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Testez votre PC

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Un instant, une terrible angoisse m’a étreint en consultant le site du Parisien Libéré qui s’ouvrait sur une bannière publicitaire ressemblant à un vrai titre et que j’ai crue m’être personnellement adressé : « Un PC peut accumuler des centaines d’erreurs cachées chaque mois : celles-ci peuvent ralentir votre système. Testez votre PC ».

Où allait se nicher l’anticommunisme, tout de même ! Des centaines d’erreurs cachées chaque mois, c’était très exagéré. Quelques unes, comme la parenthèse huiste et la participation au gouvernement Jospin, d’accord, mais elles n’étaient pas cachées. Elles s’étaient même sérieusement vues dans les résultats électoraux de cette période. Puis j’ai réalisé que je faisais ma Nadine Morano et que je confondais, non pas un chanteur et une marque automobile, mais un ordinateur et une glorieuse organisation.

En plus, cela aurait été injuste, cette histoire d’erreur : le jour même, le groupe communiste, Parti de gauche et Verts de l’assemblée nationale venait de virer Gremetz après sa brillante prestation il y a quelques semaines lors d’un débat en commission sur le nucléaire.

Hulot candidat, et pourquoi pas ?

photo : TF1

Aucun doute possible, la politique est plus rude pour les nerfs que les primes de TF1. Voyez Nicolas Hulot. Mercredi, il annonce son intention d’être candidat à la présidentielle au nom d’une certaine idée de l’écologie et de la transformation sociale et bim !, ceux qu’on imaginait partager ses valeurs le trainent plus bas que terre.

Le voilà rhabillé par ses supposés amis en écolo-médiatique âpre au gain, ayant serré la main des plus grands capitalistes pour financer ses reportages, et n’hésitant pas à vendre du gel douche pour arrondir ses fins de mois. Bref, le portrait craché de l’usurpateur en politique. Ajoutons qu’il a osé se déclarer hier dans la salle des fêtes de Sevran, joli port de pêche de Seine Saint-Denis, bien connu pour sa misère sociale et ses règlements de compte à l’arme lourde, sans pour autant aller serrer les mains des autochtones : son cas est réglé ! Hulot usurpateur, candidat d’opérette, responsable futur d’un nouveau 21 avril alors que les Verts avaient toutes leurs chances d’accéder au pouvoir dans les sacoches à vélo du candidat PS.

Je n’ai pas de grande passion pour Hulot, ni pour les Verts en général, fussent-ils relabélisés EELV. Mais j’ai encore moins de goût pour les procès en légitimité politique, surtout quand ils fleurent bon le Fouquier-Tinville en sketbas. Ceux-là même qui pétitionnent à longueur de colonnes contre une classe politique monocolore, masculine, sexagénaire, venant des meilleures écoles de la République par la voie paternelle, considèrent que Hulot, l’animateur télé n’est rien, ni personne et ne peut donc pas être candidat. Eva Joly, qui est sans doute elle ultra-légitime, a d’ailleurs fielleusement commenté hier le projet d’Hulot : « Il ne faut pas confondre notoriété et crédibilité. » On comprend donc qu’elle, qui se voyait en madone de l’épuration verte, souffre de l’absence de l’une et sans doute du trop-plein de l’autre. Le monde politico-médiatique est mal fait.

Hulot pourtant n’en est pas à ses premiers pas politiques : lors de la dernière présidentielle, il avait fait signer à tous les candidats son pacte écologique, et pas forcément de leur plein gré. Après quoi il avait donc expliqué que, puisque tout le monde y adhérait, il n’avait pas besoin de participer au concours de beauté présidentiel. Là, ayant fait le tour de la chose télé, de la chose politique côté cour (notamment en participant au Grenelle de l’environnement) et mesurant, j’imagine, que l’adhésion générale à son projet écolo était du pipi de bébé phoque, il envisage de se présenter : on ne passe jamais de meilleur pacte qu’avec soi-même. Il y a sans doute aussi des raisons un rien plus cyniques à ce grand saut : la fin programmée de ses émissions sur TF1, le peu d’élan populaire suscité par Eva Joly, sa propre popularité qui se maintient sans faille, et celle du président qui n’en finit pas de s’effondrer, ouvrant un boulevard à la gauche, donc à EELV. Mais on s’en fout. Hulot, comme tout le monde, a le droit d’avoir des arrière-pensées, et il a le droit d’être candidat même après avoir été animateur sur TF1. J’allais dire surtout.

Séquence émotion comme disait Hulot, l’homme de la télé. Avez-vous déjà regardé une de ses émissions ? Moi, oui et même plusieurs. Je ne sais pas si la plongée avec des narvals au large du Labrador ou la découverte de la péninsule de Basse-Californie a fait beaucoup pour ma conscience écologique d’adolescente. Certes, les mines compassées de Hulot, son air catastrophé par la pollution, ses appels –hachés par le manque d’oxygène- aux générations futures avaient un côté prêchi-prêcha écolo casse-pied. Mais de Cousteau à Hulot, c’est tout un imaginaire naturalo-mondialiste qui s’est imprimé dans les cerveaux malades des jeunes gens comme moi. Et qui reste aujourd’hui. J’ai toujours trouvé idiot de s’apitoyer sur les conditions de vie des ours blancs pour expliquer qu’il faut éteindre la lumière quand on quitte une pièce ou qu’on ne doit pas jeter ses sacs plastique sur la pelouse du Luxembourg. Mais si ça se trouve, Ushuaïa a reformaté mon imaginaire avec du relativement sauvage et du résolument beau. Les voies du néo-civisme sont sinueuses. Pour autant, je ne pense pas qu’il faille interdire les centres-villes aux voitures (même si je préférerais, à titre tout à fait personnel de piéto-cycliste) ou taxer plus le pétrole et ses dérivés. Mais si ça se trouve, Hulot et son parapente ont un peu modelé mon comportement quotidien, à parité avec les aventures intrépides et humides du Commandant Cousteau.

Mais revenons à notre mouton noir du casting élyséen: au nom de quoi un garçon qui a fait profession de télé et y a réussi brillamment avec ses petits bras, serait-il a priori disqualifié pour se présenter aux suffrages des citoyens français ? Vous préférez les énarques qui perdent 30 kilos pour acter leur volontarisme face caméras? Les agrégés de lettres qui n’ont jamais mis les pieds dans une classe en banlieue ? Les faux facteurs ? Les anciens ministres qui ont fait fortune en monnayant leurs carnets d’adresses ? Les patrons d’organisation internationale coachés au millimètre par des agences de com’? Les magistrates intransigeantes sauf avec leurs affidés? Pourquoi pas. Mais laissez les animateurs télé se présenter aussi, au moins au nom de la diversité. On, enfin l’électeur, jugera si l’avenir avec Hulot est plus radieux qu’avec tous les autres. Je n’ai jamais vu qu’on votât, en dernier ressort, sur la notoriété ou la côte de popularité. Par bonheur tout ça demeure encore mystérieux, bordélique, illogique.

Sans quoi, à l’heure où je vous parle, Mimie Mathy serait présidente de la République.

Pas de taxi pour Tobrouk

photo : U.S. Navy

Par les temps qui courent, s’opposer à l’intervention armée en Libye vous attire bien peu d’amis. Exception faite de quelques parias de la scène internationale – Chavez, Morales, Loukachenko, Khamenei − et du Guide libyen lui-même, l’analyste critique se trouve bien esseulé. Hormis Rony Brauman, la plupart des opposants habituels au « droit d’ingérence[1. Une notion juridiquement vide devenue, en un quart de siècle, l’impératif catégorique du droit-de-l’hommisme botté]» se rangent derrière l’action diplomatique à la hussarde de Nicolas Sarkozy. Entretemps, BHL a subrepticement succédé à Alain Juppé au Quai d’Orsay, délocalisé à Benghazi pour cause d’ingérence dans ce qui ressemble de plus en plus à une guerre civile. L’Histoire retiendra un virage éclair amorcé en quelques semaines. D’Alliot-Marie à BHL, nous sommes passés du benalisme immobilier au néo-impérialisme cheveux au vent. Pendant ce temps, on oublie le théâtre moyen-oriental, où se trame une future guerre régionale : les chiens bahreïnis aboient, la caravane saoudienne passe.[access capability= »lire_inedits »]

Quelle que soit l’horreur qu’inspire un Kadhafi aux mains tachées de sang, on est donc en droit de contester les arguments avancés en faveur de l’opération « Aube de l’Odyssée ».

Le « droit » d’ingérence est un humanisme

L’ingérence n’a jamais été un droit. Fiction juridique théorisée par Jean-François Revel, l’ingérence exprime l’idéologie des classes dominantes et permet à d’habiles stratèges pourvus de bonnes âmes de jouer les va-t-en-guerre au nom d’idées généreuses. Désormais, au nom des droits de l’homme désincarné et de la démocratie mondiale, on fait la guerre par pacifisme et on tue pour sauver des vies. Devons-nous proclamer que « nous sommes tous libyens » ? Ce droit-de-l’hommisme n’est pas seulement politiquement abscons, en ce qu’il fait fi des réalités nationales, politiques, sociales et culturelles. Moralement, un tel catéchisme se mure dans l’hémiplégie : une victime de bombardement allié est dite « collatérale » tandis que l’ennemi se retrouve apostasié… Mise en scène pratique que celle qui consiste à ignorer les massacres lorsqu’ils se situent du bon côté de la ligne de front. Souvenons-nous des exactions commises par la mafieuse UCK albanaise, relookée après la guerre menée par l’OTAN en Résistance victorieuse, à l’encontre des Serbes du Kosovo, au vu et au su d’un certain Bernard Kouchner – et de nos soldats. Le bombardement de Belgrade et l’écrasement de Milosevic (que l’on pouvait, il est vrai, considérer comme un bénéfice collatéral) se firent au nom d’un humanitarisme à géométrie variable. À l’arrivée, on n’a pas besoin de chercher des complots partout pour observer que la guerre de l’OTAN servit les objectifs géostratégiques des États-Unis en affaiblissant la Russie. Résultat : la « communauté internationale » applaudit à la naissance au cœur de l’Europe d’un État mafieux dirigé par un personnage aujourd’hui soupçonné d’odieux crimes de guerres. Ce qui montre au minimum que le lyrisme peut rimer avec la realpolitik la plus pragmatique.

En Libye, face aux crimes de guerre de Kadhafi, des causes voisines risquent de reproduire des effets identiques. Déjà, certains groupuscules salafistes prennent fait et cause pour les insurgés dans ce qui ressemble de plus en plus à une guerre civile. Certes, il serait idiot de se déterminer en fonction des affinités idéologiques de tel ou tel ou de réduire le débat public à un caricatural face-à-face BHL-Dieudonné. Les slogans islamistes portés par certains groupes tribaux assistés d’une poignée de hauts dignitaires kadhafistes n’incitent guère à l’enthousiasme. De la même façon, des chefs de la guérilla ont reconnu accueillir certains mercenaires issus des rangs mêmes d’Al-Qaïda au Maghreb, étayant en cela les allégations du fou de Tripoli, trop heureux de discréditer son opposition. Ces alliances broussailleuses ne disculpent certainement pas Kadhafi des atrocités commises contre sa population. Mais bombarder la Libye constituait-il le meilleur moyen de protéger les civils libyens ? En dehors du soutien aux insurgés, le doute est permis…

C’est l’ONU qui est aux manettes

Las ! Après quelques jours de tergiversations, l’OTAN, ce vestige de la guerre froide qui cherche sa raison d’être, aura eu raison des Nations unies. Parée de la légitimité internationale, la Coalition jongle entre plusieurs registres d’autolégitimation. On ne sait pas vraiment quels buts poursuivent Nicolas Sarkozy et ses alliés , dont quelques-uns, notre Président en tête, ont été bien prompts à reconnaître un gouvernement sans État : protéger les populations civiles ? Renverser Kadhafi ? Instaurer la démocratie et l’État de droit ? Tout cela à la fois, vous répondront les propagandistes indéfectibles de la doctrine humanitariste. L’ennui, c’est que le réel pourrait bien se rappeler à leur bon souvenir et déjouer leurs beaux projets. En dernière instance, à supposer même que les insurgés parviennent à conquérir tout le pays et à préserver l’unité nationale avant d’organiser des élections libres, que diront nos démocrates bottés si une majorité islamiste sort des urnes ? Seront-ils aussi intraitables sur le respect de la souveraineté populaire ? Après tout, l’OTAN bafoue aujourd’hui la souveraineté nationale au nom des droits de l’homme. Demain, la démocratie devra-telle passer sous la toise des droits humains ? Sans compter que les guerres, il est toujours plus facile de les commencer que de les terminer. Revenue dans le giron de l’OTAN, la France pourrait être obligée d’engager des troupes au sol si l’enlisement succède à l’emballement. Qu’en pensent les électeurs ?

