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La réforme des retraites n’est ni urgente, ni opportune

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emmanuel maurel ps

Dans son engagement présidentiel n°18, le candidat Hollande promettait une réforme des retraites au « cadre financier durablement équilibré ». Or, si le régime général peut prétendre à l’équilibre en 2020, il reste que les régimes spéciaux et ceux des fonctionnaires seront eux financés par le déficit. Tant qu’à réformer, ne faut-il pas viser l’équilibre du système entier ? Ne faudrait-il pas toucher aux régimes spéciaux, notamment dans la fonction publique ?

Le Gouvernement est bien inspiré de n’avoir pas remis en cause des droits acquis depuis plusieurs générations de travailleurs. L’enjeu aujourd’hui n’est pas tant de remettre en question les droits du voisin mais de répartir différemment les richesses afin que l’ensemble des salariés voient leurs droits progresser. J’ajoute que lorsqu’on regarde la retraite que touchent effectivement les fonctionnaires ou les salariés relevant des régimes spéciaux, il n’y a pas beaucoup de différence avec le montant des pensions servies aux salariés du privé.

Vous semblez plus dubitatif sur le reste de la réforme. Le courant « Maintenant la gauche » que vous dirigez au sein du PS a même dénoncé dans un communiqué l’allongement de la durée de cotisation jusqu’à 43 annuités prévue par le gouvernement après 2020. Mais cette solution n’est elle pas inévitable ? Peut-on réellement envisager d’autres solutions que le « travailler plus » pour financer durablement le système ?

« Travailler plus », c’était le slogan de la majorité précédente, et les Français ne nous ont pas élus pour faire la même politique que la droite. La priorité, c’est la bataille pour le plein emploi et pour une plus juste répartition des richesses.

Promouvoir l’allongement de la durée de cotisations au prétexte du « bon sens », c’est aller dans la mauvaise direction. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas parce que l’on vit plus longtemps que l’on doit travailler plus longtemps. Historiquement, c’est même plutôt le contraire. La gauche n’a cessé de le répéter pendant des décennies. La productivité horaire des travailleurs français est une des meilleures au monde, notre démographie est excellente. Par ailleurs, la durée moyenne de travail des salariés qui ont pris leur retraite en 2012 équivaut à 151 trimestres en 2012 selon la CNAV(Caisse nationale d’assurance vieillesse), donc à 38 ans de cotisations environ. Dans ces conditions, l’allongement de la durée de cotisations n’est pas une bonne solution, surtout quand dans le même temps on prétend lutter contre le chômage des seniors et faciliter l’entrée des jeunes sur le marché du travail.

Le vrai réalisme, c’est de ne pas faire reposer le financement des retraites sur les seuls travailleurs et d’oublier de mettre à contribution les revenus du capital contrairement à ce qu’exigeait le PS cet été. D’autres sources de financement existent, mais surtout, n’oublions jamais de rappeler que c’est l’emploi qui est la solution ultime. Moins il y a de chômeurs, moins il y a de problèmes pour financer nos retraites.

 Autre motif de mécontentement, les salariés et les retraités seront lourdement mis à contribution : hausse des impôts des retraités, report de six mois de la revalorisation des pensions, hausse des cotisations salariales… Est-ce équitable d’ainsi amputer le pouvoir d’achat des Français ?

Depuis des mois, je plaide, avec mes amis, pour un report de la réforme des retraites que nous ne jugeons ni urgente ni opportune ; la priorité doit demeurer selon nous la relance économique, la lutte pour l’emploi, et la victoire contre le chômage.

Si je note avec satisfaction le frémissement de la reprise, il faut se donner les moyens de l’amplifier, en relançant la consommation populaire (par la revalorisation des salaires et des minimas sociaux) et l’investissement productif. Enfin, une grande réforme fiscale est nécessaire pour assurer un meilleur partage des richesses, plus favorable au monde du travail.

Pour compenser la hausse des cotisations patronales prévu par la réforme, le Medef a obtenu la promesse d’une réduction du coût du travail dès 2014. En s’engageant à baisser les cotisations sociales de la branche familiale, le premier ministre ne vous parait-il pas céder davantage à la pression du patronat qu’à celle des syndicats ?

Il est vrai que le résultat des négociations estivales apparaît aujourd’hui déséquilibré en faveur du patronat. Je ne vois pas ce qui pourrait justifier des concessions supplémentaires, sauf à considérer que la réforme des retraites doit être exclusivement portée par les salariés !

Il serait bon d’avoir un débat sérieux sur le niveau prétendument élevé du « coût du travail » dans notre pays. Je suis à cet égard stupéfait de voir un ministre socialiste de l’économie reprendre à son compte, sans aucun recul critique, les analyses du patronat.

Ce qui fait la compétitivité d’une entreprise, et d’un pays, c’est la qualité de la main d’œuvre, celle de ses infrastructures, c’est aussi la qualité de son modèle social. Plutôt que de s’engager dans une course folle au moins disant social, sachons valoriser nos atouts. Et investissons massivement dans la recherche, dans la formation, dans les services publics : à long terme, c’est ce qui garantira à la France de rester une grande nation.

*Photo: Parti socialiste

La santé ou la vie, il faut choisir!

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sante hygienisme etat

Le matin, nous éructons parce qu’il nous espionne, le soir nous défilons parce qu’il nous abandonne. Nous l’accusons à longueur de sondages de ne pas s’occuper de nos problèmes et lui reprochons de se mêler de tout. Nous le trouvons absent et envahissant, intrusif et indifférent. L’État n’en fait jamais assez et toujours trop. Il y a quelques mois, Causeur dénonçait « l’impuissance publique ». Et voilà que nous nous insurgeons contre la folie interventionniste. Il faudrait choisir !  Mère abusive ou père absent, vous ne pouvez pas sans cesse vous plaindre sur les deux tableaux. Sauf que, justement, on peut être les deux à la fois, la preuve : mon État me pique mon permis pour trois flashages à 90 km/h sur le périphérique, m’infligeant mine de rien une peine de plusieurs dizaines d’heures d’ennui pour retrouver le droit de me faire arrêter, mais il ne peut rien faire pour qu’on continue à fabriquer des voitures en France. Il mène une guerre totale contre le tabac, mais face aux caïds de cité, il n’y a plus personne. Il est intraitable sur le grammage des saucisses servies à la cantine de mon enfant, mais n’a pas le droit de battre monnaie. Il me harcèle pour que je fasse du sport, mais fait la sourde oreille quand je le supplie de faire respecter la laïcité. Il s’inquiète des générations futures au point d’interdire toute activité dont on ne connaisse pas précisément les conséquences pour les cinq cents prochaines années, mais ne sait pas quoi dire à mes enfants qui multiplient les stages cinq ans après avoir quitté la fac. Il me sermonne si je bois un verre de trop, mais quand mon usine a fermé, il m’a expliqué que c’était le sens de l’Histoire, fermez le ban – il est vrai qu’il était triste.

Nous avons donc de bonnes raisons de penser que l’État manque à son devoir de protection, et de tout aussi bonnes de nous rebeller contre sa propension à nous surprotéger. Pour sortir de cette impasse sémantique, il faut admettre que les mots ont changé de sens. Aujourd’hui, comme hier, l’État nous protège. Mais il ne s’agit ni du même État, ni de la même protection, ni d’ailleurs du même « nous » : si l’État est de moins en moins capable de nous représenter et de nous défendre comme peuple, il est de plus en plus soucieux de nos petites personnes. Il se préoccupait hier d’organiser notre existence collective, il prétend aujourd’hui règlementer des pans croissants de notre vie domestique.

Que l’État (et ceux qui le dirigent en notre nom) ait, à l’égard des citoyens d’aujourd’hui comme des sujets d’hier, un devoir de protection, nul n’en disconviendra. C’est même pour ça qu’on l’a inventé – pour être le garant et l’exécuteur du deal par lequel nous renonçons à un peu de liberté en échange de plus de sécurité, et qui a peu ou prou fonctionné jusqu’à la fin des Trente Glorieuses. « Protéger ou disparaître » : en 1995, notre ami Philippe Cohen décrivait en ces termes l’alternative devant laquelle étaient, selon lui, placés nos gouvernants. Certes, ceux-ci n’ont pas disparu, en tout cas pas des écrans de télévision. Mais il est notoire qu’ils ne gouvernent pas grand-chose et que, dans le monde mondialisé qu’ils ont tant appelé de leurs vœux, ils ne nous protègent plus de rien. Sans doute parce que cette protection-là ne pouvait s’exercer qu’à l’intérieur des frontières dont ils ont approuvé ou encouragé la destruction. C’est ballot.

En somme, moins l’État est régalien, plus il est maternel. Moins il a d’autorité, plus il se montre autoritaire. Moins il peut faire, plus il nous dit quoi faire. Comme si, faute de pouvoir agir sur le monde, il lui fallait régir les moindres détails de nos existences. Les amateurs de complotisme concluront à la manœuvre de diversion : nos bons ministres se soucieraient de nos poumons et de nos assiettes pour faire oublier qu’ils sont impuissants face au chômage. Cette thèse a le mérite de faire de nous des victimes innocentes. L’ennui, c’est qu’elle passe à côté de la vérité. On ne comprend rien au règne de Big Mother si on oublie que nous l’avons voulu. On peut ironiser sur les vaccins de Roselyne Bachelot, ricaner de la prétention de nos dirigeants à nous protéger contre tous les risques, actuels ou futurs, avérés ou potentiels, répandus ou exceptionnels. Mais il suffit d’une canicule ou d’une épidémie mal anticipée pour que l’on exige bruyamment que des têtes tombent. Dès qu’un événement imprévu survient, il nous faut un coupable. Un volcan immobilise le ciel européen ? La faute à l’État qui n’a pas fourni aux voyageurs les informations qu’il n’avait pas. Des automobilistes sont piégés dans la neige ? L’État aurait dû saler les routes avant même qu’elle commence à tomber. On n’a pas encore vu de femme atteinte d’un cancer du sein porter plainte parce qu’elle n’avait pas été convoquée pour sa mammographie, ni d’obèse réclamer des dommages et intérêts parce que personne, dans son enfance, ne lui avait dit d’éviter de « manger trop gras et trop sucré » ; aucune victime d’incendie n’a intenté de procès parce que les détecteurs de fumée ne sont pas obligatoires – scandale qui sera réparé dès 2015, date à laquelle tous les logements devront être équipés. Mais cela ne saurait tarder. Il n’est pas surprenant, dans ces conditions, que la précaution, érigée en principe constitutionnel en 2003, soit devenue, pour nos malheureux gouvernants, une véritable religion. Nous voulons que l’État fasse notre bien, y compris contre nous-mêmes, sauf quand nous décidons que c’est notre bien, après tout, et qu’il faudrait « arrêter d’emmerder les Français », ainsi que le réclamait Pompidou en 1966. Et comme nous n’avons pas tous, heureusement, un proche mort dans un accident de voiture, mais que nous sommes tous terrorisés à l’idée de perdre des points sur notre permis de conduire, nous estimons massivement que les radars automatiques sont hautement liberticides.

En conséquence, si la santé – au sens large – est devenue un enjeu politique majeur, ce n’est pas parce que la France d’en haut a décidé « d’emmerder » celle d’en bas en la privant de tout ce qui rendait la vie un peu moins dure, voire un peu plus amusante – et sans doute un brin plus dangereuse ou au moins plus imprévisible. L’État s’est contenté de mettre en musique, c’est-à-dire en lois, décrets et circulaires, les nouvelles normes demandées, ou en tout cas validées, par nos « sociétés de bien-être », bien plus préoccupées de l’entretien des corps que de l’élévation des esprits.[access capability= »lire_inedits »]

On pensera qu’il faut vraiment avoir le goût de la contestation ou de la provocation pour déplorer que tout soit mis en œuvre pour nous faire échapper aux accidents, à la maladie et à la « mort dans d’atroces souffrances » promises aux fumeurs. Qu’on se rassure, il n’y a pas ici de partisan du cancer du poumon, d’ennemi des vaccins ou d’adepte du carambolage meurtrier. Que nous vivions plus vieux et en meilleure santé est une excellente nouvelle et les politiques de santé publique – qui, du reste, ne datent pas d’hier – y sont certainement pour quelque chose. Et puis, c’est une question de curseur, tant il est vrai que notre tolérance au risque et à la contrainte évolue. Personne ne prétend que la limitation drastique de l’alcool au volant soit une brimade insupportable – et celui qui s’obstine à conduire bourré sait qu’il transgresse la loi et le bon sens. Il en va de même pour la ceinture de sécurité : certains de mes amis nés dans les années 1940 tempêtent encore d’avoir à s’attacher à l’avant, les trentenaires se harnachent automatiquement dès qu’ils s’installent à l’arrière ; quant à moi, il ne me viendrait pas à l’idée de conduire sans la boucler (ma ceinture…), mais j’aurais l’impression de m’infantiliser en me sanglant sur le siège arrière. C’est qu’on a ses petites habitudes. Certaines, du reste, changent vite : il n’est pas certain que les fumeurs approuveraient massivement un retour au temps où ils pouvaient s’adonner à leur vice au bistrot ou au bureau. Hypothèse purement rhétorique, puisqu’il est désormais question de leur interdire la cigarette électronique, dont des données récentes paraissent, il est vrai, confirmer qu’elle n’est pas totalement inoffensive. Mais outre qu’il est presque impossible de se forger une idée claire à partir du maquis d’informations partielles et divergentes publiées sur ces questions, ce n’est pas tant à cause de sa dangerosité (réelle ou supposée) que cette ingénieuse invention est dans le collimateur du gouvernement et de l’expertocratie qui lui tient lieu de bras armé, mais parce qu’elle est moralement intolérable. Où irait-on si on pouvait fumer sans danger ? Pour la même raison, une partie du corps médical a résisté autant qu’elle a pu à l’utilisation du Baclofène dans le traitement de l’alcoolisme. C’est que cette molécule diabolique n’impose pas au malheureux buveur une abstinence totale, terriblement difficile à atteindre, mais lui permet au contraire une consommation raisonnable. Et boire un petit coup c’est agréable, comme dit la chanson. Un vrai scandale.

La multiplication des interdits et obligations destinés à nous maintenir « en forme » ne traduit donc pas seulement les progrès de la science et la louable volonté d’en faire bénéficier le plus grand nombre. Les préoccupations de santé cachent une pulsion moraliste qui évoque les ligues de vertu d’antan. Il ne s’agit plus de nous inciter à faire ce qui est bon pour nous, mais de définir pour nous ce qui est bien. Et à moins d’avoir la chance de préférer les carottes rapées au chocolat, le plaisir, la plupart du temps, c’est pas bien. Aussi doit-il se payer au prix fort. Nous sommes ainsi passés de la vigilance à la surveillance et de la compassion pour le malade au mépris, voire à l’hostilité, pour celui qui « se laisse aller ». Le fumeur, le buveur, le mangeur de choucroute et le réfractaire à toute activité sportive ne sont pas seulement des inconscients, mais des mauvais citoyens qui coûtent cher à la collectivité. Avant, peut-être, d’être condamnés demain comme délinquants ou éléments antisociaux. « Le tabac est un poids », clame une campagne récente. Le message, à peine subliminal, c’est que le fumeur est un poids. « Presque tous les plaisirs du pauvre sont punis de prison », notait Céline dans Voyage au bout de la nuit. En ira-t-il de même, demain, pour les plaisirs du faible, de l’insouciant, du flemmard et du poète ?

