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Langues régionales et identité nationale

breton corse langues regionales

Trente députés bretons de gauche ont signé une proposition de loi visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Cette ratification faisait partie des engagements de François Hollande lors de la campagne présidentielle. Mais une révision de la constitution est nécessaire. Or, après que le Conseil d’État a rendu un avis négatif sur l’avant-projet de loi constitutionnelle du gouvernement, François Hollande a décidé d’enterrer l’idée de ratifier la charte, comme l’explique le député UMP Marc Le Fur : «À la première escarmouche avec le Conseil d’Etat, le Président de la République rend les armes et abandonne sa promesse alors qu’il existe un grand nombre de lois qui ont été adoptées et promulguées avec un avis contraire du Conseil d’Etat. Ce n’est pas une question juridique, c’est une question de courage politique.» Nicolas, blogueur de gouvernement, se réjouit de ce renoncement, dans un billet ma foi fort intéressant où il explique pourquoi la charte européenne des langues régionales ne doit pas être ratifiée. On entend déjà les persiflages: encore une promesse du candidat Hollande qui ne sera pas tenue ! Pourtant, ce n’est pas la première fois qu’un président de la République bute sur la question des langues régionales. En 2007, la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires était également une promesse de campagne de Nicolas Sarkozy. Le 23 juillet 2008, la Constitution fut d’ailleurs modifiée en ce sens : l’article 75-1 introduisait ainsi les langues régionales dans la Constitution en stipulant qu’elles « appartiennent au patrimoine de la France ». Pour le constitutionnaliste Guy Carcassonne, l’insertion de ce nouvel article ouvrait la voie de la ratification. L’Académie Française sortit alors de sa torpeur sénile et expliqua que la révision constitutionnelle portait atteinte à l’identité nationale. Aussitôt, le ministre de l’identité nationale, Éric Besson, se crut obligé d’enterrer le projet : selon lui, la reconnaissance des langues régionales risquait en effet de mettre en péril les « principes d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi« .
Or, en mars dernier, en estimant que la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires «minerait les fondements de notre pacte social et ferait courir  [à la République] un risque majeur de dislocation», le Conseil d’État reprenait les arguments d’Éric Besson et les imposaient à François Hollande et au gouvernement Ayrault.
En invoquant les principes d’indivisibilité de la République, ceux qui s’opposent à la reconnaissance des langues régionales recyclent la vieille idée selon laquelle les langues régionales représentent un danger pour l’unité de la nation. En effet, depuis l’édit de Villers-Cotterêts en 1536, qui imposa l’emploi de la langue d’oïl dans tous les actes officiels, la langue française, instrument de centralisation, a été le ciment de l’État-nation en France. Cela explique que la Révolution puis la Troisième République aient autant déprécié les langues régionales. Ainsi, Barère, l’un des principaux inspirateurs et acteurs de la Terreur, estime en janvier 1794 que « chez un peuple libre, la langue doit être une et même pour tous« . En juin de la même année, l’Abbé Grégoire présente devant la Convention son « Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir le patois, et d’universaliser l’usage de la langue française » où il explique qu’il faut « consacrer au plus tôt, dans une République une et indivisible, l’usage unique et invariable de la langue de la liberté« . En juillet, le décret du 2 thermidor An II impose le français comme seule langue de l’administration. On estime que les patois, liés à l’Ancien Régime et que l’on appelle parfois idiomes féodaux, freinent la diffusion des idées révolutionnaires: ils doivent disparaître au nom de l’unification de la nation. Il semble loin le temps où, en 1790, l’Assemblée nationale avait commencé par faire traduire les lois et décrets dans toutes les langues régionales ! En fait, elle y avait vite renoncé, faute de moyens. À la fin du XIXe siècle, la Troisième République va accélérer l’uniformisation linguistique de la nation: l’éducation laïque et obligatoire enracine à travers le français les principes républicains. Le livre de Jean-François Chanet « L’école républicaine et les petites patries« [1. Jean-François Chanet, L’école républicaine et les petites patries, Aubier Montaigne, 1996.] démontre cependant que le premier objectif  de Jules Ferry n’était pas de faire disparaître les langues régionales: à travers l’apprentissage de la langue française, il s’agissait de faire de chaque français un républicain convaincu. Opposée à la République, l’Église instrumentalisa l’usage des langues vernaculaires, ce qui précipita leur déclin: en 1902, le gouvernement clairement anticlérical d’Émile Combes prit un décret pour lutter contre « l’usage abusif du breton ». Il s’agissait de punir les curés bretons qui, nombreux, refusaient alors de prêcher dans la langue nationale.

Ainsi, depuis plus de deux siècles, la République a l’habitude de considérer que le français, qu’elle oppose aux langues régionales, est le ciment de la nation. Pourtant, cette idée est en contradiction avec la conception française de la nation telle qu’elle a été définie par Ernest Renan, lors de la fameuse conférence qu’il a prononcée le 11 mars 1882 en Sorbonne. Pour Renan, la nation est « un plébiscite de tous les jours ». Il défend le modèle d’une nation élective, qui repose sur la volonté des peuples de vivre ensemble, et s’oppose ainsi à la conception allemande de la nation, qui s’appuie sur les liens du sang et de la langue maternelle. L’idée de Renan est bien contradictoire avec l’idée républicaine d’une nation unifiée par la langue : comment l’expliquer? Pour cela, il faut nous remettre dans le contexte de cette fin du dix-neuvième siècle : alors que les principaux pays européens sont parvenus à se constituer en États-nations, notamment après les unifications de l’Italie et de  l’Allemagne, la question de l’Alsace-Lorraine alimente depuis 1870 le  débat entre Français et Allemands. Deux conceptions de la nation s’affrontent : celle de Johann Gottfried von Herder et Johann Gottlieb Fichte, verticale, plonge ses racines dans l’ethnie et la culture tandis que celle de Renan, horizontale, correspond au choix libre d’un individu à l’intérieur d’un territoire[2. Guy Hermet, Histoire des nations et du nationalisme en Europe, Éditions du Seuil, 1996.]. Pour Renan, en niant l’importance de la langue, il s’agissait d’abord de contester le rattachement de  l’Alsace à l’Allemagne. Ensuite, son idée d’une nation élective a permis d’évacuer les micro-nationalismes  qui dérangeaient.
Et aujourd’hui ? On peut rassurer le Conseil d’État et lui dire que, depuis plus de deux cents ans, la République est bien assurée sur ses bases : elle ne risque rien en reconnaissant les langues régionales. Ou alors, il faudrait s’interroger sérieusement sur les fondements de cette République toujours prête à vaciller dès qu’on parle de langues régionales ou qu’on aperçoit un skinhead. À l’heure où l’on voit se développer l’ELCO (enseignement des langues et cultures d’origine), qui permet aux écoliers de primaire volontaires de bénéficier de cours gratuits de turc ou d’arabe, organisés et financés par les ambassades de Turquie, du Maroc ou d’Algérie, n’est-il pas ubuesque de considérer que les langues régionales constituent une menace pour l’unité de la République? D’ailleurs, ne nous leurrons pas; là est sans doute le véritable enjeu du débat sur les langues régionales et minoritaires. Pour un certain nombre de gauchistes, les langues régionales renvoient à un âge préhistorique pré-républicain : elles sont utilisées par le Front de Gauche et les écologistes comme un cheval de Troie qui permettra ensuite de demander la reconnaissance des langues de l’immigration, dites « non-territoriales« . Il y a une dizaine d’années, j’avais eu à ce sujet une discussion avec un jeune doctorant en ethnologie qui avait déclaré sur un ton péremptoire qu’il ne trouvait pas utile d’inscrire les langues régionales dans la constitution. Cela m’avait surpris puisque les ethnologues, attachés à la diversité culturelle, sont les premiers à pleurnicher dès lors qu’une langue autochtone disparaît «toutes les deux semaines» dans le monde. J’imaginais donc que sa position était celle d’un Républicain qui défend l’idée d’une nation indivisible. Mais non: il ajouta qu’il trouvait plus utile de reconnaître dans la constitution les langues maternelles des immigrés, telles que l’arabe, le turc ou le wolof, qui sont davantage utilisées en France ! Quelques années plus tard, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir le même ethnologue, interviewé par Le Nouvel Obs à l’occasion du centenaire de Claude Lévi-Strauss : plutôt que de parler du grand anthropologue, il avait tenu un discours assez minable, farci de revendications catégorielles, digne d’un cheminot rongé par l’antisarkozysme. Alors qu’il aurait pu expliquer, par exemple, que Claude Lévi-Strauss, dans Race et culture[3. « Race et Culture » in Revue internationale des sciences sociales, Vol. XXIII (1971), n° 4, UNESCO.], avait défendu l’idée que chaque culture avait le droit de rester sourde aux valeurs des autres, de façon à protéger son identité. Mais non. On peut être ethnologue et incapable de comprendre l’intérêt des langues régionales. Pourtant, les langues régionales font partie de notre patrimoine et donc de notre identité : elles sont l’expression d’une véritable diversité, une diversité au sens braudélien, c’est-à-dire endogène et inscrite tant dans notre géographie que dans notre histoire.

*Photo : Olibac.

Le ciel, le soleil… et plus de mer

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mer aral nourpeissov

Pour l’Occidental moyen, partir à la mer n’est qu’un rituel estival parmi d’autres. De Palavas-Les-Flots aux plages thaïlandaises, il peut s’adonner à ses pires turpitudes sans autres limites que la loi locale. Il en va différemment des peuples de pêcheurs. Nous autres modernes savons désormais que les mers sont mortelles. Au cas où nous préférerions oublier, l’écrivain kazakh Abdijamil Nourpeissov nous met les bottes dans la mer d’Aral, ce grand lac dessalé qui comptait autrefois parmi les plus grandes étendues d’eau mondiales.[access capability= »lire_inedits »] Son sublime roman Il y eut un jour et il y eut une nuit, écrit en 2000 mais dont L’Âge d’Homme publie aujourd’hui la traduction inédite, nous plonge dans 500 pages d’écume brûlante au cœur d’un paysage dévasté. En ces années brejnéviennes, les aouls[1. Villages.] de pêcheurs ployaient sous les coups de plans quinquennaux pharaoniques. La quête d’un improbable or blanc a ainsi justifié le tarissement des fleuves Syr-Daria et Amou-Daria, vouant la mer à la culture de champs de coton et les pêcheurs à la migration. « La pauvre mer condamnée ressentait une soif terrible, ressemblait à un malade vivant ses derniers jours », ainsi que la dépeint le lyrique Kazakh. Ajoutez les flots de handicapés mentaux que charrient les expériences militaro-industrielles de Baïkonour et la désolation sera complète.

Un tel décor, servi par la précision naturaliste de Nourpeissov, reléguerait presque au second plan l’intrigue romanesque entre le mari (é)perdu, l’apparatchik sans scrupules et l’épouse délaissée dont les destinées s’évanouissaient dans l’enfer neigeux. Au pays où Allah fait bon ménage avec la vodka, l’auteur nous prodigue une leçon de vie magistrale, dispensée dans un style immaculé : « Vivant au sein d’une nature mutilée et profanée, tout homme deviendra un éclopé ». Nous voilà prévenus…[/access]

Il y eut un jour et il y eut une nuit, Abdijamil Nourpeissov (trad. Athanase Vantchev de Thracy),  L’Âge d’Homme, 2013.

*Photo : MaryjoO.

Ricardo aux mains d’argent

Ta chevalière en or courait sur le manche de ta guitare.

Brigitte, les yeux mi-clos, souriait de bonheur quand tes doigts suspendus à tes cordes  accéléraient, ralentissaient, dansaient puis communiaient avec l’âme du peuple gitan.

Ce don pour faire crier le flamenco, tu l’avais reçu en héritage de ton oncle dans une caravane de Sète, tout près des terres humides de Camargue.

Aux Saintes-Maries, enfant, tu étais déjà un dieu, tes petites mains d’argent valaient de l’or.

Un jour, avant de partir à New York, pudique et timide, tu avouais à Denise Glaser ta peur de prendre l’avion.

Bientôt, tu rouleras en Rolls, toi qui avais usé tes semelles dans la poussière du Midi, toi qui avais souffert du regard des autres, tu serais l’ambassadeur des gitans, celui qui passait à la télévision dans les années 60, qui tutoyait Dali, qui enchantait François Périer et que Steinbeck qualifiait de grand artiste sauvage.

Chaque année, tu honorais Sara, ta sainte patronne.

Animé par un rythme céleste et un feu intérieur, ton flamenco que les académies dédaignaient parfois, avait une telle force, une telle vivacité qu’il touchait les gens en plein cœur.

Picasso, en dédicaçant ta guitare, t’avait reconnu comme un frère, un égal.

Après ton triomphe au Carnegie Hall où les diplomates du monde entier t’avaient applaudi durant de longues minutes, toi, le gamin aux cheveux noirs, tu en avais tiré aucune fierté.

Tu disais : « je suis gitan et je resterai gitan toute ma vie », le succès n’y changerait rien.

Aujourd’hui, dans ton studio de fortune à la Grande Motte, ruiné, on ne parle plus de toi, on n’écrit plus sur toi, et pourtant, tu as été une lumière, une étoile qui fit du flamenco, un art majeur, une musique de fête qui tord les corps à l’approche de l’été.

Tu t’appelles Ricardo Baliardo, on te connaît sous le nom de Manitas de Plata et cette année, tu fêtes tes 92 ans.

Gaz de schiste : Nimby for ever…

nimby cameron schiste

Alors voilà, une étrange maladie, depuis de nombreuses années, touche aussi bien des gens de droite que des gens de gauche. Des partisans de la réindustralisation à tout crin comme des écologistes hédonistes. Des néo-ruraux exténués par la ville comme des festivistes urbains à fort pouvoir d’achat amoureux des pistes cyclables et des performances artistiques citoyennes. Des gens qui ne pourraient pas vivre sans des centrales nucléaires, de la bagnole, des trains à grande vitesse et des décroissants qui recherchent la simplicité volontaire dans le végétarisme et les toilettes sèches.
Non, décidément, cette maladie n’épargne personne et vous verrez ses symptômes toucher aussi  biens les tenants de l’idéologie sécuritaire la plus féroce et ceux qui pensent que dans une société inégalitaire, la répression ne sert à rien sans  une politique de prévention digne de ce nom  (si, si, il y en encore quelques uns dont votre serviteur).
Il n’empêche que moi aussi, sans doute, je suis un porteur sain de cette maladie qui ne demanderait qu’à se réveiller car après tout, pour être communiste je n’en suis pas moins homme : il suffirait de circonstances particulières pour que je laisse parler mon égoïsme, ma peur et mon refus d’effacer mon intérêt particulier devant l’intérêt général, que je laisse la pulsion dépasser ma raison, bref que j’oublie d’éviter d’être de droite (humour, évidemment…).
Cette maladie identifiée depuis quelques années est désignée  par un acronyme anglo-saxon. C’est le syndrome « Nimby » : Not in my backyard. Littéralement, « Pas dans mon jardin ou pas dans ma cour. »
Ce qui nous a fait y songer est un récent article du Monde sur l’opposition des habitants de Balcombe, un village du Sussex, à l’exploitation du gaz de schiste. Le village de Balcombe est présenté par Le Monde comme « cossu ». On visualise tout de suite ce que ça signifie, un village cossu du Sussex, surtout quand les témoignages des opposants sont ceux d’enseignants et de musiciens. On se dit qu’on est dans une ambiance à la Tamara Drewe, le délicieux film de Stephen Frears où la non moins délicieuse Gemma Atterton, dès 2010, annonçait le retour pour les filles du minishort en jean.
À Balcombe, donc, il est hors de question qu’on vienne saloper le beau village avec des machines bruyantes, de la fracture hydraulique et de l’eau polluée qui sort des robinets. Seulement voilà, Balcombe n’est pas seulement un village bobo version crumpets et sandwich au concombre. C’est aussi une circonscription conservatrice qui vote en rang serré pour Cameron, grand partisan de l’exploitation du gaz de schiste. Seulement, ses électeurs de Balcombe, qui sont sûrement pour le gaz de schiste, veulent bien avoir encore de l’énergie fossile pour soixante ans (après ils seront morts, ils s’en foutent) mais ils ne veulent pas qu’on détruise leur charmante Arcadie britannique. Ils soutiennent donc les bobos de Balcombe, dans un accès typique de nymbisme. Mais soyons honnêtes, ces mêmes bobos de Balcombe sont sûrement utilisateurs des Eurostar qui les emmènent pour des week-ends so romantic à Paris en deux heures. Il suffirait qu’une modification du tracé de la ligne, un embranchement quelconque, une nouvelle gare soit construite à proximité de chez eux et on les verrait aussi hurler à la mort.
À droite, on aime beaucoup les prisons, sauf quand on fait des erreurs administratives telles qu’on se retrouve dix ans après avec des prisonniers détenus illégalement qu’il va falloir libérer. Mais allez construire une nouvelle prison, un nouveau centre éducatif fermé à proximité d’un village où les matamores de la sécurité ont une résidence secondaire et vous verrez leur réaction. Ils en deviendraient presque taubiristes, c’est dire…
Au fond, le syndrome nimby nous renvoie, assez cruellement, à notre triste humanité. Je reste partisan du nucléaire mais qu’on m’annonce la construction d’une centrale pas loin de chez moi, et je vais avoir des sueurs froides, ou celle d’un incinérateur d’ordures et vous me verrez manifester alors que pourtant, comme tout le monde, je sais que c’est nécessaire si on veut éviter les décharges à ciel ouverts, façon Los Olvidados de Bunuel.
En fait, le rêve secret ou inconscient de toute personne atteint de nimbysme, c’est qu’on trouve du gaz de schiste en Seine-Saint-Denis, qu’on construise les prisons dans les quartiers nord de Marseille (il y aura moins de chemin à faire pour les usagers) et qu’on trouve un moyen que les déchets radioactifs soient stockés aux Minguettes. Après tout, les pauvres, c’est fait pour ça et ça ne nous empêchera pas de les plaindre par ailleurs.
On en est tous là. En France, les premiers comportements nimbystes, dans les années 60, firent comme victimes les banlieues rouges de Paris. Alors que le patronat ramenait en masse des travailleurs immigrés, notamment pour le bâtiment et l’automobile, il n’allait pas quand même faire vivre ces gens-là dans le triangle NAP. Non, mais sérieusement, vous imaginez Mouloud après huit heures de travail à la chaîne sur l’Ile Seguin se présenter à un rallye ? Alors on a stocké les immigrés dans les banlieues communistes. Et on en voit les brillants résultats aujourd’hui.

*Photo : Scott Beale.

Le lobby gay n’existe pas

christophe girard mariage

Christophe Girard est maire du IVe arrondissement de Paris et conseiller régional d’Ile-de-France.

Causeur. Permettez-nous d’abord, Monsieur le Maire, de vous présenter tous nos vœux puisque votre mariage a été célébré il y a peu dans cette mairie. Il s’agit certes d’une affaire privée, mais pas seulement puisque le droit, pour vous, d’épouser votre compagnon est l’aboutissement d’un combat politique. Comment expliquez-vous l’ampleur et la durée de la protestation ?
Christophe Girard. La première raison, c’est que le débat a trop duré. Dans les treize autres démocraties qui ont instauré le mariage et l’adoption pour tous, cela s’est passé beaucoup plus vite et avec moins de résistance. Résultat, en France, on a assisté à la formation d’un front de la peur, aussi large qu’hétérogène. Les Manifs pour tous ont coalisé ceux qui n’ont pas digéré la défaite de Nicolas Sarkozy, l’Église catholique − qui s’est montrée assez organisée −, la sympathique et intelligente Frigide Barjot qui a su en faire un sujet médiatique, Christine Boutin − une femme politique assez adroite, sans jeu de mots − et quelques autres conservateurs comme Philippe de Villiers. L’extrême droite en a aussi profité pour remobiliser ses troupes.

En somme, il n’y aurait là qu’une expression classique de la droite, voire de l’extrême droite ?
Tout dépend de quelle droite et de quelle extrême droite on parle. Marine Le Pen a eu une stratégie habile, peut-être parce que le FN compte beaucoup de jeunes et d’homos.

Ah bon, à entendre certains militants, on pensait qu’être homo, c’était forcément être de gauche…
GayLib n’est pas de gauche ! Il y a des homosexuels dans tous les partis politiques. Quant à l’UMP, elle s’est embarquée dans cette affaire pour remédier à la crise profonde dont elle souffre. Une certaine droite modérée et républicaine, qui se retrouve dans les valeurs portées par Fillon, n’expose pas sa richesse et ne se remarie pas avec des mannequins ou des chanteuses. Cette droite-là, qui a en partie voté pour François Hollande par rejet de Nicolas Sarkozy, n’était pas hostile à la loi Taubira.[access capability= »lire_inedits »]

Cette mobilisation a-t-elle fait apparaître un péril réac ?
Cette France réactionnaire existe, mais elle ne me fait pas peur, car il s’agit d’une minorité « gonflée » par la sur-médiatisation.

Pensez-vous que ce mouvement a un avenir électoral ?  
Non. Je crains que le droit de vote des étrangers non communautaires et l’Europe soient des sujets plus mobilisateurs électoralement.

Quoi qu’il en soit, vous ne pouvez pas réduire la protestation à sa frange active, catholique et de droite. La loi Taubira heurte les sentiments d’une grande partie de la population…
Non, il s’agit d’une minorité, qui n’est pas plus importante que celle qui s’opposait au PACS. Si je m’en tiens aux chiffres de l’archevêché de Paris, il y avait plus de monde pour accueillir Jean Paul II et Benoît XVI à Paris que pour défiler contre la loi Taubira.

Frigide Barjot n’est pas pape… Reste que, si deux Français sur trois approuvent le « mariage pour tous », ou du moins s’y résignent, l’opinion est nettement plus partagée sur l’adoption plénière et ses conséquences anthropologiques…
Croyez-vous vraiment que cette opposition soit spontanée ? Tout au long de ces sept interminables mois, on a eu droit aux pires caricatures, souvent fondées sur l’instrumentalisation des enfants. Il y a eu des images terribles, comme cette petite fille brandissant une pancarte proclamant « Future mère en colère » ! Ces outrances ont réussi à faire peur aux Français.

Sans doute, comme leur ont fait peur les pancartes suggérant gracieusement « Kill Frigide Barjot »… Et je ne vous parle pas des propos de Pierre Bergé, qui s’est montré aussi fanatique que certains opposants…
Pour avoir travaillé vingt ans auprès de lui, je connais bien Pierre Bergé. Et quand je me rappelle certains de ses commentaires sur l’homoparentalité et la Marche des fiertés, je me réjouis qu’il ait évolué.

Quoi qu’il en soit, vous ne pouvez pas réduire la Manif pour tous à ses éléments les plus extrémistes. Pas vous, pas ça…
Bien sûr, j’ai aussi parlé avec beaucoup de gens sincères, qui n’étaient pas dans la caricature et la haine. Mais que vous le vouliez ou non, j’ai pourtant vu dans les manifestations des gens qui ont un vrai problème avec l’homosexualité. À mes yeux, l’homophobie ressemble à l’antisémitisme. Les antisémites qui s’ignorent pensent que ce n’est pas très grave de faire des petites blagues sur les commerçants juifs. On retrouve les mêmes peurs et les mêmes fantasmes au sujet des homosexuels. C’est de l’ignorance. La preuve, c’est que même dans des familles très conservatrices, tout change quand il y a un fils ou une fille homosexuel. Il suffit de connaître personnellement des homos pour les comprendre. L’homosexualité est tout de même d’une grande banalité !

Pas pour tout le monde ! Beaucoup de gens de gauche avouent être un peu gênés de voir deux hommes ou deux femmes (mais surtout deux hommes) s’embrasser. Ce conservatisme bon enfant fait-il d’eux des homophobes ? Tout le monde ne vit pas dans le Marais…
C’est bien de ne pas juger et de réfléchir à d’autres manières de s’aimer.

De même, on peut penser que le mariage engage un homme et une femme, sans éprouver la moindre hostilité à l’égard des homosexuels !
Effectivement, pour beaucoup de gens, la famille, c’est un homme et une femme qui se marient, à la mairie mais surtout à l’église. Ils craignent que le « mariage pour tous » porte atteinte au sacrement religieux. C’est un énorme malentendu ! Enfin pour l’instant : pour être honnête, je pense que la prochaine demande des couples homosexuels croyants et pratiquants sera que leur union soit célébrée devant Dieu.

Voilà qui promet ! En attendant, beaucoup de gens simples ont eu le sentiment d’être méprisés, traités comme des résidus de l’Histoire par des militants qui se considèrent comme la pointe avancée de la modernité, l’incarnation du Progrès en marche…
Dans cette mairie, cela ne s’est pas passé comme ça. J’ai organisé de nombreux débats publics, et tous se sont déroulés dans le respect mutuel. J’ai convaincu les militants d’Act Up qu’il était légitime que Christine Boutin puisse s’exprimer. À l’arrivée, les prêtres de l’arrondissement, même les plus hostiles à la loi, m’ont confié qu’ils s’étaient sentis considérés, respectés. Et je continue à prôner le dialogue.

Quand un jeune manifestant prend deux mois fermes pour refus de test ADN alors que les casseurs du Trocadéro sont libres, on ne peut pas dire que cela témoigne d’un grand respect de la divergence…
Je commenterai d’autant moins cette décision de justice que je n’étais pas présent sur les lieux. Mais je suis d’accord avec vous : même s’il y a eu violence – et je crois qu’il y en a eu – deux mois de prison, c’est impressionnant. J’ai proposé de rendre visite au jeune Nicolas Bernard-Buss à Fleury-Mérogis. Il se trouve qu’il est d’Angers, comme moi, et que je connais bien ce type de famille. Cela dit, il a écrit des choses assez violentes sur son blog. Étant étudiant en droit, il devait savoir ce qu’il faisait. J’ai récemment fait savoir que je souhaitais que sa demande de libération soit entendue. C’est à la justice de décider.

En tout cas, la cathosphère hurle au délit d’opinion… non sans quelques raisons !
Peut-être, au point que je me demande si le juge n’avait pas la volonté d’en faire un petit martyr… Tout est possible !

Par ailleurs, beaucoup de gens ont eu le sentiment que le gouvernement agissait sous la pression du lobby gay, qui est loin de représenter l’ensemble des homosexuels.
Le lobby gay est un fantasme. Soyons prudents avec les mots. En revanche, il y a des associations. Mais il est faux de dire que le gouvernement a travaillé sous leur influence. Ce qui a été déterminant, c’est l’évolution de la société elle-même. Aujourd’hui, nos concitoyens font ce qu’ils veulent de leur vie privée. C’est heureusement ainsi et on ne reviendra pas en arrière.

Acceptation ne signifie pas nécessairement institutionnalisation. La République doit-elle vraiment satisfaire tous les désirs des individus ?
La République ne satisfait les désirs de personne mais elle doit protéger tout le monde, y compris un homme qui veut devenir une femme et une femme qui veut devenir un homme ! Dix pays dans le monde considèrent qu’il existe un troisième sexe : Israël, l’Iran, le Portugal, etc. On doit essayer d’améliorer le fonctionnement de la société pour que plus personne ne soit laissé sur le bas-côté. Voilà ma vision du monde.

