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La culture sur des plateaux


photo : Cuahchic

L’actualité culturelle et politique à la télé, c’est essentiellement sur le service public, et pour cause : la réflexion n’est pas la spécialité de la télé commerciale, qu’on dit pudiquement « privée » sans préciser de quoi. TF1 entretient pourtant une « exception culturelle » qui confirme ses règles : ça s’appelle « Au Field de la nuit » (gag !) et ça se trouve tous les lundis vers 1 heure du matin, à une heure où, de toute façon, les « beaufs » de Cabu, s’ils existent encore, ronflent.[access capability= »lire_inedits »]

Le Michel du titre sert-il donc d’alibi culturel à la chaîne des « cerveaux disponibles pour Coca-Cola » ? Peu lui chaut ! De toute façon, il a d’autres casquettes. Sur TF1, Field se contente de « faire le job » qui lui est demandé : celui de l’intello médiatique accueillant, comme dit son dossier de presse, « les auteurs et les artistes qui font l’actualité ».

Ça a l’air simple, comme ça, mais c’est un métier ! On n’a pas toujours la chance de tomber sur un Denis Jeambar recrachant de bonne grâce cinquante ans de rancœurs rentrées, avec ragots à la clé ; ni même sur un Philippe Besson qui n’en finit pas de faire son coming out romancé (ça reste tendance).

Entre Christine Angot et le McDo au Cantal, Michel Field assure

Il faut parfois se coltiner des Christine Angot, toujours au bord de la crise de nerfs sans que l’on comprenne bien pourquoi. Mais l’ami Field sait aussi comment gérer ce genre de clients délicats. Des relances polies, à la rigueur ; le droit de suite, jamais !

Ainsi la mère Angot peut-elle détailler sans être contredite – mais sans quitter pour autant son air de bête traquée − l’épastrouillant secret de ses vraies-fausses autofictions : c’est compliqué, tout simplement ! « Mon  » Je », ce n’est pas moi : c’est un personnage qui est construit, et c’est beaucoup de travail. » Les autres romanciers devraient en prendre de la graine… Seule la publicité ose interrompre Christine − pour vanter les mérites d’un opérateur téléphonique, d’un jeu vidéo ou du McDo « au Cantal » − sans qu’elle moufte : faut ce qu’il faut !

En fait de débat culturel nocturne, le pendant de Michel Field sur TF1, c’est Philippe Lefait sur France 2. Ça s’appelle « Des Mots de minuit » et, croyez-m’en, les seules blagues sont dans le titre : « Des mots » pour « démons » (j’ai mis un an à comprendre), et « minuit » pour 1h30 (au mieux). A part ça, rien que du sérieux ! Pas de pub, bien sûr – et pourtant, c’est déjà le matin… Pas non plus de gens censés « faire l’actualité » ; rien que des amis choisis, que Philippe reçoit dans une pénombre feutrée : un écrivain kurde anti-kurde, une chorégraphe de la compagnie « Par terre » (sic), un combo chilien anti-Pinochet au chômage technique depuis vingt ans…

Philippe Lefait reçoit tard dans la nuit, mais pas vous !

Entre ces gens de bonne compagnie, jamais un éclat de voix, ni de rire, ne vient troubler les monologues croisés. Chacun se sent chez lui, sauf peut-être nous… A chaque fois qu’il m’est arrivé – par hasard, je le reconnais − de tomber sur cette émission, Philippe faisait ses yeux sérieux par-dessus ses lunettes, et je l’ai pris pour moi : ayant vaguement l’impression de déranger, je suis reparti sur la pointe de la zapette. Après réflexion, il me semble que cette « cérémonie secrète » mériterait d’être rebaptisée : je suggère « Le Cercle des téléspectateurs disparus ».

Voilà en tout cas un titre que l’on n’oserait pas proposer à Yves Calvi, dont l’ego télévisuel se satisfait à peine d’une quotidienne et d’une hebdo. Sur France 5, c’est tous les jours à 17h45 (avec rediff’ à 22h45 pour les fans). Ça s’appelle « C dans l’air », et j’ai toujours pas saisi le jeu de mots ; l’essentiel, c’est que Calvi s’y épanouit dans le genre qu’il affectionne : celui d’éditorialiste déguisé en intervieweur. Cet homme-là a tout compris et il aimerait bien nous en faire profiter, dans la mesure de nos moyens.

Yves Calvi, l’intervieweur qui fait aussi les réponses

Il faut le voir faire la leçon à ses invités, et jouer avec eux comme un gamin avec des marionnettes : et que je vous lance l’un contre l’autre, et que je fais les deux voix si je veux ! A la limite, avec son talent, Yves pourrait se passer d’autres intervenants.

Tel n’est pas le cas sur France 2, le lundi à 22 heures. Dans ce « créneau exposé », comme on dit, les invités sont forcément des poids lourds. Du coup, l’ami Calvi est contraint de brider ses dons pour le one-man-show. Ça s’appelle « Mots croisés » et là, au moins, on comprend la blague ; quant à Yves, il a compris le principe, et se contente modestement de passer les plats…

L’autre semaine, par exemple, il était entouré de deux ministres, dont un ancien, d’un philosophe − « nouveau » −, d’un écrivain en vue et d’un chercheur. Autant de gens qu’il ne faut pas interrompre à tout bout de champ, même sous prétexte de les aider à terminer leurs phrases.

Dans un registre moins « sérieux », comme disent les drôles, il y a Guillaume Durand ; dans notre univers de certitudes impensées, le moindre de ses charmes n’est pas de sembler découvrir ses idées au fur et à mesure qu’il les formule, entre deux « Comment dirais-je… ».

