Accueil Site Page 2811

Lettre à la Préfectorale: sors de ce corps, Marine !

3

Notre estimé et futé confrère de Marianne2 Philippe Cohen a réussi un joli coup en se procurant une lettre adressée par Marine Le Pen à l’ensemble du corps préfectoral.

Elle est intéressante à plus d’un titre. Outre le fait qu’elle porte à l’évidence la marque d’un haut fonctionnaire fin connaisseur des arcanes de l’appareil d’Etat, elle constitue une pièce rhétorique intéressante quant à la volonté affichée par la « peste blonde » de faire prévaloir une terminologie nouvelle en parlant, par exemple, de « politique publique durable, efficace et juste ». L’affaiblissement de l’action publique est stigmatisé parce qu’elle « renforce chez un nombre croissant de concitoyens le sentiment d’injustice, voire d’abandon ». On croirait relire du Chevènement 2002 !

Pas un mot sur l’immigration au risque de faire passer l’actuel hôte de la Place Beauvau pour un ronchon archéo. La révision générale des politiques publiques est également critiquée car « se traduisant par une réduction irresponsable des capacités d’action et de réaction de l’Etat. » Comme disent les énarques, tous les ingrédients d’un diagnostic partagé sont clairement hiérarchisés. Un serviteur de l’Etat attaché à l’intérêt général souscrira assez naturellement.

Rédigée avec l’élégance sobre d’un haut fonctionnaire amoureux de la langue, cette missive mariniste a tout de la circulaire « haut de gamme », histoire de montrer que les questions de l’Etat et de la conquête du pouvoir appartiennent désormais au nouveau code génétique du FN.

Mais l’entourage de Marine n’est-il pas, une fois de plus, culturellement un peu trop en avance sur le gros des troupes frontistes ?

Réflexions sur la question métisse

photo : site officiel de Yannick Noah

Il fut une époque où l’identité ne sortait jamais sans sa pièce ; dans le meilleur des cas, celui qui vous la demandait était un employé des Postes. Maintenant, elle traîne dehors en permanence, c’est à se demander si elle a un toit.
Noirs, juifs, demi-Noirs, demi-juifs, musulmans, Arabes, Arméniens, Corses, Céfrans, Souchiens, Rebeus, Renois, les races et les couleurs fâchent toujours, même pudiquement périphrasées d’identité.[access capability= »lire_inedits »]

Sur-débattue, nationalisée à 100%, devenue une obsession, un parti bien pris, l’identité est partout mais son taux d’occupation politique, médiatique et mental n’apporte aucune réponse, et le clivage droite dure /gauche molle n’éclaire plus la question depuis longtemps.

L’expression par excellence de l’assimilation

La Question métisse, de Fabrice Olivet, prend l’identité par les parties, donne un passeport pour la réfléchir et éclaircit ce mot qui rend tout si complexe dès qu’il est prononcé. Son auteur est métis ! Comme Julien Clerc, Montebourg, Picouly, Dieudo, Fabrice Éboué, Kader Merad, Tsonga et Parker. On est un Noir ou un Blanc avec majuscule mais un métis en minuscule ! Petite cruauté orthographique et exotisme tendance se conjuguent pour effacer cette identité complexe qui est pourtant l’expression par excellence de l’assimilation. « Être génétiquement situé à la fois dans le camp des bourreaux et dans celui des victimes préserve d’avoir à expier les crimes de ses ancêtres », explique Olivet en nous accompagnant à la frontière des identités, là où on a une chance de les voir !

Cet ancien prof d’histoire est en colère : « La France est le pays qui a le plus œuvré pour bâtir un monde sans frontières, sans races et sans religions. Pourquoi baisse-t-elle la tête comme un coupable qui saurait à l’avance que ces histoires d’Arabes, de Noirs, de juifs allaient forcément lui être comptées en débit ? » À ceux qui aiment battre leur coulpe sur la poitrine de la nation entière, Olivet rappelle quelques vérités historiques. Bien avant la Révolution et malgré le puissant lobby des colons, il suffisait à l’esclave noir de poser le pied sur le sol et de crier « France et liberté ! » pour devenir un « sujet à part entière » − ce qui, malgré l’oxymore, est une victoire de la liberté.

Le 16 pluviôse an II (4 février 1794), la Convention montagnarde décrète l’abolition de l’esclavage, quatorze ans avant les Britanniques, et soixante-dix longues années avant les Américains. N’oublions pas que, le 24 septembre 1793, Jean-Baptiste Mills était devenu le premier député noir de l’histoire de France, suivi par Belley, élu de Saint-Domingue. « Ah quel beau jour foutre, celui où l’on a vu un Africain et un mulâtre prendre séance à la Convention ! », s’exclamait le père Duchesne à l’aube de cette diversité.
Franchissons les siècles à l’arrache pour observer que, si le général de Gaulle avait succombé dans l’attentat du Petit-Clamart, la France aurait été, cinquante ans avant l’Amérique d’Obama, le premier pays occidental dirigé par un Noir, Gaston Monnerville, descendant d’esclaves émancipés en 1791.

«Sans distinction de peau, d’origine, de culture ou de religion»

Il est vrai que Napoléon ramena pour un temps la domination ségrégationniste. Reste que l’idéal universaliste forgé à travers les âges a résisté, jusqu’à nous, déjouant les difficultés et les ambiguïtés de son utopie. Seule la France a eu l’audace de travailler pour l’humanité tout entière, avec cet orgueil un rien suffisant présent tout au long de la colonisation (nous y exportons cet homme universel… qui se trouve être nous !) mais finalement tellement plus dynamique et curieux que le fameux respect des Anglo-Saxons pour les « communautés », cache-sexe d’un sentiment d’indépassable supériorité et de pas mal de cynisme mercantile.

Les jeunes Français issus de l’immigration peinent à s’identifier à leurs ancêtres les Gaulois ? Olivet leur rappelle l’histoire des Dumas, le grand-père mulâtre de Saint-Domingue, premier général d’origine afro-antillaise de l’armée française, qui fit tant pour la Révolution et inspira à son fils, Alexandre, le personnage de d’Artagnan ! Et Toussaint Louverture, ce Napoléon en mieux et en noir ! Et Félix Éboué, rue de banlieue et place parisienne, certes, mais surtout petit-fils d’esclave devenu gouverneur de l’Afrique équatoriale française en 1940, qui délaisse Vichy pour rejoindre le Général. « Du chevalier de Saint-Georges à Senghor, notre histoire regorge de figures de blacks et de beurs ni chanteurs ni sportifs, à ressortir d’urgence en grande pompe. Avec eux, une foule d’anonymes se sont battus pour intégrer le nouvel espace ouvert par la Révolution française avec cette foi dans l’idée que seul le citoyen doit être jugé, interpellé, récompensé ou puni, sans distinction de peau, d’origine, de culture ou de religion. » Malgré les chapitres moins glorieux et les rendez-vous manqués, l’idéal assimilationniste ne saurait être réduit à la somme de ses échecs.

Alors, ce débat mal embouché problématise à mort le choc des identités. Mais dans les faits, un Français d’origine maghrébine a peut-être mieux sa place dans sa nation qu’un Allemand d’origine turque dans la sienne, voire un Anglais d’origine pakistanaise outre-Manche.
Championne des mariages et unions mixtes, la République de France a permis à l’auteur de rester métis sans avoir, pour survivre, à choisir une communauté de référence. Aussi reste-t-elle « l’outil inégalé et irremplaçable pour atténuer et résoudre les difficultés intercommunautaires. Le métissage inverse les pôles de la haine raciale; amour et plaisir contre haine et violence. »

Agacé, néanmoins, par l’idéalisation de sa « piquante » identité, Olivet déplore que la haine de soi qui a longtemps sévi chez les Noirs se déploie aujourd’hui chez les Blancs.

Et moi, au fait, avec mon inquestionnable identité de Visage pâle 100% breton des deux bords, j’avais perdu de vue, derrière la polémique, à quelle point elle constitue chacun d’entre nous. « L’identité ! ? Y’a ceux qui la cherchent et ceux qui lui cherchent des poux », dit la brève d’un comptoir. La Question métisse est à mettre d’urgence entre toutes les mains pour que l’on puisse encore concevoir l’altérité comme une chance, ou au moins comme une opportunité.[/access]

La Question métisse

Price: 22,00 €

25 used & new available from 3,73 €

Laissons pisser le mérinos

33
photo : Andres Serrano, OrasNews.com

« Piss Christ », une photographie signée Andres Serrano, a été vandalisée ce dimanche à Avignon par des individus qui, pour couronner leur forfait, auraient crié « vive Dieu », lequel n’en demandait sans doute pas tant…..

L’œuvre détruite représente un crucifix en plastique plongé dans un verre d’urine. Il paraît que l’auteur, en réalisant cette photo en 1987, au cœur de ces « années Sida » qui avaient rendu si anxiogènes les liquides corporels, voulait dépasser ces peurs en montrant de façon paradoxale que Dieu transcendait tout. Cette explication a manifestement quelque peu échappé aux iconoclastes du dimanche qui, le front bas et le marteau haut, ont considéré bêtement qu’en associant un symbole sacré à de l’urine on aurait, comme qui dirait, un peu dépassé les bornes.

Eternel débat, si l’on peut parler de débat lorsque les arguments font place aux coups de pioche, de burin ou de pic à glace (la police n’a pas encore établi avec précision l’arme du crime), entre la liberté artistique et le blasphème. Pour les outrés du jour, cette offense ne mérite qu’une punition exemplaire: la destruction.

