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Le président et la presse

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.


Emmanuel Macron n’a pas apprécié, mi-octobre, que sa petite phrase, « Nétanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’ONU », ait fuité du Conseil des ministres. « Si ce n’est pas dans le communiqué ou le compte-rendu du porte-parole, ça n’existe pas », a-t-il sèchement répliqué quelques jours plus tard.

J’ai scrupuleusement consulté les publications de ce ministère de la Vérité : si elles ne disent pas tout, elles confirment que le pays va mal, qu’il est à l’arrêt, et qu’il régresse sur de nombreux sujets.

Quelles sont les questions les plus urgentes pour une majorité d’entre nous ? Une récente enquête réalisée par Ipsos pour le Conseil économique, social et environnemental révèle les préoccupations réelles des Français. Et cela commence par « votre santé et celle de vos proches » (40 %). Dans les communiqués du ministère de la Vérité, rien sur la capitulation Doliprane. L’État occupera la place d’une plante verte dans la salle du futur conseil d’administration de la filiale de Sanofi sous bannière américaine. Puis, en deuxième position, « votre pouvoir d’achat » (34 %). Là encore, le porte-parolat gouvernemental se garde bien de dire combien l’échec de la « politique de l’offre » menée depuis 2017 a privé notre pays de recettes fiscales indispensables pour financer des politiques publiques pourtant essentielles. Comment combler le trou ? La taxation riquiqui des « plus aisés » est un leurre. Rien ne change : on taxe les plus pauvres car ils sont les plus nombreux. 

Les autres inquiétudes pointées par l’enquête de l’Ipsos sont : « la situation économique et financière du pays » (28 %), « la situation politique » (24 %), l’environnement (22 %) est au même niveau que « les inégalités sociales » et « la sécurité des biens et des personnes », puis suivent, à 18 % « l’avenir du système des retraites », « l’instabilité géopolitique » et « l’immigration ». Enfin, « l’emploi et le chômage » (13 %), « l’accès aux services publics » (11 %), « les tensions et mouvements sociaux en France » (9 %) et « les évolutions technologiques et leurs impacts » (7 %). 

Sur les conseils d’Emmanuel Macron, j’ai consulté le dernier communiqué de la porte-parole du gouvernement. « La faculté a été donnée au Premier ministre, à titre provisoire, d’utiliser le 49.3. » Et à titre « préventif » ? Elle annonce aussi une revalorisation de 2 % du smic (1 426 euros nets). Une misère.

Au sujet du Conseil des ministres du 23 octobre, Thomas Despré a, au nom de l’association de la presse présidentielle, répondu à Emmanuel Macron : « Notre travail ne peut se résumer à reprendre les déclarations officielles, il est aussi, et surtout, de permettre aux concitoyens de savoir ce qu’il se passe une fois les micros coupés. Notre travail est de pouvoir enquêter, librement, sur les coulisses du pouvoir pour permettre à chacun de se faire une opinion. Cette liberté fondamentale en démocratie ne saurait être remise en cause au gré des tempêtes politiques. La définition du journalisme ne sera jamais une prérogative présidentielle. »

Faisons confiance aux événements, ils ne manqueront pas de se produire !

Une renaissance!

Le Ballet du théâtre San Carlo de Naples se produit en France pour la première fois. Une occasion unique de découvrir cette compagnie mythique qui revient de loin. C’est ce week-end, sur la scène de l’Opéra royal du château de Versailles.


C’est une grande première ! Une première historique, même, pour le Ballet du Teatro di San Carlo, l’Opéra de Naples, le plus illustre des théâtres lyriques italiens avec la Scala de Milan, mais aussi l’une des plus belles salles du monde, exaltée par Stendhal. Une première historique, car jamais cette compagnie de ballet instituée à Naples par un Bourbon d’Espagne n’avait été invitée en France. Et mieux encore sur l’Olympe des Bourbons, à Versailles, à l’Opéra royal, cet écrin voulu par Louis XV, deux fois cousin de Charles, roi des Deux-Siciles avant que d’être roi d’Espagne sous le nom de Charles III. Souverain en Italie, Charles, Carlo à Naples, Carlos à Madrid, fut l’instigateur du Teatro di San Carlo, édifié en deux-cent-soixante-dix jours et inauguré le 4 novembre 1737 avec un opéra, Achille in Sciro, sur un livret de Métastase, une musique de Sarro, et où le ballet assumait les divertissements réglés par Francesco Aquilanti, avant, au milieu et à la fin de l’ouvrage.  

Après deux siècles de vice-royautés aiguillées depuis Madrid, puis depuis Vienne, les Napolitains, et avec eux les Siciliens avaient enfin leur propre roi en 1734. Et ce fils de Philippe V d’Espagne, plus tard roi d’Espagne lui-même, allait provoquer, après avoir conquis ses deux trônes, un formidable développement de Naples. La création du San Carlo faisait partie de ce vaste dessein. Charles, roi de Naples, Charles, roi de Sicile et de Jérusalem, Charles enfin roi des Deux-Siciles, n’oublie pas qu’il est Bourbon. À l’image de l’Académie royale de Musique et de Danse voulue par son arrière-grand-père Louis XIV, un théâtre d’opéra et de ballet constitue un élément essentiel de son prestige. Il est aussi Farnèse par sa mère, Elisabeth de Parme. Et sous son règne, comme celui de ses successeurs, le San Carlo s’affirmera comme l’une des scènes les plus prestigieuses d’Europe. Au XIXe siècle, Rossini puis Donizetti y règneront, cependant que le ballet, dans l’ombre du théâtre lyrique, alignera lui aussi quelques grands noms : Salvatore Vigano, Antonio Guerra, Carlo Blassis. Mais aussi Fanny Cerrito, Carlotta Grisi ou Elisa Vaque-Moulin. Ou encore Salvatore Taglioni, directeur du Ballet du San Carlo de 1817 à 1860 et oncle de Marie, prima ballerina à Paris où elle créa La Sylphide à l’Opéra.

Mais ces dernières décennies, le Ballet du San Carlo a sombré dans une accablante insignifiance. On nomme à sa tête des danseurs célèbres, on en invite d’autres plus célèbres pour quelques soirées, selon cette tendance stupide typiquement italienne où, faute de politique artistique intelligente, on se rabat sur un nom connu pour remplir les salles. Quels qu’ils soient, ceux qui dirigent le Ballet du San Carlo, sous le regard dédaigneux du surintendant ou du directeur musical, n’ont sans doute ni les capacités intellectuelles, ni les moyens financiers pour constituer une compagnie et une programmation dignes de ce nom. Et la troupe n’a aucune existence en dehors de Naples et quelques villes de province italiennes.

Quand Stéphane Lissner, ci-devant directeur de l’Opéra de Paris, après l’avoir été du Théâtre du Châtelet et du Festival lyrique d’Aix-en-Provence, est intronisé en octobre 2019 surintendant du San Carlo, la compagnie de ballet est réduite à six danseurs titulaires et à six surnuméraires. Un troupeau juste bon à figurer dans des opéras. On ne saurait traduire avec plus d’éloquence la déshérence de ce ballet napolitain. Mais Lissner qui avait eu sous son autorité l’une des plus brillantes compagnies de danse académique, ne pouvait sans déchoir ne pas redonner un certain lustre au Ballet du San Carlo. Sa politique énergique lui fait nommer une danseuse de l’Opéra de Paris à la direction de la compagne napolitaine.

Clotilde Vayer, première danseuse du Ballet de l’Opéra, et jusque-là l’une de ses plus émouvantes artistes, au profil d’étoile et aux interprétations sensibles et intelligentes, est devenue maîtresse de ballet de la compagnie en 1998, puis maîtresse de ballet assistante à la direction en 2004.


La voilà à pied d’œuvre à Naples en 2021. Sous son impulsion et avec l’appui de Stéphane Lissner, malgré la pandémie qui frappe l’Italie, le Ballet du San Carlo passe en quelques mois de douze à quarante danseurs. Les élus ne sont que des Italiens ! Avec une majorité de Napolitains. Et c’est tant mieux pour l’identité de la troupe. Pour la fierté aussi des Napolitains et des artistes. Tous représentent cette école italienne, et singulièrement napolitaine, qui fut longtemps la seule grande rivale qui comptait face à l’école française. Et c’est d’ailleurs sous leur double influence qu’est née à la fin du XIXe siècle ce qu’on appelle aujourd’hui l’école russe. « Ils sont très fiers de leur identité, souligne Clotilde Vayer. Et c’est bien ce qui confère le style et l’originalité de la compagnie. Ils sont aussi avides de découvertes et dotés d’un enthousiasme réjouissant. » Pour étancher cette soif de nouveauté, cette dernière introduit dans leur répertoire des œuvres néo-classiques certes, mais signées de grands chorégraphes du XXe siècle : Balanchine, Robbins, Forsythe, Van Manen… et reprend à Naples des chorégraphies de Noureïev qui ont fait leurs armes à Paris, Le Lac des Cygnes ou Don Quichotte. La routine pour nous, mais un pas en avant dans cette Italie où la modernité s’est arrêtée avec les avatars du ballet du XIXe siècle, où Roland Petit fait encore figure de moderne et où, seule en son temps, Carolyn Carlson, à Venise, introduira un souffle du XXe siècle.

Il aura fallu faire revenir petit à petit au San Carlo un public qui avec les années avait oublié la danse. En Italie, les impresarii, dont l’univers se borne aux grands ballets du répertoire classique, n’ont pas encore relevé la renaissance du Ballet du San Carlo. En revanche, la compagnie commence à susciter de l’intérêt à l’étranger. En France donc, mais aussi en Thaïlande, en Arabie, en Corée…

À Versailles ce week-end, rien de révolutionnaire dans la programmation. Mais trois belles œuvres de Jerome Robbins, In the Night (Chopin), Afternoon of a Faun (Debussy), En Sol (Ravel). Des œuvres que Clotilde Vayer connaît parfaitement pour les avoir interprétées naguère quand elle était Première danseuse sur la scène du palais Garnier.


Ballet du Theatre San Carlo de Naples. Les 15 et 16 novembre 2024 à 20h, le 17 à 16h. Opéra royal de Versailles ; 01 30 83 78 89 ou www.operaroyal-versailles.fr

« La pire trans d’Argentine »

Le nouveau roman de Camila Sosa Villada est aussi bien cru que drôle.


Son premier roman Vilaines, Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro, traduit en France en 2021, fut un évènement. La comédienne et chanteuse argentine Camila Sosa Villada y contait l’histoire d’un groupe de prostituées transsexuelles à Cordoba. Un récit éblouissant d’inspiration autobiographique. Elle récidive aujourd’hui avec Histoire d’une domestication, second opus dans lequel l’écrivaine a manifestement mis beaucoup d’elle-même. 

Son héroïne est transsexuelle, comme elle. Comme elle aussi, elle a la passion de la scène. Née en 1982 sous le nom de Cristian, Camila Sosa Villada s’est d’abord fait un nom au théâtre et dans les cabarets avant de jouer au cinéma et d’incarner le rôle-titre d’une série télévisée. Autant d’expériences qui ont manifestement nourri le personnage principal de ce second roman à première vue plus classique que le précédent. A première vue seulement. Car rien ne l’est jamais sous la plume de la célèbre autrice argentine. Son héroïne, là encore, lui ressemble à s’y méprendre. Sa popularité est telle que « des milliers d’auteurs de théâtre (…) meurent d’envie d’écrire pour elle. » Mais ce qu’elle veut, elle, c’est jouer La voix humaine de Jean Cocteau. Un rôle dans lequel se sont illustrées d’autres illustres comédiennes avant elle. Ingrid Bergman au théâtre. Anna Magnani pour la caméra de Rossellini. Ou encore Carmen Maura dans La loi du désir de Pedro Almodovar qui s’en inspire librement.

Ses producteurs ont beau lui suggérer de jouer « quelque chose de moins français, de moins tordu », rien n’y fait. La comédienne fait ce qu’elle veut, comme elle veut et quand elle le veut… Comme il se doit, le metteur en scène est son amant. Camila Sosa Villada excelle dans l’écriture des scènes sexuelles dont le roman regorge. C’est cru, enlevé et souvent drôle.

Ce que n’avait pas imaginé la comédienne – comme tous les personnages de ce roman, elle n’est jamais définie que par sa fonction – c’est qu’elle tomberait amoureuse d’un homosexuel. Contre toute attente, la comédienne et son avocat pénaliste vont se mettre en ménage. Mais comment domestiquer des êtres qui n’ont jamais vécu que dans la luxure et dans l’excés ? Telle est la question que pose ce second roman et à laquelle chacun des personnages de ce roman haut en couleurs va se retrouver confronté. Dans cette Histoire d’une domestication, la vie de couple ne constitue qu’une première étape. La deuxième étant l’arrivée d’un enfant. Après avoir envisagé de louer un ventre, ce couple décidément peu ordinaire décide de se lancer dans le long parcours de l’adoption. L’heureux élu sera un petit garçon de six ans, séropositif, auprès duquel la comédienne découvrira l’amour maternel. « Une seule trans suffit pour changer le cours de la vie d’un homme, d’une famille, d’une institution » affirme Camila Sosa Villada qui sait manifestement de quoi elle parle. Son livre jette un regard sans concession sur l’embourgeoisement et cette institution que représente la famille en Argentine. Un roman d’une audace folle et qui séduit par sa radicalité.

Histoire d’une domestication de Camila Sosa Villada, traduction Laura Alcoba, Editions Métalié. 222 pages.

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Algérie, l’heure des comptes

Malgré la tentative d’intimidation du gouvernement algérien, Sarah Knafo a décidé de révéler combien coûtait à la France sa politique de repentance. Plus de soixante ans après l’indépendance, la députée européenne estime qu’il est temps de divorcer pour de bon.


Causeur. L’Algérie a déposé une plainte contre vous. Pourquoi ?

Sarah Knafo. J’étais l’invitée des « Grandes Gueules » pour un débat sur l’état catastrophique de nos finances publiques. Pendant l’émission, je pose une question simple : est-il normal de donner des millions d’euros à l’Algérie ou à la Chine, quand par ailleurs l’hôpital Georges-Pompidou fait un appel aux dons pour financer l’achat de scanners ? Sommes-nous Crésus pour dilapider ainsi notre argent auprès de puissances étrangères ? Les « Grandes Gueules » postent cet extrait sur les réseaux sociaux, et cela lance un débat sur l’aide publique au développement. Étonnamment, la Chine ne porte pas plainte contre moi, mais l’Algérie, si ! Ils en font l’ouverture de tous leurs journaux télévisés, et le chef de leur État, M. Tebboune, décide de faire de moi une cible en organisant une conférence de presse pour dire que j’avais menti. Si j’avais une mentalité de gauche, je vous dirais que par sa faute j’ai été « cyberharcelée » par des centaines d’Algériens haineux ! Même des Franco-Algériens m’insultent comme si j’avais accusé leur père d’être endetté auprès de moi… Malheureusement pour eux, la justice m’a donné raison et leur plainte a été classée sans suite.

Pourquoi le parquet a-t-il classé l’affaire ?

Cette plainte était grotesque et n’avait aucune chance d’aboutir. Si on voulait se moquer, on pourrait leur dire qu’avec tout l’argent qu’on leur donne, ils auraient quand même pu se payer un juriste ! J’ai dit la vérité en m’appuyant sur des données officielles et publiques. On a bel et bien donné 842 millions d’euros à l’Algérie de 2017 à 2022. Mais ils ont tellement honte de la vérité qu’ils ont porté plainte contre la vérité. Comme souvent, la vérité a gagné.

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Donc, cette opération de l’État algérien était à usage interne…

Oui, je pense. Admettre que l’Algérie a encore besoin de la France est inacceptable pour l’orgueil national. Je pense que le fond de l’affaire, c’est que ce pays nous déteste. Écoutez les paroles de leur hymne national : « Ô France ! Voici venu le jour où il te faut rendre des comptes. » Regardez comme leur chef d’État ne cesse d’insulter la France, de l’accuser de tous les maux, de nous faire porter le chapeau de leurs propres échecs. Bref, ils nous détestent tellement qu’ils ont honte de recevoir notre argent. Donc l’État algérien voulait discréditer l’information, mais il s’est pris les pieds dans le tapis.

Cependant, au-delà du cas algérien, l’aide au développement est un instrument d’influence.

Ce fut un instrument d’influence. À l’époque où l’on demandait qu’en contrepartie des aides, ce soient des entreprises françaises qui soient sélectionnées, quand on contrôlait réellement l’emploi de l’argent donné. Aujourd’hui, vous savez ce que l’on demande en contrepartie ? Que les États destinataires s’engagent à respecter le climat et l’égalité hommes/femmes. Si c’est ça l’influence, pour 15 milliards d’euros, je vous trouve quand vous voulez des projets à plus forte valeur ajoutée pour les Français.

N’empêche, 842 millions en cinq ans… 180 millions d’euros par an, on ne peut pas parler de dépendance…

Sur un quinquennat, on aura presque dépensé un milliard.  Pour vous, ça n’est rien du tout ? Cet argent, ce n’est pas celui d’Emmanuel Macron, c’est le vôtre ! On pourrait arrêter de prendre dans la poche des Français. Par ailleurs, j’ai promis que je ne me laisserais pas intimider par leurs méthodes et que j’établirais la facture de ce que l’Algérie nous coûte. C’est ce que je suis en train de faire. Croyez-moi, les 842 millions dont je parlais ne représentent pas grand-chose par rapport à ce que nous coûtent vraiment l’Algérie et les Algériens. Saviez-vous par exemple que dans nos prisons, la première des nationalités étrangères des détenus est la nationalité algérienne ? Et ce chiffre ne prend pas en compte les binationaux. Saviez-vous que l’Algérie est en tête des pays qui refusent le plus de laissez-passer consulaires ? D’après Gérald Darmanin, entre janvier et juillet 2021, 7 700 Algériens ont été frappés d’une OQTF. Seuls quatre ont été acceptés en Algérie. Quatre ! Saviez-vous par exemple que l’argent qu’on envoie à sa famille au bled est en partie défiscalisé ? Et je devrais aussi vous parler des ardoises laissées dans les hôpitaux… En fait, l’Algérie et la France ont divorcé en 1962, mais visiblement c’est la France qui a eu la garde des enfants. Et elle paye quand même une pension alimentaire !

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En attendant, il faut être deux pour danser le tango. La droite n’a pas fait beaucoup mieux que la gauche. Pourquoi ?

C’est la culpabilité qui les paralyse. Il ne faut plus baisser les yeux devant l’Algérie. Souvenez-vous de Gérald Darmanin, lui, le petit fils de harki qui est allé déposer une gerbe devant le monument aux « martyrs » du FLN : des « martyrs » qui ont assassiné des civils, violé des femmes, supplicié des enfants, qui n’avaient qu’un seul tort, être Français. Emmanuel Macron avait commis la même faute, devant le même monument, lors de son fameux voyage où il a déclaré que « la colonisation était un crime contre l’humanité », c’est-à-dire l’exact vocabulaire de repentance qu’on veut nous imposer.

Peut-on aujourd’hui en finir avec cette névrose et couper le cordon ?

On doit et on peut. Votre métaphore du cordon ombilical montre bien que nous traitons l’Algérie comme un enfant à qui on ne peut pas dire la vérité. Il faut enfin leur parler et agir avec eux comme avec des adultes : un adulte doit être prêt à entendre la vérité et se remettre des névroses du passé. On leur a laissé des richesses inestimables. On leur a offert des privilèges longtemps. On a assez payé pour les dédommager. C’est terminé. Maintenant, il est temps de divorcer pour de bon.

Et revoilà le débat sur la circoncision

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L’article « Pourquoi la circoncision des garçons mineurs est contraire à l’éthique, par Franck Ramus », publié par L’Express, a rouvert le débat sur l’interdiction de la circoncision en assimilant la pratique à l’excision génitale sur les filles. Mais n’est-ce pas là un chiffon rouge qui est agité pour interdire une pratique millénaire, non mutilante, qui ne dérange que certains ?


Cet article est introduit par une photo illustrant la circoncision rituelle avec un livre de prières juif[1]. L’auteur évoque divers arguments qui dépassent l’entendement, avec en toile de fond le lien avec l’excision. L’auteur conclut que « ne pas être contre la circoncision chez les garçons serait une discrimination sexiste ».

L’OMS a publié une étude en 2007 qui révèle que la circoncision est pratiquée tant par les juifs et les musulmans (pour quasiment 100% de la population masculine) que par de nombreux chrétiens dans les pays à majorité protestante (75% de la population masculine aux États-Unis). Ainsi, 30% de la population masculine mondiale est circoncise. Aucune étude n’a révélé un mal-être quelconque de ces hommes.

Rétablir les faits médicaux

Alors que le débat est introduit sur le plan éthique, l’auteur se concentre sur des raisons médicales, dont les risques de l’opération. Une circoncision rituelle, dans le cadre judaïque, est toujours effectuée par des spécialistes qui ont suivi un parcours d’étude strict et exigeant. Ils sont médecins pour beaucoup d’entre eux. Même dans un environnement médicalisé, le risque zéro n’existe pas et ce sont surtout les conditions de la réalisation qui sont dangereuses.

Néanmoins, les bénéfices sont plus nombreux que la simple protection contre les infections sexuellement transmissibles qui a été abordée dans l’article. Des études ont montré que la circoncision peut réduire le risque d’infections urinaires. En synthèse, les infections urinaires sont environ 10 fois plus fréquentes chez les nourrissons non circoncis que circoncis. La circoncision peut également réduire le risque de cancer du pénis. Un homme circoncis au début de sa vie a un risque réduit de 50 à 90% par rapport à un homme non circoncis. Enfin, un homme circoncis ne vit pas toutes les difficultés liées au prépuce, comme le phimosis (prépuce trop serré) ou la balanite (inflammation du gland) qui sont, elles, de véritables souffrances. L’auteur répliquera qu’il y aura une perte de sensibilité sexuelle. Que dire de la pertinence de cet argument au sujet d’un nourrisson de huit jours, ou même d’un enfant plus âgé ? Pour les adultes ayant fait l’opération, aucune étude n’a démontré que la sexualité change. L’auteur répondra également que l’aspect esthétique de la circoncision ne plaira pas à l’intéressé. Ici également, la pertinence de l’argument pour un enfant interroge.

L’excision, une vraie mutilation grave

L’excision est une pratique locale qui n’a aucune source religieuse. Il s’agit d’une mutilation qui ne fait pas débat. Une mutilation est une «ablation accidentelle ou volontaire, un retranchement d’un membre ou d’un organe externe qui cause une atteinte grave et irréversible». Isabelle Gillette-Faye, directrice générale de la Fédération nationale GAMS (association engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes), a déclaré en 2018 sur Slate concernant l’excision que « médicalement, c’est très compliqué d’ôter le capuchon sans toucher les autres organes sexuels externes comme le clitoris et les petites lèvres ».

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L’OMS a établi quatre types d’excision. Les deux premiers portent sur l’ablation partielle ou totale du gland clitoridien. Le troisième concerne l’infibulation, c’est-à-dire le « rétrécissement de l’orifice vaginal par recouvrement » en sectionnant et en repositionnant les lèvres, avec dans certains cas l’ablation du gland clitoridien. Le quatrième type contient toutes les autres opérations mutilantes des organes génitaux féminins. L’OMS estime qu’il y a 200 millions de femmes et filles qui ont subi une excision, dont une très grosse majorité sans anesthésie, soit approximativement 5% des femmes dans le monde.

L’excision appliquée aux hommes reviendrait purement et simplement à une amputation du pénis sans anesthésie. La circoncision ne peut donc pas être une mutilation.

Le droit de l’enfant à l’intégrité de son corps

Ce droit est fondé sur le principe que les enfants n’ont pas à subir d’intervention physique non nécessaire qui pourrait affecter leur corps et leur développement. Il est notamment défini par la Convention relative aux droits de l’enfant (CIDE) et par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). L’article 19 du CIDE stipule que les États signataires prennent toutes les mesures appropriées pour « protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle ».

Pour compléter le débat, il faut prendre en considération les droits de l’homme qui garantissent la liberté de religion et de croyance avec un corpus législatif international dense. Ainsi, la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) précise dans son article 18 : «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique (…) la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, (…) par (…) l’accomplissement des rites ». Ce droit est repris dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la CIDE et la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Tant qu’elle respecte la rigueur et l’encadrement médical strict, la circoncision rituelle est protégée.

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Mais les parents n’ont-ils pas la responsabilité de prendre des décisions dans l’intérêt supérieur de leur enfant ? Cela implique de veiller à la santé physique et psychologique de leur enfant, mais également à la construction de son identité spirituelle, culturelle et sociale. La circoncision rentre dans ce cadre pour les juifs, les musulmans et une partie des chrétiens, libre ensuite à l’enfant de se séparer de son groupe d’appartenance à l’âge adulte. Il est du devoir de ses parents de lui donner le cadre de la meilleure intégration possible. Ainsi, la loi française reconnait et protège la pratique, qui est considérée comme un droit fondamental. L’argument consistant alors à dire que c’est une fois majeur que l’enfant décide de procéder à sa propre circoncision médicale est un argument de mauvaise foi, car très peu d’hommes en auront le courage. Ce qui est fait n’est plus à faire.

Débat éthique ?

Non seulement les arguments médicaux vont dans le sens de la défense de la circoncision, mais cette opération n’est en rien comparable à l’excision qui, elle, est une véritable mutilation des organes génitaux féminins dans n’importe laquelle de ses formes. Il n’est pas non plus possible de restreindre l’autorité parentale à celui de simples gardiens de la santé de leur enfant : l’éducation s’inscrit dans un tout en intégrant la communauté d’appartenance, qu’elle soit administrative, politique ou religieuse.

Placer le curseur sur un débat entièrement éthique revient à reconnaître implicitement que tous les autres arguments donnent de fait la prévalence à la circoncision rituelle. De plus, aucun argument évoqué n’a de validité médicale ni juridique.

Pourquoi alors illustrer l’article avec un livre de prières juif ? Il est vrai que depuis le 7-Octobre, l’augmentation effrayante de l’antisémitisme (+300% au premier trimestre 2024) et les attaques systématiques contre l’abattage rituel juif (pour lequel il n’a toujours pas été démontré de façon scientifique que l’étourdissement fait moins souffrir), il ne manquait plus que le débat contre la circoncision rituelle ! Le message envoyé à une communauté ayant une présence bimillénaire en Europe et fortement éprouvée ne pourrait être plus clair : « Raus » !


[1] https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sante/pourquoi-la-circoncision-des-garcons-mineurs-est-contraire-a-lethique-par-franck-ramus-DDGDC5SHGJHENPDCF55CKKNRPQ/

Trump: une victoire qui passe mal

Les journalistes des médias publics ne se sont toujours pas remis de la victoire de Donald Trump. C’est qu’ils n’ont rien vu venir. Notre chroniqueur analyse ici deux beaux cas: Thomas Snégaroff et Patrick Cohen.


C’est dur, c’est très dur. La pilule ne passe pas. Au lendemain des élections américaines, la majorité des journalistes français ont la gueule de bois. Ces gros bourrins d’Américains n’ont tenu aucun compte de leurs avertissements. Dieu sait pourtant qu’ils n’ont pas ménagé leurs efforts. Durant des mois ils ont envoyé du lourd et leur principal message n’avait rien de subliminal : le fascisme, le nazisme, la bête immonde et la peste brune menaçaient les États-Unis d’Amérique et, par ricochet, l’Europe. Si Donald Trump était élu, plus rien ne pourrait réfréner la vague populiste, réactionnaire, d’extrême droite, se lamentait-on dans les rédactions où l’on s’échangeait crucifix, gousses d’ail, amulettes et autres grigris pour conjurer le mauvais sort.

Kamalamania et gueule de bois

Depuis quelques semaines, Thomas Snégaroff, journaliste et spécialiste de l’histoire américaine contemporaine, se voulait rassurant et ne laissait planer que peu de doute sur la victoire de Kamala Harris. Elle était, affirmait-il sur France Inter, ce qui pouvait arriver de pire au « vieux mâle blanc » Donald Trump. Femme, métisse, dynamique, « elle est compétente sur les dossiers et ça c’est très important ! », ajoutait-il sans craindre le ridicule, alors que personne n’ignorait que Kamala Harris ne maîtrisait pas grand-chose, était faiblarde en particulier sur les dossiers de politique internationale et avait toutes les peines du monde à formuler les arguments concoctés par ses conseillers sur l’économie mondialisée, le conflit russo-ukrainien ou les événements au Proche-Orient. « Dans ce contexte-là, dans ce duel de corps-à-corps, moi je pense qu’il y a beaucoup de jeunes électeurs américains qui ne voulaient pas voter pour Joe Biden et qui, cette fois-ci, n’hésiteront pas une seconde », concluait pourtant ce jour-là M. Snégaroff en lévitation. Kamala Harris allait écrabouiller Donald Trump et le monde entier échapper au désastre, c’est-à-dire au retour du fascisme, comme le laissaient plus ou moins subtilement entendre les participants de l’émission C Politique animée sur France 5 par le même Thomas Snégaroff une semaine avant les élections.

Patatras ! Dans la nuit du 5 au 6 novembre, un raz-de marée rouge balaie les États-Unis et la victoire de Donald Trump paraît rapidement inéluctable. Le 6 novembre au matin, toute honte bue, Thomas Snégaroff explique sur France Inter que ce n’est pas lui qui s’est planté mais les sondeurs : « Pour la troisième fois de suite, les sondeurs ont sous-estimé Donald Trump. Ils l’avaient sous-estimé largement en 2016, encore plus largement en 2020, et je crois encore plus largement cette fois-ci ». Pourtant, l’historien spécialiste des États-Unis n’a rien vu venir. En fait, dit-il pour se dédouaner, « on a appris pendant la nuit électorale que l’immense majorité des Américains avaient figé leur vote en septembre. Kamala Harris n’était en campagne que depuis un mois, ils ne la connaissaient pas. Ils connaissaient Trump ». Kamala Harris, vice-présidente des États-Unis depuis quatre ans, inconnue des Américains ? Ces derniers ne la connaissaient que trop bien, au contraire.

Guerre des sexes

La clé de la victoire de Trump, tente d’expliquer finalement M. Snégaroff qui ne sait plus par quel bout prendre la dure réalité pour masquer ses propres errements idéologiques, a été le “gender gap”, la guerre des sexes : « Tout le monde pensait que ce “gender gap” amènerait Kamala Harris à la Maison-Blanche. Mais moi je regardais sans cesse ce “gender gap” et je voyais que, certes dans les sondages elle avait 16 points d’avance chez les femmes, mais Trump avait 18 points d’avance chez les hommes. » Une autre explication dans l’air du temps lui vient soudain à l’esprit : les jeunes hommes qui ont voté Trump sont « des jeunes des minorités, des jeunes Latinos et des jeunes Noirs » attirés par… le « discours viriliste » du candidat Républicain. Thomas Snégaroff est toutefois obligé de reconnaître que d’autres raisons ont pu motiver le vote d’électeurs d’origine hispanique totalement intégrés dans la société américaine et ne voyant pas d’un bon œil l’immigration massive que Kamala Harris avait promis de ralentir – avec les résultats qu’on sait.

L’exaspérante outrecuidance de M. Snégaroff a conduit de nombreux internautes à vouloir exprimer leur mécontentement, aussi bien dans les commentaires sous les vidéos de ses interventions télévisées postées sur YouTube – commentaires qui ont été rapidement bloqués par France TV – que sur son compte X – que le journaliste a finalement carrément fermé. Soyons sûrs que cela ne l’empêchera pas de continuer de pérorer sur France Inter et France 5. 

Le vrai gagnant

Patrick Cohen officie lui aussi sur France Inter et France 5. La veille des élections américaines, pressentant peut-être la défaite de Kamala Harris, son édito politique sur la radio publique est consacré au « grand vainqueur » de ces élections : « le mensonge ». Tout le monde a menti mais, bien sûr, selon lui, Trump a menti beaucoup plus que les autres, aidé en cela par son « véritable colistier », Elon Musk, l’autre bête noire des médias français. On ne se souvient pas avoir beaucoup entendu Patrick Cohen sur la duplicité de Jack Dorsey, l’ex-propriétaire de Twitter, ou de Mark Zuckerberg, dirigeant principal de Meta, lors des élections qui virent la victoire de Biden… Les deux puissants hommes d’affaires ont pourtant avoué récemment avoir menti et censuré de nombreux messages sur leurs réseaux, durant la campagne de 2020, en particulier ceux relatifs aux informations controversées du New York Post sur Hunter Biden. Après que le très démocrate et très peu confraternel New York Times eut mis en cause le professionnalisme du New York Post, ce tabloïd avait carrément vu son compte Twitter fermé durant deux semaines ! À ma connaissance, Patrick Cohen n’en a jamais dit un mot…

Le 6 novembre, le journaliste france-intérien décrit avec une pointe d’acidité dans la voix le « triomphe revanchard » d’un Donald Trump devenu, par la grâce d’un « vote qu’on n’ose pas dire éclairé », un « président d’extrême droite, incontestablement d’extrême droite ». Chassez le langage simplificateur et dogmatique, il revient au galop dans la bouche des journalistes déçus par le peuple qui « vote mal ». Obligé de reconnaître du bout des lèvres que l’inflation et l’immigration sont des questions auxquelles les Démocrates n’ont pas su répondre, M. Cohen n’en démord pas et reprend son thème de prédilection : « Les études d’opinion nous permettront de quantifier les convictions forgées par les bobards de Trump, par ses relais médiatiques, par les infox amplifiés par Elon Musk, désormais l’homme le plus puissant du monde. » Pas un mot, en revanche, sur les « relais médiatiques » du parti Démocrate, une presse écrite et audiovisuelle à 80% pour Kamala Harris, ou sur les réseaux sociaux, les institutions gouvernementales et les puissantes associations majoritairement entre les mains de personnes ne cachant pas leur désir de voir les Démocrates conserver le pouvoir afin de consolider le leur. Il est vrai que ces personnes-là, au contraire d’Elon Musk, préfèrent travailler dans l’ombre ; vous n’entendrez et ne lirez que rarement leurs noms. Certains d’entre eux sont accolés à des fondations dites philanthropiques qui, en réalité, œuvrent pour la propagation de l’idéologie woke « déconstructiviste » et pour un contrôle social généralisé – et donc pour une refonte totale, pour ne pas dire totalitaire, des systèmes de pouvoir.

Gare au trumpisme à la française

Le 7 novembre, Patrick Cohen ne s’est toujours pas remis de la déculottée des Démocrates et décide de se passer les nerfs sur les médias français dits d’extrême droite.  Il veut voir « la vie politique française dans le miroir américain » et sort l’artillerie lourde, très lourde : « Les médias d’extrême droite se pâment devant la débâcle de la bien-pensance – c’est nous – mais sans jamais dire clairement si la mal-pensance dont ils se revendiquent comprend le racisme, la misogynie, les restrictions au droit à l’avortement, le climato-scepticisme, les attaques contre la démocratie, contre la presse, les mensonges et les insultes, toutes choses exprimées par Donald Trump à longueur de discours. » Heureusement, assure-t-il, le trumpisme à la française ne passera pas. Premièrement, dit-il, parce que les Français préfèrent « les rassembleurs aux provocateurs » (et surtout, ajouté-je, parce qu’ils restent des moutons trop facilement manipulés par les castors politico-médiatiques). Deuxièmement, parce que notre pays s’est doté de trois garde-fous : d’abord, le Conseil constitutionnel, « garant de nos principes démocratiques ». (C’est une blague ? Cette institution récompensant des personnalités liées au pouvoir est devenue une instance essentiellement politique et dépendante du pouvoir en place, explique la juriste Lauréline Fontaine dans un excellent entretien donné au Figaro le 21 mars 2023). Ensuite, les lois qui plafonnent et contrôlent le financement des campagnes électorales. Enfin – et c’est sans doute le plus drôle – « la régulation de l’audiovisuel sur les fréquences concédées par l’État, l’obligation de pluralisme et le contrôle des temps de parole qui interdit les chaînes d’opinion façon Fox News ». Venant de la part d’un journaliste travaillant sur les chaînes d’opinion gauchisante que sont la radio et la télévision publiques, cela ne manque pas de piquant !

Lors de ses prestations quotidiennes sur la radio publique (le matin) et la télé publique (le soir), Patrick Cohen s’efforce de remettre sur le droit chemin les populations égarées qui, se lamente-t-il, se défient des journalistes, adhérent aux « thèses complotistes » et sont attirés par « les partis populistes ». Sur France Inter, le 12 novembre, il s’interroge par exemple sur le wokisme. Un sondage montre que les principaux facteurs qui ont poussé les Américains « à ne pas choisir Harris » sont l’inflation, l’immigration et le transgenrisme. Pourtant, affirme-t-il, on a moins parlé de wokisme dans la campagne de Kamala Harris que d’anti-wokisme dans celle de Donald Trump. Et pour cause : sous la férule acharnée des progressistes, l’idéologie woke a imprégné jusqu’à l’os la société américaine, les écoles, les universités, les médias et, de plus en plus, les entreprises où les directions de ce qu’on appelle les Ressources Humaines ont totalement intégré la notion frelatée de « justice sociale » à travers les principes soi-disant anti-discriminatoires du DEI (Diversité, Équité, Inclusion). De nombreux Américains refusent de devoir continuer à subir les effets négatifs du wokisme à tous les niveaux de la société et ont voté Trump pour cette raison. Méconnaissant les principes du wokisme, M. Cohen assure que le terme « woke » est « rarement défini » en France et « ressemble à une insulte du capitaine Haddock, comme “bachi-bouzouk” ou “moule à gaufres” ». Péremptoire, il assène : « Ça ne veut rien dire, on y met ce qu’on veut. » Marion Maréchal avait qualifié de « woke » la cérémonie des JO ? C’est la preuve, selon le journaliste, que « l’anti-wokisme procède bien d’un réflexe réactionnaire ». Quelle originalité ! Quelle finesse d’analyse ! M. Cohen devrait préparer plus sérieusement ses courtes chroniques matutinales. Il existe de nombreux ouvrages expliquant très précisément ce qu’est le wokisme (1). M. Cohen devrait se pencher sur ces essais qui lui permettraient de se familiariser avec le mot « woke » et l’idéologie qu’il représente. Évidemment, s’il lit ces lignes, M. Cohen ne tiendra aucun compte de mes conseils et se contentera vraisemblablement de me traiter de « réactionnaire ». Après tout, pourquoi pas : « Le réactionnaire, écrit Nicolás Gómez Dávila, n’est pas un nostalgique rêvant de passés abolis, mais celui qui traque des ombres sacrées sur les collines éternelles. » Mais je doute que le très progressiste M. Cohen l’entende de cette oreille…


(1) Liste non exhaustive :

– Jean-François Braunstein, La religion woke, Grasset.

– Pierre Valentin, Comprendre la révolution woke, Revue Le Débat, Gallimard.

– Nathalie Heinich, Le wokisme serait-il un totalitarisme ?  Albin Michel.

– Sylvie Perez, En finir avec le wokisme, Éditions du Cerf.

– Samuel Fitoussi, Woke fiction, Le Cherche Midi.

– Bérénice Levet, Le courage de la dissidence : l’esprit français contre le wokisme, Éditions de l’Observatoire.

– Anne Toulouse, Wokisme, La France sera-t-elle contaminée ? Éditions du Rocher.

Causons! Le podcast hebdomadaire de Causeur

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Avec Martin Pimentel, Maximilien Nagy et Jeremy Stubbs


La France: le wokisme n’est pas mort ! Le Royaume Uni : crise de l’église officielle et retour à 1984.

Musique Jérémie Tepper

Ces ONG allemandes qui jouent contre la politique énergétique de la France

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L’Allemagne intervient à Bruxelles, via ses ONG, pour imposer sa politique énergétique. La France et la filière nucléaire en font les frais.


Cet article est paru dans la Revue Conflits n°54, dont le dossier est consacré aux ONG


L’économie, c’est de l’énergie transformée. Ce ne sont pas aux industriels allemands qu’il faut le rappeler. L’explosion des prix de l’électricité depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine les a remis face au désastre de la destruction de leurs capacités nucléaires depuis la mise en place de l’Energiewende dans les années 1990. Dans ce processus suicidaire, Berlin s’en est pris à l’avantage comparatif français dans le secteur énergétique afin de promouvoir sa propre industrie des énergies renouvelables (ENR) et maintenir sa domination économique en Europe. L’Allemagne mène ainsi une guerre de l’information antinucléaire contre la France en s’appuyant sur ses réseaux influents dans les couloirs de Bruxelles et sur un attirail de fondations politiques au service de ses intérêts.

Origines et développement de l’Energiewende

Dans la société allemande d’après-guerre traumatisée par les bombardements américains à Nagasaki et Hiroshima, puis par la peur d’une guerre nucléaire généralisée entre les deux blocs lors de la crise des euromissiles en 1977, l’énergie nucléaire a rapidement suscité une aversion naturelle au sein de la population. C’est d’abord ce terreau réceptif qui a fait le succès des militants antinucléaires en Allemagne. Dès 1980, émerge l’idée d’une « transition énergétique » (Energiewende[1]) qui fixe pour horizon l’abandon progressif des énergies fossile et nucléaire au profit des ENR. Ce rêve trouve immédiatement un écho favorable dans le public allemand et des relais politiques dans le jeune parti écologiste Die Grünen, qui accède au pouvoir dans le cadre de la coalition noir-vert avec la CDU au début des années 1990. C’est alors que la promotion des ENR est devenue le fer de lance d’un discours idéologique puissant reposant sur la « bonne conscience » environnementale et l’ostracisation des défenseurs de l’énergie nucléaire[2].

Le tournant énergétique se situe en 1998 lors de la première coalition rouge-verte[3] dirigée par Gerhard Schröder. Il propose deux lois faisant de l’Energiewende un agenda politique pour l’Allemagne. La première[4] renforce le soutien au développement de la filière des ENR (en garantissant des prix de vente supérieurs au prix du marché au détriment du consommateur) et la deuxième[5] programme un abandon du nucléaire échelonné dans le temps. Concrètement, les centrales nucléaires existantes étaient condamnées à la fermeture tandis que la construction de nouvelles centrales était interdite. Cette transition est à nouveau accélérée en 2011 dans la foulée de la catastrophe de Fukushima, lorsque Angela Merkel annonce la fermeture anticipée de la totalité des centrales allemandes à horizon 2022[6]. En avril 2023, les trois derniers réacteurs nucléaires du pays sont finalement fermés[7]. Le rêve vert des écologistes est devenu réalité.

Le numéro 54 de la revue de géopolitique Conflits est en vente dans les kiosques et sur le site.

L’Union européenne mise au pas

L’abandon précipité du nucléaire a exposé l’économie allemande aux aléas climatiques et aux incertitudes de l’intermittence des ENR. Pour réguler l’instabilité de sa production énergétique, l’Allemagne dépend de la coopération des pays voisins pour liquider sa surproduction en exportant ou pour compenser son déficit de production en important. Sa survie énergétique étant désormais en jeu, elle n’a pas hésité à mobiliser son influent réseau de lobbyistes à Bruxelles pour défendre ses intérêts et imposer son modèle énergétique[8].

Cette influence s’est traduite de trois manières[9]. En 1996, la directive 96/92/CE vise à développer les débouchés allemands en favorisant les interconnexions des réseaux électriques européens dans le cadre du marché européen de l’électricité. En 2007, l’UE s’engage dans la libéralisation du marché européen de l’énergie et la directive 2009/28/EC, pour ne citer qu’elle, est reformulée sous la pression du lobbying allemand pour maintenir des tarifs de rachat avantageux aux producteurs d’ENR[10]. Enfin, l’Allemagne a vampirisé les subventions de la Banque européenne d’investissement en excluant le nucléaire du label vert de la taxonomie (exclusion levée en 2022). En revanche, le gaz fossile – notamment russe –, essentiel à l’économie allemande pour remplacer le nucléaire, est quant à lui considéré comme une énergie de transition. En d’autres termes, n’est durable ou décarboné que ce qui assure la pérennité et l’hégémonie du modèle énergétique allemand.

Une bête à abattre : le nucléaire français

Il est clair que le lobbying allemand sur la taxinomie avait un bouc émissaire : la France et son fleuron EDF[11]. La sortie du nucléaire ayant mécaniquement augmenté les prix de l’électricité outre-Rhin, le risque pour l’Allemagne était une perte intolérable de compétitivité pour son industrie alors qu’à sa frontière se vendait de l’électricité 2,5 fois moins chère. Henri Proglio, ancien PDG d’EDF, déclarait ainsi à l’Assemblée nationale : « Comment voulez-vous que ce pays qui a fondé sa richesse, son efficacité, sa crédibilité sur son industrie accepte que la France dispose d’un outil compétitif aussi puissant qu’EDF à sa porte ? Depuis trente ans, l’obsession allemande est la désintégration d’EDF ; ils ont réussi[12] ! »

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Dans un premier temps, EDF avait pourtant bien reçu la nouvelle de la libéralisation du marché européen. Il était théoriquement gagnant puisqu’il proposait les meilleurs tarifs du marché. Mais l’Allemagne, sous couvert de la commission bruxelloise, a eu tôt fait de pointer du doigt la position monopolistique d’EDF sur le marché français et d’exercer une pression constante pour qu’il se plie à ses exigences[13]. La docilité d’une naïveté impensable des gouvernements français pour s’y conformer s’est traduite par l’adoption de la loi NOME en 2010 et du dispositif ARENH qui en découle. Cette loi contraignait EDF à vendre chaque année un quart de sa production nucléaire à prix coûtant (42€/MWh) à ses « concurrents » qui n’existaient pas, c’est-à-dire des intermédiaires de la filière qui ne produisaient aucune énergie. EDF était riche, il fallait qu’elle donne sa rente nucléaire. C’était absurde, et la France l’a fait par dévotion à l’idée qu’elle se fait de l’Europe. En dix ans, le cours de l’action EDF a baissé de 80 % et l’entreprise a été ruinée[14]. L’Allemagne avait obtenu gain de cause.

L’arsenal de fondations allemandes dans la guerre de l’information

Dans cette entreprise de sabotage du nucléaire français, l’Allemagne s’appuie sur plusieurs fondations politiques au premier rang desquelles se trouvent Heinrich Böll et Rosa Luxembourg, financées par Berlin à hauteur de 500 millions d’euros par an[15].

La fondation Heinrich Böll coordonne depuis 2016 des opérations d’influence contre le nucléaire français en finançant un large panel d’ONG-relais comme le Réseau Action Climat (qui regroupe 27 associations nationales telles Greenpeace France, WWF ou Sortir du nucléaire). En 2022, la fondation recevait 67 % de ses financements du gouvernement allemand et de l’UE et concentrait plus de 50 % de ses activités à l’étranger. En lien étroit avec le parti vert allemand, elle s’occupe essentiellement de produire et de financer du contenu et des rapports à diffuser dans la presse et les sphères politiques, octroyer des bourses pour la recherche universitaire écologique ou encore rencontrer les élites françaises et soutenir la création de partis politiques comme EELV. Or, les contenus qu’elle propose vouent systématiquement aux gémonies les déchets nucléaires, les risques nucléaires ou l’obstination de l’État français et d’EDF dans le nucléaire ; et n’hésitent pas à aller jusqu’à la désinformation en stipulant que l’énergie nucléaire est polluante et manque de fiabilité[16]. Et ne manquent jamais de vanter les mérites de l’Energiewende allemande ou de l’avenir des ENR.

La fondation Rosa Luxembourg, si elle n’a pas d’antenne en France, s’attaque aux intérêts énergétiques français à l’étranger à commencer par l’extraction d’uranium. Elle participe par exemple à la publication d’un Atlas de l’uranium[17] en 2022, financé par le ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement allemand, et qui dénonce le néocolonialisme de la France au Niger et les dangers sanitaires de l’exploitation du minerai par Orano (ex-Areva). Comment ne pas y voir la main de Berlin qui cherche à miner la filière nucléaire française, imposer cette idée fausse dans les esprits de l’Hexagone que le nucléaire est néfaste pour l’environnement et soutenir sa propre industrie dans les ENR ?

Conclusion

Devant les ingérences allemandes contre l’indépendance énergétique française, un constat s’impose : les conflits d’intérêts et les antagonismes entre pays n’ont pas miraculeusement disparu en Europe après 1945.

N’en déplaise à un certain pacifisme idéaliste, la géopolitique reste le terrain des rapports de force entre les États, même dans l’Union européenne. « Les États n’ont pas d’amis », disait le général de Gaulle. Pourtant, l’Élysée ne cesse de brandir la bannière de « l’amitié franco-allemande » tandis que la page Wikipédia de cette expression n’existe pas en allemand, mais seulement en français, en esperanto et en suédois…


[1] Du rapport de 1980 publié par l’Okö Institut, un institut de recherche sur l’environnement, qui s’intitule « Energie-Wende : Growth and Prosperity Without Oil and Uranium ».

[2] C’est dans ce contexte que le chancelier Helmut Kohl impose la loi de tarif de rachat de 1991 qui impose aux entreprises de distribution d’acheter de l’électricité issue des énergies renouvelables à un tarif supérieur aux prix de marché.

[3] Coalition entre les socio-démocrates du SPD et les verts de Die Grünen.

[4] Loi Erneuerbare Energien Gesetz (EEG), promulguée en avril 2000.

[5] Loi sur l’énergie atomique, entrée en vigueur en 2002.

[6] Frédéric Lemaître, « La conversion d’Angela Merkel en faveur d’une sortie du nucléaire », Le Monde, 1er avril 2011.

[7] Jens Thurau, « Germany shuts down its last nuclear power stations », Deutsche Welle, 14 avril 2023.

[8] Inga Margrete Ydersbond, « Multi-level lobbying in the EU: The case of the Renewables Directive and the German energy industry», Fridtjof Nansen Institute, octobre 2012.

[9] Rapport de l’EGE de mai 2021, « J’attaque ! Comment l’Allemagne tente d’affaiblir durablement la France sur la question de l’énergie ? »

[10] Margot de Kerpoisson, « Blitzkrieg énergétique : l’Allemagne en campagne contre le nucléaire français », Conflits, 1er mai 2022.

[11] Voir le rapport de l’EGE daté de juin 2023, « Ingérence des fondations politiques allemandes & Sabotage de la filière nucléaire française ».

[12] Commission d’enquête du 13 décembre 2022.

[13] Tribune collective, Énergie : « Pour retrouver une électricité bon marché, il faut se défaire des exigences de Bruxelles », Le Figaro, 5 juin 2023.

[14] Charles Gave, « AREVA, ALSTOM, EDF, nous avons la meilleure fonction publique au monde », Institut des libertés, 30 janvier 2022.

[15] Rapport de l’EGE, « Rapport d’alerte – Ingérence des fondations politiques allemandes et sabotage de la filière nucléaire française », 22 juin 2023.

[16] https://www.greenpeace.fr/nucleaire-la-fable-de-la-fiabilite/

[17] https://rosaluxna.org/wp-content/uploads/2022/01/Uranatlas2022_franzosisch.pdf

Ecole: faut-il copier sur les Estoniens?

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L’Estonie, membre de l’OCDE depuis 2010, n’a intégré le classement PISA qu’en 2006. Lors de la dernière enquête, réalisée en 2022, elle est apparue en tête du classement des pays européens pour toutes les compétences mesurées sur des élèves de 15 ans, à savoir les mathématiques, la culture scientifique et la compréhension de l’écrit, juste derrière le duo de pays asiatiques généralement en tête, le Japon et la Corée du Sud.


Un système scolaire souple et décentralisé…

Petit pays de plus de 1,3 million d’habitants et près de 150 000 élèves, au carrefour des influences scandinaves et slaves, l’Estonie a développé, depuis son indépendance de l’Union soviétique en 1991, un modèle éducatif original, décentralisé et axé sur l’autonomie des établissements scolaires. Symboliquement, le ministère de l’Éducation nationale n’est pas situé à Tallinn, la capitale, mais à Tartu, la deuxième ville du pays, illustrant ainsi la souplesse de la tutelle de l’État sur l’enseignement.

L’enseignement scolaire est gratuit et obligatoire de 7 à 16 ans en Estonie, mais l’éducation des plus jeunes commence dès l’âge d’un an dans les jardins d’enfants.

Concernant les méthodes d’enseignement, l’accent a été mis sur l’individualisation de la pédagogie des enseignants vis-à-vis des élèves et sa numérisation. Cette « approche holistique de l’apprentissage » se traduit par une attention particulière accordée au « développement global de l’élève, en prenant en compte ses dimensions intellectuelles, physiques, émotionnelles et sociales »[1].

Selon G.R, ancien professeur en Estonie et attaché de coopération pour le français en ambassade, « l’investissement massif dans l’éducation depuis les années quatre-vingt-dix a donné de bons résultats, notamment grâce au recrutement des professeurs à partir du niveau master, à l’intégration de l’enseignement des technologies de l’information et de la communication et à une pédagogie hybride assez libre et innovante, mais réalisée par des enseignants formés de manière traditionnelle à l’époque de l’URSS. »

La liberté pédagogique est également une réalité : « il n’y a pas d’obligations de moyens mais de résultats, le programme n’est qu’un cadre où le professeur peut piocher sans être obligé d’appliquer telle ou telle méthode, mais en devant faire atteindre à l’élève un certain niveau ».

L’école élémentaire est conçue pour être un lieu où l’élève est l’acteur de son propre apprentissage, développe sa capacité à prendre des initiatives, son esprit d’équipe et la coopération avec ses camarades dans une logique participative de la pédagogie.

Un virage digital de l’éducation a très tôt été entrepris par l’Estonie, également connue pour le haut degré de numérisation de son administration. Toutes les salles de classe sont équipées d’un tableau numérique ainsi que de tablettes ou d’ordinateurs portables, et les petits Estoniens apprennent à coder dès leur premier jour d’école, les connectant ainsi directement aux besoins du marché du travail.

Un système informatique, baptisé « eKool », permet aux élèves de consulter les documents pédagogiques, qui ont peu à peu remplacé les manuels scolaires classiques, et aux parents de communiquer avec les professeurs ou de suivre les résultats de leurs enfants.

En matière d’enseignement primaire et secondaire, la compétence revient aux provinces et aux municipalités, qui ont développé un système souple de contractualisation avec les établissements scolaires. Selon Stéphane Kessler[2], ceux-ci prennent 70 % des décisions concernant leur fonctionnement et sont notamment libres de fixer leur propre projet éducatif et la nature des cours dispensés.

Pour G.R, l’autonomie des établissements revêt une place importante dans le modèle éducatif estonien : « le directeur est maître de son navire, il reçoit une enveloppe financière lui permettant de recruter et de fixer la rémunération des enseignants ainsi que de mettre fin à leurs fonctions. Un modèle très éloigné du rigide système de barème et de points appliqué en France et qui permet de mettre en œuvre un réel contrat pédagogique entre l’école et l’enseignant ».

Notons également que les programmes scolaires sont établis par des commissions composées d’enseignants et d’experts, sous l’égide de Harno, l’agence de l’éducation, puis validés par le ministère. Il n’existe pas de corps d’inspection, même si les écoles peuvent être inspectées en cas de signalement par les parents d’élèves, par exemple.

Comme le révèle le tableau suivant, les dépenses éducatives par élèves sont sensiblement les mêmes dans le primaire en France et en Estonie (10 554 et 10 642$ par équivalent temps plein) et même moins importantes en Estonie s’agissant des élèves du secondaire (9134 $ par ETP contre 15 112 dans l’hexagone)[3] :


… qui place les élèves estoniens devant les élèves français dans tous les classements internationaux

  • Les résultats des élèves estoniens en mathématiques sont excellents, loin devant ceux des élèves français[4].

Alors que le score moyen de la France s’agissant des compétences mathématiques de ses élèves, 474 points, patine au niveau de la moyenne des pays de l’OCDE et demeure en baisse de 20 points depuis 2012, celui de l’Estonie culmine à 510 points, en tête des pays européen, comme le montre le graphique suivant[5] :


La chute du niveau en mathématiques est un phénomène observable dans presque tous les pays de l’OCDE, mais, mesurée par rapport à son niveau de 2012, elle est deux fois plus importante en France qu’en Estonie (-21,1 % contre – 10,5 %).

De plus, l’Estonie est le pays où l’égalité des chances est la plus importante, l’écart de compétences observé entre les élèves les plus socialement défavorisés et les plus favorisés atteignant 81 points, contre 112,5 points en France, qui a pourtant fait de l’égalité son cheval de bataille.

L’une des causes majeures de cet avantage de l’Estonie sur l’Hexagone est le climat scolaire plus apaisé et plus propice aux études observées sur les rivages de la Baltique. Ainsi, 49,7 % des répondants français déclarent qu’il y a « du bruit et de l’agitation » à chaque cours ou dans la plupart des cours de mathématiques, 41,2 % d’entre eux déclarant également que « les élèves ne commencent à travailler que bien après le début du cours » à chaque cours ou dans la plupart des cours de mathématiques.

Des chiffres bien supérieurs à ceux de l’Estonie, où seuls 23,5 % et 15 % des élèves font part d’un sentiment identique.

Le climat scolaire en Estonie, tel que le décrit G.R, semble être bien meilleur qu’en France : « dans l’ensemble, le professeur reste une figure respectée, les élèves sont là pour travailler, et quand ils ne le sont pas, ils ne tombent pas dans la contestation non plus. En somme, ils ont l’habitude de s’ennuyer en silence ».

Toujours selon G.R, « les bons résultats des élèves estoniens s’expliquent par le fait que personne ne conteste l’importance de l’école, encore vécue comme le principal vecteur d’ascension sociale par 75 % des Estoniens dans la société ».

  • Une tendance identique est observée pour les sciences et la compréhension de l’écrit[6].

S’agissant de la culture scientifique et de la compréhension de l’écrit, l’Estonie se place, ici encore, en troisième et quatrième position avec 526 et 511 points, derrière le Japon et la Corée du Sud, ainsi que l’Irlande uniquement pour la compréhension de l’écrit. Un résultat bien supérieur à ceux observés dans l’Hexagone, comme l’illustre le graphique suivant pour le volet compréhension de l’écrit :


Avec 487 et 476 points, la France continue à glisser sur la pente du décrochage scolaire, qui menace d’ailleurs également la majeure partie des membres de l’OCDE, son score se réduisant de 5,7 % en culture scientifique et de 18,7 % en compréhension de l’écrit par rapport aux dernières évaluations PISA de 2018.

Le modèle éducatif estonien se caractérise donc principalement par une grande souplesse de fonctionnement, une véritable autonomie des établissements, une pédagogie mêlant avec succès les méthodes traditionnelles et l’innovation, ainsi qu’une véritable valorisation du rôle du professeur, le tout pour une dépense publique dans la moyenne des pays de l’OCDE.

Pourtant l’investissement par élève y est inférieur à celui de la France : es chiffres de l’OCDE montre pour 2024 une dépense équivalente pour le primaire : 10 642 $ par élève pour en Estonie (versus 10554 pour la France). L’écart est important pour le secondaire, 9314 $ par élève en Estonie versus 15 112 $ pour la France, et le tertiaire, 18 967 $ en Estonie contre 20 458 $ pour la France.

L’encadrement est pourtant supérieur en Estonie : en 2022, le pays comptait une moyenne de 12,1 enfants par classe en primaire contre 18,2 pour la France, et 17,1 par classe au collège contre 25,6 en France. L’écart se creuse même au lycée !

Force est de constater que la souplesse et la proximité de l’organisation des personnels permet une meilleure utilisation des ressources pour le bien-être des élèves !

Il est donc une source d’inspiration pour engager des réformes allant dans le sens de la libération des énergies dans notre propre système scolaire, avec davantage d’autonomie pour les établissements, notamment la liberté de nommer et révoquer les enseignants par le directeur, la suppression du système centralisé des rectorats, le retour de la discipline et la fin du collège unique.


[1] « L’éducation en Estonie : une approche holistique de l’apprentissage », L’Europe INFO, 20 novembre 2023.

[2] Stéphane Kessler, « Estonie : les secrets d’une nouvelle Finlande », Les cahiers pédagogiques, N°548, novembre 2018.

[3] OCDE, « financements de l’éducation », https://www.oecd.org/fr/topics/policy-issues/education-financing.html (consulté le 29 octobre 2024).

[4] Vincent Bernigole et.al, « PISA 2022 : la France ne fait pas exception à la baisse généralisée des performances en culture mathématique dans l’OCDE », Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance, Ministère de l’Éducation nationale, Note d’information n° 23.48, décembre 2023.

[5] La largeur des rectangles représente l’intervalle de confiance autour de la moyenne qui correspond à l’erreur d’échantillonnage

[6] Anaïs Bret et.al, « PISA 2022 : culture scientifique, compréhension de l’écrit et vie de l’élève », Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance, Ministère de l’Éducation nationale, Note d’information n° 23.49, décembre 2023.

Réactionnaire, pas conservateur!

Au détour d’un commentaire et de réflexions sur la restauration de Notre-Dame de Paris, le qualificatif « réactionnaire » semble être devenu un gros mot dans la bouche de l’écrivain Sylvain Tesson…


Ce sujet me passionne et j’admets l’avoir déjà traité. Mais l’actualité est riche et des intelligences stimulantes existent qui permettent sans cesse de reconsidérer ce qu’on pense pour le contredire, le compléter ou l’approfondir.

Quand je lis, de la part de Sylvain Tesson : « Être conservateur pour s’épargner d’être réac » dans le Point, où par ailleurs il fait de brillantes variations dans une rubrique « Poésie et mouvement », je suis naturellement conduit à m’interroger. Même si j’ai toujours préféré me qualifier de réactionnaire plus que de conservateur. Il est évident que Sylvain Tesson n’est pas quelqu’un dont on puisse négliger l’incidence sur son propre esprit : il bouscule forcément le confort de certaines idées. Pourtant je persiste dans ma conviction personnelle.

Définitions

Certes je n’ai pas envie – et ne serais pas capable – de développer les différences fortes qui opposent, sur le plan de la philosophie politique, l’état de réactionnaire à celui de conservateur. Mais depuis que je suis en position de m’intéresser à ces définitions dont chacun a besoin pour savoir où il est et quelle place il occupe dans l’immense champ des idées, je me suis senti viscéralement, presque physiquement, réactionnaire, avant que j’aie tenté de théoriser les motifs de cette option fondamentale.

Même si au sens large la pensée conservatrice ne m’est pas étrangère avec ses principes et ses valeurs essentiels, cela n’est jamais allé jusqu’à faire surgir en moi la conscience d’être conservateur, qui à tort ou à raison renvoie, selon moi, une image de fixité, une légitimité de l’étant, un culte de ce qui demeure, une validation de ce qui est. Comme s’il était hors de question de prendre à cœur l’intense et désordonnée rumeur du monde et de la vie, la multitude des relations humaines, des antagonismes, des fraternités, pour en tirer des conclusions contrastées. Le conservateur est lové au chaud dans l’immobile. Il y a chez lui comme une indifférence noble.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Vitraux de Notre-Dame: et si Emmanuel Macron était touché par la grâce?

Le réactionnaire, au contraire, est volonté, changement, révolte, nostalgie, espérance, dénonciation et action. D’abord il réagit. Rien de ce qui est humain, rien de ce qui est politique et social ne lui est étranger ! Il est aux aguets, en vigilance, en surveillance, en désir. Il est mobilité lui-même. Il ne peut pas demeurer en lisière, en surface. Il entre dans la mêlée. Il ne se comporte pas comme un sage qui aurait forcément raison puisqu’il saurait changer « ses désirs plus que l’ordre du monde ». Il ne prend pas les choses, les êtres, l’univers comme ils sont.

Le goût des opinions contraires

Et, à partir de ces dispositions qui ne le font pas accepter sans frémir les injustices et les inégalités d’aujourd’hui, les misères et les richesses, les délitements collectifs, les faillites et les décadences singulières, qui le conduisent à regretter non pas le passé lui-même mais tout ce qu’il charriait de meilleur, il se bat. Il est persuadé que dans le présent imparfait on peut faire revenir, à force de lucidité et de courage, les forces du passé dans ce qu’elles ont eu d’exemplaire. Le réactionnaire ne pleure pas sur hier. Il l’analyse et est convaincu qu’une part de lui est prête à vivifier aujourd’hui. Le délitement des institutions, des services publics, de l’art de vivre, de l’urbanité n’est pas fatal puisqu’ils ont dégradé leur excellence d’avant. Le réactionnaire hait le fil du temps qui sert de prétexte à l’impuissance créatrice ou à la restauration volontariste.

Autre chose me paraît distinguer, par rapport à ma conception intellectuelle et médiatique, le réactionnaire du conservateur. Il me semble que le réactionnaire est beaucoup plus ouvert à l’imprévisibilité des opinions et qu’il ne répugne pas à s’enrichir parfois d’idées « appartenant » à la gauche et d’aperçus qui ne seraient peut-être pas accueillis favorablement par le conservateur. Pour le réactionnaire dont le profil est beaucoup moins homogène que celui, classique et stable, du conservateur, non seulement il n’y a aucun refus de la pensée adverse mais il la cultive volontiers, obsédé qu’il est par l’exigence de plénitude. Le réactionnaire n’a pas peur de s’aventurer dans des territoires qui ne lui sont pas immédiatement ouverts et accessibles. Il va vers l’inconnu quand le conservateur le fuit.

Le réactionnaire n’est pas friand des frontières, des ostracismes politiques. Il est parfois même prêt, par détestation d’être enfermé en lui-même, à se quitter pour humer un air nouveau.

Définitivement, mais modestement, je m’éloigne de la vision de Sylvain Tesson sur ce plan. Être réactionnaire pour s’épargner d’être conservateur ! On n’échappe pas à ce qu’on est.

Le président et la presse

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Le président Macron salue la ministre de l'Education Anne Genetet, lors des commémorations du 11-Novembre, Paris © Eliot Blondet-pool/SIPA

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.


Emmanuel Macron n’a pas apprécié, mi-octobre, que sa petite phrase, « Nétanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’ONU », ait fuité du Conseil des ministres. « Si ce n’est pas dans le communiqué ou le compte-rendu du porte-parole, ça n’existe pas », a-t-il sèchement répliqué quelques jours plus tard.

