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Clément Méric n’est pas une icône


C’est un spectacle bien pénible, et pourtant ! Ces jeunes gens qui lèvent le poing, le visage sévère, concerné, résistant, pour eux ce n’est pas grave, il n’y a pas mort d’âme. Pour eux rien n’est perdu. Leur vie est devant eux. Plus tard, peut-être, espérons-le malgré tout, ils recracheront la vaine emphase dont ils s’emplissent maintenant. Ils auront honte de ce lyrisme tribal et mécanique, de cette pose facile et avantageuse qu’ils prennent sans réfléchir, de ce grand frisson collectif qui les anime. Un jour peut-être, dans leur âge mûr, brûleront-ils les lauriers qu’une intelligentsia complaisante et infantile leur décerne, au terme des combats gagnés d’avance qu’ils sont si fiers de livrer aujourd’hui. Peut-être s’en voudront-ils d’avoir mangé l’âme de leur camarade pour assouvir leur faim de luttes en noir et blanc. Peut-être se repentiront-ils d’avoir transformé en stérile icône du manichéisme, cette religion politique aussi triste que comique, un jeune homme de chair et de sang. Peut-être. Cela dépend d’eux et d’une existence qui les attend, ouverte et disponible, j’ose l’espérer, au travail du temps et de leur conscience.
Clément Méric n’aura pas cette chance. Clément Méric, pauvre jeune homme si pur, si théorique, si peu incarné, où es-tu aujourd’hui ? Toi qui combattais tout le mal du monde et de la « société » à travers toutes les causes disponibles sur le vaste marché de l’indignation, où est ton âme maintenant?  Qui parlera pour elle à Dieu et à ses saints ? Qui intercédera pour toi auprès du Créateur ?  Le mal qui était en toi, quand le verras-tu ? Il faut en vouloir à ton jeune meurtrier qui paraît tant te ressembler, l’héritage culturel en moins, de t’avoir privé du jour où tu aurais pu jeter quelque lumière sur ton péché. Oui, ton péché. Celui qui occulte la noirceur commune de ton âme. Qui rejette hors de toi, sur les bouffeurs de viande, sur les capitalistes, les homophobes, les racistes, les sexistes, les réacs, les cathos, les fascistes, tout le mal que chaque homme est capable de faire à l’homme. Et il faut en vouloir aussi à tous ceux qui te tressent des lauriers grotesques et indignes de ton front humain, trop humain,  de militant immature. À ceux qui t’ensevelissent sous leurs hommages indécents. Certes, ils ne sont pas criminels ceux-là, et il n’est pas question ici de rejeter sur eux un meurtre qu’ils n’ont pas commis. Pas question de répondre à l’indécence par l’indécence. Mais l’on doit à la vérité de dire qu’ils sont menteurs. Tu ne fus pas la victime innocente d’un mal étranger.
Tu avais la vie devant toi Clément Méric, pour apprendre le sens du tragique et devenir un homme. Mais par la conjonction tragique d’une violence criminelle et d’un enthousiasme mensonger, tu ne fus qu’une icône. A moins que Dieu, dans son infinie charité, ne soit plus clément, ne soit plus humain, que tu ne le fus jamais.



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Florentin Piffard est modernologue en région parisienne. Il joue le rôle du père dans une famille recomposée, et nourrit aussi un blog pompeusement intitulé "Discours sauvages sur la modernité".

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