Ne faudrait-il pas, alors, que l’État paye une chirurgie esthétique à une femme qui considère que son être véritable devrait avoir de gros seins ?
De grâce, ne confondons pas chirurgie esthétique et identité civile.

Ne faut-il pas admettre, dans certains cas, que le mode de vie qu’on a choisi est minoritaire, voire marginal – ce qui, bien sûr, ne signifie nullement « inférieur » ? Une société peut-elle vivre sans normes ?
On ne choisit pas son identité et sa nature ; je préfère que l’on assume sa vérité et sa réalité, on n’en sera qu’un meilleur citoyen, un honnête citoyen.

Nous insistons : est-il politiquement opportun de lancer un débat sur la transsexualité ? La lutte contre la « transphobie » est-elle une priorité de l’École ? Vous pouvez imaginer la réaction des gens simples que vous évoquiez quand on fait lire à leurs enfants : « Papa porte une robe » !
Vous savez, il n’y a pas si longtemps, certains n’acceptaient pas que les femmes aient le droit de vote ou qu’elles avortent. Il faut apprendre à dépasser ce que l’on a appris sur le fonctionnement de la famille et de la société, même s’il est plus confortable de s’accrocher à des certitudes. Personnellement, j’ai pas mal évolué sur ces questions. Et à en juger par le courrier que j’ai reçu, beaucoup de gens ont fait de même. Être un citoyen simple, c’est aussi avoir du bon sens, de l’intelligence individuelle et un sens critique développé.

On dirait pourtant qu’il n’est pas si simple de faire vivre ensemble ces deux France…
Vous vous trompez : la vie s’en chargera. Certains membres de ma propre famille sont plutôt conservateurs. Ils n’en ont pas moins été heureux d’assister à mon mariage car, pour eux, la vérité de mon engagement avait plus d’importance que certaines réticences morales. À Tel Aviv, je trouve extraordinaire de voir se côtoyer la plage gay et la plage orthodoxe. On doit être capable de vivre dans le même monde, de se parler, de se rencontrer et parfois de se disputer sans que quiconque ne renonce à ses convictions, à son style de vie et donc à sa liberté.

Ce n’est pas la conception française du vivre-ensemble…
Au cas où cela vous aurait échappé, cette conception, qui pêche par une certaine rigidité, a déjà été très ébranlée.

En tout cas, la gauche a peut-être commis des erreurs stratégiques dans la gestion de ce dossier, car à l’arrivée, elle a braqué pas mal de monde. Mais peut-être était-ce délibéré…
Je ne crois pas. Mais je constate qu’il y a aujourd’hui une certaine pudeur à gauche et la volonté de ne pas en rajouter.

Certains maires refusent de marier des couples homosexuels, ce qui est tout aussi répréhensible que la célébration d’une union homosexuelle avant le vote de la loi. Au lieu de monter ces quelques cas en épingle, n’aurait-il pas été préférable, dans un souci d’apaisement, de chercher des solutions pratiques pour que la loi soit respectée sans contraindre ces élus à agir contre leurs convictions ?
Désolé pour eux, mais il est hors de question de dire qu’un élu fait ce qu’il veut. Un maire est chargé d’appliquer la loi, il ne peut pas être un hors-la-loi. Ou alors on instaure une République à géométrie variable, ce qui serait gravissime. Sur ce sujet, l’État doit être intraitable.[/access]

*Photo : DR.

Arrête ton char, Poutine !

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À l’occasion des championnats du monde d’athlétisme qui se tiennent actuellement à Moscou, les amateurs auront pu se régaler avec les épreuves combinées, surtout s’ils sont abonnés à Eurosport, auquel cas ils peuvent échapper à l’inénarrable Patrick Montel de France Télévisions, ses gags, ses considérations géopolitiques et ses agressions délibérées contre la syntaxe et le bon sens.
Mais laissons le service public à sa misère et revenons à nos épreuves combinées qu’on aurait pu croire closes hier soir après les deux jours de décathlon puis d’heptathlon. Eh bien non ! Figurez-vous qu’en marge de la compétition officielle, le facétieux ministre de la Défense russe Sergueï Choïgou a organisé, nous disent la radio « La Voix de la Russie »  et  l’agence RIA-Novosti, une sorte de festival off, 100% inédit. Selon Ivan Bouvaltsev, chef du Département de la formation au combat des Forces armées russes : « Des compétitions internationales de biathlon pour chars d’assaut auront lieu le 17 août sur le polygone militaire d’Alabino, dans la région de Moscou. »
Les règles de cette nouvelle discipline (ou plutôt de cette discipline « en devenir » comme on dit sur France 2) sont furieusement inspirées de celles du biathlon tradi, qui combine ski de fond et tir à la carabine. Mais les organisateurs ont procédé à de menues modifications du règlement originel : les chars engagés, explique le général Bouvaltsev « devront parcourir une piste de 20 kilomètres et participer à trois séances de tir – en utilisant un missile, une mitrailleuse antiaérienne et trois obus d’artillerie. Les cibles seront installées à une distance de 0,9 km à 2,2 km. Chaque cible manquée ajoute 500 mètres supplémentaires à parcourir. »
Outre les équipages du pays hôte, ces championnats verront s’affronter des tankistes de trois autres républiques post-soviétiques et néanmoins amies : l’Arménie, la Biélorussie, et le Kazakhstan. Mais ce n’est qu’un début et le ministre Sergueï Choïgou a annoncé que l’Italie et l’Allemagne devraient participer à la prochaine édition et que les Etats-Unis ont également été invités.
On notera avec surprise que pour l’instant, aucune organisation de défense des droits de l’homme n’a appelé au boycott de la compétition.

Délinquance : Valls montre ses muscles

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manuel valls taubira

Nous ne sommes plus au mois de juillet, propice à la manipulation des dérailleurs sur la route du Tour de France, mais en août et Manuel Valls vient de changer de braquet. De loin la personnalité la plus populaire du gouvernement, il sait que son poids politique ne peut être négligé par François Hollande. Il faut bien que Jean-Marc Ayrault s’y fasse. Montebourg pèse plus lourd que Valls du fait de son score à la primaire socialiste qui en a fait l’allié politique indispensable à la chute de Martine Aubry. De la même façon, les cotes de popularité stratosphériques de Valls en font l’un des derniers atouts du Président de la République.
Cela a commencé par cet avis du Haut Conseil à l’Intégration en faveur de l’extension à l’université de la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux ostensibles dans les écoles et lycées. Valls a jugé la proposition du HCI digne d’intérêt, s’opposant en cela à la ministre de l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, laquelle exclut tout débat sur le sujet. Que l’on trouve cette idée bienvenue ou non, ou qu’on soit partagé comme l’auteur de ces lignes, on ne peut que constater qu’une large majorité de Français est en accord avec cette proposition. Comme pour démontrer le poids du ministre de l’Intérieur, le pauvre Ayrault, plutôt sur la ligne Fioraso, n’a pas pu faire autrement que calmer le jeu, très embarrassé par la sortie de Valls.
Mais c’est surtout avec Christiane Taubira que Valls a décidé d’adopter une stratégie offensive. Alors qu’il expliquait depuis un an que la guerre Beauvau/Vendôme  n’aurait pas lieu tant qu’il serait assis dans le fauteuil de Clemenceau, Manuel Valls a expédié un courrier au président de la République, savamment distillée dans la presse[1. Le ministre de l’Intérieur dit officiellement regretter cette « fuite ». Il n’en reste pas loin que l’adage en vogue dans ce ministère, « à qui le crime profite », laisse peu de doutes sur son origine.], où il fait part de « désaccords mis en lumière par le travail interministériel (…) autour du projet de réforme pénale présenté par le ministère de la justice ». Impitoyable, le ministre précise : « Tant pour des raisons de méthode que de fond, l’écart entre nos analyses demeure trop important et appelle une clarification de nos orientations politiques.» Christiane Taubira a dit avoir découvert cette missive dans la presse et regrette que son collègue ne lui en ait pas touché un traître mot lors de leurs dernières conversations. Il faut bien qu’elle s’y fasse, la Garde des sceaux. Non seulement, le ministre de l’Intérieur, contrairement à elle, est un lecteur plus assidu des études de l’IFOP ou d’IPSOS que de la prose du Syndicat de la Magistrature, mais lui travaille vraiment à son compte[2. Allusion à un entretien de Christine Taubira accordé au New-York Times, dans lequel elle affirme « ne pas avoir de Chef (…) à part sa conscience ». Il va de soi que Taubira a un chef, le Président qui peut s’en débarrasser comme la première Delphine Batho, parce qu’elle ne pèse rien politiquement.]. Il a l’Elysée en ligne de mire à l’horizon 2022 voire 2017, quitte à sacrifier l’entente avec sa collègue sur l’autel de sa popularité.
Et Valls n’est pas un bleu en politique. Conseiller de Jospin à Matignon entre 1997 et 2002, il a la mémoire longue et se souvient des erreurs du passé. En donnant raison à la ministre de la Justice Elisabeth Guigou contre Jean-Pierre Chevènement sur les questions de répression, le premier ministre Lionel avait semé les premières graines de sa déculottée à l’élection présidentielle de 2002. Soutenu par l’opinion et échaudé par ce fâcheux précédent, Valls tente de rejouer le match en revêtant les habits du vieux lion de Belfort. Le premier flic de France n’oublie pas que du discours fondateur de François Hollande au Bourget, il ne reste plus grand-chose. La fameuse diatribe « Mon ennemi, c’est la finance » fâche ou déclenche l’hilarité, selon le caractère de chacun. La renégociation du traité Merkozy, n’en parlons même pas. Reste le fameux : « la République vous rattrapera », adressé aux délinquants. Par cette lettre, Valls enjoint donc le Président de lui donner raison, de faire de lui un Chevènement vainqueur de Guigou, avec la menace larvée de devenir un Sarkozy 2002-2007 si le chef de l’Etat ne lui donnait pas raison. Mettons-nous à la place de François Hollande. Tant la raison que l’état de l’opinion devraient le conduire à jouer Valls contre Taubira. Mais cette dernière a un atout dans sa manche. Plus que l’idéologie du SM et de Canal+ réunis, ce sont les marges de manœuvre budgétaire qui empêchent de construire les nouvelles places de prison nécessaires, mais aussi d’engager les greffiers et les juges d’application des peines qui manquent. Reste la tentation, très grande pour l’ancien maître des synthèses solfériniennes, de faire entendre du Valls bruyant et d’appliquer du Taubira mezza voce.
Ce serait une resucée de la politique sécuritaire de son prédécesseur, à l’époque pas si lointaine où Sarkozy roulait des mécaniques, pendant que Rachida Dati incitait – par la loi de 2009 – les juges à ne pas appliquer les peines de prison dont la durée n’excédait pas deux ans. Valls jouera-t-il ce jeu de dupes ?  Il n’y a pas intérêt tant les Français finissent de plus en plus par se lasser des discours non suivis d’effets. Pour être cohérent jusqu’au bout, s’il n’obtient pas les moyens de sa politique, le ministre de l’Intérieur devra sans doute démissionner le moment venu, histoire d’appliquer le précepte d’un certain… Chevènement.

*Photo : PS.

Manif pour Tous : Ils sont entrés dans la carrière

manif pour tous bourgeois

Ils étaient fils d’avocats, de médecins et de banquiers. Ils avaient fréquenté les classes préparatoires les plus cotées et suivaient des cours de finance internationale, de marketing et de management des organisations dans de prétentieuses écoles de commerce dont on leur rabâchait qu’elles étaient leur passeport pour l’avenir. Leurs prénoms se déclinaient comme une litanie des saints : Augustin, Charles, François, Sixtine, Constance, Isabelle et Édouard. Ils avaient pour uniformes des pantalons rouges ou verts et des chemises à rayures roses ou bleues, d’indémodables mocassins Todd et de grandes mèches qu’ils balançaient à la manière d’une vache qui chasse les mouches avec sa queue. Ils ne juraient que par l’Europe, l’économie libérale, Sarkozy et, pourquoi pas, Hollande, pourvu qu’il respectât les critères de Maastricht. Ils exprimaient leur conservatisme dans des propriétés de famille, des chasses dominicales ou, pour les grandes occasions, dans des messes post-conciliaires. Ils étaient des enfants de bourgeois, ils sont devenus l’armée de réserve de la Manif pour tous. Ils ne seront plus jamais les bourgeois de demain.
Jusqu’à maintenant, jamais ces privilégiés n’avaient battu le pavé. Vautrés dans leur confort, anesthésiés par une suffisance héréditaire, rien ne les disposait à aller contester une loi qui ne leur « enlevait pas de droits », quand bien même elle amputait les futures générations d’une filiation claire.[access capability= »lire_inedits »] La rue, c’était pour les prolétaires, pour ceux qui défendaient des intérêts particuliers, « pas notre culture », fanfaronnaient-ils. Toutefois, il existait chez ces jeunes une vague conscience du délitement qui progressait au point de les affecter : raréfaction du travail, baisse des salaires, précarisation, déclassement, etc. Une situation que le sociologue Louis Chauvel[1. Les Classes moyennes à la dérive, Louis Chauvel, Le Seuil/République des idées.] a analysé pour cette classe sociale intermédiaire comme « un retournement […] un risque de déchéance dans une classe d’incertitude sans avenir ni retour […] l’extinction d’un projet social hier triomphant ». Au crépuscule de leur confort − moment idéal de remise en question −, par sens de la tradition, pour conjurer l’ennui, par antisocialisme primaire, ils ont commencé à défiler aux manifestations contre le mariage homosexuel comme on rejoindrait une marche blanche. Les slogans ont fusé, les discours ont martelé, les CRS ont tapé, et quelque chose s’est passé.
Éjectés de leur déterminisme social par la force de la conjoncture économique, ces enfants de bourgeois ont profité de la circonstance pour s’ouvrir aux questions anthropologiques, donnant ainsi raison à Antoine Spire lorsqu’il affirmait que l’anthropologie se situe au lieu des crises, au carrefour des doutes[2. Le Monde de l’éducation, juillet-août 2001.]. Face à cette rupture soudaine d’héritage social, ils ont tenté de comprendre l’idéal d’une génération prométhéenne qui avait rendu la leur orpheline. Dans les critiques de l’opposition au mariage homosexuel, ils ont retrouvé ce qu’ils reprochaient à la société héritée de leurs parents : l’émancipation égalitaire, l’autonomie de la volonté individuelle hédoniste comme source du modèle de civilisation, la jouissance immédiate au détriment des conséquences du futur, etc. Et ils ont compris que ce libertarisme dont ils  récusaient les effets était indissociable du libéralisme qu’ils glorifiaient pourtant. Au regard de l’aliénation et de la falsification du réel, vont-ils  définitivement renoncer à ce capitalisme ludique ? Certains y croient encore. D’autres les relayeront. La bourgeoisie est une hydre en constante régénération et une relève attend sous serre. Ses nouveaux hérauts, on les trouvait parmi les nombreux invités de marque présents à la soirée people organisée par Jean-Michel Ribes pour soutenir le projet de loi du mariage homosexuel, le 28 janvier. Footballeurs, stars cathodiques, patrons d’entreprises et journalistes en vogue – un panel de l’égalité dans sa diversité en somme − s’y pressaient, coupe de champagne dans une main et petit four dans l’autre, pour dénoncer l’homophobie, manière pour le moins habile d’esquiver le débat sur la lutte des classes et d’occuper le terrain avec la lutte des sexes.
Décidément, Pasolini avait raison, les bourgeois ne sont pas ceux que l’on croit.[/access]

