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Zone euro : l’embellie imaginaire


Zone euro : l’embellie imaginaire

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Un certain nombre de déclarations semblent accréditer l’idée d’une lente, mais réelle, sortie de crise dans les pays du « sud » de la zone Euro. Elles reposent avant tout sur le constat d’une forte réduction du déficit commercial de ces pays, voire de leur capacité à dégager un excédent commercial. Mais cette vision des choses est marquée par un court-termisme évident accompagné d’une myopie redoutable quant aux effets réels de la crise.
En effet, si l’on regarde les chiffres des importations et des exportations, on constate que les importations ont été très fortement réduites en Grèce et au Portugal, et qu’elles sont en baisse en Espagne et en Italie. Les exportations ont aussi très fortement chuté en 2010 et, sauf en Espagne, n’ont toujours pas retrouvé leur niveau de 2008. C’est donc bien par contraction très forte de la demande interne que la balance commerciale s’est améliorée.
L’amélioration de la balance commerciale provient donc majoritairement de cet effet mécanique de compression de la demande et non d’une amélioration de l’efficacité de la production qui entraînerait une forte et durable amélioration de la compétitivité internationale. Pour tenter de voir comment évolue l’appareil productif, il faut dès lors regarder l’investissement.
Or, dans toute la zone Euro, on voit que la crise provoque une chute importante de l’investissement. Cette chute concerne aussi des pays considérés en « bonne santé » comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. En fait, sur ce point précis, la France apparaît plutôt en bonne position.
Si l’on considère maintenant l’investissement dit “non résidentiel”, c’est à dire hors la construction des logements, le mouvement est marqué dans les pays qui ont fourni les données. L’écart entre la France et l’Allemagne est particulièrement marqué, et vient corriger un certain nombre d’idées reçues sur la comparaison des deux pays. En réalité, ces chiffres ne concernent que l’investissement réalisé sur la base du territoire. Or les entreprises allemandes investissent plus que les entreprises françaises, mais elles investissent massivement hors d’Allemagne, que ce soit dans les pays d’Europe centrale qui sont devenus la “base productive” de l’industrie allemande, ou dans les pays émergents, ou encore aux États-Unis afin de profiter du niveau relativement faible du Dollar face à l’Euro.
Bien entendu, cette chute est d’autant plus marquée que les pays sont en crise. Ainsi, pour les pays de l’Europe du Sud, l’effondrement de l’investissement est réellement impressionnant si on regarde la formation brute de capital fixe en prix courants. La chute est particulièrement forte pour l’Espagne, la Grèce et le Portugal. Elle est significative pour l’Italie.
Si l’on regarde maintenant l’investissement en euros à prix constants la baisse est spectaculaire en Grèce, en Irlande et au Portugal. dans le cas de la Grèce, la chute de l’investissement dépasse les 60%. Elle est de l’ordre des deux-tiers en Irlande. Elle est aussi très significative (plus de 40%) en Espagne et forte en Italie.
Il est donc clair que, même si l’investissement des ménages (le logement) s’est fortement contracté, le renouvellement de l’appareil productif a été durablement affecté depuis le début de la crise. Non seulement est-il affecté de manière absolue, mais l’écart par rapport aux pays du « nord » (Allemagne et France) s’est creusé depuis 2008. Tout converge donc pour considérer que le redressement actuel des balances commerciales ne saurait être durable et que la compétitivité des pays d’Europe du Sud s’est dégradée depuis le début de la crise. De ce point de vue, une baisse de la productivité est de nature à remettre en cause la baisse des salaires (ou des coûts salariaux) qui se produit actuellement sous l’effet des politiques d’austérité.
Cette baisse de la productivité du travail est susceptible de survenir par la détérioration de l’appareil productif mais aussi du fait de la forte hausse du chômage qui détruit brutalement des compétences accumulées au sein des usines et des ateliers. Ce phénomène, s’il se prolongeait, rendrait la chute de la productivité longue à rattraper car la reconstitution de compétences productives, quand elles ont été massivement détruites, prend du temps.

crise chomage euro

Données : FMI, World Economic Outlook, op.cit..