J’ai scrupuleusement consulté les publications de ce ministère de la Vérité : si elles ne disent pas tout, elles confirment que le pays va mal, qu’il est à l’arrêt, et qu’il régresse sur de nombreux sujets.

Quelles sont les questions les plus urgentes pour une majorité d’entre nous ? Une récente enquête réalisée par Ipsos pour le Conseil économique, social et environnemental révèle les préoccupations réelles des Français. Et cela commence par « votre santé et celle de vos proches » (40 %). Dans les communiqués du ministère de la Vérité, rien sur la capitulation Doliprane. L’État occupera la place d’une plante verte dans la salle du futur conseil d’administration de la filiale de Sanofi sous bannière américaine. Puis, en deuxième position, « votre pouvoir d’achat » (34 %). Là encore, le porte-parolat gouvernemental se garde bien de dire combien l’échec de la « politique de l’offre » menée depuis 2017 a privé notre pays de recettes fiscales indispensables pour financer des politiques publiques pourtant essentielles. Comment combler le trou ? La taxation riquiqui des « plus aisés » est un leurre. Rien ne change : on taxe les plus pauvres car ils sont les plus nombreux. 

Les autres inquiétudes pointées par l’enquête de l’Ipsos sont : « la situation économique et financière du pays » (28 %), « la situation politique » (24 %), l’environnement (22 %) est au même niveau que « les inégalités sociales » et « la sécurité des biens et des personnes », puis suivent, à 18 % « l’avenir du système des retraites », « l’instabilité géopolitique » et « l’immigration ». Enfin, « l’emploi et le chômage » (13 %), « l’accès aux services publics » (11 %), « les tensions et mouvements sociaux en France » (9 %) et « les évolutions technologiques et leurs impacts » (7 %). 

Sur les conseils d’Emmanuel Macron, j’ai consulté le dernier communiqué de la porte-parole du gouvernement. « La faculté a été donnée au Premier ministre, à titre provisoire, d’utiliser le 49.3. » Et à titre « préventif » ? Elle annonce aussi une revalorisation de 2 % du smic (1 426 euros nets). Une misère.

Au sujet du Conseil des ministres du 23 octobre, Thomas Despré a, au nom de l’association de la presse présidentielle, répondu à Emmanuel Macron : « Notre travail ne peut se résumer à reprendre les déclarations officielles, il est aussi, et surtout, de permettre aux concitoyens de savoir ce qu’il se passe une fois les micros coupés. Notre travail est de pouvoir enquêter, librement, sur les coulisses du pouvoir pour permettre à chacun de se faire une opinion. Cette liberté fondamentale en démocratie ne saurait être remise en cause au gré des tempêtes politiques. La définition du journalisme ne sera jamais une prérogative présidentielle. »

Faisons confiance aux événements, ils ne manqueront pas de se produire !

Une renaissance!

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© Luciano Romano

Le Ballet du théâtre San Carlo de Naples se produit en France pour la première fois. Une occasion unique de découvrir cette compagnie mythique qui revient de loin. C’est ce week-end, sur la scène de l’Opéra royal du château de Versailles.


C’est une grande première ! Une première historique, même, pour le Ballet du Teatro di San Carlo, l’Opéra de Naples, le plus illustre des théâtres lyriques italiens avec la Scala de Milan, mais aussi l’une des plus belles salles du monde, exaltée par Stendhal. Une première historique, car jamais cette compagnie de ballet instituée à Naples par un Bourbon d’Espagne n’avait été invitée en France. Et mieux encore sur l’Olympe des Bourbons, à Versailles, à l’Opéra royal, cet écrin voulu par Louis XV, deux fois cousin de Charles, roi des Deux-Siciles avant que d’être roi d’Espagne sous le nom de Charles III. Souverain en Italie, Charles, Carlo à Naples, Carlos à Madrid, fut l’instigateur du Teatro di San Carlo, édifié en deux-cent-soixante-dix jours et inauguré le 4 novembre 1737 avec un opéra, Achille in Sciro, sur un livret de Métastase, une musique de Sarro, et où le ballet assumait les divertissements réglés par Francesco Aquilanti, avant, au milieu et à la fin de l’ouvrage.  

Après deux siècles de vice-royautés aiguillées depuis Madrid, puis depuis Vienne, les Napolitains, et avec eux les Siciliens avaient enfin leur propre roi en 1734. Et ce fils de Philippe V d’Espagne, plus tard roi d’Espagne lui-même, allait provoquer, après avoir conquis ses deux trônes, un formidable développement de Naples. La création du San Carlo faisait partie de ce vaste dessein. Charles, roi de Naples, Charles, roi de Sicile et de Jérusalem, Charles enfin roi des Deux-Siciles, n’oublie pas qu’il est Bourbon. À l’image de l’Académie royale de Musique et de Danse voulue par son arrière-grand-père Louis XIV, un théâtre d’opéra et de ballet constitue un élément essentiel de son prestige. Il est aussi Farnèse par sa mère, Elisabeth de Parme. Et sous son règne, comme celui de ses successeurs, le San Carlo s’affirmera comme l’une des scènes les plus prestigieuses d’Europe. Au XIXe siècle, Rossini puis Donizetti y règneront, cependant que le ballet, dans l’ombre du théâtre lyrique, alignera lui aussi quelques grands noms : Salvatore Vigano, Antonio Guerra, Carlo Blassis. Mais aussi Fanny Cerrito, Carlotta Grisi ou Elisa Vaque-Moulin. Ou encore Salvatore Taglioni, directeur du Ballet du San Carlo de 1817 à 1860 et oncle de Marie, prima ballerina à Paris où elle créa La Sylphide à l’Opéra.

Mais ces dernières décennies, le Ballet du San Carlo a sombré dans une accablante insignifiance. On nomme à sa tête des danseurs célèbres, on en invite d’autres plus célèbres pour quelques soirées, selon cette tendance stupide typiquement italienne où, faute de politique artistique intelligente, on se rabat sur un nom connu pour remplir les salles. Quels qu’ils soient, ceux qui dirigent le Ballet du San Carlo, sous le regard dédaigneux du surintendant ou du directeur musical, n’ont sans doute ni les capacités intellectuelles, ni les moyens financiers pour constituer une compagnie et une programmation dignes de ce nom. Et la troupe n’a aucune existence en dehors de Naples et quelques villes de province italiennes.

Quand Stéphane Lissner, ci-devant directeur de l’Opéra de Paris, après l’avoir été du Théâtre du Châtelet et du Festival lyrique d’Aix-en-Provence, est intronisé en octobre 2019 surintendant du San Carlo, la compagnie de ballet est réduite à six danseurs titulaires et à six surnuméraires. Un troupeau juste bon à figurer dans des opéras. On ne saurait traduire avec plus d’éloquence la déshérence de ce ballet napolitain. Mais Lissner qui avait eu sous son autorité l’une des plus brillantes compagnies de danse académique, ne pouvait sans déchoir ne pas redonner un certain lustre au Ballet du San Carlo. Sa politique énergique lui fait nommer une danseuse de l’Opéra de Paris à la direction de la compagne napolitaine.

Clotilde Vayer, première danseuse du Ballet de l’Opéra, et jusque-là l’une de ses plus émouvantes artistes, au profil d’étoile et aux interprétations sensibles et intelligentes, est devenue maîtresse de ballet de la compagnie en 1998, puis maîtresse de ballet assistante à la direction en 2004.


La voilà à pied d’œuvre à Naples en 2021. Sous son impulsion et avec l’appui de Stéphane Lissner, malgré la pandémie qui frappe l’Italie, le Ballet du San Carlo passe en quelques mois de douze à quarante danseurs. Les élus ne sont que des Italiens ! Avec une majorité de Napolitains. Et c’est tant mieux pour l’identité de la troupe. Pour la fierté aussi des Napolitains et des artistes. Tous représentent cette école italienne, et singulièrement napolitaine, qui fut longtemps la seule grande rivale qui comptait face à l’école française. Et c’est d’ailleurs sous leur double influence qu’est née à la fin du XIXe siècle ce qu’on appelle aujourd’hui l’école russe. « Ils sont très fiers de leur identité, souligne Clotilde Vayer. Et c’est bien ce qui confère le style et l’originalité de la compagnie. Ils sont aussi avides de découvertes et dotés d’un enthousiasme réjouissant. » Pour étancher cette soif de nouveauté, cette dernière introduit dans leur répertoire des œuvres néo-classiques certes, mais signées de grands chorégraphes du XXe siècle : Balanchine, Robbins, Forsythe, Van Manen… et reprend à Naples des chorégraphies de Noureïev qui ont fait leurs armes à Paris, Le Lac des Cygnes ou Don Quichotte. La routine pour nous, mais un pas en avant dans cette Italie où la modernité s’est arrêtée avec les avatars du ballet du XIXe siècle, où Roland Petit fait encore figure de moderne et où, seule en son temps, Carolyn Carlson, à Venise, introduira un souffle du XXe siècle.

Il aura fallu faire revenir petit à petit au San Carlo un public qui avec les années avait oublié la danse. En Italie, les impresarii, dont l’univers se borne aux grands ballets du répertoire classique, n’ont pas encore relevé la renaissance du Ballet du San Carlo. En revanche, la compagnie commence à susciter de l’intérêt à l’étranger. En France donc, mais aussi en Thaïlande, en Arabie, en Corée…

À Versailles ce week-end, rien de révolutionnaire dans la programmation. Mais trois belles œuvres de Jerome Robbins, In the Night (Chopin), Afternoon of a Faun (Debussy), En Sol (Ravel). Des œuvres que Clotilde Vayer connaît parfaitement pour les avoir interprétées naguère quand elle était Première danseuse sur la scène du palais Garnier.


Ballet du Theatre San Carlo de Naples. Les 15 et 16 novembre 2024 à 20h, le 17 à 16h. Opéra royal de Versailles ; 01 30 83 78 89 ou www.operaroyal-versailles.fr

« La pire trans d’Argentine »

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L'écrivain argentin Camila Sosa Villada photographiée en 2021 © Francisco Guasco/EFE/SIPA

Le nouveau roman de Camila Sosa Villada est aussi bien cru que drôle.


Son premier roman Vilaines, Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro, traduit en France en 2021, fut un évènement. La comédienne et chanteuse argentine Camila Sosa Villada y contait l’histoire d’un groupe de prostituées transsexuelles à Cordoba. Un récit éblouissant d’inspiration autobiographique. Elle récidive aujourd’hui avec Histoire d’une domestication, second opus dans lequel l’écrivaine a manifestement mis beaucoup d’elle-même. 

Son héroïne est transsexuelle, comme elle. Comme elle aussi, elle a la passion de la scène. Née en 1982 sous le nom de Cristian, Camila Sosa Villada s’est d’abord fait un nom au théâtre et dans les cabarets avant de jouer au cinéma et d’incarner le rôle-titre d’une série télévisée. Autant d’expériences qui ont manifestement nourri le personnage principal de ce second roman à première vue plus classique que le précédent. A première vue seulement. Car rien ne l’est jamais sous la plume de la célèbre autrice argentine. Son héroïne, là encore, lui ressemble à s’y méprendre. Sa popularité est telle que « des milliers d’auteurs de théâtre (…) meurent d’envie d’écrire pour elle. » Mais ce qu’elle veut, elle, c’est jouer La voix humaine de Jean Cocteau. Un rôle dans lequel se sont illustrées d’autres illustres comédiennes avant elle. Ingrid Bergman au théâtre. Anna Magnani pour la caméra de Rossellini. Ou encore Carmen Maura dans La loi du désir de Pedro Almodovar qui s’en inspire librement.

Ses producteurs ont beau lui suggérer de jouer « quelque chose de moins français, de moins tordu », rien n’y fait. La comédienne fait ce qu’elle veut, comme elle veut et quand elle le veut… Comme il se doit, le metteur en scène est son amant. Camila Sosa Villada excelle dans l’écriture des scènes sexuelles dont le roman regorge. C’est cru, enlevé et souvent drôle.

Ce que n’avait pas imaginé la comédienne – comme tous les personnages de ce roman, elle n’est jamais définie que par sa fonction – c’est qu’elle tomberait amoureuse d’un homosexuel. Contre toute attente, la comédienne et son avocat pénaliste vont se mettre en ménage. Mais comment domestiquer des êtres qui n’ont jamais vécu que dans la luxure et dans l’excés ? Telle est la question que pose ce second roman et à laquelle chacun des personnages de ce roman haut en couleurs va se retrouver confronté. Dans cette Histoire d’une domestication, la vie de couple ne constitue qu’une première étape. La deuxième étant l’arrivée d’un enfant. Après avoir envisagé de louer un ventre, ce couple décidément peu ordinaire décide de se lancer dans le long parcours de l’adoption. L’heureux élu sera un petit garçon de six ans, séropositif, auprès duquel la comédienne découvrira l’amour maternel. « Une seule trans suffit pour changer le cours de la vie d’un homme, d’une famille, d’une institution » affirme Camila Sosa Villada qui sait manifestement de quoi elle parle. Son livre jette un regard sans concession sur l’embourgeoisement et cette institution que représente la famille en Argentine. Un roman d’une audace folle et qui séduit par sa radicalité.

Histoire d’une domestication de Camila Sosa Villada, traduction Laura Alcoba, Editions Métalié. 222 pages.

Histoire d'une domestication

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Algérie, l’heure des comptes

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Sarah Knafo © Hannah Assouline

Malgré la tentative d’intimidation du gouvernement algérien, Sarah Knafo a décidé de révéler combien coûtait à la France sa politique de repentance. Plus de soixante ans après l’indépendance, la députée européenne estime qu’il est temps de divorcer pour de bon.


Causeur. L’Algérie a déposé une plainte contre vous. Pourquoi ?

Sarah Knafo. J’étais l’invitée des « Grandes Gueules » pour un débat sur l’état catastrophique de nos finances publiques. Pendant l’émission, je pose une question simple : est-il normal de donner des millions d’euros à l’Algérie ou à la Chine, quand par ailleurs l’hôpital Georges-Pompidou fait un appel aux dons pour financer l’achat de scanners ? Sommes-nous Crésus pour dilapider ainsi notre argent auprès de puissances étrangères ? Les « Grandes Gueules » postent cet extrait sur les réseaux sociaux, et cela lance un débat sur l’aide publique au développement. Étonnamment, la Chine ne porte pas plainte contre moi, mais l’Algérie, si ! Ils en font l’ouverture de tous leurs journaux télévisés, et le chef de leur État, M. Tebboune, décide de faire de moi une cible en organisant une conférence de presse pour dire que j’avais menti. Si j’avais une mentalité de gauche, je vous dirais que par sa faute j’ai été « cyberharcelée » par des centaines d’Algériens haineux ! Même des Franco-Algériens m’insultent comme si j’avais accusé leur père d’être endetté auprès de moi… Malheureusement pour eux, la justice m’a donné raison et leur plainte a été classée sans suite.

Pourquoi le parquet a-t-il classé l’affaire ?

Cette plainte était grotesque et n’avait aucune chance d’aboutir. Si on voulait se moquer, on pourrait leur dire qu’avec tout l’argent qu’on leur donne, ils auraient quand même pu se payer un juriste ! J’ai dit la vérité en m’appuyant sur des données officielles et publiques. On a bel et bien donné 842 millions d’euros à l’Algérie de 2017 à 2022. Mais ils ont tellement honte de la vérité qu’ils ont porté plainte contre la vérité. Comme souvent, la vérité a gagné.

A lire aussi, Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques: Français et Algériens: séparés par un passé commun

Donc, cette opération de l’État algérien était à usage interne…

Oui, je pense. Admettre que l’Algérie a encore besoin de la France est inacceptable pour l’orgueil national. Je pense que le fond de l’affaire, c’est que ce pays nous déteste. Écoutez les paroles de leur hymne national : « Ô France ! Voici venu le jour où il te faut rendre des comptes. » Regardez comme leur chef d’État ne cesse d’insulter la France, de l’accuser de tous les maux, de nous faire porter le chapeau de leurs propres échecs. Bref, ils nous détestent tellement qu’ils ont honte de recevoir notre argent. Donc l’État algérien voulait discréditer l’information, mais il s’est pris les pieds dans le tapis.

Cependant, au-delà du cas algérien, l’aide au développement est un instrument d’influence.

Ce fut un instrument d’influence. À l’époque où l’on demandait qu’en contrepartie des aides, ce soient des entreprises françaises qui soient sélectionnées, quand on contrôlait réellement l’emploi de l’argent donné. Aujourd’hui, vous savez ce que l’on demande en contrepartie ? Que les États destinataires s’engagent à respecter le climat et l’égalité hommes/femmes. Si c’est ça l’influence, pour 15 milliards d’euros, je vous trouve quand vous voulez des projets à plus forte valeur ajoutée pour les Français.