*Photo : Mon_Tours.

Paris-Match : de la politique entre les orteils

L’hebdomadaire Paris-Match avait jadis pour slogan : « Le poids des mots, le choc des photos ». C’était réjouissant car cela ouvrait la porte à toutes les railleries imaginables autour de la prose pachydermique de certains articles et de l’aspect parfois racoleur des images publiées. Le nouveau slogan, lui, fait songer par sa niaise fadeur au titre d’un mauvais film de Claude Lelouch : « La vie est une histoire vraie ». On trouve de tout dans Paris-Match : des actrices sur le retour, des acteurs sur le départ, des faits divers abominables, de la romance à quatre sous, de l’actu showbiz à deux balles, une pincée d’art de vivre, une grosse dose de pub et de la politique. Même beaucoup de politique. Paris-Match a d’ailleurs été un des premiers magazines français à traiter la politique comme une actualité people à part entière. On a vu défiler Ségolène Royal à la maternité avec son bébé, Ségolène Royal sur un quai de gare avec son « compagnon », Nicolas Sarkozy dans à peu près toutes les postures possibles (« À pied à cheval en voiture et en bateau à voiles » comme chantait Prévert), et tant d’autres…
Cette semaine, c’est un feu d’artifice. Au cœur de l’été, alors que les lecteurs se prélassent sur les plages océanes ou urbaines, ou bien pantouflent en congés payés, le magazine en papier glaçant propose non pas un, non pas deux, non pas trois, mais pas moins de quatre sujets politiques. Tout d’abord l’indispensable Anne Hidalgo, candidate socialiste à la mairie de Paris dont la dernière pitrerie en date est l’idée de créer un adjoint au maire en charge de la nuit, nous raconte son arrivée en France dans les années 60 puis sa naturalisation, photos noir et blanc à l’appui. La belle de Cadix omet de parler de son projet de rendre les voies sur berges aux « usagers » de la nuit. Dommage.
En page 22, Stéphane Le Foll – ministre de l’agriculture (le ministre le moins cité après Sylvia Pinel) – nous reçoit en sandales, son « golden retriever » au pied. Il se prétend dans les « starting-blocks ». En sandales. Passons.
Sous le titre « Le feu et la glace », Paris Match propose aussi un portrait de Marine Le Pen et de son compagnon de route Louis Aliot. Ils regardent dans la même direction depuis 2009. «  Fatiguée depuis qu’elle s’est fracturée le sacrum, lors du week-end de l’Ascension, en tombant dans une piscine vide, Marine Le Pen compte bien se reposer au mois d’août ». On imagine qu’elle va s’assoir…
À la Une du magazine, la « sirène » italienne Carla exhibe son sourire absolu. « Depuis juillet, les vacances avaient pourtant mal commencé avec le refus du Conseil constitutionnel de valider ses comptes de campagne. Il avait alors rompu avec ses vœux de discrétion, appelant ses sympathisants à l’aide. L’affluence des dons a transformé l’épreuve en démonstration de soutien. L’amour de Carla et les sourire d’une petite fille font le reste ». Et la France est fébrile… « L’ex première dame n’a pas pu résister à l’envie d’emmener son mari écouter Julien Clerc. (…) Lorsque Carla et son Raymond comme elle l’appelle dans une de ses chansons, sont arrivés au théâtre de verdure les applaudissements ont fusé ». Et puis soudain Paris Match s’emballe, et ose l’humour… « Depuis le temps, les apparitions de Nicolas Sarkozy sont, avec le Corso fleuri et la grande roue, l’attraction numéro un du Lavandou. »
Plus loin on voit l’ex-locataire de l’Élysée en train de se promener avec un exemplaire de L’Équipe. « Nicolas Sarkozy se promène en lisant L’Équipe, commande des pizzas et déguste ses beignets de courgette chez Ginette, soutien indéfectible »…
Nicolas Sarkozy c’est bien, mais Manuel Valls c’est mieux. On apprend – après une photo de bisou anthologique – qu’Anne Gravoin « refuse d’habiter Place Beauvau ». La concubine ajoute à l’oreille de son amant : « Tu me vois travailler mon violon sous les lambris ? » Le ministre de l’Intérieur est venu écouter sa femme en concert à Menton. L’hymne à l’amour des Beatles – All you need is love – l’aurait inspiré. On attend de voir.
Tout cela fleure bon 2017, et les élections présidentielles du même métal. Les newsmag sont en pilote automatique. Attention au crash.

Le discours anti-bourgeois est devenu tendance à l’UMP

ump cope peltier

Immigrés, musulmans, Roms, gens du voyage… nombreuses sont les victimes des stigmates infligés par l’UMP, si l’on en croit les adversaires politiques et médiatiques du principal parti de droite français. Il est pourtant un discours stigmatisant, se développant au sein de l’UMP depuis les dernières élections présidentielles, qui ne suscite guère de remous médiatico-politiques : le discours visant à disqualifier – pêle-mêle – les riches, les habitants des quartiers huppés et les diplômés de grandes écoles.
D’une manière générale, en France, les CSP+ en France ont l’habitude d’être malmenées par le discours d’hommes politiques de gauche, d’extrême gauche et d’extrême droite. À gauche, si le PS a pu être accusé de délaisser les catégories populaires au profit des classes moyennes, son candidat à la dernière élection présidentielle s’est tout de même permis l’audace d’affirmer sans ambiguïté lors d’un débat télévisé : « Je n’aime pas les riches ! ». À l’extrême gauche, classiquement, le « bourgeois » est mauvais du fait de son appartenance à sa « classe sociale », quelles que soient ses opinions politiques. À l’extrême droite enfin, dans le discours du Front national, ce sont plutôt les membres de « l’élite » – hauts fonctionnaires et « grands patrons » – ou les « bobos » qui sont conspués. Les premiers étant accusés de confisquer les richesses nationales dans l’intérêt de leur caste apatride, les seconds de cracher sur le peuple depuis leurs insolentes tours d’ivoire.
Le Français aisé ou très aisé – du moins celui qui est perçu comme tel – avait jusqu’à récemment, sous l’averse boueuse des offenses et accusations venues de la gauche ou de l’extrême droite, l’opportunité de s’abriter sous la tolérance du discours UMP à son égard. C’était avant la campagne présidentielle de 2012.
Nicolas Sarkozy, président de la République, candidat naturel de l’UMP aux élections présidentielles de 2012, se met à vilipender, à la veille de celles-ci, « la gauche caviar, la gauche morale qui habite boulevard Saint-Germain, qui met ses enfants dans des écoles privées », puis « la gauche bobo ». La figure du riche de gauche est brandie comme un épouvantail méprisable et grotesque, provoquant rires et sifflements dans les meetings. Non pas l’homme de gauche, mais bien le nanti de gauche, le bobo, coupable de combiner vote à gauche et style de vie confortable. Le pauvre de gauche, lui, n’est (fort heureusement !) jamais invoqué comme exutoire de la colère et de la moquerie, étant en quelque sorte encore sain de par son indigence, malgré son affiliation au camp idéologique adverse. Le niveau de vie des citoyens, selon le discours anti-bobo développé par l’ex-président de la République, devient tout bonnement un critère d’exclusion du peuple : « Je ne parle pas pour les bobos du boulevard Saint-Germain »croyait utile de préciser le candidat à la présidence de la République, pourtant censé s’adresser à tous les citoyens français, sans exception.
Parallèlement, les électeurs du FN se voient considérés par le Nicolas Sarkozy de l’entre-deux-tours comme des Français « qui souffrent », auxquels il ne faut pas donner « de leçon de morale » et dont la « colère » est « respectable », du fait de leur supposée appartenance aux catégories sociales défavorisées. Les « bobos de Saint-Germain-des-Prés », eux, ne méritent que l’opprobre, puisque vivant dans une arrogante bulle hors de la vraie France sur laquelle s’abat tous les malheurs. Pour résumer : le pauvre qui ne vote pas UMP n’est qu’une brebis égarée, tandis que le riche qui vote mal mérite le sort d’une brebis galeuse.
L’émergence de ce discours anti-classes aisées s’inscrit, durant la campagne présidentielle de 2012, dans la stratégie du président-candidat Sarkozy de couper l’herbe sous le pied du FN. Afin de puiser dans le vivier électoral frontiste, en constante expansion depuis l’avènement de Marine Le Pen, il ne convenait pas seulement pour Nicolas Sarkozy d’adopter un discours plus dur sur l’immigration et la sécurité, mais également de concurrencer le FN sur le terrain du populisme anti-riches, anti-élites, anti-système – ne serait-ce que d’un point de vue rhétorique, dans l’espoir d’appâter les électeurs des catégories sociales séduites par la vague bleu marine.
Le discours sarkozyste anti-bourgeois a survécu à l’élection de François Hollande. Les deux mousquetaires de la Droite Forte, Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, le déclament pieusement sur les plateaux télé auxquels ils sont conviés.
La Droite Forte, c’est cette fameuse motion de l’UMP, créée par un transfuge du MPF et un jeune surdiplômé, qui s’est vue promue par les militants UMPistes premier mouvement au sein du parti. Sa ligne idéologique se veut « sarkozyste », ce qui signifie – si l’on se base sur les propos de MM. Peltier et Didier – conservatrice sur les questions sociétales, plutôt eurosceptique, franchement patriote et … vigoureusement « anti-bobo ».
MM. Peltier et Didier, nouvelles égéries de la ligne « dure » de l’UMP, sont des pourfendeurs hors pair de ces Français osant habiter du bon côté du périphérique. Chez Ruquier, Geoffroy Didier brocarde le journaliste Aymeric Caron qui, vivant « forcément plus près de Saint-Germain-des-Prés que des cités sensibles du Val d’Oise », ne comprendrait rien au « problème d’intégration » rongeant la France authentique.
Chez Zemmour et Naulleau, Guillaume Peltier accuse le journaliste Renaud Dély, coupable de relever la proximité croissante des discours FN et UMP, d’être « le porte-parole du microcosme parisien qui confond le peuple avec le Front national »
Neuilly, dont fut maire l’idole et mentor de Guillaume Peltier, a sans doute, il est vrai, une population plus au fait des préoccupations du peuple que le microcosme parisien !
Le discours anti-élites des hommes-liges de la Droite Forte ne s’arrête pas à des considérations sur le lieu d’habitat. Dans leur bouche, les diplômes prestigieux sonnent comme des tares : « nous on n’a pas fait l’ENA ! » clame fièrement M. Peltier sur le plateau de C à nous aux côtés de son compère, comme si cela leur conférait quelque légitimité politique que ce soit. Geoffroy Didier, en effet, n’a pas fait l’ENA… mais Sciences Po, l’ESSEC et Columbia !
Drôle de jeu, donc, que celui auquel jouent ces hérauts de la Droite Forte, et avant eux Nicolas Sarkozy. Alors que ce travers était habituellement réservé à la gauche ou à l’extrême droite, des représentants de l’UMP ont pris pour habitude de dénigrer certains citoyens français du fait de leur aisance matérielle, de leur lieu de résidence ou de leur niveau d’étude. Comme si « peuple » était synonyme de « pauvres », de travailleurs précaires ou d’habitants de quartiers « sensibles » – au lieu de désigner tous les Français sans distinctions sociales et économiques.
Si ce discours anti-bourgeois et anti-élite qui vise à draguer l’électorat populaire est grotesque et caricatural, il risque surtout de froisser l’une des bases électorales traditionnelles de l’UMP, quand la crise que le parti traverse devrait lui imposer d’éviter plus que tout la désunion…

*Photos : UMP.

