Un musée du football devrait ouvrir ses portes à l’été 2025 à Jœuf (54). Mais, le projet qui devait à la base être une célébration du football ouvrier et populaire s’est transformé en une vitrine du multiculturalisme heureux.
Michel Platini, maître à jouer de l’équipe de France de football dans les années 1980, est un Lorrain, né en 1955 à Joeuf, petite ville de Meurthe-et-Moselle qui durant les Trente Glorieuses battait le fer de la sidérurgie quand il était encore chaud.
Pour lui rendre hommage, la municipalité a en 2018 imaginé un musée Platini, plus largement dédié au football populaire et ouvrier, fruit de l’immigration italienne qui au temps des hauts-fourneaux animait les usines et les terrains de foot lorrains… Certains ont alors remarqué que dans la région l’immigration polonaise avait également fourni sa vague d’ouvriers et de joueurs talentueux, et il a été décidé d’associer au nom de Michel Platini celui du grand footballeur Raymond Kopa, de son vrai nom Kopaszewski, bien qu’il ne fût pas lorrain mais né dans le Pas-de-Calais.
Mais dans la France multiculturelle, ce parrainage italo-polonais ne suffit pas. À l’affiche aux côtés de Platini et Kopa, Zinedine Zidane, bien que natif de Marseille, aura sa place au musée… Ce n’est pas tout. Et comme personne ne doit manquer à la fête, une nouvelle recrue a été annoncée, pour ce musée dont l’ouverture est repoussée d’année en année : Kylian Mbappé, fils d’un immigré camerounais et enfant gâté du football-business, est donc convoqué pour honorer la mémoire du football ouvrier ! Pour que le musée Platini finisse par devenir la vitrine du multi-culti heureux, il ne manque qu’un joueur d’origine asiatique, mais le foot français n’a pas ça en magasin.
Le projet aurait pu connaître un sacré baptême. Le diocèse de Nancy a mis en vente l’église Notre-Dame-de-Franchepré, offerte en 1910 à la paroisse de Joeuf par le maître des forges François de Wendel. Michel Platini y a été enfant de chœur. Un moment a circulé l’idée que l’édifice religieux (aujourd’hui désacralisé) pourrait servir d’écrin au musée. Mais la ville a renoncé. Officiellement le parking est trop petit… Officieusement il ne fallait pas froisser les bouffeurs de curés.
André Le Letty est passé par les meilleures maisons, de Bretagne et de Paris, et a fait plusieurs fois le tour du monde aux commandes des cuisines de luxueux navires. Puis il est devenu citoyen de Montmartre et y a ouvert son restaurant. Il perpétue son savoir-faire au Bistrot du Maquis, à des prix de bistrot !
C’est un restaurant simple et délicieux qu’aurait aimé le commissaire Maigret, lui qui allait déjeuner à Montmartre avec sa femme : Le Bistrot du Maquis, rue Caulaincourt. De quel maquis s’agit-il ? Probablement celui de la butte, quand celle-ci était encore un fouillis de champs, de chemins et de jardins. En flânant dans le quartier, on est saisi par le nombre et la diversité des petits commerces tapis à l’ombre des marronniers centenaires : fromagers, charcutiers, bouchers, cavistes, fleuristes, libraires, tapissiers, cordonniers, torréfacteurs… Un vrai village dans la ville ! Le grand historien de Paris et professeur au Collège de France, Louis Chevalier, avait, en 1980, consacré à Montmartre un petit chef-d’œuvre qu’il faut relire aujourd’hui, Montmartre du plaisir et du crime, tant il nous éclaire sur la façon dont ce quartier, né sous le Second Empire, à la jonction des prolos de l’Est et des bourgeois de l’Ouest, s’est, avec le temps, forgé une identité qui lui a permis de mieux résister à L’Assassinat de Paris : titre de l’autre grand livre de l’historien, paru en 1977, véritable J’accuse dans lequel le triptyque de Gaulle-Malraux-Pompidou est passé au laminoir. Chevalier leur reproche de n’avoir rien compris à l’histoire de Paris et d’avoir abandonné « l’irremplaçable beauté de la ville » à la voracité des promoteurs immobiliers.
Dans cette cour des Miracles qu’était Montmartre, les personnages bizarres étaient si nombreux qu’on finissait par ne plus les remarquer : Toulouse-Lautrec, La Goulue, Céline et son chat Bébert…
En entrant dans ce restaurant, donc, c’est un peu du Montmartre d’autrefois que l’on respire. Son chef-patron, André Le Letty, est un personnage à la Marcel Aymé, timide et gentil. Né en Bretagne en 1959 à Pont-l’Abbé, ce fils de paysans a été mis aux fourneaux dès l’âge de 12 ans pour préparer les repas de toute la famille. Il est ensuite parti faire son apprentissage dans les meilleurs hôtels-restaurants du Guilvinec (capitale de la langoustine) avant d’aller se durcir le cuir à Paris chez Ledoyen, Prunier, Taillevent, La Tour d’Argent… « C’est dans ces maisons que j’ai appris l’art de recevoir à la française, auprès de directeurs qui étaient de vrais hommes de théâtre, comme messieurs Vrinat et Terrail. » Dans son joli restaurant aux murs ornés de vieilles faïences de Quimper, on sent les effluves du velouté de potiron à la saucisse, du maquereau à l’escabèche, de la joue de bœuf braisée à la citronnelle, de la pomme cuite au calvados.
La joue de bœuf braisée aux carottes
Longtemps chef cuisinier sur des bateaux de croisière de luxe de 1 200 passagers reliant les Caraïbes à l’océan Indien, « Dédé » décide un jour de poser ses valises ici, à Montmartre, comme on accosterait dans un port au ciel clément : « Il y a une identité montmartroise, un esprit de village. Tout le monde se connaît et se dit bonjour… La tradition ici est d’ouvrir les restaurants le dimanche, midi et soir. J’ai une vraie clientèle d’habitués qui viennent chez moi en famille. »
On vient y déguster son fameux « canard au sang » (exactement le même que celui de La Tour d’Argent) ou, plus rare encore, son exceptionnelle « roulade de lapin au basilic » qu’aimait tant Jean Gabin, lui aussi natif de Montmartre. « C’est la même recette que le lièvre à la royale. Je prends les abats du lapin et je compose une petite farce avec des herbes et une duxelles de champignons. Le lapin est roulé et poché entier dans un bouillon de carcasses bien aromatisé au thym. Désosser, mariner, farcir, cuire au bouillon, envelopper le lapin dans un torchon : il faut trois jours de travail, c’est ça la vraie cuisine française… Le lièvre est sauvage, sa viande est rouge et puissante, le lapin, lui, est une viande blanche et douce. Mais avec le foie et les abats, il gagne en caractère et se rapproche du lièvre. »
Une merveille !
Son autre spécialité est le rognon de veau. Que ma mère me pardonne, elle qui avait les abats en horreur ! Dans sa première édition de 1938, le Larousse gastronomique consacre plusieurs pages à la cuisine des abats, preuve qu’ils étaient très populaires à l’époque (il y avait encore des « triperies » aux Halles). Aujourd’hui, ils sont un peu tombés en désuétude. « Les clients viennent chez moi pour ce plat, qui est aussi un plat typiquement montmartrois, du temps où les bouchers de Montmartre, très réputés, n’avaient pas encore été exilés à La Villette. Un bon rognon doit être croûté sur le dessus, moelleux au milieu et de couleur rosée. Je le saisis d’abord à la plancha, puis je le repose sur une plaque grillagée pour faire ressortir le jus. Je le repasse au four pour le rôtir un peu. La sauce est à base d’oignons et d’échalotes légèrement colorés et déglacés au vin blanc, auxquels j’incorpore un fond de veau, de la moutarde forte et de la crème double. Je cuis vingt-cinq minutes, je mixe, je passe au chinois, et j’ajoute de la moutarde à l’ancienne… Beurrés au dernier moment, les rognons sont servis sur un lit de chou en petites lamelles avec des lardons à l’étouffée. » Accompagnés d’un vin rouge léger, Chénas ou Moulin-à-Vent, on est dans la finesse pure.
Loin d’être surannée, cette cuisine charme par sa délicatesse, son équilibre, sa fraîcheur, son harmonie. André ne va pas non plus s’approvisionner chez Metro (comme le font beaucoup de « grands chefs ») : qu’il s’agisse du canard de Challans, des langoustines du Guilvinec ou des tomates de plein champ, il n’achète que les plus beaux produits qu’il sait négocier au bon prix et au bon moment, ce qui explique le succès de sa formule entrée-plat-dessert à 45 euros. Je dis cela, ayant été traumatisé, il y a peu, par un déjeuner fait dans un « bistrot » célèbre du 7e arrondissement (autrefois c’était une cantine pour journalistes) où les plats sont désormais vendus à 40 euros, l’entrée à 20, le dessert à 15, le verre de vin à 15… Faites le calcul.
Vas-y « Dédé », t’es l’meilleur !
Le Bistrot du Maquis
69, rue Caulaincourt, Paris 18e, www.bistrotdumaquis.com
À contre-courant des logiques consuméristes et de la sacralisation du vigneron-paysan, Jean Le Gall, Jean-Luc Schilling et Jean-Paul Kauffmann prennent la défense des vins de Bordeaux dans un essai décomplexé aux éditions le cherche midi. Ils disent stop au Bordeaux bashing et merde aux dealers de fake news !
Comme les Trois Mousquetaires, ils s’y sont mis à quatre, sous la direction d’Isabelle de Cussac, pour remettre l’église au milieu du village. Le Bordeaux traîne une mauvaise réputation depuis vingt ans. Il est blacklisté de certaines cartes car il serait trop viriliste, outrageusement boisé, porteur d’une Histoire sombre, fruit de manipulations chimiques et, pour couronner le tout, à la botte des courtiers et d’un critique appelé Monsieur Parker, ex-avocat de Baltimore ; en résumé, de droite, donc ataviquement suspect. Le produit chimiquement pur de l’alliance incestueuse entre le capitalisme-vigneron et la mondialisation tonnelière.
Infamie !
Le Bordeaux a le dos large pour supporter tant d’infamie. On lui reproche sa réussite, ses succès à l’export et parfois, la morgue de ses propriétaires-châtelains qui roulent en Bentley Continental sur des allées gravillonnées alors que d’autres millionnaires du vin, plus à l’Est, font leur tournée démagogique en Citroën C15. Aujourd’hui, des restaurants et bistrots à la mode le snobent, lui préférant des breuvages à l’équilibre douteux et au picotement lancinant dans le palais, la même sensation désagréable en bouche que lorsqu’on lit certains romans intimistes de la rentrée littéraire. Des amateurs réunis en cellules le déconsidèrent par idéologie moutonnière et cet esprit rebelle chaptalisé qui produit les grands enfumages. Pour les militants de la cause « Tout sauf du Bordeaux », le roi d’Aquitaine et sa soixantaine d’appellations sont à bannir des tables. Cette cabale médiatique et cette curée identitaire ressemblent au traitement qu’a subi la campagne de Trump par nos journaux « éclairés ». On l’aura compris, à la fois bouc-émissaire d’un marché à la recherche de nouveaux horizons et victime de son magistère moral sur une profession envieuse, le Bordeaux n’a plus tellement de défenseurs dans notre pays.
On le boit en cachette. Ne surtout pas fanfaronner avec un verre de Bordeaux à une tablée progressiste, au risque d’être excommunié sur le champ. À vrai dire, j’étais très éloigné de ces polémiques, je regardais s’agiter les suffragettes des vins naturels face aux vieilles maisons et leurs façades à l’architecture néo-classique avec un désintérêt courtois. Dans cette lutte qui m’était étrangère, je demeurais fidèle à mes terres centrales, et l’ardent promoteur du Sancerre, du Pouilly-fumé et du Menetou-Salon. Berrichon de naissance, ligérien de cœur, ma consommation ne s’aventurait jamais au-delà de mes limites départementales. Entre Cher et Nièvre, entre chien et loup. En écriture comme en vin, je reste un localier.
Mais l’arrivée de En défense des vins deBordeaux en librairie m’a enchanté par sa forme joyeuse et m’a redonné soif. On dit les Bordelais taiseux, reclus dans le secret de leur chai et le molletonné de leur compte en banque. J’ai trouvé, au contraire, leurs trois hussards, pleins de verve, d’humour et d’ironie canaille. Ils ne sont pas payés par un quelconque syndicat pour vanter le Bordeaux, leur plume ne ment pas. On sent leur sincérité et leur insoumission à chaque ligne. Le romancier Jean Le Gall débute son plaidoyer pro-Bordeaux par des scènes de ville (tordantes de vérité) où la cuistrerie des sommeliers activistes et la bêtise méta-contemporaine font des ravages sur les bonnes consciences. Pour un Basque d’adoption, le but de Le Gall est rabelaisien : « Cependant, je forme un vœu, et celui-ci est d’une simplicité qui n’a rien d’une modestie : vous faire ouvrir une bouteille de Bordeaux. Je sais, le chemin s’annonce long du projet à la chose ».
Ton rieur et belle odyssée
Le ton est rieur et le contenu fort documenté, son argumentaire séduit le néophyte que je suis. Il dégonfle la baudruche « Mondovino », le film de Nossiter qui fit tant de mal au Bordeaux. Pièce par pièce, bouchon après bouchon, il démonte les approximations et les raccourcis d’une opération de manipulation (de masse). « Vingt années ont passé depuis la sortie de ce documentaire, qui aura non seulement embobiné la sphère culturelle, fasciné les consommateurs, mais surtout catéchisé une nouvelle génération », écrit-il. C’est joliment balancé. Selon l’écrivain, le Bordeaux a été « la première victime d’un mouvement promouvant les intentions vertueuses ET la police de ces vertus ». Jean Le Gall est un moraliste hors-pair, millésimé grand cru. Jean-Luc Schilling prolonge le propos de son camarade par une étude détaillée qui a une véritable vocation pédagogique. Il nous fait aimer et découvrir la complexité du, plutôt des Bordeaux, et son immersion dans ce terroir star est une belle odyssée. Il raconte la genèse, la topographie et le contexte économique comme personne en 175 pages.
On le suit comme dans un polar et on comprend ce qu’il écrit. Et l’ouvrage se termine par un entretien avec Jean-Paul Kauffmann qui finit de nous convaincre. Le Bordeaux est l’expression d’un style à la française, hautement respectable et recommandable. « Le goût évolue, mais le patrimoine Bordeaux demeure. […] Un style qui se retranche derrière l’idée de retenue, du sens des proportions, d’absence d’exagération » souligne-t-il. Kauffmann parle même d’un vin « qui a du tact ». Et si la retenue revenait à la mode.