N’empêche, 842 millions en cinq ans… 180 millions d’euros par an, on ne peut pas parler de dépendance…

Sur un quinquennat, on aura presque dépensé un milliard.  Pour vous, ça n’est rien du tout ? Cet argent, ce n’est pas celui d’Emmanuel Macron, c’est le vôtre ! On pourrait arrêter de prendre dans la poche des Français. Par ailleurs, j’ai promis que je ne me laisserais pas intimider par leurs méthodes et que j’établirais la facture de ce que l’Algérie nous coûte. C’est ce que je suis en train de faire. Croyez-moi, les 842 millions dont je parlais ne représentent pas grand-chose par rapport à ce que nous coûtent vraiment l’Algérie et les Algériens. Saviez-vous par exemple que dans nos prisons, la première des nationalités étrangères des détenus est la nationalité algérienne ? Et ce chiffre ne prend pas en compte les binationaux. Saviez-vous que l’Algérie est en tête des pays qui refusent le plus de laissez-passer consulaires ? D’après Gérald Darmanin, entre janvier et juillet 2021, 7 700 Algériens ont été frappés d’une OQTF. Seuls quatre ont été acceptés en Algérie. Quatre ! Saviez-vous par exemple que l’argent qu’on envoie à sa famille au bled est en partie défiscalisé ? Et je devrais aussi vous parler des ardoises laissées dans les hôpitaux… En fait, l’Algérie et la France ont divorcé en 1962, mais visiblement c’est la France qui a eu la garde des enfants. Et elle paye quand même une pension alimentaire !

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En attendant, il faut être deux pour danser le tango. La droite n’a pas fait beaucoup mieux que la gauche. Pourquoi ?

C’est la culpabilité qui les paralyse. Il ne faut plus baisser les yeux devant l’Algérie. Souvenez-vous de Gérald Darmanin, lui, le petit fils de harki qui est allé déposer une gerbe devant le monument aux « martyrs » du FLN : des « martyrs » qui ont assassiné des civils, violé des femmes, supplicié des enfants, qui n’avaient qu’un seul tort, être Français. Emmanuel Macron avait commis la même faute, devant le même monument, lors de son fameux voyage où il a déclaré que « la colonisation était un crime contre l’humanité », c’est-à-dire l’exact vocabulaire de repentance qu’on veut nous imposer.

Peut-on aujourd’hui en finir avec cette névrose et couper le cordon ?

On doit et on peut. Votre métaphore du cordon ombilical montre bien que nous traitons l’Algérie comme un enfant à qui on ne peut pas dire la vérité. Il faut enfin leur parler et agir avec eux comme avec des adultes : un adulte doit être prêt à entendre la vérité et se remettre des névroses du passé. On leur a laissé des richesses inestimables. On leur a offert des privilèges longtemps. On a assez payé pour les dédommager. C’est terminé. Maintenant, il est temps de divorcer pour de bon.

Et revoilà le débat sur la circoncision

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Image d'illustration Unsplash.

L’article « Pourquoi la circoncision des garçons mineurs est contraire à l’éthique, par Franck Ramus », publié par L’Express, a rouvert le débat sur l’interdiction de la circoncision en assimilant la pratique à l’excision génitale sur les filles. Mais n’est-ce pas là un chiffon rouge qui est agité pour interdire une pratique millénaire, non mutilante, qui ne dérange que certains ?


Cet article est introduit par une photo illustrant la circoncision rituelle avec un livre de prières juif[1]. L’auteur évoque divers arguments qui dépassent l’entendement, avec en toile de fond le lien avec l’excision. L’auteur conclut que « ne pas être contre la circoncision chez les garçons serait une discrimination sexiste ».

L’OMS a publié une étude en 2007 qui révèle que la circoncision est pratiquée tant par les juifs et les musulmans (pour quasiment 100% de la population masculine) que par de nombreux chrétiens dans les pays à majorité protestante (75% de la population masculine aux États-Unis). Ainsi, 30% de la population masculine mondiale est circoncise. Aucune étude n’a révélé un mal-être quelconque de ces hommes.

Rétablir les faits médicaux

Alors que le débat est introduit sur le plan éthique, l’auteur se concentre sur des raisons médicales, dont les risques de l’opération. Une circoncision rituelle, dans le cadre judaïque, est toujours effectuée par des spécialistes qui ont suivi un parcours d’étude strict et exigeant. Ils sont médecins pour beaucoup d’entre eux. Même dans un environnement médicalisé, le risque zéro n’existe pas et ce sont surtout les conditions de la réalisation qui sont dangereuses.

Néanmoins, les bénéfices sont plus nombreux que la simple protection contre les infections sexuellement transmissibles qui a été abordée dans l’article. Des études ont montré que la circoncision peut réduire le risque d’infections urinaires. En synthèse, les infections urinaires sont environ 10 fois plus fréquentes chez les nourrissons non circoncis que circoncis. La circoncision peut également réduire le risque de cancer du pénis. Un homme circoncis au début de sa vie a un risque réduit de 50 à 90% par rapport à un homme non circoncis. Enfin, un homme circoncis ne vit pas toutes les difficultés liées au prépuce, comme le phimosis (prépuce trop serré) ou la balanite (inflammation du gland) qui sont, elles, de véritables souffrances. L’auteur répliquera qu’il y aura une perte de sensibilité sexuelle. Que dire de la pertinence de cet argument au sujet d’un nourrisson de huit jours, ou même d’un enfant plus âgé ? Pour les adultes ayant fait l’opération, aucune étude n’a démontré que la sexualité change. L’auteur répondra également que l’aspect esthétique de la circoncision ne plaira pas à l’intéressé. Ici également, la pertinence de l’argument pour un enfant interroge.

L’excision, une vraie mutilation grave

L’excision est une pratique locale qui n’a aucune source religieuse. Il s’agit d’une mutilation qui ne fait pas débat. Une mutilation est une «ablation accidentelle ou volontaire, un retranchement d’un membre ou d’un organe externe qui cause une atteinte grave et irréversible». Isabelle Gillette-Faye, directrice générale de la Fédération nationale GAMS (association engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes), a déclaré en 2018 sur Slate concernant l’excision que « médicalement, c’est très compliqué d’ôter le capuchon sans toucher les autres organes sexuels externes comme le clitoris et les petites lèvres ».

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L’OMS a établi quatre types d’excision. Les deux premiers portent sur l’ablation partielle ou totale du gland clitoridien. Le troisième concerne l’infibulation, c’est-à-dire le « rétrécissement de l’orifice vaginal par recouvrement » en sectionnant et en repositionnant les lèvres, avec dans certains cas l’ablation du gland clitoridien. Le quatrième type contient toutes les autres opérations mutilantes des organes génitaux féminins. L’OMS estime qu’il y a 200 millions de femmes et filles qui ont subi une excision, dont une très grosse majorité sans anesthésie, soit approximativement 5% des femmes dans le monde.

L’excision appliquée aux hommes reviendrait purement et simplement à une amputation du pénis sans anesthésie. La circoncision ne peut donc pas être une mutilation.

Le droit de l’enfant à l’intégrité de son corps

Ce droit est fondé sur le principe que les enfants n’ont pas à subir d’intervention physique non nécessaire qui pourrait affecter leur corps et leur développement. Il est notamment défini par la Convention relative aux droits de l’enfant (CIDE) et par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). L’article 19 du CIDE stipule que les États signataires prennent toutes les mesures appropriées pour « protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle ».

Pour compléter le débat, il faut prendre en considération les droits de l’homme qui garantissent la liberté de religion et de croyance avec un corpus législatif international dense. Ainsi, la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) précise dans son article 18 : «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique (…) la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, (…) par (…) l’accomplissement des rites ». Ce droit est repris dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la CIDE et la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Tant qu’elle respecte la rigueur et l’encadrement médical strict, la circoncision rituelle est protégée.

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Mais les parents n’ont-ils pas la responsabilité de prendre des décisions dans l’intérêt supérieur de leur enfant ? Cela implique de veiller à la santé physique et psychologique de leur enfant, mais également à la construction de son identité spirituelle, culturelle et sociale. La circoncision rentre dans ce cadre pour les juifs, les musulmans et une partie des chrétiens, libre ensuite à l’enfant de se séparer de son groupe d’appartenance à l’âge adulte. Il est du devoir de ses parents de lui donner le cadre de la meilleure intégration possible. Ainsi, la loi française reconnait et protège la pratique, qui est considérée comme un droit fondamental. L’argument consistant alors à dire que c’est une fois majeur que l’enfant décide de procéder à sa propre circoncision médicale est un argument de mauvaise foi, car très peu d’hommes en auront le courage. Ce qui est fait n’est plus à faire.

Débat éthique ?

Non seulement les arguments médicaux vont dans le sens de la défense de la circoncision, mais cette opération n’est en rien comparable à l’excision qui, elle, est une véritable mutilation des organes génitaux féminins dans n’importe laquelle de ses formes. Il n’est pas non plus possible de restreindre l’autorité parentale à celui de simples gardiens de la santé de leur enfant : l’éducation s’inscrit dans un tout en intégrant la communauté d’appartenance, qu’elle soit administrative, politique ou religieuse.

Placer le curseur sur un débat entièrement éthique revient à reconnaître implicitement que tous les autres arguments donnent de fait la prévalence à la circoncision rituelle. De plus, aucun argument évoqué n’a de validité médicale ni juridique.

Pourquoi alors illustrer l’article avec un livre de prières juif ? Il est vrai que depuis le 7-Octobre, l’augmentation effrayante de l’antisémitisme (+300% au premier trimestre 2024) et les attaques systématiques contre l’abattage rituel juif (pour lequel il n’a toujours pas été démontré de façon scientifique que l’étourdissement fait moins souffrir), il ne manquait plus que le débat contre la circoncision rituelle ! Le message envoyé à une communauté ayant une présence bimillénaire en Europe et fortement éprouvée ne pourrait être plus clair : « Raus » !


[1] https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sante/pourquoi-la-circoncision-des-garcons-mineurs-est-contraire-a-lethique-par-franck-ramus-DDGDC5SHGJHENPDCF55CKKNRPQ/

Trump: une victoire qui passe mal

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Le chroniqueur de France TV Thomas Snégaroff. DR.

Les journalistes des médias publics ne se sont toujours pas remis de la victoire de Donald Trump. C’est qu’ils n’ont rien vu venir. Notre chroniqueur analyse ici deux beaux cas: Thomas Snégaroff et Patrick Cohen.


C’est dur, c’est très dur. La pilule ne passe pas. Au lendemain des élections américaines, la majorité des journalistes français ont la gueule de bois. Ces gros bourrins d’Américains n’ont tenu aucun compte de leurs avertissements. Dieu sait pourtant qu’ils n’ont pas ménagé leurs efforts. Durant des mois ils ont envoyé du lourd et leur principal message n’avait rien de subliminal : le fascisme, le nazisme, la bête immonde et la peste brune menaçaient les États-Unis d’Amérique et, par ricochet, l’Europe. Si Donald Trump était élu, plus rien ne pourrait réfréner la vague populiste, réactionnaire, d’extrême droite, se lamentait-on dans les rédactions où l’on s’échangeait crucifix, gousses d’ail, amulettes et autres grigris pour conjurer le mauvais sort.

Kamalamania et gueule de bois

Depuis quelques semaines, Thomas Snégaroff, journaliste et spécialiste de l’histoire américaine contemporaine, se voulait rassurant et ne laissait planer que peu de doute sur la victoire de Kamala Harris. Elle était, affirmait-il sur France Inter, ce qui pouvait arriver de pire au « vieux mâle blanc » Donald Trump. Femme, métisse, dynamique, « elle est compétente sur les dossiers et ça c’est très important ! », ajoutait-il sans craindre le ridicule, alors que personne n’ignorait que Kamala Harris ne maîtrisait pas grand-chose, était faiblarde en particulier sur les dossiers de politique internationale et avait toutes les peines du monde à formuler les arguments concoctés par ses conseillers sur l’économie mondialisée, le conflit russo-ukrainien ou les événements au Proche-Orient. « Dans ce contexte-là, dans ce duel de corps-à-corps, moi je pense qu’il y a beaucoup de jeunes électeurs américains qui ne voulaient pas voter pour Joe Biden et qui, cette fois-ci, n’hésiteront pas une seconde », concluait pourtant ce jour-là M. Snégaroff en lévitation. Kamala Harris allait écrabouiller Donald Trump et le monde entier échapper au désastre, c’est-à-dire au retour du fascisme, comme le laissaient plus ou moins subtilement entendre les participants de l’émission C Politique animée sur France 5 par le même Thomas Snégaroff une semaine avant les élections.

Patatras ! Dans la nuit du 5 au 6 novembre, un raz-de marée rouge balaie les États-Unis et la victoire de Donald Trump paraît rapidement inéluctable. Le 6 novembre au matin, toute honte bue, Thomas Snégaroff explique sur France Inter que ce n’est pas lui qui s’est planté mais les sondeurs : « Pour la troisième fois de suite, les sondeurs ont sous-estimé Donald Trump. Ils l’avaient sous-estimé largement en 2016, encore plus largement en 2020, et je crois encore plus largement cette fois-ci ». Pourtant, l’historien spécialiste des États-Unis n’a rien vu venir. En fait, dit-il pour se dédouaner, « on a appris pendant la nuit électorale que l’immense majorité des Américains avaient figé leur vote en septembre. Kamala Harris n’était en campagne que depuis un mois, ils ne la connaissaient pas. Ils connaissaient Trump ». Kamala Harris, vice-présidente des États-Unis depuis quatre ans, inconnue des Américains ? Ces derniers ne la connaissaient que trop bien, au contraire.

Guerre des sexes

La clé de la victoire de Trump, tente d’expliquer finalement M. Snégaroff qui ne sait plus par quel bout prendre la dure réalité pour masquer ses propres errements idéologiques, a été le “gender gap”, la guerre des sexes : « Tout le monde pensait que ce “gender gap” amènerait Kamala Harris à la Maison-Blanche. Mais moi je regardais sans cesse ce “gender gap” et je voyais que, certes dans les sondages elle avait 16 points d’avance chez les femmes, mais Trump avait 18 points d’avance chez les hommes. » Une autre explication dans l’air du temps lui vient soudain à l’esprit : les jeunes hommes qui ont voté Trump sont « des jeunes des minorités, des jeunes Latinos et des jeunes Noirs » attirés par… le « discours viriliste » du candidat Républicain. Thomas Snégaroff est toutefois obligé de reconnaître que d’autres raisons ont pu motiver le vote d’électeurs d’origine hispanique totalement intégrés dans la société américaine et ne voyant pas d’un bon œil l’immigration massive que Kamala Harris avait promis de ralentir – avec les résultats qu’on sait.

L’exaspérante outrecuidance de M. Snégaroff a conduit de nombreux internautes à vouloir exprimer leur mécontentement, aussi bien dans les commentaires sous les vidéos de ses interventions télévisées postées sur YouTube – commentaires qui ont été rapidement bloqués par France TV – que sur son compte X – que le journaliste a finalement carrément fermé. Soyons sûrs que cela ne l’empêchera pas de continuer de pérorer sur France Inter et France 5. 

Le vrai gagnant

Patrick Cohen officie lui aussi sur France Inter et France 5. La veille des élections américaines, pressentant peut-être la défaite de Kamala Harris, son édito politique sur la radio publique est consacré au « grand vainqueur » de ces élections : « le mensonge ». Tout le monde a menti mais, bien sûr, selon lui, Trump a menti beaucoup plus que les autres, aidé en cela par son « véritable colistier », Elon Musk, l’autre bête noire des médias français. On ne se souvient pas avoir beaucoup entendu Patrick Cohen sur la duplicité de Jack Dorsey, l’ex-propriétaire de Twitter, ou de Mark Zuckerberg, dirigeant principal de Meta, lors des élections qui virent la victoire de Biden… Les deux puissants hommes d’affaires ont pourtant avoué récemment avoir menti et censuré de nombreux messages sur leurs réseaux, durant la campagne de 2020, en particulier ceux relatifs aux informations controversées du New York Post sur Hunter Biden. Après que le très démocrate et très peu confraternel New York Times eut mis en cause le professionnalisme du New York Post, ce tabloïd avait carrément vu son compte Twitter fermé durant deux semaines ! À ma connaissance, Patrick Cohen n’en a jamais dit un mot…

Le 6 novembre, le journaliste france-intérien décrit avec une pointe d’acidité dans la voix le « triomphe revanchard » d’un Donald Trump devenu, par la grâce d’un « vote qu’on n’ose pas dire éclairé », un « président d’extrême droite, incontestablement d’extrême droite ». Chassez le langage simplificateur et dogmatique, il revient au galop dans la bouche des journalistes déçus par le peuple qui « vote mal ». Obligé de reconnaître du bout des lèvres que l’inflation et l’immigration sont des questions auxquelles les Démocrates n’ont pas su répondre, M. Cohen n’en démord pas et reprend son thème de prédilection : « Les études d’opinion nous permettront de quantifier les convictions forgées par les bobards de Trump, par ses relais médiatiques, par les infox amplifiés par Elon Musk, désormais l’homme le plus puissant du monde. » Pas un mot, en revanche, sur les « relais médiatiques » du parti Démocrate, une presse écrite et audiovisuelle à 80% pour Kamala Harris, ou sur les réseaux sociaux, les institutions gouvernementales et les puissantes associations majoritairement entre les mains de personnes ne cachant pas leur désir de voir les Démocrates conserver le pouvoir afin de consolider le leur. Il est vrai que ces personnes-là, au contraire d’Elon Musk, préfèrent travailler dans l’ombre ; vous n’entendrez et ne lirez que rarement leurs noms. Certains d’entre eux sont accolés à des fondations dites philanthropiques qui, en réalité, œuvrent pour la propagation de l’idéologie woke « déconstructiviste » et pour un contrôle social généralisé – et donc pour une refonte totale, pour ne pas dire totalitaire, des systèmes de pouvoir.