Erreur fatale de nos croisés dominicaux qui semblent avoir oublié que le Christ en avait vu d’autres, et qu’après avoir tout enduré, il pouvait supporter avec bonté et placidité cette provocation au petit pied. Faut-il leur rappeler qu’un imprécateur catholique, un certain Léon Bloy avait dit, bien avant Serrano: « Il nʼy a que deux choses, entendez-vous, quʼon puisse mettre sur une tombe et qui y fassent un très bon effet : la Croix du sauveur des âmes ou un énorme excrément humain ! Choisissez donc canailles ! »

Léon Bloy : 1/ Serrano : 0. Ainsi pourrait-on résumer trivialement la situation. Par pitié, que l’on laisse donc ces œuvres là où elles sont et que l’on s’abstienne de leur donner ainsi une importance qu’elles n’ont sans doute même pas cherché à avoir. L’intérêt de cette affaire est ailleurs, dans ce qu’elle révèle du rapport de notre société à la culture. Comme le dit Jean Clair dans un livre lumineux nous sommes passés des temps anciens qui pratiquaient la culture du culte (églises, retables, vitraux, statuaires, art religieux…) à l’actuel culte de la culture, célébré dans des musées, « installations », expositions et autres foires de l’art. Dans ce culturel à tout prix qui prétend instaurer la culture pour tous, les musées sont les entrepôts de civilisations mortes où l’on expose des œuvres arrachées à leur milieu et privées de leur sens premier et profond, c’est-à-dire de leur transcendance originelle, que l’on range par époques ou par écoles. Alors que le travail des artistes consistait à transformer la matière (terre, pigment…) pour créer une œuvre, notre époque, dans son besoin de renouvellement compulsif et nihiliste, emprunte le chemin opposé. L’œuvre doit revenir à la matière, aux humeurs les plus intimes: les cheveux, les poils, les rognures d’ongles, les sécrétions, la salive, le pus, l’urine, les excréments, sans oublier le sang et le sperme qu’utilise notamment Andres Serrano.

Quels jolis temps nous vivons ! Alors, tant qu’à être traité de réactionnaire (je n’ose dire provocateur puisque cet adjectif est réservé à la création), je préfère poser la question de la valeur artistique de ces œuvres que jouer au Croisé lors du sac de Constantinople. Parce qu’avec des actes aussi navrants que cette vandalisation, on finira par donner raison à Yvon Lambert, propriétaire de « Piss Christ », qui affirme que le Moyen Âge revient à grand pas.

Eichmann, un salaud absolument relatif

25

La toute première expérience de télé-réalité n’a pas été «Le loft», comme on pourrait naïvement le penser. Ce fut la captation, à Jérusalem du procès d’Adolf Eichmann, entre avril et mai 1961, à une époque où l’austère David Ben Gourion n’avait pas encore permis à son peuple de se vautrer sur les canapés en matant les émois post-adolescents de nos contemporains.

C’est donc assis bien droit sur un siège convenable qu’il ne faudra pas manquer, jeudi 21 avril à 22h30 sur France 2, le documentaire « Le Procès Eichmann » écrit par Annette Wieviorka et Michaël Prazan et réalisé par ce dernier. Même si on connaît la fin, ce récit fait d’archives filmées du procès et d’entretiens avec des témoins directs reste palpitant.

L’affrontement entre le procureur Gideon Hausner, qui veut ériger Eichmann en icône du mal absolu, et l’accusé qui s’acharne à dissocier son être et sa fonction, est fascinant. Et cela d’autant plus qu’il se déroule dans un allemand parfait de part et d’autre, Hausner et Eichmann étant issus du même moule culturel.

Cela se passait il y a cinquante ans, mais la question soulevée par ce procès n’a pas pris une ride : Satan existe-t-il ?

Kerr : who cares ?

25
Ronan Kerr
Funérailles œcuméniques pour le policier irlandais Ronan Kerr.

À la longue liste des personnes assassinées au nom d’un Dieu de paix et d’amour, il convient désormais d’ajouter Ronan Kerr.

Ronan Kerr était catholique. Il en est mort. Un de plus. Il est vrai que les catholiques paient, en ce moment, un lourd tribut en certains points chauds bouillants du globe. J’entends d’ici fuser les exclamations indignées à juste titre et je m’apprête à lire des commentaires logiquement scandalisés.

Pourtant, Ronan Kerr n’a pas été égorgé à Tibhirine, lapidé au Caire ou pendu à Téhéran par des barbus hystériques. Il a été pulvérisé quand sa Ford Mondeo piégée a explosé à Omagh, dans le comté de Tyrone, alors qu’il s’apprêtait tranquillement à rentrer chez lui après sa journée de travail. En Irlande, donc, comme son patronyme bien celtique pouvait le laisser supposer. Plus précisément en Irlande du Nord.

Il avait 25 ans et une tête de bébé. Il venait de s’engager comme constable dans la police de sa ville. La police très britannique d’un pays où les guerres de religion entre bons chrétiens ne sont pas un vain mot et tuent pour de vrai.

Omagh la sanglante. En 1998, le plus meurtrier des attentats de l’IRA en trente ans y a fait 29 morts et 220 blessés quand la branche « véritable » a voulu en finir avec la branche « provisoire ». À moins que ce ne soit le contraire, cet abscons jargon pseudo-révolutionnaire pêchant souvent par manque de clarté. Des protestants, des catholiques, un mormon, neuf enfants, une femme enceinte de jumeaux, deux touristes espagnols et des excursionnistes situés un peu avant Ronan Kerr dans la liste susnommée pourraient témoigner qu’un crime pour raison religieuse relève toujours d’une extravagante absurdité.

Pourtant, depuis vingt ans, le processus de paix initialisé par Tony Blair le catholique a enfin enterré deux siècles d’insurrections et de violences religieuses continues au cœur même de l’Europe. Le partage équitable des postes administratifs et policiers entre les deux communautés étant le fer de lance et le symbole même de la réconciliation, c’est lui qui a été visé et le malheureux Ronan Kerr en a fait les frais.

Bonne nouvelle malgré tout : la réprobation a été unanime et le pays soudé dans la condamnation univoque. Pour la première fois dans l’histoire, un premier ministre issu du parti démocratique unioniste a assisté officiellement à une messe catholique en compagnie de son vice-premier ministre, le catholique Mc Guinness. Du jamais vu, du 100 % inédit, des officiers de police et des membres de l’association athlétique gaélique ont porté le cercueil épaules contre épaules, peine contre peine, laissant là dans la petite église de l’immaculée conception à Beragh leurs dissensions théologiques…

En 2011, pas en 1572 (année du massacre de la Saint-Barthélémy). On croit rêver. Les deux ministres ont rappelé leur attachement au processus pour tourner définitivement la page sanglante écrite par la génération précédente. La mère de la victime a demandé à ses coreligionnaires de ne pas céder à la haine et de poursuivre leur engagement au sein de la police nationale multiconfessionnelle. Le père John Skinnader a rappelé que le policier abattu était « le symbole de la nouvelle Irlande du Nord, un jeune homme rêvant depuis toujours d’être au service des autres, pour les protéger et construire la paix entre les communautés ». Le cardinal Sean Brady, primat de l’église d’Irlande, a plaidé pour l’arrêt définitif de toute forme de violence. 70 000 personnes silencieuses se sont rassemblées à Belfast à l’appel des syndicats. Des discours de tolérance par des hommes et des femmes de bonne volonté qu’on aimerait entendre partout.

Il n’empêche qu’au Royaume-Uni, si la priorité est depuis 2005 à la lutte contre le terrorisme islamique, on garde toujours un œil méfiant sur ces Républicains irlandais qui se réveillent régulièrement comme des volcans mal éteints. Les musulmans n’ont pas le monopole de l’obscurantisme et protestant échaudé craint l’eau froide. Un arsenal de kalachnikovs, détonateurs, bombes incendiaires et semtex a été découvert dans un garage de Coalisland juste après le crime. Assurément, il n’était pas là que pour faire joli.

Quoique non revendiqué, cette fois encore, la responsabilité du crime est attribuée à des « dissidents » républicains opposés à la décision du Sinn Fein (parti nationaliste et catholique nord-irlandais) de partager le pouvoir avec les frères ennemis protestants.
Dissidents… Qui se cache dans ce fourre-tout commode ? Autant de vieux militants qui refusent de déposer les armes et d’accepter les méthodes pacifiques que des gamins désabusés, sans avenir, détruits par la succession des plans d’austérité inaugurés par Margaret Thatcher et qui ont laissé sur le carreau une génération prête à se laisser tenter par la solution extrémiste.

Comme un dernier baroud d’honneur, les scories d’une guerre religieuse d’un autre âge, au moment où les Irlandais de la République vous laissent entendre à mi-mot qu’ils ne voudraient pas du Nord quand bien même on leur offrirait sur un plateau. Dans quelques semaines Elizabeth II effectuera au pays du trèfle la première visite officielle d’un souverain britannique depuis l’indépendance en 1922…

Rien ne change, décidément, sous le soleil. À Omagh, New-york ou Bagdad, Dieu ou Allah ont toujours bon dos quand il s’agit de torpiller par la terreur les souhaits de la majorité silencieuse. À Omagh ou Bagdad, la réconciliation est passée ou passera par la satisfaction du très irrationnel mais très ombrageux sentiment de dignité et de justice.

Mélenchon ou le blues discret du PCF

75
photo : Audrey AK

Jean-Luc Mélenchon candidat ? Rien n’est joué, en tout cas pour le Front de Gauche. Il convient, avant de poursuivre, de donner quelques précisions terminologiques. En effet, si la personne de Mélenchon, avec son mélange de faconde et d’énergie de tribun de la plèbe, est très présente médiatiquement, les forces politiques qui le soutiennent et la façon dont elles sont organisées sont finalement très mal connues. Et pour cause : le silence le plus total règne sur cette question et même le ministère de l’Intérieur qui, le soir du premier tour des élections cantonales n’a pas jugé bon de donner en tant que tel le score du Front de Gauche, le noyant dans celui du PCF, de l’extrême gauche et même des divers gauche.

