Petites cylindrées et grands chevaux

Arsène revend sa guitare et quelques vinyles de collec’ pour financer cette épopée insensée vers un pôle arctique de fantasme où le soleil ne se couche jamais. Le western d’Arsène et Franky, biberonnés au rêve américain, n’est pas une course vers l’ouest, mais vers les glaces septentrionales. La première bagnole volée de ce road-movie halluciné, qu’Arsène choisit car elle est raccord avec la couleur de son costume, permet à la bande d’amorcer sa dérive. Première escale à Strasbourg, chez le frangin d’Arsène qui est un vieux rocker dégénéré coachant un orchestre de bal glorieux tout droit sorti des années 50. Ensuite direction la Finlande, via la Pologne. Des cylindrées il y en aura d’autres… En filigrane, Arsène – fonçant bille en tête vers son improbable désir de réussite – est un Dom Quichotte punk-rock sur son destrier peu fier, affrontant les hideux moulins à vent du monde réel… (Ces gens de cinéma qui ne veulent rien comprendre à la sensibilité de Franky ! Ces flics qui le harcèlent, alors qu’il ne cherche qu’à faire le bien, c’est-à-dire du cinéma…)

Cercle polaire et autres images pittoresques

C’est avec un évident sens poétique du décalage que Kihn et Babinet nous invitent à suivre leurs personnages. Les situations loufoques s’enchaînent, les apparitions solaires se succèdent (dont un mystérieux griot tendance psychobilly, de Strasbourg – Bakary Sangaré, de la Comédie Française s’il vous plait ! – voyageant clandestinement dans le coffre de la voiture et jouant d’un mystérieux instrument de musique au clair de lune…), et peu à peu s’illustre la philosophie minimaliste énoncée par Arsène-la-loose : « Faut faire avec ce qu’on a, même si on n’a pas grand-chose…»
Mitchum

L’intriguant titre de l’excellent premier long-métrage de Kihn et Babinet ne s’explique qu’à moitié par la citation de l’acteur américain qui est mise en exergue de leur film : « Un jour, j’ai vu les Aventures du chien Rintintin à Télévision. Et je me suis dit, si lui peut le faire, je peux le faire ». Si Mitchum peut le faire, pourquoi pas Franky ? Un Mitchum éternel qui a d’ailleurs joué son ultime rôle au milieu des années 90 dans un film de Jim Jarmusch (référence évidente de Kihn et Babinet, avec Aki Kaurismaki)… Pour qu’il puisse affronter la mort, les amis de Mitchum l’ont mis en bière – façon Egypte ancienne – avec des bouteilles de Scotch. Pour faire face à la vie Arsène se bourre de molécules diverses, antidépresseurs et excitants, qui altèrent peu à peu son état de conscience ; tandis que Franky, lui, se shoote allégrement à la rêverie poétique en regardant défiler les nuages qui surplombent la route. Franky parviendra t-il à rencontrer ce réalisateur américain mythique qui pourrait bien faire décoller sa carrière ? Arsène – au bout de sa dérive – parviendra t-il au nord magnétique de la gagne ? Arriveront-ils – au bout du monde – à métamorphoser leur attachante « déglingue » en cinéma ?
Les réalisateurs ont trouvé une sympathique formule pour qualifier l’univers de leur film : « mélancomique ». On ne saurait mieux dire.

Un nouveau cinéma américain ?

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Cette année aux Oscars, trois cinéastes américains partageaient plus que des nominations. Christopher Nolan, Darren Aronofsky et David Fincher, nommés respectivement pour Inception, Black Swan et The Social Network, sont devenus en une quinzaine d’années les représentants quasi-officiels du renouveau hollywoodien.

Un nouveau style contre des studios finissants

Si la chose mérite d’être soulignée, c’est qu’il n’en a pas toujours été ainsi. D’une part parce qu’ils ont tous trois commencé à réaliser au relatif moment de grâce du cinéma américain indépendant, les années 1990, où il s’agissait d’imposer son propre style face aux studios finissants. D’autre part parce que le prestige dont ils sont aujourd’hui nimbés tranche avec la réception critique de leurs premiers films. En gros : Seven (de Fincher) est passé pour un bon film dans son genre, Pi (d’Aronofsky) pour un nouveau gadget paranoïaque et Following (de Nolan) comme un film potable de scénariste. Qu’a donc, pourtant, de si particulier cette nouvelle génération?

Les films dont nous parlons ont au moins en commun d’avoir été érigés très tôt en objets cultes par un jeune public cinéphile. Pas de politique des auteurs pour ces trois cinéastes : ce n’est pas dans les colonnes des revues, mais dans les forums du Web qu’ils ont d’abord été défendus. C’est que nous avons affaire, dès le départ, à des films reposant sur des concepts scénaristiques forts. Un mystère mathématique dans Pi, une réalité qui se décompose comme un puzzle dans The Game et une histoire qui commence par la fin et se termine par le début dans Memento.

C’est le reproche qui leur a souvent été adressé : trop de gadgets, trop de scénario, pas assez de cinéma. Un reproche parfois fondé, par exemple contre un film comme Requiem for a dream (Darren Aronofsky), tragédie sur la drogue, avec des effets visuels à gogo, qui suscita l’émoi de toute une génération de lycéennes filière L. Le poids du concept et la tentation de l’abstrait deviennent difficilement supportables dans The Fountain, le délire new age d’Aronofsky sur l’amour et la mort, avec Hugh Jackman et Rachel Weisz.

Une réalité hackée

Mais cette piste vers l’abstraction et la plasticité du monde connaît chez David Fincher et Christopher Nolan des bifurcations autrement plus intéressantes. Chez l’auteur de Fight Club, le monde ressemble à un système d’illusions qu’il s’agit d’infiltrer et de saboter. L’intérieur de la maison de Panic Room, film négligé de Fincher, est un monde virtuel minutieusement exploré par la caméra. Cet environnement en trompe-l’œil est le territoire d’un rapport de force : la réalité peut toujours être « hackée », détournée par une force incontrôlable. Un peu à l’image du jeune Mark Zuckerberg de The Social Network, qui parvient avec brio à pirater les codes aristocratiques et les usages élitistes d’Harvard pour les étendre littéralement au monde entier. Le modelage du monde est aussi un enjeu chez Nolan. Ses premiers personnages, de Memento à Insomnia, sont frappés d’impuissance dans leur relation à un environnement incertain et fragmentaire. A l’inverse, ses personnages les plus récents, comme le Batman de Dark Knight ou le Cobb d’Inception, connaissent le grand vertige de la maîtrise des choses et des êtres. Cette dualité n’est possible que dans un monde fait d’écrans et de morceaux de virtualité. Un monde qui ressemble assez au nôtre.

Le retour paradoxal du corps

Pour autant, il ne faudrait pas croire que la chair soit absente du cinéma de cette nouvelle génération. Les personnages existent, ils ont un corps essentiellement souffrant. Ils ont l’air, parfois, d’être les cobayes d’un savant fou. Le Benjamin Button du film de Fincher est un monstre qui porte dans la douleur l’hypothèse étrange présidant à sa destinée. Le corps est tout ce qui reste à Leonard, dans Memento, pour s’accrocher à la vie et retrouver l’assassin de sa femme : c’est sur sa peau qu’il note les indices, liste les faits, tatoue ses maximes. Mais c’est probablement Aronofsky qui est allé le plus loin dans ce sens avec The Wrestler. Jouant avec la souffrance véritable et la souffrance simulée, le corps et le spectacle du corps, le cinéaste a donné à la figure du freak une humanité inédite.

Avec Black Swan, Aronofsky a à nouveau perdu en consistance, faisant de son personnage de danseuse une psychologie vide, au corps purement théorique, manipulable à l’envi. De leur côté, David Fincher et Christopher Nolan ont réalisé, en 2010, des films synthétisant à merveille les enjeux esthétiques de cette nouvelle génération. Le premier en mettant en scène, avec The Social Network, un personnage à la fois singulier et symbolique de notre temps, le second en dissimulant dans une rêverie sur le rêve, Inception, une divagation sur le monde trouble et flottant que nous autres modernes sommes en train de nous construire. Chacun à leur manière, sur un mode inégal et hétérogène, ces trois cinéastes contribuent désormais au miroir inquiétant que l’industrie hollywoodienne sait parfois présenter au monde.

La culture sur des plateaux

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photo : Cuahchic

L’actualité culturelle et politique à la télé, c’est essentiellement sur le service public, et pour cause : la réflexion n’est pas la spécialité de la télé commerciale, qu’on dit pudiquement « privée » sans préciser de quoi. TF1 entretient pourtant une « exception culturelle » qui confirme ses règles : ça s’appelle « Au Field de la nuit » (gag !) et ça se trouve tous les lundis vers 1 heure du matin, à une heure où, de toute façon, les « beaufs » de Cabu, s’ils existent encore, ronflent.[access capability= »lire_inedits »]

Le Michel du titre sert-il donc d’alibi culturel à la chaîne des « cerveaux disponibles pour Coca-Cola » ? Peu lui chaut ! De toute façon, il a d’autres casquettes. Sur TF1, Field se contente de « faire le job » qui lui est demandé : celui de l’intello médiatique accueillant, comme dit son dossier de presse, « les auteurs et les artistes qui font l’actualité ».

Ça a l’air simple, comme ça, mais c’est un métier ! On n’a pas toujours la chance de tomber sur un Denis Jeambar recrachant de bonne grâce cinquante ans de rancœurs rentrées, avec ragots à la clé ; ni même sur un Philippe Besson qui n’en finit pas de faire son coming out romancé (ça reste tendance).

Entre Christine Angot et le McDo au Cantal, Michel Field assure

Il faut parfois se coltiner des Christine Angot, toujours au bord de la crise de nerfs sans que l’on comprenne bien pourquoi. Mais l’ami Field sait aussi comment gérer ce genre de clients délicats. Des relances polies, à la rigueur ; le droit de suite, jamais !

Ainsi la mère Angot peut-elle détailler sans être contredite – mais sans quitter pour autant son air de bête traquée − l’épastrouillant secret de ses vraies-fausses autofictions : c’est compliqué, tout simplement ! « Mon  » Je », ce n’est pas moi : c’est un personnage qui est construit, et c’est beaucoup de travail. » Les autres romanciers devraient en prendre de la graine… Seule la publicité ose interrompre Christine − pour vanter les mérites d’un opérateur téléphonique, d’un jeu vidéo ou du McDo « au Cantal » − sans qu’elle moufte : faut ce qu’il faut !

En fait de débat culturel nocturne, le pendant de Michel Field sur TF1, c’est Philippe Lefait sur France 2. Ça s’appelle « Des Mots de minuit » et, croyez-m’en, les seules blagues sont dans le titre : « Des mots » pour « démons » (j’ai mis un an à comprendre), et « minuit » pour 1h30 (au mieux). A part ça, rien que du sérieux ! Pas de pub, bien sûr – et pourtant, c’est déjà le matin… Pas non plus de gens censés « faire l’actualité » ; rien que des amis choisis, que Philippe reçoit dans une pénombre feutrée : un écrivain kurde anti-kurde, une chorégraphe de la compagnie « Par terre » (sic), un combo chilien anti-Pinochet au chômage technique depuis vingt ans…

Philippe Lefait reçoit tard dans la nuit, mais pas vous !