Gare au trumpisme à la française

Le 7 novembre, Patrick Cohen ne s’est toujours pas remis de la déculottée des Démocrates et décide de se passer les nerfs sur les médias français dits d’extrême droite.  Il veut voir « la vie politique française dans le miroir américain » et sort l’artillerie lourde, très lourde : « Les médias d’extrême droite se pâment devant la débâcle de la bien-pensance – c’est nous – mais sans jamais dire clairement si la mal-pensance dont ils se revendiquent comprend le racisme, la misogynie, les restrictions au droit à l’avortement, le climato-scepticisme, les attaques contre la démocratie, contre la presse, les mensonges et les insultes, toutes choses exprimées par Donald Trump à longueur de discours. » Heureusement, assure-t-il, le trumpisme à la française ne passera pas. Premièrement, dit-il, parce que les Français préfèrent « les rassembleurs aux provocateurs » (et surtout, ajouté-je, parce qu’ils restent des moutons trop facilement manipulés par les castors politico-médiatiques). Deuxièmement, parce que notre pays s’est doté de trois garde-fous : d’abord, le Conseil constitutionnel, « garant de nos principes démocratiques ». (C’est une blague ? Cette institution récompensant des personnalités liées au pouvoir est devenue une instance essentiellement politique et dépendante du pouvoir en place, explique la juriste Lauréline Fontaine dans un excellent entretien donné au Figaro le 21 mars 2023). Ensuite, les lois qui plafonnent et contrôlent le financement des campagnes électorales. Enfin – et c’est sans doute le plus drôle – « la régulation de l’audiovisuel sur les fréquences concédées par l’État, l’obligation de pluralisme et le contrôle des temps de parole qui interdit les chaînes d’opinion façon Fox News ». Venant de la part d’un journaliste travaillant sur les chaînes d’opinion gauchisante que sont la radio et la télévision publiques, cela ne manque pas de piquant !

Lors de ses prestations quotidiennes sur la radio publique (le matin) et la télé publique (le soir), Patrick Cohen s’efforce de remettre sur le droit chemin les populations égarées qui, se lamente-t-il, se défient des journalistes, adhérent aux « thèses complotistes » et sont attirés par « les partis populistes ». Sur France Inter, le 12 novembre, il s’interroge par exemple sur le wokisme. Un sondage montre que les principaux facteurs qui ont poussé les Américains « à ne pas choisir Harris » sont l’inflation, l’immigration et le transgenrisme. Pourtant, affirme-t-il, on a moins parlé de wokisme dans la campagne de Kamala Harris que d’anti-wokisme dans celle de Donald Trump. Et pour cause : sous la férule acharnée des progressistes, l’idéologie woke a imprégné jusqu’à l’os la société américaine, les écoles, les universités, les médias et, de plus en plus, les entreprises où les directions de ce qu’on appelle les Ressources Humaines ont totalement intégré la notion frelatée de « justice sociale » à travers les principes soi-disant anti-discriminatoires du DEI (Diversité, Équité, Inclusion). De nombreux Américains refusent de devoir continuer à subir les effets négatifs du wokisme à tous les niveaux de la société et ont voté Trump pour cette raison. Méconnaissant les principes du wokisme, M. Cohen assure que le terme « woke » est « rarement défini » en France et « ressemble à une insulte du capitaine Haddock, comme “bachi-bouzouk” ou “moule à gaufres” ». Péremptoire, il assène : « Ça ne veut rien dire, on y met ce qu’on veut. » Marion Maréchal avait qualifié de « woke » la cérémonie des JO ? C’est la preuve, selon le journaliste, que « l’anti-wokisme procède bien d’un réflexe réactionnaire ». Quelle originalité ! Quelle finesse d’analyse ! M. Cohen devrait préparer plus sérieusement ses courtes chroniques matutinales. Il existe de nombreux ouvrages expliquant très précisément ce qu’est le wokisme (1). M. Cohen devrait se pencher sur ces essais qui lui permettraient de se familiariser avec le mot « woke » et l’idéologie qu’il représente. Évidemment, s’il lit ces lignes, M. Cohen ne tiendra aucun compte de mes conseils et se contentera vraisemblablement de me traiter de « réactionnaire ». Après tout, pourquoi pas : « Le réactionnaire, écrit Nicolás Gómez Dávila, n’est pas un nostalgique rêvant de passés abolis, mais celui qui traque des ombres sacrées sur les collines éternelles. » Mais je doute que le très progressiste M. Cohen l’entende de cette oreille…


(1) Liste non exhaustive :

– Jean-François Braunstein, La religion woke, Grasset.

– Pierre Valentin, Comprendre la révolution woke, Revue Le Débat, Gallimard.

– Nathalie Heinich, Le wokisme serait-il un totalitarisme ?  Albin Michel.

– Sylvie Perez, En finir avec le wokisme, Éditions du Cerf.

– Samuel Fitoussi, Woke fiction, Le Cherche Midi.

– Bérénice Levet, Le courage de la dissidence : l’esprit français contre le wokisme, Éditions de l’Observatoire.

– Anne Toulouse, Wokisme, La France sera-t-elle contaminée ? Éditions du Rocher.

Causons! Le podcast hebdomadaire de Causeur

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Justin Welby, alors nouvel archevêque de Cantorbéry, Lambeth Palace, Londres, le 9 Novembre 2012 Geoff Pugh / Rex Featur/REX/SIPA

Avec Martin Pimentel, Maximilien Nagy et Jeremy Stubbs


La France: le wokisme n’est pas mort ! Le Royaume Uni : crise de l’église officielle et retour à 1984.

Musique Jérémie Tepper

Ces ONG allemandes qui jouent contre la politique énergétique de la France

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Ursula Von der Leyen, présidente de la commission européenne, et Olaf Scholz, chancelier de l’Allemagne, Berlin, 14 octobre 2024 © SIPA / CONFLITS

L’Allemagne intervient à Bruxelles, via ses ONG, pour imposer sa politique énergétique. La France et la filière nucléaire en font les frais.


Cet article est paru dans la Revue Conflits n°54, dont le dossier est consacré aux ONG


L’économie, c’est de l’énergie transformée. Ce ne sont pas aux industriels allemands qu’il faut le rappeler. L’explosion des prix de l’électricité depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine les a remis face au désastre de la destruction de leurs capacités nucléaires depuis la mise en place de l’Energiewende dans les années 1990. Dans ce processus suicidaire, Berlin s’en est pris à l’avantage comparatif français dans le secteur énergétique afin de promouvoir sa propre industrie des énergies renouvelables (ENR) et maintenir sa domination économique en Europe. L’Allemagne mène ainsi une guerre de l’information antinucléaire contre la France en s’appuyant sur ses réseaux influents dans les couloirs de Bruxelles et sur un attirail de fondations politiques au service de ses intérêts.

Origines et développement de l’Energiewende

Dans la société allemande d’après-guerre traumatisée par les bombardements américains à Nagasaki et Hiroshima, puis par la peur d’une guerre nucléaire généralisée entre les deux blocs lors de la crise des euromissiles en 1977, l’énergie nucléaire a rapidement suscité une aversion naturelle au sein de la population. C’est d’abord ce terreau réceptif qui a fait le succès des militants antinucléaires en Allemagne. Dès 1980, émerge l’idée d’une « transition énergétique » (Energiewende[1]) qui fixe pour horizon l’abandon progressif des énergies fossile et nucléaire au profit des ENR. Ce rêve trouve immédiatement un écho favorable dans le public allemand et des relais politiques dans le jeune parti écologiste Die Grünen, qui accède au pouvoir dans le cadre de la coalition noir-vert avec la CDU au début des années 1990. C’est alors que la promotion des ENR est devenue le fer de lance d’un discours idéologique puissant reposant sur la « bonne conscience » environnementale et l’ostracisation des défenseurs de l’énergie nucléaire[2].

Le tournant énergétique se situe en 1998 lors de la première coalition rouge-verte[3] dirigée par Gerhard Schröder. Il propose deux lois faisant de l’Energiewende un agenda politique pour l’Allemagne. La première[4] renforce le soutien au développement de la filière des ENR (en garantissant des prix de vente supérieurs au prix du marché au détriment du consommateur) et la deuxième[5] programme un abandon du nucléaire échelonné dans le temps. Concrètement, les centrales nucléaires existantes étaient condamnées à la fermeture tandis que la construction de nouvelles centrales était interdite. Cette transition est à nouveau accélérée en 2011 dans la foulée de la catastrophe de Fukushima, lorsque Angela Merkel annonce la fermeture anticipée de la totalité des centrales allemandes à horizon 2022[6]. En avril 2023, les trois derniers réacteurs nucléaires du pays sont finalement fermés[7]. Le rêve vert des écologistes est devenu réalité.

Le numéro 54 de la revue de géopolitique Conflits est en vente dans les kiosques et sur le site.

L’Union européenne mise au pas

L’abandon précipité du nucléaire a exposé l’économie allemande aux aléas climatiques et aux incertitudes de l’intermittence des ENR. Pour réguler l’instabilité de sa production énergétique, l’Allemagne dépend de la coopération des pays voisins pour liquider sa surproduction en exportant ou pour compenser son déficit de production en important. Sa survie énergétique étant désormais en jeu, elle n’a pas hésité à mobiliser son influent réseau de lobbyistes à Bruxelles pour défendre ses intérêts et imposer son modèle énergétique[8].

Cette influence s’est traduite de trois manières[9]. En 1996, la directive 96/92/CE vise à développer les débouchés allemands en favorisant les interconnexions des réseaux électriques européens dans le cadre du marché européen de l’électricité. En 2007, l’UE s’engage dans la libéralisation du marché européen de l’énergie et la directive 2009/28/EC, pour ne citer qu’elle, est reformulée sous la pression du lobbying allemand pour maintenir des tarifs de rachat avantageux aux producteurs d’ENR[10]. Enfin, l’Allemagne a vampirisé les subventions de la Banque européenne d’investissement en excluant le nucléaire du label vert de la taxonomie (exclusion levée en 2022). En revanche, le gaz fossile – notamment russe –, essentiel à l’économie allemande pour remplacer le nucléaire, est quant à lui considéré comme une énergie de transition. En d’autres termes, n’est durable ou décarboné que ce qui assure la pérennité et l’hégémonie du modèle énergétique allemand.

Une bête à abattre : le nucléaire français

Il est clair que le lobbying allemand sur la taxinomie avait un bouc émissaire : la France et son fleuron EDF[11]. La sortie du nucléaire ayant mécaniquement augmenté les prix de l’électricité outre-Rhin, le risque pour l’Allemagne était une perte intolérable de compétitivité pour son industrie alors qu’à sa frontière se vendait de l’électricité 2,5 fois moins chère. Henri Proglio, ancien PDG d’EDF, déclarait ainsi à l’Assemblée nationale : « Comment voulez-vous que ce pays qui a fondé sa richesse, son efficacité, sa crédibilité sur son industrie accepte que la France dispose d’un outil compétitif aussi puissant qu’EDF à sa porte ? Depuis trente ans, l’obsession allemande est la désintégration d’EDF ; ils ont réussi[12] ! »

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Dans un premier temps, EDF avait pourtant bien reçu la nouvelle de la libéralisation du marché européen. Il était théoriquement gagnant puisqu’il proposait les meilleurs tarifs du marché. Mais l’Allemagne, sous couvert de la commission bruxelloise, a eu tôt fait de pointer du doigt la position monopolistique d’EDF sur le marché français et d’exercer une pression constante pour qu’il se plie à ses exigences[13]. La docilité d’une naïveté impensable des gouvernements français pour s’y conformer s’est traduite par l’adoption de la loi NOME en 2010 et du dispositif ARENH qui en découle. Cette loi contraignait EDF à vendre chaque année un quart de sa production nucléaire à prix coûtant (42€/MWh) à ses « concurrents » qui n’existaient pas, c’est-à-dire des intermédiaires de la filière qui ne produisaient aucune énergie. EDF était riche, il fallait qu’elle donne sa rente nucléaire. C’était absurde, et la France l’a fait par dévotion à l’idée qu’elle se fait de l’Europe. En dix ans, le cours de l’action EDF a baissé de 80 % et l’entreprise a été ruinée[14]. L’Allemagne avait obtenu gain de cause.

L’arsenal de fondations allemandes dans la guerre de l’information

Dans cette entreprise de sabotage du nucléaire français, l’Allemagne s’appuie sur plusieurs fondations politiques au premier rang desquelles se trouvent Heinrich Böll et Rosa Luxembourg, financées par Berlin à hauteur de 500 millions d’euros par an[15].

La fondation Heinrich Böll coordonne depuis 2016 des opérations d’influence contre le nucléaire français en finançant un large panel d’ONG-relais comme le Réseau Action Climat (qui regroupe 27 associations nationales telles Greenpeace France, WWF ou Sortir du nucléaire). En 2022, la fondation recevait 67 % de ses financements du gouvernement allemand et de l’UE et concentrait plus de 50 % de ses activités à l’étranger. En lien étroit avec le parti vert allemand, elle s’occupe essentiellement de produire et de financer du contenu et des rapports à diffuser dans la presse et les sphères politiques, octroyer des bourses pour la recherche universitaire écologique ou encore rencontrer les élites françaises et soutenir la création de partis politiques comme EELV. Or, les contenus qu’elle propose vouent systématiquement aux gémonies les déchets nucléaires, les risques nucléaires ou l’obstination de l’État français et d’EDF dans le nucléaire ; et n’hésitent pas à aller jusqu’à la désinformation en stipulant que l’énergie nucléaire est polluante et manque de fiabilité[16]. Et ne manquent jamais de vanter les mérites de l’Energiewende allemande ou de l’avenir des ENR.

La fondation Rosa Luxembourg, si elle n’a pas d’antenne en France, s’attaque aux intérêts énergétiques français à l’étranger à commencer par l’extraction d’uranium. Elle participe par exemple à la publication d’un Atlas de l’uranium[17] en 2022, financé par le ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement allemand, et qui dénonce le néocolonialisme de la France au Niger et les dangers sanitaires de l’exploitation du minerai par Orano (ex-Areva). Comment ne pas y voir la main de Berlin qui cherche à miner la filière nucléaire française, imposer cette idée fausse dans les esprits de l’Hexagone que le nucléaire est néfaste pour l’environnement et soutenir sa propre industrie dans les ENR ?

Conclusion

Devant les ingérences allemandes contre l’indépendance énergétique française, un constat s’impose : les conflits d’intérêts et les antagonismes entre pays n’ont pas miraculeusement disparu en Europe après 1945.

N’en déplaise à un certain pacifisme idéaliste, la géopolitique reste le terrain des rapports de force entre les États, même dans l’Union européenne. « Les États n’ont pas d’amis », disait le général de Gaulle. Pourtant, l’Élysée ne cesse de brandir la bannière de « l’amitié franco-allemande » tandis que la page Wikipédia de cette expression n’existe pas en allemand, mais seulement en français, en esperanto et en suédois…


[1] Du rapport de 1980 publié par l’Okö Institut, un institut de recherche sur l’environnement, qui s’intitule « Energie-Wende : Growth and Prosperity Without Oil and Uranium ».

[2] C’est dans ce contexte que le chancelier Helmut Kohl impose la loi de tarif de rachat de 1991 qui impose aux entreprises de distribution d’acheter de l’électricité issue des énergies renouvelables à un tarif supérieur aux prix de marché.

[3] Coalition entre les socio-démocrates du SPD et les verts de Die Grünen.

[4] Loi Erneuerbare Energien Gesetz (EEG), promulguée en avril 2000.