Langues régionales et identité nationale

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breton corse langues regionales

breton corse langues regionales

Trente députés bretons de gauche ont signé une proposition de loi visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Cette ratification faisait partie des engagements de François Hollande lors de la campagne présidentielle. Mais une révision de la constitution est nécessaire. Or, après que le Conseil d’État a rendu un avis négatif sur l’avant-projet de loi constitutionnelle du gouvernement, François Hollande a décidé d’enterrer l’idée de ratifier la charte, comme l’explique le député UMP Marc Le Fur : «À la première escarmouche avec le Conseil d’Etat, le Président de la République rend les armes et abandonne sa promesse alors qu’il existe un grand nombre de lois qui ont été adoptées et promulguées avec un avis contraire du Conseil d’Etat. Ce n’est pas une question juridique, c’est une question de courage politique.» Nicolas, blogueur de gouvernement, se réjouit de ce renoncement, dans un billet ma foi fort intéressant où il explique pourquoi la charte européenne des langues régionales ne doit pas être ratifiée. On entend déjà les persiflages: encore une promesse du candidat Hollande qui ne sera pas tenue ! Pourtant, ce n’est pas la première fois qu’un président de la République bute sur la question des langues régionales. En 2007, la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires était également une promesse de campagne de Nicolas Sarkozy. Le 23 juillet 2008, la Constitution fut d’ailleurs modifiée en ce sens : l’article 75-1 introduisait ainsi les langues régionales dans la Constitution en stipulant qu’elles « appartiennent au patrimoine de la France ». Pour le constitutionnaliste Guy Carcassonne, l’insertion de ce nouvel article ouvrait la voie de la ratification. L’Académie Française sortit alors de sa torpeur sénile et expliqua que la révision constitutionnelle portait atteinte à l’identité nationale. Aussitôt, le ministre de l’identité nationale, Éric Besson, se crut obligé d’enterrer le projet : selon lui, la reconnaissance des langues régionales risquait en effet de mettre en péril les « principes d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi« .
Or, en mars dernier, en estimant que la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires «minerait les fondements de notre pacte social et ferait courir  [à la République] un risque majeur de dislocation», le Conseil d’État reprenait les arguments d’Éric Besson et les imposaient à François Hollande et au gouvernement Ayrault.
En invoquant les principes d’indivisibilité de la République, ceux qui s’opposent à la reconnaissance des langues régionales recyclent la vieille idée selon laquelle les langues régionales représentent un danger pour l’unité de la nation. En effet, depuis l’édit de Villers-Cotterêts en 1536, qui imposa l’emploi de la langue d’oïl dans tous les actes officiels, la langue française, instrument de centralisation, a été le ciment de l’État-nation en France. Cela explique que la Révolution puis la Troisième République aient autant déprécié les langues régionales. Ainsi, Barère, l’un des principaux inspirateurs et acteurs de la Terreur, estime en janvier 1794 que « chez un peuple libre, la langue doit être une et même pour tous« . En juin de la même année, l’Abbé Grégoire présente devant la Convention son « Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir le patois, et d’universaliser l’usage de la langue française » où il explique qu’il faut « consacrer au plus tôt, dans une République une et indivisible, l’usage unique et invariable de la langue de la liberté« . En juillet, le décret du 2 thermidor An II impose le français comme seule langue de l’administration. On estime que les patois, liés à l’Ancien Régime et que l’on appelle parfois idiomes féodaux, freinent la diffusion des idées révolutionnaires: ils doivent disparaître au nom de l’unification de la nation. Il semble loin le temps où, en 1790, l’Assemblée nationale avait commencé par faire traduire les lois et décrets dans toutes les langues régionales ! En fait, elle y avait vite renoncé, faute de moyens. À la fin du XIXe siècle, la Troisième République va accélérer l’uniformisation linguistique de la nation: l’éducation laïque et obligatoire enracine à travers le français les principes républicains. Le livre de Jean-François Chanet « L’école républicaine et les petites patries« [1. Jean-François Chanet, L’école républicaine et les petites patries, Aubier Montaigne, 1996.] démontre cependant que le premier objectif  de Jules Ferry n’était pas de faire disparaître les langues régionales: à travers l’apprentissage de la langue française, il s’agissait de faire de chaque français un républicain convaincu. Opposée à la République, l’Église instrumentalisa l’usage des langues vernaculaires, ce qui précipita leur déclin: en 1902, le gouvernement clairement anticlérical d’Émile Combes prit un décret pour lutter contre « l’usage abusif du breton ». Il s’agissait de punir les curés bretons qui, nombreux, refusaient alors de prêcher dans la langue nationale.

Ainsi, depuis plus de deux siècles, la République a l’habitude de considérer que le français, qu’elle oppose aux langues régionales, est le ciment de la nation. Pourtant, cette idée est en contradiction avec la conception française de la nation telle qu’elle a été définie par Ernest Renan, lors de la fameuse conférence qu’il a prononcée le 11 mars 1882 en Sorbonne. Pour Renan, la nation est « un plébiscite de tous les jours ». Il défend le modèle d’une nation élective, qui repose sur la volonté des peuples de vivre ensemble, et s’oppose ainsi à la conception allemande de la nation, qui s’appuie sur les liens du sang et de la langue maternelle. L’idée de Renan est bien contradictoire avec l’idée républicaine d’une nation unifiée par la langue : comment l’expliquer? Pour cela, il faut nous remettre dans le contexte de cette fin du dix-neuvième siècle : alors que les principaux pays européens sont parvenus à se constituer en États-nations, notamment après les unifications de l’Italie et de  l’Allemagne, la question de l’Alsace-Lorraine alimente depuis 1870 le  débat entre Français et Allemands. Deux conceptions de la nation s’affrontent : celle de Johann Gottfried von Herder et Johann Gottlieb Fichte, verticale, plonge ses racines dans l’ethnie et la culture tandis que celle de Renan, horizontale, correspond au choix libre d’un individu à l’intérieur d’un territoire[2. Guy Hermet, Histoire des nations et du nationalisme en Europe, Éditions du Seuil, 1996.]. Pour Renan, en niant l’importance de la langue, il s’agissait d’abord de contester le rattachement de  l’Alsace à l’Allemagne. Ensuite, son idée d’une nation élective a permis d’évacuer les micro-nationalismes  qui dérangeaient.
Et aujourd’hui ? On peut rassurer le Conseil d’État et lui dire que, depuis plus de deux cents ans, la République est bien assurée sur ses bases : elle ne risque rien en reconnaissant les langues régionales. Ou alors, il faudrait s’interroger sérieusement sur les fondements de cette République toujours prête à vaciller dès qu’on parle de langues régionales ou qu’on aperçoit un skinhead. À l’heure où l’on voit se développer l’ELCO (enseignement des langues et cultures d’origine), qui permet aux écoliers de primaire volontaires de bénéficier de cours gratuits de turc ou d’arabe, organisés et financés par les ambassades de Turquie, du Maroc ou d’Algérie, n’est-il pas ubuesque de considérer que les langues régionales constituent une menace pour l’unité de la République? D’ailleurs, ne nous leurrons pas; là est sans doute le véritable enjeu du débat sur les langues régionales et minoritaires. Pour un certain nombre de gauchistes, les langues régionales renvoient à un âge préhistorique pré-républicain : elles sont utilisées par le Front de Gauche et les écologistes comme un cheval de Troie qui permettra ensuite de demander la reconnaissance des langues de l’immigration, dites « non-territoriales« . Il y a une dizaine d’années, j’avais eu à ce sujet une discussion avec un jeune doctorant en ethnologie qui avait déclaré sur un ton péremptoire qu’il ne trouvait pas utile d’inscrire les langues régionales dans la constitution. Cela m’avait surpris puisque les ethnologues, attachés à la diversité culturelle, sont les premiers à pleurnicher dès lors qu’une langue autochtone disparaît «toutes les deux semaines» dans le monde. J’imaginais donc que sa position était celle d’un Républicain qui défend l’idée d’une nation indivisible. Mais non: il ajouta qu’il trouvait plus utile de reconnaître dans la constitution les langues maternelles des immigrés, telles que l’arabe, le turc ou le wolof, qui sont davantage utilisées en France ! Quelques années plus tard, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir le même ethnologue, interviewé par Le Nouvel Obs à l’occasion du centenaire de Claude Lévi-Strauss : plutôt que de parler du grand anthropologue, il avait tenu un discours assez minable, farci de revendications catégorielles, digne d’un cheminot rongé par l’antisarkozysme. Alors qu’il aurait pu expliquer, par exemple, que Claude Lévi-Strauss, dans Race et culture[3. « Race et Culture » in Revue internationale des sciences sociales, Vol. XXIII (1971), n° 4, UNESCO.], avait défendu l’idée que chaque culture avait le droit de rester sourde aux valeurs des autres, de façon à protéger son identité. Mais non. On peut être ethnologue et incapable de comprendre l’intérêt des langues régionales. Pourtant, les langues régionales font partie de notre patrimoine et donc de notre identité : elles sont l’expression d’une véritable diversité, une diversité au sens braudélien, c’est-à-dire endogène et inscrite tant dans notre géographie que dans notre histoire.

*Photo : Olibac.

Le ciel, le soleil… et plus de mer

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mer aral nourpeissov

mer aral nourpeissov

Pour l’Occidental moyen, partir à la mer n’est qu’un rituel estival parmi d’autres. De Palavas-Les-Flots aux plages thaïlandaises, il peut s’adonner à ses pires turpitudes sans autres limites que la loi locale. Il en va différemment des peuples de pêcheurs. Nous autres modernes savons désormais que les mers sont mortelles. Au cas où nous préférerions oublier, l’écrivain kazakh Abdijamil Nourpeissov nous met les bottes dans la mer d’Aral, ce grand lac dessalé qui comptait autrefois parmi les plus grandes étendues d’eau mondiales.[access capability= »lire_inedits »] Son sublime roman Il y eut un jour et il y eut une nuit, écrit en 2000 mais dont L’Âge d’Homme publie aujourd’hui la traduction inédite, nous plonge dans 500 pages d’écume brûlante au cœur d’un paysage dévasté. En ces années brejnéviennes, les aouls[1. Villages.] de pêcheurs ployaient sous les coups de plans quinquennaux pharaoniques. La quête d’un improbable or blanc a ainsi justifié le tarissement des fleuves Syr-Daria et Amou-Daria, vouant la mer à la culture de champs de coton et les pêcheurs à la migration. « La pauvre mer condamnée ressentait une soif terrible, ressemblait à un malade vivant ses derniers jours », ainsi que la dépeint le lyrique Kazakh. Ajoutez les flots de handicapés mentaux que charrient les expériences militaro-industrielles de Baïkonour et la désolation sera complète.

Un tel décor, servi par la précision naturaliste de Nourpeissov, reléguerait presque au second plan l’intrigue romanesque entre le mari (é)perdu, l’apparatchik sans scrupules et l’épouse délaissée dont les destinées s’évanouissaient dans l’enfer neigeux. Au pays où Allah fait bon ménage avec la vodka, l’auteur nous prodigue une leçon de vie magistrale, dispensée dans un style immaculé : « Vivant au sein d’une nature mutilée et profanée, tout homme deviendra un éclopé ». Nous voilà prévenus…[/access]

Il y eut un jour et il y eut une nuit, Abdijamil Nourpeissov (trad. Athanase Vantchev de Thracy),  L’Âge d’Homme, 2013.

*Photo : MaryjoO.

Ricardo aux mains d’argent

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Ta chevalière en or courait sur le manche de ta guitare.

Brigitte, les yeux mi-clos, souriait de bonheur quand tes doigts suspendus à tes cordes  accéléraient, ralentissaient, dansaient puis communiaient avec l’âme du peuple gitan.

Ce don pour faire crier le flamenco, tu l’avais reçu en héritage de ton oncle dans une caravane de Sète, tout près des terres humides de Camargue.

Aux Saintes-Maries, enfant, tu étais déjà un dieu, tes petites mains d’argent valaient de l’or.

Un jour, avant de partir à New York, pudique et timide, tu avouais à Denise Glaser ta peur de prendre l’avion.

Bientôt, tu rouleras en Rolls, toi qui avais usé tes semelles dans la poussière du Midi, toi qui avais souffert du regard des autres, tu serais l’ambassadeur des gitans, celui qui passait à la télévision dans les années 60, qui tutoyait Dali, qui enchantait François Périer et que Steinbeck qualifiait de grand artiste sauvage.

Chaque année, tu honorais Sara, ta sainte patronne.

Animé par un rythme céleste et un feu intérieur, ton flamenco que les académies dédaignaient parfois, avait une telle force, une telle vivacité qu’il touchait les gens en plein cœur.

Picasso, en dédicaçant ta guitare, t’avait reconnu comme un frère, un égal.

Après ton triomphe au Carnegie Hall où les diplomates du monde entier t’avaient applaudi durant de longues minutes, toi, le gamin aux cheveux noirs, tu en avais tiré aucune fierté.

Tu disais : « je suis gitan et je resterai gitan toute ma vie », le succès n’y changerait rien.

Aujourd’hui, dans ton studio de fortune à la Grande Motte, ruiné, on ne parle plus de toi, on n’écrit plus sur toi, et pourtant, tu as été une lumière, une étoile qui fit du flamenco, un art majeur, une musique de fête qui tord les corps à l’approche de l’été.

Tu t’appelles Ricardo Baliardo, on te connaît sous le nom de Manitas de Plata et cette année, tu fêtes tes 92 ans.