Entre ces gens de bonne compagnie, jamais un éclat de voix, ni de rire, ne vient troubler les monologues croisés. Chacun se sent chez lui, sauf peut-être nous… A chaque fois qu’il m’est arrivé – par hasard, je le reconnais − de tomber sur cette émission, Philippe faisait ses yeux sérieux par-dessus ses lunettes, et je l’ai pris pour moi : ayant vaguement l’impression de déranger, je suis reparti sur la pointe de la zapette. Après réflexion, il me semble que cette « cérémonie secrète » mériterait d’être rebaptisée : je suggère « Le Cercle des téléspectateurs disparus ».

Voilà en tout cas un titre que l’on n’oserait pas proposer à Yves Calvi, dont l’ego télévisuel se satisfait à peine d’une quotidienne et d’une hebdo. Sur France 5, c’est tous les jours à 17h45 (avec rediff’ à 22h45 pour les fans). Ça s’appelle « C dans l’air », et j’ai toujours pas saisi le jeu de mots ; l’essentiel, c’est que Calvi s’y épanouit dans le genre qu’il affectionne : celui d’éditorialiste déguisé en intervieweur. Cet homme-là a tout compris et il aimerait bien nous en faire profiter, dans la mesure de nos moyens.

Yves Calvi, l’intervieweur qui fait aussi les réponses

Il faut le voir faire la leçon à ses invités, et jouer avec eux comme un gamin avec des marionnettes : et que je vous lance l’un contre l’autre, et que je fais les deux voix si je veux ! A la limite, avec son talent, Yves pourrait se passer d’autres intervenants.

Tel n’est pas le cas sur France 2, le lundi à 22 heures. Dans ce « créneau exposé », comme on dit, les invités sont forcément des poids lourds. Du coup, l’ami Calvi est contraint de brider ses dons pour le one-man-show. Ça s’appelle « Mots croisés » et là, au moins, on comprend la blague ; quant à Yves, il a compris le principe, et se contente modestement de passer les plats…

L’autre semaine, par exemple, il était entouré de deux ministres, dont un ancien, d’un philosophe − « nouveau » −, d’un écrivain en vue et d’un chercheur. Autant de gens qu’il ne faut pas interrompre à tout bout de champ, même sous prétexte de les aider à terminer leurs phrases.

Dans un registre moins « sérieux », comme disent les drôles, il y a Guillaume Durand ; dans notre univers de certitudes impensées, le moindre de ses charmes n’est pas de sembler découvrir ses idées au fur et à mesure qu’il les formule, entre deux « Comment dirais-je… ».

Guillaume Durand, un concept aux reflets auburn

Après avoir cherché pendant vingt-cinq ans, de Berlusconi à « Nulle part ailleurs », la place de son transat’ au soleil de la télé, Durand a fini par poser son ULM à France 2. Pour autant, il ne semble pas avoir encore trouvé son terrain, entre culture lyophilisée et scandales formatés. Mais l’essentiel de Guillaume est ailleurs : dans ses nuances auburn, sa gouaille gavrochienne et même ses fautes de français (Quand on aime, on ne compte pas !).

Cette saison, il anime, le mercredi à 22h50, « Conversations inédites face aux Français ». N’allez pas chercher le gag dans le titre, il est dans le concept : deux personnalités qui n’ont rien à se dire le disent tour à tour, face à un « panel » de Français dont personne n’écoute les questions – sans même parler d’y répondre.
Heureusement, il y a Frédéric Bonnaud, un « Monsieur Éthique » qui sait en toutes circonstances traduire les doléances du panel, incarner le Camp du Bien et dénoncer les « dérapages » avant même qu’ils se soient produits.

Faut-il parler de la « Semaine critique ! » de Franz-Olivier Giesbert ? (France 2, vendredi, 23 heures). Oui, ne serait-ce que pour en saluer le titre : ici, le double sens est si fin qu’il tient tout entier dans un point d’exclamation ! Mais avec FOG, l’écueil (et non pas l’écureuil) serait sans doute de prendre son magazine plus au sérieux que lui-même, qui a un peu souvent l’air de s’en foutre.
Dans sa façon de conduire sa Petite Bande, comme dirait Sigiswald Kuijken, il ressemble de plus en plus à ce qu’il est : un chef d’orchestre star, à l’abondante chevelure négligemment soignée, que toutes les partitions amusent parce que plus rien ne l’abuse.

FOG, ou l’indifférentisme télégénique

Dans sa fosse, chaque semaine : quatre solistes réputés, qui jouent volontiers leur partition sous ses compliments généreusement distribués ; quatre critiques censés pointer leurs fausses notes, mais souvent trop occupés à en faire d’autres entre eux. Et puis, à la bombarde, Nicolas Bedos qui, à force d’en rajouter dans la cacophonie, semble bien avoir inventé un créneau : l’arrivisme punk.

Si vraiment un tel créneau existe, tant mieux pour lui et pour nous ! Contrairement au prévisible Guillon, Bedos se comporte comme un bouffon digne de ce nom : parmi les quatre « rois » qu’intronise FOG chaque semaine, Nicolas en laisse toujours au moins un à poil − et généralement pas le moindre.

Vous me direz : « Tout ça n’est guère sérieux ! », et je vous répondrai du tac au tac : « Mais c’est de la télé ! » Et même encore là, je serai injuste. Par exemple « Ce soir (ou jamais !) », ça passe bien à la télé et, pourtant, ça a un sens (même le titre …).

Enfin, bon, il faudra bientôt en parler au passé : à la rentrée, l’émission quotidienne de Frédéric Taddeï et de sa bande deviendra hebdomadaire. C’est l’idée de Pierre Sled, que je croyais footballeur et qui, paraît-il, est directeur des programmes de France 3.

Dommage parce que, chaque soir, du lundi au jeudi, « CSOJ » nous proposait un truc « nouveau et intéressant », comme disait Bizot : un plateau télé où tout le monde parlait de tout avec tout le monde d’une manière civilisée : une controverse polie entre gens qui, en d’autres temps ou en d’autres lieux, auraient dû s’étriper.

