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Un feu follet nommé Berthet


Les bulles sont souvent tristes les nuits de Noël. Le cœur fragile d’un père, par exemple, se débat pour que le tic-tac ne s’arrête pas. Le 24 décembre 1983, c’est le scénariste Paul Gégauff qui s’en va, à couteaux tirés. Vingt ans plus tard, l’écrivain Frédéric Berthet s’écroule dans son appartement de la rue Tournefort, à bout de souffle, d’alcool.[access capability= »lire_inedits »]

L’époque ne goûtant guère la grâce fragile des feux follets, ils ne seront pas nombreux à saluer, d’un « Tchin… » plein de larmes, sa mémoire lunaire : Olivier Frébourg, Patrick Besson, Éric Neuhoff. Des amis qui, naturellement, trouvent leur place dans la correspondance de Berthet qu’éditent les Éditions de la Table Ronde, aux côtés de Philippe Sollers, Roland Barthes, Jean Echenoz, de quelques demoiselles et de Michel Déon.

Michel Déon, pour Berthet, fut ce que Chardonne a été pour Nimier : un aîné qui donne le tempo. A la différence de l’auteur de Claire et de Vivre à Madère, qui conseillait au « hussard » dix ans de silence, Déon incite par contre Berthet à aller au bout de ses idées: « Je crois aussi qu’il faut que vous vous preniez par la main et que vous travailliez. Les vieux dictons ont souvent raison : le travail, c’est la santé. Un écrivain (et vous en êtes un) est fait pour écrire. Sans cela, il n’est rien. Ne soyez pas rien. Ce serait vraiment dommage, à la fois pour vous-même et pour ceux qui ont foi en vous. Je sais que ce n’est pas facile, mais il y a une formidable ivresse quand on a réussi, quand on est venu à bout d’une page, de plusieurs pages. »

Une certaine fêlure

En 1978, Berthet semblait répondre par avance à Déon, posant les derniers mots de toutes ses esquisses : « Mais si un soir, prenant la plume, vous en venez à écrire une page qui ne s’adresse plus à personne, alors, dans ce vide succédant à l’absence, vous aurez une idée de ce qu’est un roman, même si vous n’en écrivez jamais. »

Dans les lettres qu’il poste des campagnes de France, de New York, de Malte ou d’autres contrées, Berthet promet beaucoup. Oui, il passe ses journées à écrire. Oui, il est heureux que le livre soit presque achevé. Oui, il relit l’ultime version de son chef-d’œuvre. Oui, Antoine Gallimard en aura pour son argent. Chacun des titres qu’il annonce donne envie : L’Homme de confiance, Trimb, Traité complet de pêche suivi de Le Tennis moderne en 5 leçons, En marche, ou un particulièrement excitant Tour du monde en 80 filles.

L’envie, justement : carburant de Berthet, mêlé à la fatigue qui saisit, parfois, les grands vivants. Longtemps, la quête de la blue note a été la plus forte. Puis le goulot d’une bouteille de gin, de vin ou de ouisquie a cogné les mots recueillis dans ses carnets – son Journal de trêve posthume – , dans ses nouvelles – Simple journée d’été, en 1986 – et dans son unique roman, Daimler s’en va, en 1988 et prix Roger-Nimier.

Un orfèvre de l’émotion

Daimler s’en va, à (re)découvrir aujourd’hui en format poche, raconte la vie, l’ennui, les petits plaisirs et la mort de Raphaël Daimler, dit « Raph ». Daimler ne va pas à la fiesta qu’organisent son ami Bonneval et sa petite amie Véro. Il envoie à Bonneval une longue lettre, bye bye rieur aux excès et aux éclats de rire. Daimler est un chic type. Il écrit, sous le pseudo de Martin Hawaï, les paroles d’Héroïque − « J’ai perdu mon lipstick / Ça me rend hystérique / J’peux pas rester statique / Va falloir que j’me pique » − qu’on imagine bien sur un Maxi 45 Tours d’Elli & Jacno. Il fume lentement des cigarettes et se souvient de son premier flirt. Il est amoureux des jeunes filles blondes courant dans les blés, ce qui lui permet d’oublier, champagne et psychanalyse aidant, une femme fatale enfuie dans de lointaines îles anglaises. Il envoie des télégrammes qui commencent par « Old sport », s’interroge sur le dandysme aussi. A Bonneval lisant Le Chasseur français, il lance des phrases du genre : « Charlie, le dandysme consiste à se placer du point de vue de la femme de ménage qui découvrira le cadavre, au matin. »

Daimler n’est donc pas un jeune homme triste. Daimler est juste fatigué, fenêtre ouverte sur l’amer et sur le sentiment de s’exprimer dans une langue étrangère. Daimler, avant le grand saut, se répète en boucle la mélancolique chute finale du recueil Paris-Berry : « Que de fois n’ai-je pas, dans ma vie, entendu l’expression : Mais tu ne te rends pas compte ! Il faut croire que non. Ou alors, pas des mêmes choses, peut-être ? » Daimler, héros aux fulgurances stylées, est le vieux frère de Frédéric Berthet.[/access]

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Daimler s'en va

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Avril 2011 · N°34

Article extrait du Magazine Causeur



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Arnaud Le Guern est est né en 1976. Ecrivain, il vient de faire paraître Du soufre au coeur (Editions Alphée)

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