Il faut, pour finir, se pencher sur le paradoxe qui voit des sociétés hédonistes – d’aucuns diraient « avachies » – valoriser ainsi le dépassement de soi et la volonté. C’est qu’on ne rigole pas : rester en forme, c’est un sacré boulot. Nous hurlons à la mort dès qu’il est question de travailler quelques heures de plus chaque semaine ou quelques années de plus par vie. Nous trouvons que la lecture de Balzac est bien fatigante pour nos précieux rejetons et nous inquiétons sans cesse de leurs horaires et programmes surchargés. Bref, nous dénonçons sans relâche les cadences infernales, sauf quand il s’agit de pousser de la fonte ou de se torturer les abdominaux. Comme si la salle de gym était l’ultime refuge de l’effort sur soi, le dernier théâtre où se déploie la volonté d’individus gâtés et fatigués.

Heureusement, le Français est râleur. Il est assez rassurant qu’il défende sa liberté de se mettre en danger et s’insurge contre une intrusion souvent tatillonne ou grotesque, même si c’est lui qui l’a voulue. Qui n’a pas ses contradictions ? Ce qui est plus inquiétant, c’est que nul ne remette en cause la hiérarchie des valeurs qui est à l’œuvre derrière la montée en puissance de cet État surprotecteur. Il est tout de même curieux d’être si soucieux de l’épanouissement de nos corps et si indifférent à celui de nos esprits. Il est certainement bon de manger cinq fruits et légumes par jour, mais n’est-il pas aussi important, et peut-être bien plus, de lire un ou deux livres par semaine ? On imagine le tollé si l’État se mettait à vendre des cigarettes ou de la drogue. Mais qui proteste contre les programmes abêtissants diffusés par la télévision publique ? La possible suppression (baptisée « évolution ») de l’épreuve de culture générale au concours de l’ENA, annoncée durant l’été, n’a pas fait la moindre vague. Comme si cela n’avait pas d’importance que ceux qui, demain, seront en charge de faire fonctionner l’État, aient l’amour des belles choses et le goût de la réflexion. Le « bien-être » devenu l’horizon indépassable de notre temps, peut-il se résumer à avoir des esprits vides dans des corps sains ? Que nous tenions à rester en forme, fort bien mais, sauf à considérer que des jambes musclées et un ventre plat puissent constituer l’horizon d’une existence humaine, il faudra bien nous demander ce que nous voulons en faire, de cette forme conservée au prix de tant de souffrances et de privations. On me dira que l’un n’empêche pas l’autre et que ce n’est pas parce qu’on s’occupe de ses fesses qu’on se désintéresse de sa tête. Peut-être. Mais il faut bien avoir des priorités. À en juger par les nôtres, nous finirons par accepter qu’on nous dise « entre la santé et la vie, il faut choisir ! » Et il est peu probable que nous fassions le bon choix. [/access]

 

*Photo: pasukaru76

Guerre en Syrie : ce sera sans Djokovic

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Alors que les yeux du monde entier sont fixés vers le Congrès américain où se décidera  (pour de vrai) le sort de la Syrie, alors que les géopoliticiens fiévreux et les intellectuels indignés se donnent leurs avis sur les plateaux télés, le verdict que personne n’attendait est arrivé : Novak Djokovic s’est prononcé « contre tout bombardement ».

Rassurez-vous, le pacifisme de Djoko n’est pas à chercher dans un vulgaire humanisme peace and love à la Yannick Noah (autre tennisman engagé), mais dans un traumatisme d’enfant : le Serbe se souvient des bombardements de sa ville de Belgrade en 1999 alors qu’il n’avait que 12 ans. Une expérience dont il a déduit que « la guerre est la pire des choses pour l’humanité », et où, contrairement à une finale de Roland-Garros « personne ne sort vraiment gagnant ».

C’est lors de sa conf’ de presse de l’US Open que le n°1 mondial s’est rangé aux côtés des bombardosceptiques: « Je suis complètement contre toute sorte d’armes, toute sorte de frappes aériennes ou d’attaques de missiles. Je suis complètement contre tout ce qui est destructeur parce que j’en ai eu l’expérience, je sais que cela n’apporte rien de bon à personne. »

On peut penser ce qu’on veut de cette déclaration, mais, sur iTélé, elle a valu à Djoko les sarcasmes de Bruce Toussaint qui, lui, s’y connaît…

Causeur n°5 fait sa cure de rentrée

Lire régulièrement Causeur diminue les risques d’infarctus du myocarde, immunise contre le cancer colorectal et apporte à peu près autant de vitamines qu’un jus de fruits frais. Voilà le pitch publicitaire qu’il nous faudrait adopter pour coller à la thématique de ce numéro de septembre, disponible aujourd’hui à la vente en kiosques et sur notre boutique en ligne. « Des esprits vides dans des corps sains ? » annonce sans détours notre Une bodybuildée. Vous l’avez compris, ce mois-ci, l’hygiénisme est dans notre viseur !
Dans sa démonstration introductive, Elisabeth Lévy déplore le rabaissement de l’État en Big Mother, poussé par les demandes de ses citoyens comme par sa propre érosion. « Moins l’Etat est régalien, plus il est maternel » résume notre rédactrice en chef, qui pointe les grands schizophrènes que nous sommes. Au quotidien, nous pestons contre les radars automatiques mais fuyons le risque à grandes enjambées, comme si un gramme de viande de cheval pouvait nous achever. Notre chère directrice démêle le bon grain de l’ivraie, n’enterrant pas les politiques de santé publique au nom de nos libertés individuelles. L’ennemi n’est pas le vaccin mais le paternalisme infantilisant qui le sous-tend : haro sur le gros, le fumeur, le buveur de rouge, tous ces « mauvais citoyens qui coûtent cher à la collectivité » !  Eugénie Bastié dresse un inventaire à la Prévert de toutes les ingérences de l’État dans nos petites affaires de santé. Quant aux amateurs de clope, papier ou électronique, comme Philippe Raynaud, ils devront tôt ou tard renoncer à leur vice, comme le leur intime chaque jour notre État si bienveillant. « Et on tuera tous les fumeurs » aurait dit Vian !
Mais plus grave que de nous inciter à manger 5 fruits et légumes par jour, à bouder le tabac et à « boire avec modération », l’État et ses citoyens se révèlent « bien plus préoccupés de l’entretien des corps que de l’élévation des esprits », ainsi que le note Elisabeth Lévy. Charge à chacun de préférer le culturisme à la culture sans se faire rancir l’encéphale.

Et cela commence dès le berceau. Pour les Tartuffe du risque zéro, laisser gambader son marmot en dehors de la poussette est un crime de lèse-principe de précaution, mais les faire végéter dès potron-minet devant un écran de télévision, ou les habiller en Lolita de huit ans relève de nos libertés chéries. Face à ces « bourreaux d’enfance », Charlotte Liebert-Hellman nous démontre par a plus b que notre société marche sur la tête !
Qu’en disent les experts ? Pour Claude Le Pen, président du Collège des économistes de la santé interrogé par Elisabeth Lévy et Gil Mihaely, toutes les entorses à nos libertés mises en place par l’État maternel répondent à une demande des patients, pardon des citoyens : en courant sus au risque, on injecte de la morale – mais pas toujours de l’efficacité – dans nos politiques publiques. Et les administrés en redemandent… Rien de nouveau sous le soleil, rétorque François Ewald, ancien assistant de Michel Foucault. Pour ce spécialiste de l’Etat-Providence,  dès la monarchie, le pouvoir politique cherchait à réguler les existences, seul le poids des lobbies insuffle un vent mauvais de nouveauté dans ce rouage bien huilé.

Un petit bémol dans ce grand concerto anti-hygiéniste : le député socialiste Jérôme Guedj bondit contre un certain libéralisme qui fait la part belle aux « aventuriers » et voudrait démanteler la sécurité sociale au profit des assurances privées. Après tout, l’interdiction du travail des enfants est aussi une atteinte (heureuse) à la liberté !

La liberté, pour quoi faire ?  Il n’y a pas que Bernanos pour poser cette question qui dérange. Au pays des officiers libres et de Moubarak, le débat sur la démocratie et l’islamisme fait rage, a fortiori depuis le coup d’État du général Al-Sissi. Un haut gradé presqu’aussi islamiste que les Frères Musulmans qu’il réprime férocement, nous dit Gil Mihaely. N’eût été l’incompétence crasse du président déchu Morsi, Al-Sissi aurait adhéré à sa vision du monde toute de vert brodée ! Tout en reconnaissant les erreurs tactiques de Morsi, le spécialiste des mouvements islamistes François Burgat rappelle à l’armée égyptienne ses responsabilités. Al-Sissi serait un dictateur sanguinaire, bourreau des libertés, ayant muselé les médias après avoir tenu la bride aux Frères Musulmans démocratiquement élus. Même à plusieurs milliers de kilomètres du Caire, il promet d’y avoir de la polémique…

Pendant ce temps, dans la petite république des lettres qui s’étend du Flore à Drouant, auteurs et critiques piaffent d’impatience en attendant le verdict du public. À contre-courant, Causeur a rencontré la tête de turc des critiques littéraires, Gérard de Villiers, père du sulfureux SAS. Cet auteur prolixe a vendu des millions de polars, mêlant érotisme et géostratégie, sans jamais avoir bénéficié du secours de ses pairs. Écrivain, lui ? Il s’en moque, et préfère plancher sur les méandres des relations américano-russes… Pierre Jourde observe cette « situation étrange où critique et littérature semblent mener des existences séparées ».  À lire son billet enlevé, on voit que l’ancien comparse d’Eric Naulleau n’a rien perdu de sa hargne contre les impostures (si peu) littéraires. Ce n’est pas Frédéric Rouvillois, auteur d’une histoire des best-sellers remarquée, qui le démentira : Stendhal a gagné une postérité posthume après avoir accumulé les bides, tandis que l’histoire n’a retenu de Barbara Cartland que ses teintures et ses caniches roses…
En plus de vos rendez-vous habituels, vous trouverez une nouvelle chronique sur un chemin pavé de ronces : « l’ours bipolaire » Cyril Bennasar nous livre sa prophétie sur la France des prochaines décennies, en confessant au passage toute son admiration pour Jean-Jacques Goldman, sans crainte de soudain devenir consensuel…

Last but not least, pour rester dans un registre mordant en diable, Philippe Muray vous offre un cadeau inédit, un portrait à la nitroglycérine de son ancien ami Philippe Sollers, qui se rêvait naguère en « dernier écrivain ».  Acide sans aigreur, un vrai régal !

ewald guedj villiers

   

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L’obsession iranienne de la diplomatie française

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iran fabius hollande

Si l’on écarte la mauvaise foi des anti-hollandistes primaires, force est d’admettre que l’hypothèse d’une intervention en Syrie n’est pas uniquement fondée sur un discours moral et justicier. Quand bien même cette option s’appuierait sur l’émoi médiatique – ce qui n’est pas évident, l’opinion française étant partagée –, rappelons qu’en démocratie, l’émotion fait partie du jeu diplomatique. Les analyses les plus réalistes ne s’y trompent pas en l’intégrant dans le calcul coût de l’intervention/ bénéfice stratégique de leurs études prospectives. Ainsi rationalisée, l’émotion peut être utilisée à bon escient. Mais la future « intervention en Syrie » (une guerre qui ne dit pas son nom) a aussi des raisons stratégiques évidentes, que la compassion médiatique obscurcit.

Ici, l’exécutif joue sa crédibilité. Sans passage à l’acte, le discours politico-militaire risque de perdre de sa force, au cas où les menaces sur la fameuse ligne rouge à ne pas dépasser restaient lettre morte. De surcroît, le bombardement de cibles militaires syriennes, atteindrait par ricochet son fournisseur russe et ses alliés iraniens et hezbollahi. Il serait un signal évident pour le programme nucléaire iranien. Lequel, s’il devait déboucher, ne manquerait pas de pousser ses voisins à s’équiper de la bombe. La prolifération d’armes de destruction massive rendrait la région encore plus explosive, le mécanisme de la dissuasion ne faisant pas forcément effet dans un contexte religieux et clanique compliqué. Voilà la logique des diplomaties française et américaine.

Au fond, François Hollande et Barack Obama se ressemblent. Ce sont deux hommes intelligents, deux hommes de synthèse, assez pragmatiques et peu idéologues. Ils préfèrent le consensus et les compromis politiques à la guerre, autant par tempérament que par conviction. C’est pourquoi le bombardement en Syrie sera probablement plus cosmétique que destructeur si toutefois le Congrès américain veut bien y donner son aval. Rien à voir avec Belgrade en 1999 ou Bagdad en 2003. Mais tant du côté d’Obama que d’Hollande,  un certain penchant à réconcilier sans arrêt les contraires peut apparaître in fine comme de l’hésitation.

Cela n’empêche pas les deux dirigeants de commettre de lourdes erreurs stratégiques. On peut discuter de la pertinence d’une stratégie qui consiste à s’appuyer sur les monarchies d’obédience wahhabite de la péninsule arabique contre l’Iran chiite. Ce choix laisse pantois, notamment à Bahreïn où l’Occident a observé les blindés saoudiens écraser la révolte sans s’indigner outre mesure.

Plus globalement, le soutien aux monarchies sunnites est peut-être guidé par des considérations pétrolières et militaro-industrielles. Pourtant,  les ressources ne manquent pas de l’autre côté du Golfe…  La politiquement de l’apaisement avec Israël qu’ont adopté les Seoud a sans doute joué, de même que les provocations et imprécations de l’ancien président Ahmadinejad à Téhéran.

Comble du paradoxe, les partisans de l’alliance avec le camp sunnite n’ont que le mot démocratie à la bouche ! Alors même que la démocratie en Iran, certes fragile et faussée par une théocratie prégnante,  reste bien plus développée qu’à Riyad ou Doha. Et une éventuelle opération militaire en Syrie enverrait un mauvais signal au camp modéré iranien, lequel cherche des appuis pour enfin séparer le trône de l’autel.

Plus grave, dans cette affaire, la France risque de perdre tout crédit auprès des minorités religieuses. Depuis François Ier, la tradition levantine veut que Paris en soit la gardienne. Alors que la présence chrétienne, druze ou alaouite était jusqu’ici un gage de pluralisme au Levant, ces minorités sont aujourd’hui à la merci du jihadisme sunnite qui les menace d’une épuration religieuse. La France ayant abandonné sa mission protectrice, ces communautés se tournent tout naturellement vers la Russie et l’Iran.

Enfin, en bravant le probable veto du conseil de sécurité, la France scie la branche sur laquelle elle est assise. Du fait de l’histoire, elle s’est retrouvé miraculeusement à la table des cinq grands en 1945. En contournant l’ONU, elle délégitimerait ce subtil mécanisme garant de l’équilibre des forces et affaiblirait encore un peu plus sa position pour la suite…

*Photo : François Hollande.

Pour la peau d’un prof

Mardi matin, la presse entière bruit de la rumeur de la rentrée. Sur BFM.TV, sourires heureux ou légèrement anxieux de bambins sur le chemin de l’école — et, en dessous, en tout petit, dans le flot des nouvelles tombées sur les téléscripteurs, l’annonce du suicide d’un prof de technologie (STI2D, comme on dit dans le jargon de l’Education Nationale) qui a préféré en finir plutôt que de participer encore une fois de plus, une année de plus, à cette grande mascarade qu’est devenue l’Ecole de la République. Il n’y aura pas de pré-rentrée pour lui.

Avant de mettre fin à ses jours, Pierre Jacque s’est fendu d’une longue lettre à ses camarades du SNES, expliquant les raisons pédagogiques de son geste. Et je préfère ne pas penser à l’angoisse des collègues qui ont reçu ce mail et se sont précipités — trop tard :  je les salue, tout SNES qu’ils soient, parce qu’ils ont exemplairement réagi en mettant en ligne ce courrier désespéré et désespérant[1. La lettre a été publiée sur le site du SNES-Marseille : http://www.aix.snes.edu/IMG/pdf/hommage_a_pierre_jacque.pdf].
Le voici — je le commenterai plus bas.

« Le 1 septembre 2013

De Pierre JACQUE
Enseignant d’électronique

Objet : Evolution du métier d’enseignant.

A ma famille, à mes proches
et à tous ceux que mon témoignage intéressera.

Je vous fais part de ma décision de ne pas faire la rentrée scolaire 2013. En effet le métier tel qu’il est devenu au moins dans ma spécialité ne m’est plus acceptable en conscience.

Pour éclairer ma décision je vous décris succinctement mon parcours personnel. Je suis devenu ingénieur en électronique en 1982 à l’âge de 24 ans. Ma formation initiale et surtout mon parcours professionnel m’ont amené à exercer dans la double compétence « hard » et « soft ». Le métier prenant et difficile m’a toujours convenu tant que j’avais le sentiment de faire œuvre utile et d’être légitime dans mon travail. Passé la quarantaine la sollicitation de plus en plus pressente d’évoluer vers des tâches d’encadrement et le sort réservé à mes ainés dans mon entreprise m’ont incité à changé d’activité. En 1999 j’ai passé le concours du capet externe de génie électrique et j’ai enseigné en section SSI et STI électronique. Le choc pour moi fut brutal de constater la baisse de niveau des sections techniques en 18 ans passé dans l’industrie notamment pour la spécialité agent technique (niveau BTS ou DUT suivant les cas). Même si le niveau enseigné était bien bas de mon point de vue, ma compétence était au service des élèves et je me sentais à ma place. Une difficulté était quand même le référentiel applicable (le programme) datant des années 80, ambitieux pour l’époque et en total décalage avec le niveau réel des élèves des années 2000. Une réforme semblait souhaitable pour officialiser des objectifs réalistes et orientés en fonction des besoins du marché du travail.

Puis vint la réforme de 2010 mise en place par Luc Chatel et applicable à la rentrée 2011. Pour le coup, le terme réforme est faible pour décrire tous les changements mis en place dans une précipitation totale. L’enseignement des métiers est réduit à peu de choses dans le référentiel de 4 spécialités seulement qui constitue des « teintures » sur un tronc commun généraliste d’une section unique appelée STI2D qui rentre bizarrement en concurrence avec la section SSI. L’électronique disparait purement et simplement. En lieu et place il apparait la spécialité « Systèmes Informatiques et Numériques ». Cela ne me pose pas de problème personnel, je maitrise bien le domaine et je l’enseigne même plus volontiers que les classiques problèmes de courant de diode ou de montages amplificateurs. Je me pose quand même la question de la compétitivité de notre pays dans le domaine industriel avec un pareil abandon de compétence. La mise en place de la réforme est faite à la hussarde dans un état d’affolement que l’inspection a du mal à dissimuler. Entre temps le gouvernement a changé sans que les objectifs soient infléchis le moins du monde ou qu’un moratoire soit décidé, ne serait-ce qu’à cause du coût astronomique de cette réforme. En effet il aura fallu réorganiser l’implantation de tous les ateliers de tous les lycées techniques de France, abattre des cloisons, en remonter d’autres à coté, refaire tous les faux plafonds, les peintures et renouveler les mobiliers. Ceci est fait à l’échelle du pays sans que la réforme ait été testée préalablement dans une académie pilote. Début 2011, l’inspection nous convoque en séminaire pour nous expliquer le sens et les modalités de la réforme ; il apparait la volonté de supprimer toute activité de type cours ce qui est la radicalisation d’une tendance déjà bien marquée. On nous assène en insistant bien que l’élève est acteur de son propre savoir, qu’il en est le moteur. Pour les spécialités, donc la mienne SIN entre autre, cela signifie qu’une partie conséquente de l’activité sera de type projet. A l’époque les chiffres restent vagues, il est question de 50% du temps au moins. La nature des projets, la façon de les conduire, la façon de les évaluer ne sont pas évoquées et les questions que posent les enseignants à ce sujet restent sans réponses, nous serons mis au courant après la rentrée de septembre. En attendant l’inspection nous fait entièrement confiance pour continuer comme d’habitude. Je fais remarquer qu’il ne faudra pas tarder car nous préparons les élèves au bac en deux ans et que la connaissance des modalités d’examens est incontournable rapidement après la rentrée pour un travail efficace, c’est-à-dire sans perte de temps. Lors de la réunion suivante, après la rentrée 2011, l’inspecteur répond un peu agacé à la même question « que notre travail c’est d’enseigner et que l’évaluation verra après » (sic). En attendant le travail devant élève est commencé et moi et mes collègues travaillons à l’estime. Le manque de matériel se fait cruellement sentir dans mon lycée, les travaux nécessaires ne seront faits qu’à l’été 2012. Lors d’une réunion aux alentours de février il nous est demandé pour la prochaine réunion d’exposer l’état d’avancement de la réforme et si possible les projets envisagés ou mieux déjà mis en œuvre. A ce moment je viens juste de recevoir un premier lot de matériel et je ne dispose du logiciel correspondant que depuis novembre. La pression amicale mais réelle pour commencer les projets va aller augmentant.
J’ai un groupe de 16 élèves et un autre de 15 dans une salle qui est déjà trop étroite pour recevoir proprement 14 élèves en travaux pratiques et avec un matériel réduit qui ne me permets qu’un choix très restreint de sujets. La phase passée en projet sera cauchemardesque pour l’enseignant et la fraction d’élèves sérieux. Le dernier mois de cette année de première sera passé en activités plus classiques. A la rentrée 2012 les élèves sont maintenant en terminale, j’ai les tables de travail prévues dans une salle provisoire de 80 m2 au lieu des 140 m2 prévus. Il est difficile de bouger, le travail en travaux pratiques reste possible et je couvre ainsi la partie communication réseau de référentiel au moyen d’un logiciel de simulation. Je ne dispose pas du matériel support. On me bricole une salle de 150 m2 à partir de deux salles de cours séparées par un couloir et j’attaque les projets dans ces conditions. Le couloir sera abattu aux vacances de février.
Pendant ce temps nous avons appris que la note du bac porterait uniquement sur le projet final est que la note serait constituée de deux parties égales, une attribuée par un jury en fin d’année suite à une soutenance orale avec support informatique, l’autre attribuée par l’enseignant de l’année au vu du travail fourni par les élèves. Les critères d’évaluation portent principalement sur la gestion de projet et la démarche de développement durable. Il est explicitement exclu de juger les élèves sur les performances et la réussite du projet. Ceci appelle deux remarques. La première est que les critères sont inadaptés, les élèves sont incapables de concevoir et même de gérer un projet par eux-mêmes. De plus la démarche de développement durable est une plaisanterie en spécialité SIN où l’obsolescence programmée est la règle. Comment note-t-on alors les élèves ? A l’estime, en fonction de critères autres, l’inspection le sait mais ne veut surtout pas que la chose soit dite. Du coup cette note relève « du grand n’importe quoi » et ne respecte aucune règle d’équité. Elle est attribuée par un enseignant seul qui connait ces élèves depuis au moins un an et compte coefficient 6 ce qui écrase les autres matières. Cela viole l’esprit du baccalauréat dans les grandes largeurs.

Je considère que ceci est une infamie et je me refuse à recommencer. L’ensemble du corps inspectoral est criminel ou lâche ou les deux d’avoir laissé faire une chose pareille. Cette mécanique est conçue dans une idée de concurrence entre les enseignants mais aussi entre les établissements pour créer une dynamique de très bonnes notes à l’examen y compris et surtout si elles n’ont aucun sens. Vous avez l’explication des excellents résultats du cru 2013 du baccalauréat au moins pour la filière technologique. Cela fait plus d’un an que je me plains à mon syndicat de cet état de fait. Pas un seul compte-rendu ni localement sur Marseille ni à un plus haut niveau n’en fait mention. Je suis tout seul à avoir des problèmes de conscience. Ou alors le syndicat est activement complice de l’état de fait, le responsable local me dis : « mais non Pierre tu n’es pas tout seul ». En attendant je ne vois aucune réaction et ce chez aucun syndicat. Que penser ? Soit nous sommes muselés, soit je suis le dernier idiot dans son coin.

De toute façon je n’accepte pas cette situation. Je pense au niveau toujours plus problématique des élèves, autrefois on savait parler et écrire un français très convenable après 5 ans d’étude primaire. Aujourd’hui les élèves bachelier maitrisent mal la langue, ne savent plus estimer des chiffres après 12 ans d’études. Cherchez l’erreur. La réponse de l’institution est : « oui mais les élèves savent faire d’autres choses ». Je suis bien placé dans ma spécialité pour savoir que cela n’est pas vrai ! Les élèves ne maitrisent rien ou presque des techniques numériques d’aujourd’hui. Tout ce qu’ils savent faire est jouer et surfer sur internet. Cela ne fait pas un compétence professionnelle. Les médias nous rabattent les oreilles sur la perte de compétitivité du pays en laissant entendre que le coût du travail est trop élevé. Cette présentation pèche par une omission grave. La réalité est que le travail en France est trop cher pour ce que les travailleurs sont capables de faire véritablement. Et là la responsabilité de l’éducation nationale est écrasante. Qui osera le dire ? J’essaye mais je me sens bien petit. J’essaye de créer un maximum d’émoi sur la question. J’aurais pu m’immoler par le feu au milieu de la cour le jour de la rentrée des élèves[2. Allusion au geste tout aussi désespéré de Lise Bonnafous, qui s’est immolée par le feu dans la cour de son établissement à Béziers en octobre 2011 : http://www.liberation.fr/societe/01012366684-a-beziers-un-lycee-toujours-a-vif], cela aurait eu plus d’allure mais je ne suis pas assez vertueux pour cela. Quand vous lirez ce texte je serai déjà mort.

Pierre Jacque
enseignant du lycée Antonin Artaud
à Marseille »

Pour bien comprendre ce qui a pu désespérer un prof consciencieux, aimé de tous (plusieurs tweets envoyés par certains de ses anciens élèves en témoignent), j’ai demandé à « Zorglub », un fidèle de Bonnetdane, et ex-prof du technique recyclé depuis deux ans en prof de maths, ce qui s’est passé dans cette profession. Je recopie tel quel son témoignage.

«Ce qui se passe en STI2D est une honte absolue, on y enseigne du vent (ce qui peut être utile pour faire tourner les éoliennes).
Les profs de STI étaient autrefois fortement spécialisés (génie civil, productique, construction, électrotechnique, électronique, physique appliquée, etc.). Chacun avec une licence et maîtrise très spécifique et des CAPET ou agreg différents.
Ils sont désormais omniscients et enseignent (voui, mais sous forme de projet …) tout ce qui est en rapport avec le monde technique sans distinction.
Comme si ça se pouvait !
Un peu pareil qu’un prof d’anglais qui devrait enseigner l’espagnol (ben quoi c’est aussi une langue étrangère non ?).
Les élèves de ces filières n’étaient en général pas d’un niveau éblouissant (euphémisme) en enseignement général, mais finissaient par acquérir quelques savoir faire techniques et un vague bagage technologique.
Aujourd’hui on ne leur « apprend » plus rien et il passent deux ans à « découvrir en autonomie et sur des projets pluridisciplinaires en groupe » les hypothétiques relations entre écologie et industrie à travers les projets de développement durable (de lapin), l’analyse du cycle de vie, les cartes mentales de conscientisation de l’impact environnemental et autre fariboles.
Plus de cours, puisqu’ils « s’autoforment » à partir de documents ressources académiques ou du web au fur à mesure du besoin, chacun à son rythme, relativement à ses centres d’intérêt et en suivant les nécessités rencontrées dans son projet ! Les plus fous des pédagogistes associés aux plus intégristes des alter-mondialistes ont pris le pouvoir sur cette branche de l’enseignement.
Besoin que je détaille les résultats ?
C’est tellement violent que lors du bac il a été interdit aux profs de mettre des notes dans l’épreuve phare …
Ils étaient seulement autorisés à transmettre un document avec des cases cochées à l’IPR qui a transcrit « ça » en notes (genre 13 ou 14 de moyenne académique qui reste encore secrète chez-nous) sans que les profs puissent savoir comment !
De l’avis général, répondre vaguement à 15 % ou 20 % des questions était largement suffisant pour obtenir la moyenne. Moi non plus je n’aurais pas supporté cette mascarade. Dans mon ancien bahut ce sont les collègues les plus nuls techniquement qui ont pris les choses en main, les autres ayant refusé de se les salir à couper la branche sur laquelle ils étaient assis.
Bien entendu ils seront promus au grand choix et les autres voient disparaître avec dépit la filière STI qui fut celle de la réussite des gosses modestement intelligents, modestement ambitieux, issus de milieux modestes financièrement et culturellement à qui on donnait une vraie chance d’avoir un boulot de technicien après le BTS qui faisait normalement suite.
Perso j’y étais très attaché et fier de voir des gosses finir par s’en sortir alors que tout les prédisposait à l’échec.
Après STI2D, les élèves, qui sont lucides sur leurs aptitudes, ne demandent même plus à entrer en BTS et rentrent en fac de psycho, LEA ou autres conneries puisqu’ils savent bien qu’ils ne peuvent pas espérer rattraper le niveau … bac pro (en aucun cas pour la pratique mais guère plus sur les aspects techniques et technologiques) !
C’est aussi un désastre économique qui s’annonce. La majorité des élèves de bac pro ont de réelles compétences pratiques mais rares sont ceux qui peuvent espérer acquérir en BTS des compétences théoriques suffisantes pour devenir réellement techniciens supérieurs et non pas seulement ouvrier qualifiés.
Je me demande ouske les patrons vont les trouver dans quelques années, peut-être dans les « petites » écoles d’ingé ??? Cette réforme est une honte et un désastre, pour les mômes, pour les collègues et pour le pays. Je survis pour avoir su fuir à temps ! »

Ultimes précisions.
Cette réforme est intervenue pour faire des économies — et pour ce faire, elle s’est appuyée (idéologie Chatel) sur les lubies des plus dégénérés des pédagogistes (idéologie Meirieu / Dubet). Ou, si l’on préfère, le démantèlement de l’Ecole de la République s’appuie à la fois sur les concordances européennes (nous étions les seuls en Europe à avoir une voie technologique, les autres pays ont une voie générale et une voie professionnelle — grâce à l’intégration des systèmes d’enseignement européen voulue par la convention de Lisbonne en 2002, nous rentrons dans le rang), la volonté libérale de destruction de toutes les institutions d’Etat, et les folies libertaires de tous ceux qui ont cru — sincèrement parfois — que l’élève construit lui-même ses propres savoirs — ce que Pierre Jacque souligne sauvagement.