Taddeï, ou l’intelligence rétrogradée

Que diable le service public peut-il bien reprocher à cette émission ? Une audience insuffisante ? Mais ça se saurait, depuis cinq ans ! Son « usure », alors ? Mais qu’est-ce qui s’use moins vite qu’une formule permettant d’inviter, chaque saison, des centaines de personnalités souvent inconnues du grand public ? À moins que ce ne soit là, justement, le problème : donner la parole à tous ces gens sous prétexte qu’ils ont quelque chose à dire, ça a peut-être fini par agacer beaucoup de monde…

Il y a vingt-cinq ans, notre intelligentsia s’était mobilisée pour défendre « Droit de réponse », pétaudière millimétrée par Polac pour assouvir les fantasmes les plus vains de la gauche d’époque. Rien de tel aujourd’hui pour défendre Taddeï, qui d’ailleurs n’en demande pas tant. Au contraire, on l’attaque…

La dernière manifestation en date d’antitaddéisme primaire, on la doit à Laurent Joffrin. Depuis trois décennies maintenant, cet éternel adulescent n’en finit pas de promener sa grande conscience, telle un toutou virtuel, de Libé en Nouvel Obs et retour.

Le mois dernier, il a quand même trouvé le temps de visionner un « CSOJ » consacré à Marine Le Pen, et d’y poser son diagnostic. Tardif peut-être, mais sans appel : décidément ce Taddeï-là serait un crypto-facho, capable d’organiser froidement « une opération de propagande lepéniste au cœur de la télévision publique »[1. NouvelObs.com, 11 mars 2011]. Il veut la place, ou quoi ?

Sans en venir à une telle extrémité, on peut s’interroger sur l’urgence qu’il y avait à fermer cette fenêtre quotidienne de réflexion sur l’actualité. Pour la remplacer par quoi ? Enquêtes criminelles, saison 13 ? « Mireille Dumas, la quotidienne » ? Ou une rediff’ avancée de Plus belle la vie ?

Pierre Sled jugera.[/access]

Le capitaliste est écologiste par nature

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photo : Karl Marx, par Dunechaser

Dans le livre III du Capital, Karl Marx décrit pourquoi le capitaliste est « un fanatique de l’économie des moyens de production » et comment il cherche par tous les moyens à perfectionner ses méthodes de travail de manière à ce qu’elles consomment le moins possible de ressources rares et organise de lui-même le recyclage des déchets afin d’éviter les gaspillages. C’est ainsi, selon Marx, que le capitaliste satisfait « son besoin d’économiser les éléments de production »[1. Karl Marx, Le Capital, Livre III, chapitre V, section 1]. Economiser les ressources et recycler les déchets : je ne sais pas pour vous mais ça ressemble à de l’écologie pur sucre. Ce que Karl Marx himself nous explique c’est donc que la recherche du profit devrait pousser les industriels à se comporter de manière éco-responsable.

Evidemment, je ne devrai pas avoir trop de mal à illustrer l’idée selon laquelle les entreprises privées sont naturellement incitées à économiser les ressources – produire beaucoup avec peu ; c’est le b.a.-ba de la recherche de profits. Mais il est en revanche utile d’illustrer les conséquences que peut avoir cette obsession des économies. Prenez l’état des forêts par exemple : l’ennemi naturel (si j’ose dire) des forêts et de la biodiversité qu’elles abritent c’est bien évidemment l’agriculture. Eh bien imaginez-vous qu’en cinquante ans, les progrès technologiques motivés par la volonté d’économiser les terres agricoles – et donc de maximiser les profits – ont permis d’économiser cette ressource rare à hauteur de 68% : en 1960, pour produire 100 boisseaux de maïs, un agriculteur étasunien devait exploiter de 1.88 acres de terres agricoles contre 0.61 acres en 2010 [2. Données de l’« United States Department of Agriculture » (USDA)]. Le résultat de ce « fanatisme de l’économie des moyens de production », c’est que les forêts étasuniennes ont progressé de 769 millions d’hectares rien qu’au cours des vingt dernières années (+0.3%) et que les forêts françaises sont aujourd’hui plus étendues qu’au début de la révolution industrielle (15.9 millions d’hectares contre 11 millions en 1950 et 9 millions au XIXème siècle). Notez au passage que l’excellent état de notre parc forestier n’est pas étranger au fait que les trois-quarts de nos forêts sont privées. Bien sûr, la déforestation existe, mais elle a essentiellement lieu en Amérique du Sud : au Brésil (qui a perdu 1.1% de sa surface forestière depuis 1990) mais aussi au Venezuela (-1.2%), en Bolivie (-1%) ou en Argentine (-1.8%) tandis qu’étrangement, les deux pays notoirement capitalistes de la région (le Chili et l’Uruguay) sont aussi les deux seuls à voir leurs forêts progresser [3. FAO, « Situations des forêts du monde 2011 »]. On a donc bien recherche de profit, économie des ressources et – in fine – des forêts qui ne s’en portent que mieux. Un point pour Marx.

La valorisation des déchets : une idée capitaliste qu’on a recyclée

Marx a également vu juste sur le recyclage. Par exemple, l’explosion de la production de cuivre à l’échelle mondiale a laissé sur les bras des industriels des quantités astronomiques d’un sous-produit de l’exploitation minière – le molybdène – qui n’avait jusqu’alors pas beaucoup d’autres applications que celle curiosité de laboratoire. Devinez ce qu’il advint du molybdène : on lui trouva rapidement toute une série d’applications très pratiques – alliages avec l’acier, catalyseur… – de telle sorte qu’aujourd’hui les mines de cuivre arrondissent largement leurs fins de mois en revendant cet ex-déchet pour quelque chose de l’ordre de $37 le kilo. En se donnant la peine de détailler les processus des industriels, on découvre une multitude d’autres exemples analogues : les « cendres volantes », résidus de la combustion du charbon qui était autrefois rejeté dans l’atmosphère, ont depuis trouvé une application rentable dans la production de béton et les drêches de distillerie, elles, servent aujourd’hui à nourrir le bétail. Le recyclage a été inventé par des industriels à la recherche de débouchés pour leurs déchets bien avant que les premiers écologistes voient le jour. Ce qui nous fait donc un deuxième point pour Marx.