En défense des vins de Bordeaux – Jean-Luc Schilling, Jean Le Gall, Jean-Paul Kauffmann sous la direction d’Isabelle de Cussac – Le cherche midi. 320 pages
Le roman est cette forme littéraire qui intègre tous les genres déjà existants. Moby Dick de Melville en est le meilleur exemple, et Milan Kundera restera comme l’écrivain qui aura de nos jours peut-être le mieux théorisé cette richesse multiforme de l’art d’écrire. Il demeure qu’il n’est pas toujours aisé, pour un romancier, de faire trop culturel, c’est-à-dire de se servir de la prose de ses devanciers pour parler de soi. Dans un tel cas, on est toujours redevable de quelque chose, dont il faut un jour plus ou moins s’acquitter. Le lecteur est dans son bon droit lorsqu’il demande à l’auteur : « Et vous, qu’apportez-vous de neuf ? Y avez-vous mis du vôtre ? » Il est très délicat de répéter ce qui existe déjà. Le philosophe Kierkegaard l’avait bien montré, dans son livre essentiel La Reprise.
Des lettres inédites de Faulkner
En même temps, c’est une problématique passionnante, qui est justement au centre du nouveau livre de l’écrivain espagnol Jacobo Bergareche, Les Jours parfaits. Le personnage principal de ce roman est un journaliste pris entre sa femme légitime et sa maîtresse. Pour essayer de mettre les choses au clair, surtout avec lui-même, il leur écrit à chacune une longue lettre. Parti en reportage à Austin (Texas), il en profite pour se rendre dans la bibliothèque universitaire du Harry Ransom Center. Il y dégote par hasard des lettres d’amour encore inédites de Faulkner. Il passe des heures à les déchiffrer, et à méditer sur elles. Non qu’il soit, à l’origine, un fervent lecteur des romans de Faulkner, mais il tombe sous le charme de cette prose épistolaire, dans laquelle il retrouve tout ce qu’il vit. Il écrit ainsi à Camila, sa maîtresse, à propos d’une missive de Faulkner : « Quand je relis cette lettre si privée et si étrangère, si loin dans le temps, j’ai l’impression qu’elle a été écrite pour que je te l’envoie à toi… » De même, s’adressant cette fois à sa femme légitime et évoquant un autre morceau, il note : « Si tu y réfléchis, on pourrait même dire que c’est toi, la destinataire finale de cette lettre de Faulkner que je vais te montrer, que j’ai extraite des caves des archives pour t’en livrer la transcription. » Tous ces passages des Jours parfaits, dans lesquels les phrases retrouvées de Faulkner sont disséquées longuement, ressemblent alors plus à un travail d’analyse textuelle, faisant se chevaucher deux genres différents et apparemment antinomiques, l’essai et le roman. Le lecteur, s’il accepte de jouer le jeu, peut lui-même se mettre en miroir, afin d’utiliser ce procédé à son profit, et comprendre, à travers les émotions d’un autre, sa propre vie.
Le romancier américain William Faulkner en 1954. DR.
Mentir sur sa vie
Le « héros » bigame de Bergareche souffre de devoir mentir. Son existence relativement précaire d’intellectuel ne dissimule pas ses difficultés et ses manques. Il est peu satisfait de sa situation, à vrai dire, ayant été à l’origine habité par d’autres ambitions : « Un jour, dans ma vie, j’aurais voulu avoir été poète. J’ai manqué de courage, de persévérance, et probablement de talent ‒ si tant est que le talent soit autre chose qu’un mélange de courage et de persévérance. » Il n’hésite pas à faire état de ses déceptions, principalement auprès de sa maîtresse, sûr de recueillir ensuite d’elle une pleine compréhension. Il lui fait même partager sa morale fataliste : « Les amants, lui écrit-il, sont unis jusqu’à ce que la peur, la culpabilité, la raison, la menace ou la convenance les séparent… » On ne sait pas ce que sa partenaire pense vraiment de telles constatations, et c’est d’ailleurs dommage. Elle n’écrit pas de lettre, elle. Les Jours parfaits est de fait le monologue d’un homme qui interpelle deux femmes, mais ne leur donne jamais la parole. Elles n’existent qu’en creux, pourrait-on dire, alors qu’elles jouent un rôle crucial.
Déclaration d’amour
Le narrateur a l’air de penser que sa femme et, surtout, sa maîtresse existent exclusivement pour le racheter de sa vie médiocre. À sa maîtresse, du reste, le lie une sorte de contrat d’adultère, sans doute peu équitable. Il lui écrit par exemple : « Je te le répète : nous avons conclu un bon accord, Camila, quatre jours par an. » Il n’est donc pas prêt à lui accorder davantage d’amour. Pour sa femme légitime, c’est un peu différent. Le livre se clôt sur la lettre qu’il lui écrit. Il utilise toujours les lettres de Faulkner, mais dans le but de se rapprocher d’elle, au détriment de l’autre. Dans la première partie du roman, on pouvait croire que le personnage de Bergareche se livrait, en décrivant cette relation extraconjugale, à une apologie de l’adultère bien compris. Et puis, dans la deuxième moitié du roman, quand il s’adresse finalement à sa femme, et qu’il lui exprime, via Faulkner, son attachement, on est en mesure de se dire qu’il retrouve le « droit chemin ». Les Jours parfaits prendalors la forme d’une déclaration d’amour à l’épouse légitime. Le mari volage comprend que c’est elle qu’il aime. On se demande toujours à quoi sert la littérature, la grande littérature, comme celle de Faulkner. Ici, nous est offert une possible réponse : à retrouver l’équilibre et la joie de la sensation vraie, pour utiliser la formule de Peter Handke.
Les Jours parfaits, de Jacobo Bergareche. Traduit de l’espagnol par Maïra Muchnik. Éd. Actes Sud. 154 pages.
En nous proposant de faire un point général sur ses lectures, Thomas A. Ravier prouve qu’il a le sens de la formule.
Comme le dit le poète d’origine arménienne Armen Lubin, « le siècle était devenu un champ de tir ». Le wokisme a déployé, dans l’indifférence coupable, ses soldats universitaires anglo-saxons. Les collabos zélés, agents médiatiques et culturels, Éducation nationale, publicitaires, politiciens en mal d’électeurs, ont favorisé cette extension spectaculaire, en particulier en France où la collaboration est un sport national. La littérature n’échappe pas au grand effacement. On réécrit les ouvrages célèbres, on condamne les stylistes de l’absolu, on purge les bibliothèques, on sectionne les surgeons sauvages, bref on oblitère la mémoire spirituelle du pays. Thomas A. Ravier refuse de crever ; alors il nous offre une bombe portative dévastatrice contre les fonctionnaires du wokisme. Je lisais, ne vous déplaise, est un ouvrage d’une grande érudition, servi par une rigueur intellectuelle qui, hélas, devient de plus en plus rare. Son secret : Ravier lit, et il lit en osant des comparaisons qui rendent son analyse novatrice.
De quoi oublier la rentrée littéraire…
Ainsi revisite-t-il les ouvrages de Colette, sa préférée, Montaigne, Shakespeare, Bossuet, Bernanos, Proust, Artaud, Genet, Céline (chapitre grinçant), Faulkner (chapitre détonnant), ou encore Sollers (chapitre endiablé). De quoi oublier les contemporains surévalués par la société marchande ainsi que les premiers de la classe, pieds et poings liés au système idéologique dominant. Quant aux féministes de choc, Thomas Ravier leur réserve un traitement particulier. La guerre des sexes, dénoncée par Paul Morand (autre écrivain subtilement analysé par l’auteur) dans Champions du monde (1930), est le fil rouge de ce recueil d’articles de haute volée. Avec Faulkner, il passe à l’attaque frontale. Déjà il faut un courage certain pour citer l’auteur du Bruit et de la Fureur, pas encore « cancelisé », alors qu’il ose affirmer « être né mâle et célibataire ». Ravier exhume quelques croustillantes citations. Exemple : « La guerre est le seul cas où un homme qui n’est pas une canaille peut échapper un moment à ses parents de sexe féminin. » Ou encore : « Ce magasin à munitions qu’est un bassin de femmes. » Et encore, dans Absalon, Absalon ! : « Les mères, pour peu qu’elles le veuillent, peuvent presque jouer le rôle de la mariée aux noces de leur fille. » Les dévotes du nouvel ordre féministe vont sûrement s’étrangler. Ravier, dans les pas du sudiste Faulkner, pousse la provocation : « Ce n’est pas dans le désir de la femme qu’est le péché, c’est dans son absence de désir. » Indignation générale. Selon la méthode Ravier, née de ses incalculables heures de lecture, répétons-le, l’écrivain crée une passerelle entre Faulkner et Shakespeare. « Qu’est-ce que reprochait, non sans puritanisme mais non sans humour, écrit Ravier, Hamlet à Ophélie dans une scène qui donnera son titre à Requiem pour une nonne ? De transformer son visage alors qu’il s’agit d’un don de Dieu. » Et Ravier de conclure : « En somme, d’en appeler, par principe, au salut de la technique. La femme prouvera un jour à l’humanité que l’être humain n’est pas la clôture des merveilles de Dieu. »
Philippe Sollers fut l’éditeur de Thomas A. Ravier. Ce dernier connaît parfaitement l’œuvre de l’auteur de Femmes (1983) et du Portrait du joueur (1985). Il considère, en y ajoutant Paradis, que ce sont ses meilleurs livres. C’est que Sollers n’a pas hésité, l’impudent, à révéler l’insupportable vérité. Jugez plutôt : « Le monde appartient aux femmes. C’est-à-dire à la mort. » Impossible à écrire aujourd’hui. Le pouvoir haineux des néo-dévotes est devenu trop puissant. Ravier, sniper impitoyable, ajoute : « Femmes, c’est, on le sait, la traversée de l’enfer matriciel. » L’analyse des ouvrages de Sollers ne manque pas de cruauté. Elle est en deux temps. D’abord, la révolution sollersienne qui fait sauter les digues ; ensuite, « l’effondrement » de l’écrivain, qu’il date de 2005, avec la parution d’Une vie divine, roman consacré à Nietzsche, l’homme de l’effondrement turinois. Ravier souligne la force de Lois (1972, période féconde) du même Sollers. Ne trouve-t-on pas dans ce livre méconnu la phrase suivante : « (…) les femmes se branlent fondamentalement à partir des morts, leur salive est donc plus acide, les aisselles, l’aine, concentrent tout leur pouvoir. » Les écrivains devraient davantage se méfier de leur future veuve.
Le sens de la formule
Ravier a le sens de la formule. À propos de Philippe Muray : « c’est Sollers sans l’île de Ré et ses oiseaux ». Duras n’est pas épargnée. Exemple : « Une fois qu’on l’a créditée de l’invention du sitcom métaphysique (Les petits chevaux de Tarquinia), que sauver du style de Duras, en dehors d’un bêtisier prétentieux ? » Quant à Houellebecq, il le résume ainsi : « Pour (lui), le roman, c’est un miroir Monoprix qu’on promène le long d’une autoroute… Le XIXᵉ siècle est passé par là, la révolution industrielle a fait de la corruption de la nature son salut, le fardeau de la beauté est de plus en plus lourd à porter. » Michel Onfray a droit également à son coup de griffe : « Le style d’Onfray ? Un style de traitement de texte. Tintamarre de tant de cervelles philosophiques ! » Il souligne, entre autres, l’inanité de ses commentaires sur Montaigne. C’est pour cela que Ravier préfère patrouiller sur les chemins parfumés de Colette, « la prédatrice ». Il vaut mieux être aimé des fées que des sorcières.
Reste le cas Céline. Le prophète de Meudon, le maudit médecin de banlieue, le persécuté de l’univers, et même au-delà… Ravier, en dressant le bilan de son œuvre, rappelle la ligne de démarcation entre les « amis de la mort », spectres dansant dans les catacombes de la pensée occidentale, et les « rares météores verbaux », les suppliciés du Spectacle, dont le premier de la liste se nomme Céline, lequel se qualifie lui-même de « génocide platonique ». Dans la lignée de Georges Bataille, Ravier rappelle également aux « champions figés du bien » que la littérature est « une expérience animée du mal ». Le premier roman de Céline, Voyage au bout de la nuit souligne, de manière définitive et noire, quasi shakespearienne, que la vie est absurde, absurde parce que la mort est la seule vérité. Et c’est un médecin hygiéniste qui l’écrit. Mais il y a les pamphlets antisémites de l’homme qui entendait passer des trains dans sa tête et qui espérait les voir dérailler. Pourquoi s’en prendre au peuple du Livre ? Ravier tente une explication qui n’excuse pas : « S’il s’en est pris avec tant de violence aux Juifs, est-ce que ce ne fut pas pour leur faire payer de l’avoir précédé dans le dévoilement du monde ? » Il ajoute : « Pour punir le Judaïsme d’avoir fixé par avance dans son Livre le déluge moderne à travers un catalogue au regard duquel le XXᵉ siècle et son déchainement de feu relève d’un malencontreux plagiat ? Avoir le dernier mot sur la Bible et sur ses prophètes ? Folie totale ! » Folie fatale, surtout, au moment où le diable réapparaissait en Pologne et ordonnait qu’on brûlât les enfants du peuple du Livre – comme il vient de faire irruption à Amsterdam.
Après avoir refermé (provisoirement) Je lisais, ne vous déplaise, on se dit que la guerre du goût déclarée par Philippe Sollers n’est peut-être pas totalement perdue. Ils veillent et nous parlent, ceux que Sollers, encore lui, nomme « les voyageurs du temps ». Encore faut-il avoir l’audace d’ouvrir leurs livres pour échapper à l’enfermement imposé par la société matérialiste ; encore faut-il entendre leurs voix singulières brouillées par le brouhaha nihiliste – oh, la voix de Malraux lors de la panthéonisation des cendres de Jean Moulin – ; encore faut-il avoir la curiosité de franchir les murs de plus en plus épais de nos écrans tactiles. Or, ce que l’on devrait toucher, c’est le corps de l’écrivain, sa peau, toujours sur le qui-vive. Comme l’a écrit Colette, citée par Thomas A. Ravier : « Quand mon corps pense, alors tout le reste se tait (…) À ce moment-là, toute ma peau a une âme. »
Thomas A Ravier, Je lisais, ne vous déplaise, Tinbad essai.
Je croyais avoir tout entendu de Sandrine Rousseau, mais elle arrive toujours à me surprendre. Le jeudi 26 septembre dernier, réagissant sur France Inter au meurtre de Philippine, l’élue écologiste explique que si on pense qu’un étranger sous OQTF devrait quitter notre sol, c’est qu’on n’est pas féministe. Vous ne comprenez pas ? Je recommence : prenez l’assassin de Philippine, déjà condamné en France pour viol. Il aurait dû être renvoyé dans son pays d’origine, le Maroc. Mais pour Sandrine Rousseau, ce n’est pas si simple. Écoutez plutôt : « Je m’inquiète quand même du fait que nous n’ayons aucune espèce de considération sur le fait que ce type est dangereux, manifestement, puisqu’il a tué Philippine, et que s’il était dans un autre pays il [serait] tout aussi dangereux et mettrait en danger d’autres femmes, donc en fait la question c’est pas tant l’OQTF. » Bref, pour Sandrine Rousseau, pas question de renvoyer l’individu dans son pays puisqu’il pourrait y mettre en danger… les Marocaines ! Bon sang, mais c’est bien sûr ! Je propose à Madame Rousseau d’aller tenir son raisonnement à la famille et aux proches de la jeune étudiante assassinée…
Démagogie
OQTF toujours… Le maire de Béziers (je ne vous le présente plus, n’est-ce pas ?) a annoncé son accord pour la construction d’un CRA (centre de rétention administrative). Son raisonnement est le suivant : environ 7 % des OQTF sont exécutées aujourd’hui en France. Sauf lorsque les étrangers passent par des CRA, le pourcentage d’exécution desdites OQTF grimpent alors à plus de 40 %. Question de logique : si les étrangers n’ayant rien à faire en France peuvent davantage être expulsés lorsqu’ils sont placés en centre de rétention, construisons donc ces fameux CRA (je suis davantage son raisonnement que celui de Sandrine Rousseau, mais vous le savez, je suis un peu de parti-pris dans cette affaire…). Ce projet n’est pourtant pas au goût de tout le monde. La gauche y est opposée, vous vous en doutez. Plus surprenant, le RN local aussi. Le 19 octobre dernier, le préfet de l’Hérault, François-Xavier Lauch, s’exprime dans Midi libre au sujet de ce CRA : « À mon grand étonnement, le député de la circonscription de Béziers me dit qu’il est opposé à ce CRA. Je me dis qu’il faudrait réconcilier les discours nationaux et locaux. » En clair, le député de Béziers (RN) fait le grand écart : à Paris, il veut lutter contre l’immigration et faire exécuter les OQTF, mais à Béziers, c’est plus compliqué, parce que moins populaire. Il s’explique d’ailleurs quelques jours plus tard dans le même quotidien : « 45 % des personnes retenues en CRA sont expulsées, pourra-t-on assurer un suivi des autres ? Avec un accompagnement par des structures médico-sociales ? » Si je comprends bien, puisqu’on ne peut pas exécuter 100 % des OQTF, ne faisons rien ?Voilà qui s’appelle rétropédaler. Ou exceller dans l’art de la démagogie…
On sent Emmanuel Macron peu à l’aise sur la question d’Israël. Soufflant le froid et le chaud. Son refus de participer à la marche contre l’antisémitisme en novembre 2023, d’abord. Puis, sa déclaration lors du 19e sommet de la Francophonie à Paris, où, deux jours avant la commémoration du pogrom du 7-Octobre, il se dit favorable à un arrêt des livraisons d’armes à Israël. Le « maître des horloges », comme il aime à se nommer lui-même, a une nouvelle fois choisi un « timing » parfaitement déplacé, pour ne pas dire indécent, voire dégueulasse…S’il avait voulu provoquer une crise diplomatique avec Israël, il n’aurait pas fait autrement. Que se passe-t-il dans la tête de notre président ? Quelle mouche l’a donc piqué pour flatter ainsi l’électorat de La France insoumise ? Le voilà qui récidive quelques jours plus tard, en déclarant en Conseil des ministres que l’État hébreu « a été créé par une décision de l’ONU », ce qui laisse entendre qu’une autre décision pourrait le supprimer. Et comme si tout cela ne suffisait pas, lors de la conférence internationale sur le Liban organisée le jeudi 24 octobre à l’Élysée, Emmanuel Macron claironne qu’on « ne défend pas une civilisation en semant la barbarie »… Une intervention aussitôt partagée sur X par Jean-Luc Mélenchon. Le baiser de Judas ?
Islamisme encore
On en pleurerait. L’hommage rendu le 13 octobre au professeur Dominique Bernard, un an après son assassinat par un ancien élève radicalisé islamiste, a un goût amer. Le maire d’Arras n’a en effet jamais prononcé le mot qui fâche : islamisme. Sur scène, une artiste a réalisé en direct une « performance », comme on dit maintenant. Une grande toile représentant une colombe – ça ne s’invente pas ! – sur fond bleu-blanc-rouge et les mots « Liberté, égalité, fraternité ». Je vous évite les poèmes et les séquences de danse contemporaine qui avaient pour objectif de mettre « en lumière les valeurs de la République, la liberté et le vivre-ensemble », comme l’a souligné le maire. Triste prémonition, trois ans plus tôt, lorsqu’ils ont appris l’assassinat de Samuel Paty, l’épouse de Dominique Bernard a dit à son mari : « Qui sera le prochain ? Parce qu’il y en aura un. » Pas certaine que les colombes suffisent à y mettre un terme…
Comme les autres
Finalement, Michel Barnier fait comme tous les autres. Quelle déception ! Quand un gouvernement sait qu’il ne pourra pas agir sur le plan économique pour améliorer la vie des Français, il se rabat sur les questions de société. Alors qu’il avait mille raisons de surseoir, le voilà qui annonce la reprise des débats sur la loi « fin de vie ». Sans doute pour montrer patte blanche à ceux qui, depuis la dissolution, se démènent pour faire de l’euthanasie une priorité. Monsieur le Premier ministre, la vraie priorité, c’est le déploiement des soins palliatifs dont près de la moitié des patients qui en auraient besoin sont encore aujourd’hui exclus. Eh oui, être vieux, malade ou invalide ne signifie pas qu’on a perdu sa dignité !
Les éditions L’Harmattan ont 50 ans en 2025. On leur rend hommage.
On avait prévu un texte à propos de Doriot, Déat, Bergery, Mélenchon. Puis on s’est souvenu du livre de Philippe Burrin – La dérive fasciste – Doriot Déat, Bergery. Donc on s’est dit que cela attendrait. En outre, la dérive Mélenchon n’est pas achevée : on a hâte de connaitre la suite. Alors on a ouvert quelques livres, voire lu quelques livres, qui avaient tous un point en commun. Vous allez voir.
Qui a publié un livre à propos de Jacques Bergier, un des hommes étonnants du XXème siècle, inassignable à la manière d’un Jean Parvulesco juif (si l’on ose), l’alter ego de Louis Pauwels à la tête de la revue Planète et le coauteur du Matin des magiciens ?
Qui vient de publier un essai biographique à propos d’une crapule nommée Charles Lesca (1887-1949), Franco-argentin (il avait les deux nationalités), né en Argentine d’émigrés basques (riches, du côté de son père), arrivé en France à l’âge de six ans – où il vécut entre les Champs-Élysées, le boulevard de Courcelles et Guétary ? (D’abord publiciste mondain, influent dans le milieu hispaniste et devenu proche de Maurras (la latinité), il fut le dernier directeur de Je Suis Partout. D’un antisémitisme obsessionnel, il finira pourtant par se brouiller avec Rebatet et Brasillach. Condamné à mort par contumace, il meurt en exil en 1949, à Buenos-Aires).
Qui a publié un autre essai biographique très sérieux (de Louis-Dominique Eloy), à propos d’Alain Besançon ? Qui a publié une édition critique – par Alain Chardonnens – d’une rareté : le Charles Le Téméraire, d’Alexandre Dumas ? Qui a publié Ce que la Perse a légué à l’Espagne médiévale – riche étude sur un leg peu exploré ? Qui a publié une autre étude, universitaire, sur Hans Henny Jahnn, grand écrivain allemand mal connu (hélas), découvert par José Corti en France, auteur de pièces de théâtre trop peu mont(r)ées ? Qui a publié un autre essai, sur André Pieyre de Mandiargues ? ETC. QUI ? Les éditions L’Harmattan.
Elles passent régulièrement sous les radars, sont mal distribuées et publient beaucoup, voire trop parfois – mais tant de choses passionnantes. Il suffit de lire leurs programmes de parution, les argumentaires, puis les livres, certains livres – pour réaliser la richesse de cette maison.
L’Harmattan est l’ultime niche, un refuge ou un recours (tant la profession est parfois frileuse) – et c’est inestimable. Cela fait un demi-siècle et quelques polémiques que cet éditeur, né dans le milieu du catholicisme social des années 70, rend un service considérable à l’Histoire, aux études littéraires ou philosophiques, etc. Tirés à deux cents, trois cents, cinq cents exemplaires, les livres de L’Harmattan ont un mérite insigne : ils existent.
Qu’ils soient obscurs ou fameux, autodidactes ou professeurs à l’ENS, à la Sorbonne ou… ailleurs, les auteurs publiés par L’Harmattan sont divers et souvent remarquables (parfois, aussi, nullissimes – comme partout, avec des fautes de frappe à chaque page). La presse n’en parle (presque) jamais. C’est bien dommage. Une justification ultime de ce petit texte : saluer le travail – et l’existence – de L’Harmattan, donc.
À lire, à propos de l’histoire de l’Harmattan – depuis les origines :
Denis Rolland : Histoire de L’Harmattan. Genèse d’un éditeur au carrefour des cultures (1939-1980), préface de Jean-François Sirinelli et de Jean-Yves Mollier, L’Harmattan, 2022.
Denis Rolland, L’Harmattan. Matériaux pour l’histoire d’un éditeur 1962-1980, L’Harmattan, 2022.
De champion du monde junior en aviron, à professeur d’EPS, et directeur du haut niveau en natation…
J’ai eu l’opportunité, changeant totalement de registre, de pouvoir « soumettre à la question » Rémi Duhautois, directeur du haut niveau pour la natation et les quatre autres disciplines aquatiques.
Il m’a répondu avec beaucoup de franchise et de spontanéité sur les questions sportives liées à sa fonction, au classement des meilleurs pour les Jeux olympiques, à l’organisation de ceux-ci et tout particulièrement aux dispositions qui avaient été prises pour offrir les meilleures conditions de repos et de confort à Léon Marchand qui a honoré la France en remportant quatre médailles d’or. Il s’agissait de lui éviter, en raison du grand nombre d’épreuves qu’il avait à disputer, toute fatigue inutile. Des échanges passionnants pour le « sportif en chambre » que je suis.
D’autant plus incontestables que Rémi Duhautois a été lui-même champion du monde junior à 18 ans en quatre deux quatre et qu’il a battu il y a quelques mois le record de France pour le nombre de kilomètres à la rame en 24 heures. Exploit dont on mesure l’extraordinaire défi qu’il a représenté.
Un entretien d’un autre genre certes mais que Rémi Duhautois a su justifier.
Causeur vous propose de visionner cet entretien, enregistré dans le studio de Fréquence Protestante (100.7 FM Paris).
« J’avais envie de créer des choses, à l’Éducation nationale, mais j’avais du mal. Ce n’est pas facile d’y faire sa place… » « Dans le sport de haut niveau, la réactivité, le fait d’être disponible, c’est primordial professionnellement » « Pour être distingué sportif de haut niveau des autres sportifs, il faut être dans la liste des 16 meilleurs mondiaux de sa discipline, liste établie par le ministère (je m’occupe spécifiquement de cette population-là, et pas des autres)… » « La plupart des fédérations sont unisport (ex : le football), ma fédération s’occupe de cinq disciplines » « Paris 2024 était dans toutes nos réunions et toutes discussions depuis sept ans, une vraie obsession. Cela fait bizarre de ne plus en parler depuis le mois de septembre » « Je ne suis pas pleinement satisfait du bilan des JO, car tous les sports dont je m’occupe n’ont pas été médaillés » « Les sportifs de haut niveau s’entrainent toute une vie pour un instant T. Une minute avant, c’est trop tôt, une minute après, c’est trop tard. On trouve cela dans peu de métiers : c’est terrible pour un nageur ou une nageuse de se louper, parfois pour un petit détail » « Léon Marchand et Florent Manaudou sont adorables humainement (…), on pourrait s’imaginer des personnages un peu différents des autres, craindre qu’ils soient hautains ou qu’ils prennent une place un peu différente par rapport aux uns et aux autres, cela n’a jamais été le cas » « Étant donné le nombre d’épreuves important, j’avais réservé un appartement tenu secret pour Léon Marchand, juste à côté du lieu des épreuves, et un appartement de secours » « On a beaucoup parlé des coulées de Léon Marchand. Essayez de faire une coulée ; les gens ne se rendent pas compte à quel point cela est éreintant de nager ensuite… » « J’ai compris le potentiel hors normes de Léon Marchand, en me rendant pour la première fois en Arizona, et en constatant qu’il battait le champion américain qui nageait à côté de lui dans toutes les nages… »
En politique étrangère, constance et fermeté sont indispensables pour être respecté. Emmanuel Macron a enfreint cette règle élémentaire tout en démantelant la diplomatie française. Selon le journaliste Vincent Hervouët, la « voix de la France » est devenue inaudible du Liban à l’Ukraine en passant par Bruxelles.
Depuis le 7-Octobre, Emmanuel Macron a dit tout et son contraire sur la guerre au Proche-Orient. Après avoir proposé il y a un an la création d’une coalition internationale contre le Hamas – une initiative mort-née que personne ne lui avait réclamée –, il a zigzagué pour finir par appeler au boycott sur les livraisons d’armes à Israël et accuser Benyamin Nétanyahou de « barbarie ». Au-delà de la personnalité capricieuse du chef de l’État, ce spectacle navrant reflète peut-être l’état véritable de la diplomatie française. Cocktail gaullo-mitterrandien pimenté de tropisme pro-arabe, notre politique extérieure n’a pas attendu Emmanuel Macron pour patiner, rappelle Vincent Hervouët, qui l’analyse depuis plus de quarante ans et qu’on écoute chaque matin sur Europe 1. Il dresse pour Causeur le portrait d’une France qui se targue de parler à tous, mais qu’on n’écoute plus.
Causeur. Comment expliquez-vous les revirements d’Emmanuel Macron en politique étrangère ?
Vincent Hervouët. En matière diplomatique encore plus qu’en politique intérieure, Emmanuel Macron pratique un « en même temps » absurde aux effets délétères. Prenez l’Algérie. Dans un premier temps, il qualifie la colonisation de crime contre l’humanité. Coup de théâtre ! Mais ensuite, il dénonce la rente mémorielle exploitée par les généraux pour se maintenir au pouvoir. C’est suicidaire ! La constance et la fermeté sont indispensables en politique étrangère si on veut être respecté. E. Macron enfreint en permanence cette règle élémentaire. J’en veux pour preuve sa conférence sur le Liban, fin octobre. Il lève un milliard d’euros, mais pour quoi faire ? Poser des pansements sur un membre gangrené ? Répéter, comme une formule incantatoire, que les institutions libanaises doivent retrouver leur pleine souveraineté ? Et que dire de la leçon de morale à Nétanyahou, si ce n’est qu’elle cache mal l’incapacité de la France à obtenir quoi que ce soit des Libanais ?
À quel moment avons-nous perdu la main dans la région ?
Il y avait eu des crises, des alertes, mais notre impuissance est devenue évidente en 2013, quand Paris a rejoint Washington pour fixer une ligne rouge à Bachar Al-Assad sur l’utilisation des armes non conventionnelles, et que Bachar a superbement ignoré cette mise en garde avec l’utilisation de gaz toxiques contre les rebelles de la Ghouta, dans la banlieue de Damas. François Hollande attendait l’appel de Barack Obama pour une riposte militaire commune. Il n’en a rien été, et pour cause : entre-temps et sans en parler aux Français, les Russes et les Américains s’étaient mis d’accord pour sauver le régime d’Assad et donc ne pas intervenir. Humilié, Hollande a renoncé lui aussi aux représailles. Pourquoi ? Cela nous aurait coûté quoi d’ignorer les injonctions américaines et de mener une opération militaire, même symbolique, contre Bachar ? On aurait sauvé la face et notre parole aurait gardé du poids.