On peut penser que ce flou artistique arrangeait tout le monde. Le Front de Gauche a en effet représenté ce jour-là 9% des suffrages exprimés. Après avoir, à la surprise générale et notamment celle d’Arlette Chabot qui avait quand même beaucoup fait la publicité de Besancenot, devancé le NPA avec près de 7% des voix lors des élections européennes de 2009 et réédité l’exploit l’année suivante lors des régionales avec des pointes à 11% dans le Nord-Pas de Calais, 14,5% en Auvergne et 20% dans le Limousin, voilà que ce damné FDG s’affirmait comme la deuxième force de gauche. Les premiers mécontents étaient évidemment les écologistes qui prétendaient à ce statut au point de ne pas avoir hésité à maintenir leurs candidats dans certains cantons contre le candidat FDG. Le PS ne voit pas non plus d’un très bon œil ce retour d’une autre gauche, de rupture et de combat, qui l’obligerait à se gauchir pour passer des alliances alors qu’il ne rêve que de partenariats privilégiés avec les Verts et le Centre, tellement plus fréquentables. Même chose pour la droite droitisée et pour Marine Le Pen qui craignent que certains réussissent à mobiliser un électorat populaire sur un discours très social sans surenchère sur la sécurité, l’immigration et les dangers de l’islam intégriste.

Seulement, pour l’instant Jean-Luc Mélenchon n’est pas (encore) le candidat officiel choisi par le Front de Gauche pour porter « un programme partagé » actuellement en cours d’élaboration. Il a simplement été désigné comme candidat à l’élection présidentielle par sa jeune formation, le Parti de Gauche(PG). Le Parti de Gauche est né début 2009, sous l’impulsion du sénateur de l’Essonne et du député socialiste du Nord Marc Dolez. Il ajoute à une vision antilibérale sur le plan économique une forte sensibilité écologique et sociale, incarnée par exemple par le ralliement de Martine Billard, députée qui a quitté les Verts pour rejoindre Mélenchon.

Le Parti de Gauche, avec ses 8000 militants, n’est qu’une des composantes du Front de Gauche qui n’est pas une formation politique en tant que telle (on ne peut pas y adhérer directement, par exemple) mais une alliance électorale. Celle-ci comporte principalement deux autres forces. « Gauche Unitaire » est dirigée par Christian Picquet, ancien du NPA qui ne supporte plus, comme un certain nombre de militants, l’enfermement sociétaliste de la formation trotskyste et surtout son refus à priori de toute forme de participation ou de soutien à des gouvernements socialistes, même pour y établir un rapport de force afin de peser sur certaines décisions. Gauche unitaire revendique un petit millier de militants.

L’autre composante du Front de Gauche, c’est bien entendu le PCF et ses beaux restes : 120 000 adhérents, 13 députés, 20 sénateurs, 2 députés européens, 2 Conseils généraux, de nombreuses mairies et plus de 10000 élus locaux. Autant dire le gros de la troupe, avec la force militante la plus présente sur le terrain et les infrastructures qui vont avec.
Il faudrait compter également nombre de petits groupes alternatifs, écologistes aussi rouges que verts ou des dissidences diverses du PCF qui font d’ailleurs craindre, comme l’a une fois dit le député PCF Alain Bocquet qu’ « un rassemblement de petits finisse par un petit rassemblement. »

Il y a donc une distorsion, et un peu plus que ça, entre le poids médiatique de Jean-Luc Mélenchon et son poids politique réel au sein du Front de Gauche. En effet, même s’il a reçu pour sa candidature le soutien de « Gauche Unitaire », rien n’est fait tant que le PCF ne s’est pas prononcé. Et c’est là que le bât risque de blesser. Certes, Pierre Laurent, secrétaire national, a bien reconnu lors du dernier Conseil National que la candidature Mélenchon était « la plus susceptible de nous permettre de franchir un cap dans nos objectifs ». Traduit en langage non-initié, cela veut dire faire un score à deux chiffres aux présidentielles qui rendra ce courant indispensable pour le candidat socialiste quel qu’il soit dans la perspective du second tour. Et qui permettra dans la foulée de négocier 80% des candidatures dans la perspective des élections législatives qui suivront.

Seulement, lors de ce Conseil National du PCF qui s’est tenu les 8 et 9 avril, une résolution actant la stratégie de Front de Gauche a été adoptée par 87 voix contre 30 et 9 abstentions. Rien de catastrophique apparemment mais pour qui sait lire, cela traduit de vrais clivages. Comme les communistes refusent avec raison de jouer la farce de primaires à la socialiste, faussement démocratiques et vraiment démagogiques, qui réduisent à rien la fonction militante, les adhérents du PCF voteront pour désigner leur candidat les 16, 17 et 18 juin. Or, rien n’indique avec certitude une victoire de Mélenchon. Il existe en effet trois autres prétendants. Le député André Chassaigne qui a fait un excellent score en Auvergne et commence à être un peu connu du public grâce à sa fibre « terroir » à la Duclos, estime qu’un communiste porterait mieux la stratégie du Front (de gauche). Mais surtout, deux candidatures « identitaires » refusent cette stratégie qu’elles voient comme une manœuvre destinée à ramener le PCF dans les ornières du programme commun ou de la gauche plurielle : celle, relativement anecdotique, Emmanuel Dang Trang, secrétaire la section du XVème arrondissent de Paris et celle d’André Gerin, le député du Rhône, maire de Vénissieux jusqu’en 2009. André Gerin, dont la devise est « J’aime le rouge dans le respect du blanc et du bleu », est le communiste adoré par la droite depuis ses prises de positions très fermes sur la burqa et la sécurité (il a même co-signé un livre sur la question avec… Eric Raoult.

La partie n’est donc pas gagnée pour Mélenchon. Ça tiraille dur, et pas seulement, comme on pourrait le croire chez les vieux militants du Pas de Calais. Dans nombre de fédérations, les jeunes communistes craignent la dissolution de l’identité communiste. L’ironie de l’affaire, c’est que les pro et anti « Méluche » poursuivent le même objectif : la survie du PCF.

Gaza : Pacifiste ? Pas si vite !

19

Malgré la mise en garde circonstanciée de Manuel Moreau, durant tout ce week-end, la quasi totalité de la presse française, de Libération au Figaro, a décrit Vittorio Arrigoni comme un militant « pacisfiste » et l’International Solidarity Movement, qu’il représentait à Gaza, comme une organisation de la même eau.

La contagion a même touché TF1, frappée pour le coup d’enderlinite et qui titre sur son site : « Gaza : un pacifiste italien étranglé par des proches d’Al Qaïda ».

Sans prendre le risque d’aller traîner leurs guêtres à Gaza, mes chers confrères auraient pu, en jetant un rapide coup d’œil sur le site d’ISM, découvrir qu’il s’agissait là d’un pacifisme assez vernaculaire, et pour tout dire exotique, à l’aune de nos valeurs.

Ainsi, sur la page d’accueil du site français de l’ISM on trouve, juste sous les hommages à « Vik », cet article sans équivoque, en date du 11 avril, signé de Khaled Amayreh et titré : « Le Hamas a droit à la contrebande d’armes ». En voici les premières phrases : « Le Hamas a un droit absolu moral, légal et humain à défendre le peuple de Gaza contre les incessantes attaques israéliennes. Mais pour mener à bien cette tâche hautement éthique, il doit faire entrer des armes de divers types dans la Bande de Gaza. » Cet article pacifiste a bien sûr été illustré par le site pacifiste avec une photo pacifiste, que voici :

Photo : Khaled Amayreh

En cherchant un peu plus encore, mes amis de TF1 et d’ailleurs auraient pu trouver sur le site de l’ISM nombre d’autres textes du même auteur (un journaliste palestinien très hostile à l’Autorité palestinienne, jugée capitularde). L’un d’eux au hasard : en date du 27 janvier 2010, il a pour titre «Israël n’a aucune légitimité, point final» et se conclut ainsi : « En bref, le Hamas ne doit jamais reconnaître la légitimité d’Israël, en aucune circonstance, car ce serait légitimer les crimes génocidaires affreux qu’Israël commet contre le peuple palestinien depuis sa création illégitime il y a plus de 60 ans. Que dirait le Hamas à tous ces réfugiés s’il décidait, Dieu nous en préserve, de commettre un adultère national en reconnaissant l’entité satanique appelée Israël ? »

Bref je veux bien que TF1 décrive cet homme lâchement assassiné et son organisation comme pacifistes, mais à ce tarif-là, on pourrait requalifier feu « Carré ViiiP » d’émission culturelle…

Kate et William : destination danger ?

7

Qui a dit que les touristes boudaient les pays arabes pour cause d’épidémie de révolutions ?

Certes nombre de tour-operators en sont réduits à afficher des promos de 30, voire 50% sur l’Egypte ou la Tunisie, mais même à tarif réduit, les vacanciers sont peu nombreux à revenir vers le Moyen-Orient.

Naturellement, certaines destinations comme la Syrie et la Libye restent boudées par les occidentaux (à l’exception des militaires dans ce dernier). Mais les vacanciers n’étaient pas très nombreux à Tripoli avant même qu’y vole le premier caillou.

Et puis d’autres pays arabes ont le vent en poupe : d’après le Sunday Telegraph, Kate Middleton et son prince William envisageraient de passer leur lune de miel en Jordanie, et ce malgré les mouvements de protestations récurrents à Amman.

Cela étant, on dit aussi à Londres que les jeunes époux pourraient tout bêtement aller étrenner leur mariage au château familial de Balmoral, en Ecosse.