Il n’y avait pas d’alternative au recours à la force

Mystification, encore et toujours. Le matraquage médiatique a joué à plein la carte du « There Is No Alternative ». Dommage, il y avait de quoi mettre l’imagination au pouvoir, pour peu que les « Occidentaux » (autre nom de l’OTAN, selon la formule consacrée) consentent à se salir un peu les mains par Chavez interposé. Quoi qu’en dise Jérôme Leroy, l’amitié avérée entre Hugo et Mouammar rendait possible un départ honorable du tyran de Tripoli, moyennant finances et immunité judiciaire. Dans un monde où il n’y aurait ni Tribunal pénal international, ni justice rendue au nom de la morale, ni guerres humanitaires, le simple rapport de forces défavorable à Kadhafi l’aurait sans doute amené à faire des concessions. Au lieu de cela, la résolution de l’ONU l’érige au rang suprême de martyr de l’Occident « croisé[2. Lapsus révélateur de Claude Guéant, qui dit la réelle nature du conflit : une croisade menée, non pas au nom de la chrétienté, mais en vertu de la religion du nouveau siècle : les droits de l’homme universel et déconnecté]». En 2003, Saddam Hussein était prêt à plier devant les inspecteurs de l’ONU avant que le bellicisme américain ne rende la guerre inéluctable ; si on ne lui laisse aucune porte de sortie, Kadhafi préférera combattre jusqu’au dernier Libyen pour finir par mourir en martyr. La sécurité des Libyens y aura-t-elle gagné ?

À tout cela, il faut ajouter le message envoyé aux dictateurs : si vous ne voulez pas finir assassiné ou jugé par un tribunal occidental, dotez-vous d’armes de destruction massive. À Pyongyang, l’intouchable Kim Jong-il rit tranquillement en affamant son peuple. Alors que le drame de Fukushima hante les esprits occidentaux, l’affaire libyenne assure le service après-vente de l’arme atomique. Tenez-le vous pour dit : si Kadhafi, comme Saddam, n’avaient pas démantelé leurs arsenaux, ils dormiraient bien au chaud sous les ors de leurs palais.

Les mystères de l’ingérence « humanitaire » demeurent donc insondables. Je préfère de plus en plus la version originale d’Un taxi pour Tobrouk à son remake occidentaliste…[/access]

Le Droit d'ingérence

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L’Etat-providence contre l’assimilation

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La vie est un long apprentissage. Pendant longtemps, j’ai pensé – sans jamais vraiment chercher à le vérifier – qu’une immigration importante ne pouvait avoir qu’un effet négatif sur le salaire et le taux de chômage de la population d’un pays. Après tout, c’est le principe de l’offre et de la demande : si l’offre de travail augmente, à demande constante, les salaires doivent s’ajuster à la baisse et si les salaires ne peuvent s’ajuster (à cause d’un salaire minimum légal par exemple), un afflux d’immigrants devrait créer mécaniquement du chômage. Eh bien j’avais tort.

Il y a eu, ces dernières années, un regain d’intérêt remarquable pour les études économiques sur l’impact de l’immigration sur le marché du travail. C’est un phénomène classique : en période de crise, les premiers accusés sont les immigrés qui viennent « voler nos emplois » et cette idée est d’autant plus facile à vendre – politiquement parlant – qu’elle a la couleur, le goût et l’odeur d’une simple remarque de bon sens. Seulement voilà, à chaque fois qu’on a essayé de mesurer objectivement cet impact, on n’a rien trouvé de significatif et, mieux encore, on a même souvent découvert un léger effet inverse. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce que nous disent les chiffres, c’est qu’un fort taux d’immigration n’entraîne pas de baisse des salaires (ou de montée du chômage) et peut même entraîner une légère hausse des rémunérations des travailleurs natifs (ou un recul du chômage).

Ce que démontrent ces études, c’est que les immigrants ne remplacent pas les natifs – c’est-à-dire qu’ils n’entrent pas ou peu en compétition avec eux pour les mêmes emplois – mais augmentent le nombre total d’emplois dans l’économie. En d’autres termes, il existe un effet de complémentarité qui fait plus que compenser l’effet de substitution. Imaginez, par exemple, qu’une entreprise du bâtiment n’arrive pas à recruter d’ouvriers : elle se trouve, dès lors, dans l’obligation de licencier plusieurs de ses chefs de chantier. En revanche, si elle a la possibilité d’employer des ouvriers immigrés – qui, parce qu’ils sont moins qualifiés, acceptent de travailler pour moins cher ou d’exécuter des tâches moins gratifiantes que les natifs – elle peut accepter plus de chantiers et donc embaucher du personnel d’encadrement qui a toutes les chances d’être composé de natifs. Dans une note de synthèse de ses recherches sur le marché du travail étatsunien[1. The Effect of Immigrants on U.S. Employment and Productivity, G. Peri (2010)], Giovanni Peri, l’un des spécialistes les plus reconnus en la matière, confirme que cet effet de complémentarité crée plus d’emplois pour les salariés nés américains que n’en « détruit » la compétition avec des immigrés. En approvisionnant l’économie américaine en maçons, ouvriers agricoles et autres chauffeurs de taxis, l’immigration permet aux entreprises américaines d’accroître leur capacité de production, de vendre plus et donc, d’embaucher plus de chefs de chantier, de responsables d’exploitation et de répartiteurs de taxis américains.

L’Etat-providence a cassé la machine à intégrer

Au total, comme le note Giovanni Peri dans son résumé, l’immigration augmente la capacité productive d’une économie, stimule l’investissement et promeut la spécialisation qui, à long terme, améliore la productivité. Rajoutez à cela que lesdits immigrés vont bien évidemment devoir se nourrir, s’habiller et se loger et vous obtenez un bilan économique net de l’immigration aussi positif dans les faits qu’il est négatif dans l’imaginaire collectif.

À ce stade, on est dans un monde harmonieux où des immigrés viennent compléter les capacités productives du pays accueillant, s’insèrent dans sa société par le travail et adaptent d’eux-mêmes leurs us et coutumes pour augmenter leurs chances de succès dans leur nouveau pays. Seulement voilà : il semble que malgré cela, nous ayons vraiment un problème avec notre immigration et que ce problème ne soit pas lié au nombre d’immigrants, puisqu’en 2008, nous affichions un taux net de 1.48 immigrants pour mille habitants alors que des pays comme le Portugal ou l’Australie affichaient des taux de deux à quatre fois supérieurs sans que cela pose de problèmes insurmontables à leurs populations natives.

La réalité de notre monde, c’est que l’Occident, l’Europe et la France sont des îlots de prospérité perdus au milieu d’un océan de pauvreté. C’est de moins en moins vrai au fur et à mesure que les pays dits émergents émergent effectivement en rejoignant le concert de l’économie de marché et de la mondialisation mais cela reste une réalité tangible de ce monde. Une autre réalité, cette fois ci une réalité française, c’est que nous avons un Etat-providence qui, dans un moment de faiblesse, a décrété que ses largesses ne se limitaient pas aux seuls Français mais à toute personne vivant sur notre sol. Or, voilà, dans ce monde tel qu’il est, offrir à des étrangers la possibilité de profiter de nos systèmes sociaux pour peu qu’ils viennent s’installer chez nous a une conséquence évidente : cela attire des gens qui ne viennent pas pour travailler et s’intégrer mais pour profiter de l’aubaine.

Les seuls fautifs, c’est nous !

Entendons-nous bien : moralement, humainement, nous n’avons pas le droit de reprocher à un Tunisien ou à un Algérien de fuir la misère de son pays pour venir profiter de nos aides sociales. Ce faisant, il ne fait rien d’immoral et se comporte au contraire en bon père de famille qui cherche à assurer une vie meilleure à ses enfants. De quel droit le lui reprocherions-nous ? Ne ferions-nous pas exactement la même chose à sa place ? Nous avons créé une règle du jeu ; les gens utilisent cette règle au mieux de leurs intérêts : c’est aussi simple que cela. Dans cette histoire, nous sommes les seuls fautifs.

Si on veut trouver une solution, il faut commencer par identifier correctement le problème et en l’espèce, ce n’est pas l’immigration en tant que telle mais « l’immigration d’assistance » – générée par notre Etat-providence. Non seulement, notre système n’est pas viable financièrement – nous ne pouvons pas, comme disait Michel Rocard, « accueillir toute la misère du monde » – tout en admettant qu’il fallait en prendre notre part -, mais il a aussi, et surtout, brisé le mécanisme d’intégration naturel de notre société civile. C’est pourtant si simple, si évident : pour vivre, il faut travailler et pour travailler, il faut s’adapter, coopérer et s’intégrer à la communauté dans laquelle on prétend vivre. C’est ce mécanisme qui a fonctionné pendant des millénaires durant lesquels nous nous sommes très bien passés de ministères de l’immigration, de l’intégration ou de l’identité nationale et c’est ce mécanisme qu’il s’agit de remettre en état aujourd’hui.

[1]

J’ai tout lu de Roux, sauf Combaluzier

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L’affaire Zadig & Voltaire c/ Fréderic & Lefebvre, Causeur vous la commentait dès le 4 avril à 14h20, sous la plume de mon amie Muriel Gremillet.

Ce qu’elle ne pouvait pas encore savoir à l’époque, c’est le fameux concours de blagues auquel cette bourde allait donner lieu sur le net. Moi-même, pour vous dire, je n’en ai été averti que par la lecture du Monde magazine.

Dieu sait que je ne ris pas tous les jours à la lecture de cet hebdomadaire. Mais là ça fait cinq jours déjà, et je ne m’en remets pas. C’est un certain Thomas Wieder qui signale opportunément les meilleurs conseils de lecture prodigués à l’apprenti écrivain-ministre par les internautes. Ça va du politique (Le Manifeste du parti communiste de Marks & Spencer) au polar (L’Assassin habite au Century 21) en passant par la philo : Ainsi parlait Zara.

C’est bien simple : je n’avais pas ri d’aussi bon cœur depuis la campagne de Chirac en 95.

Les infortunes de l’ISF

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Finalement, il n’aura pas duré un quinquennat. Le bouclier fiscal vient d’être enterré par le président de la République en même temps que l’annonce d’une réforme de l’ISF. Evidemment, le résultat de la réforme est un peu loin de la promesse faite il y a quelques semaines : un donnant-donnant fiscal. Je supprime le bouclier fiscal (symbole pour la gauche de l’injustice fiscale) mais je supprime aussi l’ISF (symbole de l’impôt idiot et confiscatoire pour la droite) ne sera pas supprimé, mais réservé aux contribuables dont le patrimoine dépasse 1,3 millions d’euros -à condition qu’il ne soient pas assez riches ou assez malins pour y échapper déjà totalement.