Mais quand la France a-t-elle, pour la dernière fois, vraiment pesé sur les événements au Proche-Orient ?
Pendant l’opération « Raisins de la colère », menée par Israël contre le Hezbollah en avril 1996. Pour obtenir un cessez-le-feu, le ministre des Affaires étrangères d’alors, Hervé de Charrette, a négocié avec les Syriens en contournant les Américains. Miraculeusement, ça a marché. Il est arrivé que la persévérance de Jacques Chirac paye et qu’il arrive à faire bouger les lignes. Il faut dire qu’en Israël, la situation était plus favorable. Le Premier ministre s’appelait Shimon Pérès.
Donc, la France a eu raison, toutes ces années, de maintenir son dialogue avec la Syrie, puissance occupante fantôme au Liban ?
Peut-être, si on est pragmatique. Pour maintenir notre présence dans la région, on a avalé des couleuvres. En 1984, moins de trois ans après l’assassinat de notre ambassadeur à Beyrouth par le régime syrien et quelques mois après le Drakkar, François Mitterrand allait à Canossa, c’est-à-dire à Damas. Cette visite ô combien humiliante fut un véritable supplice, son hôte Hafez Al-Assad lui infligeant durant des heures un pénible exposé sur l’histoire de son pays depuis les Croisades – la fameuse diplomatie de la prostate.
Quant à nos bonnes relations avec le Hezbollah, malgré l’assassinat de 58 soldats français en 1983, on voit mal à quoi elles nous servent aujourd’hui.
Le Quai considère depuis longtemps qu’au Liban, les chiites sont chics. Le dialogue avec le Hezbollah est une ancienne tradition française. Après le Drakkar, pour ne pas s’avouer vaincu, Mitterrand a nié l’évidence. Depuis, tous ses successeurs l’ont imité, faisant eux aussi comme si de rien n’était. On ne sait donc toujours pas ce qui s’est passé au Drakkar, faute de commission d’enquête. Alors que tous les détails de l’attentat contre la caserne des « marines » américains, qui a eu lieu au même moment, sont connus.
Si on vous suit, la fameuse politique arabe qui est la fierté du Quai d’Orsay a eu des résultats plutôt maigres. Elle n’a même pas évité les attentats sur notre sol…
Au contraire ! Il n’y a pas un pays en Europe qui ait subi autant d’attentats importés de l’étranger. Quand ils ne s’attaquaient pas aux intérêts israéliens ou à la communauté juive, les mercenaires du terrorisme palestinien réglaient à Paris les comptes obscurs de l’Irak, de la Libye, de la Syrie. En dehors de Carlos enterré vivant à la centrale de Poissy et qui y perd la tête, il reste de cette période fiévreuse l’illusion qu’on peut dealer avantageusement des pactes de non-agression avec les tueurs. Le Quai d’Orsay a encore succombé à cette vision dégénérée de la realpolitik avec le Front al-Nosra en Syrie ou le Hezbollah libanais. Après le terrorisme arabe, l’Iran a pris le relais dans les années 1980, avec des attentats en cascade qui étaient autant de chantages. Enfin le terrorisme islamique a multiplié les tueries aveugles. D’abord, les GIA algériens, puis les filiales d’Al-Qaida et enfin Daech. On passe du terrorisme d’État à une forme de guérilla anarchique et sanglante. Les buts de cette guerre deviennent flous. In fine, il s’agit de saigner l’ennemi pour le punir, le soumettre. Les djihadistes ne sont pas des naïfs : ils savent comme tout le monde que la France n’a plus de politique arabe. La France est devenue une cible. Non plus pour ce qu’elle fait, pour ce qu’elle est.
Revenons à 2024. Emmanuel Macron est-il le seul à croire qu’on écoute la voix de la France ?
La France a perdu l’essentiel de son crédit dans la région. Deux exemples récents l’illustrent. D’abord quand Macron a proposé une trêve de trois semaines dans le conflit arabo-israélien, personne n’a même fait semblant de l’écouter ; ensuite quand il a organisé une conférence sur le Liban, ni les Iraniens, ni les Israéliens, ni les Américains n’y ont participé. Sans eux, comment peut-on imaginer ne serait-ce que le début d’une esquisse de réforme de l’État libanais ou d’une négociation d’un cessez-le-feu ? Il est toujours difficile de dresser lebilan comptable d’une politique étrangère, car il y a trop d’acteurs et de variables. Cependant, on ne peut que constater l’étiolement de notre influence.
Comment l’expliquez-vous ?
D’abord, il est impossible d’avoir une voix audible à l’extérieur quand on est en vrac à l’intérieur, avec des quartiers non tenus, les finances dans le rouge et des frontières poreuses. Ensuite, la stratégie du multilatéralisme, censée être un multiplicateur de notre influence, ne marche plus, ni à l’OTAN, ni au sein de l’UE. Ursula von der Leyen peut ainsi réclamer la tête de notre commissaire et l’obtenir, nous infligeant une humiliation publique.
Mais nous disposons d’un autre vecteur d’influence avec la francophonie !
Le vrai problème de la francophonie est dans la tête des élites françaises mondialisées. Comme notre président qui parle globish, dès qu’il en a l’occasion. Villers-Cotterêts ressemble davantage à un cénotaphe qu’à un campus. Le dernier sommet de la francophonie était une petite génuflexion devant un tabernacle vide.
Vous faites peu de cas de nos atouts. Tout de même, ne sommes-nous pas le deuxième vendeur d’armes au monde ? L’Égypte ne vient-elle pas de nous acheter des Rafale ?
Nous profitons de la volonté de nombreux pays de diversifier leurs sources d’approvisionnement pour ne pas dépendre complètement des États-Unis ou de la Russie. Mais cela ne dépasse pas la dimension économique, car chacun voit bien que nous sommes incapables d’offrir une véritable garantie de sécurité. Or, c’est le premier fondement de la puissance. Si vous ne pouvez protéger personne, vous ne comptez pas, ou peu.
Vous parlez comme si nous ne disposions pas d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, et que nous ne possédions pas la bombe atomique.
Cela pourrait être un trône, si c’est à la SDN, l’impuissante Société des nations d’avant-guerre, à quoi bon ? Quant à notre dissuasion nucléaire, elle est certes opérationnelle, mais d’aucun secours face aux putschistes du Sahel, aux migrants qui s’embarquent pour les Canaries, aux manigances dans la guerre numérique menée par Moscou, autrement dit face aux véritables menaces d’aujourd’hui.
Revendiqué par un groupe soutenu par l’Iran et lié aux futurs fondateurs du Hezbollah, l’attentat du Drakkar à Beyrouth, le 23 octobre 1983, a causé la mort de 58 parachutistes français. MORVAN/SIPA
L’argument nucléaire a son importance dans la guerre en Ukraine.
La dissuasion repose sur le principe de suffisance. Avec nos 300 bombes atomiques, nous sommes incapables de protéger le continent. Nous avons peut-être quelques cartes maîtresses, mais elles ne suffisent pas à faire un jeu gagnant. Donc que faisons-nous finalement ? Des discours, et tout ce qui peut être fait pour retarder l’affrontement. En somme, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, le ferment de l’impuissance française se trouve dans la réticence à dire « ça suffit » et à taper du poing sur la table. Il ne nous reste dès lors que la nostalgie de la grandeur française. Comme ces mécréants qui agitaient les chaises au fond des églises pour montrer qu’ils étaient de la paroisse. Au Liban, nous continuons à nous prendre pour les chevaliers blancs. Ce n’est plus une posture, c’est une imposture. La France ressemble aux casques bleus sur place depuis 1978, qui regardent sans rien faire le Hezbollah s’asseoir sur les résolutions du Conseil de sécurité.
Pourquoi tant de pusillanimité ?
Notre situation s’apparente à celle de l’après-guerre, quand nous étions à terre et que nous dépendions de l’étranger en toute chose. Notre faiblesse saute aux yeux quand Macron déclare en Australie que la zone indo-pacifique est la priorité de sa politique étrangère, alors qu’au même moment, la Nouvelle-Calédonie est abandonnée au chaos. Ou encore, lorsqu’à la suite de la mort de Nahel en été 2023, l’Algérie rappelle à la France son devoir de protection envers ses ressortissants !
Notre diplomatie ne sert-elle donc plus à rien ?
Nous parvenons à monter des coups sur des questions comme l’environnement, le numérique, les droits de l’homme. Un peu comme les pays scandinaves. Cela se fait à l’intérieur d’un système totalement soumis, sur le plan de la défense, aux États-Unis, lesquels d’ailleurs ont perdu de leur superbe.
Depuis le début de cet échange, nous n’avons pas évoqué l’administration centrale de notre diplomatie, le Quai d’Orsay, que l’on dit obsédée de façon pour ainsi dire romantique par la cause arabe. N’est-ce pas l’une des explications de nos errements ?
Pendant longtemps, si vous vouliez entrer aux Affaires étrangères par la grande porte, deux solutions s’offraient à vous : l’ENA ou le concours des cadres d’Orient, en maîtrisant des langues orientales, dont l’arabe. Si bien qu’il existait au Quai d’Orsay une inclination un peu curieuse pour le monde arabe et qui se traduisait par une suspicion permanente envers Israël. À mon avis, tout cela appartient au passé.
Voulez-vous dire que le Quai d’Orsay a cessé d’être pro-arabe ?
Il l’est moins. Depuis quinze ans un groupe de diplomates néoconservateurs a imposé un certain rééquilibrage au sein de la maison. Du reste, ces nuances internes n’ont pas la moindre importance, car le Quai d’Orsay n’en a plus la moindre. Depuis qu’Emmanuel Macron est à l’Élysée, le Quai d’Orsay a perdu toute autorité au sein de l’administration. Le président en a pris acte en abolissant le corps diplomatique et en supprimant la conférence des ambassadeurs. Désormais, la politique étrangère se décide et se mène à l’Élysée. Nos diplomates sont désormais, si j’ose dire, au bout du quai.
Alors que les téléspectateurs habitués à C8 et NRJ 12 ont l’impression qu’on veut contrôler ce qu’ils regardent, des pétitions de soutien aux deux chaînes remportent un grand succès.
La France est sens dessus dessous, mais il y avait urgence à mettre au chômage 300 salariés et 100 sous-traitants, en supprimant la chaine de télévision C8… Sans même parler de NRJ 12 ! La décision de l’organisme public de contrôle de l’audiovisuel fait polémique depuis des semaines. Tout ce que l’Arcom, l’Autorité de Régulation de la Communication Audiovisuelle – nouvelle version du CSA dont on comprenait mal le contour (maintenant on comprend mieux, ils sont politisés et ils l’assument) – a estimé indispensable de faire depuis des mois, c’est donc de fermer des chaînes privées de télévision qui non seulement satisfont les téléspectateurs, mais en plus emploient de nombreux salariés qui vont se retrouver sans activité. Comment ne pas s’indigner ?
Aurélien Saintoul satisfait
Les « gendarmes » de l’audiovisuel peuvent s’enorgueillir d’avoir donné satisfaction au député LFI Aurélien Saintoul, qui réclamait la tête de CNews et de C8. La liberté d’expression est sacrée en France, c’est un combat incessant que de la préserver, y compris pour des débats évidemment infiniment plus graves. Cette liberté est notre fierté, et la France l’a toujours portée comme une valeur essentielle, y compris à l’étranger ; et c’est sur notre propre territoire que nous la bafouons, pour « préserver » les téléspectateurs ? mais de quoi ? On ne peut que constater par ailleurs que le secteur privé est la cible prioritaire de cette épuration.
L’objet du délit : un animateur a dépassé les bornes de l’expression verbale et de la gesticulation sur son plateau. Soit. La chaine a payé des amendes à la suite de ces constats, ne peut-on pas s’estimer satisfait ? Et si récidives, n’y a-t-il pas des étapes intermédiaires avant de fermer une chaîne de télévision plébiscitée et pionnière de la TNT (9,6 millions de téléspectateurs cumulés par jour) ? On pourrait peut-être même imaginer, si les propos tombaient sous le coup de la loi, de renvoyer l’animateur en question ? en se substituant au patron de la chaine ? Si cela se passait dans une entreprise classique, on n’ose penser aux réactions violentes des syndicats… Où sont-ils, là ? Et s’il s’agissait d’un animateur et d’une émission cataloguée à gauche, ils seraient aussi dans la rue évidemment. Il ne s’agit pas là d’apprécier ou non, l’animateur en question, ni même de le défendre, mais de respecter la liberté de la presse et celle des téléspectateurs avec leur possibilité de zapper…
En revanche, l’exemption des chaînes publiques de gauche de toute sanction pour « discrimination de l’information » ou leurs prises de position engagées, cela ne suscite pas le moindre frémissement, sinon un conseil, murmuré à leur oreille, de varier un peu plus souvent les invités… Par ailleurs, dans le respect du pluralisme, quand on est invité à une émission sur France Inter, par exemple, c’est l’assurance d’être un alibi, pour vite mieux se faire agresser par le fameux « camp du bien »…
Mises au pas préoccupantes
Retirer deux chaînes aux lignes éditoriales axées sur le divertissement comme C8 et NRJ12, c’est aussi s’attaquer à la diversité des programmes dans l’espace audiovisuel français et donc à une forme d’équilibre sociologique. Les Français qui apprécient ou non ces chaines, ne s’y trompent pas : une pétition a été lancée pour contester devant le conseil d’Etat la décision de l’Arcom. Cette pétition concernant C8 a déjà recueilli plus de 600 000 signatures en quelques jours. Pour ce qui est de NRJ 12, saluons Jean-Paul Baudecroux ! un des pionniers du monde des médias audiovisuels et dont la chaîne était rentable depuis peu. La chaîne NRJ 12 reçoit chaque jour des milliers de messages de soutien sur son site. Le problème résiderait, parait-il, dans la faiblesse des programmes proposés. N’est-ce pas un peu insultant pour les téléspectateurs, non ?
Ces mises sous contrôle sont graves. Non seulement le service public ne remplit pas son rôle d’information et de pédagogie économique objective, à un moment où la France est en danger, mais on s’attache à supprimer des formes de liberté plébiscitées.
On nous rétorquera que les fréquences ne sont pas attribuées à vie, ce que l’on peut comprendre, mais qu’en est-il des fréquences publiques : sont-elles éternelles ? Quelles justifications, sinon d’être le bras armé des gouvernements ?
Par ailleurs, des candidats se sont évidemment portés à l’acquisition des fréquences, il s’agit notamment de Ouest France ; mais ces derniers ont fait savoir qu’ils n’étaient pas prêts ! en tout cas, pas avant six mois… Question idiote, mais ne pourrait-on pas au moins laisser la fréquence et les emplois jusqu’à la capacité de Ouest-France d’assurer un programme complet, non ? Car la réalité est sans appel : à partir de fin février, écran noir ! Par ailleurs, est-ce que le repreneur est contraint de reprendre les journalistes ? C’est ce qui se pratique avec les employés dans le monde de l’entreprise…
On se souvient, et on hésite, en repensant au choix proposé naguère par Coluche : la dictature se résumait selon lui par « ferme ta gueule » et la démocratie par « cause toujours ». Une parfaite illustration !
