Accueil Politique Comment Nicolas, 23 ans, manifestant, s’est retrouvé à Fleury-Mérogis

Comment Nicolas, 23 ans, manifestant, s’est retrouvé à Fleury-Mérogis


Comment Nicolas, 23 ans, manifestant, s’est retrouvé à Fleury-Mérogis

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Dimanche dernier, au sortir d’une énième manifestation contre le mariage homosexuel, Nicolas, 23 ans, est appréhendé au seul motif qu’il porte le sweat-shirt de la Manif pour Tous. Dans un élan de panique, il se réfugie dans un restaurant. Interpellé, gardé à vue puis mis au dépôt, il est déféré.  Mercredi, le tribunal correctionnel de Paris l’a condamné à quatre mois de prison dont deux fermes avec mandat de dépôt et à 1000 euros d’amende. Les juges lui ont reproché, outre la rébellion, d’avoir refusé un prélèvement ADN.
La situation est ubuesque. Nicolas a été condamné pour les conséquences de son interpellation qui est elle-même est, selon toute vraisemblance, sans fondement. La condamnation des juges n’a en effet aucun rapport avec les motifs de l’interpellation qui sont nuls. Après plus de quatre-vingts heures de détention qui n’ont pas d’autre objet que d’inciter à la faute, les zélés de la police nationale ont réussi à relever, chez un type poussé à bout, un refus et des protestations, tout cela afin de hisser l’affaire en justice. A ce petit jeu, plus un citoyen français ne saurait échapper à la case prison. Mettez quelqu’un en détention sans raison, il finira bien par tenter une évasion que le code pénal punit de trois à cinq ans d’emprisonnement. Et vous aurez alors le motif rétroactif de la détention. Quant au mandat de dépôt pour une peine de moins de six mois d’emprisonnement, c’est la marque d’une justice d’exception aux légers relents de lettre de cachet.
En effet, peu après sa nomination, la ministre de la Justice Christiane Taubira déclarait vouloir rompre avec la politique de répression et d’enfermement systématique de la droite: « Il faut recréer une politique pénale qui, sur la base de la lutte contre la récidive, fait de la pédagogie autour de la sanction […] Il y a des années qu’on sait que la prison, sur les courtes peines, génère de la récidive, c’est presque mécanique. Je le dis, il faut arrêter ! Ça désocialise, ça coûte cher et ça fait de nouvelles victimes. » (Libération, 7 août 2012). La Garde des sceaux promettait alors, pour des délits portant sur de courtes peines, d’utiliser tous les minuties du code pénal qui pouvaient éviter la case prison. A l’époque de cette profession de foi, Christiane Taubira ne pensait certainement pas à Ambroise, à Edouard, à Sixtine ou à Victoire[1. Pour éviter tout amalgame, les prénoms ont été modifiés.] qui iraient, drapeau français à la main et sifflet autour du cou, crier un peu partout dans les rues que le mieux pour un enfant était d’avoir un père et une mère. Non, elle pensait plutôt à d’autres, à ceux qui « n’avaient pas eu la chance de » et pour qui la justice aurait enfin des égards,  afin de faire prévaloir l’égalité des chances. Pour ceux-là, il fallait –peut-être à raison- de la clémence, de la pédagogie, de la justice sociale comme on dit.
Plusieurs récentes décisions des tribunaux montrent qu’une justice à double vitesse s’est calquée sur une France coupée en deux. Il y a trois mois, un groupe d’une vingtaine de jeunes gens aux visages dissimulés derrière des écharpes ou des capuches prenaient d’assaut, à la gare de Grigny, plusieurs rames d’un RER D rançonnant violemment les passagers, contraints de remettre téléphones portables, portefeuilles et sacs à main. Le 11 juin dernier, le tribunal rendait son verdict. Sur l’ensemble des voyous dont la participation aux faits a été reconnue par les juges, seulement cinq jeunes ont été condamnés à des peines de prison avec sursis. Les autres ont reçu des avertissements solennels, une mesure de protection judiciaire ou des heures de travaux d’intérêt général. Et l’un d’entre eux a été  relaxé au bénéfice du doute alors même qu’une des victimes soutenait formellement l’avoir identifié comme l’agresseur qui l’avait rouée de coups et aspergée de gaz lacrymogène. À Lille, il y a quelques jours, une mère veilleuse était agressée par un homme armé d’un couteau qui, à deux reprises, essayait de porter la lame au visage de la femme. Relâché après quelques heures au commissariat, il s’en tirait avec une composition pénale, mesure alternative aux poursuites pénales aux termes de laquelle, s’il donne son accord, il sera au pire sanctionné d’une amende ou d’un travail d’intérêt général. Plus récemment encore, une jeune militante antifasciste qui avait refusé de se soumettre à un test ADN après avoir été condamnée à du sursis pour rébellion (en l’espèce un coup de tête à un policier lors de la Gay Pride à Tours) se voyait astreinte à cent jours-amende à 10 €.
Il est difficile de comprendre une presse et un pouvoir qui raillent et amalgament les manifestations françaises quand, quelques semaines plus tard, cette même presse et ce même pouvoir, enjoignent l’Etat turc de couper le gaz lacrymogène et somment le Brésil de cesser la répression policière pour écouter son peuple. Mais le pouvoir est forcément partial et la presse partisane. Il est en revanche inconcevable que la justice se contorsionne comme un paon faisant la roue pour plaire au pouvoir en place. Désormais il n’y a plus un mais deux débats. La question du mariage gay continuera d’agiter la jeunesse de France qui, elle le répète assez souvent, ne lâchera rien. Mais cette jeunesse révoltée se fera aussi le nouveau défenseur de la démocratie, une démocratie où les libertés fondamentales telles que la liberté d’expression, la liberté d’aller et venir, le droit de manifester sont garantis. Tout comme le droit à un procès équitable, c’est-à-dire sans risque qu’un magistrat adepte de l’idéologie du mur des cons place ses opinions politiques plus haut que les lois de la République.

*Photo : U.S. Coast Guard.



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