Un récent rapport de la Cour des Comptes (mais de qui je me mêle !) préconise d’en finir avec l’aspect « disciplinaire » de l’Education, et de rendre tous les enseignants multi-spécialistes. Et pourquoi ne pas exiger qu’ils soient aussi doués d’ubiquité ?

Quant au fait que dans STI2D, les « 2D » signifient « développement durable », je ne le commenterai même pas. C’est comme si tout était dit : vous ajoutez « développement durable » à n’importe quel paquet de merde, et vous en avez fait un produit commercialisable. Mille merci à Sylvie Brunel qui a inventé le terme !
Le ministère se refuse depuis des années à publier des statistiques réelles sur les dépressions en milieu enseignant. Tous ceux qui se sont penchés sur la question savent que cette profession qui est, paraît-il, peuplée de feignasses trop payées et surchargées de vacances paie aux lubies des technocrates déments et des pédagogues fous un tribut monstrueux. Un sondage tout récent nous apprend que les Français sont de moins en moins satisfaits de leur école. Eh bien, qu’ils le sachent : les profs non plus n’en sont pas heureux — ils n’y sont pas heureux, et même, parfois, ils en meurent.

*Photo: Aurélien Salomé

Elections allemandes : Le collier de la reine Angela

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L’unique débat télévisé au sommet de la campagne électorale allemande a mis aux prises, dimanche soir, la chancelière Angela Merkel et son challenger social démocrate Peer Steinbrück. Les familiers du débat politique d’outre-Rhin savent bien que rien n’est plus ennuyeux que ce genre d’exercice, où les protagonistes ânonnent leur programme, sans jamais s’interrompre ni tenter de déstabiliser leur adversaire par une petite phrase assassine. Le résultat des sondages réalisés à l’issue de ce débat sont conformes aux prévisions : moitié-moitié. À 1% près dans un sens ou dans un autre, les avis se sont partagés sur le vainqueur de cette poussive joute verbale.

Mais Angela Merkel sort victorieuse par KO grâce à une astuce visuelle qui devrait rester dans les annales de la communication politique. Elle est apparue sur le plateau vêtue d’un strict tailleur gris anthracite, mais l’œil du téléspectateur était attiré par son kitschissime collier aux couleurs du drapeau de la République fédérale : noir, rouge, or. Ce n’était ni du Cartier, ni du Tiffany, mais un banal collier comme on peut en trouver dans les boutiques fournissant des gadgets aux supporters de la Mannschaft, l’équipe nationale de football. Résultat, on a oublié les controverses sur le SMIC ou le soutien à la Grèce pour se focaliser sur l’affaire du collier de la reine. Du grand art.

Jérôme Guedj, cible d’un corbeau antisémite

jerome guedj

Jérôme Guedj, député PS et président du Conseil général de l’Essonne, a fait le buzz de cette prérentrée politique en twittant le fac-similé d’un courrier antisémite à lui adressé :

tweet guedj antisemitisme

Ce tweet a immédiatement fait le tour des rédactions en ligne des grands médias, à l’affût de toute nouvelle naissance issue du ventre encore fécond de la bête immonde.

On notera la naïve délicatesse de la missive anonyme écrite au feutre en quatre couleurs (rouge, vert, bleu et noir), agrémentée de petits dessins, dont un drapeau israélien prolongeant la dernière barre d’un « H » terminal improprement ajouté au mot « Knesset », dénomination officielle du parlement monocaméral de l’Etat d’Israël.

Par son contenu, cette lettre peut être classée dans la catégorie des poulets antisémites « soft », car elle ne vise qu’à inciter son récipiendaire à changer de crémerie, pour aller exercer ses talents dans l’hémicycle de la Knesset. Un sort nettement plus enviable sur le plan de la qualité de la vie que le regret, souvent formulé par les corbeaux antisémites « hard », que le projet hitlérien n’ai pas été mené à son terme en ce qui vous concerne. Commentaire de Guedj : « #PasCoolLaRentrée », ce qui en tweetolangue « djeune » révèle une forte émotion doublée d’une colère froide du député agressé.

Et pourtant, à quarante-et-un ans, dont une vingtaine consacrée à la vie politique active, Jérôme Guedj ne se souvient que de trois attaques à caractère plus ou moins antisémite dont il aurait été victime dans le cadre de sa vie publique. Il faut préciser que ce brillant sujet, issu d’un milieu modeste de juifs pieds-noirs (il est né à Pantin, c’est dire !) a effectué un parcours républicain exemplaire. Issu du collège Diderot, d’Aubervilliers dans le 9-3, il intègre Sciences-Po Paris, puis l’ENA, bien avant que les mesures de discrimination positive instaurées par feu Richard Descoings ne favorisent l’entrée des jeunes des cités dans les temples de l’élitisme. De son judaïsme, Guedj s’est bien gardé de faire un étendard, ni dans le registre de la victimologie, ni dans celui de la « jewish pride » : on chercherait en vain, dans ses interventions publiques ou ses écrits, des propos pouvant être influencés ou même mis en relation avec ses origines. Certes, il est entré en politique par le canal de SOS-Racisme à l’époque où Julien Dray en était le patron, comme Harlem Désir ou Malek Boutih, mais la dénonciation systématique de l’antisémitisme n’a jamais été sa tasse de thé. Pas plus que la défense, au sein du PS, de positions moins défavorables à Israël que celles de la direction du Parti, telles qu’elles s’expriment, par exemple au sein du Cercle Léon Blum dont il ne fut jamais membre, à la différence de Julien Dray, DSK ou Pierre Moscovici. Si cela n’était devenu un gros mot dans le vocabulaire de la gauche d’aujourd’hui, on pourrait donc le créditer d’un parcours d’assimilation réussi, dont les racines plongent jusqu’au décret Crémieux faisant de ses ancêtres juifs d’Algérie des citoyens français à part entière.

C’est peut-être ce qui provoque son étonnement désolé lors de la réception du misérable billet dont il nous a donné connaissance : « me faire ça, à moi, qui ne suis ni religieux ni sioniste militant, c’est trop inzuste ! » se lamente notre Caliméro du Palais-Bourbon.

Qu’il me permette de lui faire amicalement part de mon expérience en la matière, celle d’un homme qui a l’âge de ses parents, et occupé une position publique, certes moins prestigieuse que la sienne, mais tout de même de nature à vous exposer à l’activité de ce genre de correspondants importuns.

Pendant toutes les années où j’ai exercé des fonctions dans la presse nationale, à Libération, puis au Monde, je n’ai abordé qu’exceptionnellement des sujets réputés sensibles pour quelqu’un portant un patronyme indubitablement juif : un dossier en 1979 dans Libération , sur la diffusion sur Antenne 2, du feuilleton Holocauste, et un reportage en Israël pour ce même journal lors de l’arrivée des Falashas en 1983, et c’est à peu près tout. Au  Monde , je me suis bien gardé de me mêler de ces sujets, non que je n’eusse pas envie de m’y consacrer, car les questions du Proche-Orient me fascinaient, mais en raison d’un tout bête scrupule déontologique. Mon approche du conflit israélo-arabe était, de mon point de vue de l’époque, plus passionnelle que rationnelle, et en conséquence, je ne m’estimais pas autorisé à utiliser un grand organe de presse comme vecteur clandestin d’opinions personnelles. Un attitude confinant d’ailleurs au masochisme, car je pouvais observer, que dans un bureau voisin du service international, un gang de Levantins responsables de la rubrique Proche et Moyen-Orient, composé d’un juif antisioniste, d’un Arménien et d’un Grec arabolâtres, tous trois originaires d’Egypte menait sans vergogne une campagne résolument hostile à l’État juif, non exempte de manipulations ni de crapuleries journalistiques, sans que la direction du journal ne s’en émeuve…[1. Il faut préciser, par souci de justice qu’à partir du milieu des années 80, Jacques Amalric, chef du service étranger, s’efforça de corriger ces biais. Après son départ, en 1992, le «  quotidien de référence » reprit son antienne anti-israélienne en l’adaptant au goût du jour.]

Or, c’est durant cette période que j’ai reçu le plus abondant courrier à caractère antisémite de mon existence : plus d’une cinquantaine de lettres de tout acabit, de la haine antijuive maurrassienne écrite d’une main tremblée de vieillard aux diatribes post soixante-huitardes maquillant l’antisémitisme sous des oripeaux antisionistes. J’ai conservé ces lettres, et met ce corpus à la disposition d’éventuels chercheurs travaillant sur l’antisémitisme en France dans le dernier quart du siècle dernier. J’en ai conclu que l’irritation de mes correspondants résultait non pas de prises de positions concernant la situation des juifs en France ou ailleurs dans le monde, Israël compris. Ils m’en voulaient beaucoup plus de mon culot de petit juif, venu  d’on ne sait où, de faire preuve d’expertise sur des sujets  comme la politique allemande, l’Union européenne, l’OTAN…

La preuve : lorsque, touché par l’âge de la retraite, je me  suis libéré de ce devoir de réserve auto-imposé, et écrivait plusieurs livres plutôt engagés en faveur des juifs et d’Israël, j’ai été négligé par les corbeaux habituels. On m’attaquait, certes, mais à cause des idées exposées, et non pas es qualités. J’ai même l’impression d’avoir inspiré quelque crainte, comme si ces paranoïaques supposaient que je puisse bénéficier d’une protection rapprochée de Tsahal ou du Mossad !

Alors, cher Jérôme Guedj, si ces courriers te chagrinent, un seul remède : vas-y carrément dans la juiverie triomphante (demande conseil à ton nouveau collègue Meyer Habib, il est très bon dans le genre). Envoie, si ce n’est déjà fait, des cartes de vœux de Rosh Hashana à tous les yids ahskénazes et sépharades de votre circo (dépêche-toi, c’est le 4 septembre !). Prends, l’an prochain tes vacances à Netanya, en tweetant tous les jours des tofs de ta famille sur la plage. Fais-toi photographier avec Shimon Pérès, car  je concède que Netanyahou ce serait contreproductif vu ton positionnement politique. Si cela te paraît trop dur, alors jette discrètement au panier les lettres du même acabit que ton coup de blues ne va pas manquer de susciter. Bonne année 5774 quand même !

*Photo: DR

Rubens : Muray-Lens, et retour

rubens promethee suppliciePour atteindre le Louvre-Lens, inauguré en décembre 2012, il faut prendre le train. Car la ville de Lens, dans le département du Pas-de-Calais, a fait le choix de se situer à environ 200 kilomètres de Paris. Un trajet en TGV d’environ une heure est donc le prix à payer pour visiter « L’Europe de Rubens », exposition présentant 170 œuvres de l’artiste anversois et de quelques-uns de ses contemporains. Le TGV est un endroit éprouvant fonctionnant à l’énergie nucléaire, où des humains très variés coexistent dans l’indifférence. Cet épisode ferroviaire est cependant l’occasion de se replonger dans La Gloire de Rubens, l’ouvrage que Philippe Muray a consacré au peintre en 1991, réédité il y a peu par Les Belles Lettres. Le contempteur féroce du festivisme aime Rubens autant qu’il abhorre les nouvelles idoles de l’art contemporain : « Je ne serais pas en train de parler de Rubens si je n’avais oublié depuis des éternités mes obligations filiales envers toutes les formes d’anti-culture, minimalisme, design, anti-art, avant-gardes et autres saintsulpiceries sur la mort de l’art. » Muray dit aussi, sur le ton de la confidence, à quel point l’art de Rubens renvoie à la sexualité : « Le dieu Rubens me poursuit depuis que les femmes existent. Avant de le connaître, je l’ai cent fois reconnu dans la courbe d’un dos, dans le penchant d’un flanc, au détour d’un cou, sous le murmure d’un visage. Plus je connais ses femmes, plus j’aime les autres à travers elles. » Comme on le comprend : Rubens mène à toutes les femmes, et toutes les femmes mènent à Rubens…

Le train s’arrête à Arras quelques minutes, le temps d’embarquer de nouveaux voyageurs. Pendant ce temps-là, Philippe Muray cite Louis-Ferdinand Céline pour nous faire toucher du doigt la chair des toiles de Rubens : « L’humanité ne sera sauvée que par l’amour des cuisses. Tout le reste n’est que haine et ennui. » La gare de Lens est inscrite au registre des monuments historiques depuis 1984. Son architecture art déco, ses fresques murales évoquant les destins liés des mineurs et des cheminots ainsi que sa grande tour surmontée d’une horloge bleue en font un passage touristique obligé. Une navette relie la gare au musée, si par hasard d’imprudents amateurs d’art en venaient à vouloir flâner dans les rues de la ville ouvrière. S’enchaînent les corons tristes, jusqu’au Louvre, construit sur la fosse n°9 de la Compagnie des mines de Lens, à l’endroit même où les mineurs extrayaient du charbon.

Naturellement, l’idée de « délocaliser » un peu du Louvre dans une ville telle que celle-ci peut faire sourire. La lourdingue velléité politique a même fait rire beaucoup de monde à l’étranger, dont un journaliste britannique qui y a vu « une initiative maladroite, le mouvement d’auto-détestation d’une institution qui devrait, au contraire, être fière de sa splendeur palatiale ». [access capability= »lire_inedits »] Et pourquoi Lens, et pas Vesoul, Guéret ou Maulévrier (Maine-et-Loire) ville natale de Jean-Marc Ayrault ? Les visiteurs sont rares dans le hall du musée imposant, à l’architecture de hangar aéronautique. Quelques cars de touristes égayent le parking de leurs couleurs bariolées.