L’opposition considère que cette réforme relève du « bricolage », d’autant que les effets sur le budget de l’Etat et sur le patrimoine des Français ne sont pas encore évidents à mesurer. La palme de la réaction hostile revient sans doute à Jean-Luc Mélenchon qui, ce matin sur Canal Plus, a bien sûr fustigé ce remaniement fiscal. Mais au-delà de la seule critique, le Monsieur Plus du Parti de gauche propose lui aussi de remanier l’impôt, mais à sa façon: «Au-delà de 300 000 euros de revenus par an, on prend tout, 100 %! » Voilà une réforme qui aurait au moins le mérite de la clarté.

« La vérité, Marine, c’est bon pour nous ? »

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En mars, nous avons tous été privés d’une des émissions les plus intéressantes et inattendues de l’actualité politique française mais, pour moi comme pour tous les Juifs que je connais, la plus attendue : l’interview de Marine Le Pen sur Radio J. Des voix juives se sont élevées au sein de la « communauté » contre la diffusion d’une parole frontiste sur les ondes israélites de France et la présidente du Front national a été désinvitée. On le regrette amèrement, mais il n’est pas scandaleux qu’une radio privée communautaire refuse de recevoir un homme ou une femme politique.[access capability= »lire_inedits »] Après tout, les Juifs qui financent, qui animent et même ceux qui écoutent Radio J, et le CRIF qui représente tout ce petit monde, font ce qu’ils veulent chez eux, c’est leur droit, contrairement à Michel Drucker ou à Laurent Ruquier qui font ce qu’ils veulent sur une télé de service public qui ne leur appartient pas.

Cette décision m’a mis en colère et, si j’avais eu ma carte au CRIF, je l’aurais découpée devant la caméra de mon portable mais, je le répète, il n’y a là rien de scandaleux : je trouve juste cela indigne. Je précise à l’attention du lecteur qu’il n’y a pas de carte du CRIF et à l’attention du membre d’Égalité et Réconciliation[1. Association animée par Alain Soral] que si, bien sûr, il y en a une, mais qu’elle est secrète et qu’elle donne au porteur des pouvoirs qu’on m’interdit de nommer ici.

Une manifestation dont le mot d’ordre était « Pas une voix juive pour le FN ! » a suivi, organisée par l’UEJF qui s’inquiétait que « certains Juifs puissent être tentés d’adhérer au discours de Marine Le Pen ». Je veux bien qu’on s’inquiète pour moi et même qu’on veuille m’empêcher de céder à la tentation mais, si je ne demande qu’à être convaincu, il me faut un débat et des arguments, pas un refus du dialogue et des mises en garde. Et qu’on ne me parle pas de « vote juif ». Si je n’avais pas prévu, avant cette censure et ces injonctions, de voter FN, je crois bien que je l’aurais décidé après et, même si Moïse était descendu du Sinaï pour me dire « Front national tu ne voteras pas », je l’aurais envoyé voir là-haut si j’y suis. Même le Bon Dieu s’est montré plus libéral que les antifascistes de l’UEJF, avec son arbre de la connaissance et sa pomme, malgré sa crainte « qu’un certain Juif puisse être tenté d’adhérer au discours d’une autre tentatrice ». Le libre-arbitre, ce n’est plus bon pour les Juifs ? Réjouissons-nous que ces jeunes résistants n’aient pas le pouvoir de déclencher le déluge en cas de victoire du Front.
Marine Le Pen s’est exprimée sur cette question dans des termes qui m’auraient convaincu si Moïse m’avait fait douter, expliquant que ce refus de la soumettre à la question n’était ni démocratique, ni républicain. J’ajouterais qu’en plus, ce n’est pas juif.

Il n’est pas démocratique que les représentants d’une communauté tournent le dos à un parti politique qui, à en croire les sondages, emporte l’adhésion d’un électeur sur quatre. Cette posture a fait son temps et on ne peut pas continuer à clamer son attachement à la démocratie et prétendre œuvrer à sa défense quand on refuse d’accueillir la diversité des idées et celles portées, que cela plaise ou non, par des millions d’électeurs et par Marine Le Pen.

Il n’est pas très républicain non plus d’appréhender un débat politique avec un réflexe communautaire. On peut se demander à propos de tout et de n’importe quoi si « c’est bon pour les Juifs » mais, même sur une radio juive, nous sommes les citoyens d’une nation qui mérite qu’on se pose aussi des questions françaises. L’idéal républicain exige que l’on s’engage ou que l’on se prononce en politique dans l’intérêt supérieur de la nation et pas pour défendre les intérêts particuliers de sa classe, de sa corporation ou de sa communauté. Si certains ne peuvent pas s’empêcher de voter juif, qu’ils s’abstiennent de s’en vanter car il n’y a vraiment pas de quoi.

Enfin, ce n’est pas juif de refuser un dialogue. Depuis quand des Juifs renoncent-ils à un exercice dialectique ? Peut-on laisser le soin d’entamer une réflexion sur « Marine Le Pen et la question juive » à des goys qui devront tenter d’y apporter des réponses ou d’y ajouter des questions pendant les cinq mille prochaines années ? Il y a un contentieux entre les Juifs et le Front national à cause des provocations antisémites de Jean-Marie Le Pen et de la complaisance qui existe encore dans ce parti pour le négationnisme. L’occasion a été manquée de régler ce différend incontournable. Si Marine est une néo-nazie qui avance masquée, il n’aurait pas été difficile pour un journaliste malin qui connait Drumont, Maurras et Bernanos, un chercheur de petite bête immonde qui monte, de déjouer la manœuvre. Est-ce juif de se dégonfler devant une femme politique quand on a les moyens de la faire parler ? Si, comme elle le prétend, elle a tourné cette page sombre de l’histoire du FN, qu’on lui demande des gages, des explications, des preuves et qu’un règlement de comptes en règle serve la vérité. Si un média juif, qui est censé s’y connaître en antisémitisme, capable de traquer cette perversion dans les moindres replis des arrière-pensées, entre les lignes et derrière les mots n’est pas foutu de tendre un guet-apens à une supposée fasciste, à quoi sert-il ?

L’antisémitisme du Front national était l’un des arguments du président du CRIF pour justifier le refus de recevoir Marine Le Pen : l’islamophobie était l’autre. Richard Prasquier a repris cette idée brillante, qui depuis a fait son chemin pour accoucher d’une étoile verte dans l’esprit d’Abderrahmane Dahmane, selon laquelle les musulmans aujourd’hui souffrent de la même stigmatisation que les juifs hier. Même ceux qui ne savent pas lire mais qui ont regardé ARTE une ou deux fois au cours des vingt dernières années sentent que la comparaison est déplacée. Sans même parler de Vichy, des lois raciales, du statut des Juifs, des exclusions et des persécutions croissantes jusqu’à la solution finale, le discours anti-juif d’avant-guerre était l’exact opposé des propos actuels du FN, islamophobes ou jugés comme tels. Nos grands-parents auraient accueilli avec bonheur un débat national visant à favoriser l’émergence d’un judaïsme de France. Les ashkénases se seraient peut être méfiés d’une Haute autorité visant à punir la discrimination à l’embauche des Juifs parce que « ces trucs-là, ça finit toujours par nous retomber dessus », mais seraient restés éternellement reconnaissants. La France des années 1930 ne reprochait pas à ses Israélites leur communautarisme, elle était effrayée par leur capacité à s’assimiler un peu trop vite et un peu trop bien. Le monde de la culture, des affaires, de l’enseignement n’était pas très accueillant pour ces métèques qui jouaient le jeu de l’École républicaine, excellaient dans les études, se débrouillaient dans le commerce et occupaient des places enviées. On se demandait s’il était possible qu’un Juif comprît Racine, aujourd’hui, quand des collégiens issus de l’immigration alignent trois vers, ils remportent la palme du festival de Cannes. Le discours le plus républicain dans la France de 2011 serait stigmatisant parce qu’il invite les musulmans à ne pas trop faire bande à part. On regrette que les Juifs, hier, n’aient pas été stigmatisés comme ça.

Malgré ces réalités, des autorités juives, croyant bien faire, se dressent entre le discours nouveau du Front national et leurs ouailles, craignant d’égarer quelques brebis et de faire reprendre du poil à la bête. Marine Le Pen veut réaffirmer que la République ne reconnaît aucune communauté et elle ne se rendra jamais au dîner du CRIF. Je comprends que ça en chagrine certains : pas moi, ni comme Français, ni comme Juif.[/access]

Abattage rituel, le député UMP Nicolas Dhuicq veut une loi

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Trois questions à Nicolas Dhuicq, député UMP de l’Aube et auteur d’une proposition de loi sur l’information du consommateur quant au mode d’abattage des animaux[1. Avertissement : Cet entretien a été réalisé par téléphone le 7 mars dernier, soit quatre semaines avant le débat organisé par le l’UMP sur la laïcité].

David Desgouilles – Vous avez déposé en novembre dernier une proposition de loi visant à améliorer l’information du consommateur quant au mode d’abattage des animaux. Elle a été co-signée par 55 collègues de la majorité. En quoi elle consiste t-elle ?

Nicolas Dhuicq – Commençons par le début si vous le voulez bien. Ma prise de conscience sur ce sujet remonte à un jour où je souhaitais acheter, pour déjeuner, un sandwich dans une échoppe du centre-ville de Troyes. Impossible de trouver autre chose que du hallal. J’avais trouvé cela assez étonnant. Ensuite, nous avons assisté à la campagne des militants de la cause animale, notamment Brigitte Bardot, campagne qui alertait l’opinion sur les conditions d’abattage sans étourdissement1. Enfin, il y a eu cette proposition de loi de mon collègue sénateur About (UC). Cette dernière comportait non seulement un étiquetage explicite mais aussi un contrôle des volumes d’animaux abattus sans étourdissement afin de les mettre en adéquation avec les consommateurs. On entrait dans un système de quotas qui ne me convenait guère puisque ce n’est pas la tradition française d’établir des statistiques en fonction de la religion.

En fait, beaucoup de morceaux d’animaux abattus de manière rituelle sont réinjectés dans le circuit normal. Si la filière casher comporte des prescriptions extrêmement précises et compliquées, elle ne connaît pas une grande rentabilité parce qu’il s’agit d’un micro-marché. En revanche, avec la filière halal, les abattoirs gagnent davantage puisqu’on saute l’étape de l’étourdissement. Il y a deux autres différences de taille entre les deux filières : le Grand Rabbin -et lui seul- certifie quatre-vingts sacrificateurs et la rémunération du culte juif est répercutée sur le consommateur en boucherie. En revanche, pour le culte musulman, il n’y a d’une part aucune centralisation, ce qui pose un problème de traçabilité pour les musulmans eux-mêmes mais cela entrave aussi deux fois la laïcité : ce n’est pas le consommateur qui paye le certificat par un surcoût ; c’est l’abattoir qui paye la taxe rémunérant le culte, et donc par extension tous les consommateurs, qu’ils soient musulmans pratiquants ou non. D’autre part, il y a discrimination à l’embauche puisque c’est forcément un musulman qui doit prononcer les phrases rituelles lors de l’abattage de l’animal.
C’est fort de tous ces constats que j’ai décidé de déposer cette proposition d’étiquetage obligatoire du mode d’abattage.

David Desgouilles : Comment votre proposition a t-elle été accueillie ?

Nicolas Dhuicq – On peut parler d’affolement au niveau des autorités religieuses. Le consistoire juif s’est inquiété du fait de la position de « micro-marché » de la filière casher. Quant au CFCM, il l’a davantage été par le danger que pouvait faire coïncider ma proposition de loi avec l’extrême division des pratiques et des « autorités certificatrices » parmi les musulmans.

C’est surtout cette forte inquiétude qui m’a guidé dans mon choix de suspendre ma proposition afin d’auditionner davantage les parties en présence. Il fallait calmer les esprits puisqu’il s’agit d’un sujet technique et complexe, un débat assez compliqué. Mon groupe parlementaire n’a pas été fâché que je suspende mon initiative même s’il est conscient qu’il ne s’agit pas d’un retrait définitif tant ma détermination est grande ; les problèmes soulevés dans mon exposé des motifs, après tout, demeurent.