Rajoutez à cela les considérations écologiques des consommateurs qui, par le jeu de la concurrence entre marques, ont poussé les industriels à adapter non seulement leurs produits – les voitures américaines modernes consomment 60% de moins qu’en 1973 – mais aussi leurs processus de production et vous admettrez avec moi que l’ami Karl mérite un troisième point. En revanche, vous m’accorderez aussi que le procès instruit par les marxistes modernes et autres partisans de la décroissance planifiée qui n’ont de cesse d’expliquer que le capitalisme pille les ressources de la planète et déverse ses tombereaux de déchets industriels aux quatre coins du monde est pour le moins un peu hâtif.

D’autant plus qu’en matière de pailles et de poutres, les bougres s’y entendent : nos partisans de la planification écologique arriveraient presque à nous faire croire qu’une économie socialiste est par nature respectueuse de l’environnement et donc supérieure – de ce point de vue – à une économie de marché. On nous présente, par exemple, la catastrophe de Fukushima comme un produit typique du « capitalisme mondialisé » en oubliant non seulement que celle de Tchernobyl n’a pas exactement eu lieu dans une économie ultralibérale mais surtout que si la première est la conséquence d’un séisme d’une ampleur exceptionnelle, la seconde était le bien le fruit d’erreurs humaines, de défauts de conceptions et surtout d’une cascade de mauvais choix bureaucratiques pas tout à fait sans rapports avec le régime politique local.

On pourrait aussi aligner les exemples des succès écologiques des économies planifiées – c’est sans doute la recherche de toujours plus de profits qui a présidé à l’assèchement de la mer d’Aral – mais les chiffres de l’économiste Mikhail Bernstam cités par Cécile Philippe [4. Cécile Philippe, docteur en économie, directrice de l’Institut économique Molinari et auteur de « C’est trop tard pour la terre » (éd. Jean-Claude Lattès) à qui cet article doit plus que beaucoup] devraient permettre de remettre quelques pendules à l’heure : «Il observe qu’en 1987 l’émission de polluants industriels et domestiques dans l’air était cinq fois plus élevée en URSS qu’aux Etats-Unis, malgré un PIB deux fois plus faible. Parallèlement, l’emploi des ressources polluantes s’intensifiait à l’Est et se réduisait à l’Ouest. Par exemple, de 1980 à 1986, l’auteur souligne que l’énergie nécessaire pour générer 1$ de PIB diminuait de 14% aux Etats-Unis et en France alors qu’elle augmentait de 14% en URSS, de 21% en Bulgarie et de 67% en ex-RDA. En 1986, les économies socialistes étaient, à production égale, deux à trois fois plus polluantes que les économies de marché. »

Evidemment, de là à dire que nous vivons dans un monde parfaitement respectueux de l’environnement, il y a un pas de géant que seul un imbécile franchirait. Mais les solutions – les vraies, les bonnes et les durables – sont à chercher dans le cadre d’une économie de marché et pas dans les délires totalitaires des nostalgiques staliniens et autres décroissants.

Vittorio Arrigoni : Vie et mort d’un pacifiste à Gaza

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Il s’appelait Vittorio Arrigoni, il avait 36 ans et était italien. Son corps sans vie vient d’être découvert dans une maison proche de Gaza, où il vivait depuis 2008. Sur place, il soutenait les activités de l’ONG à laquelle il appartenait, l’International Solidarity Movement qui se definit ainsi sur son site : « l’ISM est une organisation non gouvernementale palestinienne
militant pour la fin de l’occupation sioniste en Palestine. »

A son propos, la presse française, recopiant les dépêches d’agences, le qualifie de « militant pacifiste ». On ne fera pas insulte à sa mémoire et ses engagements (en le qualifiant plutôt, et sans polémique, d’ardent antisioniste). C’est d’ailleurs à ce titre qu’il était amené à collaborer avec les autorités locales des islamistes du Hamas mais peut-être le vocabulaire en vigueur voudrait-il qu’on parlât des « pacifistes » du Hamas.

Cette collaboration n’était pas du goût d’une des nombreux factions salafistes qui font de la surenchère sur le Hamas. C’est ainsi qu’un groupe se nommant « Monothéisme et Guerre sainte » a kidnappé « Vik », publié sur Youtube une vidéo le montrant entravé, les yeux bandés, et le visage ensanglanté. « Monothéisme et Guerre sainte » exigeait la libération de ses militants emprisonnés à Gaza en échange de l’otage. Lequel sera finalement assassiné plusieurs heures avant la fin de l’ultimatum.

A Gaza, on trouve toujours plus pacifiste que soi

Voyage au pays de la Droite populaire

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photo : michael clarke

Ils sont nés d’une défaite, celle de l’UMP aux élections régionales de 2010 : ils pourraient bien prospérer sur la rude présidentielle annoncée pour Nicolas Sarkozy. Les 60 députés de la Droite populaire, collectif créé par Thierry Mariani et Lionnel Luca, poursuivent un objectif en apparence simple : « Revenir aux fondamentaux du sarkozysme 2007 et faire barrage au Front national. » À en croire les résultats des cantonales, la deuxième partie du programme semble bien mal embringuée. À tel point que certaines mauvaises langues, à droite, considèrent que la Droite populaire avance masquée et qu’elle est en fait le chaînon manquant entre une UMP affaiblie et un Front national normalisé en vue d’une alliance indispensable à la droite pour se maintenir au pouvoir après 2012.[access capability= »lire_inedits »]

Le pas pourrait être vite franchi, poursuivent ces méchants camarades, brandissant à l’appui de leur pronostic l’épouvantail Christian Vanneste. Le député du Nord s’est en effet toujours montré hostile au « cordon sanitaire » censé isoler l’extrême droite depuis les années 1980. À l’automne 2010, il s’était prononcé sans chichis pour une alliance avec le FN aux législatives de 2012. Ce qui lui a valu une menace d’exclusion de l’UMP. Certains de ses collègues députés considèrent qu’il est « presque plus à droite que Marine Le Pen ».