Rubens n’était pas seulement le peintre de la chair et des cuisses, mais aussi le peintre de l’Europe. Telle est la ligne directrice de cette excellente exposition temporaire visible jusqu’au 23 septembre en ces confins nordistes. L’Anversois Rubens est européen. Il est employé par les cours de différentes capitales européennes pour son art suggestif du portrait. « Dans le monde des cours, est-il précisé, les peintres ne sont pas les artistes les plus importants. Les musiciens, en général, priment. » Et plus  encore les maîtres d’armes…

Catholique, hostile à la cause protestante, Rubens – dont l’œuvre est stridence et grâce – illustre avec une épaisseur sans pareille les épisodes bibliques. Ses œuvres ont des titres sublimes…  Vierge à l’enfant entourée des saints Innocents (1618), où Marie, vierge potelée, est exubérante de grâce et de générosité. Plus loin, on voit La Pitié et la Victoire tenant une couronne  (1632-1633) aux dominantes de rouges et de jaunes irradiants ; puis La Sagesse victorieuse de la guerre et de la discorde sous le gouvernement de Jacques Ier d’Angleterre, dont la composition gracieuse et classique renvoie aux maîtres de Rubens, à commencer par Michel-Ange. Mais Rubens, peintre du XVIIe siècle n’oublie jamais les leçons de la Renaissance : ainsi peint-il, en 1632-33 L’Angleterre et l’Écosse avec Minerve et l’Amour où l’inspiration antique est très perceptible. Partout, il travaille les corps avec ferveur, et attache une immense importance aux détails. Dans Vénus et l’Amour tenant un miroir (1613), la grâce vient de la délicatesse de l’image renvoyée par le miroir, ce visage envoûtant de Vénus. Dans la célèbre toile Prométhée supplicié (1611-1612), l’aigle terrifiant − envoyé par Zeus − dévore le foie du titan imprudent ayant donné le feu divin aux hommes, en une composition majestueuse. Avec Léda et le cygne (1600) les relations entre les hommes et les animaux sont apaisées : la figure mythologique s’abandonne en un baiser légendaire au volatile divin ; l’imbrication de leurs corps est charnelle et troublante.

Pas la moindre fausse note dans ce parcours, si ce n’est − à mi-chemin − la diffusion d’une vidéo sur les différentes capitales européennes (infiniment dispensable…). Dans son journal, en date du 6 octobre 1987, Philippe Muray écrit au sujet de Rubens : « Qu’est-ce qu’être abondant dans un monde petit, avare, parcimonieux ? Qu’est-ce qu’être un artiste joyeux, coloré, bondissant, dans l’univers d’art qui s’est ouvert après les carrés blancs sur fonds blancs ? » Et quid des cuisses des femmes de Rubens en ce monde émacié ? Quid des générosités démonstratives du peintre anversois dans ce monde du politiquement correct et du principe de précaution ? Dans le TGV qui me ramène vers Paris, je songe que Rubens pourrait bien sauver le monde de l’ennui, et qu’il est peut-être même notre dernier recours…[/access]

 

Philippe Muray, La Gloire de Rubens, Les Belles Lettres.

Exposition « L’Europe de Rubens », du 22 mai au 23 septembre 2013, au Louvre-Lens.

 

*Photo: Rubens, Prométhée supplicié

 

François Hollande, l’homme invisible

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françois hollande
Je suis atteint du syndrome de Griffin. Et je ne suis manifestement pas le seul. Le syndrome de Griffin tire son nom du héros du roman L’homme invisible de HG Wells qui raconte comment un savant parvient à disparaître des yeux de ses contemporains tout en étant là. En l’occurrence, ce n’est pas moi qui ai disparu, enfin je ne crois pas, mais ce sont les hommes politiques. Ils n’impriment plus ni les rétines, ni les écrans, ni les mémoires.

Même le premier d’entre eux, François Hollande. Il n’est pas mou, il est transparent. Je lisais son entretien avec Le Monde samedi et j’oubliais au fur et à mesure ce que je lisais. J’ai cru que c’était de ma faute, que les prémices du gâtisme me fondaient dessus comme fond un néoconservateur sur un syndicaliste de gauche ou une dictature arabe. J’ai fait lire l’interview à mon entourage, les réactions furent les mêmes. On n’arrivait pas à retenir quoi que ce soit, une idée forte qui en général est fortement exprimée car le fond conditionne la forme et vice-versa. C’était sans nul doute dû à la prose terne et calibrée, sans saveur, énarchique, sans rien où accrocher l’entendement et encore moins la sensibilité. Cela se voit beaucoup sur François Hollande car en théorie il est président de la République et même président le Vème république, c’est à dire qu’il bénéficie d’une constitution qui par les pouvoirs qu’elle confère au chef de l’état donnerait une certaine consistance au plus ectoplasmique des élus.

Mais cela ne vaut guère mieux ailleurs. C’est devenu une banalité de dire qu’on connaît à peine les ministres alors que sous Chaban ou Mauroy n’importe quel Français, qui n’avait pourtant pas des dizaines de chaînes info et des milliers de sites internet, était capable de vous dire qui était ministre du travail ou secrétaire d’Etat aux DOM-TOM. Là chez les ministres, on ne connaît que Valls parce qu’il est de droite dans un gouvernement de gauche et Taubira parce qu’elle est de gauche dans un gouvernement de droite.

Ca ne va guère mieux en dehors du gouvernement. Prenez Marine Le Pen, elle aussi, elle est devenue normale. Elle s’est tellement dédiabolisée qu’elle est désormais une femme de droite comme les autres, ce qui va finir par lui poser des problèmes puisque son électorat est de gauche. À l’UMP, j’ai déjà oublié la photo de Fillon posant devant son château dans Match. Autrefois, un homme de droite qui aurait posé devant un château, ça aurait fait des histoires à n’en plus finir. Pompidou avait vertement engueulé le jeune Chirac qui s’était montré devant son château de Bity. Aujourd’hui, Pompidou qui n’était pas invisible, lui, avec ses Winston, son whisky, son Anthologie de la poésie française et sa Porsche ne dirait rien à Fillon. Parce qu’en fait s’il y a toujours un château, il n’y a plus personne devant.

La saison est pourtant propice aux hommes politiques. C’est la période des universités d’été. On se demande pourquoi on les appelle comme ça, d’ailleurs. Vu le niveau de formation politique du militant de base actuel, on n’y apprend visiblement pas grand chose. Et même si septembre, c’est encore techniquement l’été, depuis que les Français ne partent plus en vacances pour cause de pouvoir d’achat et qu’on fait rentrer les mômes la première semaine, l’été dure quinze jours environ, fin juillet début aout. Donc dans ces universités d’été qui n’en sont pas,  des hommes politiques invisibles font leur rentrée. De Jean-François Copé, par exemple que les gens ont fini par confondre avec Sarkozy alors que maintenant il ne veut plus, j’ai retenu qu’il était bronzé. Et sur l’ensemble de sa carrière, il nous reste quoi ? Une sortie sur les pains au chocolat ? Une seule formule ! C’est peu quand on se souvient des vacheries ou des bons mots que pouvaient sortir à la chaine les Mitterrand, les Giscard, les Chirac. Eux on les voyait bien. On pouvait les détester, les admirer, ils existaient. Ils avaient un corps et un discours, ce qui revient au même quand on est un peu sémiologue et en règle générale, on l’est jamais assez, sémiologue. Sarkozy a été le dernier à avoir une certaine présence. Ca ne m’étonne plus une telle nostalgie chez les militants et électeurs UMP qui ne sont pas rancuniers car Sarkozy a quand même perdu toutes les élections sauf celle de 2007. Même moi, j’en suis presque nostalgique aussi. C’était un tel plaisir d’être sarkophobe, de pouvoir exercer une mauvaise foi rabique. Parce que c’est le rôle d’un homme politique, ça, d’incarner quelque chose, de prendre des coups ou d’accepter les cris d’amour.

Là, je n’ai plus envie de détester ou d’aimer qui que ce soit. J’aurais l’impression de me battre avec du vent comme dans une histoire de fantômes chinois.

C’est le syndrome de Griffin. Pire que le poujadisme du tous pourris, l’indifférence du tous pareils.

*Photo: Parti Socialiste.

La réforme des retraites n’est ni urgente, ni opportune

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emmanuel maurel ps

emmanuel maurel ps

Dans son engagement présidentiel n°18, le candidat Hollande promettait une réforme des retraites au « cadre financier durablement équilibré ». Or, si le régime général peut prétendre à l’équilibre en 2020, il reste que les régimes spéciaux et ceux des fonctionnaires seront eux financés par le déficit. Tant qu’à réformer, ne faut-il pas viser l’équilibre du système entier ? Ne faudrait-il pas toucher aux régimes spéciaux, notamment dans la fonction publique ?

Le Gouvernement est bien inspiré de n’avoir pas remis en cause des droits acquis depuis plusieurs générations de travailleurs. L’enjeu aujourd’hui n’est pas tant de remettre en question les droits du voisin mais de répartir différemment les richesses afin que l’ensemble des salariés voient leurs droits progresser. J’ajoute que lorsqu’on regarde la retraite que touchent effectivement les fonctionnaires ou les salariés relevant des régimes spéciaux, il n’y a pas beaucoup de différence avec le montant des pensions servies aux salariés du privé.

Vous semblez plus dubitatif sur le reste de la réforme. Le courant « Maintenant la gauche » que vous dirigez au sein du PS a même dénoncé dans un communiqué l’allongement de la durée de cotisation jusqu’à 43 annuités prévue par le gouvernement après 2020. Mais cette solution n’est elle pas inévitable ? Peut-on réellement envisager d’autres solutions que le « travailler plus » pour financer durablement le système ?

« Travailler plus », c’était le slogan de la majorité précédente, et les Français ne nous ont pas élus pour faire la même politique que la droite. La priorité, c’est la bataille pour le plein emploi et pour une plus juste répartition des richesses.

Promouvoir l’allongement de la durée de cotisations au prétexte du « bon sens », c’est aller dans la mauvaise direction. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas parce que l’on vit plus longtemps que l’on doit travailler plus longtemps. Historiquement, c’est même plutôt le contraire. La gauche n’a cessé de le répéter pendant des décennies. La productivité horaire des travailleurs français est une des meilleures au monde, notre démographie est excellente. Par ailleurs, la durée moyenne de travail des salariés qui ont pris leur retraite en 2012 équivaut à 151 trimestres en 2012 selon la CNAV(Caisse nationale d’assurance vieillesse), donc à 38 ans de cotisations environ. Dans ces conditions, l’allongement de la durée de cotisations n’est pas une bonne solution, surtout quand dans le même temps on prétend lutter contre le chômage des seniors et faciliter l’entrée des jeunes sur le marché du travail.

Le vrai réalisme, c’est de ne pas faire reposer le financement des retraites sur les seuls travailleurs et d’oublier de mettre à contribution les revenus du capital contrairement à ce qu’exigeait le PS cet été. D’autres sources de financement existent, mais surtout, n’oublions jamais de rappeler que c’est l’emploi qui est la solution ultime. Moins il y a de chômeurs, moins il y a de problèmes pour financer nos retraites.

 Autre motif de mécontentement, les salariés et les retraités seront lourdement mis à contribution : hausse des impôts des retraités, report de six mois de la revalorisation des pensions, hausse des cotisations salariales… Est-ce équitable d’ainsi amputer le pouvoir d’achat des Français ?

Depuis des mois, je plaide, avec mes amis, pour un report de la réforme des retraites que nous ne jugeons ni urgente ni opportune ; la priorité doit demeurer selon nous la relance économique, la lutte pour l’emploi, et la victoire contre le chômage.

Si je note avec satisfaction le frémissement de la reprise, il faut se donner les moyens de l’amplifier, en relançant la consommation populaire (par la revalorisation des salaires et des minimas sociaux) et l’investissement productif. Enfin, une grande réforme fiscale est nécessaire pour assurer un meilleur partage des richesses, plus favorable au monde du travail.

Pour compenser la hausse des cotisations patronales prévu par la réforme, le Medef a obtenu la promesse d’une réduction du coût du travail dès 2014. En s’engageant à baisser les cotisations sociales de la branche familiale, le premier ministre ne vous parait-il pas céder davantage à la pression du patronat qu’à celle des syndicats ?

Il est vrai que le résultat des négociations estivales apparaît aujourd’hui déséquilibré en faveur du patronat. Je ne vois pas ce qui pourrait justifier des concessions supplémentaires, sauf à considérer que la réforme des retraites doit être exclusivement portée par les salariés !

Il serait bon d’avoir un débat sérieux sur le niveau prétendument élevé du « coût du travail » dans notre pays. Je suis à cet égard stupéfait de voir un ministre socialiste de l’économie reprendre à son compte, sans aucun recul critique, les analyses du patronat.

Ce qui fait la compétitivité d’une entreprise, et d’un pays, c’est la qualité de la main d’œuvre, celle de ses infrastructures, c’est aussi la qualité de son modèle social. Plutôt que de s’engager dans une course folle au moins disant social, sachons valoriser nos atouts. Et investissons massivement dans la recherche, dans la formation, dans les services publics : à long terme, c’est ce qui garantira à la France de rester une grande nation.

*Photo: Parti socialiste

La santé ou la vie, il faut choisir!

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sante hygienisme etat

sante hygienisme etat

Le matin, nous éructons parce qu’il nous espionne, le soir nous défilons parce qu’il nous abandonne. Nous l’accusons à longueur de sondages de ne pas s’occuper de nos problèmes et lui reprochons de se mêler de tout. Nous le trouvons absent et envahissant, intrusif et indifférent. L’État n’en fait jamais assez et toujours trop. Il y a quelques mois, Causeur dénonçait « l’impuissance publique ». Et voilà que nous nous insurgeons contre la folie interventionniste. Il faudrait choisir !  Mère abusive ou père absent, vous ne pouvez pas sans cesse vous plaindre sur les deux tableaux. Sauf que, justement, on peut être les deux à la fois, la preuve : mon État me pique mon permis pour trois flashages à 90 km/h sur le périphérique, m’infligeant mine de rien une peine de plusieurs dizaines d’heures d’ennui pour retrouver le droit de me faire arrêter, mais il ne peut rien faire pour qu’on continue à fabriquer des voitures en France. Il mène une guerre totale contre le tabac, mais face aux caïds de cité, il n’y a plus personne. Il est intraitable sur le grammage des saucisses servies à la cantine de mon enfant, mais n’a pas le droit de battre monnaie. Il me harcèle pour que je fasse du sport, mais fait la sourde oreille quand je le supplie de faire respecter la laïcité. Il s’inquiète des générations futures au point d’interdire toute activité dont on ne connaisse pas précisément les conséquences pour les cinq cents prochaines années, mais ne sait pas quoi dire à mes enfants qui multiplient les stages cinq ans après avoir quitté la fac. Il me sermonne si je bois un verre de trop, mais quand mon usine a fermé, il m’a expliqué que c’était le sens de l’Histoire, fermez le ban – il est vrai qu’il était triste.