Tout ceci n’annonce donc rien de bon dans la Zone Euro, et l’on voit, à partir des chiffres du 1er trimestre 2013 que très rares sont les pays en croissance. De manière générale le premier trimestre a été marqué par un approfondissement de la crise.

Taux de croissance (en données corrigées des variations saisonnières) par rapport au trimestre précédent.

Allemagne

0,1%.

Espagne

-0,5%

Estonie

-1,0%

France

-0,2%

Italie

-0,5%

Malte

0,0%

Belgique

0,1%

Portugal

-0,4%

Slovaquie

0,2%

Pays-Bas

-0,1%

Grèce

-1,2%

Slovénie

-0,7%

Finlande

-0,1%

Chypre

-1,3%

Autriche

0,0%

Irlande

0,0%

Données : OCDE et Eurostat.

Ceci se traduit tant sur la dette que sur les ressources fiscales des pays. En ce qui concerne la dette, on voit bien que l’austérité imposée aux pays de l’Europe du Sud n’a nullement calmé la hausse du rapport Dette/PIB.
Mais le plus inquiétant est l’évolution des ressources fiscales dans un certain nombre de pays en crise. La baisse est particulièrement spectaculaire dans le cas de la Grèce, ou elle est estimée par le FMI à -17% depuis 2008. De plus, les chiffres pour 2013 étant des estimations on peut, en raison des informations qui proviennent de Grèce, considérer que la chute sera même plus importante. On devrait être à 76 milliards d’euros, voire en dessous, pour cette année car, après les entreprises, les ménages sont dans l’impossibilité de payer les impôts. La baisse au Portugal a elle aussi été sensible. Là encore, les prévisions du FMI pour 2013 pèchent vraisemblablement par optimisme.
Pour l’Espagne et l’Italie, la situation, sans être aussi dramatique qu’en Grèce, est très préoccupante.
En Espagne, les recettes aux prix courants stagnent en dépit des efforts du gouvernement pour améliorer la collecte fiscale. En Italie, après une légère hausse, largement imputable au gouvernement Berlusconi, les recettes ont beaucoup moins progressé que ce qui en a été dit. De plus, le gouvernement sera dans l’obligation de rétrocéder aux petites et moyennes entreprises une partie de l’impôt pour éviter des cessations d’activité massives durant l’été 2013.
Le tableau qui se dessine donc est celui d’une aggravation de la crise dans la zone Euro et d’une inefficacité globale des politiques qui ont été adoptées jusqu’à maintenant. Le seul succès obtenu, l’amélioration de la balance commerciale pour les pays d’Europe du Sud, a été obtenu par des moyens tels qu’il ne saurait être durable. Tous les indicateurs pointent vers une détérioration profonde de la situation qui devrait marquer le second semestre de cette année et le début de l’année prochaine. Compte tenu de la montée des oppositions politiques au fonctionnement actuel et même au principe de la zone Euro, cette aggravation prévisible de la crise pourrait déboucher sur une rupture fondatrice. Cette rupture doit d’ailleurs être souhaitée. En effet, plus longue sera la crise et plus profondes en seront les séquelles structurelles, sur l’emploi (avec la perte des compétences productives), sur la fiscalité (avec la mise en place de systèmes de détournement des flux par les particuliers et les entreprises) mais aussi sur l’investissement (avec une préférence pour les activités de court terme comme le commerce et le négoce face aux activités réellement productives). Il faut donc espérer que l’aggravation maintenant prévisible de la situation pousse un certain nombre de pays à démanteler la zone Euro dont la perpétuation ne peut qu’entraîner plus de misères et de souffrances pour les peuples d’Europe.

Une première version de cet article a été publiée sur le blog de Jacques Sapir.



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économiste, spécialiste de la Russie.

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