Gaz de schiste : Nimby for ever…

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nimby cameron schiste

nimby cameron schiste

Alors voilà, une étrange maladie, depuis de nombreuses années, touche aussi bien des gens de droite que des gens de gauche. Des partisans de la réindustralisation à tout crin comme des écologistes hédonistes. Des néo-ruraux exténués par la ville comme des festivistes urbains à fort pouvoir d’achat amoureux des pistes cyclables et des performances artistiques citoyennes. Des gens qui ne pourraient pas vivre sans des centrales nucléaires, de la bagnole, des trains à grande vitesse et des décroissants qui recherchent la simplicité volontaire dans le végétarisme et les toilettes sèches.
Non, décidément, cette maladie n’épargne personne et vous verrez ses symptômes toucher aussi  biens les tenants de l’idéologie sécuritaire la plus féroce et ceux qui pensent que dans une société inégalitaire, la répression ne sert à rien sans  une politique de prévention digne de ce nom  (si, si, il y en encore quelques uns dont votre serviteur).
Il n’empêche que moi aussi, sans doute, je suis un porteur sain de cette maladie qui ne demanderait qu’à se réveiller car après tout, pour être communiste je n’en suis pas moins homme : il suffirait de circonstances particulières pour que je laisse parler mon égoïsme, ma peur et mon refus d’effacer mon intérêt particulier devant l’intérêt général, que je laisse la pulsion dépasser ma raison, bref que j’oublie d’éviter d’être de droite (humour, évidemment…).
Cette maladie identifiée depuis quelques années est désignée  par un acronyme anglo-saxon. C’est le syndrome « Nimby » : Not in my backyard. Littéralement, « Pas dans mon jardin ou pas dans ma cour. »
Ce qui nous a fait y songer est un récent article du Monde sur l’opposition des habitants de Balcombe, un village du Sussex, à l’exploitation du gaz de schiste. Le village de Balcombe est présenté par Le Monde comme « cossu ». On visualise tout de suite ce que ça signifie, un village cossu du Sussex, surtout quand les témoignages des opposants sont ceux d’enseignants et de musiciens. On se dit qu’on est dans une ambiance à la Tamara Drewe, le délicieux film de Stephen Frears où la non moins délicieuse Gemma Atterton, dès 2010, annonçait le retour pour les filles du minishort en jean.
À Balcombe, donc, il est hors de question qu’on vienne saloper le beau village avec des machines bruyantes, de la fracture hydraulique et de l’eau polluée qui sort des robinets. Seulement voilà, Balcombe n’est pas seulement un village bobo version crumpets et sandwich au concombre. C’est aussi une circonscription conservatrice qui vote en rang serré pour Cameron, grand partisan de l’exploitation du gaz de schiste. Seulement, ses électeurs de Balcombe, qui sont sûrement pour le gaz de schiste, veulent bien avoir encore de l’énergie fossile pour soixante ans (après ils seront morts, ils s’en foutent) mais ils ne veulent pas qu’on détruise leur charmante Arcadie britannique. Ils soutiennent donc les bobos de Balcombe, dans un accès typique de nymbisme. Mais soyons honnêtes, ces mêmes bobos de Balcombe sont sûrement utilisateurs des Eurostar qui les emmènent pour des week-ends so romantic à Paris en deux heures. Il suffirait qu’une modification du tracé de la ligne, un embranchement quelconque, une nouvelle gare soit construite à proximité de chez eux et on les verrait aussi hurler à la mort.
À droite, on aime beaucoup les prisons, sauf quand on fait des erreurs administratives telles qu’on se retrouve dix ans après avec des prisonniers détenus illégalement qu’il va falloir libérer. Mais allez construire une nouvelle prison, un nouveau centre éducatif fermé à proximité d’un village où les matamores de la sécurité ont une résidence secondaire et vous verrez leur réaction. Ils en deviendraient presque taubiristes, c’est dire…
Au fond, le syndrome nimby nous renvoie, assez cruellement, à notre triste humanité. Je reste partisan du nucléaire mais qu’on m’annonce la construction d’une centrale pas loin de chez moi, et je vais avoir des sueurs froides, ou celle d’un incinérateur d’ordures et vous me verrez manifester alors que pourtant, comme tout le monde, je sais que c’est nécessaire si on veut éviter les décharges à ciel ouverts, façon Los Olvidados de Bunuel.
En fait, le rêve secret ou inconscient de toute personne atteint de nimbysme, c’est qu’on trouve du gaz de schiste en Seine-Saint-Denis, qu’on construise les prisons dans les quartiers nord de Marseille (il y aura moins de chemin à faire pour les usagers) et qu’on trouve un moyen que les déchets radioactifs soient stockés aux Minguettes. Après tout, les pauvres, c’est fait pour ça et ça ne nous empêchera pas de les plaindre par ailleurs.
On en est tous là. En France, les premiers comportements nimbystes, dans les années 60, firent comme victimes les banlieues rouges de Paris. Alors que le patronat ramenait en masse des travailleurs immigrés, notamment pour le bâtiment et l’automobile, il n’allait pas quand même faire vivre ces gens-là dans le triangle NAP. Non, mais sérieusement, vous imaginez Mouloud après huit heures de travail à la chaîne sur l’Ile Seguin se présenter à un rallye ? Alors on a stocké les immigrés dans les banlieues communistes. Et on en voit les brillants résultats aujourd’hui.

*Photo : Scott Beale.

Le lobby gay n’existe pas

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christophe girard mariage

christophe girard mariage

Christophe Girard est maire du IVe arrondissement de Paris et conseiller régional d’Ile-de-France.

Causeur. Permettez-nous d’abord, Monsieur le Maire, de vous présenter tous nos vœux puisque votre mariage a été célébré il y a peu dans cette mairie. Il s’agit certes d’une affaire privée, mais pas seulement puisque le droit, pour vous, d’épouser votre compagnon est l’aboutissement d’un combat politique. Comment expliquez-vous l’ampleur et la durée de la protestation ?
Christophe Girard. La première raison, c’est que le débat a trop duré. Dans les treize autres démocraties qui ont instauré le mariage et l’adoption pour tous, cela s’est passé beaucoup plus vite et avec moins de résistance. Résultat, en France, on a assisté à la formation d’un front de la peur, aussi large qu’hétérogène. Les Manifs pour tous ont coalisé ceux qui n’ont pas digéré la défaite de Nicolas Sarkozy, l’Église catholique − qui s’est montrée assez organisée −, la sympathique et intelligente Frigide Barjot qui a su en faire un sujet médiatique, Christine Boutin − une femme politique assez adroite, sans jeu de mots − et quelques autres conservateurs comme Philippe de Villiers. L’extrême droite en a aussi profité pour remobiliser ses troupes.

En somme, il n’y aurait là qu’une expression classique de la droite, voire de l’extrême droite ?
Tout dépend de quelle droite et de quelle extrême droite on parle. Marine Le Pen a eu une stratégie habile, peut-être parce que le FN compte beaucoup de jeunes et d’homos.

Ah bon, à entendre certains militants, on pensait qu’être homo, c’était forcément être de gauche…
GayLib n’est pas de gauche ! Il y a des homosexuels dans tous les partis politiques. Quant à l’UMP, elle s’est embarquée dans cette affaire pour remédier à la crise profonde dont elle souffre. Une certaine droite modérée et républicaine, qui se retrouve dans les valeurs portées par Fillon, n’expose pas sa richesse et ne se remarie pas avec des mannequins ou des chanteuses. Cette droite-là, qui a en partie voté pour François Hollande par rejet de Nicolas Sarkozy, n’était pas hostile à la loi Taubira.[access capability= »lire_inedits »]

Cette mobilisation a-t-elle fait apparaître un péril réac ?
Cette France réactionnaire existe, mais elle ne me fait pas peur, car il s’agit d’une minorité « gonflée » par la sur-médiatisation.

Pensez-vous que ce mouvement a un avenir électoral ?  
Non. Je crains que le droit de vote des étrangers non communautaires et l’Europe soient des sujets plus mobilisateurs électoralement.

Quoi qu’il en soit, vous ne pouvez pas réduire la protestation à sa frange active, catholique et de droite. La loi Taubira heurte les sentiments d’une grande partie de la population…
Non, il s’agit d’une minorité, qui n’est pas plus importante que celle qui s’opposait au PACS. Si je m’en tiens aux chiffres de l’archevêché de Paris, il y avait plus de monde pour accueillir Jean Paul II et Benoît XVI à Paris que pour défiler contre la loi Taubira.

Frigide Barjot n’est pas pape… Reste que, si deux Français sur trois approuvent le « mariage pour tous », ou du moins s’y résignent, l’opinion est nettement plus partagée sur l’adoption plénière et ses conséquences anthropologiques…
Croyez-vous vraiment que cette opposition soit spontanée ? Tout au long de ces sept interminables mois, on a eu droit aux pires caricatures, souvent fondées sur l’instrumentalisation des enfants. Il y a eu des images terribles, comme cette petite fille brandissant une pancarte proclamant « Future mère en colère » ! Ces outrances ont réussi à faire peur aux Français.

Sans doute, comme leur ont fait peur les pancartes suggérant gracieusement « Kill Frigide Barjot »… Et je ne vous parle pas des propos de Pierre Bergé, qui s’est montré aussi fanatique que certains opposants…
Pour avoir travaillé vingt ans auprès de lui, je connais bien Pierre Bergé. Et quand je me rappelle certains de ses commentaires sur l’homoparentalité et la Marche des fiertés, je me réjouis qu’il ait évolué.

Quoi qu’il en soit, vous ne pouvez pas réduire la Manif pour tous à ses éléments les plus extrémistes. Pas vous, pas ça…
Bien sûr, j’ai aussi parlé avec beaucoup de gens sincères, qui n’étaient pas dans la caricature et la haine. Mais que vous le vouliez ou non, j’ai pourtant vu dans les manifestations des gens qui ont un vrai problème avec l’homosexualité. À mes yeux, l’homophobie ressemble à l’antisémitisme. Les antisémites qui s’ignorent pensent que ce n’est pas très grave de faire des petites blagues sur les commerçants juifs. On retrouve les mêmes peurs et les mêmes fantasmes au sujet des homosexuels. C’est de l’ignorance. La preuve, c’est que même dans des familles très conservatrices, tout change quand il y a un fils ou une fille homosexuel. Il suffit de connaître personnellement des homos pour les comprendre. L’homosexualité est tout de même d’une grande banalité !

Pas pour tout le monde ! Beaucoup de gens de gauche avouent être un peu gênés de voir deux hommes ou deux femmes (mais surtout deux hommes) s’embrasser. Ce conservatisme bon enfant fait-il d’eux des homophobes ? Tout le monde ne vit pas dans le Marais…
C’est bien de ne pas juger et de réfléchir à d’autres manières de s’aimer.

De même, on peut penser que le mariage engage un homme et une femme, sans éprouver la moindre hostilité à l’égard des homosexuels !
Effectivement, pour beaucoup de gens, la famille, c’est un homme et une femme qui se marient, à la mairie mais surtout à l’église. Ils craignent que le « mariage pour tous » porte atteinte au sacrement religieux. C’est un énorme malentendu ! Enfin pour l’instant : pour être honnête, je pense que la prochaine demande des couples homosexuels croyants et pratiquants sera que leur union soit célébrée devant Dieu.

Voilà qui promet ! En attendant, beaucoup de gens simples ont eu le sentiment d’être méprisés, traités comme des résidus de l’Histoire par des militants qui se considèrent comme la pointe avancée de la modernité, l’incarnation du Progrès en marche…
Dans cette mairie, cela ne s’est pas passé comme ça. J’ai organisé de nombreux débats publics, et tous se sont déroulés dans le respect mutuel. J’ai convaincu les militants d’Act Up qu’il était légitime que Christine Boutin puisse s’exprimer. À l’arrivée, les prêtres de l’arrondissement, même les plus hostiles à la loi, m’ont confié qu’ils s’étaient sentis considérés, respectés. Et je continue à prôner le dialogue.

Quand un jeune manifestant prend deux mois fermes pour refus de test ADN alors que les casseurs du Trocadéro sont libres, on ne peut pas dire que cela témoigne d’un grand respect de la divergence…
Je commenterai d’autant moins cette décision de justice que je n’étais pas présent sur les lieux. Mais je suis d’accord avec vous : même s’il y a eu violence – et je crois qu’il y en a eu – deux mois de prison, c’est impressionnant. J’ai proposé de rendre visite au jeune Nicolas Bernard-Buss à Fleury-Mérogis. Il se trouve qu’il est d’Angers, comme moi, et que je connais bien ce type de famille. Cela dit, il a écrit des choses assez violentes sur son blog. Étant étudiant en droit, il devait savoir ce qu’il faisait. J’ai récemment fait savoir que je souhaitais que sa demande de libération soit entendue. C’est à la justice de décider.

En tout cas, la cathosphère hurle au délit d’opinion… non sans quelques raisons !
Peut-être, au point que je me demande si le juge n’avait pas la volonté d’en faire un petit martyr… Tout est possible !

Par ailleurs, beaucoup de gens ont eu le sentiment que le gouvernement agissait sous la pression du lobby gay, qui est loin de représenter l’ensemble des homosexuels.
Le lobby gay est un fantasme. Soyons prudents avec les mots. En revanche, il y a des associations. Mais il est faux de dire que le gouvernement a travaillé sous leur influence. Ce qui a été déterminant, c’est l’évolution de la société elle-même. Aujourd’hui, nos concitoyens font ce qu’ils veulent de leur vie privée. C’est heureusement ainsi et on ne reviendra pas en arrière.

Acceptation ne signifie pas nécessairement institutionnalisation. La République doit-elle vraiment satisfaire tous les désirs des individus ?
La République ne satisfait les désirs de personne mais elle doit protéger tout le monde, y compris un homme qui veut devenir une femme et une femme qui veut devenir un homme ! Dix pays dans le monde considèrent qu’il existe un troisième sexe : Israël, l’Iran, le Portugal, etc. On doit essayer d’améliorer le fonctionnement de la société pour que plus personne ne soit laissé sur le bas-côté. Voilà ma vision du monde.