David Desgouilles : On a l’impression qu’au lieu d’agir et de faire respecter la Loi, les principes laïques, les pouvoirs publics sont davantage occupés à organiser des débats, comme sur l’identité nationale ou en appuyer d’autres, comme celui qu’organise JF Copé sur la Laïcité. Qu’en pensez-vous ?

Nicolas Dhuicq – Dans l’absolu, je suis d’accord avec vous. Le rôle de l’élu, c’est effectivement de décider. Pour autant, je ne jette pas la pierre ni au gouvernement ni à mes collègues. Car nos sociétés occidentales traversent une véritable crise de rapport à l’autorité. Cette dernière étant devenue suspecte par nature, on est entré dans l’ère du tout-participatif.

L’Islande, l’autre pays de la révolution

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Un pays essentiellement connu pour ses grandes blondes, ses fjords, ses sagas, ses geysers et ses aurores boréales ne peut pas être franchement mauvais. J’ai donc pour l’Islande un a priori favorable. Il y a bien sa littérature policière qui, comme celle de tous les pays nordiques, sent le saumon fumé pas frais et la laine mouillée, et ferait passer Derrick pour James Bond, mais bon, on ne va pas chipoter. Je me souviens qu’il y a quelques années, quand on a recensé les armes possédées par des particuliers, on a dû trouver en tout et pour tout une dizaine de fusils de chasse dans ce pays d’un peu plus de 320 000 habitants. Je me souviens aussi que dans les années 1980, ils ont eu une présidente, Vigdis Finnbogadottir, ancienne directrice de troupe de théâtre, qui avait fait ses études universitaires à la Sorbonne, comme n’importe quel chef d’Etat africain, mais que contrairement à un chef d’Etat africain, elle avait été élue au suffrage universel et n’avait pas besoin de l’armée française pour lui expliquer qu’il fallait partir.

Même quand ils font dans la catastrophe naturelle, ces catastrophes naturelles qui sont tout de même autant de rappels de la fragilité et de la vanité de nos civilisations, les Islandais, contrairement aux Japonais ne choisissent pas l’épouvante absolue, radicale et définitive de l’holocauste nucléaire potentiel, mais l’éruption volcanique, certes spectaculaire mais non meurtrière d’Eyjafjöll qui envoya à la fin de l’hiver 2010 un gigantesque nuage de cendres dans l’atmosphère, paralysant ou désorganisant pendant plusieurs semaines le trafic aérien.

Le scénario qui apparaissait alors aux amateurs d’anticipation, pour peu qu’ils aient de l’imagination, c’était un avenir où le mot voyage aurait repris tout son sens, où la lenteur serait redevenue vertu, où le déplacement des populations n’aurait soudain plus été soumis à l’accélération permanente et absurde exigée par le tourisme de masse ou le transport mondialisé des marchandises, quand, sur l’étal d’un vendeur de primeurs, l’oignon de Thaïlande est moins cher que l’oignon bien de chez nous[1. Vu ce dimanche sur un marché lillois]. Ce n’était pas, comme à Fukushima ces jours-ci, l’image d’une humanité en phase terminale, constituée de travailleurs précaires, forcément précaires et désespérément héroïques, gagnant leur vie en la perdant dans les ruines radioactives d’un Prométhée technologique décidément mal enchaîné par des opérateurs privatisés.

Et même quand ils choisissent l’option « révolution » à leur programme d’histoire, ils trouvent le moyen d’être exemplaires, les Islandais. Vous trouvez, avec raison, les révolutions arabes difficilement lisibles. La Tunisie, c’est 89 ou 48 ? L’Egypte, c’est le Portugal de 74 ou le 18 Brumaire ? Bahreïn, c’est une chasse aux chiites initiée par l’Arabie Saoudite, l’URSS écrasant le printemps de Prague ou un peu des deux ? Quant à la Libye, c’est manifestement tout ce qu’on veut mais ça ressemble très moyennement à une révolution. En plus, tout ça, à force, commence à faire beaucoup de morts.

Les Islandais, eux, ont décidé de faire leur révolution sans tuer personne, ce qui ne la rend pas moins efficace. En plus, pour le coup, elle est relativement facile à comprendre puisque son moteur est simple, clair, lumineux : le peuple refuse à répétition, par la voie de référendums, manifestations et occupations des lieux de pouvoir, de payer pour la catastrophe financière de septembre 2008 dont chez eux la principale responsable est la banque Icesave. No, no, no : comme dans une chanson d’Amy Winehouse ou, pour ceux qui préfèrent, de Michel Polnareff.

Evidemment, sur cette révolution islandaise, les médias sont d’une discrétion de violette. Trois cent mille Vikings calmement en colère depuis des mois et déterminés à ne pas se laisser faire, ça pourrait donner des idées. Ailleurs. En Méditerranée, mais sur la côte septentrionale, si vous voyez ce que je veux dire. Dans les pays appelés gentiment PIGS[2. Portugal, Italy, Greece, Spain] du côté de la City.

Bon, dans la vulgate économique dominante, on vous dit que chaque citoyen islandais a une dette de 12 500 euros et que cela représente 40% du PIB, vous vous dites : « C’est pas possible, ils sont Grecs ou quoi ? La retraite à 45 ans, des fonctionnaires partout, un Etat qui s’occupe de tout, soigne, transporte, éduque, et voilà le résultat. La ruine. Puisqu’on vous dit que c’est terminé l’époque de l’Etat providence. Maintenant, il faut des économies ouvertes et des déficits inexistants pour être compétitifs et rassurer les agences de notation. »
Sauf que non.
Si les Islandais doivent tout ça, ce n’est pas de leur faute (en admettant, ce qui est de toute façon bien discutable, que ce soit la faute des Grecs, des Irlandais et des Portugais s’ils se retrouvent dans leur situation), c’est de la faute d’une banque entièrement privée, une banque en ligne, Icesave, qui a perdu 3,9 milliards d’euros en septembre 2008, essentiellement l’épargne de Britanniques et de Néerlandais qui capitalisaient pour leur retraite puisque eux, contrairement à ces bourriques de Français, avaient bien compris à quel point c’était démodé la retraite par répartition.
Les gouvernements britanniques et hollandais se sont donc retournés vers le gouvernement islandais. Comme tout gouvernement moderne de droite, du centre ou de gauche, le gouvernement islandais a été immédiatement capitulard devant le capitalisme et a dans un premier temps accepté de payer ou plutôt de faire payer sa population.
Une population qui vient dimanche 11 avril par référendum pour la deuxième fois de repousser la troisième mouture d’une « loi Icesave » qui prévoyait pourtant d’étaler les paiements.

Un référendum ? Eh oui, en Islande 40 000 signatures et hop, c’est comme en Suisse, le pouvoir est obligé de l’organiser. Les Suisses votent contre les minarets parce qu’ils sont riches et qu’ils n’ont que çà comme problème, les Islandais, eux, votent contre les banquiers parce qu’ils ne sont pas trop pauvres et voudraient bien que ça dure.

À ceux qui trouveraient que le mot révolution est un peu abusif pour qualifier ce qui se passe depuis plusieurs mois du côté de Reykjavik, on rappellera tout de même que les Islandais ont d’abord chassé la droite au pouvoir en assiégeant pacifiquement le palais présidentiel, que la gauche libérale de type strauss-khanien a elle aussi été aimablement renvoyée à ses chères études parce qu’elle entendait, ô surprise, mener la même politique que la droite, qu’un premier référendum imposé par le peuple pour déterminer s’il fallait rembourser ou pas les banques (dont Icesave) a vu une victoire du non par 93% et qu’il a été dans la foulée décidé une nationalisation du secteur du crédit. Pour couronner le tout, le 27 novembre 2010, les Islandais ont élu une Assemblée constituante chargée d’élaborer des lois fondamentales, pour éviter notamment ce genre de mauvaises surprises à l’avenir.

Alors si ce n’est pas une révolution, Sire, qu’est-ce donc ?

Libye : ni BHL, ni Munich

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photo : FightBack

Pas facile de faire entendre une voix qui ne donne ni dans le trémolo martial béhachélien ni dans le chuchotis de couard autarcique, autrement dit une voix qui ose admettre qu’elle ne parle pas au nom de la Raison, de la Morale et du Progrès réunis, mais qui pour autant ne rechigne pas à prendre parti.

Prendre parti dans un conflit qui n’est pas le nôtre, cela suppose une certaine pudeur et un certain style, cela suppose surtout de savoir qui nous sommes, quelles sont nos valeurs et quelle est notre cohérence, une question d’identité en somme, n’ayons pas peur des gros mots. Kadhafi n’est-il donc un dictateur que depuis le début de ce mois ? N’avait-il participé à aucun attentat ni jamais emprisonné aucun opposant du temps où il était reçu, et avec tous les honneurs, en France ? Il ne s’agit pas ici de protéger des civils affolés et des insurgés désorganisés − mais au sein desquels des hommes remarquables existent puisque BHL les a remarqués −, de les soustraire à la folie meurtrière de fous surarmés soutenant le Fou suprême, il ne s’agit pas de laisser tout un peuple mourir sous les balles d’un clan mafieux, il s’agit de comprendre qu’il s’agit là d’une guerre civile, que les « milices » qui soutiennent Kadhafi font partie du peuple libyen, qu’on le veuille ou non, et que ceux qui veulent le renverser ne sont pas nécessairement, par ce simple projet, des démocrates modérés propres sur eux. Le principe des frappes aériennes exclusives est donc au mieux un mensonge, au pire une illusion.

Une fois de plus cependant, sans pudeur et sans style, l’universalisme occidental, drapé dans ses principes intangibles mais n’intervenant jamais que là où ses intérêts économiques sont en péril, vient faire la leçon, comme s’il lui revenait de droit de stopper net, en tous lieux, le sang et les larmes.

Alors, aider à renverser Kadhafi, pourquoi pas, mais pour aider qui ? L’idée que tout peuple soit épris de liberté est une belle idée, mais le fait qu’il puisse devenir républicain ou démocrate parce qu’il s’est libéré de l’oppression n’est qu’une croyance occidentale, voire un leurre savamment entretenu. Il ne suffit pas de renverser les tyrans, il faut encore que le peuple qui y parvient en fasse une histoire personnelle, qu’à travers les mythes, les exploits et les faits ordinaires de sa révolte, il conquière son propre destin, et de massacres en réconciliations, s’arme pour la suite. Il y a diverses façons d’aider celui qui est en train d’écrire son propre récit, mais lui tenir la main en jouant les matamores est une lourde responsabilité qui peut conduire ensuite aux troubles identitaires, au suivisme comme à la rancœur.

Il est pas interdit d’entendre ceux qui, parmi les révoltés libyens, refusent l’aide occidentale ; il n’est pas inutile de comprendre le positionnement de la Ligue arabe ; il n’est pas scandaleux d’écouter l’Allemagne dont la logique n’est pas moins économiste que ceux qui, aujourd’hui, se font les hérauts de ce peuple-là, tout en détournant les yeux d’autres qui, ailleurs, sont tout aussi à feu et à sang. C’est la cohérence qui nous sauvera des pièges conjoints de l’ingérence emphatique et de la faiblesse munichoise. Nous ne sommes pas la source de tous les maux comme tant de professionnels du ressentiment voudraient nous le faire croire, mais nous ne sommes pas davantage la résolution inespérée du moindre conflit.

Comment devenir une voix singulière qui ne serait le porte-parole d’aucune faction ni d’aucun empire, être sans crainte un recours opportun, savoir sans honte se tenir en retrait ? La meilleure façon de trouver sa place est encore de n’avoir plus peur de tenir son rang. Embarrassées et irrésolues, la France comme l’Europe ne savent plus qui elles sont, et de ce fait alternent la frilosité et l’emportement, n’hésitant plus qu’entre deux versions, deux pôles qui les nient : tantôt conglomérats de communautés monades, tantôt championnes de l’universalisme abstrait.

Quand donc mènerons-nous à bien notre propre révolution ?