Nous avons donc de bonnes raisons de penser que l’État manque à son devoir de protection, et de tout aussi bonnes de nous rebeller contre sa propension à nous surprotéger. Pour sortir de cette impasse sémantique, il faut admettre que les mots ont changé de sens. Aujourd’hui, comme hier, l’État nous protège. Mais il ne s’agit ni du même État, ni de la même protection, ni d’ailleurs du même « nous » : si l’État est de moins en moins capable de nous représenter et de nous défendre comme peuple, il est de plus en plus soucieux de nos petites personnes. Il se préoccupait hier d’organiser notre existence collective, il prétend aujourd’hui règlementer des pans croissants de notre vie domestique.

Que l’État (et ceux qui le dirigent en notre nom) ait, à l’égard des citoyens d’aujourd’hui comme des sujets d’hier, un devoir de protection, nul n’en disconviendra. C’est même pour ça qu’on l’a inventé – pour être le garant et l’exécuteur du deal par lequel nous renonçons à un peu de liberté en échange de plus de sécurité, et qui a peu ou prou fonctionné jusqu’à la fin des Trente Glorieuses. « Protéger ou disparaître » : en 1995, notre ami Philippe Cohen décrivait en ces termes l’alternative devant laquelle étaient, selon lui, placés nos gouvernants. Certes, ceux-ci n’ont pas disparu, en tout cas pas des écrans de télévision. Mais il est notoire qu’ils ne gouvernent pas grand-chose et que, dans le monde mondialisé qu’ils ont tant appelé de leurs vœux, ils ne nous protègent plus de rien. Sans doute parce que cette protection-là ne pouvait s’exercer qu’à l’intérieur des frontières dont ils ont approuvé ou encouragé la destruction. C’est ballot.

En somme, moins l’État est régalien, plus il est maternel. Moins il a d’autorité, plus il se montre autoritaire. Moins il peut faire, plus il nous dit quoi faire. Comme si, faute de pouvoir agir sur le monde, il lui fallait régir les moindres détails de nos existences. Les amateurs de complotisme concluront à la manœuvre de diversion : nos bons ministres se soucieraient de nos poumons et de nos assiettes pour faire oublier qu’ils sont impuissants face au chômage. Cette thèse a le mérite de faire de nous des victimes innocentes. L’ennui, c’est qu’elle passe à côté de la vérité. On ne comprend rien au règne de Big Mother si on oublie que nous l’avons voulu. On peut ironiser sur les vaccins de Roselyne Bachelot, ricaner de la prétention de nos dirigeants à nous protéger contre tous les risques, actuels ou futurs, avérés ou potentiels, répandus ou exceptionnels. Mais il suffit d’une canicule ou d’une épidémie mal anticipée pour que l’on exige bruyamment que des têtes tombent. Dès qu’un événement imprévu survient, il nous faut un coupable. Un volcan immobilise le ciel européen ? La faute à l’État qui n’a pas fourni aux voyageurs les informations qu’il n’avait pas. Des automobilistes sont piégés dans la neige ? L’État aurait dû saler les routes avant même qu’elle commence à tomber. On n’a pas encore vu de femme atteinte d’un cancer du sein porter plainte parce qu’elle n’avait pas été convoquée pour sa mammographie, ni d’obèse réclamer des dommages et intérêts parce que personne, dans son enfance, ne lui avait dit d’éviter de « manger trop gras et trop sucré » ; aucune victime d’incendie n’a intenté de procès parce que les détecteurs de fumée ne sont pas obligatoires – scandale qui sera réparé dès 2015, date à laquelle tous les logements devront être équipés. Mais cela ne saurait tarder. Il n’est pas surprenant, dans ces conditions, que la précaution, érigée en principe constitutionnel en 2003, soit devenue, pour nos malheureux gouvernants, une véritable religion. Nous voulons que l’État fasse notre bien, y compris contre nous-mêmes, sauf quand nous décidons que c’est notre bien, après tout, et qu’il faudrait « arrêter d’emmerder les Français », ainsi que le réclamait Pompidou en 1966. Et comme nous n’avons pas tous, heureusement, un proche mort dans un accident de voiture, mais que nous sommes tous terrorisés à l’idée de perdre des points sur notre permis de conduire, nous estimons massivement que les radars automatiques sont hautement liberticides.

En conséquence, si la santé – au sens large – est devenue un enjeu politique majeur, ce n’est pas parce que la France d’en haut a décidé « d’emmerder » celle d’en bas en la privant de tout ce qui rendait la vie un peu moins dure, voire un peu plus amusante – et sans doute un brin plus dangereuse ou au moins plus imprévisible. L’État s’est contenté de mettre en musique, c’est-à-dire en lois, décrets et circulaires, les nouvelles normes demandées, ou en tout cas validées, par nos « sociétés de bien-être », bien plus préoccupées de l’entretien des corps que de l’élévation des esprits.[access capability= »lire_inedits »]

On pensera qu’il faut vraiment avoir le goût de la contestation ou de la provocation pour déplorer que tout soit mis en œuvre pour nous faire échapper aux accidents, à la maladie et à la « mort dans d’atroces souffrances » promises aux fumeurs. Qu’on se rassure, il n’y a pas ici de partisan du cancer du poumon, d’ennemi des vaccins ou d’adepte du carambolage meurtrier. Que nous vivions plus vieux et en meilleure santé est une excellente nouvelle et les politiques de santé publique – qui, du reste, ne datent pas d’hier – y sont certainement pour quelque chose. Et puis, c’est une question de curseur, tant il est vrai que notre tolérance au risque et à la contrainte évolue. Personne ne prétend que la limitation drastique de l’alcool au volant soit une brimade insupportable – et celui qui s’obstine à conduire bourré sait qu’il transgresse la loi et le bon sens. Il en va de même pour la ceinture de sécurité : certains de mes amis nés dans les années 1940 tempêtent encore d’avoir à s’attacher à l’avant, les trentenaires se harnachent automatiquement dès qu’ils s’installent à l’arrière ; quant à moi, il ne me viendrait pas à l’idée de conduire sans la boucler (ma ceinture…), mais j’aurais l’impression de m’infantiliser en me sanglant sur le siège arrière. C’est qu’on a ses petites habitudes. Certaines, du reste, changent vite : il n’est pas certain que les fumeurs approuveraient massivement un retour au temps où ils pouvaient s’adonner à leur vice au bistrot ou au bureau. Hypothèse purement rhétorique, puisqu’il est désormais question de leur interdire la cigarette électronique, dont des données récentes paraissent, il est vrai, confirmer qu’elle n’est pas totalement inoffensive. Mais outre qu’il est presque impossible de se forger une idée claire à partir du maquis d’informations partielles et divergentes publiées sur ces questions, ce n’est pas tant à cause de sa dangerosité (réelle ou supposée) que cette ingénieuse invention est dans le collimateur du gouvernement et de l’expertocratie qui lui tient lieu de bras armé, mais parce qu’elle est moralement intolérable. Où irait-on si on pouvait fumer sans danger ? Pour la même raison, une partie du corps médical a résisté autant qu’elle a pu à l’utilisation du Baclofène dans le traitement de l’alcoolisme. C’est que cette molécule diabolique n’impose pas au malheureux buveur une abstinence totale, terriblement difficile à atteindre, mais lui permet au contraire une consommation raisonnable. Et boire un petit coup c’est agréable, comme dit la chanson. Un vrai scandale.

La multiplication des interdits et obligations destinés à nous maintenir « en forme » ne traduit donc pas seulement les progrès de la science et la louable volonté d’en faire bénéficier le plus grand nombre. Les préoccupations de santé cachent une pulsion moraliste qui évoque les ligues de vertu d’antan. Il ne s’agit plus de nous inciter à faire ce qui est bon pour nous, mais de définir pour nous ce qui est bien. Et à moins d’avoir la chance de préférer les carottes rapées au chocolat, le plaisir, la plupart du temps, c’est pas bien. Aussi doit-il se payer au prix fort. Nous sommes ainsi passés de la vigilance à la surveillance et de la compassion pour le malade au mépris, voire à l’hostilité, pour celui qui « se laisse aller ». Le fumeur, le buveur, le mangeur de choucroute et le réfractaire à toute activité sportive ne sont pas seulement des inconscients, mais des mauvais citoyens qui coûtent cher à la collectivité. Avant, peut-être, d’être condamnés demain comme délinquants ou éléments antisociaux. « Le tabac est un poids », clame une campagne récente. Le message, à peine subliminal, c’est que le fumeur est un poids. « Presque tous les plaisirs du pauvre sont punis de prison », notait Céline dans Voyage au bout de la nuit. En ira-t-il de même, demain, pour les plaisirs du faible, de l’insouciant, du flemmard et du poète ?

Il faut, pour finir, se pencher sur le paradoxe qui voit des sociétés hédonistes – d’aucuns diraient « avachies » – valoriser ainsi le dépassement de soi et la volonté. C’est qu’on ne rigole pas : rester en forme, c’est un sacré boulot. Nous hurlons à la mort dès qu’il est question de travailler quelques heures de plus chaque semaine ou quelques années de plus par vie. Nous trouvons que la lecture de Balzac est bien fatigante pour nos précieux rejetons et nous inquiétons sans cesse de leurs horaires et programmes surchargés. Bref, nous dénonçons sans relâche les cadences infernales, sauf quand il s’agit de pousser de la fonte ou de se torturer les abdominaux. Comme si la salle de gym était l’ultime refuge de l’effort sur soi, le dernier théâtre où se déploie la volonté d’individus gâtés et fatigués.

Heureusement, le Français est râleur. Il est assez rassurant qu’il défende sa liberté de se mettre en danger et s’insurge contre une intrusion souvent tatillonne ou grotesque, même si c’est lui qui l’a voulue. Qui n’a pas ses contradictions ? Ce qui est plus inquiétant, c’est que nul ne remette en cause la hiérarchie des valeurs qui est à l’œuvre derrière la montée en puissance de cet État surprotecteur. Il est tout de même curieux d’être si soucieux de l’épanouissement de nos corps et si indifférent à celui de nos esprits. Il est certainement bon de manger cinq fruits et légumes par jour, mais n’est-il pas aussi important, et peut-être bien plus, de lire un ou deux livres par semaine ? On imagine le tollé si l’État se mettait à vendre des cigarettes ou de la drogue. Mais qui proteste contre les programmes abêtissants diffusés par la télévision publique ? La possible suppression (baptisée « évolution ») de l’épreuve de culture générale au concours de l’ENA, annoncée durant l’été, n’a pas fait la moindre vague. Comme si cela n’avait pas d’importance que ceux qui, demain, seront en charge de faire fonctionner l’État, aient l’amour des belles choses et le goût de la réflexion. Le « bien-être » devenu l’horizon indépassable de notre temps, peut-il se résumer à avoir des esprits vides dans des corps sains ? Que nous tenions à rester en forme, fort bien mais, sauf à considérer que des jambes musclées et un ventre plat puissent constituer l’horizon d’une existence humaine, il faudra bien nous demander ce que nous voulons en faire, de cette forme conservée au prix de tant de souffrances et de privations. On me dira que l’un n’empêche pas l’autre et que ce n’est pas parce qu’on s’occupe de ses fesses qu’on se désintéresse de sa tête. Peut-être. Mais il faut bien avoir des priorités. À en juger par les nôtres, nous finirons par accepter qu’on nous dise « entre la santé et la vie, il faut choisir ! » Et il est peu probable que nous fassions le bon choix. [/access]

 

*Photo: pasukaru76

Guerre en Syrie : ce sera sans Djokovic

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Alors que les yeux du monde entier sont fixés vers le Congrès américain où se décidera  (pour de vrai) le sort de la Syrie, alors que les géopoliticiens fiévreux et les intellectuels indignés se donnent leurs avis sur les plateaux télés, le verdict que personne n’attendait est arrivé : Novak Djokovic s’est prononcé « contre tout bombardement ».

Rassurez-vous, le pacifisme de Djoko n’est pas à chercher dans un vulgaire humanisme peace and love à la Yannick Noah (autre tennisman engagé), mais dans un traumatisme d’enfant : le Serbe se souvient des bombardements de sa ville de Belgrade en 1999 alors qu’il n’avait que 12 ans. Une expérience dont il a déduit que « la guerre est la pire des choses pour l’humanité », et où, contrairement à une finale de Roland-Garros « personne ne sort vraiment gagnant ».

C’est lors de sa conf’ de presse de l’US Open que le n°1 mondial s’est rangé aux côtés des bombardosceptiques: « Je suis complètement contre toute sorte d’armes, toute sorte de frappes aériennes ou d’attaques de missiles. Je suis complètement contre tout ce qui est destructeur parce que j’en ai eu l’expérience, je sais que cela n’apporte rien de bon à personne. »

On peut penser ce qu’on veut de cette déclaration, mais, sur iTélé, elle a valu à Djoko les sarcasmes de Bruce Toussaint qui, lui, s’y connaît…

Causeur n°5 fait sa cure de rentrée

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Lire régulièrement Causeur diminue les risques d’infarctus du myocarde, immunise contre le cancer colorectal et apporte à peu près autant de vitamines qu’un jus de fruits frais. Voilà le pitch publicitaire qu’il nous faudrait adopter pour coller à la thématique de ce numéro de septembre, disponible aujourd’hui à la vente en kiosques et sur notre boutique en ligne. « Des esprits vides dans des corps sains ? » annonce sans détours notre Une bodybuildée. Vous l’avez compris, ce mois-ci, l’hygiénisme est dans notre viseur !
Dans sa démonstration introductive, Elisabeth Lévy déplore le rabaissement de l’État en Big Mother, poussé par les demandes de ses citoyens comme par sa propre érosion. « Moins l’Etat est régalien, plus il est maternel » résume notre rédactrice en chef, qui pointe les grands schizophrènes que nous sommes. Au quotidien, nous pestons contre les radars automatiques mais fuyons le risque à grandes enjambées, comme si un gramme de viande de cheval pouvait nous achever. Notre chère directrice démêle le bon grain de l’ivraie, n’enterrant pas les politiques de santé publique au nom de nos libertés individuelles. L’ennemi n’est pas le vaccin mais le paternalisme infantilisant qui le sous-tend : haro sur le gros, le fumeur, le buveur de rouge, tous ces « mauvais citoyens qui coûtent cher à la collectivité » !  Eugénie Bastié dresse un inventaire à la Prévert de toutes les ingérences de l’État dans nos petites affaires de santé. Quant aux amateurs de clope, papier ou électronique, comme Philippe Raynaud, ils devront tôt ou tard renoncer à leur vice, comme le leur intime chaque jour notre État si bienveillant. « Et on tuera tous les fumeurs » aurait dit Vian !
Mais plus grave que de nous inciter à manger 5 fruits et légumes par jour, à bouder le tabac et à « boire avec modération », l’État et ses citoyens se révèlent « bien plus préoccupés de l’entretien des corps que de l’élévation des esprits », ainsi que le note Elisabeth Lévy. Charge à chacun de préférer le culturisme à la culture sans se faire rancir l’encéphale.