Là, tout ce qu’ils risquent, c’est du mauvais temps…

Pina Bausch, c’était l’humour et la joie

4
photo : terafoto

Ici, la beauté vous tranche en deux, puisque la chorégraphe Pina Bausch est au couteau. Les pieds de la table enjambent une rivière. Assise, de dos, une femme belle et mûre. Le haut de son corps est dénudé. Douloureuse, elle presse ses seins et ses bras contre la table. Un voile tombe de sa main, le filet d’eau l’emporte. Un jeune Espagnol gracieux aux longs cheveux danse vêtu d’une robe chamarrée. Un autre danseur invente le geste intime et exact de sa joie. La troupe entière adopte et s’approprie euphoriquement sa salutation à l’espace. Nous nous rappelons soudain charnellement que la joie et l’espace ne sont qu’une seule et même chose.

Si Les rêves dansants, sur les pas de Pina Bausch d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann m’ont émerveillé il y a quelques mois, j’ai été déçu par le Pina que nous livre à présent Wim Wenders. Les deux films méritent cependant d’être vus. Je n’ai pas aimé les images en trois dimensions de Wenders qui ne restituent en rien la présence sensuelle des corps dansants et relèvent de la féerie pour caniche technolâtre. Elles se montrent trop en tant que technique et ne donnent ainsi rien à voir. Ses ailes de géant empêchent Wenders de filmer. Les corps dansés par Pina Bausch finissent toutefois par s’arracher à ces effets spécieux et par sauver le film.

Pina enchevêtre des extraits de pièces de Pina Bausch, des interviews des danseuses et des danseurs et leurs créations dans la nature ou la ville. Dans les deux premiers tiers du film, Wenders opère dans l’œuvre de Pina Bausch un tri qui la dénature en privilégiant trop les séquences douloureuses. Il s’attarde longuement sur Café Müller, seule pièce où cette douleur est seule absolument.

La scène est un champ à l’abandon planté de chaises éparses, d’une effarante solitude. Avec parmi eux la beauté hâve, squelettique et hiératique de Pina Bausch – les corps esseulés des danseuses et des danseurs tâtonnent dans un paysage blessant en fermant les yeux. Les chaises, les murs, les autres corps sont ici, à l’image du corps de chacun pour lui-même, un infranchissable obstacle. L’essence de la pièce pourrait être résumée par cette atroce notation de Kafka : « L’os de son propre front lui barre le chemin (contre son propre front il se frappe le front jusqu’au sang). » Chaque corps y porte le deuil de son jeu intérieur, de la distance à soi qui ouvre en lui l’espace. C’est pourquoi l’espace extérieur, le jeu dansé des distances entre les êtres sont abolis eux aussi. La désolation du désert ferme l’espace de l’amour et de la rencontre. Les corps sont anéantis par la pétrification. Entre eux et en eux, l’espace ne prend plus, n’advient plus.

Dans Café Müller, le grand art de Pina Bausch est encore un oisillon aveugle et chauve prisonnier de son œuf – captif de l’anti-monde de la douleur. Pourquoi l’oisillon se recroqueville-t-il sur lui-même au centre de l’œuf ? Pourquoi se resserre-t-il dans la plus extrême concentration de la douleur ? Par amour de celle-ci ? Parce que la douleur seule est vérité, beauté et grandeur ? Le parti pris doloriste de Wenders pourrait nous le laisser croire. Mais cette condensation est en réalité une ruse physique pour ouvrir dans l’œuf un interstice, l’espace permettant à l’oisillon de prendre son élan avant de déployer soudain son corps de tout son être pour faire voler en éclat la coquille.

Contrairement à Wenders, prosterné devant le monolithe d’une douleur forcément doloriste, l’art de Pina Bausch s’émerveille de l’exubérante pluralité du monde. Il possède réellement, lui, trois dimensions : comique, joie pure, pure douleur. Il repose sur un contrepoint permanent, sublime et abrupt entre un humour éblouissant (Wenders a commis le crime de l’escamoter presque entièrement), une douleur qui ne se regarde pas douloir et une joie fulgurante qui ne se regarde pas jouir. Wenders perd l’équilibre de ce contrepoint, qui constitue pourtant l’essence de l’art de Pina Bausch. Il oublie (sauf brièvement à la fin du film) ce qu’il y a de plus beau en lui : la joie de notre sensuelle et perpétuelle arrivée au monde. Le désert transformé par une goutte d’eau, en une seconde, en une jungle florissante. Les corps s’abandonnant dans une joie infinie et insoutenable à jouer au monde et au désir avec d’autres corps.
Wenders a hélas négligé ce qu’il y a de plus grand et de plus sérieux dans cet art : les stupides enfantillages sensuels de la joie pure, la commune exultation d’être. L’envers enfantin et éternel de notre chair de douleur.

Un feu follet nommé Berthet

2

Les bulles sont souvent tristes les nuits de Noël. Le cœur fragile d’un père, par exemple, se débat pour que le tic-tac ne s’arrête pas. Le 24 décembre 1983, c’est le scénariste Paul Gégauff qui s’en va, à couteaux tirés. Vingt ans plus tard, l’écrivain Frédéric Berthet s’écroule dans son appartement de la rue Tournefort, à bout de souffle, d’alcool.[access capability= »lire_inedits »]

L’époque ne goûtant guère la grâce fragile des feux follets, ils ne seront pas nombreux à saluer, d’un « Tchin… » plein de larmes, sa mémoire lunaire : Olivier Frébourg, Patrick Besson, Éric Neuhoff. Des amis qui, naturellement, trouvent leur place dans la correspondance de Berthet qu’éditent les Éditions de la Table Ronde, aux côtés de Philippe Sollers, Roland Barthes, Jean Echenoz, de quelques demoiselles et de Michel Déon.

Michel Déon, pour Berthet, fut ce que Chardonne a été pour Nimier : un aîné qui donne le tempo. A la différence de l’auteur de Claire et de Vivre à Madère, qui conseillait au « hussard » dix ans de silence, Déon incite par contre Berthet à aller au bout de ses idées: « Je crois aussi qu’il faut que vous vous preniez par la main et que vous travailliez. Les vieux dictons ont souvent raison : le travail, c’est la santé. Un écrivain (et vous en êtes un) est fait pour écrire. Sans cela, il n’est rien. Ne soyez pas rien. Ce serait vraiment dommage, à la fois pour vous-même et pour ceux qui ont foi en vous. Je sais que ce n’est pas facile, mais il y a une formidable ivresse quand on a réussi, quand on est venu à bout d’une page, de plusieurs pages. »

Une certaine fêlure

En 1978, Berthet semblait répondre par avance à Déon, posant les derniers mots de toutes ses esquisses : « Mais si un soir, prenant la plume, vous en venez à écrire une page qui ne s’adresse plus à personne, alors, dans ce vide succédant à l’absence, vous aurez une idée de ce qu’est un roman, même si vous n’en écrivez jamais. »

Dans les lettres qu’il poste des campagnes de France, de New York, de Malte ou d’autres contrées, Berthet promet beaucoup. Oui, il passe ses journées à écrire. Oui, il est heureux que le livre soit presque achevé. Oui, il relit l’ultime version de son chef-d’œuvre. Oui, Antoine Gallimard en aura pour son argent. Chacun des titres qu’il annonce donne envie : L’Homme de confiance, Trimb, Traité complet de pêche suivi de Le Tennis moderne en 5 leçons, En marche, ou un particulièrement excitant Tour du monde en 80 filles.

L’envie, justement : carburant de Berthet, mêlé à la fatigue qui saisit, parfois, les grands vivants. Longtemps, la quête de la blue note a été la plus forte. Puis le goulot d’une bouteille de gin, de vin ou de ouisquie a cogné les mots recueillis dans ses carnets – son Journal de trêve posthume – , dans ses nouvelles – Simple journée d’été, en 1986 – et dans son unique roman, Daimler s’en va, en 1988 et prix Roger-Nimier.

Un orfèvre de l’émotion

Daimler s’en va, à (re)découvrir aujourd’hui en format poche, raconte la vie, l’ennui, les petits plaisirs et la mort de Raphaël Daimler, dit « Raph ». Daimler ne va pas à la fiesta qu’organisent son ami Bonneval et sa petite amie Véro. Il envoie à Bonneval une longue lettre, bye bye rieur aux excès et aux éclats de rire. Daimler est un chic type. Il écrit, sous le pseudo de Martin Hawaï, les paroles d’Héroïque − « J’ai perdu mon lipstick / Ça me rend hystérique / J’peux pas rester statique / Va falloir que j’me pique » − qu’on imagine bien sur un Maxi 45 Tours d’Elli & Jacno. Il fume lentement des cigarettes et se souvient de son premier flirt. Il est amoureux des jeunes filles blondes courant dans les blés, ce qui lui permet d’oublier, champagne et psychanalyse aidant, une femme fatale enfuie dans de lointaines îles anglaises. Il envoie des télégrammes qui commencent par « Old sport », s’interroge sur le dandysme aussi. A Bonneval lisant Le Chasseur français, il lance des phrases du genre : « Charlie, le dandysme consiste à se placer du point de vue de la femme de ménage qui découvrira le cadavre, au matin. »

Daimler n’est donc pas un jeune homme triste. Daimler est juste fatigué, fenêtre ouverte sur l’amer et sur le sentiment de s’exprimer dans une langue étrangère. Daimler, avant le grand saut, se répète en boucle la mélancolique chute finale du recueil Paris-Berry : « Que de fois n’ai-je pas, dans ma vie, entendu l’expression : Mais tu ne te rends pas compte ! Il faut croire que non. Ou alors, pas des mêmes choses, peut-être ? » Daimler, héros aux fulgurances stylées, est le vieux frère de Frédéric Berthet.[/access]

Correspondances: (1973-2003)

Price: 26,72 €

8 used & new available from


Daimler s'en va

Price: 6,10 €

13 used & new available from 3,21 €

Lettre à la Préfectorale: sors de ce corps, Marine !

