Accueil Politique Manif pour Tous : Ils sont entrés dans la carrière

Manif pour Tous : Ils sont entrés dans la carrière


Manif pour Tous : Ils sont entrés dans la carrière

manif pour tous bourgeois

Ils étaient fils d’avocats, de médecins et de banquiers. Ils avaient fréquenté les classes préparatoires les plus cotées et suivaient des cours de finance internationale, de marketing et de management des organisations dans de prétentieuses écoles de commerce dont on leur rabâchait qu’elles étaient leur passeport pour l’avenir. Leurs prénoms se déclinaient comme une litanie des saints : Augustin, Charles, François, Sixtine, Constance, Isabelle et Édouard. Ils avaient pour uniformes des pantalons rouges ou verts et des chemises à rayures roses ou bleues, d’indémodables mocassins Todd et de grandes mèches qu’ils balançaient à la manière d’une vache qui chasse les mouches avec sa queue. Ils ne juraient que par l’Europe, l’économie libérale, Sarkozy et, pourquoi pas, Hollande, pourvu qu’il respectât les critères de Maastricht. Ils exprimaient leur conservatisme dans des propriétés de famille, des chasses dominicales ou, pour les grandes occasions, dans des messes post-conciliaires. Ils étaient des enfants de bourgeois, ils sont devenus l’armée de réserve de la Manif pour tous. Ils ne seront plus jamais les bourgeois de demain.
Jusqu’à maintenant, jamais ces privilégiés n’avaient battu le pavé. Vautrés dans leur confort, anesthésiés par une suffisance héréditaire, rien ne les disposait à aller contester une loi qui ne leur « enlevait pas de droits », quand bien même elle amputait les futures générations d’une filiation claire.[access capability= »lire_inedits »] La rue, c’était pour les prolétaires, pour ceux qui défendaient des intérêts particuliers, « pas notre culture », fanfaronnaient-ils. Toutefois, il existait chez ces jeunes une vague conscience du délitement qui progressait au point de les affecter : raréfaction du travail, baisse des salaires, précarisation, déclassement, etc. Une situation que le sociologue Louis Chauvel[1. Les Classes moyennes à la dérive, Louis Chauvel, Le Seuil/République des idées.] a analysé pour cette classe sociale intermédiaire comme « un retournement […] un risque de déchéance dans une classe d’incertitude sans avenir ni retour […] l’extinction d’un projet social hier triomphant ». Au crépuscule de leur confort − moment idéal de remise en question −, par sens de la tradition, pour conjurer l’ennui, par antisocialisme primaire, ils ont commencé à défiler aux manifestations contre le mariage homosexuel comme on rejoindrait une marche blanche. Les slogans ont fusé, les discours ont martelé, les CRS ont tapé, et quelque chose s’est passé.
Éjectés de leur déterminisme social par la force de la conjoncture économique, ces enfants de bourgeois ont profité de la circonstance pour s’ouvrir aux questions anthropologiques, donnant ainsi raison à Antoine Spire lorsqu’il affirmait que l’anthropologie se situe au lieu des crises, au carrefour des doutes[2. Le Monde de l’éducation, juillet-août 2001.]. Face à cette rupture soudaine d’héritage social, ils ont tenté de comprendre l’idéal d’une génération prométhéenne qui avait rendu la leur orpheline. Dans les critiques de l’opposition au mariage homosexuel, ils ont retrouvé ce qu’ils reprochaient à la société héritée de leurs parents : l’émancipation égalitaire, l’autonomie de la volonté individuelle hédoniste comme source du modèle de civilisation, la jouissance immédiate au détriment des conséquences du futur, etc. Et ils ont compris que ce libertarisme dont ils  récusaient les effets était indissociable du libéralisme qu’ils glorifiaient pourtant. Au regard de l’aliénation et de la falsification du réel, vont-ils  définitivement renoncer à ce capitalisme ludique ? Certains y croient encore. D’autres les relayeront. La bourgeoisie est une hydre en constante régénération et une relève attend sous serre. Ses nouveaux hérauts, on les trouvait parmi les nombreux invités de marque présents à la soirée people organisée par Jean-Michel Ribes pour soutenir le projet de loi du mariage homosexuel, le 28 janvier. Footballeurs, stars cathodiques, patrons d’entreprises et journalistes en vogue – un panel de l’égalité dans sa diversité en somme − s’y pressaient, coupe de champagne dans une main et petit four dans l’autre, pour dénoncer l’homophobie, manière pour le moins habile d’esquiver le débat sur la lutte des classes et d’occuper le terrain avec la lutte des sexes.
Décidément, Pasolini avait raison, les bourgeois ne sont pas ceux que l’on croit.[/access]

*Photo : Mon_Tours.

Eté 2013 #4

Article extrait du Magazine Causeur



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Paris-Match : de la politique entre les orteils
Article suivant Délinquance : Valls montre ses muscles

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération