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Y’a pas bon laïcité

antiracisme rokhaya diallo

Il faut féliciter Elisabeth Lévy qui a remporté lundi soir un deuxième Y’a Bon Award « pour l’ensemble de son œuvre ». Pour Bader Lejmi, organisateur de l’événement, c’est parce qu’ « elle cumule toutes les tares ». Si j’étais de gauche, je dirais que ce dérapage nauséabond sent bon l’antisémitisme ordinaire. D’autant plus que la philosophe Élisabeth Badinter fait aussi partie des heureux élus pour avoir, sur le site Elle.fr, regretté l’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire de la crèche Baby Loup : « D’un côté, on commémore les victimes de Mohamed Merah et [on] veut combattre l’islamisme radical et de l’autre on laisse faire l’entrisme de ces islamistes dans des crèches de quartier. Il faut absolument réagir très vite. »
Comble de coïncidence, la sénatrice radicale de gauche Françoise Laborde a également obtenu une banane d’or cette année. La toute nouvelle membre de l’Observatoire de la laïcité est l’auteur de la proposition de loi soutenue par le PS qui vise à interdire aux nounous de porter le voile,  en réaction au vide juridique constaté à l’occasion de l’affaire Baby Loup. Le motif de sa récompense ? Elle a eu l’outrecuidance de répondre dans une interview à Radio Orient, face aux réactions indignées des auditeurs : « Et j’ai bien compris que j’inquiétais, que je perturbais et que j’étais une islamophobe. Bon ben voilà, et j’assume. » Depuis, elle se bat pour que le projet de loi sénatorial trouve une issue à l’Assemblée.
On le voit, droite et gauche sont communément jetées dans le même sac de l’islamophobie. La présidente de l’association Les Indivisibles, à l’initiative des Y’a Bon Awards, Rokhaya Diallo, justifie ce choix en jugeant le PS « totalement absent et irresponsable. Le vieux fonds culturel laïcard et antireligieux l’empêche de toucher et comprendre les jeunes musulmans de France. »  Si droite et gauche baignent dans une même islamophobie c’est sans doute parce que, selon Mme Diallo, la France est à jamais coupable, entachée du péché originel du colonialisme. « Comment faire dans un contexte structurellement raciste ? C’est la mentalité qui doit changer y compris dans le monde des médias » s’insurge-t-elle.
Gare en effet à ceux qui critiquent le voile islamique comme un instrument de domination du mari sur son épouse, du père sur sa fille, de l’homme sur la femme. Ainsi, Manuel Valls a été nommé à deux reprises cette année, en particulier pour ses propos sur « le voile qui interdit aux femmes d’être ce qu’elles sont ». Dès lors, comment nier que la police de la pensée Y’a Bon dérive, année après année, de la légitime lutte antiraciste vers la défense d’un islam rétrograde ? Pour preuve, même Jean-Luc Mélenchon a  été nommé pour un dérapage-stigmatisant-et-intolérable sur France 4 : « La plupart des gens vivent leur foi, ne cherchent pas à se déguiser en Afghans. Un déguisement, c’est se foutre une calotte sur la tête et passer sa journée avec une tenue d’Afghan. Je trouve ça ostentatoire. On peut être croyant et ne pas avoir besoin d’humilier les autres. » Jean-Luc Mélenchon a-t-il tenu des propos racistes et islamophobes ?
Et Hassen Chalghoumi, l’imam de Drancy qui prône un islam modéré et républicain, sélectionné en 2013, qui a déclaré à propos de la ghettoïsation  de certains quartiers : « Quand on a vu sur la première photo de classe que ma fille était entourée de black et de beurs, on s’est dit qu’elle ne devait pas rester dans cette école. » donnerait-il dans la haine de soi ?  Et le philosophe musulman Abdennour Bidar, lui aussi nommé, est-il islamophobe ?
Apparemment ces calomnies ne choquent pas le directeur de l’IRIS Pascal Boniface, qui a honoré de sa participation le jury des Y’a Bon Awards.
Une autre victime de cet islamisme branché et masqué n’est autre que Caroline Fourest. La célèbre chroniqueuse multimédia et militante féministe, dans un article de son blog intitulé Les Y’a Bon Awards déshonorent l’antiracisme, avait annoncé porter plainte après avoir reçu une banane d’or en 2011. Rendez-vous compte, elle avait pointé du doigt, à une Convention du PS sur l’Égalité réelle en décembre 2010, les « associations qui demandent des gymnases pour organiser des tournois de basket réservés aux femmes, voilées, pour en plus lever des fonds pour le Hamas ».
Or, sa rivale antiraciste Rokhaya Diallo a été de tous les combats contre l’encadrement de l’islam par la laïcité française : remise en cause de l’interdiction du voile à l’école en 2004 dans ses 100 propositions concrètes pour une république multiculturelle, tribune contre Charlie Hebdo après l’affaire des caricatures et l’attentat contre son siège, protestation contre la loi interdisant le voile intégral sur la voie publique et, en 2013,  toute une cérémonie des Y’a Bon Awards mise sous le signe de la lutte contre le projet de loi réglementant les signes religieux ostentatoires des nounous.
Les médias français, dont Mme Diallo dit être la victime indirecte, ont relayé mardi la dépêche AFP qui rend compte des prix attribués à Jean-François Copé pour son histoire de pain au chocolat, et à Véronique Genest pour son coming out islamophobe. Des noms jetés en pâture à l’opinion sans qu’une réflexion un peu poussée soit menée sur les coulisses et les buts des Y’a Bon Awards

*Photo : Capture d’écran des Indivisibles.

Salade romaine

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rome alemanno marino

Avec 64% des voix, le candidat de la gauche (PD) Ignazio Marino est devenu le nouveau César de Rome. Un score flatteur qui cache une réalité moins impériale…
2008. Gianni Alemanno prend possession de la mairie de Rome. Sur la place du Capitole, des bras se lèvent dans un salut romain qui rappelle l’ancien engagement néo-fasciste du nouveau patron de la ville éternelle. C’est sous l’étiquette plus respectable du centre-droit (PDL) de Silvio Berlusconi qu’il a repris la ville à la gauche qui la gouvernait depuis 1989. En dépit des postures viriles et des mouvements de menton, n’est pas Duce qui veut et Alemanno a même réussi à décevoir ses propres supporters. Non seulement, on lui a reproché de s’être mal entouré et d’avoir cherché à favoriser ses anciens amis mais surtout, on a attendu en vain un souffle nouveau. Ainsi, son mandat n’a pas changé le visage du quartier pluriethnique de l’Esquilin malgré l’expulsion de  61.000 immigrés roms. Son volontarisme ponctuel n’a pas suffi à masquer l’étendue des promesses non tenues. Pire, les motifs d’insatisfaction se multiplient. Côté prestige, la capitale n’a relevé aucun des challenges que l’on pouvait attendre d’une grande métropole européenne : Rome ne sera pas candidate aux JO de 2020. Au quotidien, elle affronte des problèmes récurrents tels que la désorganisation des transports publics municipaux, ou la saleté de ses voiries.
Du côté de la Piazza del Popolo, personne n’a oublié l’écroulement d’un tronçon du mur historique du Pincio, à la suite d’un défaut d’entretien. Mais le point d’orgue de la rogne populaire a été atteint lorsque la ville s’est vue complètement bloquée pour quelques malheureux centimètres de neige l’hiver dernier. Si gouverner c’est prévoir, Alemanno aurait probablement dû recourir aux anciens auspices pour prévenir sa défaite cinglante.
Juin 2013. Ignazio Marino chasse Alemanno avec un score digne des triomphes antiques. Mais s’agit-il pour autant d’un plébiscite ? Rien n’est moins sûr. Même si le nouveau maire paraît plus présentable (son métier de chirurgien reconnu et respecté plaide pour lui), il clive aussi l’électorat en adoptant des prises de positions très mal vues du côté du Vatican, notamment sur l’euthanasie. À y regarder de près, une abstention record tempère la victoire de la gauche. Moins d’un électeur sur deux a voté dans un pays qui a pourtant une longue tradition de forte participation électorale (souvent près de 70 %).
Et puis, il faut aussi compter avec le phénomène Beppe Grillo qui reste la grande inconnue de la vie politique de la péninsule. Le Mouvement 5 étoiles a subi un camouflet au premier tour des municipales et ses électeurs ont été « contraints » de se reporter sur les candidats de gauche au second. Force est de constater qu’après quelques mois, le raz-de-marée de l’humoriste échappé en politique n’a pas convaincu. Dissensions internes, incapacité à négocier, manque de propositions concrètes, Grillo est en train de faire la démonstration que vociférer ne suffit pas, encore faut-il avoir quelque chose à dire. Son aura médiatique a rendu aphones les autres forces populistes (de gauche ou de droite) qui s’étaient pourtant présentées avec de véritables programmes lors des élections législatives de février.
Aujourd’hui, les Italiens se retrouvent avec la traditionnelle dichotomie entre centre gauche et centre droit. Comme souvent, Rome a joué le rôle de baromètre de la politique italienne. Si cela est plutôt bon signe pour le gouvernement Letta péniblement constitué après des mois de négociation, il n’est pas sûr que l’adhésion des Italiens au jeu démocratique en sorte grandie.

*Photo : Corscri Daje Tutti! [Cristiano Corsini].

Islam : il est temps de crier aux loups

mohamed merah loups

D’accord, ce sont des actes isolés commis par des « loups solitaires ». Soyons clairs : les fanatiques prêts à éventrer en pleine rue, au hachoir ou au couteau, en criant « Allah Akbar ! », un inconnu qui ne leur a rien fait, ne représentent ni l’islam ni l’immense majorité des musulmans pacifiques. Reste que le nombre de « loups solitaires » semble augmenter  en flèche. On sait que le tapage médiatique encourage les vocations. Et puis, le rapport difficulté/efficacité est excellent : pas de matériel, pas de logistique et, en quelques minutes, on est pratiquement assuré de faire la « une » dans le monde entier – la formule « lumpen-terrorisme », pêchée dans Le Monde, est particulièrement bien trouvée.
Le mimétisme n’explique pas tout. L’homme qui, le 7 mai, a tenté de poignarder un gendarme à Roussillon, en poussant les mêmes cris, n’imitait personne. Peut-être son pèlerinage à La Mecque, dont il venait de rentrer, avait-il obscurci son entendement. Mais qu’est-il arrivé à cet autre qui, trois jours après l’assassinat d’un policier londonien, a violemment agressé un soldat à La Défense ?[access capability= »lire_inedits »] Entendait-il, lui aussi, venger ses « frères afghans » – qui ont tué 88 soldats français ? Et leurs copains, qui s’entre-montent le bourrichon en dégoisant leur haine des pays qui ont accueilli leurs parents et dont ils sont citoyens, qui voudront-ils venger demain ? Et ces jeunes Suédois qui ont incendié des écoles et des commissariats, que reprochent-ils à l’autre pays du progrès social ? Souffrent-ils des séquelles du colonialisme ?
À questions complexes, réponses simples : le parti de la compassion a une rhétorique bien rodée, dont la principale vertu est d’interdire la compréhension, et plus encore l’observation de la réalité. Un : les loups solitaires sont solitaires ; leurs actes sont donc totalement dépourvus de signification. Deux : tout cela n’a rien à voir avec l’islam et les musulmans ; le principal danger, c’est l’amalgame. Trois : la véritable violence, c’est la pauvreté et la discrimination.
Quatre : les coupables, ce sont les populations autochtones, arriérées et racistes. En somme, il ne se passe rien, mais c’est de notre faute. Certes, les individus prêts à passer à l’acte sont statistiquement insignifiants. Mais ils font figure de héros pour nombre de jeunes musulmans en voie d’« auto-radicalisation », terme nouvellement consacré par les médias. Grâce à Internet, nous explique-t-on, ces jeunes gens peuvent s’abreuver aux sources les plus délirantes. On conçoit que les enseignements de leurs prêcheurs favoris sur la meilleure façon de tuer un juif puissent enflammer des esprits faibles. Il est à craindre qu’ils puissent aisément rencontrer des compagnons de divagation dans leur environnement immédiat, c’est-à-dire dans les banlieues des capitales européennes. Nous n’avons pas besoin d’importer le fanatisme, nous le fabriquons très bien sur place.
Que ce fatras idéologique soit à mille lieues du véritable islam, je le crois volontiers, n’ayant aucune compétence en matière d’affaires divines. Le problème, c’est que l’islam réel a souvent le visage, sinon du fanatisme, du moins de l’intolérance. Je ne parle pas, bien sûr, des millions de musulmans du coin de la rue qui ont fait souche en France et dans toute l’Europe. Mais on se rappelle qu’après l’assassinat du préfet Érignac, 40 000 Corses avaient défilé pour dénoncer les crimes commis en leur nom. Alors oui, on aimerait que la majorité silencieuse des musulmans d’Europe cesse d’être silencieuse et proclame à son tour « Not in my name ! ».
Dans ce climat, la stratégie du déni est de plus en plus intenable. Même Le Monde admet que l’Europe est confrontée au grand défi de « l’intégration des communautés étrangères », ce qui revient à reconnaître que cette intégration connaît de sérieux ratés – qu’il impute, sans surprise, à la crise de l’État-providence et à l’égoïsme des peuples.
On ne prétendra pas que la pauvreté, le chômage, l’échec scolaire, de même que le racisme et les discriminations, ne jouent aucun rôle dans le décrochage d’une partie des jeunes Européens d’origine étrangère. Mais il se passe autre chose : une partie de nos concitoyens venus d’ailleurs ont choisi de vivre à part, aggravant leur relégation géographique par un séparatisme culturel qu’ils prétendent imposer à leurs quartiers, propageant l’idée que ceux qui fréquentent des « Français » sont de mauvais musulmans.
Peu importe le modèle de « vivre-ensemble » qui leur est proposé : ce qu’ils ne veulent pas, précisément, c’est vivre ensemble. Mais pour faire société, il faut être deux. En attendant de les ramener dans le giron de la République ou du Royaume, seule la loi, appliquée dans toute sa rigueur, les contraindra à respecter la règle commune. Il y a urgence : plusieurs loups, ça finit par faire une meute.[/access]

*Photo : Matt Batchelor.

PRISM : Liberté et sécurité, l’arbitrage impossible

obama prism internet

En 1929, le secrétaire d’Etat américain Henri Stimson a ordonné la fermeture du service de décryptage de son ministère. « Gentlemen don’t read each other’s mail » (des gentlemen ne lisent pas les courriers d’autres gentlemen), disait-il. Depuis, à Washington comme ailleurs, les gentlemen sont devenus une espèce rare. Preuve en est, le récent scandale autour du projet américain PRISM, un système capable de scanner et d’analyser les mails et messages envoyés sur les réseaux sociaux.
Comme l’a expliqué Barack Obama, « personne n’écoute vos appels téléphoniques. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit avec ce programme ». Si les contenus des mails proprement dits échappent aux services de renseignement, ceux-ci n’en examinent pas moins « les numéros de téléphone et la durée des appels. Ils ne regardent pas le nom des gens. Et ils n’examinent pas le contenu. Mais en analysant ces données, ils peuvent identifier des pistes sur des gens qui pourraient avoir recours au terrorisme », précise le président américain. Un système de fadettes intelligentes, en somme.
Malgré tous ces garde-fous, on comprend la colère des internautes. Il est désagréable de se sentir fliqué par les services de sécurité. Mais, face aux « loups » plus ou moins solitaires qui se multiplient de Toulouse à Boston en passant par Londres, Utoya et La Défense (sans parler des tueurs de masse apolitiques qui sévissent si souvent aux Etats-Unis), nous exigeons – à juste titre – un niveau toujours croissant de sécurité. L’hypocrisie atteint des sommets lorsque nous consentons à recevoir des offres commerciales basées sur la récurrence de certains mots-clés dans nos conversations virtuelles mais que nous nous offusquons que ces mêmes méthodes soient employées à des fins non mercantiles, pour notre propre sécurité. Ainsi, il y a quelques années, Jack Lang s’indignait de la création du fichier policier EDVIGE sur le plateau du « Grand Journal », arguant que cet outil statistique attente à nos libertés en fichant les individus ayant eu maille à partir avec la justice. Quelques instants plus tard, dans la même émission, l’ancien ministre de la Culture accueillait le jeune fondateur de Facebook avec un concert d’éloges, comme un chantre de l’innovation et de la liberté sur Internet. La différence de nature entre EDVIGE et l’intrusif Facebook, c’est que le premier devait aider l’Etat à préserver la sécurité de nos concitoyens, là où le second vend des publicités et des applications à partir de nos conversations et données privées.
C’est dire si nous avons parfois du mal à mesurer les vrais enjeux des arbitrages entre liberté et sécurité. Or, les nouveaux terroristes ne nous attendent pas. À l’instar des avions furtifs, ils échappent souvent aux radars et laissent peu d’indices avant de passer à l’acte. Ces individus isolés se compromettent peu avec des réseaux bien identifiés. Ils limitent au strict minimum les contacts avec des individus susceptibles d’être surveillés. Leurs seules traces visibles se retrouvent sur le web, un monde réticulaire et difficilement contrôlable. Face à ces nouvelles menaces, le travail classique des agents secrets – filature, écoutes… – ne suffit plus.
Dans ces conditions, les services de renseignements ont recours aux derniers moyens efficaces pour traquer les terroristes : lancer des algorithmes, analyser d’énormes bases de données, croiser les indices. Ce n’est qu’après avoir repéré un individu suspect qu’on peut le confondre au moyen des méthodes policières traditionnelles.
Comme d’ordinaire, l’indignation est mauvaise conseillère. La question n’est pas tant le bien-fondé de la surveillance que les conditions de son application. Impliquer les élus, garantir le contrôle judiciaire de ces nouveaux outils : voilà les nouveaux défis à relever dans l’encadrement de la lutte antiterroriste.

*Photo : watchingfrogsboil.

Rana Plaza : plusieurs nuances de Camaïeu

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Chacun le sait, si la mondialisation a quelques effets collatéraux désagréables par chez nous, le consommateur s’y retrouve, à défaut du travailleur. Et puis, ne soyons pas si égoïstes : les ouvriers du tiers-monde ont autant  besoin d’emplois que les ménagères occidentales de marinières « bretonnes »  à 6,99 euros.
Bref, on vit dans le meilleur des mondes, sauf quand on y meurt, ce ne sont pas les 1129 prolétaires bangladais malencontreusement décédés le 24 avril dernier lors de l’effondrement du Rana Plaza, qui vous diront le contraire.
Il se trouve que les familles des victimes, ainsi que les 1650 blessés, ont l’outrecuidance de réclamer quelque indemnisation pour le préjudice subi. Leur montant s’élève en tout à seulement 54 millions d’euros : là-bas, même la vie humaine est lowcost.
Mais c’est quand même beaucoup trop cher pour les entreprises impliquées dans le drame, selon le collectif Ethique sur l’étiquette, et l’ONG Peuples Solidaires, « seules sept marques[1. Primark, El Corte Ingles, Loblaw, PVT, Matalan, Benetton et Premier Clothing.], parmi les dizaines qui avaient une production au Rana Plaza, se sont engagées à indemniser les victimes. En France, aucune des marques dont des vêtements ou étiquettes ont été retrouvées dans les décombres n’a à ce jour reconnu sa responsabilité ni accepté de participer au fonds d’indemnisation des victimes. ».
Parmi ces enseignes françaises récalcitrantes, le cas de Camaïeu était particulièrement sensible pour les humanitaires qui affirment dans leur communiqué que « Camaïeu, dont des étiquettes et un pantalon ont été retrouvés au milieu des gravats par des organisations locales de défense des droits des travailleurs, et filmés par des journalistes, garde le silence face à nos sollicitations répétées. »
En vertu de quoi, les associations, soutenues par l’intersyndicale Camaïeu, que nous félicitons au passage, ont appelé mardi à un rassemblement symbolique devant le siège du groupe, qui a aussitôt mis les pouces et s’est engagé à participer à l’indemnisation. On a fini par se rendre compte, chez Camaïeu que qui vit par l’image peut aussi en périr…

Et si l’audiovisuel public français allait se faire voir chez les Grecs ?

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grece tv publique

On peut être certain qu’en leur for intérieur, les dirigeants français de l’audiovisuel public ont pensé très fort qu’il ne serait pas idiot, ma foi, que leur autorité de tutelle, à savoir le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, ait le courage de s’inspirer de l’exemple du premier ministre grec Antonis Samaras. On ferme la boutique, et on ne la rouvre que lorsque la machine a entièrement été révisée, débarrassée des pesanteurs administratives et humaines qui plombent son fonctionnement, et alourdissent ses coûts de manière astronomique sans contribuer notablement  à la qualité du produit mis sur les antennes.
Il suffit d’avoir travaillé avec des équipes de France 3 dans le cadre d’un tournage, ce qui a été, à plusieurs reprises, le cas de l’auteur de ces lignes, pour juger de la gabegie qui règne dans ce monde enchanté de l’image qui bouge. On ne badine pas avec les horaires, vingt dieux ! Et l’heure de la bouffe est sacrée, à la minute près, même si les conditions exigeraient que l’on poursuive le tournage, pour des rasions climatiques, de lumière, ou autres… Le matos a beau s’être tant amélioré au fil des années, en poids et en qualité qu’il permet de réduire le nombre des techniciens de l’image, du son et de l’éclairage, on est obligé de passer sous les fourches caudines syndicales imposant des équipes pléthoriques. On taira, pour ne pas passer pour des balances, le bidouillage des notes de frais, un sport dans lequel nombre de vieux briscards de la corporation sont devenus des champions. La multiplication des  placards dorés où l’on range les employés de toutes spécialités et de tous grades devenus inutiles, improductifs ou même nuisibles fait de ces entreprises financées par l’argent des contribuables le plus gros client symbolique d’Ikea dans l’hexagone. Les auditeurs de Radio France ont pu, ces derniers mois, constater à maintes reprises que les vaillants syndicats de la maison ne se laissent pas marcher sur le moindre bout d’orteil : si la direction s’avise de supprimer un  seul poste de  technicien à Guéret (Creuse), c’est l’ensemble du réseau des radios publiques qui est mis à la portion congrue de la bande sonore de musique naze préenregistrée pendant une semaine…
La radio-télévision grecque, nous dit-on, employait 2400 personnes, un effectif jugé excessif par la troïka (FMI, UE, BCE) qui veille aux finances hellènes comme le lait sur le feu. Rapporté au chiffre de la population grecque (11, 5 millions d’habitants), le total des personnels émargeant au budget de l’audiovisuel public français (France-Télévisions, Radio-France, INA, AEF), 13 000 personnes pour 65 millions d’habitants se situe dans le même ordre de grandeur. Avec tout ce monde-là, on devrait avoir les meilleurs programmes de la terre, en quantité et qualité. Tous ceux qui ont un peu voyagé ont pu se rendre compte que ce n’est pas le cas… Pour ma part, vivant aux confins de la Confédération helvétique, et pouvant facilement capter les programmes de la RTSR (Radio télévision suisse romande), je suis obligé d’admettre que l’on peut parvenir à faire des programmes fort acceptables avec une petite machine bien huilée, gérée à la suisse, pays où un franc est encore un franc…
Il fallait entendre, ce 12 juin sur France Inter ou France Culture, les trémolos d’indignation qui faisaient trembler la voix des journalistes maison ! Même ceux d’entre eux qui passent quotidiennement la brosse à reluire européenne dans leurs commentaires sentencieux étaient pris de panique à l’idée que l’exemple grec puisse faire école.
Qu’on permette, en conclusion, à un ancien professionnel de la profession de rappeler un précédent : en 1981, un affreux patron de presse réactionnaire avait décidé de fermer boutique et de licencier tout le personnel, sans que la situation économique de son journal ne l’exigeât. Il réembaucha ceux qui lui convenaient, en fit venir d’autres d’ailleurs, et ce journal connut plusieurs décennies de gloire et de prospérité. Il s’appelait Libération et son patron Serge July.

*Photo : Imbecillsallad.

Zone euro : l’embellie imaginaire

euro-croissance-europe

Un certain nombre de déclarations semblent accréditer l’idée d’une lente, mais réelle, sortie de crise dans les pays du « sud » de la zone Euro. Elles reposent avant tout sur le constat d’une forte réduction du déficit commercial de ces pays, voire de leur capacité à dégager un excédent commercial. Mais cette vision des choses est marquée par un court-termisme évident accompagné d’une myopie redoutable quant aux effets réels de la crise.
En effet, si l’on regarde les chiffres des importations et des exportations, on constate que les importations ont été très fortement réduites en Grèce et au Portugal, et qu’elles sont en baisse en Espagne et en Italie. Les exportations ont aussi très fortement chuté en 2010 et, sauf en Espagne, n’ont toujours pas retrouvé leur niveau de 2008. C’est donc bien par contraction très forte de la demande interne que la balance commerciale s’est améliorée.
L’amélioration de la balance commerciale provient donc majoritairement de cet effet mécanique de compression de la demande et non d’une amélioration de l’efficacité de la production qui entraînerait une forte et durable amélioration de la compétitivité internationale. Pour tenter de voir comment évolue l’appareil productif, il faut dès lors regarder l’investissement.
Or, dans toute la zone Euro, on voit que la crise provoque une chute importante de l’investissement. Cette chute concerne aussi des pays considérés en « bonne santé » comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. En fait, sur ce point précis, la France apparaît plutôt en bonne position.
Si l’on considère maintenant l’investissement dit “non résidentiel”, c’est à dire hors la construction des logements, le mouvement est marqué dans les pays qui ont fourni les données. L’écart entre la France et l’Allemagne est particulièrement marqué, et vient corriger un certain nombre d’idées reçues sur la comparaison des deux pays. En réalité, ces chiffres ne concernent que l’investissement réalisé sur la base du territoire. Or les entreprises allemandes investissent plus que les entreprises françaises, mais elles investissent massivement hors d’Allemagne, que ce soit dans les pays d’Europe centrale qui sont devenus la “base productive” de l’industrie allemande, ou dans les pays émergents, ou encore aux États-Unis afin de profiter du niveau relativement faible du Dollar face à l’Euro.
Bien entendu, cette chute est d’autant plus marquée que les pays sont en crise. Ainsi, pour les pays de l’Europe du Sud, l’effondrement de l’investissement est réellement impressionnant si on regarde la formation brute de capital fixe en prix courants. La chute est particulièrement forte pour l’Espagne, la Grèce et le Portugal. Elle est significative pour l’Italie.
Si l’on regarde maintenant l’investissement en euros à prix constants la baisse est spectaculaire en Grèce, en Irlande et au Portugal. dans le cas de la Grèce, la chute de l’investissement dépasse les 60%. Elle est de l’ordre des deux-tiers en Irlande. Elle est aussi très significative (plus de 40%) en Espagne et forte en Italie.
Il est donc clair que, même si l’investissement des ménages (le logement) s’est fortement contracté, le renouvellement de l’appareil productif a été durablement affecté depuis le début de la crise. Non seulement est-il affecté de manière absolue, mais l’écart par rapport aux pays du « nord » (Allemagne et France) s’est creusé depuis 2008. Tout converge donc pour considérer que le redressement actuel des balances commerciales ne saurait être durable et que la compétitivité des pays d’Europe du Sud s’est dégradée depuis le début de la crise. De ce point de vue, une baisse de la productivité est de nature à remettre en cause la baisse des salaires (ou des coûts salariaux) qui se produit actuellement sous l’effet des politiques d’austérité.
Cette baisse de la productivité du travail est susceptible de survenir par la détérioration de l’appareil productif mais aussi du fait de la forte hausse du chômage qui détruit brutalement des compétences accumulées au sein des usines et des ateliers. Ce phénomène, s’il se prolongeait, rendrait la chute de la productivité longue à rattraper car la reconstitution de compétences productives, quand elles ont été massivement détruites, prend du temps.

crise chomage euro

Données : FMI, World Economic Outlook, op.cit..

Tout ceci n’annonce donc rien de bon dans la Zone Euro, et l’on voit, à partir des chiffres du 1er trimestre 2013 que très rares sont les pays en croissance. De manière générale le premier trimestre a été marqué par un approfondissement de la crise.

Taux de croissance (en données corrigées des variations saisonnières) par rapport au trimestre précédent.

Allemagne

0,1%.

Espagne

-0,5%

Estonie

-1,0%

France

-0,2%

Italie

-0,5%

Malte

0,0%

Belgique

0,1%

Portugal

-0,4%

Slovaquie

0,2%

Pays-Bas

-0,1%

Grèce

-1,2%

Slovénie

-0,7%

Finlande

-0,1%

Chypre

-1,3%

Autriche

0,0%

Irlande

0,0%

Données : OCDE et Eurostat.

Ceci se traduit tant sur la dette que sur les ressources fiscales des pays. En ce qui concerne la dette, on voit bien que l’austérité imposée aux pays de l’Europe du Sud n’a nullement calmé la hausse du rapport Dette/PIB.
Mais le plus inquiétant est l’évolution des ressources fiscales dans un certain nombre de pays en crise. La baisse est particulièrement spectaculaire dans le cas de la Grèce, ou elle est estimée par le FMI à -17% depuis 2008. De plus, les chiffres pour 2013 étant des estimations on peut, en raison des informations qui proviennent de Grèce, considérer que la chute sera même plus importante. On devrait être à 76 milliards d’euros, voire en dessous, pour cette année car, après les entreprises, les ménages sont dans l’impossibilité de payer les impôts. La baisse au Portugal a elle aussi été sensible. Là encore, les prévisions du FMI pour 2013 pèchent vraisemblablement par optimisme.
Pour l’Espagne et l’Italie, la situation, sans être aussi dramatique qu’en Grèce, est très préoccupante.
En Espagne, les recettes aux prix courants stagnent en dépit des efforts du gouvernement pour améliorer la collecte fiscale. En Italie, après une légère hausse, largement imputable au gouvernement Berlusconi, les recettes ont beaucoup moins progressé que ce qui en a été dit. De plus, le gouvernement sera dans l’obligation de rétrocéder aux petites et moyennes entreprises une partie de l’impôt pour éviter des cessations d’activité massives durant l’été 2013.
Le tableau qui se dessine donc est celui d’une aggravation de la crise dans la zone Euro et d’une inefficacité globale des politiques qui ont été adoptées jusqu’à maintenant. Le seul succès obtenu, l’amélioration de la balance commerciale pour les pays d’Europe du Sud, a été obtenu par des moyens tels qu’il ne saurait être durable. Tous les indicateurs pointent vers une détérioration profonde de la situation qui devrait marquer le second semestre de cette année et le début de l’année prochaine. Compte tenu de la montée des oppositions politiques au fonctionnement actuel et même au principe de la zone Euro, cette aggravation prévisible de la crise pourrait déboucher sur une rupture fondatrice. Cette rupture doit d’ailleurs être souhaitée. En effet, plus longue sera la crise et plus profondes en seront les séquelles structurelles, sur l’emploi (avec la perte des compétences productives), sur la fiscalité (avec la mise en place de systèmes de détournement des flux par les particuliers et les entreprises) mais aussi sur l’investissement (avec une préférence pour les activités de court terme comme le commerce et le négoce face aux activités réellement productives). Il faut donc espérer que l’aggravation maintenant prévisible de la situation pousse un certain nombre de pays à démanteler la zone Euro dont la perpétuation ne peut qu’entraîner plus de misères et de souffrances pour les peuples d’Europe.

Une première version de cet article a été publiée sur le blog de Jacques Sapir.

Hommen : les résistants du bac à sable

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Les Hommen, activistes contre la loi Taubira, ont « fait le buzz »  dimanche dernier en interrompant un bref instant la finale de Roland Garros : l’image d’un jeune homme torse nu, un masque blanc sur le visage, un fumigène à la main, se jetant sur le courtdevant les champions médusés, a fait le tour du monde. Ce mouvement n’est qu’une des nombreuses têtes de l’hydre ayant grandi dans le sein de la Manif pour Tous avec le Printemps français, les Veilleurs, les Mères Veilleuses, Homovox et autres groupuscules constituant une « cathosphère » médiatique mobilisée contre le projet devenu loi.
Cette nébuleuse d’activistes aux profils divers- de la mère de famille au boyscout en passant par l’homo repenti – n’a qu’un mot d’ordre à la bouche « on ne lâche rien », qu’elle met en pratique quotidiennement par des actions coup de poing, le matraquage sur les réseaux sociaux et l’organisation d’événements avant-gardistes aux quatre coins de France. Diverses manifestations ponctuent chaque jour le paysage médiatique : ports de sweat LMPT à l’école, « apéro pour tous », « ventres aux enchères », chasse aux ministres de sortie… on parle même de l’organisation d’un putsch de généraux cathos. De quoi faire trembler les mécréants…
L’agit-prop’ a changé de camp et devient l’outil privilégié de la lutte contre la loi Taubira et la « dictature socialiste ». Les cathos font leurs coming-out et emploient les armes inventées par la modernité qu’ils combattent : slogans, happenings, réseaux sociaux, communication et festivisme[1. Philippe Muray avait déjà souligné cette dérive en notant  que deux des organisateurs des JMJ de  1997, à Paris, étaient aussi des spécialistes de la « Gay Pride » et d’autres manifestations de ce genre. Cf. Essais, Les Belles Lettres, 2010, p. 85 et 861-862.]. Manque d’imagination ou volonté de « faire moderne » à tout prix, les factions reprennent souvent un imaginaire déjà galvaudé ou produit par le système médiatique : ainsi le « printemps français » se veut un écho des révolutions arabes, les Hommen parodient les Femen tandis que les sages Antigones s’en font le miroir catholique, et tout le monde porte le « sweat pour tous » emblème djeune et sexy.
Mais le plus triste est sans doute la récupération godwinesque du mythe de la Resistance par la branche virile et post-adolescente du mouvement.
Les petits bourgeois excités qui finissent en garde à vue pour avoir insulté la police en dockside Sebago ou foutu le bordel à Roland Garros (où la place en finale vaut bien le prix d’une demi mère porteuse ukrainienne) se prennent au mieux pour des néo-croisés, au pire pour des maquisards. Ces jusqu’au-boutinistes (selon l’excellent mot de Basile de Koch) qui ont trop regardé Zorro, galvaudent outrancièrement l’imaginaire et le vocabulaire de la résistance, dérive qui était jusqu’à présent le seul propre des antisarkozystes. C’est reparti comme en 40 !
Ainsi les Hommen reprennent le slogan gaulliste « obéir, c’est trahir, désobéir, c’est servir », choisissent Jean Moulin comme emblème, et  appellent sur leur blog les casques bleus à la rescousse pour « venir libérer militairement le peuple français de ce gouvernement totalitaire et de sa police politique » (sic !).  Fourrant toutes les luttes dans le même panier, le Printemps français récupère le salut gestuel caractéristique des activistes de gauche, le poing levé, et prophétise « bientôt la place Tiananmen ». Les ex-enfants de chœur auto-proclamés «prisonniers politiques» se retrouvent en garde-à-vue et se prennent pour des Saint Sébastien, transpercés par les flèches du paganisme socialiste, sauf qu’au lieu de lever les yeux au ciel dans une résignation céleste comme le fit le martyr, ils gémissent à la dictature sur les réseaux sociaux.
Au milieu de ces provocations et de ces jérémiades déplacées, le seul mouvement vraiment novateur, qui corresponde par sa forme à l’éthique chrétienne est peut être celui des Veilleurs, mouvement pacifique et silencieux, qui lutte par la prière et la réflexion – moyens évangéliques – plutôt que par la provocation, le scandale et la surmédiatisation.  Eux, au moins, ne risquent pas d’être pris le doigt dans l’engrenage de la société du spectacle que tant d’opposants au mariage pour tous cherchent désespérément à séduire.
À ceux qui voudraient continuer le combat autrement que par ces moyens,  je rappellerai les paroles de Jésus à Pierre dans le jardin des Oliviers, alors que celui voulait faire violence aux soldats romains venus l’enlever : « Remets ton épée dans le fourreau. Ne boirai-je pas la coupe que le Père m’a donnée à boire? » (Jean 18:10-11).

NB : Il paraît que certains « partisans » menacent le Tour de France, « si ces petits cons perdent les pédales, ils auront affaire à moi » prévient déjà Marc Cohen…

*Photo: Glassholic

Clément Méric n’est pas une icône

C’est un spectacle bien pénible, et pourtant ! Ces jeunes gens qui lèvent le poing, le visage sévère, concerné, résistant, pour eux ce n’est pas grave, il n’y a pas mort d’âme. Pour eux rien n’est perdu. Leur vie est devant eux. Plus tard, peut-être, espérons-le malgré tout, ils recracheront la vaine emphase dont ils s’emplissent maintenant. Ils auront honte de ce lyrisme tribal et mécanique, de cette pose facile et avantageuse qu’ils prennent sans réfléchir, de ce grand frisson collectif qui les anime. Un jour peut-être, dans leur âge mûr, brûleront-ils les lauriers qu’une intelligentsia complaisante et infantile leur décerne, au terme des combats gagnés d’avance qu’ils sont si fiers de livrer aujourd’hui. Peut-être s’en voudront-ils d’avoir mangé l’âme de leur camarade pour assouvir leur faim de luttes en noir et blanc. Peut-être se repentiront-ils d’avoir transformé en stérile icône du manichéisme, cette religion politique aussi triste que comique, un jeune homme de chair et de sang. Peut-être. Cela dépend d’eux et d’une existence qui les attend, ouverte et disponible, j’ose l’espérer, au travail du temps et de leur conscience.
Clément Méric n’aura pas cette chance. Clément Méric, pauvre jeune homme si pur, si théorique, si peu incarné, où es-tu aujourd’hui ? Toi qui combattais tout le mal du monde et de la « société » à travers toutes les causes disponibles sur le vaste marché de l’indignation, où est ton âme maintenant?  Qui parlera pour elle à Dieu et à ses saints ? Qui intercédera pour toi auprès du Créateur ?  Le mal qui était en toi, quand le verras-tu ? Il faut en vouloir à ton jeune meurtrier qui paraît tant te ressembler, l’héritage culturel en moins, de t’avoir privé du jour où tu aurais pu jeter quelque lumière sur ton péché. Oui, ton péché. Celui qui occulte la noirceur commune de ton âme. Qui rejette hors de toi, sur les bouffeurs de viande, sur les capitalistes, les homophobes, les racistes, les sexistes, les réacs, les cathos, les fascistes, tout le mal que chaque homme est capable de faire à l’homme. Et il faut en vouloir aussi à tous ceux qui te tressent des lauriers grotesques et indignes de ton front humain, trop humain,  de militant immature. À ceux qui t’ensevelissent sous leurs hommages indécents. Certes, ils ne sont pas criminels ceux-là, et il n’est pas question ici de rejeter sur eux un meurtre qu’ils n’ont pas commis. Pas question de répondre à l’indécence par l’indécence. Mais l’on doit à la vérité de dire qu’ils sont menteurs. Tu ne fus pas la victime innocente d’un mal étranger.
Tu avais la vie devant toi Clément Méric, pour apprendre le sens du tragique et devenir un homme. Mais par la conjonction tragique d’une violence criminelle et d’un enthousiasme mensonger, tu ne fus qu’une icône. A moins que Dieu, dans son infinie charité, ne soit plus clément, ne soit plus humain, que tu ne le fus jamais.

Intégration : l’Etat mal conseillé

Les enjeux des questions d’immigration-intégration sont trop lourds de conséquences pour que l’on puisse se résoudre à taire les erreurs de nos gouvernants. Si, au moins, elles les conduisaient à modifier leur trajectoire ! À défaut d’une élite clairvoyante et visionnaire, nous aurions au moins une élite capable de lever le pied de l’accélérateur alors que notre société s’approche dangereusement du ravin. En l’espèce, le rapport intitulé « La grande nation pour une société inclusive » que le conseiller d’État Thierry Tuot a rédigé, à la demande du premier ministre Jean-Marc Ayrault, est un morceau d’anthologie. Il convient de le conserver précieusement dans un musée national afin qu’il puisse témoigner auprès des générations futures de l’esprit du commandement de notre époque.
La colonne vertébrale de ce rapport se résume à affirmer que les Français sont responsables de l’échec de l’intégration des immigrés et de leurs descendants et que l’État n’a rien fait, ou presque rien, pour la favoriser. L’État y est accusé d’avoir détruit une partie des outils de la politique d’intégration, à savoir, selon l’auteur, « les crédits, les établissements, les personnels compétents et les associations les plus actives ». [access capability= »lire_inedits »]Le rapport néglige l’importance des investissements financiers consentis par la collectivité : rénovation urbaine, ZEP, ZUS, ZFU ; sans compter les politiques de prise en charge familiale et de santé. Il propose d’entériner l’impuissance de l’État à faire respecter les frontières de la République et recommande l’octroi à tous les clandestins jugés non-éloignables d’un « titre de tolérance », prélude à leur régularisation. Mais pas un mot sur l’École, ni sur les voies à emprunter pour endiguer le fléau de l’échec scolaire qui plombe les résultats de la France dans le classement PISA. Pis, l’auteur recommande d’offrir la nationalité française à toute personne qui a accompli sa scolarité en France, comme si l’École continuait de jouer son rôle intégrateur.
Le conseiller d’État (que l’on suppose issu des meilleures écoles de sciences politiques de la République) va jusqu’à moquer l’attachement des Français à leurs grands principes : « Encore plus périphérique, et stratosphérique même, l’invocation rituelle, chamanique, des Grands Concepts et Valeurs Suprêmes ! […] Droits et Devoirs ! Citoyenneté ! Histoire ! Œuvre ! Civilisation Française ! Patrie ! Identité ! France ! […] Dans quel monde faut-il vivre pour croire un instant opérante la frénétique invocation du drapeau ? […] Au XXIe siècle, on ne peut plus parler en ces termes à des générations de migrants […] On ne peut plus leur tenir un discours qui fait sourire nos compatriotes par son archaïsme et sa boursouflure ». La nation française, finalement, résisterait trop « à accepter une évolution de son paysage mental », c’est-à-dire à mieux accepter les normes collectives des immigrés. Dans un passage assez épique sur l’incursion de la religion dans l’espace public, il met sur un même plan coiffe bretonne, chèche, béret et foulard islamique. Bref, l’intégration se fera si on la vide de sa substance et qu’elle cède la place à l’inclusion, concept qu’il emprunte au chercheur Hugues Lagrange, dixit Hugues Lagrange lui-même[1. France Culture, « L’Esprit public » du 19 mai 2013.]. L’inclusion, c’est que les Français acceptent que la nation France, reflet de leur identité en tant que peuple, s’efface pour céder la place à une juxtaposition de communautés. C’est le sarcasme de Bertolt Brecht pris au pied de la lettre : « Ne serait-il pas plus simple pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ? »
Le plus inquiétant, c’est que certains arguments développés dans le rapport de Thierry Tuot sont identiques à ceux que j’ai entendus lors d’un entretien à l’Élysée avec l’un des conseillers du Président de la République. François Hollande est-il lui-même sur cette ligne différentialiste ? Je ne saurais me prononcer sur ce point. Il est clair, cependant, que les mesures adoptées depuis son élection ne sont pas de bon augure pour la préservation de la concorde civile.[/access]

*Photo : Mohamed Dubois, le film.

Y’a pas bon laïcité

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antiracisme rokhaya diallo

antiracisme rokhaya diallo

Il faut féliciter Elisabeth Lévy qui a remporté lundi soir un deuxième Y’a Bon Award « pour l’ensemble de son œuvre ». Pour Bader Lejmi, organisateur de l’événement, c’est parce qu’ « elle cumule toutes les tares ». Si j’étais de gauche, je dirais que ce dérapage nauséabond sent bon l’antisémitisme ordinaire. D’autant plus que la philosophe Élisabeth Badinter fait aussi partie des heureux élus pour avoir, sur le site Elle.fr, regretté l’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire de la crèche Baby Loup : « D’un côté, on commémore les victimes de Mohamed Merah et [on] veut combattre l’islamisme radical et de l’autre on laisse faire l’entrisme de ces islamistes dans des crèches de quartier. Il faut absolument réagir très vite. »
Comble de coïncidence, la sénatrice radicale de gauche Françoise Laborde a également obtenu une banane d’or cette année. La toute nouvelle membre de l’Observatoire de la laïcité est l’auteur de la proposition de loi soutenue par le PS qui vise à interdire aux nounous de porter le voile,  en réaction au vide juridique constaté à l’occasion de l’affaire Baby Loup. Le motif de sa récompense ? Elle a eu l’outrecuidance de répondre dans une interview à Radio Orient, face aux réactions indignées des auditeurs : « Et j’ai bien compris que j’inquiétais, que je perturbais et que j’étais une islamophobe. Bon ben voilà, et j’assume. » Depuis, elle se bat pour que le projet de loi sénatorial trouve une issue à l’Assemblée.
On le voit, droite et gauche sont communément jetées dans le même sac de l’islamophobie. La présidente de l’association Les Indivisibles, à l’initiative des Y’a Bon Awards, Rokhaya Diallo, justifie ce choix en jugeant le PS « totalement absent et irresponsable. Le vieux fonds culturel laïcard et antireligieux l’empêche de toucher et comprendre les jeunes musulmans de France. »  Si droite et gauche baignent dans une même islamophobie c’est sans doute parce que, selon Mme Diallo, la France est à jamais coupable, entachée du péché originel du colonialisme. « Comment faire dans un contexte structurellement raciste ? C’est la mentalité qui doit changer y compris dans le monde des médias » s’insurge-t-elle.
Gare en effet à ceux qui critiquent le voile islamique comme un instrument de domination du mari sur son épouse, du père sur sa fille, de l’homme sur la femme. Ainsi, Manuel Valls a été nommé à deux reprises cette année, en particulier pour ses propos sur « le voile qui interdit aux femmes d’être ce qu’elles sont ». Dès lors, comment nier que la police de la pensée Y’a Bon dérive, année après année, de la légitime lutte antiraciste vers la défense d’un islam rétrograde ? Pour preuve, même Jean-Luc Mélenchon a  été nommé pour un dérapage-stigmatisant-et-intolérable sur France 4 : « La plupart des gens vivent leur foi, ne cherchent pas à se déguiser en Afghans. Un déguisement, c’est se foutre une calotte sur la tête et passer sa journée avec une tenue d’Afghan. Je trouve ça ostentatoire. On peut être croyant et ne pas avoir besoin d’humilier les autres. » Jean-Luc Mélenchon a-t-il tenu des propos racistes et islamophobes ?
Et Hassen Chalghoumi, l’imam de Drancy qui prône un islam modéré et républicain, sélectionné en 2013, qui a déclaré à propos de la ghettoïsation  de certains quartiers : « Quand on a vu sur la première photo de classe que ma fille était entourée de black et de beurs, on s’est dit qu’elle ne devait pas rester dans cette école. » donnerait-il dans la haine de soi ?  Et le philosophe musulman Abdennour Bidar, lui aussi nommé, est-il islamophobe ?
Apparemment ces calomnies ne choquent pas le directeur de l’IRIS Pascal Boniface, qui a honoré de sa participation le jury des Y’a Bon Awards.
Une autre victime de cet islamisme branché et masqué n’est autre que Caroline Fourest. La célèbre chroniqueuse multimédia et militante féministe, dans un article de son blog intitulé Les Y’a Bon Awards déshonorent l’antiracisme, avait annoncé porter plainte après avoir reçu une banane d’or en 2011. Rendez-vous compte, elle avait pointé du doigt, à une Convention du PS sur l’Égalité réelle en décembre 2010, les « associations qui demandent des gymnases pour organiser des tournois de basket réservés aux femmes, voilées, pour en plus lever des fonds pour le Hamas ».
Or, sa rivale antiraciste Rokhaya Diallo a été de tous les combats contre l’encadrement de l’islam par la laïcité française : remise en cause de l’interdiction du voile à l’école en 2004 dans ses 100 propositions concrètes pour une république multiculturelle, tribune contre Charlie Hebdo après l’affaire des caricatures et l’attentat contre son siège, protestation contre la loi interdisant le voile intégral sur la voie publique et, en 2013,  toute une cérémonie des Y’a Bon Awards mise sous le signe de la lutte contre le projet de loi réglementant les signes religieux ostentatoires des nounous.
Les médias français, dont Mme Diallo dit être la victime indirecte, ont relayé mardi la dépêche AFP qui rend compte des prix attribués à Jean-François Copé pour son histoire de pain au chocolat, et à Véronique Genest pour son coming out islamophobe. Des noms jetés en pâture à l’opinion sans qu’une réflexion un peu poussée soit menée sur les coulisses et les buts des Y’a Bon Awards

*Photo : Capture d’écran des Indivisibles.

Salade romaine

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rome alemanno marino

rome alemanno marino

Avec 64% des voix, le candidat de la gauche (PD) Ignazio Marino est devenu le nouveau César de Rome. Un score flatteur qui cache une réalité moins impériale…
2008. Gianni Alemanno prend possession de la mairie de Rome. Sur la place du Capitole, des bras se lèvent dans un salut romain qui rappelle l’ancien engagement néo-fasciste du nouveau patron de la ville éternelle. C’est sous l’étiquette plus respectable du centre-droit (PDL) de Silvio Berlusconi qu’il a repris la ville à la gauche qui la gouvernait depuis 1989. En dépit des postures viriles et des mouvements de menton, n’est pas Duce qui veut et Alemanno a même réussi à décevoir ses propres supporters. Non seulement, on lui a reproché de s’être mal entouré et d’avoir cherché à favoriser ses anciens amis mais surtout, on a attendu en vain un souffle nouveau. Ainsi, son mandat n’a pas changé le visage du quartier pluriethnique de l’Esquilin malgré l’expulsion de  61.000 immigrés roms. Son volontarisme ponctuel n’a pas suffi à masquer l’étendue des promesses non tenues. Pire, les motifs d’insatisfaction se multiplient. Côté prestige, la capitale n’a relevé aucun des challenges que l’on pouvait attendre d’une grande métropole européenne : Rome ne sera pas candidate aux JO de 2020. Au quotidien, elle affronte des problèmes récurrents tels que la désorganisation des transports publics municipaux, ou la saleté de ses voiries.
Du côté de la Piazza del Popolo, personne n’a oublié l’écroulement d’un tronçon du mur historique du Pincio, à la suite d’un défaut d’entretien. Mais le point d’orgue de la rogne populaire a été atteint lorsque la ville s’est vue complètement bloquée pour quelques malheureux centimètres de neige l’hiver dernier. Si gouverner c’est prévoir, Alemanno aurait probablement dû recourir aux anciens auspices pour prévenir sa défaite cinglante.
Juin 2013. Ignazio Marino chasse Alemanno avec un score digne des triomphes antiques. Mais s’agit-il pour autant d’un plébiscite ? Rien n’est moins sûr. Même si le nouveau maire paraît plus présentable (son métier de chirurgien reconnu et respecté plaide pour lui), il clive aussi l’électorat en adoptant des prises de positions très mal vues du côté du Vatican, notamment sur l’euthanasie. À y regarder de près, une abstention record tempère la victoire de la gauche. Moins d’un électeur sur deux a voté dans un pays qui a pourtant une longue tradition de forte participation électorale (souvent près de 70 %).
Et puis, il faut aussi compter avec le phénomène Beppe Grillo qui reste la grande inconnue de la vie politique de la péninsule. Le Mouvement 5 étoiles a subi un camouflet au premier tour des municipales et ses électeurs ont été « contraints » de se reporter sur les candidats de gauche au second. Force est de constater qu’après quelques mois, le raz-de-marée de l’humoriste échappé en politique n’a pas convaincu. Dissensions internes, incapacité à négocier, manque de propositions concrètes, Grillo est en train de faire la démonstration que vociférer ne suffit pas, encore faut-il avoir quelque chose à dire. Son aura médiatique a rendu aphones les autres forces populistes (de gauche ou de droite) qui s’étaient pourtant présentées avec de véritables programmes lors des élections législatives de février.
Aujourd’hui, les Italiens se retrouvent avec la traditionnelle dichotomie entre centre gauche et centre droit. Comme souvent, Rome a joué le rôle de baromètre de la politique italienne. Si cela est plutôt bon signe pour le gouvernement Letta péniblement constitué après des mois de négociation, il n’est pas sûr que l’adhésion des Italiens au jeu démocratique en sorte grandie.

*Photo : Corscri Daje Tutti! [Cristiano Corsini].

Islam : il est temps de crier aux loups

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mohamed merah loups

mohamed merah loups

D’accord, ce sont des actes isolés commis par des « loups solitaires ». Soyons clairs : les fanatiques prêts à éventrer en pleine rue, au hachoir ou au couteau, en criant « Allah Akbar ! », un inconnu qui ne leur a rien fait, ne représentent ni l’islam ni l’immense majorité des musulmans pacifiques. Reste que le nombre de « loups solitaires » semble augmenter  en flèche. On sait que le tapage médiatique encourage les vocations. Et puis, le rapport difficulté/efficacité est excellent : pas de matériel, pas de logistique et, en quelques minutes, on est pratiquement assuré de faire la « une » dans le monde entier – la formule « lumpen-terrorisme », pêchée dans Le Monde, est particulièrement bien trouvée.
Le mimétisme n’explique pas tout. L’homme qui, le 7 mai, a tenté de poignarder un gendarme à Roussillon, en poussant les mêmes cris, n’imitait personne. Peut-être son pèlerinage à La Mecque, dont il venait de rentrer, avait-il obscurci son entendement. Mais qu’est-il arrivé à cet autre qui, trois jours après l’assassinat d’un policier londonien, a violemment agressé un soldat à La Défense ?[access capability= »lire_inedits »] Entendait-il, lui aussi, venger ses « frères afghans » – qui ont tué 88 soldats français ? Et leurs copains, qui s’entre-montent le bourrichon en dégoisant leur haine des pays qui ont accueilli leurs parents et dont ils sont citoyens, qui voudront-ils venger demain ? Et ces jeunes Suédois qui ont incendié des écoles et des commissariats, que reprochent-ils à l’autre pays du progrès social ? Souffrent-ils des séquelles du colonialisme ?
À questions complexes, réponses simples : le parti de la compassion a une rhétorique bien rodée, dont la principale vertu est d’interdire la compréhension, et plus encore l’observation de la réalité. Un : les loups solitaires sont solitaires ; leurs actes sont donc totalement dépourvus de signification. Deux : tout cela n’a rien à voir avec l’islam et les musulmans ; le principal danger, c’est l’amalgame. Trois : la véritable violence, c’est la pauvreté et la discrimination.
Quatre : les coupables, ce sont les populations autochtones, arriérées et racistes. En somme, il ne se passe rien, mais c’est de notre faute. Certes, les individus prêts à passer à l’acte sont statistiquement insignifiants. Mais ils font figure de héros pour nombre de jeunes musulmans en voie d’« auto-radicalisation », terme nouvellement consacré par les médias. Grâce à Internet, nous explique-t-on, ces jeunes gens peuvent s’abreuver aux sources les plus délirantes. On conçoit que les enseignements de leurs prêcheurs favoris sur la meilleure façon de tuer un juif puissent enflammer des esprits faibles. Il est à craindre qu’ils puissent aisément rencontrer des compagnons de divagation dans leur environnement immédiat, c’est-à-dire dans les banlieues des capitales européennes. Nous n’avons pas besoin d’importer le fanatisme, nous le fabriquons très bien sur place.
Que ce fatras idéologique soit à mille lieues du véritable islam, je le crois volontiers, n’ayant aucune compétence en matière d’affaires divines. Le problème, c’est que l’islam réel a souvent le visage, sinon du fanatisme, du moins de l’intolérance. Je ne parle pas, bien sûr, des millions de musulmans du coin de la rue qui ont fait souche en France et dans toute l’Europe. Mais on se rappelle qu’après l’assassinat du préfet Érignac, 40 000 Corses avaient défilé pour dénoncer les crimes commis en leur nom. Alors oui, on aimerait que la majorité silencieuse des musulmans d’Europe cesse d’être silencieuse et proclame à son tour « Not in my name ! ».
Dans ce climat, la stratégie du déni est de plus en plus intenable. Même Le Monde admet que l’Europe est confrontée au grand défi de « l’intégration des communautés étrangères », ce qui revient à reconnaître que cette intégration connaît de sérieux ratés – qu’il impute, sans surprise, à la crise de l’État-providence et à l’égoïsme des peuples.
On ne prétendra pas que la pauvreté, le chômage, l’échec scolaire, de même que le racisme et les discriminations, ne jouent aucun rôle dans le décrochage d’une partie des jeunes Européens d’origine étrangère. Mais il se passe autre chose : une partie de nos concitoyens venus d’ailleurs ont choisi de vivre à part, aggravant leur relégation géographique par un séparatisme culturel qu’ils prétendent imposer à leurs quartiers, propageant l’idée que ceux qui fréquentent des « Français » sont de mauvais musulmans.
Peu importe le modèle de « vivre-ensemble » qui leur est proposé : ce qu’ils ne veulent pas, précisément, c’est vivre ensemble. Mais pour faire société, il faut être deux. En attendant de les ramener dans le giron de la République ou du Royaume, seule la loi, appliquée dans toute sa rigueur, les contraindra à respecter la règle commune. Il y a urgence : plusieurs loups, ça finit par faire une meute.[/access]

*Photo : Matt Batchelor.

PRISM : Liberté et sécurité, l’arbitrage impossible

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obama prism internet

obama prism internet

En 1929, le secrétaire d’Etat américain Henri Stimson a ordonné la fermeture du service de décryptage de son ministère. « Gentlemen don’t read each other’s mail » (des gentlemen ne lisent pas les courriers d’autres gentlemen), disait-il. Depuis, à Washington comme ailleurs, les gentlemen sont devenus une espèce rare. Preuve en est, le récent scandale autour du projet américain PRISM, un système capable de scanner et d’analyser les mails et messages envoyés sur les réseaux sociaux.
Comme l’a expliqué Barack Obama, « personne n’écoute vos appels téléphoniques. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit avec ce programme ». Si les contenus des mails proprement dits échappent aux services de renseignement, ceux-ci n’en examinent pas moins « les numéros de téléphone et la durée des appels. Ils ne regardent pas le nom des gens. Et ils n’examinent pas le contenu. Mais en analysant ces données, ils peuvent identifier des pistes sur des gens qui pourraient avoir recours au terrorisme », précise le président américain. Un système de fadettes intelligentes, en somme.
Malgré tous ces garde-fous, on comprend la colère des internautes. Il est désagréable de se sentir fliqué par les services de sécurité. Mais, face aux « loups » plus ou moins solitaires qui se multiplient de Toulouse à Boston en passant par Londres, Utoya et La Défense (sans parler des tueurs de masse apolitiques qui sévissent si souvent aux Etats-Unis), nous exigeons – à juste titre – un niveau toujours croissant de sécurité. L’hypocrisie atteint des sommets lorsque nous consentons à recevoir des offres commerciales basées sur la récurrence de certains mots-clés dans nos conversations virtuelles mais que nous nous offusquons que ces mêmes méthodes soient employées à des fins non mercantiles, pour notre propre sécurité. Ainsi, il y a quelques années, Jack Lang s’indignait de la création du fichier policier EDVIGE sur le plateau du « Grand Journal », arguant que cet outil statistique attente à nos libertés en fichant les individus ayant eu maille à partir avec la justice. Quelques instants plus tard, dans la même émission, l’ancien ministre de la Culture accueillait le jeune fondateur de Facebook avec un concert d’éloges, comme un chantre de l’innovation et de la liberté sur Internet. La différence de nature entre EDVIGE et l’intrusif Facebook, c’est que le premier devait aider l’Etat à préserver la sécurité de nos concitoyens, là où le second vend des publicités et des applications à partir de nos conversations et données privées.
C’est dire si nous avons parfois du mal à mesurer les vrais enjeux des arbitrages entre liberté et sécurité. Or, les nouveaux terroristes ne nous attendent pas. À l’instar des avions furtifs, ils échappent souvent aux radars et laissent peu d’indices avant de passer à l’acte. Ces individus isolés se compromettent peu avec des réseaux bien identifiés. Ils limitent au strict minimum les contacts avec des individus susceptibles d’être surveillés. Leurs seules traces visibles se retrouvent sur le web, un monde réticulaire et difficilement contrôlable. Face à ces nouvelles menaces, le travail classique des agents secrets – filature, écoutes… – ne suffit plus.
Dans ces conditions, les services de renseignements ont recours aux derniers moyens efficaces pour traquer les terroristes : lancer des algorithmes, analyser d’énormes bases de données, croiser les indices. Ce n’est qu’après avoir repéré un individu suspect qu’on peut le confondre au moyen des méthodes policières traditionnelles.
Comme d’ordinaire, l’indignation est mauvaise conseillère. La question n’est pas tant le bien-fondé de la surveillance que les conditions de son application. Impliquer les élus, garantir le contrôle judiciaire de ces nouveaux outils : voilà les nouveaux défis à relever dans l’encadrement de la lutte antiterroriste.

*Photo : watchingfrogsboil.

Rana Plaza : plusieurs nuances de Camaïeu

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Chacun le sait, si la mondialisation a quelques effets collatéraux désagréables par chez nous, le consommateur s’y retrouve, à défaut du travailleur. Et puis, ne soyons pas si égoïstes : les ouvriers du tiers-monde ont autant  besoin d’emplois que les ménagères occidentales de marinières « bretonnes »  à 6,99 euros.
Bref, on vit dans le meilleur des mondes, sauf quand on y meurt, ce ne sont pas les 1129 prolétaires bangladais malencontreusement décédés le 24 avril dernier lors de l’effondrement du Rana Plaza, qui vous diront le contraire.
Il se trouve que les familles des victimes, ainsi que les 1650 blessés, ont l’outrecuidance de réclamer quelque indemnisation pour le préjudice subi. Leur montant s’élève en tout à seulement 54 millions d’euros : là-bas, même la vie humaine est lowcost.
Mais c’est quand même beaucoup trop cher pour les entreprises impliquées dans le drame, selon le collectif Ethique sur l’étiquette, et l’ONG Peuples Solidaires, « seules sept marques[1. Primark, El Corte Ingles, Loblaw, PVT, Matalan, Benetton et Premier Clothing.], parmi les dizaines qui avaient une production au Rana Plaza, se sont engagées à indemniser les victimes. En France, aucune des marques dont des vêtements ou étiquettes ont été retrouvées dans les décombres n’a à ce jour reconnu sa responsabilité ni accepté de participer au fonds d’indemnisation des victimes. ».
Parmi ces enseignes françaises récalcitrantes, le cas de Camaïeu était particulièrement sensible pour les humanitaires qui affirment dans leur communiqué que « Camaïeu, dont des étiquettes et un pantalon ont été retrouvés au milieu des gravats par des organisations locales de défense des droits des travailleurs, et filmés par des journalistes, garde le silence face à nos sollicitations répétées. »
En vertu de quoi, les associations, soutenues par l’intersyndicale Camaïeu, que nous félicitons au passage, ont appelé mardi à un rassemblement symbolique devant le siège du groupe, qui a aussitôt mis les pouces et s’est engagé à participer à l’indemnisation. On a fini par se rendre compte, chez Camaïeu que qui vit par l’image peut aussi en périr…

Et si l’audiovisuel public français allait se faire voir chez les Grecs ?

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grece tv publique

grece tv publique

On peut être certain qu’en leur for intérieur, les dirigeants français de l’audiovisuel public ont pensé très fort qu’il ne serait pas idiot, ma foi, que leur autorité de tutelle, à savoir le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, ait le courage de s’inspirer de l’exemple du premier ministre grec Antonis Samaras. On ferme la boutique, et on ne la rouvre que lorsque la machine a entièrement été révisée, débarrassée des pesanteurs administratives et humaines qui plombent son fonctionnement, et alourdissent ses coûts de manière astronomique sans contribuer notablement  à la qualité du produit mis sur les antennes.
Il suffit d’avoir travaillé avec des équipes de France 3 dans le cadre d’un tournage, ce qui a été, à plusieurs reprises, le cas de l’auteur de ces lignes, pour juger de la gabegie qui règne dans ce monde enchanté de l’image qui bouge. On ne badine pas avec les horaires, vingt dieux ! Et l’heure de la bouffe est sacrée, à la minute près, même si les conditions exigeraient que l’on poursuive le tournage, pour des rasions climatiques, de lumière, ou autres… Le matos a beau s’être tant amélioré au fil des années, en poids et en qualité qu’il permet de réduire le nombre des techniciens de l’image, du son et de l’éclairage, on est obligé de passer sous les fourches caudines syndicales imposant des équipes pléthoriques. On taira, pour ne pas passer pour des balances, le bidouillage des notes de frais, un sport dans lequel nombre de vieux briscards de la corporation sont devenus des champions. La multiplication des  placards dorés où l’on range les employés de toutes spécialités et de tous grades devenus inutiles, improductifs ou même nuisibles fait de ces entreprises financées par l’argent des contribuables le plus gros client symbolique d’Ikea dans l’hexagone. Les auditeurs de Radio France ont pu, ces derniers mois, constater à maintes reprises que les vaillants syndicats de la maison ne se laissent pas marcher sur le moindre bout d’orteil : si la direction s’avise de supprimer un  seul poste de  technicien à Guéret (Creuse), c’est l’ensemble du réseau des radios publiques qui est mis à la portion congrue de la bande sonore de musique naze préenregistrée pendant une semaine…
La radio-télévision grecque, nous dit-on, employait 2400 personnes, un effectif jugé excessif par la troïka (FMI, UE, BCE) qui veille aux finances hellènes comme le lait sur le feu. Rapporté au chiffre de la population grecque (11, 5 millions d’habitants), le total des personnels émargeant au budget de l’audiovisuel public français (France-Télévisions, Radio-France, INA, AEF), 13 000 personnes pour 65 millions d’habitants se situe dans le même ordre de grandeur. Avec tout ce monde-là, on devrait avoir les meilleurs programmes de la terre, en quantité et qualité. Tous ceux qui ont un peu voyagé ont pu se rendre compte que ce n’est pas le cas… Pour ma part, vivant aux confins de la Confédération helvétique, et pouvant facilement capter les programmes de la RTSR (Radio télévision suisse romande), je suis obligé d’admettre que l’on peut parvenir à faire des programmes fort acceptables avec une petite machine bien huilée, gérée à la suisse, pays où un franc est encore un franc…
Il fallait entendre, ce 12 juin sur France Inter ou France Culture, les trémolos d’indignation qui faisaient trembler la voix des journalistes maison ! Même ceux d’entre eux qui passent quotidiennement la brosse à reluire européenne dans leurs commentaires sentencieux étaient pris de panique à l’idée que l’exemple grec puisse faire école.
Qu’on permette, en conclusion, à un ancien professionnel de la profession de rappeler un précédent : en 1981, un affreux patron de presse réactionnaire avait décidé de fermer boutique et de licencier tout le personnel, sans que la situation économique de son journal ne l’exigeât. Il réembaucha ceux qui lui convenaient, en fit venir d’autres d’ailleurs, et ce journal connut plusieurs décennies de gloire et de prospérité. Il s’appelait Libération et son patron Serge July.

*Photo : Imbecillsallad.

Zone euro : l’embellie imaginaire

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euro-croissance-europe

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Un certain nombre de déclarations semblent accréditer l’idée d’une lente, mais réelle, sortie de crise dans les pays du « sud » de la zone Euro. Elles reposent avant tout sur le constat d’une forte réduction du déficit commercial de ces pays, voire de leur capacité à dégager un excédent commercial. Mais cette vision des choses est marquée par un court-termisme évident accompagné d’une myopie redoutable quant aux effets réels de la crise.
En effet, si l’on regarde les chiffres des importations et des exportations, on constate que les importations ont été très fortement réduites en Grèce et au Portugal, et qu’elles sont en baisse en Espagne et en Italie. Les exportations ont aussi très fortement chuté en 2010 et, sauf en Espagne, n’ont toujours pas retrouvé leur niveau de 2008. C’est donc bien par contraction très forte de la demande interne que la balance commerciale s’est améliorée.
L’amélioration de la balance commerciale provient donc majoritairement de cet effet mécanique de compression de la demande et non d’une amélioration de l’efficacité de la production qui entraînerait une forte et durable amélioration de la compétitivité internationale. Pour tenter de voir comment évolue l’appareil productif, il faut dès lors regarder l’investissement.
Or, dans toute la zone Euro, on voit que la crise provoque une chute importante de l’investissement. Cette chute concerne aussi des pays considérés en « bonne santé » comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. En fait, sur ce point précis, la France apparaît plutôt en bonne position.
Si l’on considère maintenant l’investissement dit “non résidentiel”, c’est à dire hors la construction des logements, le mouvement est marqué dans les pays qui ont fourni les données. L’écart entre la France et l’Allemagne est particulièrement marqué, et vient corriger un certain nombre d’idées reçues sur la comparaison des deux pays. En réalité, ces chiffres ne concernent que l’investissement réalisé sur la base du territoire. Or les entreprises allemandes investissent plus que les entreprises françaises, mais elles investissent massivement hors d’Allemagne, que ce soit dans les pays d’Europe centrale qui sont devenus la “base productive” de l’industrie allemande, ou dans les pays émergents, ou encore aux États-Unis afin de profiter du niveau relativement faible du Dollar face à l’Euro.
Bien entendu, cette chute est d’autant plus marquée que les pays sont en crise. Ainsi, pour les pays de l’Europe du Sud, l’effondrement de l’investissement est réellement impressionnant si on regarde la formation brute de capital fixe en prix courants. La chute est particulièrement forte pour l’Espagne, la Grèce et le Portugal. Elle est significative pour l’Italie.
Si l’on regarde maintenant l’investissement en euros à prix constants la baisse est spectaculaire en Grèce, en Irlande et au Portugal. dans le cas de la Grèce, la chute de l’investissement dépasse les 60%. Elle est de l’ordre des deux-tiers en Irlande. Elle est aussi très significative (plus de 40%) en Espagne et forte en Italie.
Il est donc clair que, même si l’investissement des ménages (le logement) s’est fortement contracté, le renouvellement de l’appareil productif a été durablement affecté depuis le début de la crise. Non seulement est-il affecté de manière absolue, mais l’écart par rapport aux pays du « nord » (Allemagne et France) s’est creusé depuis 2008. Tout converge donc pour considérer que le redressement actuel des balances commerciales ne saurait être durable et que la compétitivité des pays d’Europe du Sud s’est dégradée depuis le début de la crise. De ce point de vue, une baisse de la productivité est de nature à remettre en cause la baisse des salaires (ou des coûts salariaux) qui se produit actuellement sous l’effet des politiques d’austérité.
Cette baisse de la productivité du travail est susceptible de survenir par la détérioration de l’appareil productif mais aussi du fait de la forte hausse du chômage qui détruit brutalement des compétences accumulées au sein des usines et des ateliers. Ce phénomène, s’il se prolongeait, rendrait la chute de la productivité longue à rattraper car la reconstitution de compétences productives, quand elles ont été massivement détruites, prend du temps.

crise chomage euro

Données : FMI, World Economic Outlook, op.cit..

Tout ceci n’annonce donc rien de bon dans la Zone Euro, et l’on voit, à partir des chiffres du 1er trimestre 2013 que très rares sont les pays en croissance. De manière générale le premier trimestre a été marqué par un approfondissement de la crise.

Taux de croissance (en données corrigées des variations saisonnières) par rapport au trimestre précédent.

Allemagne

0,1%.

Espagne

-0,5%

Estonie

-1,0%

France

-0,2%

Italie

-0,5%

Malte

0,0%

Belgique

0,1%

Portugal

-0,4%

Slovaquie

0,2%

Pays-Bas

-0,1%

Grèce

-1,2%

Slovénie

-0,7%

Finlande

-0,1%

Chypre

-1,3%

Autriche

0,0%

Irlande

0,0%

Données : OCDE et Eurostat.

Ceci se traduit tant sur la dette que sur les ressources fiscales des pays. En ce qui concerne la dette, on voit bien que l’austérité imposée aux pays de l’Europe du Sud n’a nullement calmé la hausse du rapport Dette/PIB.
Mais le plus inquiétant est l’évolution des ressources fiscales dans un certain nombre de pays en crise. La baisse est particulièrement spectaculaire dans le cas de la Grèce, ou elle est estimée par le FMI à -17% depuis 2008. De plus, les chiffres pour 2013 étant des estimations on peut, en raison des informations qui proviennent de Grèce, considérer que la chute sera même plus importante. On devrait être à 76 milliards d’euros, voire en dessous, pour cette année car, après les entreprises, les ménages sont dans l’impossibilité de payer les impôts. La baisse au Portugal a elle aussi été sensible. Là encore, les prévisions du FMI pour 2013 pèchent vraisemblablement par optimisme.
Pour l’Espagne et l’Italie, la situation, sans être aussi dramatique qu’en Grèce, est très préoccupante.
En Espagne, les recettes aux prix courants stagnent en dépit des efforts du gouvernement pour améliorer la collecte fiscale. En Italie, après une légère hausse, largement imputable au gouvernement Berlusconi, les recettes ont beaucoup moins progressé que ce qui en a été dit. De plus, le gouvernement sera dans l’obligation de rétrocéder aux petites et moyennes entreprises une partie de l’impôt pour éviter des cessations d’activité massives durant l’été 2013.
Le tableau qui se dessine donc est celui d’une aggravation de la crise dans la zone Euro et d’une inefficacité globale des politiques qui ont été adoptées jusqu’à maintenant. Le seul succès obtenu, l’amélioration de la balance commerciale pour les pays d’Europe du Sud, a été obtenu par des moyens tels qu’il ne saurait être durable. Tous les indicateurs pointent vers une détérioration profonde de la situation qui devrait marquer le second semestre de cette année et le début de l’année prochaine. Compte tenu de la montée des oppositions politiques au fonctionnement actuel et même au principe de la zone Euro, cette aggravation prévisible de la crise pourrait déboucher sur une rupture fondatrice. Cette rupture doit d’ailleurs être souhaitée. En effet, plus longue sera la crise et plus profondes en seront les séquelles structurelles, sur l’emploi (avec la perte des compétences productives), sur la fiscalité (avec la mise en place de systèmes de détournement des flux par les particuliers et les entreprises) mais aussi sur l’investissement (avec une préférence pour les activités de court terme comme le commerce et le négoce face aux activités réellement productives). Il faut donc espérer que l’aggravation maintenant prévisible de la situation pousse un certain nombre de pays à démanteler la zone Euro dont la perpétuation ne peut qu’entraîner plus de misères et de souffrances pour les peuples d’Europe.

Une première version de cet article a été publiée sur le blog de Jacques Sapir.