Un musée du football devrait ouvrir ses portes à l’été 2025 à Jœuf (54). Mais, le projet qui devait à la base être une célébration du football ouvrier et populaire s’est transformé en une vitrine du multiculturalisme heureux.
Michel Platini, maître à jouer de l’équipe de France de football dans les années 1980, est un Lorrain, né en 1955 à Joeuf, petite ville de Meurthe-et-Moselle qui durant les Trente Glorieuses battait le fer de la sidérurgie quand il était encore chaud.
Pour lui rendre hommage, la municipalité a en 2018 imaginé un musée Platini, plus largement dédié au football populaire et ouvrier, fruit de l’immigration italienne qui au temps des hauts-fourneaux animait les usines et les terrains de foot lorrains… Certains ont alors remarqué que dans la région l’immigration polonaise avait également fourni sa vague d’ouvriers et de joueurs talentueux, et il a été décidé d’associer au nom de Michel Platini celui du grand footballeur Raymond Kopa, de son vrai nom Kopaszewski, bien qu’il ne fût pas lorrain mais né dans le Pas-de-Calais.
Mais dans la France multiculturelle, ce parrainage italo-polonais ne suffit pas. À l’affiche aux côtés de Platini et Kopa, Zinedine Zidane, bien que natif de Marseille, aura sa place au musée… Ce n’est pas tout. Et comme personne ne doit manquer à la fête, une nouvelle recrue a été annoncée, pour ce musée dont l’ouverture est repoussée d’année en année : Kylian Mbappé, fils d’un immigré camerounais et enfant gâté du football-business, est donc convoqué pour honorer la mémoire du football ouvrier ! Pour que le musée Platini finisse par devenir la vitrine du multi-culti heureux, il ne manque qu’un joueur d’origine asiatique, mais le foot français n’a pas ça en magasin.
Le projet aurait pu connaître un sacré baptême. Le diocèse de Nancy a mis en vente l’église Notre-Dame-de-Franchepré, offerte en 1910 à la paroisse de Joeuf par le maître des forges François de Wendel. Michel Platini y a été enfant de chœur. Un moment a circulé l’idée que l’édifice religieux (aujourd’hui désacralisé) pourrait servir d’écrin au musée. Mais la ville a renoncé. Officiellement le parking est trop petit… Officieusement il ne fallait pas froisser les bouffeurs de curés.
André Le Letty est passé par les meilleures maisons, de Bretagne et de Paris, et a fait plusieurs fois le tour du monde aux commandes des cuisines de luxueux navires. Puis il est devenu citoyen de Montmartre et y a ouvert son restaurant. Il perpétue son savoir-faire au Bistrot du Maquis, à des prix de bistrot !
C’est un restaurant simple et délicieux qu’aurait aimé le commissaire Maigret, lui qui allait déjeuner à Montmartre avec sa femme : Le Bistrot du Maquis, rue Caulaincourt. De quel maquis s’agit-il ? Probablement celui de la butte, quand celle-ci était encore un fouillis de champs, de chemins et de jardins. En flânant dans le quartier, on est saisi par le nombre et la diversité des petits commerces tapis à l’ombre des marronniers centenaires : fromagers, charcutiers, bouchers, cavistes, fleuristes, libraires, tapissiers, cordonniers, torréfacteurs… Un vrai village dans la ville ! Le grand historien de Paris et professeur au Collège de France, Louis Chevalier, avait, en 1980, consacré à Montmartre un petit chef-d’œuvre qu’il faut relire aujourd’hui, Montmartre du plaisir et du crime, tant il nous éclaire sur la façon dont ce quartier, né sous le Second Empire, à la jonction des prolos de l’Est et des bourgeois de l’Ouest, s’est, avec le temps, forgé une identité qui lui a permis de mieux résister à L’Assassinat de Paris : titre de l’autre grand livre de l’historien, paru en 1977, véritable J’accuse dans lequel le triptyque de Gaulle-Malraux-Pompidou est passé au laminoir. Chevalier leur reproche de n’avoir rien compris à l’histoire de Paris et d’avoir abandonné « l’irremplaçable beauté de la ville » à la voracité des promoteurs immobiliers.
Dans cette cour des Miracles qu’était Montmartre, les personnages bizarres étaient si nombreux qu’on finissait par ne plus les remarquer : Toulouse-Lautrec, La Goulue, Céline et son chat Bébert…
En entrant dans ce restaurant, donc, c’est un peu du Montmartre d’autrefois que l’on respire. Son chef-patron, André Le Letty, est un personnage à la Marcel Aymé, timide et gentil. Né en Bretagne en 1959 à Pont-l’Abbé, ce fils de paysans a été mis aux fourneaux dès l’âge de 12 ans pour préparer les repas de toute la famille. Il est ensuite parti faire son apprentissage dans les meilleurs hôtels-restaurants du Guilvinec (capitale de la langoustine) avant d’aller se durcir le cuir à Paris chez Ledoyen, Prunier, Taillevent, La Tour d’Argent… « C’est dans ces maisons que j’ai appris l’art de recevoir à la française, auprès de directeurs qui étaient de vrais hommes de théâtre, comme messieurs Vrinat et Terrail. » Dans son joli restaurant aux murs ornés de vieilles faïences de Quimper, on sent les effluves du velouté de potiron à la saucisse, du maquereau à l’escabèche, de la joue de bœuf braisée à la citronnelle, de la pomme cuite au calvados.
La joue de bœuf braisée aux carottes
Longtemps chef cuisinier sur des bateaux de croisière de luxe de 1 200 passagers reliant les Caraïbes à l’océan Indien, « Dédé » décide un jour de poser ses valises ici, à Montmartre, comme on accosterait dans un port au ciel clément : « Il y a une identité montmartroise, un esprit de village. Tout le monde se connaît et se dit bonjour… La tradition ici est d’ouvrir les restaurants le dimanche, midi et soir. J’ai une vraie clientèle d’habitués qui viennent chez moi en famille. »
On vient y déguster son fameux « canard au sang » (exactement le même que celui de La Tour d’Argent) ou, plus rare encore, son exceptionnelle « roulade de lapin au basilic » qu’aimait tant Jean Gabin, lui aussi natif de Montmartre. « C’est la même recette que le lièvre à la royale. Je prends les abats du lapin et je compose une petite farce avec des herbes et une duxelles de champignons. Le lapin est roulé et poché entier dans un bouillon de carcasses bien aromatisé au thym. Désosser, mariner, farcir, cuire au bouillon, envelopper le lapin dans un torchon : il faut trois jours de travail, c’est ça la vraie cuisine française… Le lièvre est sauvage, sa viande est rouge et puissante, le lapin, lui, est une viande blanche et douce. Mais avec le foie et les abats, il gagne en caractère et se rapproche du lièvre. »
Une merveille !
Son autre spécialité est le rognon de veau. Que ma mère me pardonne, elle qui avait les abats en horreur ! Dans sa première édition de 1938, le Larousse gastronomique consacre plusieurs pages à la cuisine des abats, preuve qu’ils étaient très populaires à l’époque (il y avait encore des « triperies » aux Halles). Aujourd’hui, ils sont un peu tombés en désuétude. « Les clients viennent chez moi pour ce plat, qui est aussi un plat typiquement montmartrois, du temps où les bouchers de Montmartre, très réputés, n’avaient pas encore été exilés à La Villette. Un bon rognon doit être croûté sur le dessus, moelleux au milieu et de couleur rosée. Je le saisis d’abord à la plancha, puis je le repose sur une plaque grillagée pour faire ressortir le jus. Je le repasse au four pour le rôtir un peu. La sauce est à base d’oignons et d’échalotes légèrement colorés et déglacés au vin blanc, auxquels j’incorpore un fond de veau, de la moutarde forte et de la crème double. Je cuis vingt-cinq minutes, je mixe, je passe au chinois, et j’ajoute de la moutarde à l’ancienne… Beurrés au dernier moment, les rognons sont servis sur un lit de chou en petites lamelles avec des lardons à l’étouffée. » Accompagnés d’un vin rouge léger, Chénas ou Moulin-à-Vent, on est dans la finesse pure.
Loin d’être surannée, cette cuisine charme par sa délicatesse, son équilibre, sa fraîcheur, son harmonie. André ne va pas non plus s’approvisionner chez Metro (comme le font beaucoup de « grands chefs ») : qu’il s’agisse du canard de Challans, des langoustines du Guilvinec ou des tomates de plein champ, il n’achète que les plus beaux produits qu’il sait négocier au bon prix et au bon moment, ce qui explique le succès de sa formule entrée-plat-dessert à 45 euros. Je dis cela, ayant été traumatisé, il y a peu, par un déjeuner fait dans un « bistrot » célèbre du 7e arrondissement (autrefois c’était une cantine pour journalistes) où les plats sont désormais vendus à 40 euros, l’entrée à 20, le dessert à 15, le verre de vin à 15… Faites le calcul.
Vas-y « Dédé », t’es l’meilleur !
Le Bistrot du Maquis
69, rue Caulaincourt, Paris 18e, www.bistrotdumaquis.com
À contre-courant des logiques consuméristes et de la sacralisation du vigneron-paysan, Jean Le Gall, Jean-Luc Schilling et Jean-Paul Kauffmann prennent la défense des vins de Bordeaux dans un essai décomplexé aux éditions le cherche midi. Ils disent stop au Bordeaux bashing et merde aux dealers de fake news !
Comme les Trois Mousquetaires, ils s’y sont mis à quatre, sous la direction d’Isabelle de Cussac, pour remettre l’église au milieu du village. Le Bordeaux traîne une mauvaise réputation depuis vingt ans. Il est blacklisté de certaines cartes car il serait trop viriliste, outrageusement boisé, porteur d’une Histoire sombre, fruit de manipulations chimiques et, pour couronner le tout, à la botte des courtiers et d’un critique appelé Monsieur Parker, ex-avocat de Baltimore ; en résumé, de droite, donc ataviquement suspect. Le produit chimiquement pur de l’alliance incestueuse entre le capitalisme-vigneron et la mondialisation tonnelière.
Infamie !
Le Bordeaux a le dos large pour supporter tant d’infamie. On lui reproche sa réussite, ses succès à l’export et parfois, la morgue de ses propriétaires-châtelains qui roulent en Bentley Continental sur des allées gravillonnées alors que d’autres millionnaires du vin, plus à l’Est, font leur tournée démagogique en Citroën C15. Aujourd’hui, des restaurants et bistrots à la mode le snobent, lui préférant des breuvages à l’équilibre douteux et au picotement lancinant dans le palais, la même sensation désagréable en bouche que lorsqu’on lit certains romans intimistes de la rentrée littéraire. Des amateurs réunis en cellules le déconsidèrent par idéologie moutonnière et cet esprit rebelle chaptalisé qui produit les grands enfumages. Pour les militants de la cause « Tout sauf du Bordeaux », le roi d’Aquitaine et sa soixantaine d’appellations sont à bannir des tables. Cette cabale médiatique et cette curée identitaire ressemblent au traitement qu’a subi la campagne de Trump par nos journaux « éclairés ». On l’aura compris, à la fois bouc-émissaire d’un marché à la recherche de nouveaux horizons et victime de son magistère moral sur une profession envieuse, le Bordeaux n’a plus tellement de défenseurs dans notre pays.
On le boit en cachette. Ne surtout pas fanfaronner avec un verre de Bordeaux à une tablée progressiste, au risque d’être excommunié sur le champ. À vrai dire, j’étais très éloigné de ces polémiques, je regardais s’agiter les suffragettes des vins naturels face aux vieilles maisons et leurs façades à l’architecture néo-classique avec un désintérêt courtois. Dans cette lutte qui m’était étrangère, je demeurais fidèle à mes terres centrales, et l’ardent promoteur du Sancerre, du Pouilly-fumé et du Menetou-Salon. Berrichon de naissance, ligérien de cœur, ma consommation ne s’aventurait jamais au-delà de mes limites départementales. Entre Cher et Nièvre, entre chien et loup. En écriture comme en vin, je reste un localier.
Mais l’arrivée de En défense des vins deBordeaux en librairie m’a enchanté par sa forme joyeuse et m’a redonné soif. On dit les Bordelais taiseux, reclus dans le secret de leur chai et le molletonné de leur compte en banque. J’ai trouvé, au contraire, leurs trois hussards, pleins de verve, d’humour et d’ironie canaille. Ils ne sont pas payés par un quelconque syndicat pour vanter le Bordeaux, leur plume ne ment pas. On sent leur sincérité et leur insoumission à chaque ligne. Le romancier Jean Le Gall débute son plaidoyer pro-Bordeaux par des scènes de ville (tordantes de vérité) où la cuistrerie des sommeliers activistes et la bêtise méta-contemporaine font des ravages sur les bonnes consciences. Pour un Basque d’adoption, le but de Le Gall est rabelaisien : « Cependant, je forme un vœu, et celui-ci est d’une simplicité qui n’a rien d’une modestie : vous faire ouvrir une bouteille de Bordeaux. Je sais, le chemin s’annonce long du projet à la chose ».
Ton rieur et belle odyssée
Le ton est rieur et le contenu fort documenté, son argumentaire séduit le néophyte que je suis. Il dégonfle la baudruche « Mondovino », le film de Nossiter qui fit tant de mal au Bordeaux. Pièce par pièce, bouchon après bouchon, il démonte les approximations et les raccourcis d’une opération de manipulation (de masse). « Vingt années ont passé depuis la sortie de ce documentaire, qui aura non seulement embobiné la sphère culturelle, fasciné les consommateurs, mais surtout catéchisé une nouvelle génération », écrit-il. C’est joliment balancé. Selon l’écrivain, le Bordeaux a été « la première victime d’un mouvement promouvant les intentions vertueuses ET la police de ces vertus ». Jean Le Gall est un moraliste hors-pair, millésimé grand cru. Jean-Luc Schilling prolonge le propos de son camarade par une étude détaillée qui a une véritable vocation pédagogique. Il nous fait aimer et découvrir la complexité du, plutôt des Bordeaux, et son immersion dans ce terroir star est une belle odyssée. Il raconte la genèse, la topographie et le contexte économique comme personne en 175 pages.
On le suit comme dans un polar et on comprend ce qu’il écrit. Et l’ouvrage se termine par un entretien avec Jean-Paul Kauffmann qui finit de nous convaincre. Le Bordeaux est l’expression d’un style à la française, hautement respectable et recommandable. « Le goût évolue, mais le patrimoine Bordeaux demeure. […] Un style qui se retranche derrière l’idée de retenue, du sens des proportions, d’absence d’exagération » souligne-t-il. Kauffmann parle même d’un vin « qui a du tact ». Et si la retenue revenait à la mode.
En défense des vins de Bordeaux – Jean-Luc Schilling, Jean Le Gall, Jean-Paul Kauffmann sous la direction d’Isabelle de Cussac – Le cherche midi. 320 pages
Le roman est cette forme littéraire qui intègre tous les genres déjà existants. Moby Dick de Melville en est le meilleur exemple, et Milan Kundera restera comme l’écrivain qui aura de nos jours peut-être le mieux théorisé cette richesse multiforme de l’art d’écrire. Il demeure qu’il n’est pas toujours aisé, pour un romancier, de faire trop culturel, c’est-à-dire de se servir de la prose de ses devanciers pour parler de soi. Dans un tel cas, on est toujours redevable de quelque chose, dont il faut un jour plus ou moins s’acquitter. Le lecteur est dans son bon droit lorsqu’il demande à l’auteur : « Et vous, qu’apportez-vous de neuf ? Y avez-vous mis du vôtre ? » Il est très délicat de répéter ce qui existe déjà. Le philosophe Kierkegaard l’avait bien montré, dans son livre essentiel La Reprise.