Guillaume Durand, un concept aux reflets auburn

Après avoir cherché pendant vingt-cinq ans, de Berlusconi à « Nulle part ailleurs », la place de son transat’ au soleil de la télé, Durand a fini par poser son ULM à France 2. Pour autant, il ne semble pas avoir encore trouvé son terrain, entre culture lyophilisée et scandales formatés. Mais l’essentiel de Guillaume est ailleurs : dans ses nuances auburn, sa gouaille gavrochienne et même ses fautes de français (Quand on aime, on ne compte pas !).

Cette saison, il anime, le mercredi à 22h50, « Conversations inédites face aux Français ». N’allez pas chercher le gag dans le titre, il est dans le concept : deux personnalités qui n’ont rien à se dire le disent tour à tour, face à un « panel » de Français dont personne n’écoute les questions – sans même parler d’y répondre.
Heureusement, il y a Frédéric Bonnaud, un « Monsieur Éthique » qui sait en toutes circonstances traduire les doléances du panel, incarner le Camp du Bien et dénoncer les « dérapages » avant même qu’ils se soient produits.

Faut-il parler de la « Semaine critique ! » de Franz-Olivier Giesbert ? (France 2, vendredi, 23 heures). Oui, ne serait-ce que pour en saluer le titre : ici, le double sens est si fin qu’il tient tout entier dans un point d’exclamation ! Mais avec FOG, l’écueil (et non pas l’écureuil) serait sans doute de prendre son magazine plus au sérieux que lui-même, qui a un peu souvent l’air de s’en foutre.
Dans sa façon de conduire sa Petite Bande, comme dirait Sigiswald Kuijken, il ressemble de plus en plus à ce qu’il est : un chef d’orchestre star, à l’abondante chevelure négligemment soignée, que toutes les partitions amusent parce que plus rien ne l’abuse.

FOG, ou l’indifférentisme télégénique

Dans sa fosse, chaque semaine : quatre solistes réputés, qui jouent volontiers leur partition sous ses compliments généreusement distribués ; quatre critiques censés pointer leurs fausses notes, mais souvent trop occupés à en faire d’autres entre eux. Et puis, à la bombarde, Nicolas Bedos qui, à force d’en rajouter dans la cacophonie, semble bien avoir inventé un créneau : l’arrivisme punk.

Si vraiment un tel créneau existe, tant mieux pour lui et pour nous ! Contrairement au prévisible Guillon, Bedos se comporte comme un bouffon digne de ce nom : parmi les quatre « rois » qu’intronise FOG chaque semaine, Nicolas en laisse toujours au moins un à poil − et généralement pas le moindre.

Vous me direz : « Tout ça n’est guère sérieux ! », et je vous répondrai du tac au tac : « Mais c’est de la télé ! » Et même encore là, je serai injuste. Par exemple « Ce soir (ou jamais !) », ça passe bien à la télé et, pourtant, ça a un sens (même le titre …).

Enfin, bon, il faudra bientôt en parler au passé : à la rentrée, l’émission quotidienne de Frédéric Taddeï et de sa bande deviendra hebdomadaire. C’est l’idée de Pierre Sled, que je croyais footballeur et qui, paraît-il, est directeur des programmes de France 3.

Dommage parce que, chaque soir, du lundi au jeudi, « CSOJ » nous proposait un truc « nouveau et intéressant », comme disait Bizot : un plateau télé où tout le monde parlait de tout avec tout le monde d’une manière civilisée : une controverse polie entre gens qui, en d’autres temps ou en d’autres lieux, auraient dû s’étriper.

Taddeï, ou l’intelligence rétrogradée

Que diable le service public peut-il bien reprocher à cette émission ? Une audience insuffisante ? Mais ça se saurait, depuis cinq ans ! Son « usure », alors ? Mais qu’est-ce qui s’use moins vite qu’une formule permettant d’inviter, chaque saison, des centaines de personnalités souvent inconnues du grand public ? À moins que ce ne soit là, justement, le problème : donner la parole à tous ces gens sous prétexte qu’ils ont quelque chose à dire, ça a peut-être fini par agacer beaucoup de monde…

Il y a vingt-cinq ans, notre intelligentsia s’était mobilisée pour défendre « Droit de réponse », pétaudière millimétrée par Polac pour assouvir les fantasmes les plus vains de la gauche d’époque. Rien de tel aujourd’hui pour défendre Taddeï, qui d’ailleurs n’en demande pas tant. Au contraire, on l’attaque…

La dernière manifestation en date d’antitaddéisme primaire, on la doit à Laurent Joffrin. Depuis trois décennies maintenant, cet éternel adulescent n’en finit pas de promener sa grande conscience, telle un toutou virtuel, de Libé en Nouvel Obs et retour.

Le mois dernier, il a quand même trouvé le temps de visionner un « CSOJ » consacré à Marine Le Pen, et d’y poser son diagnostic. Tardif peut-être, mais sans appel : décidément ce Taddeï-là serait un crypto-facho, capable d’organiser froidement « une opération de propagande lepéniste au cœur de la télévision publique »[1. NouvelObs.com, 11 mars 2011]. Il veut la place, ou quoi ?

Sans en venir à une telle extrémité, on peut s’interroger sur l’urgence qu’il y avait à fermer cette fenêtre quotidienne de réflexion sur l’actualité. Pour la remplacer par quoi ? Enquêtes criminelles, saison 13 ? « Mireille Dumas, la quotidienne » ? Ou une rediff’ avancée de Plus belle la vie ?

Pierre Sled jugera.[/access]

Avril 2011 · N°34

Article extrait du Magazine Causeur



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