Testez votre PC

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Un instant, une terrible angoisse m’a étreint en consultant le site du Parisien Libéré qui s’ouvrait sur une bannière publicitaire ressemblant à un vrai titre et que j’ai crue m’être personnellement adressé : « Un PC peut accumuler des centaines d’erreurs cachées chaque mois : celles-ci peuvent ralentir votre système. Testez votre PC ».

Où allait se nicher l’anticommunisme, tout de même ! Des centaines d’erreurs cachées chaque mois, c’était très exagéré. Quelques unes, comme la parenthèse huiste et la participation au gouvernement Jospin, d’accord, mais elles n’étaient pas cachées. Elles s’étaient même sérieusement vues dans les résultats électoraux de cette période. Puis j’ai réalisé que je faisais ma Nadine Morano et que je confondais, non pas un chanteur et une marque automobile, mais un ordinateur et une glorieuse organisation.

En plus, cela aurait été injuste, cette histoire d’erreur : le jour même, le groupe communiste, Parti de gauche et Verts de l’assemblée nationale venait de virer Gremetz après sa brillante prestation il y a quelques semaines lors d’un débat en commission sur le nucléaire.

Hulot candidat, et pourquoi pas ?

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photo : TF1

Aucun doute possible, la politique est plus rude pour les nerfs que les primes de TF1. Voyez Nicolas Hulot. Mercredi, il annonce son intention d’être candidat à la présidentielle au nom d’une certaine idée de l’écologie et de la transformation sociale et bim !, ceux qu’on imaginait partager ses valeurs le trainent plus bas que terre.

Le voilà rhabillé par ses supposés amis en écolo-médiatique âpre au gain, ayant serré la main des plus grands capitalistes pour financer ses reportages, et n’hésitant pas à vendre du gel douche pour arrondir ses fins de mois. Bref, le portrait craché de l’usurpateur en politique. Ajoutons qu’il a osé se déclarer hier dans la salle des fêtes de Sevran, joli port de pêche de Seine Saint-Denis, bien connu pour sa misère sociale et ses règlements de compte à l’arme lourde, sans pour autant aller serrer les mains des autochtones : son cas est réglé ! Hulot usurpateur, candidat d’opérette, responsable futur d’un nouveau 21 avril alors que les Verts avaient toutes leurs chances d’accéder au pouvoir dans les sacoches à vélo du candidat PS.

Je n’ai pas de grande passion pour Hulot, ni pour les Verts en général, fussent-ils relabélisés EELV. Mais j’ai encore moins de goût pour les procès en légitimité politique, surtout quand ils fleurent bon le Fouquier-Tinville en sketbas. Ceux-là même qui pétitionnent à longueur de colonnes contre une classe politique monocolore, masculine, sexagénaire, venant des meilleures écoles de la République par la voie paternelle, considèrent que Hulot, l’animateur télé n’est rien, ni personne et ne peut donc pas être candidat. Eva Joly, qui est sans doute elle ultra-légitime, a d’ailleurs fielleusement commenté hier le projet d’Hulot : « Il ne faut pas confondre notoriété et crédibilité. » On comprend donc qu’elle, qui se voyait en madone de l’épuration verte, souffre de l’absence de l’une et sans doute du trop-plein de l’autre. Le monde politico-médiatique est mal fait.

Hulot pourtant n’en est pas à ses premiers pas politiques : lors de la dernière présidentielle, il avait fait signer à tous les candidats son pacte écologique, et pas forcément de leur plein gré. Après quoi il avait donc expliqué que, puisque tout le monde y adhérait, il n’avait pas besoin de participer au concours de beauté présidentiel. Là, ayant fait le tour de la chose télé, de la chose politique côté cour (notamment en participant au Grenelle de l’environnement) et mesurant, j’imagine, que l’adhésion générale à son projet écolo était du pipi de bébé phoque, il envisage de se présenter : on ne passe jamais de meilleur pacte qu’avec soi-même. Il y a sans doute aussi des raisons un rien plus cyniques à ce grand saut : la fin programmée de ses émissions sur TF1, le peu d’élan populaire suscité par Eva Joly, sa propre popularité qui se maintient sans faille, et celle du président qui n’en finit pas de s’effondrer, ouvrant un boulevard à la gauche, donc à EELV. Mais on s’en fout. Hulot, comme tout le monde, a le droit d’avoir des arrière-pensées, et il a le droit d’être candidat même après avoir été animateur sur TF1. J’allais dire surtout.

Séquence émotion comme disait Hulot, l’homme de la télé. Avez-vous déjà regardé une de ses émissions ? Moi, oui et même plusieurs. Je ne sais pas si la plongée avec des narvals au large du Labrador ou la découverte de la péninsule de Basse-Californie a fait beaucoup pour ma conscience écologique d’adolescente. Certes, les mines compassées de Hulot, son air catastrophé par la pollution, ses appels –hachés par le manque d’oxygène- aux générations futures avaient un côté prêchi-prêcha écolo casse-pied. Mais de Cousteau à Hulot, c’est tout un imaginaire naturalo-mondialiste qui s’est imprimé dans les cerveaux malades des jeunes gens comme moi. Et qui reste aujourd’hui. J’ai toujours trouvé idiot de s’apitoyer sur les conditions de vie des ours blancs pour expliquer qu’il faut éteindre la lumière quand on quitte une pièce ou qu’on ne doit pas jeter ses sacs plastique sur la pelouse du Luxembourg. Mais si ça se trouve, Ushuaïa a reformaté mon imaginaire avec du relativement sauvage et du résolument beau. Les voies du néo-civisme sont sinueuses. Pour autant, je ne pense pas qu’il faille interdire les centres-villes aux voitures (même si je préférerais, à titre tout à fait personnel de piéto-cycliste) ou taxer plus le pétrole et ses dérivés. Mais si ça se trouve, Hulot et son parapente ont un peu modelé mon comportement quotidien, à parité avec les aventures intrépides et humides du Commandant Cousteau.

Mais revenons à notre mouton noir du casting élyséen: au nom de quoi un garçon qui a fait profession de télé et y a réussi brillamment avec ses petits bras, serait-il a priori disqualifié pour se présenter aux suffrages des citoyens français ? Vous préférez les énarques qui perdent 30 kilos pour acter leur volontarisme face caméras? Les agrégés de lettres qui n’ont jamais mis les pieds dans une classe en banlieue ? Les faux facteurs ? Les anciens ministres qui ont fait fortune en monnayant leurs carnets d’adresses ? Les patrons d’organisation internationale coachés au millimètre par des agences de com’? Les magistrates intransigeantes sauf avec leurs affidés? Pourquoi pas. Mais laissez les animateurs télé se présenter aussi, au moins au nom de la diversité. On, enfin l’électeur, jugera si l’avenir avec Hulot est plus radieux qu’avec tous les autres. Je n’ai jamais vu qu’on votât, en dernier ressort, sur la notoriété ou la côte de popularité. Par bonheur tout ça demeure encore mystérieux, bordélique, illogique.

Sans quoi, à l’heure où je vous parle, Mimie Mathy serait présidente de la République.

Pas de taxi pour Tobrouk

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photo : U.S. Navy

Par les temps qui courent, s’opposer à l’intervention armée en Libye vous attire bien peu d’amis. Exception faite de quelques parias de la scène internationale – Chavez, Morales, Loukachenko, Khamenei − et du Guide libyen lui-même, l’analyste critique se trouve bien esseulé. Hormis Rony Brauman, la plupart des opposants habituels au « droit d’ingérence[1. Une notion juridiquement vide devenue, en un quart de siècle, l’impératif catégorique du droit-de-l’hommisme botté]» se rangent derrière l’action diplomatique à la hussarde de Nicolas Sarkozy. Entretemps, BHL a subrepticement succédé à Alain Juppé au Quai d’Orsay, délocalisé à Benghazi pour cause d’ingérence dans ce qui ressemble de plus en plus à une guerre civile. L’Histoire retiendra un virage éclair amorcé en quelques semaines. D’Alliot-Marie à BHL, nous sommes passés du benalisme immobilier au néo-impérialisme cheveux au vent. Pendant ce temps, on oublie le théâtre moyen-oriental, où se trame une future guerre régionale : les chiens bahreïnis aboient, la caravane saoudienne passe.[access capability= »lire_inedits »]

Quelle que soit l’horreur qu’inspire un Kadhafi aux mains tachées de sang, on est donc en droit de contester les arguments avancés en faveur de l’opération « Aube de l’Odyssée ».

Le « droit » d’ingérence est un humanisme

L’ingérence n’a jamais été un droit. Fiction juridique théorisée par Jean-François Revel, l’ingérence exprime l’idéologie des classes dominantes et permet à d’habiles stratèges pourvus de bonnes âmes de jouer les va-t-en-guerre au nom d’idées généreuses. Désormais, au nom des droits de l’homme désincarné et de la démocratie mondiale, on fait la guerre par pacifisme et on tue pour sauver des vies. Devons-nous proclamer que « nous sommes tous libyens » ? Ce droit-de-l’hommisme n’est pas seulement politiquement abscons, en ce qu’il fait fi des réalités nationales, politiques, sociales et culturelles. Moralement, un tel catéchisme se mure dans l’hémiplégie : une victime de bombardement allié est dite « collatérale » tandis que l’ennemi se retrouve apostasié… Mise en scène pratique que celle qui consiste à ignorer les massacres lorsqu’ils se situent du bon côté de la ligne de front. Souvenons-nous des exactions commises par la mafieuse UCK albanaise, relookée après la guerre menée par l’OTAN en Résistance victorieuse, à l’encontre des Serbes du Kosovo, au vu et au su d’un certain Bernard Kouchner – et de nos soldats. Le bombardement de Belgrade et l’écrasement de Milosevic (que l’on pouvait, il est vrai, considérer comme un bénéfice collatéral) se firent au nom d’un humanitarisme à géométrie variable. À l’arrivée, on n’a pas besoin de chercher des complots partout pour observer que la guerre de l’OTAN servit les objectifs géostratégiques des États-Unis en affaiblissant la Russie. Résultat : la « communauté internationale » applaudit à la naissance au cœur de l’Europe d’un État mafieux dirigé par un personnage aujourd’hui soupçonné d’odieux crimes de guerres. Ce qui montre au minimum que le lyrisme peut rimer avec la realpolitik la plus pragmatique.

En Libye, face aux crimes de guerre de Kadhafi, des causes voisines risquent de reproduire des effets identiques. Déjà, certains groupuscules salafistes prennent fait et cause pour les insurgés dans ce qui ressemble de plus en plus à une guerre civile. Certes, il serait idiot de se déterminer en fonction des affinités idéologiques de tel ou tel ou de réduire le débat public à un caricatural face-à-face BHL-Dieudonné. Les slogans islamistes portés par certains groupes tribaux assistés d’une poignée de hauts dignitaires kadhafistes n’incitent guère à l’enthousiasme. De la même façon, des chefs de la guérilla ont reconnu accueillir certains mercenaires issus des rangs mêmes d’Al-Qaïda au Maghreb, étayant en cela les allégations du fou de Tripoli, trop heureux de discréditer son opposition. Ces alliances broussailleuses ne disculpent certainement pas Kadhafi des atrocités commises contre sa population. Mais bombarder la Libye constituait-il le meilleur moyen de protéger les civils libyens ? En dehors du soutien aux insurgés, le doute est permis…

C’est l’ONU qui est aux manettes

Las ! Après quelques jours de tergiversations, l’OTAN, ce vestige de la guerre froide qui cherche sa raison d’être, aura eu raison des Nations unies. Parée de la légitimité internationale, la Coalition jongle entre plusieurs registres d’autolégitimation. On ne sait pas vraiment quels buts poursuivent Nicolas Sarkozy et ses alliés , dont quelques-uns, notre Président en tête, ont été bien prompts à reconnaître un gouvernement sans État : protéger les populations civiles ? Renverser Kadhafi ? Instaurer la démocratie et l’État de droit ? Tout cela à la fois, vous répondront les propagandistes indéfectibles de la doctrine humanitariste. L’ennui, c’est que le réel pourrait bien se rappeler à leur bon souvenir et déjouer leurs beaux projets. En dernière instance, à supposer même que les insurgés parviennent à conquérir tout le pays et à préserver l’unité nationale avant d’organiser des élections libres, que diront nos démocrates bottés si une majorité islamiste sort des urnes ? Seront-ils aussi intraitables sur le respect de la souveraineté populaire ? Après tout, l’OTAN bafoue aujourd’hui la souveraineté nationale au nom des droits de l’homme. Demain, la démocratie devra-telle passer sous la toise des droits humains ? Sans compter que les guerres, il est toujours plus facile de les commencer que de les terminer. Revenue dans le giron de l’OTAN, la France pourrait être obligée d’engager des troupes au sol si l’enlisement succède à l’emballement. Qu’en pensent les électeurs ?