Des lettres inédites de Faulkner
En même temps, c’est une problématique passionnante, qui est justement au centre du nouveau livre de l’écrivain espagnol Jacobo Bergareche, Les Jours parfaits. Le personnage principal de ce roman est un journaliste pris entre sa femme légitime et sa maîtresse. Pour essayer de mettre les choses au clair, surtout avec lui-même, il leur écrit à chacune une longue lettre. Parti en reportage à Austin (Texas), il en profite pour se rendre dans la bibliothèque universitaire du Harry Ransom Center. Il y dégote par hasard des lettres d’amour encore inédites de Faulkner. Il passe des heures à les déchiffrer, et à méditer sur elles. Non qu’il soit, à l’origine, un fervent lecteur des romans de Faulkner, mais il tombe sous le charme de cette prose épistolaire, dans laquelle il retrouve tout ce qu’il vit. Il écrit ainsi à Camila, sa maîtresse, à propos d’une missive de Faulkner : « Quand je relis cette lettre si privée et si étrangère, si loin dans le temps, j’ai l’impression qu’elle a été écrite pour que je te l’envoie à toi… » De même, s’adressant cette fois à sa femme légitime et évoquant un autre morceau, il note : « Si tu y réfléchis, on pourrait même dire que c’est toi, la destinataire finale de cette lettre de Faulkner que je vais te montrer, que j’ai extraite des caves des archives pour t’en livrer la transcription. » Tous ces passages des Jours parfaits, dans lesquels les phrases retrouvées de Faulkner sont disséquées longuement, ressemblent alors plus à un travail d’analyse textuelle, faisant se chevaucher deux genres différents et apparemment antinomiques, l’essai et le roman. Le lecteur, s’il accepte de jouer le jeu, peut lui-même se mettre en miroir, afin d’utiliser ce procédé à son profit, et comprendre, à travers les émotions d’un autre, sa propre vie.
Le romancier américain William Faulkner en 1954. DR.
Mentir sur sa vie
Le « héros » bigame de Bergareche souffre de devoir mentir. Son existence relativement précaire d’intellectuel ne dissimule pas ses difficultés et ses manques. Il est peu satisfait de sa situation, à vrai dire, ayant été à l’origine habité par d’autres ambitions : « Un jour, dans ma vie, j’aurais voulu avoir été poète. J’ai manqué de courage, de persévérance, et probablement de talent ‒ si tant est que le talent soit autre chose qu’un mélange de courage et de persévérance. » Il n’hésite pas à faire état de ses déceptions, principalement auprès de sa maîtresse, sûr de recueillir ensuite d’elle une pleine compréhension. Il lui fait même partager sa morale fataliste : « Les amants, lui écrit-il, sont unis jusqu’à ce que la peur, la culpabilité, la raison, la menace ou la convenance les séparent… » On ne sait pas ce que sa partenaire pense vraiment de telles constatations, et c’est d’ailleurs dommage. Elle n’écrit pas de lettre, elle. Les Jours parfaits est de fait le monologue d’un homme qui interpelle deux femmes, mais ne leur donne jamais la parole. Elles n’existent qu’en creux, pourrait-on dire, alors qu’elles jouent un rôle crucial.
Déclaration d’amour
Le narrateur a l’air de penser que sa femme et, surtout, sa maîtresse existent exclusivement pour le racheter de sa vie médiocre. À sa maîtresse, du reste, le lie une sorte de contrat d’adultère, sans doute peu équitable. Il lui écrit par exemple : « Je te le répète : nous avons conclu un bon accord, Camila, quatre jours par an. » Il n’est donc pas prêt à lui accorder davantage d’amour. Pour sa femme légitime, c’est un peu différent. Le livre se clôt sur la lettre qu’il lui écrit. Il utilise toujours les lettres de Faulkner, mais dans le but de se rapprocher d’elle, au détriment de l’autre. Dans la première partie du roman, on pouvait croire que le personnage de Bergareche se livrait, en décrivant cette relation extraconjugale, à une apologie de l’adultère bien compris. Et puis, dans la deuxième moitié du roman, quand il s’adresse finalement à sa femme, et qu’il lui exprime, via Faulkner, son attachement, on est en mesure de se dire qu’il retrouve le « droit chemin ». Les Jours parfaits prendalors la forme d’une déclaration d’amour à l’épouse légitime. Le mari volage comprend que c’est elle qu’il aime. On se demande toujours à quoi sert la littérature, la grande littérature, comme celle de Faulkner. Ici, nous est offert une possible réponse : à retrouver l’équilibre et la joie de la sensation vraie, pour utiliser la formule de Peter Handke.
Les Jours parfaits, de Jacobo Bergareche. Traduit de l’espagnol par Maïra Muchnik. Éd. Actes Sud. 154 pages.
En nous proposant de faire un point général sur ses lectures, Thomas A. Ravier prouve qu’il a le sens de la formule.
Comme le dit le poète d’origine arménienne Armen Lubin, « le siècle était devenu un champ de tir ». Le wokisme a déployé, dans l’indifférence coupable, ses soldats universitaires anglo-saxons. Les collabos zélés, agents médiatiques et culturels, Éducation nationale, publicitaires, politiciens en mal d’électeurs, ont favorisé cette extension spectaculaire, en particulier en France où la collaboration est un sport national. La littérature n’échappe pas au grand effacement. On réécrit les ouvrages célèbres, on condamne les stylistes de l’absolu, on purge les bibliothèques, on sectionne les surgeons sauvages, bref on oblitère la mémoire spirituelle du pays. Thomas A. Ravier refuse de crever ; alors il nous offre une bombe portative dévastatrice contre les fonctionnaires du wokisme. Je lisais, ne vous déplaise, est un ouvrage d’une grande érudition, servi par une rigueur intellectuelle qui, hélas, devient de plus en plus rare. Son secret : Ravier lit, et il lit en osant des comparaisons qui rendent son analyse novatrice.
De quoi oublier la rentrée littéraire…
Ainsi revisite-t-il les ouvrages de Colette, sa préférée, Montaigne, Shakespeare, Bossuet, Bernanos, Proust, Artaud, Genet, Céline (chapitre grinçant), Faulkner (chapitre détonnant), ou encore Sollers (chapitre endiablé). De quoi oublier les contemporains surévalués par la société marchande ainsi que les premiers de la classe, pieds et poings liés au système idéologique dominant. Quant aux féministes de choc, Thomas Ravier leur réserve un traitement particulier. La guerre des sexes, dénoncée par Paul Morand (autre écrivain subtilement analysé par l’auteur) dans Champions du monde (1930), est le fil rouge de ce recueil d’articles de haute volée. Avec Faulkner, il passe à l’attaque frontale. Déjà il faut un courage certain pour citer l’auteur du Bruit et de la Fureur, pas encore « cancelisé », alors qu’il ose affirmer « être né mâle et célibataire ». Ravier exhume quelques croustillantes citations. Exemple : « La guerre est le seul cas où un homme qui n’est pas une canaille peut échapper un moment à ses parents de sexe féminin. » Ou encore : « Ce magasin à munitions qu’est un bassin de femmes. » Et encore, dans Absalon, Absalon ! : « Les mères, pour peu qu’elles le veuillent, peuvent presque jouer le rôle de la mariée aux noces de leur fille. » Les dévotes du nouvel ordre féministe vont sûrement s’étrangler. Ravier, dans les pas du sudiste Faulkner, pousse la provocation : « Ce n’est pas dans le désir de la femme qu’est le péché, c’est dans son absence de désir. » Indignation générale. Selon la méthode Ravier, née de ses incalculables heures de lecture, répétons-le, l’écrivain crée une passerelle entre Faulkner et Shakespeare. « Qu’est-ce que reprochait, non sans puritanisme mais non sans humour, écrit Ravier, Hamlet à Ophélie dans une scène qui donnera son titre à Requiem pour une nonne ? De transformer son visage alors qu’il s’agit d’un don de Dieu. » Et Ravier de conclure : « En somme, d’en appeler, par principe, au salut de la technique. La femme prouvera un jour à l’humanité que l’être humain n’est pas la clôture des merveilles de Dieu. »
Philippe Sollers fut l’éditeur de Thomas A. Ravier. Ce dernier connaît parfaitement l’œuvre de l’auteur de Femmes (1983) et du Portrait du joueur (1985). Il considère, en y ajoutant Paradis, que ce sont ses meilleurs livres. C’est que Sollers n’a pas hésité, l’impudent, à révéler l’insupportable vérité. Jugez plutôt : « Le monde appartient aux femmes. C’est-à-dire à la mort. » Impossible à écrire aujourd’hui. Le pouvoir haineux des néo-dévotes est devenu trop puissant. Ravier, sniper impitoyable, ajoute : « Femmes, c’est, on le sait, la traversée de l’enfer matriciel. » L’analyse des ouvrages de Sollers ne manque pas de cruauté. Elle est en deux temps. D’abord, la révolution sollersienne qui fait sauter les digues ; ensuite, « l’effondrement » de l’écrivain, qu’il date de 2005, avec la parution d’Une vie divine, roman consacré à Nietzsche, l’homme de l’effondrement turinois. Ravier souligne la force de Lois (1972, période féconde) du même Sollers. Ne trouve-t-on pas dans ce livre méconnu la phrase suivante : « (…) les femmes se branlent fondamentalement à partir des morts, leur salive est donc plus acide, les aisselles, l’aine, concentrent tout leur pouvoir. » Les écrivains devraient davantage se méfier de leur future veuve.
Le sens de la formule
Ravier a le sens de la formule. À propos de Philippe Muray : « c’est Sollers sans l’île de Ré et ses oiseaux ». Duras n’est pas épargnée. Exemple : « Une fois qu’on l’a créditée de l’invention du sitcom métaphysique (Les petits chevaux de Tarquinia), que sauver du style de Duras, en dehors d’un bêtisier prétentieux ? » Quant à Houellebecq, il le résume ainsi : « Pour (lui), le roman, c’est un miroir Monoprix qu’on promène le long d’une autoroute… Le XIXᵉ siècle est passé par là, la révolution industrielle a fait de la corruption de la nature son salut, le fardeau de la beauté est de plus en plus lourd à porter. » Michel Onfray a droit également à son coup de griffe : « Le style d’Onfray ? Un style de traitement de texte. Tintamarre de tant de cervelles philosophiques ! » Il souligne, entre autres, l’inanité de ses commentaires sur Montaigne. C’est pour cela que Ravier préfère patrouiller sur les chemins parfumés de Colette, « la prédatrice ». Il vaut mieux être aimé des fées que des sorcières.
Reste le cas Céline. Le prophète de Meudon, le maudit médecin de banlieue, le persécuté de l’univers, et même au-delà… Ravier, en dressant le bilan de son œuvre, rappelle la ligne de démarcation entre les « amis de la mort », spectres dansant dans les catacombes de la pensée occidentale, et les « rares météores verbaux », les suppliciés du Spectacle, dont le premier de la liste se nomme Céline, lequel se qualifie lui-même de « génocide platonique ». Dans la lignée de Georges Bataille, Ravier rappelle également aux « champions figés du bien » que la littérature est « une expérience animée du mal ». Le premier roman de Céline, Voyage au bout de la nuit souligne, de manière définitive et noire, quasi shakespearienne, que la vie est absurde, absurde parce que la mort est la seule vérité. Et c’est un médecin hygiéniste qui l’écrit. Mais il y a les pamphlets antisémites de l’homme qui entendait passer des trains dans sa tête et qui espérait les voir dérailler. Pourquoi s’en prendre au peuple du Livre ? Ravier tente une explication qui n’excuse pas : « S’il s’en est pris avec tant de violence aux Juifs, est-ce que ce ne fut pas pour leur faire payer de l’avoir précédé dans le dévoilement du monde ? » Il ajoute : « Pour punir le Judaïsme d’avoir fixé par avance dans son Livre le déluge moderne à travers un catalogue au regard duquel le XXᵉ siècle et son déchainement de feu relève d’un malencontreux plagiat ? Avoir le dernier mot sur la Bible et sur ses prophètes ? Folie totale ! » Folie fatale, surtout, au moment où le diable réapparaissait en Pologne et ordonnait qu’on brûlât les enfants du peuple du Livre – comme il vient de faire irruption à Amsterdam.
Après avoir refermé (provisoirement) Je lisais, ne vous déplaise, on se dit que la guerre du goût déclarée par Philippe Sollers n’est peut-être pas totalement perdue. Ils veillent et nous parlent, ceux que Sollers, encore lui, nomme « les voyageurs du temps ». Encore faut-il avoir l’audace d’ouvrir leurs livres pour échapper à l’enfermement imposé par la société matérialiste ; encore faut-il entendre leurs voix singulières brouillées par le brouhaha nihiliste – oh, la voix de Malraux lors de la panthéonisation des cendres de Jean Moulin – ; encore faut-il avoir la curiosité de franchir les murs de plus en plus épais de nos écrans tactiles. Or, ce que l’on devrait toucher, c’est le corps de l’écrivain, sa peau, toujours sur le qui-vive. Comme l’a écrit Colette, citée par Thomas A. Ravier : « Quand mon corps pense, alors tout le reste se tait (…) À ce moment-là, toute ma peau a une âme. »
Thomas A Ravier, Je lisais, ne vous déplaise, Tinbad essai.