3

Notre estimé et futé confrère de Marianne2 Philippe Cohen a réussi un joli coup en se procurant une lettre adressée par Marine Le Pen à l’ensemble du corps préfectoral.

Elle est intéressante à plus d’un titre. Outre le fait qu’elle porte à l’évidence la marque d’un haut fonctionnaire fin connaisseur des arcanes de l’appareil d’Etat, elle constitue une pièce rhétorique intéressante quant à la volonté affichée par la « peste blonde » de faire prévaloir une terminologie nouvelle en parlant, par exemple, de « politique publique durable, efficace et juste ». L’affaiblissement de l’action publique est stigmatisé parce qu’elle « renforce chez un nombre croissant de concitoyens le sentiment d’injustice, voire d’abandon ». On croirait relire du Chevènement 2002 !

Pas un mot sur l’immigration au risque de faire passer l’actuel hôte de la Place Beauvau pour un ronchon archéo. La révision générale des politiques publiques est également critiquée car « se traduisant par une réduction irresponsable des capacités d’action et de réaction de l’Etat. » Comme disent les énarques, tous les ingrédients d’un diagnostic partagé sont clairement hiérarchisés. Un serviteur de l’Etat attaché à l’intérêt général souscrira assez naturellement.

Rédigée avec l’élégance sobre d’un haut fonctionnaire amoureux de la langue, cette missive mariniste a tout de la circulaire « haut de gamme », histoire de montrer que les questions de l’Etat et de la conquête du pouvoir appartiennent désormais au nouveau code génétique du FN.

Mais l’entourage de Marine n’est-il pas, une fois de plus, culturellement un peu trop en avance sur le gros des troupes frontistes ?

Réflexions sur la question métisse

62
photo : site officiel de Yannick Noah

Il fut une époque où l’identité ne sortait jamais sans sa pièce ; dans le meilleur des cas, celui qui vous la demandait était un employé des Postes. Maintenant, elle traîne dehors en permanence, c’est à se demander si elle a un toit.
Noirs, juifs, demi-Noirs, demi-juifs, musulmans, Arabes, Arméniens, Corses, Céfrans, Souchiens, Rebeus, Renois, les races et les couleurs fâchent toujours, même pudiquement périphrasées d’identité.[access capability= »lire_inedits »]

Sur-débattue, nationalisée à 100%, devenue une obsession, un parti bien pris, l’identité est partout mais son taux d’occupation politique, médiatique et mental n’apporte aucune réponse, et le clivage droite dure /gauche molle n’éclaire plus la question depuis longtemps.

L’expression par excellence de l’assimilation

La Question métisse, de Fabrice Olivet, prend l’identité par les parties, donne un passeport pour la réfléchir et éclaircit ce mot qui rend tout si complexe dès qu’il est prononcé. Son auteur est métis ! Comme Julien Clerc, Montebourg, Picouly, Dieudo, Fabrice Éboué, Kader Merad, Tsonga et Parker. On est un Noir ou un Blanc avec majuscule mais un métis en minuscule ! Petite cruauté orthographique et exotisme tendance se conjuguent pour effacer cette identité complexe qui est pourtant l’expression par excellence de l’assimilation. « Être génétiquement situé à la fois dans le camp des bourreaux et dans celui des victimes préserve d’avoir à expier les crimes de ses ancêtres », explique Olivet en nous accompagnant à la frontière des identités, là où on a une chance de les voir !

Cet ancien prof d’histoire est en colère : « La France est le pays qui a le plus œuvré pour bâtir un monde sans frontières, sans races et sans religions. Pourquoi baisse-t-elle la tête comme un coupable qui saurait à l’avance que ces histoires d’Arabes, de Noirs, de juifs allaient forcément lui être comptées en débit ? » À ceux qui aiment battre leur coulpe sur la poitrine de la nation entière, Olivet rappelle quelques vérités historiques. Bien avant la Révolution et malgré le puissant lobby des colons, il suffisait à l’esclave noir de poser le pied sur le sol et de crier « France et liberté ! » pour devenir un « sujet à part entière » − ce qui, malgré l’oxymore, est une victoire de la liberté.

Le 16 pluviôse an II (4 février 1794), la Convention montagnarde décrète l’abolition de l’esclavage, quatorze ans avant les Britanniques, et soixante-dix longues années avant les Américains. N’oublions pas que, le 24 septembre 1793, Jean-Baptiste Mills était devenu le premier député noir de l’histoire de France, suivi par Belley, élu de Saint-Domingue. « Ah quel beau jour foutre, celui où l’on a vu un Africain et un mulâtre prendre séance à la Convention ! », s’exclamait le père Duchesne à l’aube de cette diversité.
Franchissons les siècles à l’arrache pour observer que, si le général de Gaulle avait succombé dans l’attentat du Petit-Clamart, la France aurait été, cinquante ans avant l’Amérique d’Obama, le premier pays occidental dirigé par un Noir, Gaston Monnerville, descendant d’esclaves émancipés en 1791.

«Sans distinction de peau, d’origine, de culture ou de religion»

Il est vrai que Napoléon ramena pour un temps la domination ségrégationniste. Reste que l’idéal universaliste forgé à travers les âges a résisté, jusqu’à nous, déjouant les difficultés et les ambiguïtés de son utopie. Seule la France a eu l’audace de travailler pour l’humanité tout entière, avec cet orgueil un rien suffisant présent tout au long de la colonisation (nous y exportons cet homme universel… qui se trouve être nous !) mais finalement tellement plus dynamique et curieux que le fameux respect des Anglo-Saxons pour les « communautés », cache-sexe d’un sentiment d’indépassable supériorité et de pas mal de cynisme mercantile.

Les jeunes Français issus de l’immigration peinent à s’identifier à leurs ancêtres les Gaulois ? Olivet leur rappelle l’histoire des Dumas, le grand-père mulâtre de Saint-Domingue, premier général d’origine afro-antillaise de l’armée française, qui fit tant pour la Révolution et inspira à son fils, Alexandre, le personnage de d’Artagnan ! Et Toussaint Louverture, ce Napoléon en mieux et en noir ! Et Félix Éboué, rue de banlieue et place parisienne, certes, mais surtout petit-fils d’esclave devenu gouverneur de l’Afrique équatoriale française en 1940, qui délaisse Vichy pour rejoindre le Général. « Du chevalier de Saint-Georges à Senghor, notre histoire regorge de figures de blacks et de beurs ni chanteurs ni sportifs, à ressortir d’urgence en grande pompe. Avec eux, une foule d’anonymes se sont battus pour intégrer le nouvel espace ouvert par la Révolution française avec cette foi dans l’idée que seul le citoyen doit être jugé, interpellé, récompensé ou puni, sans distinction de peau, d’origine, de culture ou de religion. » Malgré les chapitres moins glorieux et les rendez-vous manqués, l’idéal assimilationniste ne saurait être réduit à la somme de ses échecs.

Alors, ce débat mal embouché problématise à mort le choc des identités. Mais dans les faits, un Français d’origine maghrébine a peut-être mieux sa place dans sa nation qu’un Allemand d’origine turque dans la sienne, voire un Anglais d’origine pakistanaise outre-Manche.
Championne des mariages et unions mixtes, la République de France a permis à l’auteur de rester métis sans avoir, pour survivre, à choisir une communauté de référence. Aussi reste-t-elle « l’outil inégalé et irremplaçable pour atténuer et résoudre les difficultés intercommunautaires. Le métissage inverse les pôles de la haine raciale; amour et plaisir contre haine et violence. »

Agacé, néanmoins, par l’idéalisation de sa « piquante » identité, Olivet déplore que la haine de soi qui a longtemps sévi chez les Noirs se déploie aujourd’hui chez les Blancs.

Et moi, au fait, avec mon inquestionnable identité de Visage pâle 100% breton des deux bords, j’avais perdu de vue, derrière la polémique, à quelle point elle constitue chacun d’entre nous. « L’identité ! ? Y’a ceux qui la cherchent et ceux qui lui cherchent des poux », dit la brève d’un comptoir. La Question métisse est à mettre d’urgence entre toutes les mains pour que l’on puisse encore concevoir l’altérité comme une chance, ou au moins comme une opportunité.[/access]

La Question métisse

Price: 22,00 €

25 used & new available from 3,73 €

Laissons pisser le mérinos

33
photo : Andres Serrano, OrasNews.com

« Piss Christ », une photographie signée Andres Serrano, a été vandalisée ce dimanche à Avignon par des individus qui, pour couronner leur forfait, auraient crié « vive Dieu », lequel n’en demandait sans doute pas tant…..

L’œuvre détruite représente un crucifix en plastique plongé dans un verre d’urine. Il paraît que l’auteur, en réalisant cette photo en 1987, au cœur de ces « années Sida » qui avaient rendu si anxiogènes les liquides corporels, voulait dépasser ces peurs en montrant de façon paradoxale que Dieu transcendait tout. Cette explication a manifestement quelque peu échappé aux iconoclastes du dimanche qui, le front bas et le marteau haut, ont considéré bêtement qu’en associant un symbole sacré à de l’urine on aurait, comme qui dirait, un peu dépassé les bornes.

Eternel débat, si l’on peut parler de débat lorsque les arguments font place aux coups de pioche, de burin ou de pic à glace (la police n’a pas encore établi avec précision l’arme du crime), entre la liberté artistique et le blasphème. Pour les outrés du jour, cette offense ne mérite qu’une punition exemplaire: la destruction.