Il n’y avait pas d’alternative au recours à la force

Mystification, encore et toujours. Le matraquage médiatique a joué à plein la carte du « There Is No Alternative ». Dommage, il y avait de quoi mettre l’imagination au pouvoir, pour peu que les « Occidentaux » (autre nom de l’OTAN, selon la formule consacrée) consentent à se salir un peu les mains par Chavez interposé. Quoi qu’en dise Jérôme Leroy, l’amitié avérée entre Hugo et Mouammar rendait possible un départ honorable du tyran de Tripoli, moyennant finances et immunité judiciaire. Dans un monde où il n’y aurait ni Tribunal pénal international, ni justice rendue au nom de la morale, ni guerres humanitaires, le simple rapport de forces défavorable à Kadhafi l’aurait sans doute amené à faire des concessions. Au lieu de cela, la résolution de l’ONU l’érige au rang suprême de martyr de l’Occident « croisé[2. Lapsus révélateur de Claude Guéant, qui dit la réelle nature du conflit : une croisade menée, non pas au nom de la chrétienté, mais en vertu de la religion du nouveau siècle : les droits de l’homme universel et déconnecté]». En 2003, Saddam Hussein était prêt à plier devant les inspecteurs de l’ONU avant que le bellicisme américain ne rende la guerre inéluctable ; si on ne lui laisse aucune porte de sortie, Kadhafi préférera combattre jusqu’au dernier Libyen pour finir par mourir en martyr. La sécurité des Libyens y aura-t-elle gagné ?

À tout cela, il faut ajouter le message envoyé aux dictateurs : si vous ne voulez pas finir assassiné ou jugé par un tribunal occidental, dotez-vous d’armes de destruction massive. À Pyongyang, l’intouchable Kim Jong-il rit tranquillement en affamant son peuple. Alors que le drame de Fukushima hante les esprits occidentaux, l’affaire libyenne assure le service après-vente de l’arme atomique. Tenez-le vous pour dit : si Kadhafi, comme Saddam, n’avaient pas démantelé leurs arsenaux, ils dormiraient bien au chaud sous les ors de leurs palais.

Les mystères de l’ingérence « humanitaire » demeurent donc insondables. Je préfère de plus en plus la version originale d’Un taxi pour Tobrouk à son remake occidentaliste…[/access]

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L’Etat-providence contre l’assimilation

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La vie est un long apprentissage. Pendant longtemps, j’ai pensé – sans jamais vraiment chercher à le vérifier – qu’une immigration importante ne pouvait avoir qu’un effet négatif sur le salaire et le taux de chômage de la population d’un pays. Après tout, c’est le principe de l’offre et de la demande : si l’offre de travail augmente, à demande constante, les salaires doivent s’ajuster à la baisse et si les salaires ne peuvent s’ajuster (à cause d’un salaire minimum légal par exemple), un afflux d’immigrants devrait créer mécaniquement du chômage. Eh bien j’avais tort.

Il y a eu, ces dernières années, un regain d’intérêt remarquable pour les études économiques sur l’impact de l’immigration sur le marché du travail. C’est un phénomène classique : en période de crise, les premiers accusés sont les immigrés qui viennent « voler nos emplois » et cette idée est d’autant plus facile à vendre – politiquement parlant – qu’elle a la couleur, le goût et l’odeur d’une simple remarque de bon sens. Seulement voilà, à chaque fois qu’on a essayé de mesurer objectivement cet impact, on n’a rien trouvé de significatif et, mieux encore, on a même souvent découvert un léger effet inverse. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce que nous disent les chiffres, c’est qu’un fort taux d’immigration n’entraîne pas de baisse des salaires (ou de montée du chômage) et peut même entraîner une légère hausse des rémunérations des travailleurs natifs (ou un recul du chômage).

Ce que démontrent ces études, c’est que les immigrants ne remplacent pas les natifs – c’est-à-dire qu’ils n’entrent pas ou peu en compétition avec eux pour les mêmes emplois – mais augmentent le nombre total d’emplois dans l’économie. En d’autres termes, il existe un effet de complémentarité qui fait plus que compenser l’effet de substitution. Imaginez, par exemple, qu’une entreprise du bâtiment n’arrive pas à recruter d’ouvriers : elle se trouve, dès lors, dans l’obligation de licencier plusieurs de ses chefs de chantier. En revanche, si elle a la possibilité d’employer des ouvriers immigrés – qui, parce qu’ils sont moins qualifiés, acceptent de travailler pour moins cher ou d’exécuter des tâches moins gratifiantes que les natifs – elle peut accepter plus de chantiers et donc embaucher du personnel d’encadrement qui a toutes les chances d’être composé de natifs. Dans une note de synthèse de ses recherches sur le marché du travail étatsunien[1. The Effect of Immigrants on U.S. Employment and Productivity, G. Peri (2010)], Giovanni Peri, l’un des spécialistes les plus reconnus en la matière, confirme que cet effet de complémentarité crée plus d’emplois pour les salariés nés américains que n’en « détruit » la compétition avec des immigrés. En approvisionnant l’économie américaine en maçons, ouvriers agricoles et autres chauffeurs de taxis, l’immigration permet aux entreprises américaines d’accroître leur capacité de production, de vendre plus et donc, d’embaucher plus de chefs de chantier, de responsables d’exploitation et de répartiteurs de taxis américains.

L’Etat-providence a cassé la machine à intégrer

Au total, comme le note Giovanni Peri dans son résumé, l’immigration augmente la capacité productive d’une économie, stimule l’investissement et promeut la spécialisation qui, à long terme, améliore la productivité. Rajoutez à cela que lesdits immigrés vont bien évidemment devoir se nourrir, s’habiller et se loger et vous obtenez un bilan économique net de l’immigration aussi positif dans les faits qu’il est négatif dans l’imaginaire collectif.

À ce stade, on est dans un monde harmonieux où des immigrés viennent compléter les capacités productives du pays accueillant, s’insèrent dans sa société par le travail et adaptent d’eux-mêmes leurs us et coutumes pour augmenter leurs chances de succès dans leur nouveau pays. Seulement voilà : il semble que malgré cela, nous ayons vraiment un problème avec notre immigration et que ce problème ne soit pas lié au nombre d’immigrants, puisqu’en 2008, nous affichions un taux net de 1.48 immigrants pour mille habitants alors que des pays comme le Portugal ou l’Australie affichaient des taux de deux à quatre fois supérieurs sans que cela pose de problèmes insurmontables à leurs populations natives.

La réalité de notre monde, c’est que l’Occident, l’Europe et la France sont des îlots de prospérité perdus au milieu d’un océan de pauvreté. C’est de moins en moins vrai au fur et à mesure que les pays dits émergents émergent effectivement en rejoignant le concert de l’économie de marché et de la mondialisation mais cela reste une réalité tangible de ce monde. Une autre réalité, cette fois ci une réalité française, c’est que nous avons un Etat-providence qui, dans un moment de faiblesse, a décrété que ses largesses ne se limitaient pas aux seuls Français mais à toute personne vivant sur notre sol. Or, voilà, dans ce monde tel qu’il est, offrir à des étrangers la possibilité de profiter de nos systèmes sociaux pour peu qu’ils viennent s’installer chez nous a une conséquence évidente : cela attire des gens qui ne viennent pas pour travailler et s’intégrer mais pour profiter de l’aubaine.

Les seuls fautifs, c’est nous !

Entendons-nous bien : moralement, humainement, nous n’avons pas le droit de reprocher à un Tunisien ou à un Algérien de fuir la misère de son pays pour venir profiter de nos aides sociales. Ce faisant, il ne fait rien d’immoral et se comporte au contraire en bon père de famille qui cherche à assurer une vie meilleure à ses enfants. De quel droit le lui reprocherions-nous ? Ne ferions-nous pas exactement la même chose à sa place ? Nous avons créé une règle du jeu ; les gens utilisent cette règle au mieux de leurs intérêts : c’est aussi simple que cela. Dans cette histoire, nous sommes les seuls fautifs.

Si on veut trouver une solution, il faut commencer par identifier correctement le problème et en l’espèce, ce n’est pas l’immigration en tant que telle mais « l’immigration d’assistance » – générée par notre Etat-providence. Non seulement, notre système n’est pas viable financièrement – nous ne pouvons pas, comme disait Michel Rocard, « accueillir toute la misère du monde » – tout en admettant qu’il fallait en prendre notre part -, mais il a aussi, et surtout, brisé le mécanisme d’intégration naturel de notre société civile. C’est pourtant si simple, si évident : pour vivre, il faut travailler et pour travailler, il faut s’adapter, coopérer et s’intégrer à la communauté dans laquelle on prétend vivre. C’est ce mécanisme qui a fonctionné pendant des millénaires durant lesquels nous nous sommes très bien passés de ministères de l’immigration, de l’intégration ou de l’identité nationale et c’est ce mécanisme qu’il s’agit de remettre en état aujourd’hui.

[1]

J’ai tout lu de Roux, sauf Combaluzier

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L’affaire Zadig & Voltaire c/ Fréderic & Lefebvre, Causeur vous la commentait dès le 4 avril à 14h20, sous la plume de mon amie Muriel Gremillet.

Ce qu’elle ne pouvait pas encore savoir à l’époque, c’est le fameux concours de blagues auquel cette bourde allait donner lieu sur le net. Moi-même, pour vous dire, je n’en ai été averti que par la lecture du Monde magazine.

Dieu sait que je ne ris pas tous les jours à la lecture de cet hebdomadaire. Mais là ça fait cinq jours déjà, et je ne m’en remets pas. C’est un certain Thomas Wieder qui signale opportunément les meilleurs conseils de lecture prodigués à l’apprenti écrivain-ministre par les internautes. Ça va du politique (Le Manifeste du parti communiste de Marks & Spencer) au polar (L’Assassin habite au Century 21) en passant par la philo : Ainsi parlait Zara.

C’est bien simple : je n’avais pas ri d’aussi bon cœur depuis la campagne de Chirac en 95.

Les infortunes de l’ISF

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Finalement, il n’aura pas duré un quinquennat. Le bouclier fiscal vient d’être enterré par le président de la République en même temps que l’annonce d’une réforme de l’ISF. Evidemment, le résultat de la réforme est un peu loin de la promesse faite il y a quelques semaines : un donnant-donnant fiscal. Je supprime le bouclier fiscal (symbole pour la gauche de l’injustice fiscale) mais je supprime aussi l’ISF (symbole de l’impôt idiot et confiscatoire pour la droite) ne sera pas supprimé, mais réservé aux contribuables dont le patrimoine dépasse 1,3 millions d’euros -à condition qu’il ne soient pas assez riches ou assez malins pour y échapper déjà totalement.