Je croyais avoir tout entendu de Sandrine Rousseau, mais elle arrive toujours à me surprendre. Le jeudi 26 septembre dernier, réagissant sur France Inter au meurtre de Philippine, l’élue écologiste explique que si on pense qu’un étranger sous OQTF devrait quitter notre sol, c’est qu’on n’est pas féministe. Vous ne comprenez pas ? Je recommence : prenez l’assassin de Philippine, déjà condamné en France pour viol. Il aurait dû être renvoyé dans son pays d’origine, le Maroc. Mais pour Sandrine Rousseau, ce n’est pas si simple. Écoutez plutôt : « Je m’inquiète quand même du fait que nous n’ayons aucune espèce de considération sur le fait que ce type est dangereux, manifestement, puisqu’il a tué Philippine, et que s’il était dans un autre pays il [serait] tout aussi dangereux et mettrait en danger d’autres femmes, donc en fait la question c’est pas tant l’OQTF. » Bref, pour Sandrine Rousseau, pas question de renvoyer l’individu dans son pays puisqu’il pourrait y mettre en danger… les Marocaines ! Bon sang, mais c’est bien sûr ! Je propose à Madame Rousseau d’aller tenir son raisonnement à la famille et aux proches de la jeune étudiante assassinée…
Démagogie
OQTF toujours… Le maire de Béziers (je ne vous le présente plus, n’est-ce pas ?) a annoncé son accord pour la construction d’un CRA (centre de rétention administrative). Son raisonnement est le suivant : environ 7 % des OQTF sont exécutées aujourd’hui en France. Sauf lorsque les étrangers passent par des CRA, le pourcentage d’exécution desdites OQTF grimpent alors à plus de 40 %. Question de logique : si les étrangers n’ayant rien à faire en France peuvent davantage être expulsés lorsqu’ils sont placés en centre de rétention, construisons donc ces fameux CRA (je suis davantage son raisonnement que celui de Sandrine Rousseau, mais vous le savez, je suis un peu de parti-pris dans cette affaire…). Ce projet n’est pourtant pas au goût de tout le monde. La gauche y est opposée, vous vous en doutez. Plus surprenant, le RN local aussi. Le 19 octobre dernier, le préfet de l’Hérault, François-Xavier Lauch, s’exprime dans Midi libre au sujet de ce CRA : « À mon grand étonnement, le député de la circonscription de Béziers me dit qu’il est opposé à ce CRA. Je me dis qu’il faudrait réconcilier les discours nationaux et locaux. » En clair, le député de Béziers (RN) fait le grand écart : à Paris, il veut lutter contre l’immigration et faire exécuter les OQTF, mais à Béziers, c’est plus compliqué, parce que moins populaire. Il s’explique d’ailleurs quelques jours plus tard dans le même quotidien : « 45 % des personnes retenues en CRA sont expulsées, pourra-t-on assurer un suivi des autres ? Avec un accompagnement par des structures médico-sociales ? » Si je comprends bien, puisqu’on ne peut pas exécuter 100 % des OQTF, ne faisons rien ?Voilà qui s’appelle rétropédaler. Ou exceller dans l’art de la démagogie…
On sent Emmanuel Macron peu à l’aise sur la question d’Israël. Soufflant le froid et le chaud. Son refus de participer à la marche contre l’antisémitisme en novembre 2023, d’abord. Puis, sa déclaration lors du 19e sommet de la Francophonie à Paris, où, deux jours avant la commémoration du pogrom du 7-Octobre, il se dit favorable à un arrêt des livraisons d’armes à Israël. Le « maître des horloges », comme il aime à se nommer lui-même, a une nouvelle fois choisi un « timing » parfaitement déplacé, pour ne pas dire indécent, voire dégueulasse…S’il avait voulu provoquer une crise diplomatique avec Israël, il n’aurait pas fait autrement. Que se passe-t-il dans la tête de notre président ? Quelle mouche l’a donc piqué pour flatter ainsi l’électorat de La France insoumise ? Le voilà qui récidive quelques jours plus tard, en déclarant en Conseil des ministres que l’État hébreu « a été créé par une décision de l’ONU », ce qui laisse entendre qu’une autre décision pourrait le supprimer. Et comme si tout cela ne suffisait pas, lors de la conférence internationale sur le Liban organisée le jeudi 24 octobre à l’Élysée, Emmanuel Macron claironne qu’on « ne défend pas une civilisation en semant la barbarie »… Une intervention aussitôt partagée sur X par Jean-Luc Mélenchon. Le baiser de Judas ?
Islamisme encore
On en pleurerait. L’hommage rendu le 13 octobre au professeur Dominique Bernard, un an après son assassinat par un ancien élève radicalisé islamiste, a un goût amer. Le maire d’Arras n’a en effet jamais prononcé le mot qui fâche : islamisme. Sur scène, une artiste a réalisé en direct une « performance », comme on dit maintenant. Une grande toile représentant une colombe – ça ne s’invente pas ! – sur fond bleu-blanc-rouge et les mots « Liberté, égalité, fraternité ». Je vous évite les poèmes et les séquences de danse contemporaine qui avaient pour objectif de mettre « en lumière les valeurs de la République, la liberté et le vivre-ensemble », comme l’a souligné le maire. Triste prémonition, trois ans plus tôt, lorsqu’ils ont appris l’assassinat de Samuel Paty, l’épouse de Dominique Bernard a dit à son mari : « Qui sera le prochain ? Parce qu’il y en aura un. » Pas certaine que les colombes suffisent à y mettre un terme…
Comme les autres
Finalement, Michel Barnier fait comme tous les autres. Quelle déception ! Quand un gouvernement sait qu’il ne pourra pas agir sur le plan économique pour améliorer la vie des Français, il se rabat sur les questions de société. Alors qu’il avait mille raisons de surseoir, le voilà qui annonce la reprise des débats sur la loi « fin de vie ». Sans doute pour montrer patte blanche à ceux qui, depuis la dissolution, se démènent pour faire de l’euthanasie une priorité. Monsieur le Premier ministre, la vraie priorité, c’est le déploiement des soins palliatifs dont près de la moitié des patients qui en auraient besoin sont encore aujourd’hui exclus. Eh oui, être vieux, malade ou invalide ne signifie pas qu’on a perdu sa dignité !
Les éditions L’Harmattan ont 50 ans en 2025. On leur rend hommage.
On avait prévu un texte à propos de Doriot, Déat, Bergery, Mélenchon. Puis on s’est souvenu du livre de Philippe Burrin – La dérive fasciste – Doriot Déat, Bergery. Donc on s’est dit que cela attendrait. En outre, la dérive Mélenchon n’est pas achevée : on a hâte de connaitre la suite. Alors on a ouvert quelques livres, voire lu quelques livres, qui avaient tous un point en commun. Vous allez voir.
Qui a publié un livre à propos de Jacques Bergier, un des hommes étonnants du XXème siècle, inassignable à la manière d’un Jean Parvulesco juif (si l’on ose), l’alter ego de Louis Pauwels à la tête de la revue Planète et le coauteur du Matin des magiciens ?
Qui vient de publier un essai biographique à propos d’une crapule nommée Charles Lesca (1887-1949), Franco-argentin (il avait les deux nationalités), né en Argentine d’émigrés basques (riches, du côté de son père), arrivé en France à l’âge de six ans – où il vécut entre les Champs-Élysées, le boulevard de Courcelles et Guétary ? (D’abord publiciste mondain, influent dans le milieu hispaniste et devenu proche de Maurras (la latinité), il fut le dernier directeur de Je Suis Partout. D’un antisémitisme obsessionnel, il finira pourtant par se brouiller avec Rebatet et Brasillach. Condamné à mort par contumace, il meurt en exil en 1949, à Buenos-Aires).
Qui a publié un autre essai biographique très sérieux (de Louis-Dominique Eloy), à propos d’Alain Besançon ? Qui a publié une édition critique – par Alain Chardonnens – d’une rareté : le Charles Le Téméraire, d’Alexandre Dumas ? Qui a publié Ce que la Perse a légué à l’Espagne médiévale – riche étude sur un leg peu exploré ? Qui a publié une autre étude, universitaire, sur Hans Henny Jahnn, grand écrivain allemand mal connu (hélas), découvert par José Corti en France, auteur de pièces de théâtre trop peu mont(r)ées ? Qui a publié un autre essai, sur André Pieyre de Mandiargues ? ETC. QUI ? Les éditions L’Harmattan.
Elles passent régulièrement sous les radars, sont mal distribuées et publient beaucoup, voire trop parfois – mais tant de choses passionnantes. Il suffit de lire leurs programmes de parution, les argumentaires, puis les livres, certains livres – pour réaliser la richesse de cette maison.
L’Harmattan est l’ultime niche, un refuge ou un recours (tant la profession est parfois frileuse) – et c’est inestimable. Cela fait un demi-siècle et quelques polémiques que cet éditeur, né dans le milieu du catholicisme social des années 70, rend un service considérable à l’Histoire, aux études littéraires ou philosophiques, etc. Tirés à deux cents, trois cents, cinq cents exemplaires, les livres de L’Harmattan ont un mérite insigne : ils existent.
Qu’ils soient obscurs ou fameux, autodidactes ou professeurs à l’ENS, à la Sorbonne ou… ailleurs, les auteurs publiés par L’Harmattan sont divers et souvent remarquables (parfois, aussi, nullissimes – comme partout, avec des fautes de frappe à chaque page). La presse n’en parle (presque) jamais. C’est bien dommage. Une justification ultime de ce petit texte : saluer le travail – et l’existence – de L’Harmattan, donc.
À lire, à propos de l’histoire de l’Harmattan – depuis les origines :
Denis Rolland : Histoire de L’Harmattan. Genèse d’un éditeur au carrefour des cultures (1939-1980), préface de Jean-François Sirinelli et de Jean-Yves Mollier, L’Harmattan, 2022.
Denis Rolland, L’Harmattan. Matériaux pour l’histoire d’un éditeur 1962-1980, L’Harmattan, 2022.
Rémi Duhautois répond aux questions de Philippe Bilger. DR.
De champion du monde junior en aviron, à professeur d’EPS, et directeur du haut niveau en natation…
J’ai eu l’opportunité, changeant totalement de registre, de pouvoir « soumettre à la question » Rémi Duhautois, directeur du haut niveau pour la natation et les quatre autres disciplines aquatiques.
Il m’a répondu avec beaucoup de franchise et de spontanéité sur les questions sportives liées à sa fonction, au classement des meilleurs pour les Jeux olympiques, à l’organisation de ceux-ci et tout particulièrement aux dispositions qui avaient été prises pour offrir les meilleures conditions de repos et de confort à Léon Marchand qui a honoré la France en remportant quatre médailles d’or. Il s’agissait de lui éviter, en raison du grand nombre d’épreuves qu’il avait à disputer, toute fatigue inutile. Des échanges passionnants pour le « sportif en chambre » que je suis.
D’autant plus incontestables que Rémi Duhautois a été lui-même champion du monde junior à 18 ans en quatre deux quatre et qu’il a battu il y a quelques mois le record de France pour le nombre de kilomètres à la rame en 24 heures. Exploit dont on mesure l’extraordinaire défi qu’il a représenté.
Un entretien d’un autre genre certes mais que Rémi Duhautois a su justifier.
Causeur vous propose de visionner cet entretien, enregistré dans le studio de Fréquence Protestante (100.7 FM Paris).
« J’avais envie de créer des choses, à l’Éducation nationale, mais j’avais du mal. Ce n’est pas facile d’y faire sa place… » « Dans le sport de haut niveau, la réactivité, le fait d’être disponible, c’est primordial professionnellement » « Pour être distingué sportif de haut niveau des autres sportifs, il faut être dans la liste des 16 meilleurs mondiaux de sa discipline, liste établie par le ministère (je m’occupe spécifiquement de cette population-là, et pas des autres)… » « La plupart des fédérations sont unisport (ex : le football), ma fédération s’occupe de cinq disciplines » « Paris 2024 était dans toutes nos réunions et toutes discussions depuis sept ans, une vraie obsession. Cela fait bizarre de ne plus en parler depuis le mois de septembre » « Je ne suis pas pleinement satisfait du bilan des JO, car tous les sports dont je m’occupe n’ont pas été médaillés » « Les sportifs de haut niveau s’entrainent toute une vie pour un instant T. Une minute avant, c’est trop tôt, une minute après, c’est trop tard. On trouve cela dans peu de métiers : c’est terrible pour un nageur ou une nageuse de se louper, parfois pour un petit détail » « Léon Marchand et Florent Manaudou sont adorables humainement (…), on pourrait s’imaginer des personnages un peu différents des autres, craindre qu’ils soient hautains ou qu’ils prennent une place un peu différente par rapport aux uns et aux autres, cela n’a jamais été le cas » « Étant donné le nombre d’épreuves important, j’avais réservé un appartement tenu secret pour Léon Marchand, juste à côté du lieu des épreuves, et un appartement de secours » « On a beaucoup parlé des coulées de Léon Marchand. Essayez de faire une coulée ; les gens ne se rendent pas compte à quel point cela est éreintant de nager ensuite… » « J’ai compris le potentiel hors normes de Léon Marchand, en me rendant pour la première fois en Arizona, et en constatant qu’il battait le champion américain qui nageait à côté de lui dans toutes les nages… »
En politique étrangère, constance et fermeté sont indispensables pour être respecté. Emmanuel Macron a enfreint cette règle élémentaire tout en démantelant la diplomatie française. Selon le journaliste Vincent Hervouët, la « voix de la France » est devenue inaudible du Liban à l’Ukraine en passant par Bruxelles.
Depuis le 7-Octobre, Emmanuel Macron a dit tout et son contraire sur la guerre au Proche-Orient. Après avoir proposé il y a un an la création d’une coalition internationale contre le Hamas – une initiative mort-née que personne ne lui avait réclamée –, il a zigzagué pour finir par appeler au boycott sur les livraisons d’armes à Israël et accuser Benyamin Nétanyahou de « barbarie ». Au-delà de la personnalité capricieuse du chef de l’État, ce spectacle navrant reflète peut-être l’état véritable de la diplomatie française. Cocktail gaullo-mitterrandien pimenté de tropisme pro-arabe, notre politique extérieure n’a pas attendu Emmanuel Macron pour patiner, rappelle Vincent Hervouët, qui l’analyse depuis plus de quarante ans et qu’on écoute chaque matin sur Europe 1. Il dresse pour Causeur le portrait d’une France qui se targue de parler à tous, mais qu’on n’écoute plus.
Causeur. Comment expliquez-vous les revirements d’Emmanuel Macron en politique étrangère ?
Vincent Hervouët. En matière diplomatique encore plus qu’en politique intérieure, Emmanuel Macron pratique un « en même temps » absurde aux effets délétères. Prenez l’Algérie. Dans un premier temps, il qualifie la colonisation de crime contre l’humanité. Coup de théâtre ! Mais ensuite, il dénonce la rente mémorielle exploitée par les généraux pour se maintenir au pouvoir. C’est suicidaire ! La constance et la fermeté sont indispensables en politique étrangère si on veut être respecté. E. Macron enfreint en permanence cette règle élémentaire. J’en veux pour preuve sa conférence sur le Liban, fin octobre. Il lève un milliard d’euros, mais pour quoi faire ? Poser des pansements sur un membre gangrené ? Répéter, comme une formule incantatoire, que les institutions libanaises doivent retrouver leur pleine souveraineté ? Et que dire de la leçon de morale à Nétanyahou, si ce n’est qu’elle cache mal l’incapacité de la France à obtenir quoi que ce soit des Libanais ?
À quel moment avons-nous perdu la main dans la région ?
Il y avait eu des crises, des alertes, mais notre impuissance est devenue évidente en 2013, quand Paris a rejoint Washington pour fixer une ligne rouge à Bachar Al-Assad sur l’utilisation des armes non conventionnelles, et que Bachar a superbement ignoré cette mise en garde avec l’utilisation de gaz toxiques contre les rebelles de la Ghouta, dans la banlieue de Damas. François Hollande attendait l’appel de Barack Obama pour une riposte militaire commune. Il n’en a rien été, et pour cause : entre-temps et sans en parler aux Français, les Russes et les Américains s’étaient mis d’accord pour sauver le régime d’Assad et donc ne pas intervenir. Humilié, Hollande a renoncé lui aussi aux représailles. Pourquoi ? Cela nous aurait coûté quoi d’ignorer les injonctions américaines et de mener une opération militaire, même symbolique, contre Bachar ? On aurait sauvé la face et notre parole aurait gardé du poids.