[5] Loi sur l’énergie atomique, entrée en vigueur en 2002.

[6] Frédéric Lemaître, « La conversion d’Angela Merkel en faveur d’une sortie du nucléaire », Le Monde, 1er avril 2011.

[7] Jens Thurau, « Germany shuts down its last nuclear power stations », Deutsche Welle, 14 avril 2023.

[8] Inga Margrete Ydersbond, « Multi-level lobbying in the EU: The case of the Renewables Directive and the German energy industry», Fridtjof Nansen Institute, octobre 2012.

[9] Rapport de l’EGE de mai 2021, « J’attaque ! Comment l’Allemagne tente d’affaiblir durablement la France sur la question de l’énergie ? »

[10] Margot de Kerpoisson, « Blitzkrieg énergétique : l’Allemagne en campagne contre le nucléaire français », Conflits, 1er mai 2022.

[11] Voir le rapport de l’EGE daté de juin 2023, « Ingérence des fondations politiques allemandes & Sabotage de la filière nucléaire française ».

[12] Commission d’enquête du 13 décembre 2022.

[13] Tribune collective, Énergie : « Pour retrouver une électricité bon marché, il faut se défaire des exigences de Bruxelles », Le Figaro, 5 juin 2023.

[14] Charles Gave, « AREVA, ALSTOM, EDF, nous avons la meilleure fonction publique au monde », Institut des libertés, 30 janvier 2022.

[15] Rapport de l’EGE, « Rapport d’alerte – Ingérence des fondations politiques allemandes et sabotage de la filière nucléaire française », 22 juin 2023.

[16] https://www.greenpeace.fr/nucleaire-la-fable-de-la-fiabilite/

[17] https://rosaluxna.org/wp-content/uploads/2022/01/Uranatlas2022_franzosisch.pdf

Ecole: faut-il copier sur les Estoniens?

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Ecoliers estoniens, Tallinn, 2007 © TIMUR NISAMETDINOV/AP/SIPA

L’Estonie, membre de l’OCDE depuis 2010, n’a intégré le classement PISA qu’en 2006. Lors de la dernière enquête, réalisée en 2022, elle est apparue en tête du classement des pays européens pour toutes les compétences mesurées sur des élèves de 15 ans, à savoir les mathématiques, la culture scientifique et la compréhension de l’écrit, juste derrière le duo de pays asiatiques généralement en tête, le Japon et la Corée du Sud.


Un système scolaire souple et décentralisé…

Petit pays de plus de 1,3 million d’habitants et près de 150 000 élèves, au carrefour des influences scandinaves et slaves, l’Estonie a développé, depuis son indépendance de l’Union soviétique en 1991, un modèle éducatif original, décentralisé et axé sur l’autonomie des établissements scolaires. Symboliquement, le ministère de l’Éducation nationale n’est pas situé à Tallinn, la capitale, mais à Tartu, la deuxième ville du pays, illustrant ainsi la souplesse de la tutelle de l’État sur l’enseignement.

L’enseignement scolaire est gratuit et obligatoire de 7 à 16 ans en Estonie, mais l’éducation des plus jeunes commence dès l’âge d’un an dans les jardins d’enfants.

Concernant les méthodes d’enseignement, l’accent a été mis sur l’individualisation de la pédagogie des enseignants vis-à-vis des élèves et sa numérisation. Cette « approche holistique de l’apprentissage » se traduit par une attention particulière accordée au « développement global de l’élève, en prenant en compte ses dimensions intellectuelles, physiques, émotionnelles et sociales »[1].

Selon G.R, ancien professeur en Estonie et attaché de coopération pour le français en ambassade, « l’investissement massif dans l’éducation depuis les années quatre-vingt-dix a donné de bons résultats, notamment grâce au recrutement des professeurs à partir du niveau master, à l’intégration de l’enseignement des technologies de l’information et de la communication et à une pédagogie hybride assez libre et innovante, mais réalisée par des enseignants formés de manière traditionnelle à l’époque de l’URSS. »

La liberté pédagogique est également une réalité : « il n’y a pas d’obligations de moyens mais de résultats, le programme n’est qu’un cadre où le professeur peut piocher sans être obligé d’appliquer telle ou telle méthode, mais en devant faire atteindre à l’élève un certain niveau ».

L’école élémentaire est conçue pour être un lieu où l’élève est l’acteur de son propre apprentissage, développe sa capacité à prendre des initiatives, son esprit d’équipe et la coopération avec ses camarades dans une logique participative de la pédagogie.

Un virage digital de l’éducation a très tôt été entrepris par l’Estonie, également connue pour le haut degré de numérisation de son administration. Toutes les salles de classe sont équipées d’un tableau numérique ainsi que de tablettes ou d’ordinateurs portables, et les petits Estoniens apprennent à coder dès leur premier jour d’école, les connectant ainsi directement aux besoins du marché du travail.

Un système informatique, baptisé « eKool », permet aux élèves de consulter les documents pédagogiques, qui ont peu à peu remplacé les manuels scolaires classiques, et aux parents de communiquer avec les professeurs ou de suivre les résultats de leurs enfants.

En matière d’enseignement primaire et secondaire, la compétence revient aux provinces et aux municipalités, qui ont développé un système souple de contractualisation avec les établissements scolaires. Selon Stéphane Kessler[2], ceux-ci prennent 70 % des décisions concernant leur fonctionnement et sont notamment libres de fixer leur propre projet éducatif et la nature des cours dispensés.

Pour G.R, l’autonomie des établissements revêt une place importante dans le modèle éducatif estonien : « le directeur est maître de son navire, il reçoit une enveloppe financière lui permettant de recruter et de fixer la rémunération des enseignants ainsi que de mettre fin à leurs fonctions. Un modèle très éloigné du rigide système de barème et de points appliqué en France et qui permet de mettre en œuvre un réel contrat pédagogique entre l’école et l’enseignant ».

Notons également que les programmes scolaires sont établis par des commissions composées d’enseignants et d’experts, sous l’égide de Harno, l’agence de l’éducation, puis validés par le ministère. Il n’existe pas de corps d’inspection, même si les écoles peuvent être inspectées en cas de signalement par les parents d’élèves, par exemple.

Comme le révèle le tableau suivant, les dépenses éducatives par élèves sont sensiblement les mêmes dans le primaire en France et en Estonie (10 554 et 10 642$ par équivalent temps plein) et même moins importantes en Estonie s’agissant des élèves du secondaire (9134 $ par ETP contre 15 112 dans l’hexagone)[3] :


… qui place les élèves estoniens devant les élèves français dans tous les classements internationaux

  • Les résultats des élèves estoniens en mathématiques sont excellents, loin devant ceux des élèves français[4].

Alors que le score moyen de la France s’agissant des compétences mathématiques de ses élèves, 474 points, patine au niveau de la moyenne des pays de l’OCDE et demeure en baisse de 20 points depuis 2012, celui de l’Estonie culmine à 510 points, en tête des pays européen, comme le montre le graphique suivant[5] :


La chute du niveau en mathématiques est un phénomène observable dans presque tous les pays de l’OCDE, mais, mesurée par rapport à son niveau de 2012, elle est deux fois plus importante en France qu’en Estonie (-21,1 % contre – 10,5 %).

De plus, l’Estonie est le pays où l’égalité des chances est la plus importante, l’écart de compétences observé entre les élèves les plus socialement défavorisés et les plus favorisés atteignant 81 points, contre 112,5 points en France, qui a pourtant fait de l’égalité son cheval de bataille.

L’une des causes majeures de cet avantage de l’Estonie sur l’Hexagone est le climat scolaire plus apaisé et plus propice aux études observées sur les rivages de la Baltique. Ainsi, 49,7 % des répondants français déclarent qu’il y a « du bruit et de l’agitation » à chaque cours ou dans la plupart des cours de mathématiques, 41,2 % d’entre eux déclarant également que « les élèves ne commencent à travailler que bien après le début du cours » à chaque cours ou dans la plupart des cours de mathématiques.

Des chiffres bien supérieurs à ceux de l’Estonie, où seuls 23,5 % et 15 % des élèves font part d’un sentiment identique.

Le climat scolaire en Estonie, tel que le décrit G.R, semble être bien meilleur qu’en France : « dans l’ensemble, le professeur reste une figure respectée, les élèves sont là pour travailler, et quand ils ne le sont pas, ils ne tombent pas dans la contestation non plus. En somme, ils ont l’habitude de s’ennuyer en silence ».

Toujours selon G.R, « les bons résultats des élèves estoniens s’expliquent par le fait que personne ne conteste l’importance de l’école, encore vécue comme le principal vecteur d’ascension sociale par 75 % des Estoniens dans la société ».

  • Une tendance identique est observée pour les sciences et la compréhension de l’écrit[6].

S’agissant de la culture scientifique et de la compréhension de l’écrit, l’Estonie se place, ici encore, en troisième et quatrième position avec 526 et 511 points, derrière le Japon et la Corée du Sud, ainsi que l’Irlande uniquement pour la compréhension de l’écrit. Un résultat bien supérieur à ceux observés dans l’Hexagone, comme l’illustre le graphique suivant pour le volet compréhension de l’écrit :


Avec 487 et 476 points, la France continue à glisser sur la pente du décrochage scolaire, qui menace d’ailleurs également la majeure partie des membres de l’OCDE, son score se réduisant de 5,7 % en culture scientifique et de 18,7 % en compréhension de l’écrit par rapport aux dernières évaluations PISA de 2018.

Le modèle éducatif estonien se caractérise donc principalement par une grande souplesse de fonctionnement, une véritable autonomie des établissements, une pédagogie mêlant avec succès les méthodes traditionnelles et l’innovation, ainsi qu’une véritable valorisation du rôle du professeur, le tout pour une dépense publique dans la moyenne des pays de l’OCDE.

Pourtant l’investissement par élève y est inférieur à celui de la France : es chiffres de l’OCDE montre pour 2024 une dépense équivalente pour le primaire : 10 642 $ par élève pour en Estonie (versus 10554 pour la France). L’écart est important pour le secondaire, 9314 $ par élève en Estonie versus 15 112 $ pour la France, et le tertiaire, 18 967 $ en Estonie contre 20 458 $ pour la France.

L’encadrement est pourtant supérieur en Estonie : en 2022, le pays comptait une moyenne de 12,1 enfants par classe en primaire contre 18,2 pour la France, et 17,1 par classe au collège contre 25,6 en France. L’écart se creuse même au lycée !

Force est de constater que la souplesse et la proximité de l’organisation des personnels permet une meilleure utilisation des ressources pour le bien-être des élèves !

Il est donc une source d’inspiration pour engager des réformes allant dans le sens de la libération des énergies dans notre propre système scolaire, avec davantage d’autonomie pour les établissements, notamment la liberté de nommer et révoquer les enseignants par le directeur, la suppression du système centralisé des rectorats, le retour de la discipline et la fin du collège unique.


[1] « L’éducation en Estonie : une approche holistique de l’apprentissage », L’Europe INFO, 20 novembre 2023.

[2] Stéphane Kessler, « Estonie : les secrets d’une nouvelle Finlande », Les cahiers pédagogiques, N°548, novembre 2018.

[3] OCDE, « financements de l’éducation », https://www.oecd.org/fr/topics/policy-issues/education-financing.html (consulté le 29 octobre 2024).

[4] Vincent Bernigole et.al, « PISA 2022 : la France ne fait pas exception à la baisse généralisée des performances en culture mathématique dans l’OCDE », Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance, Ministère de l’Éducation nationale, Note d’information n° 23.48, décembre 2023.

[5] La largeur des rectangles représente l’intervalle de confiance autour de la moyenne qui correspond à l’erreur d’échantillonnage

[6] Anaïs Bret et.al, « PISA 2022 : culture scientifique, compréhension de l’écrit et vie de l’élève », Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance, Ministère de l’Éducation nationale, Note d’information n° 23.49, décembre 2023.

Réactionnaire, pas conservateur!

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Portrait de Sylvain Tesson en juin 2015 Photo: Hannah ASSOULINE

Au détour d’un commentaire et de réflexions sur la restauration de Notre-Dame de Paris, le qualificatif « réactionnaire » semble être devenu un gros mot dans la bouche de l’écrivain Sylvain Tesson…


Ce sujet me passionne et j’admets l’avoir déjà traité. Mais l’actualité est riche et des intelligences stimulantes existent qui permettent sans cesse de reconsidérer ce qu’on pense pour le contredire, le compléter ou l’approfondir.

Quand je lis, de la part de Sylvain Tesson : « Être conservateur pour s’épargner d’être réac » dans le Point, où par ailleurs il fait de brillantes variations dans une rubrique « Poésie et mouvement », je suis naturellement conduit à m’interroger. Même si j’ai toujours préféré me qualifier de réactionnaire plus que de conservateur. Il est évident que Sylvain Tesson n’est pas quelqu’un dont on puisse négliger l’incidence sur son propre esprit : il bouscule forcément le confort de certaines idées. Pourtant je persiste dans ma conviction personnelle.

Définitions

Certes je n’ai pas envie – et ne serais pas capable – de développer les différences fortes qui opposent, sur le plan de la philosophie politique, l’état de réactionnaire à celui de conservateur. Mais depuis que je suis en position de m’intéresser à ces définitions dont chacun a besoin pour savoir où il est et quelle place il occupe dans l’immense champ des idées, je me suis senti viscéralement, presque physiquement, réactionnaire, avant que j’aie tenté de théoriser les motifs de cette option fondamentale.

Même si au sens large la pensée conservatrice ne m’est pas étrangère avec ses principes et ses valeurs essentiels, cela n’est jamais allé jusqu’à faire surgir en moi la conscience d’être conservateur, qui à tort ou à raison renvoie, selon moi, une image de fixité, une légitimité de l’étant, un culte de ce qui demeure, une validation de ce qui est. Comme s’il était hors de question de prendre à cœur l’intense et désordonnée rumeur du monde et de la vie, la multitude des relations humaines, des antagonismes, des fraternités, pour en tirer des conclusions contrastées. Le conservateur est lové au chaud dans l’immobile. Il y a chez lui comme une indifférence noble.

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Le réactionnaire, au contraire, est volonté, changement, révolte, nostalgie, espérance, dénonciation et action. D’abord il réagit. Rien de ce qui est humain, rien de ce qui est politique et social ne lui est étranger ! Il est aux aguets, en vigilance, en surveillance, en désir. Il est mobilité lui-même. Il ne peut pas demeurer en lisière, en surface. Il entre dans la mêlée. Il ne se comporte pas comme un sage qui aurait forcément raison puisqu’il saurait changer « ses désirs plus que l’ordre du monde ». Il ne prend pas les choses, les êtres, l’univers comme ils sont.

Le goût des opinions contraires

Et, à partir de ces dispositions qui ne le font pas accepter sans frémir les injustices et les inégalités d’aujourd’hui, les misères et les richesses, les délitements collectifs, les faillites et les décadences singulières, qui le conduisent à regretter non pas le passé lui-même mais tout ce qu’il charriait de meilleur, il se bat. Il est persuadé que dans le présent imparfait on peut faire revenir, à force de lucidité et de courage, les forces du passé dans ce qu’elles ont eu d’exemplaire. Le réactionnaire ne pleure pas sur hier. Il l’analyse et est convaincu qu’une part de lui est prête à vivifier aujourd’hui. Le délitement des institutions, des services publics, de l’art de vivre, de l’urbanité n’est pas fatal puisqu’ils ont dégradé leur excellence d’avant. Le réactionnaire hait le fil du temps qui sert de prétexte à l’impuissance créatrice ou à la restauration volontariste.

Autre chose me paraît distinguer, par rapport à ma conception intellectuelle et médiatique, le réactionnaire du conservateur. Il me semble que le réactionnaire est beaucoup plus ouvert à l’imprévisibilité des opinions et qu’il ne répugne pas à s’enrichir parfois d’idées « appartenant » à la gauche et d’aperçus qui ne seraient peut-être pas accueillis favorablement par le conservateur. Pour le réactionnaire dont le profil est beaucoup moins homogène que celui, classique et stable, du conservateur, non seulement il n’y a aucun refus de la pensée adverse mais il la cultive volontiers, obsédé qu’il est par l’exigence de plénitude. Le réactionnaire n’a pas peur de s’aventurer dans des territoires qui ne lui sont pas immédiatement ouverts et accessibles. Il va vers l’inconnu quand le conservateur le fuit.

Le réactionnaire n’est pas friand des frontières, des ostracismes politiques. Il est parfois même prêt, par détestation d’être enfermé en lui-même, à se quitter pour humer un air nouveau.

Définitivement, mais modestement, je m’éloigne de la vision de Sylvain Tesson sur ce plan. Être réactionnaire pour s’épargner d’être conservateur ! On n’échappe pas à ce qu’on est.