Et cela commence dès le berceau. Pour les Tartuffe du risque zéro, laisser gambader son marmot en dehors de la poussette est un crime de lèse-principe de précaution, mais les faire végéter dès potron-minet devant un écran de télévision, ou les habiller en Lolita de huit ans relève de nos libertés chéries. Face à ces « bourreaux d’enfance », Charlotte Liebert-Hellman nous démontre par a plus b que notre société marche sur la tête !
Qu’en disent les experts ? Pour Claude Le Pen, président du Collège des économistes de la santé interrogé par Elisabeth Lévy et Gil Mihaely, toutes les entorses à nos libertés mises en place par l’État maternel répondent à une demande des patients, pardon des citoyens : en courant sus au risque, on injecte de la morale – mais pas toujours de l’efficacité – dans nos politiques publiques. Et les administrés en redemandent… Rien de nouveau sous le soleil, rétorque François Ewald, ancien assistant de Michel Foucault. Pour ce spécialiste de l’Etat-Providence,  dès la monarchie, le pouvoir politique cherchait à réguler les existences, seul le poids des lobbies insuffle un vent mauvais de nouveauté dans ce rouage bien huilé.

Un petit bémol dans ce grand concerto anti-hygiéniste : le député socialiste Jérôme Guedj bondit contre un certain libéralisme qui fait la part belle aux « aventuriers » et voudrait démanteler la sécurité sociale au profit des assurances privées. Après tout, l’interdiction du travail des enfants est aussi une atteinte (heureuse) à la liberté !

La liberté, pour quoi faire ?  Il n’y a pas que Bernanos pour poser cette question qui dérange. Au pays des officiers libres et de Moubarak, le débat sur la démocratie et l’islamisme fait rage, a fortiori depuis le coup d’État du général Al-Sissi. Un haut gradé presqu’aussi islamiste que les Frères Musulmans qu’il réprime férocement, nous dit Gil Mihaely. N’eût été l’incompétence crasse du président déchu Morsi, Al-Sissi aurait adhéré à sa vision du monde toute de vert brodée ! Tout en reconnaissant les erreurs tactiques de Morsi, le spécialiste des mouvements islamistes François Burgat rappelle à l’armée égyptienne ses responsabilités. Al-Sissi serait un dictateur sanguinaire, bourreau des libertés, ayant muselé les médias après avoir tenu la bride aux Frères Musulmans démocratiquement élus. Même à plusieurs milliers de kilomètres du Caire, il promet d’y avoir de la polémique…

Pendant ce temps, dans la petite république des lettres qui s’étend du Flore à Drouant, auteurs et critiques piaffent d’impatience en attendant le verdict du public. À contre-courant, Causeur a rencontré la tête de turc des critiques littéraires, Gérard de Villiers, père du sulfureux SAS. Cet auteur prolixe a vendu des millions de polars, mêlant érotisme et géostratégie, sans jamais avoir bénéficié du secours de ses pairs. Écrivain, lui ? Il s’en moque, et préfère plancher sur les méandres des relations américano-russes… Pierre Jourde observe cette « situation étrange où critique et littérature semblent mener des existences séparées ».  À lire son billet enlevé, on voit que l’ancien comparse d’Eric Naulleau n’a rien perdu de sa hargne contre les impostures (si peu) littéraires. Ce n’est pas Frédéric Rouvillois, auteur d’une histoire des best-sellers remarquée, qui le démentira : Stendhal a gagné une postérité posthume après avoir accumulé les bides, tandis que l’histoire n’a retenu de Barbara Cartland que ses teintures et ses caniches roses…
En plus de vos rendez-vous habituels, vous trouverez une nouvelle chronique sur un chemin pavé de ronces : « l’ours bipolaire » Cyril Bennasar nous livre sa prophétie sur la France des prochaines décennies, en confessant au passage toute son admiration pour Jean-Jacques Goldman, sans crainte de soudain devenir consensuel…

Last but not least, pour rester dans un registre mordant en diable, Philippe Muray vous offre un cadeau inédit, un portrait à la nitroglycérine de son ancien ami Philippe Sollers, qui se rêvait naguère en « dernier écrivain ».  Acide sans aigreur, un vrai régal !

ewald guedj villiers

   

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L’obsession iranienne de la diplomatie française

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iran fabius hollande

iran fabius hollande

Si l’on écarte la mauvaise foi des anti-hollandistes primaires, force est d’admettre que l’hypothèse d’une intervention en Syrie n’est pas uniquement fondée sur un discours moral et justicier. Quand bien même cette option s’appuierait sur l’émoi médiatique – ce qui n’est pas évident, l’opinion française étant partagée –, rappelons qu’en démocratie, l’émotion fait partie du jeu diplomatique. Les analyses les plus réalistes ne s’y trompent pas en l’intégrant dans le calcul coût de l’intervention/ bénéfice stratégique de leurs études prospectives. Ainsi rationalisée, l’émotion peut être utilisée à bon escient. Mais la future « intervention en Syrie » (une guerre qui ne dit pas son nom) a aussi des raisons stratégiques évidentes, que la compassion médiatique obscurcit.

Ici, l’exécutif joue sa crédibilité. Sans passage à l’acte, le discours politico-militaire risque de perdre de sa force, au cas où les menaces sur la fameuse ligne rouge à ne pas dépasser restaient lettre morte. De surcroît, le bombardement de cibles militaires syriennes, atteindrait par ricochet son fournisseur russe et ses alliés iraniens et hezbollahi. Il serait un signal évident pour le programme nucléaire iranien. Lequel, s’il devait déboucher, ne manquerait pas de pousser ses voisins à s’équiper de la bombe. La prolifération d’armes de destruction massive rendrait la région encore plus explosive, le mécanisme de la dissuasion ne faisant pas forcément effet dans un contexte religieux et clanique compliqué. Voilà la logique des diplomaties française et américaine.

Au fond, François Hollande et Barack Obama se ressemblent. Ce sont deux hommes intelligents, deux hommes de synthèse, assez pragmatiques et peu idéologues. Ils préfèrent le consensus et les compromis politiques à la guerre, autant par tempérament que par conviction. C’est pourquoi le bombardement en Syrie sera probablement plus cosmétique que destructeur si toutefois le Congrès américain veut bien y donner son aval. Rien à voir avec Belgrade en 1999 ou Bagdad en 2003. Mais tant du côté d’Obama que d’Hollande,  un certain penchant à réconcilier sans arrêt les contraires peut apparaître in fine comme de l’hésitation.

Cela n’empêche pas les deux dirigeants de commettre de lourdes erreurs stratégiques. On peut discuter de la pertinence d’une stratégie qui consiste à s’appuyer sur les monarchies d’obédience wahhabite de la péninsule arabique contre l’Iran chiite. Ce choix laisse pantois, notamment à Bahreïn où l’Occident a observé les blindés saoudiens écraser la révolte sans s’indigner outre mesure.

Plus globalement, le soutien aux monarchies sunnites est peut-être guidé par des considérations pétrolières et militaro-industrielles. Pourtant,  les ressources ne manquent pas de l’autre côté du Golfe…  La politiquement de l’apaisement avec Israël qu’ont adopté les Seoud a sans doute joué, de même que les provocations et imprécations de l’ancien président Ahmadinejad à Téhéran.

Comble du paradoxe, les partisans de l’alliance avec le camp sunnite n’ont que le mot démocratie à la bouche ! Alors même que la démocratie en Iran, certes fragile et faussée par une théocratie prégnante,  reste bien plus développée qu’à Riyad ou Doha. Et une éventuelle opération militaire en Syrie enverrait un mauvais signal au camp modéré iranien, lequel cherche des appuis pour enfin séparer le trône de l’autel.

Plus grave, dans cette affaire, la France risque de perdre tout crédit auprès des minorités religieuses. Depuis François Ier, la tradition levantine veut que Paris en soit la gardienne. Alors que la présence chrétienne, druze ou alaouite était jusqu’ici un gage de pluralisme au Levant, ces minorités sont aujourd’hui à la merci du jihadisme sunnite qui les menace d’une épuration religieuse. La France ayant abandonné sa mission protectrice, ces communautés se tournent tout naturellement vers la Russie et l’Iran.

Enfin, en bravant le probable veto du conseil de sécurité, la France scie la branche sur laquelle elle est assise. Du fait de l’histoire, elle s’est retrouvé miraculeusement à la table des cinq grands en 1945. En contournant l’ONU, elle délégitimerait ce subtil mécanisme garant de l’équilibre des forces et affaiblirait encore un peu plus sa position pour la suite…

*Photo : François Hollande.

Pour la peau d’un prof

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Mardi matin, la presse entière bruit de la rumeur de la rentrée. Sur BFM.TV, sourires heureux ou légèrement anxieux de bambins sur le chemin de l’école — et, en dessous, en tout petit, dans le flot des nouvelles tombées sur les téléscripteurs, l’annonce du suicide d’un prof de technologie (STI2D, comme on dit dans le jargon de l’Education Nationale) qui a préféré en finir plutôt que de participer encore une fois de plus, une année de plus, à cette grande mascarade qu’est devenue l’Ecole de la République. Il n’y aura pas de pré-rentrée pour lui.

Avant de mettre fin à ses jours, Pierre Jacque s’est fendu d’une longue lettre à ses camarades du SNES, expliquant les raisons pédagogiques de son geste. Et je préfère ne pas penser à l’angoisse des collègues qui ont reçu ce mail et se sont précipités — trop tard :  je les salue, tout SNES qu’ils soient, parce qu’ils ont exemplairement réagi en mettant en ligne ce courrier désespéré et désespérant[1. La lettre a été publiée sur le site du SNES-Marseille : http://www.aix.snes.edu/IMG/pdf/hommage_a_pierre_jacque.pdf].
Le voici — je le commenterai plus bas.

« Le 1 septembre 2013

De Pierre JACQUE
Enseignant d’électronique

Objet : Evolution du métier d’enseignant.

A ma famille, à mes proches
et à tous ceux que mon témoignage intéressera.

Je vous fais part de ma décision de ne pas faire la rentrée scolaire 2013. En effet le métier tel qu’il est devenu au moins dans ma spécialité ne m’est plus acceptable en conscience.

Pour éclairer ma décision je vous décris succinctement mon parcours personnel. Je suis devenu ingénieur en électronique en 1982 à l’âge de 24 ans. Ma formation initiale et surtout mon parcours professionnel m’ont amené à exercer dans la double compétence « hard » et « soft ». Le métier prenant et difficile m’a toujours convenu tant que j’avais le sentiment de faire œuvre utile et d’être légitime dans mon travail. Passé la quarantaine la sollicitation de plus en plus pressente d’évoluer vers des tâches d’encadrement et le sort réservé à mes ainés dans mon entreprise m’ont incité à changé d’activité. En 1999 j’ai passé le concours du capet externe de génie électrique et j’ai enseigné en section SSI et STI électronique. Le choc pour moi fut brutal de constater la baisse de niveau des sections techniques en 18 ans passé dans l’industrie notamment pour la spécialité agent technique (niveau BTS ou DUT suivant les cas). Même si le niveau enseigné était bien bas de mon point de vue, ma compétence était au service des élèves et je me sentais à ma place. Une difficulté était quand même le référentiel applicable (le programme) datant des années 80, ambitieux pour l’époque et en total décalage avec le niveau réel des élèves des années 2000. Une réforme semblait souhaitable pour officialiser des objectifs réalistes et orientés en fonction des besoins du marché du travail.

Puis vint la réforme de 2010 mise en place par Luc Chatel et applicable à la rentrée 2011. Pour le coup, le terme réforme est faible pour décrire tous les changements mis en place dans une précipitation totale. L’enseignement des métiers est réduit à peu de choses dans le référentiel de 4 spécialités seulement qui constitue des « teintures » sur un tronc commun généraliste d’une section unique appelée STI2D qui rentre bizarrement en concurrence avec la section SSI. L’électronique disparait purement et simplement. En lieu et place il apparait la spécialité « Systèmes Informatiques et Numériques ». Cela ne me pose pas de problème personnel, je maitrise bien le domaine et je l’enseigne même plus volontiers que les classiques problèmes de courant de diode ou de montages amplificateurs. Je me pose quand même la question de la compétitivité de notre pays dans le domaine industriel avec un pareil abandon de compétence. La mise en place de la réforme est faite à la hussarde dans un état d’affolement que l’inspection a du mal à dissimuler. Entre temps le gouvernement a changé sans que les objectifs soient infléchis le moins du monde ou qu’un moratoire soit décidé, ne serait-ce qu’à cause du coût astronomique de cette réforme. En effet il aura fallu réorganiser l’implantation de tous les ateliers de tous les lycées techniques de France, abattre des cloisons, en remonter d’autres à coté, refaire tous les faux plafonds, les peintures et renouveler les mobiliers. Ceci est fait à l’échelle du pays sans que la réforme ait été testée préalablement dans une académie pilote. Début 2011, l’inspection nous convoque en séminaire pour nous expliquer le sens et les modalités de la réforme ; il apparait la volonté de supprimer toute activité de type cours ce qui est la radicalisation d’une tendance déjà bien marquée. On nous assène en insistant bien que l’élève est acteur de son propre savoir, qu’il en est le moteur. Pour les spécialités, donc la mienne SIN entre autre, cela signifie qu’une partie conséquente de l’activité sera de type projet. A l’époque les chiffres restent vagues, il est question de 50% du temps au moins. La nature des projets, la façon de les conduire, la façon de les évaluer ne sont pas évoquées et les questions que posent les enseignants à ce sujet restent sans réponses, nous serons mis au courant après la rentrée de septembre. En attendant l’inspection nous fait entièrement confiance pour continuer comme d’habitude. Je fais remarquer qu’il ne faudra pas tarder car nous préparons les élèves au bac en deux ans et que la connaissance des modalités d’examens est incontournable rapidement après la rentrée pour un travail efficace, c’est-à-dire sans perte de temps. Lors de la réunion suivante, après la rentrée 2011, l’inspecteur répond un peu agacé à la même question « que notre travail c’est d’enseigner et que l’évaluation verra après » (sic). En attendant le travail devant élève est commencé et moi et mes collègues travaillons à l’estime. Le manque de matériel se fait cruellement sentir dans mon lycée, les travaux nécessaires ne seront faits qu’à l’été 2012. Lors d’une réunion aux alentours de février il nous est demandé pour la prochaine réunion d’exposer l’état d’avancement de la réforme et si possible les projets envisagés ou mieux déjà mis en œuvre. A ce moment je viens juste de recevoir un premier lot de matériel et je ne dispose du logiciel correspondant que depuis novembre. La pression amicale mais réelle pour commencer les projets va aller augmentant.
J’ai un groupe de 16 élèves et un autre de 15 dans une salle qui est déjà trop étroite pour recevoir proprement 14 élèves en travaux pratiques et avec un matériel réduit qui ne me permets qu’un choix très restreint de sujets. La phase passée en projet sera cauchemardesque pour l’enseignant et la fraction d’élèves sérieux. Le dernier mois de cette année de première sera passé en activités plus classiques. A la rentrée 2012 les élèves sont maintenant en terminale, j’ai les tables de travail prévues dans une salle provisoire de 80 m2 au lieu des 140 m2 prévus. Il est difficile de bouger, le travail en travaux pratiques reste possible et je couvre ainsi la partie communication réseau de référentiel au moyen d’un logiciel de simulation. Je ne dispose pas du matériel support. On me bricole une salle de 150 m2 à partir de deux salles de cours séparées par un couloir et j’attaque les projets dans ces conditions. Le couloir sera abattu aux vacances de février.
Pendant ce temps nous avons appris que la note du bac porterait uniquement sur le projet final est que la note serait constituée de deux parties égales, une attribuée par un jury en fin d’année suite à une soutenance orale avec support informatique, l’autre attribuée par l’enseignant de l’année au vu du travail fourni par les élèves. Les critères d’évaluation portent principalement sur la gestion de projet et la démarche de développement durable. Il est explicitement exclu de juger les élèves sur les performances et la réussite du projet. Ceci appelle deux remarques. La première est que les critères sont inadaptés, les élèves sont incapables de concevoir et même de gérer un projet par eux-mêmes. De plus la démarche de développement durable est une plaisanterie en spécialité SIN où l’obsolescence programmée est la règle. Comment note-t-on alors les élèves ? A l’estime, en fonction de critères autres, l’inspection le sait mais ne veut surtout pas que la chose soit dite. Du coup cette note relève « du grand n’importe quoi » et ne respecte aucune règle d’équité. Elle est attribuée par un enseignant seul qui connait ces élèves depuis au moins un an et compte coefficient 6 ce qui écrase les autres matières. Cela viole l’esprit du baccalauréat dans les grandes largeurs.