Ne faudrait-il pas, alors, que l’État paye une chirurgie esthétique à une femme qui considère que son être véritable devrait avoir de gros seins ?
De grâce, ne confondons pas chirurgie esthétique et identité civile.

Ne faut-il pas admettre, dans certains cas, que le mode de vie qu’on a choisi est minoritaire, voire marginal – ce qui, bien sûr, ne signifie nullement « inférieur » ? Une société peut-elle vivre sans normes ?
On ne choisit pas son identité et sa nature ; je préfère que l’on assume sa vérité et sa réalité, on n’en sera qu’un meilleur citoyen, un honnête citoyen.

Nous insistons : est-il politiquement opportun de lancer un débat sur la transsexualité ? La lutte contre la « transphobie » est-elle une priorité de l’École ? Vous pouvez imaginer la réaction des gens simples que vous évoquiez quand on fait lire à leurs enfants : « Papa porte une robe » !
Vous savez, il n’y a pas si longtemps, certains n’acceptaient pas que les femmes aient le droit de vote ou qu’elles avortent. Il faut apprendre à dépasser ce que l’on a appris sur le fonctionnement de la famille et de la société, même s’il est plus confortable de s’accrocher à des certitudes. Personnellement, j’ai pas mal évolué sur ces questions. Et à en juger par le courrier que j’ai reçu, beaucoup de gens ont fait de même. Être un citoyen simple, c’est aussi avoir du bon sens, de l’intelligence individuelle et un sens critique développé.

On dirait pourtant qu’il n’est pas si simple de faire vivre ensemble ces deux France…
Vous vous trompez : la vie s’en chargera. Certains membres de ma propre famille sont plutôt conservateurs. Ils n’en ont pas moins été heureux d’assister à mon mariage car, pour eux, la vérité de mon engagement avait plus d’importance que certaines réticences morales. À Tel Aviv, je trouve extraordinaire de voir se côtoyer la plage gay et la plage orthodoxe. On doit être capable de vivre dans le même monde, de se parler, de se rencontrer et parfois de se disputer sans que quiconque ne renonce à ses convictions, à son style de vie et donc à sa liberté.

Ce n’est pas la conception française du vivre-ensemble…
Au cas où cela vous aurait échappé, cette conception, qui pêche par une certaine rigidité, a déjà été très ébranlée.

En tout cas, la gauche a peut-être commis des erreurs stratégiques dans la gestion de ce dossier, car à l’arrivée, elle a braqué pas mal de monde. Mais peut-être était-ce délibéré…
Je ne crois pas. Mais je constate qu’il y a aujourd’hui une certaine pudeur à gauche et la volonté de ne pas en rajouter.

Certains maires refusent de marier des couples homosexuels, ce qui est tout aussi répréhensible que la célébration d’une union homosexuelle avant le vote de la loi. Au lieu de monter ces quelques cas en épingle, n’aurait-il pas été préférable, dans un souci d’apaisement, de chercher des solutions pratiques pour que la loi soit respectée sans contraindre ces élus à agir contre leurs convictions ?
Désolé pour eux, mais il est hors de question de dire qu’un élu fait ce qu’il veut. Un maire est chargé d’appliquer la loi, il ne peut pas être un hors-la-loi. Ou alors on instaure une République à géométrie variable, ce qui serait gravissime. Sur ce sujet, l’État doit être intraitable.[/access]

*Photo : DR.

Arrête ton char, Poutine !

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À l’occasion des championnats du monde d’athlétisme qui se tiennent actuellement à Moscou, les amateurs auront pu se régaler avec les épreuves combinées, surtout s’ils sont abonnés à Eurosport, auquel cas ils peuvent échapper à l’inénarrable Patrick Montel de France Télévisions, ses gags, ses considérations géopolitiques et ses agressions délibérées contre la syntaxe et le bon sens.
Mais laissons le service public à sa misère et revenons à nos épreuves combinées qu’on aurait pu croire closes hier soir après les deux jours de décathlon puis d’heptathlon. Eh bien non ! Figurez-vous qu’en marge de la compétition officielle, le facétieux ministre de la Défense russe Sergueï Choïgou a organisé, nous disent la radio « La Voix de la Russie »  et  l’agence RIA-Novosti, une sorte de festival off, 100% inédit. Selon Ivan Bouvaltsev, chef du Département de la formation au combat des Forces armées russes : « Des compétitions internationales de biathlon pour chars d’assaut auront lieu le 17 août sur le polygone militaire d’Alabino, dans la région de Moscou. »
Les règles de cette nouvelle discipline (ou plutôt de cette discipline « en devenir » comme on dit sur France 2) sont furieusement inspirées de celles du biathlon tradi, qui combine ski de fond et tir à la carabine. Mais les organisateurs ont procédé à de menues modifications du règlement originel : les chars engagés, explique le général Bouvaltsev « devront parcourir une piste de 20 kilomètres et participer à trois séances de tir – en utilisant un missile, une mitrailleuse antiaérienne et trois obus d’artillerie. Les cibles seront installées à une distance de 0,9 km à 2,2 km. Chaque cible manquée ajoute 500 mètres supplémentaires à parcourir. »
Outre les équipages du pays hôte, ces championnats verront s’affronter des tankistes de trois autres républiques post-soviétiques et néanmoins amies : l’Arménie, la Biélorussie, et le Kazakhstan. Mais ce n’est qu’un début et le ministre Sergueï Choïgou a annoncé que l’Italie et l’Allemagne devraient participer à la prochaine édition et que les Etats-Unis ont également été invités.
On notera avec surprise que pour l’instant, aucune organisation de défense des droits de l’homme n’a appelé au boycott de la compétition.

Délinquance : Valls montre ses muscles

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manuel valls taubira

manuel valls taubira

Nous ne sommes plus au mois de juillet, propice à la manipulation des dérailleurs sur la route du Tour de France, mais en août et Manuel Valls vient de changer de braquet. De loin la personnalité la plus populaire du gouvernement, il sait que son poids politique ne peut être négligé par François Hollande. Il faut bien que Jean-Marc Ayrault s’y fasse. Montebourg pèse plus lourd que Valls du fait de son score à la primaire socialiste qui en a fait l’allié politique indispensable à la chute de Martine Aubry. De la même façon, les cotes de popularité stratosphériques de Valls en font l’un des derniers atouts du Président de la République.
Cela a commencé par cet avis du Haut Conseil à l’Intégration en faveur de l’extension à l’université de la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux ostensibles dans les écoles et lycées. Valls a jugé la proposition du HCI digne d’intérêt, s’opposant en cela à la ministre de l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, laquelle exclut tout débat sur le sujet. Que l’on trouve cette idée bienvenue ou non, ou qu’on soit partagé comme l’auteur de ces lignes, on ne peut que constater qu’une large majorité de Français est en accord avec cette proposition. Comme pour démontrer le poids du ministre de l’Intérieur, le pauvre Ayrault, plutôt sur la ligne Fioraso, n’a pas pu faire autrement que calmer le jeu, très embarrassé par la sortie de Valls.
Mais c’est surtout avec Christiane Taubira que Valls a décidé d’adopter une stratégie offensive. Alors qu’il expliquait depuis un an que la guerre Beauvau/Vendôme  n’aurait pas lieu tant qu’il serait assis dans le fauteuil de Clemenceau, Manuel Valls a expédié un courrier au président de la République, savamment distillée dans la presse[1. Le ministre de l’Intérieur dit officiellement regretter cette « fuite ». Il n’en reste pas loin que l’adage en vogue dans ce ministère, « à qui le crime profite », laisse peu de doutes sur son origine.], où il fait part de « désaccords mis en lumière par le travail interministériel (…) autour du projet de réforme pénale présenté par le ministère de la justice ». Impitoyable, le ministre précise : « Tant pour des raisons de méthode que de fond, l’écart entre nos analyses demeure trop important et appelle une clarification de nos orientations politiques.» Christiane Taubira a dit avoir découvert cette missive dans la presse et regrette que son collègue ne lui en ait pas touché un traître mot lors de leurs dernières conversations. Il faut bien qu’elle s’y fasse, la Garde des sceaux. Non seulement, le ministre de l’Intérieur, contrairement à elle, est un lecteur plus assidu des études de l’IFOP ou d’IPSOS que de la prose du Syndicat de la Magistrature, mais lui travaille vraiment à son compte[2. Allusion à un entretien de Christine Taubira accordé au New-York Times, dans lequel elle affirme « ne pas avoir de Chef (…) à part sa conscience ». Il va de soi que Taubira a un chef, le Président qui peut s’en débarrasser comme la première Delphine Batho, parce qu’elle ne pèse rien politiquement.]. Il a l’Elysée en ligne de mire à l’horizon 2022 voire 2017, quitte à sacrifier l’entente avec sa collègue sur l’autel de sa popularité.
Et Valls n’est pas un bleu en politique. Conseiller de Jospin à Matignon entre 1997 et 2002, il a la mémoire longue et se souvient des erreurs du passé. En donnant raison à la ministre de la Justice Elisabeth Guigou contre Jean-Pierre Chevènement sur les questions de répression, le premier ministre Lionel avait semé les premières graines de sa déculottée à l’élection présidentielle de 2002. Soutenu par l’opinion et échaudé par ce fâcheux précédent, Valls tente de rejouer le match en revêtant les habits du vieux lion de Belfort. Le premier flic de France n’oublie pas que du discours fondateur de François Hollande au Bourget, il ne reste plus grand-chose. La fameuse diatribe « Mon ennemi, c’est la finance » fâche ou déclenche l’hilarité, selon le caractère de chacun. La renégociation du traité Merkozy, n’en parlons même pas. Reste le fameux : « la République vous rattrapera », adressé aux délinquants. Par cette lettre, Valls enjoint donc le Président de lui donner raison, de faire de lui un Chevènement vainqueur de Guigou, avec la menace larvée de devenir un Sarkozy 2002-2007 si le chef de l’Etat ne lui donnait pas raison. Mettons-nous à la place de François Hollande. Tant la raison que l’état de l’opinion devraient le conduire à jouer Valls contre Taubira. Mais cette dernière a un atout dans sa manche. Plus que l’idéologie du SM et de Canal+ réunis, ce sont les marges de manœuvre budgétaire qui empêchent de construire les nouvelles places de prison nécessaires, mais aussi d’engager les greffiers et les juges d’application des peines qui manquent. Reste la tentation, très grande pour l’ancien maître des synthèses solfériniennes, de faire entendre du Valls bruyant et d’appliquer du Taubira mezza voce.
Ce serait une resucée de la politique sécuritaire de son prédécesseur, à l’époque pas si lointaine où Sarkozy roulait des mécaniques, pendant que Rachida Dati incitait – par la loi de 2009 – les juges à ne pas appliquer les peines de prison dont la durée n’excédait pas deux ans. Valls jouera-t-il ce jeu de dupes ?  Il n’y a pas intérêt tant les Français finissent de plus en plus par se lasser des discours non suivis d’effets. Pour être cohérent jusqu’au bout, s’il n’obtient pas les moyens de sa politique, le ministre de l’Intérieur devra sans doute démissionner le moment venu, histoire d’appliquer le précepte d’un certain… Chevènement.

*Photo : PS.

Manif pour Tous : Ils sont entrés dans la carrière

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manif pour tous bourgeois

manif pour tous bourgeois

Ils étaient fils d’avocats, de médecins et de banquiers. Ils avaient fréquenté les classes préparatoires les plus cotées et suivaient des cours de finance internationale, de marketing et de management des organisations dans de prétentieuses écoles de commerce dont on leur rabâchait qu’elles étaient leur passeport pour l’avenir. Leurs prénoms se déclinaient comme une litanie des saints : Augustin, Charles, François, Sixtine, Constance, Isabelle et Édouard. Ils avaient pour uniformes des pantalons rouges ou verts et des chemises à rayures roses ou bleues, d’indémodables mocassins Todd et de grandes mèches qu’ils balançaient à la manière d’une vache qui chasse les mouches avec sa queue. Ils ne juraient que par l’Europe, l’économie libérale, Sarkozy et, pourquoi pas, Hollande, pourvu qu’il respectât les critères de Maastricht. Ils exprimaient leur conservatisme dans des propriétés de famille, des chasses dominicales ou, pour les grandes occasions, dans des messes post-conciliaires. Ils étaient des enfants de bourgeois, ils sont devenus l’armée de réserve de la Manif pour tous. Ils ne seront plus jamais les bourgeois de demain.
Jusqu’à maintenant, jamais ces privilégiés n’avaient battu le pavé. Vautrés dans leur confort, anesthésiés par une suffisance héréditaire, rien ne les disposait à aller contester une loi qui ne leur « enlevait pas de droits », quand bien même elle amputait les futures générations d’une filiation claire.[access capability= »lire_inedits »] La rue, c’était pour les prolétaires, pour ceux qui défendaient des intérêts particuliers, « pas notre culture », fanfaronnaient-ils. Toutefois, il existait chez ces jeunes une vague conscience du délitement qui progressait au point de les affecter : raréfaction du travail, baisse des salaires, précarisation, déclassement, etc. Une situation que le sociologue Louis Chauvel[1. Les Classes moyennes à la dérive, Louis Chauvel, Le Seuil/République des idées.] a analysé pour cette classe sociale intermédiaire comme « un retournement […] un risque de déchéance dans une classe d’incertitude sans avenir ni retour […] l’extinction d’un projet social hier triomphant ». Au crépuscule de leur confort − moment idéal de remise en question −, par sens de la tradition, pour conjurer l’ennui, par antisocialisme primaire, ils ont commencé à défiler aux manifestations contre le mariage homosexuel comme on rejoindrait une marche blanche. Les slogans ont fusé, les discours ont martelé, les CRS ont tapé, et quelque chose s’est passé.
Éjectés de leur déterminisme social par la force de la conjoncture économique, ces enfants de bourgeois ont profité de la circonstance pour s’ouvrir aux questions anthropologiques, donnant ainsi raison à Antoine Spire lorsqu’il affirmait que l’anthropologie se situe au lieu des crises, au carrefour des doutes[2. Le Monde de l’éducation, juillet-août 2001.]. Face à cette rupture soudaine d’héritage social, ils ont tenté de comprendre l’idéal d’une génération prométhéenne qui avait rendu la leur orpheline. Dans les critiques de l’opposition au mariage homosexuel, ils ont retrouvé ce qu’ils reprochaient à la société héritée de leurs parents : l’émancipation égalitaire, l’autonomie de la volonté individuelle hédoniste comme source du modèle de civilisation, la jouissance immédiate au détriment des conséquences du futur, etc. Et ils ont compris que ce libertarisme dont ils  récusaient les effets était indissociable du libéralisme qu’ils glorifiaient pourtant. Au regard de l’aliénation et de la falsification du réel, vont-ils  définitivement renoncer à ce capitalisme ludique ? Certains y croient encore. D’autres les relayeront. La bourgeoisie est une hydre en constante régénération et une relève attend sous serre. Ses nouveaux hérauts, on les trouvait parmi les nombreux invités de marque présents à la soirée people organisée par Jean-Michel Ribes pour soutenir le projet de loi du mariage homosexuel, le 28 janvier. Footballeurs, stars cathodiques, patrons d’entreprises et journalistes en vogue – un panel de l’égalité dans sa diversité en somme − s’y pressaient, coupe de champagne dans une main et petit four dans l’autre, pour dénoncer l’homophobie, manière pour le moins habile d’esquiver le débat sur la lutte des classes et d’occuper le terrain avec la lutte des sexes.
Décidément, Pasolini avait raison, les bourgeois ne sont pas ceux que l’on croit.[/access]

