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Intégration : l’Etat mal conseillé


Les enjeux des questions d’immigration-intégration sont trop lourds de conséquences pour que l’on puisse se résoudre à taire les erreurs de nos gouvernants. Si, au moins, elles les conduisaient à modifier leur trajectoire ! À défaut d’une élite clairvoyante et visionnaire, nous aurions au moins une élite capable de lever le pied de l’accélérateur alors que notre société s’approche dangereusement du ravin. En l’espèce, le rapport intitulé « La grande nation pour une société inclusive » que le conseiller d’État Thierry Tuot a rédigé, à la demande du premier ministre Jean-Marc Ayrault, est un morceau d’anthologie. Il convient de le conserver précieusement dans un musée national afin qu’il puisse témoigner auprès des générations futures de l’esprit du commandement de notre époque.
La colonne vertébrale de ce rapport se résume à affirmer que les Français sont responsables de l’échec de l’intégration des immigrés et de leurs descendants et que l’État n’a rien fait, ou presque rien, pour la favoriser. L’État y est accusé d’avoir détruit une partie des outils de la politique d’intégration, à savoir, selon l’auteur, « les crédits, les établissements, les personnels compétents et les associations les plus actives ». [access capability= »lire_inedits »]Le rapport néglige l’importance des investissements financiers consentis par la collectivité : rénovation urbaine, ZEP, ZUS, ZFU ; sans compter les politiques de prise en charge familiale et de santé. Il propose d’entériner l’impuissance de l’État à faire respecter les frontières de la République et recommande l’octroi à tous les clandestins jugés non-éloignables d’un « titre de tolérance », prélude à leur régularisation. Mais pas un mot sur l’École, ni sur les voies à emprunter pour endiguer le fléau de l’échec scolaire qui plombe les résultats de la France dans le classement PISA. Pis, l’auteur recommande d’offrir la nationalité française à toute personne qui a accompli sa scolarité en France, comme si l’École continuait de jouer son rôle intégrateur.
Le conseiller d’État (que l’on suppose issu des meilleures écoles de sciences politiques de la République) va jusqu’à moquer l’attachement des Français à leurs grands principes : « Encore plus périphérique, et stratosphérique même, l’invocation rituelle, chamanique, des Grands Concepts et Valeurs Suprêmes ! […] Droits et Devoirs ! Citoyenneté ! Histoire ! Œuvre ! Civilisation Française ! Patrie ! Identité ! France ! […] Dans quel monde faut-il vivre pour croire un instant opérante la frénétique invocation du drapeau ? […] Au XXIe siècle, on ne peut plus parler en ces termes à des générations de migrants […] On ne peut plus leur tenir un discours qui fait sourire nos compatriotes par son archaïsme et sa boursouflure ». La nation française, finalement, résisterait trop « à accepter une évolution de son paysage mental », c’est-à-dire à mieux accepter les normes collectives des immigrés. Dans un passage assez épique sur l’incursion de la religion dans l’espace public, il met sur un même plan coiffe bretonne, chèche, béret et foulard islamique. Bref, l’intégration se fera si on la vide de sa substance et qu’elle cède la place à l’inclusion, concept qu’il emprunte au chercheur Hugues Lagrange, dixit Hugues Lagrange lui-même[1. France Culture, « L’Esprit public » du 19 mai 2013.]. L’inclusion, c’est que les Français acceptent que la nation France, reflet de leur identité en tant que peuple, s’efface pour céder la place à une juxtaposition de communautés. C’est le sarcasme de Bertolt Brecht pris au pied de la lettre : « Ne serait-il pas plus simple pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ? »
Le plus inquiétant, c’est que certains arguments développés dans le rapport de Thierry Tuot sont identiques à ceux que j’ai entendus lors d’un entretien à l’Élysée avec l’un des conseillers du Président de la République. François Hollande est-il lui-même sur cette ligne différentialiste ? Je ne saurais me prononcer sur ce point. Il est clair, cependant, que les mesures adoptées depuis son élection ne sont pas de bon augure pour la préservation de la concorde civile.[/access]

*Photo : Mohamed Dubois, le film.

Juin 2013 #3

Article extrait du Magazine Causeur



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essayiste, ancien membre du Haut Conseil à l’Intégration.

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