L’opposition considère que cette réforme relève du « bricolage », d’autant que les effets sur le budget de l’Etat et sur le patrimoine des Français ne sont pas encore évidents à mesurer. La palme de la réaction hostile revient sans doute à Jean-Luc Mélenchon qui, ce matin sur Canal Plus, a bien sûr fustigé ce remaniement fiscal. Mais au-delà de la seule critique, le Monsieur Plus du Parti de gauche propose lui aussi de remanier l’impôt, mais à sa façon: «Au-delà de 300 000 euros de revenus par an, on prend tout, 100 %! » Voilà une réforme qui aurait au moins le mérite de la clarté.

« La vérité, Marine, c’est bon pour nous ? »

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En mars, nous avons tous été privés d’une des émissions les plus intéressantes et inattendues de l’actualité politique française mais, pour moi comme pour tous les Juifs que je connais, la plus attendue : l’interview de Marine Le Pen sur Radio J. Des voix juives se sont élevées au sein de la « communauté » contre la diffusion d’une parole frontiste sur les ondes israélites de France et la présidente du Front national a été désinvitée. On le regrette amèrement, mais il n’est pas scandaleux qu’une radio privée communautaire refuse de recevoir un homme ou une femme politique.[access capability= »lire_inedits »] Après tout, les Juifs qui financent, qui animent et même ceux qui écoutent Radio J, et le CRIF qui représente tout ce petit monde, font ce qu’ils veulent chez eux, c’est leur droit, contrairement à Michel Drucker ou à Laurent Ruquier qui font ce qu’ils veulent sur une télé de service public qui ne leur appartient pas.

Cette décision m’a mis en colère et, si j’avais eu ma carte au CRIF, je l’aurais découpée devant la caméra de mon portable mais, je le répète, il n’y a là rien de scandaleux : je trouve juste cela indigne. Je précise à l’attention du lecteur qu’il n’y a pas de carte du CRIF et à l’attention du membre d’Égalité et Réconciliation[1. Association animée par Alain Soral] que si, bien sûr, il y en a une, mais qu’elle est secrète et qu’elle donne au porteur des pouvoirs qu’on m’interdit de nommer ici.

Une manifestation dont le mot d’ordre était « Pas une voix juive pour le FN ! » a suivi, organisée par l’UEJF qui s’inquiétait que « certains Juifs puissent être tentés d’adhérer au discours de Marine Le Pen ». Je veux bien qu’on s’inquiète pour moi et même qu’on veuille m’empêcher de céder à la tentation mais, si je ne demande qu’à être convaincu, il me faut un débat et des arguments, pas un refus du dialogue et des mises en garde. Et qu’on ne me parle pas de « vote juif ». Si je n’avais pas prévu, avant cette censure et ces injonctions, de voter FN, je crois bien que je l’aurais décidé après et, même si Moïse était descendu du Sinaï pour me dire « Front national tu ne voteras pas », je l’aurais envoyé voir là-haut si j’y suis. Même le Bon Dieu s’est montré plus libéral que les antifascistes de l’UEJF, avec son arbre de la connaissance et sa pomme, malgré sa crainte « qu’un certain Juif puisse être tenté d’adhérer au discours d’une autre tentatrice ». Le libre-arbitre, ce n’est plus bon pour les Juifs ? Réjouissons-nous que ces jeunes résistants n’aient pas le pouvoir de déclencher le déluge en cas de victoire du Front.
Marine Le Pen s’est exprimée sur cette question dans des termes qui m’auraient convaincu si Moïse m’avait fait douter, expliquant que ce refus de la soumettre à la question n’était ni démocratique, ni républicain. J’ajouterais qu’en plus, ce n’est pas juif.

Il n’est pas démocratique que les représentants d’une communauté tournent le dos à un parti politique qui, à en croire les sondages, emporte l’adhésion d’un électeur sur quatre. Cette posture a fait son temps et on ne peut pas continuer à clamer son attachement à la démocratie et prétendre œuvrer à sa défense quand on refuse d’accueillir la diversité des idées et celles portées, que cela plaise ou non, par des millions d’électeurs et par Marine Le Pen.

Il n’est pas très républicain non plus d’appréhender un débat politique avec un réflexe communautaire. On peut se demander à propos de tout et de n’importe quoi si « c’est bon pour les Juifs » mais, même sur une radio juive, nous sommes les citoyens d’une nation qui mérite qu’on se pose aussi des questions françaises. L’idéal républicain exige que l’on s’engage ou que l’on se prononce en politique dans l’intérêt supérieur de la nation et pas pour défendre les intérêts particuliers de sa classe, de sa corporation ou de sa communauté. Si certains ne peuvent pas s’empêcher de voter juif, qu’ils s’abstiennent de s’en vanter car il n’y a vraiment pas de quoi.

Enfin, ce n’est pas juif de refuser un dialogue. Depuis quand des Juifs renoncent-ils à un exercice dialectique ? Peut-on laisser le soin d’entamer une réflexion sur « Marine Le Pen et la question juive » à des goys qui devront tenter d’y apporter des réponses ou d’y ajouter des questions pendant les cinq mille prochaines années ? Il y a un contentieux entre les Juifs et le Front national à cause des provocations antisémites de Jean-Marie Le Pen et de la complaisance qui existe encore dans ce parti pour le négationnisme. L’occasion a été manquée de régler ce différend incontournable. Si Marine est une néo-nazie qui avance masquée, il n’aurait pas été difficile pour un journaliste malin qui connait Drumont, Maurras et Bernanos, un chercheur de petite bête immonde qui monte, de déjouer la manœuvre. Est-ce juif de se dégonfler devant une femme politique quand on a les moyens de la faire parler ? Si, comme elle le prétend, elle a tourné cette page sombre de l’histoire du FN, qu’on lui demande des gages, des explications, des preuves et qu’un règlement de comptes en règle serve la vérité. Si un média juif, qui est censé s’y connaître en antisémitisme, capable de traquer cette perversion dans les moindres replis des arrière-pensées, entre les lignes et derrière les mots n’est pas foutu de tendre un guet-apens à une supposée fasciste, à quoi sert-il ?

L’antisémitisme du Front national était l’un des arguments du président du CRIF pour justifier le refus de recevoir Marine Le Pen : l’islamophobie était l’autre. Richard Prasquier a repris cette idée brillante, qui depuis a fait son chemin pour accoucher d’une étoile verte dans l’esprit d’Abderrahmane Dahmane, selon laquelle les musulmans aujourd’hui souffrent de la même stigmatisation que les juifs hier. Même ceux qui ne savent pas lire mais qui ont regardé ARTE une ou deux fois au cours des vingt dernières années sentent que la comparaison est déplacée. Sans même parler de Vichy, des lois raciales, du statut des Juifs, des exclusions et des persécutions croissantes jusqu’à la solution finale, le discours anti-juif d’avant-guerre était l’exact opposé des propos actuels du FN, islamophobes ou jugés comme tels. Nos grands-parents auraient accueilli avec bonheur un débat national visant à favoriser l’émergence d’un judaïsme de France. Les ashkénases se seraient peut être méfiés d’une Haute autorité visant à punir la discrimination à l’embauche des Juifs parce que « ces trucs-là, ça finit toujours par nous retomber dessus », mais seraient restés éternellement reconnaissants. La France des années 1930 ne reprochait pas à ses Israélites leur communautarisme, elle était effrayée par leur capacité à s’assimiler un peu trop vite et un peu trop bien. Le monde de la culture, des affaires, de l’enseignement n’était pas très accueillant pour ces métèques qui jouaient le jeu de l’École républicaine, excellaient dans les études, se débrouillaient dans le commerce et occupaient des places enviées. On se demandait s’il était possible qu’un Juif comprît Racine, aujourd’hui, quand des collégiens issus de l’immigration alignent trois vers, ils remportent la palme du festival de Cannes. Le discours le plus républicain dans la France de 2011 serait stigmatisant parce qu’il invite les musulmans à ne pas trop faire bande à part. On regrette que les Juifs, hier, n’aient pas été stigmatisés comme ça.

Malgré ces réalités, des autorités juives, croyant bien faire, se dressent entre le discours nouveau du Front national et leurs ouailles, craignant d’égarer quelques brebis et de faire reprendre du poil à la bête. Marine Le Pen veut réaffirmer que la République ne reconnaît aucune communauté et elle ne se rendra jamais au dîner du CRIF. Je comprends que ça en chagrine certains : pas moi, ni comme Français, ni comme Juif.[/access]

Abattage rituel, le député UMP Nicolas Dhuicq veut une loi

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Trois questions à Nicolas Dhuicq, député UMP de l’Aube et auteur d’une proposition de loi sur l’information du consommateur quant au mode d’abattage des animaux[1. Avertissement : Cet entretien a été réalisé par téléphone le 7 mars dernier, soit quatre semaines avant le débat organisé par le l’UMP sur la laïcité].

David Desgouilles – Vous avez déposé en novembre dernier une proposition de loi visant à améliorer l’information du consommateur quant au mode d’abattage des animaux. Elle a été co-signée par 55 collègues de la majorité. En quoi elle consiste t-elle ?

Nicolas Dhuicq – Commençons par le début si vous le voulez bien. Ma prise de conscience sur ce sujet remonte à un jour où je souhaitais acheter, pour déjeuner, un sandwich dans une échoppe du centre-ville de Troyes. Impossible de trouver autre chose que du hallal. J’avais trouvé cela assez étonnant. Ensuite, nous avons assisté à la campagne des militants de la cause animale, notamment Brigitte Bardot, campagne qui alertait l’opinion sur les conditions d’abattage sans étourdissement1. Enfin, il y a eu cette proposition de loi de mon collègue sénateur About (UC). Cette dernière comportait non seulement un étiquetage explicite mais aussi un contrôle des volumes d’animaux abattus sans étourdissement afin de les mettre en adéquation avec les consommateurs. On entrait dans un système de quotas qui ne me convenait guère puisque ce n’est pas la tradition française d’établir des statistiques en fonction de la religion.

En fait, beaucoup de morceaux d’animaux abattus de manière rituelle sont réinjectés dans le circuit normal. Si la filière casher comporte des prescriptions extrêmement précises et compliquées, elle ne connaît pas une grande rentabilité parce qu’il s’agit d’un micro-marché. En revanche, avec la filière halal, les abattoirs gagnent davantage puisqu’on saute l’étape de l’étourdissement. Il y a deux autres différences de taille entre les deux filières : le Grand Rabbin -et lui seul- certifie quatre-vingts sacrificateurs et la rémunération du culte juif est répercutée sur le consommateur en boucherie. En revanche, pour le culte musulman, il n’y a d’une part aucune centralisation, ce qui pose un problème de traçabilité pour les musulmans eux-mêmes mais cela entrave aussi deux fois la laïcité : ce n’est pas le consommateur qui paye le certificat par un surcoût ; c’est l’abattoir qui paye la taxe rémunérant le culte, et donc par extension tous les consommateurs, qu’ils soient musulmans pratiquants ou non. D’autre part, il y a discrimination à l’embauche puisque c’est forcément un musulman qui doit prononcer les phrases rituelles lors de l’abattage de l’animal.
C’est fort de tous ces constats que j’ai décidé de déposer cette proposition d’étiquetage obligatoire du mode d’abattage.

David Desgouilles : Comment votre proposition a t-elle été accueillie ?

Nicolas Dhuicq – On peut parler d’affolement au niveau des autorités religieuses. Le consistoire juif s’est inquiété du fait de la position de « micro-marché » de la filière casher. Quant au CFCM, il l’a davantage été par le danger que pouvait faire coïncider ma proposition de loi avec l’extrême division des pratiques et des « autorités certificatrices » parmi les musulmans.

C’est surtout cette forte inquiétude qui m’a guidé dans mon choix de suspendre ma proposition afin d’auditionner davantage les parties en présence. Il fallait calmer les esprits puisqu’il s’agit d’un sujet technique et complexe, un débat assez compliqué. Mon groupe parlementaire n’a pas été fâché que je suspende mon initiative même s’il est conscient qu’il ne s’agit pas d’un retrait définitif tant ma détermination est grande ; les problèmes soulevés dans mon exposé des motifs, après tout, demeurent.