Lui en rigole et m’explique très placidement que son seul but est de « restaurer le versant droit de l’UMP, ce qu’était le RPR autrefois. C’est en laissant cet espace vide qu’on a permis la progression du FN. » La droite populaire, poursuit-il, n’est ni un chaînon manquant, ni une passerelle en construction : « On est là pour proposer des idées au Président de la République quand on le rencontre. Par exemple, les jurys populaires, ça vient de chez nous. »

«Entre la gauche bien-pensante et l’extrême droite montante»

Pour une partie des élus qui en sont membres, la Droite populaire doit, en vue de la présidentielle, se structurer en vrai courant dans l’UMP, au-delà du simple club de parlementaires. « Si on est malins, on réussira à imposer nos thématiques pour 2012 », glisse un député. Car l’ennemi, en ces temps difficiles pour la droite, ce n’est ni la gauche, ni le Front. L’ennemi, c’est Borloo et son « idéologie centriste », tranche Vanneste : « Le Parti radical est dépourvu d’idées, il ne fait que de la tactique. Y a-t-il plus éloigné du gaullisme que ça ? »

Lionnel Luca, député des Alpes-Maritimes, enfonce le même clou. Il y a un mois, il dénonçait le recul du Président qui avait accepté, sous la pression des centristes, de retirer de la loi « Loopsi 2 » l’article sur la déchéance de nationalité. « Pour moi, c’est le mardi noir de la majorité présidentielle, explique-t-il. Une décision pareille, ça nous flingue dans notre électorat, qui nous reproche de ne pas tenir notre ligne. » Borloo et ses « rêveries de démocrate-chrétien centriste », selon un autre membre de la Droite populaire, sont presque plus un sujet d’angoisse que la « Peste blonde ». « L’idéologie centriste va nous coincer en tenailles entre une gauche bien-pensante et l’extrême droite montante », conclut Vanneste.

« Ces gens-là pensent que tout est perdu, alors ils font sécession sans oser en prononcer le nom », balance un député droito-populiste. Du coup, chez Borloo, on hésite entre le fatalisme − « On ne s’est jamais vraiment aimés », avoue un borlooïste − et le roulage de mécaniques – « Ils sentent bien qu’on représente quelque chose, sinon pourquoi s’en prendraient-ils à nous ? » La coexistence pacifique entre ces deux chapelles de la droite a clairement du plomb dans l’aile. D’ailleurs, Borloo a déjà annoncé que les radicaux quitteront l’UMP en avril. « Franchement, on respirera mieux dehors qu’avec ces types qui voient des islamistes partout et ne pensent la France et la politique qu’en termes de conflit », poursuit un député radical.

Ligne droite et de droite

Lionnel Luca entend assumer ce conflit et considère que c’est en traçant cette ligne droite et de droite que l’on neutralisera le danger frontiste pour Sarkozy : « Regardez dans mon département, les Alpes-Maritimes, gros scores du FN mais pas un élu. Parce que nous sommes réactifs avec les gens modestes. » C’est d’ailleurs ce qui rassemble les députés de la Droite populaire ; ils ont tous eu ou ont toujours de gros problèmes avec le Front dans leurs circonscriptions : Vanneste dans le Nord, Mariani dans le Vaucluse, Luca dans les Alpes-Maritimes,ou même François Vannson dans les Vosges. « Ce n’est pas la fascination de l’extrême droite qui les rassemble, explique un député du Sud de la France. Certains, comme Mariani, ont ou ont eu des ennemis et concurrents directs au Front, comme Jacques Bompard. D’autres manifestent une forme de fidélité brutale au gaullisme, au RPR dur. Dire qu’ils sont le chaînon manquant vers le FN est un peu léger. »

Un peu léger, mais quand même : faisons donc un peu de politique-fiction. Il est difficile d’imaginer que Marine Le Pen se contentera très longtemps de cartonner dans les urnes sans jamais guigner de fauteuils. On peut même penser que, contrairement à son père, elle veut exercer le pouvoir. Quand on lui parle d’alliance avec l’UMP ou tout autre parti de droite, elle ricane. Pour combien de temps ?

À l’UMP, on s’offusque : « Ceux qui nous font passer pour le point de ralliement cherchent à nous discréditer », s’énerve Lionnel Luca. Voire. Après le pavé dans la mare – à moins que ce ne fût un ballon d’essai − de Vanneste à l’automne, certains observent avec attention l’Italie, où le MSI, ex-néofasciste, s’est mué en parti de gouvernement respectable et respecté, ou bien l’Espagne et son Parti populaire. Dans ces expériences, l’extrême droite, recouverte de peinture fraîche, a toute sa place. On imagine ainsi des « alliances géographiques ». « Il faut combiner idéologie et géographie, explique un député de la Droite populaire qui préfère rester anonyme, et pour cause. Les positions radicales n’intéressent pas l’Ouest catholique de la France, c’est un fait. Mais dans le Nord ou le Sud, il faut imaginer travailler à des alliances géographiques. » Avec un Front qui ne serait plus vraiment le Front. C’est-à-dire celui de Marine, non ?