Mais quand la France a-t-elle, pour la dernière fois, vraiment pesé sur les événements au Proche-Orient ?
Pendant l’opération « Raisins de la colère », menée par Israël contre le Hezbollah en avril 1996. Pour obtenir un cessez-le-feu, le ministre des Affaires étrangères d’alors, Hervé de Charrette, a négocié avec les Syriens en contournant les Américains. Miraculeusement, ça a marché. Il est arrivé que la persévérance de Jacques Chirac paye et qu’il arrive à faire bouger les lignes. Il faut dire qu’en Israël, la situation était plus favorable. Le Premier ministre s’appelait Shimon Pérès.
Donc, la France a eu raison, toutes ces années, de maintenir son dialogue avec la Syrie, puissance occupante fantôme au Liban ?
Peut-être, si on est pragmatique. Pour maintenir notre présence dans la région, on a avalé des couleuvres. En 1984, moins de trois ans après l’assassinat de notre ambassadeur à Beyrouth par le régime syrien et quelques mois après le Drakkar, François Mitterrand allait à Canossa, c’est-à-dire à Damas. Cette visite ô combien humiliante fut un véritable supplice, son hôte Hafez Al-Assad lui infligeant durant des heures un pénible exposé sur l’histoire de son pays depuis les Croisades – la fameuse diplomatie de la prostate.
Quant à nos bonnes relations avec le Hezbollah, malgré l’assassinat de 58 soldats français en 1983, on voit mal à quoi elles nous servent aujourd’hui.
Le Quai considère depuis longtemps qu’au Liban, les chiites sont chics. Le dialogue avec le Hezbollah est une ancienne tradition française. Après le Drakkar, pour ne pas s’avouer vaincu, Mitterrand a nié l’évidence. Depuis, tous ses successeurs l’ont imité, faisant eux aussi comme si de rien n’était. On ne sait donc toujours pas ce qui s’est passé au Drakkar, faute de commission d’enquête. Alors que tous les détails de l’attentat contre la caserne des « marines » américains, qui a eu lieu au même moment, sont connus.
Si on vous suit, la fameuse politique arabe qui est la fierté du Quai d’Orsay a eu des résultats plutôt maigres. Elle n’a même pas évité les attentats sur notre sol…
Au contraire ! Il n’y a pas un pays en Europe qui ait subi autant d’attentats importés de l’étranger. Quand ils ne s’attaquaient pas aux intérêts israéliens ou à la communauté juive, les mercenaires du terrorisme palestinien réglaient à Paris les comptes obscurs de l’Irak, de la Libye, de la Syrie. En dehors de Carlos enterré vivant à la centrale de Poissy et qui y perd la tête, il reste de cette période fiévreuse l’illusion qu’on peut dealer avantageusement des pactes de non-agression avec les tueurs. Le Quai d’Orsay a encore succombé à cette vision dégénérée de la realpolitik avec le Front al-Nosra en Syrie ou le Hezbollah libanais. Après le terrorisme arabe, l’Iran a pris le relais dans les années 1980, avec des attentats en cascade qui étaient autant de chantages. Enfin le terrorisme islamique a multiplié les tueries aveugles. D’abord, les GIA algériens, puis les filiales d’Al-Qaida et enfin Daech. On passe du terrorisme d’État à une forme de guérilla anarchique et sanglante. Les buts de cette guerre deviennent flous. In fine, il s’agit de saigner l’ennemi pour le punir, le soumettre. Les djihadistes ne sont pas des naïfs : ils savent comme tout le monde que la France n’a plus de politique arabe. La France est devenue une cible. Non plus pour ce qu’elle fait, pour ce qu’elle est.
Revenons à 2024. Emmanuel Macron est-il le seul à croire qu’on écoute la voix de la France ?
La France a perdu l’essentiel de son crédit dans la région. Deux exemples récents l’illustrent. D’abord quand Macron a proposé une trêve de trois semaines dans le conflit arabo-israélien, personne n’a même fait semblant de l’écouter ; ensuite quand il a organisé une conférence sur le Liban, ni les Iraniens, ni les Israéliens, ni les Américains n’y ont participé. Sans eux, comment peut-on imaginer ne serait-ce que le début d’une esquisse de réforme de l’État libanais ou d’une négociation d’un cessez-le-feu ? Il est toujours difficile de dresser lebilan comptable d’une politique étrangère, car il y a trop d’acteurs et de variables. Cependant, on ne peut que constater l’étiolement de notre influence.
Comment l’expliquez-vous ?
D’abord, il est impossible d’avoir une voix audible à l’extérieur quand on est en vrac à l’intérieur, avec des quartiers non tenus, les finances dans le rouge et des frontières poreuses. Ensuite, la stratégie du multilatéralisme, censée être un multiplicateur de notre influence, ne marche plus, ni à l’OTAN, ni au sein de l’UE. Ursula von der Leyen peut ainsi réclamer la tête de notre commissaire et l’obtenir, nous infligeant une humiliation publique.
Mais nous disposons d’un autre vecteur d’influence avec la francophonie !
Le vrai problème de la francophonie est dans la tête des élites françaises mondialisées. Comme notre président qui parle globish, dès qu’il en a l’occasion. Villers-Cotterêts ressemble davantage à un cénotaphe qu’à un campus. Le dernier sommet de la francophonie était une petite génuflexion devant un tabernacle vide.
Vous faites peu de cas de nos atouts. Tout de même, ne sommes-nous pas le deuxième vendeur d’armes au monde ? L’Égypte ne vient-elle pas de nous acheter des Rafale ?
Nous profitons de la volonté de nombreux pays de diversifier leurs sources d’approvisionnement pour ne pas dépendre complètement des États-Unis ou de la Russie. Mais cela ne dépasse pas la dimension économique, car chacun voit bien que nous sommes incapables d’offrir une véritable garantie de sécurité. Or, c’est le premier fondement de la puissance. Si vous ne pouvez protéger personne, vous ne comptez pas, ou peu.
Vous parlez comme si nous ne disposions pas d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, et que nous ne possédions pas la bombe atomique.
Cela pourrait être un trône, si c’est à la SDN, l’impuissante Société des nations d’avant-guerre, à quoi bon ? Quant à notre dissuasion nucléaire, elle est certes opérationnelle, mais d’aucun secours face aux putschistes du Sahel, aux migrants qui s’embarquent pour les Canaries, aux manigances dans la guerre numérique menée par Moscou, autrement dit face aux véritables menaces d’aujourd’hui.
Revendiqué par un groupe soutenu par l’Iran et lié aux futurs fondateurs du Hezbollah, l’attentat du Drakkar à Beyrouth, le 23 octobre 1983, a causé la mort de 58 parachutistes français. MORVAN/SIPA
L’argument nucléaire a son importance dans la guerre en Ukraine.
La dissuasion repose sur le principe de suffisance. Avec nos 300 bombes atomiques, nous sommes incapables de protéger le continent. Nous avons peut-être quelques cartes maîtresses, mais elles ne suffisent pas à faire un jeu gagnant. Donc que faisons-nous finalement ? Des discours, et tout ce qui peut être fait pour retarder l’affrontement. En somme, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, le ferment de l’impuissance française se trouve dans la réticence à dire « ça suffit » et à taper du poing sur la table. Il ne nous reste dès lors que la nostalgie de la grandeur française. Comme ces mécréants qui agitaient les chaises au fond des églises pour montrer qu’ils étaient de la paroisse. Au Liban, nous continuons à nous prendre pour les chevaliers blancs. Ce n’est plus une posture, c’est une imposture. La France ressemble aux casques bleus sur place depuis 1978, qui regardent sans rien faire le Hezbollah s’asseoir sur les résolutions du Conseil de sécurité.
Pourquoi tant de pusillanimité ?
Notre situation s’apparente à celle de l’après-guerre, quand nous étions à terre et que nous dépendions de l’étranger en toute chose. Notre faiblesse saute aux yeux quand Macron déclare en Australie que la zone indo-pacifique est la priorité de sa politique étrangère, alors qu’au même moment, la Nouvelle-Calédonie est abandonnée au chaos. Ou encore, lorsqu’à la suite de la mort de Nahel en été 2023, l’Algérie rappelle à la France son devoir de protection envers ses ressortissants !
Notre diplomatie ne sert-elle donc plus à rien ?
Nous parvenons à monter des coups sur des questions comme l’environnement, le numérique, les droits de l’homme. Un peu comme les pays scandinaves. Cela se fait à l’intérieur d’un système totalement soumis, sur le plan de la défense, aux États-Unis, lesquels d’ailleurs ont perdu de leur superbe.
Depuis le début de cet échange, nous n’avons pas évoqué l’administration centrale de notre diplomatie, le Quai d’Orsay, que l’on dit obsédée de façon pour ainsi dire romantique par la cause arabe. N’est-ce pas l’une des explications de nos errements ?
Pendant longtemps, si vous vouliez entrer aux Affaires étrangères par la grande porte, deux solutions s’offraient à vous : l’ENA ou le concours des cadres d’Orient, en maîtrisant des langues orientales, dont l’arabe. Si bien qu’il existait au Quai d’Orsay une inclination un peu curieuse pour le monde arabe et qui se traduisait par une suspicion permanente envers Israël. À mon avis, tout cela appartient au passé.
Voulez-vous dire que le Quai d’Orsay a cessé d’être pro-arabe ?
Il l’est moins. Depuis quinze ans un groupe de diplomates néoconservateurs a imposé un certain rééquilibrage au sein de la maison. Du reste, ces nuances internes n’ont pas la moindre importance, car le Quai d’Orsay n’en a plus la moindre. Depuis qu’Emmanuel Macron est à l’Élysée, le Quai d’Orsay a perdu toute autorité au sein de l’administration. Le président en a pris acte en abolissant le corps diplomatique et en supprimant la conférence des ambassadeurs. Désormais, la politique étrangère se décide et se mène à l’Élysée. Nos diplomates sont désormais, si j’ose dire, au bout du quai.
Alors que les téléspectateurs habitués à C8 et NRJ 12 ont l’impression qu’on veut contrôler ce qu’ils regardent, des pétitions de soutien aux deux chaînes remportent un grand succès.
La France est sens dessus dessous, mais il y avait urgence à mettre au chômage 300 salariés et 100 sous-traitants, en supprimant la chaine de télévision C8… Sans même parler de NRJ 12 ! La décision de l’organisme public de contrôle de l’audiovisuel fait polémique depuis des semaines. Tout ce que l’Arcom, l’Autorité de Régulation de la Communication Audiovisuelle – nouvelle version du CSA dont on comprenait mal le contour (maintenant on comprend mieux, ils sont politisés et ils l’assument) – a estimé indispensable de faire depuis des mois, c’est donc de fermer des chaînes privées de télévision qui non seulement satisfont les téléspectateurs, mais en plus emploient de nombreux salariés qui vont se retrouver sans activité. Comment ne pas s’indigner ?
Aurélien Saintoul satisfait
Les « gendarmes » de l’audiovisuel peuvent s’enorgueillir d’avoir donné satisfaction au député LFI Aurélien Saintoul, qui réclamait la tête de CNews et de C8. La liberté d’expression est sacrée en France, c’est un combat incessant que de la préserver, y compris pour des débats évidemment infiniment plus graves. Cette liberté est notre fierté, et la France l’a toujours portée comme une valeur essentielle, y compris à l’étranger ; et c’est sur notre propre territoire que nous la bafouons, pour « préserver » les téléspectateurs ? mais de quoi ? On ne peut que constater par ailleurs que le secteur privé est la cible prioritaire de cette épuration.
L’objet du délit : un animateur a dépassé les bornes de l’expression verbale et de la gesticulation sur son plateau. Soit. La chaine a payé des amendes à la suite de ces constats, ne peut-on pas s’estimer satisfait ? Et si récidives, n’y a-t-il pas des étapes intermédiaires avant de fermer une chaîne de télévision plébiscitée et pionnière de la TNT (9,6 millions de téléspectateurs cumulés par jour) ? On pourrait peut-être même imaginer, si les propos tombaient sous le coup de la loi, de renvoyer l’animateur en question ? en se substituant au patron de la chaine ? Si cela se passait dans une entreprise classique, on n’ose penser aux réactions violentes des syndicats… Où sont-ils, là ? Et s’il s’agissait d’un animateur et d’une émission cataloguée à gauche, ils seraient aussi dans la rue évidemment. Il ne s’agit pas là d’apprécier ou non, l’animateur en question, ni même de le défendre, mais de respecter la liberté de la presse et celle des téléspectateurs avec leur possibilité de zapper…
En revanche, l’exemption des chaînes publiques de gauche de toute sanction pour « discrimination de l’information » ou leurs prises de position engagées, cela ne suscite pas le moindre frémissement, sinon un conseil, murmuré à leur oreille, de varier un peu plus souvent les invités… Par ailleurs, dans le respect du pluralisme, quand on est invité à une émission sur France Inter, par exemple, c’est l’assurance d’être un alibi, pour vite mieux se faire agresser par le fameux « camp du bien »…
Mises au pas préoccupantes
Retirer deux chaînes aux lignes éditoriales axées sur le divertissement comme C8 et NRJ12, c’est aussi s’attaquer à la diversité des programmes dans l’espace audiovisuel français et donc à une forme d’équilibre sociologique. Les Français qui apprécient ou non ces chaines, ne s’y trompent pas : une pétition a été lancée pour contester devant le conseil d’Etat la décision de l’Arcom. Cette pétition concernant C8 a déjà recueilli plus de 600 000 signatures en quelques jours. Pour ce qui est de NRJ 12, saluons Jean-Paul Baudecroux ! un des pionniers du monde des médias audiovisuels et dont la chaîne était rentable depuis peu. La chaîne NRJ 12 reçoit chaque jour des milliers de messages de soutien sur son site. Le problème résiderait, parait-il, dans la faiblesse des programmes proposés. N’est-ce pas un peu insultant pour les téléspectateurs, non ?
Ces mises sous contrôle sont graves. Non seulement le service public ne remplit pas son rôle d’information et de pédagogie économique objective, à un moment où la France est en danger, mais on s’attache à supprimer des formes de liberté plébiscitées.
On nous rétorquera que les fréquences ne sont pas attribuées à vie, ce que l’on peut comprendre, mais qu’en est-il des fréquences publiques : sont-elles éternelles ? Quelles justifications, sinon d’être le bras armé des gouvernements ?
Par ailleurs, des candidats se sont évidemment portés à l’acquisition des fréquences, il s’agit notamment de Ouest France ; mais ces derniers ont fait savoir qu’ils n’étaient pas prêts ! en tout cas, pas avant six mois… Question idiote, mais ne pourrait-on pas au moins laisser la fréquence et les emplois jusqu’à la capacité de Ouest-France d’assurer un programme complet, non ? Car la réalité est sans appel : à partir de fin février, écran noir ! Par ailleurs, est-ce que le repreneur est contraint de reprendre les journalistes ? C’est ce qui se pratique avec les employés dans le monde de l’entreprise…
On se souvient, et on hésite, en repensant au choix proposé naguère par Coluche : la dictature se résumait selon lui par « ferme ta gueule » et la démocratie par « cause toujours ». Une parfaite illustration !