Erreur fatale de nos croisés dominicaux qui semblent avoir oublié que le Christ en avait vu d’autres, et qu’après avoir tout enduré, il pouvait supporter avec bonté et placidité cette provocation au petit pied. Faut-il leur rappeler qu’un imprécateur catholique, un certain Léon Bloy avait dit, bien avant Serrano: « Il nʼy a que deux choses, entendez-vous, quʼon puisse mettre sur une tombe et qui y fassent un très bon effet : la Croix du sauveur des âmes ou un énorme excrément humain ! Choisissez donc canailles ! »

Léon Bloy : 1/ Serrano : 0. Ainsi pourrait-on résumer trivialement la situation. Par pitié, que l’on laisse donc ces œuvres là où elles sont et que l’on s’abstienne de leur donner ainsi une importance qu’elles n’ont sans doute même pas cherché à avoir. L’intérêt de cette affaire est ailleurs, dans ce qu’elle révèle du rapport de notre société à la culture. Comme le dit Jean Clair dans un livre lumineux nous sommes passés des temps anciens qui pratiquaient la culture du culte (églises, retables, vitraux, statuaires, art religieux…) à l’actuel culte de la culture, célébré dans des musées, « installations », expositions et autres foires de l’art. Dans ce culturel à tout prix qui prétend instaurer la culture pour tous, les musées sont les entrepôts de civilisations mortes où l’on expose des œuvres arrachées à leur milieu et privées de leur sens premier et profond, c’est-à-dire de leur transcendance originelle, que l’on range par époques ou par écoles. Alors que le travail des artistes consistait à transformer la matière (terre, pigment…) pour créer une œuvre, notre époque, dans son besoin de renouvellement compulsif et nihiliste, emprunte le chemin opposé. L’œuvre doit revenir à la matière, aux humeurs les plus intimes: les cheveux, les poils, les rognures d’ongles, les sécrétions, la salive, le pus, l’urine, les excréments, sans oublier le sang et le sperme qu’utilise notamment Andres Serrano.

Quels jolis temps nous vivons ! Alors, tant qu’à être traité de réactionnaire (je n’ose dire provocateur puisque cet adjectif est réservé à la création), je préfère poser la question de la valeur artistique de ces œuvres que jouer au Croisé lors du sac de Constantinople. Parce qu’avec des actes aussi navrants que cette vandalisation, on finira par donner raison à Yvon Lambert, propriétaire de « Piss Christ », qui affirme que le Moyen Âge revient à grand pas.

Eichmann, un salaud absolument relatif

25

La toute première expérience de télé-réalité n’a pas été «Le loft», comme on pourrait naïvement le penser. Ce fut la captation, à Jérusalem du procès d’Adolf Eichmann, entre avril et mai 1961, à une époque où l’austère David Ben Gourion n’avait pas encore permis à son peuple de se vautrer sur les canapés en matant les émois post-adolescents de nos contemporains.

C’est donc assis bien droit sur un siège convenable qu’il ne faudra pas manquer, jeudi 21 avril à 22h30 sur France 2, le documentaire « Le Procès Eichmann » écrit par Annette Wieviorka et Michaël Prazan et réalisé par ce dernier. Même si on connaît la fin, ce récit fait d’archives filmées du procès et d’entretiens avec des témoins directs reste palpitant.

L’affrontement entre le procureur Gideon Hausner, qui veut ériger Eichmann en icône du mal absolu, et l’accusé qui s’acharne à dissocier son être et sa fonction, est fascinant. Et cela d’autant plus qu’il se déroule dans un allemand parfait de part et d’autre, Hausner et Eichmann étant issus du même moule culturel.

Cela se passait il y a cinquante ans, mais la question soulevée par ce procès n’a pas pris une ride : Satan existe-t-il ?

Kerr : who cares ?

25
Ronan Kerr
Funérailles œcuméniques pour le policier irlandais Ronan Kerr.

À la longue liste des personnes assassinées au nom d’un Dieu de paix et d’amour, il convient désormais d’ajouter Ronan Kerr.

Ronan Kerr était catholique. Il en est mort. Un de plus. Il est vrai que les catholiques paient, en ce moment, un lourd tribut en certains points chauds bouillants du globe. J’entends d’ici fuser les exclamations indignées à juste titre et je m’apprête à lire des commentaires logiquement scandalisés.

Pourtant, Ronan Kerr n’a pas été égorgé à Tibhirine, lapidé au Caire ou pendu à Téhéran par des barbus hystériques. Il a été pulvérisé quand sa Ford Mondeo piégée a explosé à Omagh, dans le comté de Tyrone, alors qu’il s’apprêtait tranquillement à rentrer chez lui après sa journée de travail. En Irlande, donc, comme son patronyme bien celtique pouvait le laisser supposer. Plus précisément en Irlande du Nord.

Il avait 25 ans et une tête de bébé. Il venait de s’engager comme constable dans la police de sa ville. La police très britannique d’un pays où les guerres de religion entre bons chrétiens ne sont pas un vain mot et tuent pour de vrai.

Omagh la sanglante. En 1998, le plus meurtrier des attentats de l’IRA en trente ans y a fait 29 morts et 220 blessés quand la branche « véritable » a voulu en finir avec la branche « provisoire ». À moins que ce ne soit le contraire, cet abscons jargon pseudo-révolutionnaire pêchant souvent par manque de clarté. Des protestants, des catholiques, un mormon, neuf enfants, une femme enceinte de jumeaux, deux touristes espagnols et des excursionnistes situés un peu avant Ronan Kerr dans la liste susnommée pourraient témoigner qu’un crime pour raison religieuse relève toujours d’une extravagante absurdité.

Pourtant, depuis vingt ans, le processus de paix initialisé par Tony Blair le catholique a enfin enterré deux siècles d’insurrections et de violences religieuses continues au cœur même de l’Europe. Le partage équitable des postes administratifs et policiers entre les deux communautés étant le fer de lance et le symbole même de la réconciliation, c’est lui qui a été visé et le malheureux Ronan Kerr en a fait les frais.

Bonne nouvelle malgré tout : la réprobation a été unanime et le pays soudé dans la condamnation univoque. Pour la première fois dans l’histoire, un premier ministre issu du parti démocratique unioniste a assisté officiellement à une messe catholique en compagnie de son vice-premier ministre, le catholique Mc Guinness. Du jamais vu, du 100 % inédit, des officiers de police et des membres de l’association athlétique gaélique ont porté le cercueil épaules contre épaules, peine contre peine, laissant là dans la petite église de l’immaculée conception à Beragh leurs dissensions théologiques…

En 2011, pas en 1572 (année du massacre de la Saint-Barthélémy). On croit rêver. Les deux ministres ont rappelé leur attachement au processus pour tourner définitivement la page sanglante écrite par la génération précédente. La mère de la victime a demandé à ses coreligionnaires de ne pas céder à la haine et de poursuivre leur engagement au sein de la police nationale multiconfessionnelle. Le père John Skinnader a rappelé que le policier abattu était « le symbole de la nouvelle Irlande du Nord, un jeune homme rêvant depuis toujours d’être au service des autres, pour les protéger et construire la paix entre les communautés ». Le cardinal Sean Brady, primat de l’église d’Irlande, a plaidé pour l’arrêt définitif de toute forme de violence. 70 000 personnes silencieuses se sont rassemblées à Belfast à l’appel des syndicats. Des discours de tolérance par des hommes et des femmes de bonne volonté qu’on aimerait entendre partout.

Il n’empêche qu’au Royaume-Uni, si la priorité est depuis 2005 à la lutte contre le terrorisme islamique, on garde toujours un œil méfiant sur ces Républicains irlandais qui se réveillent régulièrement comme des volcans mal éteints. Les musulmans n’ont pas le monopole de l’obscurantisme et protestant échaudé craint l’eau froide. Un arsenal de kalachnikovs, détonateurs, bombes incendiaires et semtex a été découvert dans un garage de Coalisland juste après le crime. Assurément, il n’était pas là que pour faire joli.

Quoique non revendiqué, cette fois encore, la responsabilité du crime est attribuée à des « dissidents » républicains opposés à la décision du Sinn Fein (parti nationaliste et catholique nord-irlandais) de partager le pouvoir avec les frères ennemis protestants.
Dissidents… Qui se cache dans ce fourre-tout commode ? Autant de vieux militants qui refusent de déposer les armes et d’accepter les méthodes pacifiques que des gamins désabusés, sans avenir, détruits par la succession des plans d’austérité inaugurés par Margaret Thatcher et qui ont laissé sur le carreau une génération prête à se laisser tenter par la solution extrémiste.

Comme un dernier baroud d’honneur, les scories d’une guerre religieuse d’un autre âge, au moment où les Irlandais de la République vous laissent entendre à mi-mot qu’ils ne voudraient pas du Nord quand bien même on leur offrirait sur un plateau. Dans quelques semaines Elizabeth II effectuera au pays du trèfle la première visite officielle d’un souverain britannique depuis l’indépendance en 1922…

Rien ne change, décidément, sous le soleil. À Omagh, New-york ou Bagdad, Dieu ou Allah ont toujours bon dos quand il s’agit de torpiller par la terreur les souhaits de la majorité silencieuse. À Omagh ou Bagdad, la réconciliation est passée ou passera par la satisfaction du très irrationnel mais très ombrageux sentiment de dignité et de justice.

Mélenchon ou le blues discret du PCF

75
photo : Audrey AK

Jean-Luc Mélenchon candidat ? Rien n’est joué, en tout cas pour le Front de Gauche. Il convient, avant de poursuivre, de donner quelques précisions terminologiques. En effet, si la personne de Mélenchon, avec son mélange de faconde et d’énergie de tribun de la plèbe, est très présente médiatiquement, les forces politiques qui le soutiennent et la façon dont elles sont organisées sont finalement très mal connues. Et pour cause : le silence le plus total règne sur cette question et même le ministère de l’Intérieur qui, le soir du premier tour des élections cantonales n’a pas jugé bon de donner en tant que tel le score du Front de Gauche, le noyant dans celui du PCF, de l’extrême gauche et même des divers gauche.

