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Un nouveau cinéma américain ?


Cette année aux Oscars, trois cinéastes américains partageaient plus que des nominations. Christopher Nolan, Darren Aronofsky et David Fincher, nommés respectivement pour Inception, Black Swan et The Social Network, sont devenus en une quinzaine d’années les représentants quasi-officiels du renouveau hollywoodien.

Un nouveau style contre des studios finissants

Si la chose mérite d’être soulignée, c’est qu’il n’en a pas toujours été ainsi. D’une part parce qu’ils ont tous trois commencé à réaliser au relatif moment de grâce du cinéma américain indépendant, les années 1990, où il s’agissait d’imposer son propre style face aux studios finissants. D’autre part parce que le prestige dont ils sont aujourd’hui nimbés tranche avec la réception critique de leurs premiers films. En gros : Seven (de Fincher) est passé pour un bon film dans son genre, Pi (d’Aronofsky) pour un nouveau gadget paranoïaque et Following (de Nolan) comme un film potable de scénariste. Qu’a donc, pourtant, de si particulier cette nouvelle génération?

Les films dont nous parlons ont au moins en commun d’avoir été érigés très tôt en objets cultes par un jeune public cinéphile. Pas de politique des auteurs pour ces trois cinéastes : ce n’est pas dans les colonnes des revues, mais dans les forums du Web qu’ils ont d’abord été défendus. C’est que nous avons affaire, dès le départ, à des films reposant sur des concepts scénaristiques forts. Un mystère mathématique dans Pi, une réalité qui se décompose comme un puzzle dans The Game et une histoire qui commence par la fin et se termine par le début dans Memento.

C’est le reproche qui leur a souvent été adressé : trop de gadgets, trop de scénario, pas assez de cinéma. Un reproche parfois fondé, par exemple contre un film comme Requiem for a dream (Darren Aronofsky), tragédie sur la drogue, avec des effets visuels à gogo, qui suscita l’émoi de toute une génération de lycéennes filière L. Le poids du concept et la tentation de l’abstrait deviennent difficilement supportables dans The Fountain, le délire new age d’Aronofsky sur l’amour et la mort, avec Hugh Jackman et Rachel Weisz.

Une réalité hackée

Mais cette piste vers l’abstraction et la plasticité du monde connaît chez David Fincher et Christopher Nolan des bifurcations autrement plus intéressantes. Chez l’auteur de Fight Club, le monde ressemble à un système d’illusions qu’il s’agit d’infiltrer et de saboter. L’intérieur de la maison de Panic Room, film négligé de Fincher, est un monde virtuel minutieusement exploré par la caméra. Cet environnement en trompe-l’œil est le territoire d’un rapport de force : la réalité peut toujours être « hackée », détournée par une force incontrôlable. Un peu à l’image du jeune Mark Zuckerberg de The Social Network, qui parvient avec brio à pirater les codes aristocratiques et les usages élitistes d’Harvard pour les étendre littéralement au monde entier. Le modelage du monde est aussi un enjeu chez Nolan. Ses premiers personnages, de Memento à Insomnia, sont frappés d’impuissance dans leur relation à un environnement incertain et fragmentaire. A l’inverse, ses personnages les plus récents, comme le Batman de Dark Knight ou le Cobb d’Inception, connaissent le grand vertige de la maîtrise des choses et des êtres. Cette dualité n’est possible que dans un monde fait d’écrans et de morceaux de virtualité. Un monde qui ressemble assez au nôtre.

Le retour paradoxal du corps

Pour autant, il ne faudrait pas croire que la chair soit absente du cinéma de cette nouvelle génération. Les personnages existent, ils ont un corps essentiellement souffrant. Ils ont l’air, parfois, d’être les cobayes d’un savant fou. Le Benjamin Button du film de Fincher est un monstre qui porte dans la douleur l’hypothèse étrange présidant à sa destinée. Le corps est tout ce qui reste à Leonard, dans Memento, pour s’accrocher à la vie et retrouver l’assassin de sa femme : c’est sur sa peau qu’il note les indices, liste les faits, tatoue ses maximes. Mais c’est probablement Aronofsky qui est allé le plus loin dans ce sens avec The Wrestler. Jouant avec la souffrance véritable et la souffrance simulée, le corps et le spectacle du corps, le cinéaste a donné à la figure du freak une humanité inédite.

Avec Black Swan, Aronofsky a à nouveau perdu en consistance, faisant de son personnage de danseuse une psychologie vide, au corps purement théorique, manipulable à l’envi. De leur côté, David Fincher et Christopher Nolan ont réalisé, en 2010, des films synthétisant à merveille les enjeux esthétiques de cette nouvelle génération. Le premier en mettant en scène, avec The Social Network, un personnage à la fois singulier et symbolique de notre temps, le second en dissimulant dans une rêverie sur le rêve, Inception, une divagation sur le monde trouble et flottant que nous autres modernes sommes en train de nous construire. Chacun à leur manière, sur un mode inégal et hétérogène, ces trois cinéastes contribuent désormais au miroir inquiétant que l’industrie hollywoodienne sait parfois présenter au monde.



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Timothée Gérardin est l'auteur du blog cinéphile <a href="http://fenetressurcour.blogspot.com">Fenêtres sur cour.</a>

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