David Desgouilles : On a l’impression qu’au lieu d’agir et de faire respecter la Loi, les principes laïques, les pouvoirs publics sont davantage occupés à organiser des débats, comme sur l’identité nationale ou en appuyer d’autres, comme celui qu’organise JF Copé sur la Laïcité. Qu’en pensez-vous ?

Nicolas Dhuicq – Dans l’absolu, je suis d’accord avec vous. Le rôle de l’élu, c’est effectivement de décider. Pour autant, je ne jette pas la pierre ni au gouvernement ni à mes collègues. Car nos sociétés occidentales traversent une véritable crise de rapport à l’autorité. Cette dernière étant devenue suspecte par nature, on est entré dans l’ère du tout-participatif.

L’Islande, l’autre pays de la révolution

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Un pays essentiellement connu pour ses grandes blondes, ses fjords, ses sagas, ses geysers et ses aurores boréales ne peut pas être franchement mauvais. J’ai donc pour l’Islande un a priori favorable. Il y a bien sa littérature policière qui, comme celle de tous les pays nordiques, sent le saumon fumé pas frais et la laine mouillée, et ferait passer Derrick pour James Bond, mais bon, on ne va pas chipoter. Je me souviens qu’il y a quelques années, quand on a recensé les armes possédées par des particuliers, on a dû trouver en tout et pour tout une dizaine de fusils de chasse dans ce pays d’un peu plus de 320 000 habitants. Je me souviens aussi que dans les années 1980, ils ont eu une présidente, Vigdis Finnbogadottir, ancienne directrice de troupe de théâtre, qui avait fait ses études universitaires à la Sorbonne, comme n’importe quel chef d’Etat africain, mais que contrairement à un chef d’Etat africain, elle avait été élue au suffrage universel et n’avait pas besoin de l’armée française pour lui expliquer qu’il fallait partir.

Même quand ils font dans la catastrophe naturelle, ces catastrophes naturelles qui sont tout de même autant de rappels de la fragilité et de la vanité de nos civilisations, les Islandais, contrairement aux Japonais ne choisissent pas l’épouvante absolue, radicale et définitive de l’holocauste nucléaire potentiel, mais l’éruption volcanique, certes spectaculaire mais non meurtrière d’Eyjafjöll qui envoya à la fin de l’hiver 2010 un gigantesque nuage de cendres dans l’atmosphère, paralysant ou désorganisant pendant plusieurs semaines le trafic aérien.

Le scénario qui apparaissait alors aux amateurs d’anticipation, pour peu qu’ils aient de l’imagination, c’était un avenir où le mot voyage aurait repris tout son sens, où la lenteur serait redevenue vertu, où le déplacement des populations n’aurait soudain plus été soumis à l’accélération permanente et absurde exigée par le tourisme de masse ou le transport mondialisé des marchandises, quand, sur l’étal d’un vendeur de primeurs, l’oignon de Thaïlande est moins cher que l’oignon bien de chez nous[1. Vu ce dimanche sur un marché lillois]. Ce n’était pas, comme à Fukushima ces jours-ci, l’image d’une humanité en phase terminale, constituée de travailleurs précaires, forcément précaires et désespérément héroïques, gagnant leur vie en la perdant dans les ruines radioactives d’un Prométhée technologique décidément mal enchaîné par des opérateurs privatisés.

Et même quand ils choisissent l’option « révolution » à leur programme d’histoire, ils trouvent le moyen d’être exemplaires, les Islandais. Vous trouvez, avec raison, les révolutions arabes difficilement lisibles. La Tunisie, c’est 89 ou 48 ? L’Egypte, c’est le Portugal de 74 ou le 18 Brumaire ? Bahreïn, c’est une chasse aux chiites initiée par l’Arabie Saoudite, l’URSS écrasant le printemps de Prague ou un peu des deux ? Quant à la Libye, c’est manifestement tout ce qu’on veut mais ça ressemble très moyennement à une révolution. En plus, tout ça, à force, commence à faire beaucoup de morts.

Les Islandais, eux, ont décidé de faire leur révolution sans tuer personne, ce qui ne la rend pas moins efficace. En plus, pour le coup, elle est relativement facile à comprendre puisque son moteur est simple, clair, lumineux : le peuple refuse à répétition, par la voie de référendums, manifestations et occupations des lieux de pouvoir, de payer pour la catastrophe financière de septembre 2008 dont chez eux la principale responsable est la banque Icesave. No, no, no : comme dans une chanson d’Amy Winehouse ou, pour ceux qui préfèrent, de Michel Polnareff.

Evidemment, sur cette révolution islandaise, les médias sont d’une discrétion de violette. Trois cent mille Vikings calmement en colère depuis des mois et déterminés à ne pas se laisser faire, ça pourrait donner des idées. Ailleurs. En Méditerranée, mais sur la côte septentrionale, si vous voyez ce que je veux dire. Dans les pays appelés gentiment PIGS[2. Portugal, Italy, Greece, Spain] du côté de la City.

Bon, dans la vulgate économique dominante, on vous dit que chaque citoyen islandais a une dette de 12 500 euros et que cela représente 40% du PIB, vous vous dites : « C’est pas possible, ils sont Grecs ou quoi ? La retraite à 45 ans, des fonctionnaires partout, un Etat qui s’occupe de tout, soigne, transporte, éduque, et voilà le résultat. La ruine. Puisqu’on vous dit que c’est terminé l’époque de l’Etat providence. Maintenant, il faut des économies ouvertes et des déficits inexistants pour être compétitifs et rassurer les agences de notation. »
Sauf que non.
Si les Islandais doivent tout ça, ce n’est pas de leur faute (en admettant, ce qui est de toute façon bien discutable, que ce soit la faute des Grecs, des Irlandais et des Portugais s’ils se retrouvent dans leur situation), c’est de la faute d’une banque entièrement privée, une banque en ligne, Icesave, qui a perdu 3,9 milliards d’euros en septembre 2008, essentiellement l’épargne de Britanniques et de Néerlandais qui capitalisaient pour leur retraite puisque eux, contrairement à ces bourriques de Français, avaient bien compris à quel point c’était démodé la retraite par répartition.
Les gouvernements britanniques et hollandais se sont donc retournés vers le gouvernement islandais. Comme tout gouvernement moderne de droite, du centre ou de gauche, le gouvernement islandais a été immédiatement capitulard devant le capitalisme et a dans un premier temps accepté de payer ou plutôt de faire payer sa population.
Une population qui vient dimanche 11 avril par référendum pour la deuxième fois de repousser la troisième mouture d’une « loi Icesave » qui prévoyait pourtant d’étaler les paiements.

Un référendum ? Eh oui, en Islande 40 000 signatures et hop, c’est comme en Suisse, le pouvoir est obligé de l’organiser. Les Suisses votent contre les minarets parce qu’ils sont riches et qu’ils n’ont que çà comme problème, les Islandais, eux, votent contre les banquiers parce qu’ils ne sont pas trop pauvres et voudraient bien que ça dure.

À ceux qui trouveraient que le mot révolution est un peu abusif pour qualifier ce qui se passe depuis plusieurs mois du côté de Reykjavik, on rappellera tout de même que les Islandais ont d’abord chassé la droite au pouvoir en assiégeant pacifiquement le palais présidentiel, que la gauche libérale de type strauss-khanien a elle aussi été aimablement renvoyée à ses chères études parce qu’elle entendait, ô surprise, mener la même politique que la droite, qu’un premier référendum imposé par le peuple pour déterminer s’il fallait rembourser ou pas les banques (dont Icesave) a vu une victoire du non par 93% et qu’il a été dans la foulée décidé une nationalisation du secteur du crédit. Pour couronner le tout, le 27 novembre 2010, les Islandais ont élu une Assemblée constituante chargée d’élaborer des lois fondamentales, pour éviter notamment ce genre de mauvaises surprises à l’avenir.

Alors si ce n’est pas une révolution, Sire, qu’est-ce donc ?

Libye : ni BHL, ni Munich

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photo : FightBack

Pas facile de faire entendre une voix qui ne donne ni dans le trémolo martial béhachélien ni dans le chuchotis de couard autarcique, autrement dit une voix qui ose admettre qu’elle ne parle pas au nom de la Raison, de la Morale et du Progrès réunis, mais qui pour autant ne rechigne pas à prendre parti.

Prendre parti dans un conflit qui n’est pas le nôtre, cela suppose une certaine pudeur et un certain style, cela suppose surtout de savoir qui nous sommes, quelles sont nos valeurs et quelle est notre cohérence, une question d’identité en somme, n’ayons pas peur des gros mots. Kadhafi n’est-il donc un dictateur que depuis le début de ce mois ? N’avait-il participé à aucun attentat ni jamais emprisonné aucun opposant du temps où il était reçu, et avec tous les honneurs, en France ? Il ne s’agit pas ici de protéger des civils affolés et des insurgés désorganisés − mais au sein desquels des hommes remarquables existent puisque BHL les a remarqués −, de les soustraire à la folie meurtrière de fous surarmés soutenant le Fou suprême, il ne s’agit pas de laisser tout un peuple mourir sous les balles d’un clan mafieux, il s’agit de comprendre qu’il s’agit là d’une guerre civile, que les « milices » qui soutiennent Kadhafi font partie du peuple libyen, qu’on le veuille ou non, et que ceux qui veulent le renverser ne sont pas nécessairement, par ce simple projet, des démocrates modérés propres sur eux. Le principe des frappes aériennes exclusives est donc au mieux un mensonge, au pire une illusion.

Une fois de plus cependant, sans pudeur et sans style, l’universalisme occidental, drapé dans ses principes intangibles mais n’intervenant jamais que là où ses intérêts économiques sont en péril, vient faire la leçon, comme s’il lui revenait de droit de stopper net, en tous lieux, le sang et les larmes.

Alors, aider à renverser Kadhafi, pourquoi pas, mais pour aider qui ? L’idée que tout peuple soit épris de liberté est une belle idée, mais le fait qu’il puisse devenir républicain ou démocrate parce qu’il s’est libéré de l’oppression n’est qu’une croyance occidentale, voire un leurre savamment entretenu. Il ne suffit pas de renverser les tyrans, il faut encore que le peuple qui y parvient en fasse une histoire personnelle, qu’à travers les mythes, les exploits et les faits ordinaires de sa révolte, il conquière son propre destin, et de massacres en réconciliations, s’arme pour la suite. Il y a diverses façons d’aider celui qui est en train d’écrire son propre récit, mais lui tenir la main en jouant les matamores est une lourde responsabilité qui peut conduire ensuite aux troubles identitaires, au suivisme comme à la rancœur.

Il est pas interdit d’entendre ceux qui, parmi les révoltés libyens, refusent l’aide occidentale ; il n’est pas inutile de comprendre le positionnement de la Ligue arabe ; il n’est pas scandaleux d’écouter l’Allemagne dont la logique n’est pas moins économiste que ceux qui, aujourd’hui, se font les hérauts de ce peuple-là, tout en détournant les yeux d’autres qui, ailleurs, sont tout aussi à feu et à sang. C’est la cohérence qui nous sauvera des pièges conjoints de l’ingérence emphatique et de la faiblesse munichoise. Nous ne sommes pas la source de tous les maux comme tant de professionnels du ressentiment voudraient nous le faire croire, mais nous ne sommes pas davantage la résolution inespérée du moindre conflit.

Comment devenir une voix singulière qui ne serait le porte-parole d’aucune faction ni d’aucun empire, être sans crainte un recours opportun, savoir sans honte se tenir en retrait ? La meilleure façon de trouver sa place est encore de n’avoir plus peur de tenir son rang. Embarrassées et irrésolues, la France comme l’Europe ne savent plus qui elles sont, et de ce fait alternent la frilosité et l’emportement, n’hésitant plus qu’entre deux versions, deux pôles qui les nient : tantôt conglomérats de communautés monades, tantôt championnes de l’universalisme abstrait.

Quand donc mènerons-nous à bien notre propre révolution ?