On peut penser que ce flou artistique arrangeait tout le monde. Le Front de Gauche a en effet représenté ce jour-là 9% des suffrages exprimés. Après avoir, à la surprise générale et notamment celle d’Arlette Chabot qui avait quand même beaucoup fait la publicité de Besancenot, devancé le NPA avec près de 7% des voix lors des élections européennes de 2009 et réédité l’exploit l’année suivante lors des régionales avec des pointes à 11% dans le Nord-Pas de Calais, 14,5% en Auvergne et 20% dans le Limousin, voilà que ce damné FDG s’affirmait comme la deuxième force de gauche. Les premiers mécontents étaient évidemment les écologistes qui prétendaient à ce statut au point de ne pas avoir hésité à maintenir leurs candidats dans certains cantons contre le candidat FDG. Le PS ne voit pas non plus d’un très bon œil ce retour d’une autre gauche, de rupture et de combat, qui l’obligerait à se gauchir pour passer des alliances alors qu’il ne rêve que de partenariats privilégiés avec les Verts et le Centre, tellement plus fréquentables. Même chose pour la droite droitisée et pour Marine Le Pen qui craignent que certains réussissent à mobiliser un électorat populaire sur un discours très social sans surenchère sur la sécurité, l’immigration et les dangers de l’islam intégriste.

Seulement, pour l’instant Jean-Luc Mélenchon n’est pas (encore) le candidat officiel choisi par le Front de Gauche pour porter « un programme partagé » actuellement en cours d’élaboration. Il a simplement été désigné comme candidat à l’élection présidentielle par sa jeune formation, le Parti de Gauche(PG). Le Parti de Gauche est né début 2009, sous l’impulsion du sénateur de l’Essonne et du député socialiste du Nord Marc Dolez. Il ajoute à une vision antilibérale sur le plan économique une forte sensibilité écologique et sociale, incarnée par exemple par le ralliement de Martine Billard, députée qui a quitté les Verts pour rejoindre Mélenchon.

Le Parti de Gauche, avec ses 8000 militants, n’est qu’une des composantes du Front de Gauche qui n’est pas une formation politique en tant que telle (on ne peut pas y adhérer directement, par exemple) mais une alliance électorale. Celle-ci comporte principalement deux autres forces. « Gauche Unitaire » est dirigée par Christian Picquet, ancien du NPA qui ne supporte plus, comme un certain nombre de militants, l’enfermement sociétaliste de la formation trotskyste et surtout son refus à priori de toute forme de participation ou de soutien à des gouvernements socialistes, même pour y établir un rapport de force afin de peser sur certaines décisions. Gauche unitaire revendique un petit millier de militants.

L’autre composante du Front de Gauche, c’est bien entendu le PCF et ses beaux restes : 120 000 adhérents, 13 députés, 20 sénateurs, 2 députés européens, 2 Conseils généraux, de nombreuses mairies et plus de 10000 élus locaux. Autant dire le gros de la troupe, avec la force militante la plus présente sur le terrain et les infrastructures qui vont avec.
Il faudrait compter également nombre de petits groupes alternatifs, écologistes aussi rouges que verts ou des dissidences diverses du PCF qui font d’ailleurs craindre, comme l’a une fois dit le député PCF Alain Bocquet qu’ « un rassemblement de petits finisse par un petit rassemblement. »

Il y a donc une distorsion, et un peu plus que ça, entre le poids médiatique de Jean-Luc Mélenchon et son poids politique réel au sein du Front de Gauche. En effet, même s’il a reçu pour sa candidature le soutien de « Gauche Unitaire », rien n’est fait tant que le PCF ne s’est pas prononcé. Et c’est là que le bât risque de blesser. Certes, Pierre Laurent, secrétaire national, a bien reconnu lors du dernier Conseil National que la candidature Mélenchon était « la plus susceptible de nous permettre de franchir un cap dans nos objectifs ». Traduit en langage non-initié, cela veut dire faire un score à deux chiffres aux présidentielles qui rendra ce courant indispensable pour le candidat socialiste quel qu’il soit dans la perspective du second tour. Et qui permettra dans la foulée de négocier 80% des candidatures dans la perspective des élections législatives qui suivront.

Seulement, lors de ce Conseil National du PCF qui s’est tenu les 8 et 9 avril, une résolution actant la stratégie de Front de Gauche a été adoptée par 87 voix contre 30 et 9 abstentions. Rien de catastrophique apparemment mais pour qui sait lire, cela traduit de vrais clivages. Comme les communistes refusent avec raison de jouer la farce de primaires à la socialiste, faussement démocratiques et vraiment démagogiques, qui réduisent à rien la fonction militante, les adhérents du PCF voteront pour désigner leur candidat les 16, 17 et 18 juin. Or, rien n’indique avec certitude une victoire de Mélenchon. Il existe en effet trois autres prétendants. Le député André Chassaigne qui a fait un excellent score en Auvergne et commence à être un peu connu du public grâce à sa fibre « terroir » à la Duclos, estime qu’un communiste porterait mieux la stratégie du Front (de gauche). Mais surtout, deux candidatures « identitaires » refusent cette stratégie qu’elles voient comme une manœuvre destinée à ramener le PCF dans les ornières du programme commun ou de la gauche plurielle : celle, relativement anecdotique, Emmanuel Dang Trang, secrétaire la section du XVème arrondissent de Paris et celle d’André Gerin, le député du Rhône, maire de Vénissieux jusqu’en 2009. André Gerin, dont la devise est « J’aime le rouge dans le respect du blanc et du bleu », est le communiste adoré par la droite depuis ses prises de positions très fermes sur la burqa et la sécurité (il a même co-signé un livre sur la question avec… Eric Raoult.

La partie n’est donc pas gagnée pour Mélenchon. Ça tiraille dur, et pas seulement, comme on pourrait le croire chez les vieux militants du Pas de Calais. Dans nombre de fédérations, les jeunes communistes craignent la dissolution de l’identité communiste. L’ironie de l’affaire, c’est que les pro et anti « Méluche » poursuivent le même objectif : la survie du PCF.

Gaza : Pacifiste ? Pas si vite !

19

Malgré la mise en garde circonstanciée de Manuel Moreau, durant tout ce week-end, la quasi totalité de la presse française, de Libération au Figaro, a décrit Vittorio Arrigoni comme un militant « pacisfiste » et l’International Solidarity Movement, qu’il représentait à Gaza, comme une organisation de la même eau.

La contagion a même touché TF1, frappée pour le coup d’enderlinite et qui titre sur son site : « Gaza : un pacifiste italien étranglé par des proches d’Al Qaïda ».

Sans prendre le risque d’aller traîner leurs guêtres à Gaza, mes chers confrères auraient pu, en jetant un rapide coup d’œil sur le site d’ISM, découvrir qu’il s’agissait là d’un pacifisme assez vernaculaire, et pour tout dire exotique, à l’aune de nos valeurs.

Ainsi, sur la page d’accueil du site français de l’ISM on trouve, juste sous les hommages à « Vik », cet article sans équivoque, en date du 11 avril, signé de Khaled Amayreh et titré : « Le Hamas a droit à la contrebande d’armes ». En voici les premières phrases : « Le Hamas a un droit absolu moral, légal et humain à défendre le peuple de Gaza contre les incessantes attaques israéliennes. Mais pour mener à bien cette tâche hautement éthique, il doit faire entrer des armes de divers types dans la Bande de Gaza. » Cet article pacifiste a bien sûr été illustré par le site pacifiste avec une photo pacifiste, que voici :

Photo : Khaled Amayreh

En cherchant un peu plus encore, mes amis de TF1 et d’ailleurs auraient pu trouver sur le site de l’ISM nombre d’autres textes du même auteur (un journaliste palestinien très hostile à l’Autorité palestinienne, jugée capitularde). L’un d’eux au hasard : en date du 27 janvier 2010, il a pour titre «Israël n’a aucune légitimité, point final» et se conclut ainsi : « En bref, le Hamas ne doit jamais reconnaître la légitimité d’Israël, en aucune circonstance, car ce serait légitimer les crimes génocidaires affreux qu’Israël commet contre le peuple palestinien depuis sa création illégitime il y a plus de 60 ans. Que dirait le Hamas à tous ces réfugiés s’il décidait, Dieu nous en préserve, de commettre un adultère national en reconnaissant l’entité satanique appelée Israël ? »

Bref je veux bien que TF1 décrive cet homme lâchement assassiné et son organisation comme pacifistes, mais à ce tarif-là, on pourrait requalifier feu « Carré ViiiP » d’émission culturelle…

Kate et William : destination danger ?

7

Qui a dit que les touristes boudaient les pays arabes pour cause d’épidémie de révolutions ?

Certes nombre de tour-operators en sont réduits à afficher des promos de 30, voire 50% sur l’Egypte ou la Tunisie, mais même à tarif réduit, les vacanciers sont peu nombreux à revenir vers le Moyen-Orient.

Naturellement, certaines destinations comme la Syrie et la Libye restent boudées par les occidentaux (à l’exception des militaires dans ce dernier). Mais les vacanciers n’étaient pas très nombreux à Tripoli avant même qu’y vole le premier caillou.

Et puis d’autres pays arabes ont le vent en poupe : d’après le Sunday Telegraph, Kate Middleton et son prince William envisageraient de passer leur lune de miel en Jordanie, et ce malgré les mouvements de protestations récurrents à Amman.

Cela étant, on dit aussi à Londres que les jeunes époux pourraient tout bêtement aller étrenner leur mariage au château familial de Balmoral, en Ecosse.