*Photo : Mon_Tours.

Paris-Match : de la politique entre les orteils

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L’hebdomadaire Paris-Match avait jadis pour slogan : « Le poids des mots, le choc des photos ». C’était réjouissant car cela ouvrait la porte à toutes les railleries imaginables autour de la prose pachydermique de certains articles et de l’aspect parfois racoleur des images publiées. Le nouveau slogan, lui, fait songer par sa niaise fadeur au titre d’un mauvais film de Claude Lelouch : « La vie est une histoire vraie ». On trouve de tout dans Paris-Match : des actrices sur le retour, des acteurs sur le départ, des faits divers abominables, de la romance à quatre sous, de l’actu showbiz à deux balles, une pincée d’art de vivre, une grosse dose de pub et de la politique. Même beaucoup de politique. Paris-Match a d’ailleurs été un des premiers magazines français à traiter la politique comme une actualité people à part entière. On a vu défiler Ségolène Royal à la maternité avec son bébé, Ségolène Royal sur un quai de gare avec son « compagnon », Nicolas Sarkozy dans à peu près toutes les postures possibles (« À pied à cheval en voiture et en bateau à voiles » comme chantait Prévert), et tant d’autres…
Cette semaine, c’est un feu d’artifice. Au cœur de l’été, alors que les lecteurs se prélassent sur les plages océanes ou urbaines, ou bien pantouflent en congés payés, le magazine en papier glaçant propose non pas un, non pas deux, non pas trois, mais pas moins de quatre sujets politiques. Tout d’abord l’indispensable Anne Hidalgo, candidate socialiste à la mairie de Paris dont la dernière pitrerie en date est l’idée de créer un adjoint au maire en charge de la nuit, nous raconte son arrivée en France dans les années 60 puis sa naturalisation, photos noir et blanc à l’appui. La belle de Cadix omet de parler de son projet de rendre les voies sur berges aux « usagers » de la nuit. Dommage.
En page 22, Stéphane Le Foll – ministre de l’agriculture (le ministre le moins cité après Sylvia Pinel) – nous reçoit en sandales, son « golden retriever » au pied. Il se prétend dans les « starting-blocks ». En sandales. Passons.
Sous le titre « Le feu et la glace », Paris Match propose aussi un portrait de Marine Le Pen et de son compagnon de route Louis Aliot. Ils regardent dans la même direction depuis 2009. «  Fatiguée depuis qu’elle s’est fracturée le sacrum, lors du week-end de l’Ascension, en tombant dans une piscine vide, Marine Le Pen compte bien se reposer au mois d’août ». On imagine qu’elle va s’assoir…
À la Une du magazine, la « sirène » italienne Carla exhibe son sourire absolu. « Depuis juillet, les vacances avaient pourtant mal commencé avec le refus du Conseil constitutionnel de valider ses comptes de campagne. Il avait alors rompu avec ses vœux de discrétion, appelant ses sympathisants à l’aide. L’affluence des dons a transformé l’épreuve en démonstration de soutien. L’amour de Carla et les sourire d’une petite fille font le reste ». Et la France est fébrile… « L’ex première dame n’a pas pu résister à l’envie d’emmener son mari écouter Julien Clerc. (…) Lorsque Carla et son Raymond comme elle l’appelle dans une de ses chansons, sont arrivés au théâtre de verdure les applaudissements ont fusé ». Et puis soudain Paris Match s’emballe, et ose l’humour… « Depuis le temps, les apparitions de Nicolas Sarkozy sont, avec le Corso fleuri et la grande roue, l’attraction numéro un du Lavandou. »
Plus loin on voit l’ex-locataire de l’Élysée en train de se promener avec un exemplaire de L’Équipe. « Nicolas Sarkozy se promène en lisant L’Équipe, commande des pizzas et déguste ses beignets de courgette chez Ginette, soutien indéfectible »…
Nicolas Sarkozy c’est bien, mais Manuel Valls c’est mieux. On apprend – après une photo de bisou anthologique – qu’Anne Gravoin « refuse d’habiter Place Beauvau ». La concubine ajoute à l’oreille de son amant : « Tu me vois travailler mon violon sous les lambris ? » Le ministre de l’Intérieur est venu écouter sa femme en concert à Menton. L’hymne à l’amour des Beatles – All you need is love – l’aurait inspiré. On attend de voir.
Tout cela fleure bon 2017, et les élections présidentielles du même métal. Les newsmag sont en pilote automatique. Attention au crash.

Le discours anti-bourgeois est devenu tendance à l’UMP

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ump cope peltier

ump cope peltier

Immigrés, musulmans, Roms, gens du voyage… nombreuses sont les victimes des stigmates infligés par l’UMP, si l’on en croit les adversaires politiques et médiatiques du principal parti de droite français. Il est pourtant un discours stigmatisant, se développant au sein de l’UMP depuis les dernières élections présidentielles, qui ne suscite guère de remous médiatico-politiques : le discours visant à disqualifier – pêle-mêle – les riches, les habitants des quartiers huppés et les diplômés de grandes écoles.
D’une manière générale, en France, les CSP+ en France ont l’habitude d’être malmenées par le discours d’hommes politiques de gauche, d’extrême gauche et d’extrême droite. À gauche, si le PS a pu être accusé de délaisser les catégories populaires au profit des classes moyennes, son candidat à la dernière élection présidentielle s’est tout de même permis l’audace d’affirmer sans ambiguïté lors d’un débat télévisé : « Je n’aime pas les riches ! ». À l’extrême gauche, classiquement, le « bourgeois » est mauvais du fait de son appartenance à sa « classe sociale », quelles que soient ses opinions politiques. À l’extrême droite enfin, dans le discours du Front national, ce sont plutôt les membres de « l’élite » – hauts fonctionnaires et « grands patrons » – ou les « bobos » qui sont conspués. Les premiers étant accusés de confisquer les richesses nationales dans l’intérêt de leur caste apatride, les seconds de cracher sur le peuple depuis leurs insolentes tours d’ivoire.
Le Français aisé ou très aisé – du moins celui qui est perçu comme tel – avait jusqu’à récemment, sous l’averse boueuse des offenses et accusations venues de la gauche ou de l’extrême droite, l’opportunité de s’abriter sous la tolérance du discours UMP à son égard. C’était avant la campagne présidentielle de 2012.
Nicolas Sarkozy, président de la République, candidat naturel de l’UMP aux élections présidentielles de 2012, se met à vilipender, à la veille de celles-ci, « la gauche caviar, la gauche morale qui habite boulevard Saint-Germain, qui met ses enfants dans des écoles privées », puis « la gauche bobo ». La figure du riche de gauche est brandie comme un épouvantail méprisable et grotesque, provoquant rires et sifflements dans les meetings. Non pas l’homme de gauche, mais bien le nanti de gauche, le bobo, coupable de combiner vote à gauche et style de vie confortable. Le pauvre de gauche, lui, n’est (fort heureusement !) jamais invoqué comme exutoire de la colère et de la moquerie, étant en quelque sorte encore sain de par son indigence, malgré son affiliation au camp idéologique adverse. Le niveau de vie des citoyens, selon le discours anti-bobo développé par l’ex-président de la République, devient tout bonnement un critère d’exclusion du peuple : « Je ne parle pas pour les bobos du boulevard Saint-Germain »croyait utile de préciser le candidat à la présidence de la République, pourtant censé s’adresser à tous les citoyens français, sans exception.
Parallèlement, les électeurs du FN se voient considérés par le Nicolas Sarkozy de l’entre-deux-tours comme des Français « qui souffrent », auxquels il ne faut pas donner « de leçon de morale » et dont la « colère » est « respectable », du fait de leur supposée appartenance aux catégories sociales défavorisées. Les « bobos de Saint-Germain-des-Prés », eux, ne méritent que l’opprobre, puisque vivant dans une arrogante bulle hors de la vraie France sur laquelle s’abat tous les malheurs. Pour résumer : le pauvre qui ne vote pas UMP n’est qu’une brebis égarée, tandis que le riche qui vote mal mérite le sort d’une brebis galeuse.
L’émergence de ce discours anti-classes aisées s’inscrit, durant la campagne présidentielle de 2012, dans la stratégie du président-candidat Sarkozy de couper l’herbe sous le pied du FN. Afin de puiser dans le vivier électoral frontiste, en constante expansion depuis l’avènement de Marine Le Pen, il ne convenait pas seulement pour Nicolas Sarkozy d’adopter un discours plus dur sur l’immigration et la sécurité, mais également de concurrencer le FN sur le terrain du populisme anti-riches, anti-élites, anti-système – ne serait-ce que d’un point de vue rhétorique, dans l’espoir d’appâter les électeurs des catégories sociales séduites par la vague bleu marine.
Le discours sarkozyste anti-bourgeois a survécu à l’élection de François Hollande. Les deux mousquetaires de la Droite Forte, Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, le déclament pieusement sur les plateaux télé auxquels ils sont conviés.
La Droite Forte, c’est cette fameuse motion de l’UMP, créée par un transfuge du MPF et un jeune surdiplômé, qui s’est vue promue par les militants UMPistes premier mouvement au sein du parti. Sa ligne idéologique se veut « sarkozyste », ce qui signifie – si l’on se base sur les propos de MM. Peltier et Didier – conservatrice sur les questions sociétales, plutôt eurosceptique, franchement patriote et … vigoureusement « anti-bobo ».
MM. Peltier et Didier, nouvelles égéries de la ligne « dure » de l’UMP, sont des pourfendeurs hors pair de ces Français osant habiter du bon côté du périphérique. Chez Ruquier, Geoffroy Didier brocarde le journaliste Aymeric Caron qui, vivant « forcément plus près de Saint-Germain-des-Prés que des cités sensibles du Val d’Oise », ne comprendrait rien au « problème d’intégration » rongeant la France authentique.
Chez Zemmour et Naulleau, Guillaume Peltier accuse le journaliste Renaud Dély, coupable de relever la proximité croissante des discours FN et UMP, d’être « le porte-parole du microcosme parisien qui confond le peuple avec le Front national »
Neuilly, dont fut maire l’idole et mentor de Guillaume Peltier, a sans doute, il est vrai, une population plus au fait des préoccupations du peuple que le microcosme parisien !
Le discours anti-élites des hommes-liges de la Droite Forte ne s’arrête pas à des considérations sur le lieu d’habitat. Dans leur bouche, les diplômes prestigieux sonnent comme des tares : « nous on n’a pas fait l’ENA ! » clame fièrement M. Peltier sur le plateau de C à nous aux côtés de son compère, comme si cela leur conférait quelque légitimité politique que ce soit. Geoffroy Didier, en effet, n’a pas fait l’ENA… mais Sciences Po, l’ESSEC et Columbia !
Drôle de jeu, donc, que celui auquel jouent ces hérauts de la Droite Forte, et avant eux Nicolas Sarkozy. Alors que ce travers était habituellement réservé à la gauche ou à l’extrême droite, des représentants de l’UMP ont pris pour habitude de dénigrer certains citoyens français du fait de leur aisance matérielle, de leur lieu de résidence ou de leur niveau d’étude. Comme si « peuple » était synonyme de « pauvres », de travailleurs précaires ou d’habitants de quartiers « sensibles » – au lieu de désigner tous les Français sans distinctions sociales et économiques.
Si ce discours anti-bourgeois et anti-élite qui vise à draguer l’électorat populaire est grotesque et caricatural, il risque surtout de froisser l’une des bases électorales traditionnelles de l’UMP, quand la crise que le parti traverse devrait lui imposer d’éviter plus que tout la désunion…

*Photos : UMP.