Avant d’arriver à ce futur pas si lointain, la Droite populaire doit gagner dans l’esprit de Sarkozy et imposer ses thèmes pour la campagne. Éviter « l’ouverture à la gauche caviar has been », l’installation dans la vie politique de « starlettes façon Rama Yade », voire la centrisation du discours de campagne 2012. Ses élus vont aller se faire entendre à l’Élysée, à l’UMP, multiplier les tribunes, les colloques pour dire qu’ils sont LA droite. « Dans ce pays, la droite est considérée comme fréquentable si elle est de gauche. Nous, nous ne souffrons pas de la culpabilité traditionnelle de la droite », argumente Lionnel Luca. Reste à savoir si ses troupes apprécieront la blague qui court à l’Assemblée, qualifiant la « Droite pop » d’« UMP bleu Marine »…[/access]

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La prostitution viole t-elle la constitution ?

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Jacques et Bernard viennent tous les deux de fêter leurs soixante-deux ans. Ils ne se connaissent pas. Entre eux, quelques points communs et quelques différences.
Jacques et Bernard sont mariés tous les deux depuis une grosse trentaine d’années. Leurs épouses, sexagénaires elles aussi, ne pratiquent plus beaucoup la bagatelle. La première, parce que c’est Jacques qui ne la touche plus depuis une douzaine d’années, la seconde, parce qu’elle se refuse à Bernard depuis cinq ou six ans estimant, à tort, avoir dépassé la date de péremption.

Jacques vit à Paris pour son travail la semaine et rentre chaque fin de semaine dans sa bourgade provinciale. Bernard, en revanche, retraité après avoir passé la case pré-retraite, vit dans un pavillon de banlieue dans le Val d’Oise.

Jacques a un secret. Depuis quinze ans, il mène une double vie. Successivement, Tatiana, Corinne et Ursula, étudiantes en… sciences humaines, ont partagé avec lui les quatre soirées et nuits qu’il passe chaque semaine dans la capitale. Avec Ursula, vingt-et-un ans, cela dure depuis trois ans. Il lui paye un appartement. Il lui donne aussi de l’argent de poche, beaucoup d’argent de poche. Accessoirement, son titre de séjour est renouvelé sans aucun problème grâce aux excellentes relations de Jacques. Ursula n’est pas une ingrate. Si elle a des petits amis pendant les absences de son bienfaiteur en fin de semaine, elle fait preuve d’une grande énergie, d’une énorme générosité et d’une certaine imagination dans des longues séances que le cœur de Jacques arrive encore à supporter.

Bernard, chaque jeudi après-midi, part en RER vers la capitale. Depuis de longues années, il voit Géraldine. Géraldine a trente-huit ans et elle est divorcée. Elle a un boulot à mi-temps de caissière dans une superette du Val de Marne, insuffisant pour faire vivre ses quatre enfants. Alors, avec son vieux monospace d’occasion, dont elle rabat les sièges deux fois par semaine, elle voit quelques habitués au bois de Boulogne. Bernard en fait partie. Elle leur prend entre cinquante et deux cents euros selon les cas. Elle fixe le prix en fonction du dégoût que lui inspire le monsieur et, bien entendu, des prestations gratifiées.

Jacques, en fait, est député. Et je me pose une question. Fait-il partie de la commission qui préconise de transformer Bernard en délinquant parce qu’il va voir Géraldine chaque jeudi ? Votera t-il cette loi de pénalisation des clients de prostituées sans s’interroger sur la nature de sa relation avec Ursula ?

Evidemment, Jacques et Bernard constituent des personnages totalement fictifs. Mais ils permettent tout de même de se poser de bonnes questions. De très bonnes questions.

Guerre en Libye, guéguerre à l’Otan

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photo : Algaddafi International Prize for human rights

Un mois après le vote de la résolution 1973 par le Conseil de sécurité de l’ONU, quatre semaines après le début de la campagne militaire en Libye qui s’en est ensuivie, Mouammar Kadhafi est toujours à Tripoli, Ajdabiya continue à passer alternativement du contrôle des insurgés à celui des forces du régime et une grosse moitié du pays reste toujours sous contrôle des forces fidèles au pouvoir. En revanche, et ce n’est pas un succès négligeable, les rebelles tiennent toujours Benghazi. Quoi qu’on pense de cette guerre, il faut rappeler qu’il y a un mois, cette ville, devenue capitale symbolique de l’insurrection, était à deux doigts de tomber entre les mains des kadhafistes.

Que penser de ce bilan ? Est-il décevant ? Satisfaisant ? Ça dépend pour qui : les pays engagés dans cette guerre ne sont pas tous d’accord sur les buts qu’ils poursuivent. La France et la Grande-Bretagne ont clairement pour objectif la chute de Kadhafi et, soyons fous, l’instauration d’un régime démocratique, tandis que nombre d’Etats arabes et africains entendent bien se contenter d’un service minimum. La crainte d’être tenus pour responsables de la chute de Benghazi et des éventuels massacres qui y auraient été perpétrés, conformément à ce que le « Guide » avait claironné, par ses forces armées, a poussé les plus réticents à sauter le pas. Arrachée in extremis pour éviter une catastrophe annoncée, la résolution 1973 était donc le fruit d’un compromis, obtenu, comme souvent, grâce à l’ambiguïté volontaire du texte. Le problème, c’est que le consensus des premiers jours ayant volé en éclats, cette ambiguïté apparaît au grand jour. Reste à savoir au détriment desquels de ses membres la Coalition en sortira.