Hommen : les résistants du bac à sable

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hommen mariage gay

hommen mariage gay

Les Hommen, activistes contre la loi Taubira, ont « fait le buzz »  dimanche dernier en interrompant un bref instant la finale de Roland Garros : l’image d’un jeune homme torse nu, un masque blanc sur le visage, un fumigène à la main, se jetant sur le courtdevant les champions médusés, a fait le tour du monde. Ce mouvement n’est qu’une des nombreuses têtes de l’hydre ayant grandi dans le sein de la Manif pour Tous avec le Printemps français, les Veilleurs, les Mères Veilleuses, Homovox et autres groupuscules constituant une « cathosphère » médiatique mobilisée contre le projet devenu loi.
Cette nébuleuse d’activistes aux profils divers- de la mère de famille au boyscout en passant par l’homo repenti – n’a qu’un mot d’ordre à la bouche « on ne lâche rien », qu’elle met en pratique quotidiennement par des actions coup de poing, le matraquage sur les réseaux sociaux et l’organisation d’événements avant-gardistes aux quatre coins de France. Diverses manifestations ponctuent chaque jour le paysage médiatique : ports de sweat LMPT à l’école, « apéro pour tous », « ventres aux enchères », chasse aux ministres de sortie… on parle même de l’organisation d’un putsch de généraux cathos. De quoi faire trembler les mécréants…
L’agit-prop’ a changé de camp et devient l’outil privilégié de la lutte contre la loi Taubira et la « dictature socialiste ». Les cathos font leurs coming-out et emploient les armes inventées par la modernité qu’ils combattent : slogans, happenings, réseaux sociaux, communication et festivisme[1. Philippe Muray avait déjà souligné cette dérive en notant  que deux des organisateurs des JMJ de  1997, à Paris, étaient aussi des spécialistes de la « Gay Pride » et d’autres manifestations de ce genre. Cf. Essais, Les Belles Lettres, 2010, p. 85 et 861-862.]. Manque d’imagination ou volonté de « faire moderne » à tout prix, les factions reprennent souvent un imaginaire déjà galvaudé ou produit par le système médiatique : ainsi le « printemps français » se veut un écho des révolutions arabes, les Hommen parodient les Femen tandis que les sages Antigones s’en font le miroir catholique, et tout le monde porte le « sweat pour tous » emblème djeune et sexy.
Mais le plus triste est sans doute la récupération godwinesque du mythe de la Resistance par la branche virile et post-adolescente du mouvement.
Les petits bourgeois excités qui finissent en garde à vue pour avoir insulté la police en dockside Sebago ou foutu le bordel à Roland Garros (où la place en finale vaut bien le prix d’une demi mère porteuse ukrainienne) se prennent au mieux pour des néo-croisés, au pire pour des maquisards. Ces jusqu’au-boutinistes (selon l’excellent mot de Basile de Koch) qui ont trop regardé Zorro, galvaudent outrancièrement l’imaginaire et le vocabulaire de la résistance, dérive qui était jusqu’à présent le seul propre des antisarkozystes. C’est reparti comme en 40 !
Ainsi les Hommen reprennent le slogan gaulliste « obéir, c’est trahir, désobéir, c’est servir », choisissent Jean Moulin comme emblème, et  appellent sur leur blog les casques bleus à la rescousse pour « venir libérer militairement le peuple français de ce gouvernement totalitaire et de sa police politique » (sic !).  Fourrant toutes les luttes dans le même panier, le Printemps français récupère le salut gestuel caractéristique des activistes de gauche, le poing levé, et prophétise « bientôt la place Tiananmen ». Les ex-enfants de chœur auto-proclamés «prisonniers politiques» se retrouvent en garde-à-vue et se prennent pour des Saint Sébastien, transpercés par les flèches du paganisme socialiste, sauf qu’au lieu de lever les yeux au ciel dans une résignation céleste comme le fit le martyr, ils gémissent à la dictature sur les réseaux sociaux.
Au milieu de ces provocations et de ces jérémiades déplacées, le seul mouvement vraiment novateur, qui corresponde par sa forme à l’éthique chrétienne est peut être celui des Veilleurs, mouvement pacifique et silencieux, qui lutte par la prière et la réflexion – moyens évangéliques – plutôt que par la provocation, le scandale et la surmédiatisation.  Eux, au moins, ne risquent pas d’être pris le doigt dans l’engrenage de la société du spectacle que tant d’opposants au mariage pour tous cherchent désespérément à séduire.
À ceux qui voudraient continuer le combat autrement que par ces moyens,  je rappellerai les paroles de Jésus à Pierre dans le jardin des Oliviers, alors que celui voulait faire violence aux soldats romains venus l’enlever : « Remets ton épée dans le fourreau. Ne boirai-je pas la coupe que le Père m’a donnée à boire? » (Jean 18:10-11).

NB : Il paraît que certains « partisans » menacent le Tour de France, « si ces petits cons perdent les pédales, ils auront affaire à moi » prévient déjà Marc Cohen…

*Photo: Glassholic

Clément Méric n’est pas une icône

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C’est un spectacle bien pénible, et pourtant ! Ces jeunes gens qui lèvent le poing, le visage sévère, concerné, résistant, pour eux ce n’est pas grave, il n’y a pas mort d’âme. Pour eux rien n’est perdu. Leur vie est devant eux. Plus tard, peut-être, espérons-le malgré tout, ils recracheront la vaine emphase dont ils s’emplissent maintenant. Ils auront honte de ce lyrisme tribal et mécanique, de cette pose facile et avantageuse qu’ils prennent sans réfléchir, de ce grand frisson collectif qui les anime. Un jour peut-être, dans leur âge mûr, brûleront-ils les lauriers qu’une intelligentsia complaisante et infantile leur décerne, au terme des combats gagnés d’avance qu’ils sont si fiers de livrer aujourd’hui. Peut-être s’en voudront-ils d’avoir mangé l’âme de leur camarade pour assouvir leur faim de luttes en noir et blanc. Peut-être se repentiront-ils d’avoir transformé en stérile icône du manichéisme, cette religion politique aussi triste que comique, un jeune homme de chair et de sang. Peut-être. Cela dépend d’eux et d’une existence qui les attend, ouverte et disponible, j’ose l’espérer, au travail du temps et de leur conscience.
Clément Méric n’aura pas cette chance. Clément Méric, pauvre jeune homme si pur, si théorique, si peu incarné, où es-tu aujourd’hui ? Toi qui combattais tout le mal du monde et de la « société » à travers toutes les causes disponibles sur le vaste marché de l’indignation, où est ton âme maintenant?  Qui parlera pour elle à Dieu et à ses saints ? Qui intercédera pour toi auprès du Créateur ?  Le mal qui était en toi, quand le verras-tu ? Il faut en vouloir à ton jeune meurtrier qui paraît tant te ressembler, l’héritage culturel en moins, de t’avoir privé du jour où tu aurais pu jeter quelque lumière sur ton péché. Oui, ton péché. Celui qui occulte la noirceur commune de ton âme. Qui rejette hors de toi, sur les bouffeurs de viande, sur les capitalistes, les homophobes, les racistes, les sexistes, les réacs, les cathos, les fascistes, tout le mal que chaque homme est capable de faire à l’homme. Et il faut en vouloir aussi à tous ceux qui te tressent des lauriers grotesques et indignes de ton front humain, trop humain,  de militant immature. À ceux qui t’ensevelissent sous leurs hommages indécents. Certes, ils ne sont pas criminels ceux-là, et il n’est pas question ici de rejeter sur eux un meurtre qu’ils n’ont pas commis. Pas question de répondre à l’indécence par l’indécence. Mais l’on doit à la vérité de dire qu’ils sont menteurs. Tu ne fus pas la victime innocente d’un mal étranger.
Tu avais la vie devant toi Clément Méric, pour apprendre le sens du tragique et devenir un homme. Mais par la conjonction tragique d’une violence criminelle et d’un enthousiasme mensonger, tu ne fus qu’une icône. A moins que Dieu, dans son infinie charité, ne soit plus clément, ne soit plus humain, que tu ne le fus jamais.

Intégration : l’Etat mal conseillé

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Les enjeux des questions d’immigration-intégration sont trop lourds de conséquences pour que l’on puisse se résoudre à taire les erreurs de nos gouvernants. Si, au moins, elles les conduisaient à modifier leur trajectoire ! À défaut d’une élite clairvoyante et visionnaire, nous aurions au moins une élite capable de lever le pied de l’accélérateur alors que notre société s’approche dangereusement du ravin. En l’espèce, le rapport intitulé « La grande nation pour une société inclusive » que le conseiller d’État Thierry Tuot a rédigé, à la demande du premier ministre Jean-Marc Ayrault, est un morceau d’anthologie. Il convient de le conserver précieusement dans un musée national afin qu’il puisse témoigner auprès des générations futures de l’esprit du commandement de notre époque.
La colonne vertébrale de ce rapport se résume à affirmer que les Français sont responsables de l’échec de l’intégration des immigrés et de leurs descendants et que l’État n’a rien fait, ou presque rien, pour la favoriser. L’État y est accusé d’avoir détruit une partie des outils de la politique d’intégration, à savoir, selon l’auteur, « les crédits, les établissements, les personnels compétents et les associations les plus actives ». [access capability= »lire_inedits »]Le rapport néglige l’importance des investissements financiers consentis par la collectivité : rénovation urbaine, ZEP, ZUS, ZFU ; sans compter les politiques de prise en charge familiale et de santé. Il propose d’entériner l’impuissance de l’État à faire respecter les frontières de la République et recommande l’octroi à tous les clandestins jugés non-éloignables d’un « titre de tolérance », prélude à leur régularisation. Mais pas un mot sur l’École, ni sur les voies à emprunter pour endiguer le fléau de l’échec scolaire qui plombe les résultats de la France dans le classement PISA. Pis, l’auteur recommande d’offrir la nationalité française à toute personne qui a accompli sa scolarité en France, comme si l’École continuait de jouer son rôle intégrateur.
Le conseiller d’État (que l’on suppose issu des meilleures écoles de sciences politiques de la République) va jusqu’à moquer l’attachement des Français à leurs grands principes : « Encore plus périphérique, et stratosphérique même, l’invocation rituelle, chamanique, des Grands Concepts et Valeurs Suprêmes ! […] Droits et Devoirs ! Citoyenneté ! Histoire ! Œuvre ! Civilisation Française ! Patrie ! Identité ! France ! […] Dans quel monde faut-il vivre pour croire un instant opérante la frénétique invocation du drapeau ? […] Au XXIe siècle, on ne peut plus parler en ces termes à des générations de migrants […] On ne peut plus leur tenir un discours qui fait sourire nos compatriotes par son archaïsme et sa boursouflure ». La nation française, finalement, résisterait trop « à accepter une évolution de son paysage mental », c’est-à-dire à mieux accepter les normes collectives des immigrés. Dans un passage assez épique sur l’incursion de la religion dans l’espace public, il met sur un même plan coiffe bretonne, chèche, béret et foulard islamique. Bref, l’intégration se fera si on la vide de sa substance et qu’elle cède la place à l’inclusion, concept qu’il emprunte au chercheur Hugues Lagrange, dixit Hugues Lagrange lui-même[1. France Culture, « L’Esprit public » du 19 mai 2013.]. L’inclusion, c’est que les Français acceptent que la nation France, reflet de leur identité en tant que peuple, s’efface pour céder la place à une juxtaposition de communautés. C’est le sarcasme de Bertolt Brecht pris au pied de la lettre : « Ne serait-il pas plus simple pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ? »
Le plus inquiétant, c’est que certains arguments développés dans le rapport de Thierry Tuot sont identiques à ceux que j’ai entendus lors d’un entretien à l’Élysée avec l’un des conseillers du Président de la République. François Hollande est-il lui-même sur cette ligne différentialiste ? Je ne saurais me prononcer sur ce point. Il est clair, cependant, que les mesures adoptées depuis son élection ne sont pas de bon augure pour la préservation de la concorde civile.[/access]

*Photo : Mohamed Dubois, le film.