Là, tout ce qu’ils risquent, c’est du mauvais temps…

Pina Bausch, c’était l’humour et la joie

4
photo : terafoto

Ici, la beauté vous tranche en deux, puisque la chorégraphe Pina Bausch est au couteau. Les pieds de la table enjambent une rivière. Assise, de dos, une femme belle et mûre. Le haut de son corps est dénudé. Douloureuse, elle presse ses seins et ses bras contre la table. Un voile tombe de sa main, le filet d’eau l’emporte. Un jeune Espagnol gracieux aux longs cheveux danse vêtu d’une robe chamarrée. Un autre danseur invente le geste intime et exact de sa joie. La troupe entière adopte et s’approprie euphoriquement sa salutation à l’espace. Nous nous rappelons soudain charnellement que la joie et l’espace ne sont qu’une seule et même chose.

Si Les rêves dansants, sur les pas de Pina Bausch d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann m’ont émerveillé il y a quelques mois, j’ai été déçu par le Pina que nous livre à présent Wim Wenders. Les deux films méritent cependant d’être vus. Je n’ai pas aimé les images en trois dimensions de Wenders qui ne restituent en rien la présence sensuelle des corps dansants et relèvent de la féerie pour caniche technolâtre. Elles se montrent trop en tant que technique et ne donnent ainsi rien à voir. Ses ailes de géant empêchent Wenders de filmer. Les corps dansés par Pina Bausch finissent toutefois par s’arracher à ces effets spécieux et par sauver le film.

Pina enchevêtre des extraits de pièces de Pina Bausch, des interviews des danseuses et des danseurs et leurs créations dans la nature ou la ville. Dans les deux premiers tiers du film, Wenders opère dans l’œuvre de Pina Bausch un tri qui la dénature en privilégiant trop les séquences douloureuses. Il s’attarde longuement sur Café Müller, seule pièce où cette douleur est seule absolument.

La scène est un champ à l’abandon planté de chaises éparses, d’une effarante solitude. Avec parmi eux la beauté hâve, squelettique et hiératique de Pina Bausch – les corps esseulés des danseuses et des danseurs tâtonnent dans un paysage blessant en fermant les yeux. Les chaises, les murs, les autres corps sont ici, à l’image du corps de chacun pour lui-même, un infranchissable obstacle. L’essence de la pièce pourrait être résumée par cette atroce notation de Kafka : « L’os de son propre front lui barre le chemin (contre son propre front il se frappe le front jusqu’au sang). » Chaque corps y porte le deuil de son jeu intérieur, de la distance à soi qui ouvre en lui l’espace. C’est pourquoi l’espace extérieur, le jeu dansé des distances entre les êtres sont abolis eux aussi. La désolation du désert ferme l’espace de l’amour et de la rencontre. Les corps sont anéantis par la pétrification. Entre eux et en eux, l’espace ne prend plus, n’advient plus.

Dans Café Müller, le grand art de Pina Bausch est encore un oisillon aveugle et chauve prisonnier de son œuf – captif de l’anti-monde de la douleur. Pourquoi l’oisillon se recroqueville-t-il sur lui-même au centre de l’œuf ? Pourquoi se resserre-t-il dans la plus extrême concentration de la douleur ? Par amour de celle-ci ? Parce que la douleur seule est vérité, beauté et grandeur ? Le parti pris doloriste de Wenders pourrait nous le laisser croire. Mais cette condensation est en réalité une ruse physique pour ouvrir dans l’œuf un interstice, l’espace permettant à l’oisillon de prendre son élan avant de déployer soudain son corps de tout son être pour faire voler en éclat la coquille.

Contrairement à Wenders, prosterné devant le monolithe d’une douleur forcément doloriste, l’art de Pina Bausch s’émerveille de l’exubérante pluralité du monde. Il possède réellement, lui, trois dimensions : comique, joie pure, pure douleur. Il repose sur un contrepoint permanent, sublime et abrupt entre un humour éblouissant (Wenders a commis le crime de l’escamoter presque entièrement), une douleur qui ne se regarde pas douloir et une joie fulgurante qui ne se regarde pas jouir. Wenders perd l’équilibre de ce contrepoint, qui constitue pourtant l’essence de l’art de Pina Bausch. Il oublie (sauf brièvement à la fin du film) ce qu’il y a de plus beau en lui : la joie de notre sensuelle et perpétuelle arrivée au monde. Le désert transformé par une goutte d’eau, en une seconde, en une jungle florissante. Les corps s’abandonnant dans une joie infinie et insoutenable à jouer au monde et au désir avec d’autres corps.
Wenders a hélas négligé ce qu’il y a de plus grand et de plus sérieux dans cet art : les stupides enfantillages sensuels de la joie pure, la commune exultation d’être. L’envers enfantin et éternel de notre chair de douleur.

Un feu follet nommé Berthet

2

Les bulles sont souvent tristes les nuits de Noël. Le cœur fragile d’un père, par exemple, se débat pour que le tic-tac ne s’arrête pas. Le 24 décembre 1983, c’est le scénariste Paul Gégauff qui s’en va, à couteaux tirés. Vingt ans plus tard, l’écrivain Frédéric Berthet s’écroule dans son appartement de la rue Tournefort, à bout de souffle, d’alcool.[access capability= »lire_inedits »]

L’époque ne goûtant guère la grâce fragile des feux follets, ils ne seront pas nombreux à saluer, d’un « Tchin… » plein de larmes, sa mémoire lunaire : Olivier Frébourg, Patrick Besson, Éric Neuhoff. Des amis qui, naturellement, trouvent leur place dans la correspondance de Berthet qu’éditent les Éditions de la Table Ronde, aux côtés de Philippe Sollers, Roland Barthes, Jean Echenoz, de quelques demoiselles et de Michel Déon.

Michel Déon, pour Berthet, fut ce que Chardonne a été pour Nimier : un aîné qui donne le tempo. A la différence de l’auteur de Claire et de Vivre à Madère, qui conseillait au « hussard » dix ans de silence, Déon incite par contre Berthet à aller au bout de ses idées: « Je crois aussi qu’il faut que vous vous preniez par la main et que vous travailliez. Les vieux dictons ont souvent raison : le travail, c’est la santé. Un écrivain (et vous en êtes un) est fait pour écrire. Sans cela, il n’est rien. Ne soyez pas rien. Ce serait vraiment dommage, à la fois pour vous-même et pour ceux qui ont foi en vous. Je sais que ce n’est pas facile, mais il y a une formidable ivresse quand on a réussi, quand on est venu à bout d’une page, de plusieurs pages. »

Une certaine fêlure

En 1978, Berthet semblait répondre par avance à Déon, posant les derniers mots de toutes ses esquisses : « Mais si un soir, prenant la plume, vous en venez à écrire une page qui ne s’adresse plus à personne, alors, dans ce vide succédant à l’absence, vous aurez une idée de ce qu’est un roman, même si vous n’en écrivez jamais. »

Dans les lettres qu’il poste des campagnes de France, de New York, de Malte ou d’autres contrées, Berthet promet beaucoup. Oui, il passe ses journées à écrire. Oui, il est heureux que le livre soit presque achevé. Oui, il relit l’ultime version de son chef-d’œuvre. Oui, Antoine Gallimard en aura pour son argent. Chacun des titres qu’il annonce donne envie : L’Homme de confiance, Trimb, Traité complet de pêche suivi de Le Tennis moderne en 5 leçons, En marche, ou un particulièrement excitant Tour du monde en 80 filles.

L’envie, justement : carburant de Berthet, mêlé à la fatigue qui saisit, parfois, les grands vivants. Longtemps, la quête de la blue note a été la plus forte. Puis le goulot d’une bouteille de gin, de vin ou de ouisquie a cogné les mots recueillis dans ses carnets – son Journal de trêve posthume – , dans ses nouvelles – Simple journée d’été, en 1986 – et dans son unique roman, Daimler s’en va, en 1988 et prix Roger-Nimier.

Un orfèvre de l’émotion

Daimler s’en va, à (re)découvrir aujourd’hui en format poche, raconte la vie, l’ennui, les petits plaisirs et la mort de Raphaël Daimler, dit « Raph ». Daimler ne va pas à la fiesta qu’organisent son ami Bonneval et sa petite amie Véro. Il envoie à Bonneval une longue lettre, bye bye rieur aux excès et aux éclats de rire. Daimler est un chic type. Il écrit, sous le pseudo de Martin Hawaï, les paroles d’Héroïque − « J’ai perdu mon lipstick / Ça me rend hystérique / J’peux pas rester statique / Va falloir que j’me pique » − qu’on imagine bien sur un Maxi 45 Tours d’Elli & Jacno. Il fume lentement des cigarettes et se souvient de son premier flirt. Il est amoureux des jeunes filles blondes courant dans les blés, ce qui lui permet d’oublier, champagne et psychanalyse aidant, une femme fatale enfuie dans de lointaines îles anglaises. Il envoie des télégrammes qui commencent par « Old sport », s’interroge sur le dandysme aussi. A Bonneval lisant Le Chasseur français, il lance des phrases du genre : « Charlie, le dandysme consiste à se placer du point de vue de la femme de ménage qui découvrira le cadavre, au matin. »

Daimler n’est donc pas un jeune homme triste. Daimler est juste fatigué, fenêtre ouverte sur l’amer et sur le sentiment de s’exprimer dans une langue étrangère. Daimler, avant le grand saut, se répète en boucle la mélancolique chute finale du recueil Paris-Berry : « Que de fois n’ai-je pas, dans ma vie, entendu l’expression : Mais tu ne te rends pas compte ! Il faut croire que non. Ou alors, pas des mêmes choses, peut-être ? » Daimler, héros aux fulgurances stylées, est le vieux frère de Frédéric Berthet.[/access]

Correspondances: (1973-2003)

Price: 26,72 €

8 used & new available from


Daimler s'en va

Price: 6,10 €

13 used & new available from 3,21 €