Dans un premier temps, forte de l’aval de l’ONU obtenu par l’activisme de son président et de ses diplomates, la France a pris la tête des opérations et, en accord avec les Britanniques, elle a donné à la résolution onusienne l’interprétation la plus large possible : dans cette perspective, mener à bien la mission définie par l’ONU, à savoir la protection des populations civiles, suppose de faire tomber Kadhafi et d’aider les rebelles à prendre le pouvoir. Même ce qui semblait clair comme l’eau de roche – « No boots on the ground », pas de troupes au sol – semble sujet à débat : il semble que, pour certains, cela n’interdise pas forcément des opérations commandos

Autant dire que la belle unanimité humanitaire des premiers jours a cédé la place à une lutte feutrée mais au couteau dont l’enjeu, au-delà des opérations militaires en Libye, est l’interprétation de la résolution 1973. Soyons clairs : les franco-britanniques ont perdu la partie. Leurs adversaires, Turquie en tête, avançaient masqués. Avant le vote, ils ont multiplié les manœuvres de couloirs pour torpiller les efforts diplomatiques de la France. Paris a gagné, et les Turcs ont eu l’intelligence de monter à bord, ce qui leur permet de dire leur mot sur la trajectoire – et sur le choix du commandant.

C’est ainsi qu’a démarré la querelle sur le rôle de l’OTAN. Londres et Paris tenaient à garder la main afin de faire prévaloir leur lecture de la résolution 1973. Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan, plutôt réticent au départ a, au contraire, pesé de tout son poids pour que la Coalition du 19 mars passe le relais à l’OTAN quand il a compris que c’était la meilleure manière de mettre en échec Paris et Londres. Avec le soutien de Washington, Ankara a fini par l’emporter et l’OTAN a pris le contrôle des opérations. Depuis, comme le souhaitaient les Turcs, l’opération a peu à peu perdu ses airs de guerre juste, voire justicière, pour s’enliser dans une quasi routine – quittant par là-même la « une » des JT. C’est que, au sein de l’OTAN dont elle est membre, la Turquie a habilement joué pour faire endosser par les stratèges de Bruxelles (siège de l’OTAN) l’interprétation la plus minimaliste de la résolution 1973.

Il est vrai que les Turcs doivent actuellement jouer une partie délicate. Pour eux – comme pour pas mal d’autres dirigeants dans la région – le merveilleux printemps arabe va trop loin. Applaudir le départ de Ben Ali, souhaiter celui de Moubarak et pointer du doigt les Occidentaux hésitants et embarrassés était à la fois facile et amusant. Cela ne menaçait pas leurs intérêts mais cela pouvait les servir : à Ankara on ne regrette ni l’affaiblissement de l’Egypte ni l’embarras d’Israël. Dans ces conditions, proclamer son amour des droits de l’homme ne mangeait pas de pain. Sauf que quand la tourmente atteint la Syrie, autrement dit l’arrière-cour de la Turquie, l’affaire se complique. S’agissant d’un voisin, la stabilité est aussi précieuse, sinon plus, que les libertés civiles. Et le même raisonnement s’applique à la Libye. Comme quoi la realpolitik n’est pas l’apanage des méchants Occidentaux.

Après avoir reçu du Frère Guide himself – et pas plus tard qu’en décembre dernier – le « Prix Kadhafi des droits de l’homme », Erdogan a dû être un peu gêné de voir s’effondrer la respectabilité – très relative il est vrai – de son ami Kadhafi. Peu importait au Premier ministre turc que les Kurdes rient, même jaune, de ses envolées lyriques sur le droit du peuple palestinien. Mais quand les habitants de Benghazi se demandent pourquoi ils n’ont pas droit à la même compassion que ceux de Gaza, il commence à transpirer. S’il était français, Erdogan serait sans doute aujourd’hui à Saint-Jean-de-Luz en train de rédiger ses mémoires.

Avec la Libye, la rhétorique de la liberté des peuples qu’affectionne Erdogan a montré ses limites : les investissements turcs mais aussi le grand nombre de travailleurs émigrés au pays de Kadhafi rappellent ce champion des Droits de l’homme aux pénibles réalités stratégiques. Comme Sarkozy et comme Obama dont il se moquait volontiers il y a quelques mois, le Premier ministre turc doit procéder à des arbitrages déprimants entre valeurs et intérêts. Et il serait fort surprenant qu’il sacrifie ceux-ci à celles-là.

Le résultat, c’est que la Turquie joue les trouble-fête, empêchant la France et la Grande-Bretagne de mobiliser l’OTAN pour mener à bien leur politique qui, juste ou non, avait au moins le mérite de la cohérence. Au point que tout le monde finit par se demander ce que font nos avions au-dessus du désert libyen. Certes, ils assurent la sanctuarisation de Benghazi et la pérennisation des institutions créées par les rebelles. And so what ? À l’évidence, les insurgés sont incapables de prendre Tripoli. Et l’OTAN ne le fera pas pour eux. Dans ces conditions, l’opération « Aube de l’Odyssée » a toutes les chances d’aboutir, non pas à l’avenir radieux rêvé dans l’euphorie des premiers jours, mais à la partition de la Libye en deux Etats. Reste à espérer que l’un d’eux sera vaguement démocratique.

Testez votre PC

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Un instant, une terrible angoisse m’a étreint en consultant le site du Parisien Libéré qui s’ouvrait sur une bannière publicitaire ressemblant à un vrai titre et que j’ai crue m’être personnellement adressé : « Un PC peut accumuler des centaines d’erreurs cachées chaque mois : celles-ci peuvent ralentir votre système. Testez votre PC ».

Où allait se nicher l’anticommunisme, tout de même ! Des centaines d’erreurs cachées chaque mois, c’était très exagéré. Quelques unes, comme la parenthèse huiste et la participation au gouvernement Jospin, d’accord, mais elles n’étaient pas cachées. Elles s’étaient même sérieusement vues dans les résultats électoraux de cette période. Puis j’ai réalisé que je faisais ma Nadine Morano et que je confondais, non pas un chanteur et une marque automobile, mais un ordinateur et une glorieuse organisation.

En plus, cela aurait été injuste, cette histoire d’erreur : le jour même, le groupe communiste, Parti de gauche et Verts de l’assemblée nationale venait de virer Gremetz après sa brillante prestation il y a quelques semaines lors d’un débat en commission sur le nucléaire.