Je considère que ceci est une infamie et je me refuse à recommencer. L’ensemble du corps inspectoral est criminel ou lâche ou les deux d’avoir laissé faire une chose pareille. Cette mécanique est conçue dans une idée de concurrence entre les enseignants mais aussi entre les établissements pour créer une dynamique de très bonnes notes à l’examen y compris et surtout si elles n’ont aucun sens. Vous avez l’explication des excellents résultats du cru 2013 du baccalauréat au moins pour la filière technologique. Cela fait plus d’un an que je me plains à mon syndicat de cet état de fait. Pas un seul compte-rendu ni localement sur Marseille ni à un plus haut niveau n’en fait mention. Je suis tout seul à avoir des problèmes de conscience. Ou alors le syndicat est activement complice de l’état de fait, le responsable local me dis : « mais non Pierre tu n’es pas tout seul ». En attendant je ne vois aucune réaction et ce chez aucun syndicat. Que penser ? Soit nous sommes muselés, soit je suis le dernier idiot dans son coin.

De toute façon je n’accepte pas cette situation. Je pense au niveau toujours plus problématique des élèves, autrefois on savait parler et écrire un français très convenable après 5 ans d’étude primaire. Aujourd’hui les élèves bachelier maitrisent mal la langue, ne savent plus estimer des chiffres après 12 ans d’études. Cherchez l’erreur. La réponse de l’institution est : « oui mais les élèves savent faire d’autres choses ». Je suis bien placé dans ma spécialité pour savoir que cela n’est pas vrai ! Les élèves ne maitrisent rien ou presque des techniques numériques d’aujourd’hui. Tout ce qu’ils savent faire est jouer et surfer sur internet. Cela ne fait pas un compétence professionnelle. Les médias nous rabattent les oreilles sur la perte de compétitivité du pays en laissant entendre que le coût du travail est trop élevé. Cette présentation pèche par une omission grave. La réalité est que le travail en France est trop cher pour ce que les travailleurs sont capables de faire véritablement. Et là la responsabilité de l’éducation nationale est écrasante. Qui osera le dire ? J’essaye mais je me sens bien petit. J’essaye de créer un maximum d’émoi sur la question. J’aurais pu m’immoler par le feu au milieu de la cour le jour de la rentrée des élèves[2. Allusion au geste tout aussi désespéré de Lise Bonnafous, qui s’est immolée par le feu dans la cour de son établissement à Béziers en octobre 2011 : http://www.liberation.fr/societe/01012366684-a-beziers-un-lycee-toujours-a-vif], cela aurait eu plus d’allure mais je ne suis pas assez vertueux pour cela. Quand vous lirez ce texte je serai déjà mort.

Pierre Jacque
enseignant du lycée Antonin Artaud
à Marseille »

Pour bien comprendre ce qui a pu désespérer un prof consciencieux, aimé de tous (plusieurs tweets envoyés par certains de ses anciens élèves en témoignent), j’ai demandé à « Zorglub », un fidèle de Bonnetdane, et ex-prof du technique recyclé depuis deux ans en prof de maths, ce qui s’est passé dans cette profession. Je recopie tel quel son témoignage.

«Ce qui se passe en STI2D est une honte absolue, on y enseigne du vent (ce qui peut être utile pour faire tourner les éoliennes).
Les profs de STI étaient autrefois fortement spécialisés (génie civil, productique, construction, électrotechnique, électronique, physique appliquée, etc.). Chacun avec une licence et maîtrise très spécifique et des CAPET ou agreg différents.
Ils sont désormais omniscients et enseignent (voui, mais sous forme de projet …) tout ce qui est en rapport avec le monde technique sans distinction.
Comme si ça se pouvait !
Un peu pareil qu’un prof d’anglais qui devrait enseigner l’espagnol (ben quoi c’est aussi une langue étrangère non ?).
Les élèves de ces filières n’étaient en général pas d’un niveau éblouissant (euphémisme) en enseignement général, mais finissaient par acquérir quelques savoir faire techniques et un vague bagage technologique.
Aujourd’hui on ne leur « apprend » plus rien et il passent deux ans à « découvrir en autonomie et sur des projets pluridisciplinaires en groupe » les hypothétiques relations entre écologie et industrie à travers les projets de développement durable (de lapin), l’analyse du cycle de vie, les cartes mentales de conscientisation de l’impact environnemental et autre fariboles.
Plus de cours, puisqu’ils « s’autoforment » à partir de documents ressources académiques ou du web au fur à mesure du besoin, chacun à son rythme, relativement à ses centres d’intérêt et en suivant les nécessités rencontrées dans son projet ! Les plus fous des pédagogistes associés aux plus intégristes des alter-mondialistes ont pris le pouvoir sur cette branche de l’enseignement.
Besoin que je détaille les résultats ?
C’est tellement violent que lors du bac il a été interdit aux profs de mettre des notes dans l’épreuve phare …
Ils étaient seulement autorisés à transmettre un document avec des cases cochées à l’IPR qui a transcrit « ça » en notes (genre 13 ou 14 de moyenne académique qui reste encore secrète chez-nous) sans que les profs puissent savoir comment !
De l’avis général, répondre vaguement à 15 % ou 20 % des questions était largement suffisant pour obtenir la moyenne. Moi non plus je n’aurais pas supporté cette mascarade. Dans mon ancien bahut ce sont les collègues les plus nuls techniquement qui ont pris les choses en main, les autres ayant refusé de se les salir à couper la branche sur laquelle ils étaient assis.
Bien entendu ils seront promus au grand choix et les autres voient disparaître avec dépit la filière STI qui fut celle de la réussite des gosses modestement intelligents, modestement ambitieux, issus de milieux modestes financièrement et culturellement à qui on donnait une vraie chance d’avoir un boulot de technicien après le BTS qui faisait normalement suite.
Perso j’y étais très attaché et fier de voir des gosses finir par s’en sortir alors que tout les prédisposait à l’échec.
Après STI2D, les élèves, qui sont lucides sur leurs aptitudes, ne demandent même plus à entrer en BTS et rentrent en fac de psycho, LEA ou autres conneries puisqu’ils savent bien qu’ils ne peuvent pas espérer rattraper le niveau … bac pro (en aucun cas pour la pratique mais guère plus sur les aspects techniques et technologiques) !
C’est aussi un désastre économique qui s’annonce. La majorité des élèves de bac pro ont de réelles compétences pratiques mais rares sont ceux qui peuvent espérer acquérir en BTS des compétences théoriques suffisantes pour devenir réellement techniciens supérieurs et non pas seulement ouvrier qualifiés.
Je me demande ouske les patrons vont les trouver dans quelques années, peut-être dans les « petites » écoles d’ingé ??? Cette réforme est une honte et un désastre, pour les mômes, pour les collègues et pour le pays. Je survis pour avoir su fuir à temps ! »

Ultimes précisions.
Cette réforme est intervenue pour faire des économies — et pour ce faire, elle s’est appuyée (idéologie Chatel) sur les lubies des plus dégénérés des pédagogistes (idéologie Meirieu / Dubet). Ou, si l’on préfère, le démantèlement de l’Ecole de la République s’appuie à la fois sur les concordances européennes (nous étions les seuls en Europe à avoir une voie technologique, les autres pays ont une voie générale et une voie professionnelle — grâce à l’intégration des systèmes d’enseignement européen voulue par la convention de Lisbonne en 2002, nous rentrons dans le rang), la volonté libérale de destruction de toutes les institutions d’Etat, et les folies libertaires de tous ceux qui ont cru — sincèrement parfois — que l’élève construit lui-même ses propres savoirs — ce que Pierre Jacque souligne sauvagement.

Un récent rapport de la Cour des Comptes (mais de qui je me mêle !) préconise d’en finir avec l’aspect « disciplinaire » de l’Education, et de rendre tous les enseignants multi-spécialistes. Et pourquoi ne pas exiger qu’ils soient aussi doués d’ubiquité ?

Quant au fait que dans STI2D, les « 2D » signifient « développement durable », je ne le commenterai même pas. C’est comme si tout était dit : vous ajoutez « développement durable » à n’importe quel paquet de merde, et vous en avez fait un produit commercialisable. Mille merci à Sylvie Brunel qui a inventé le terme !
Le ministère se refuse depuis des années à publier des statistiques réelles sur les dépressions en milieu enseignant. Tous ceux qui se sont penchés sur la question savent que cette profession qui est, paraît-il, peuplée de feignasses trop payées et surchargées de vacances paie aux lubies des technocrates déments et des pédagogues fous un tribut monstrueux. Un sondage tout récent nous apprend que les Français sont de moins en moins satisfaits de leur école. Eh bien, qu’ils le sachent : les profs non plus n’en sont pas heureux — ils n’y sont pas heureux, et même, parfois, ils en meurent.

*Photo: Aurélien Salomé

Elections allemandes : Le collier de la reine Angela

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L’unique débat télévisé au sommet de la campagne électorale allemande a mis aux prises, dimanche soir, la chancelière Angela Merkel et son challenger social démocrate Peer Steinbrück. Les familiers du débat politique d’outre-Rhin savent bien que rien n’est plus ennuyeux que ce genre d’exercice, où les protagonistes ânonnent leur programme, sans jamais s’interrompre ni tenter de déstabiliser leur adversaire par une petite phrase assassine. Le résultat des sondages réalisés à l’issue de ce débat sont conformes aux prévisions : moitié-moitié. À 1% près dans un sens ou dans un autre, les avis se sont partagés sur le vainqueur de cette poussive joute verbale.

Mais Angela Merkel sort victorieuse par KO grâce à une astuce visuelle qui devrait rester dans les annales de la communication politique. Elle est apparue sur le plateau vêtue d’un strict tailleur gris anthracite, mais l’œil du téléspectateur était attiré par son kitschissime collier aux couleurs du drapeau de la République fédérale : noir, rouge, or. Ce n’était ni du Cartier, ni du Tiffany, mais un banal collier comme on peut en trouver dans les boutiques fournissant des gadgets aux supporters de la Mannschaft, l’équipe nationale de football. Résultat, on a oublié les controverses sur le SMIC ou le soutien à la Grèce pour se focaliser sur l’affaire du collier de la reine. Du grand art.

Jérôme Guedj, cible d’un corbeau antisémite

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jerome guedj

jerome guedj

Jérôme Guedj, député PS et président du Conseil général de l’Essonne, a fait le buzz de cette prérentrée politique en twittant le fac-similé d’un courrier antisémite à lui adressé :

tweet guedj antisemitisme

Ce tweet a immédiatement fait le tour des rédactions en ligne des grands médias, à l’affût de toute nouvelle naissance issue du ventre encore fécond de la bête immonde.

On notera la naïve délicatesse de la missive anonyme écrite au feutre en quatre couleurs (rouge, vert, bleu et noir), agrémentée de petits dessins, dont un drapeau israélien prolongeant la dernière barre d’un « H » terminal improprement ajouté au mot « Knesset », dénomination officielle du parlement monocaméral de l’Etat d’Israël.

Par son contenu, cette lettre peut être classée dans la catégorie des poulets antisémites « soft », car elle ne vise qu’à inciter son récipiendaire à changer de crémerie, pour aller exercer ses talents dans l’hémicycle de la Knesset. Un sort nettement plus enviable sur le plan de la qualité de la vie que le regret, souvent formulé par les corbeaux antisémites « hard », que le projet hitlérien n’ai pas été mené à son terme en ce qui vous concerne. Commentaire de Guedj : « #PasCoolLaRentrée », ce qui en tweetolangue « djeune » révèle une forte émotion doublée d’une colère froide du député agressé.

Et pourtant, à quarante-et-un ans, dont une vingtaine consacrée à la vie politique active, Jérôme Guedj ne se souvient que de trois attaques à caractère plus ou moins antisémite dont il aurait été victime dans le cadre de sa vie publique. Il faut préciser que ce brillant sujet, issu d’un milieu modeste de juifs pieds-noirs (il est né à Pantin, c’est dire !) a effectué un parcours républicain exemplaire. Issu du collège Diderot, d’Aubervilliers dans le 9-3, il intègre Sciences-Po Paris, puis l’ENA, bien avant que les mesures de discrimination positive instaurées par feu Richard Descoings ne favorisent l’entrée des jeunes des cités dans les temples de l’élitisme. De son judaïsme, Guedj s’est bien gardé de faire un étendard, ni dans le registre de la victimologie, ni dans celui de la « jewish pride » : on chercherait en vain, dans ses interventions publiques ou ses écrits, des propos pouvant être influencés ou même mis en relation avec ses origines. Certes, il est entré en politique par le canal de SOS-Racisme à l’époque où Julien Dray en était le patron, comme Harlem Désir ou Malek Boutih, mais la dénonciation systématique de l’antisémitisme n’a jamais été sa tasse de thé. Pas plus que la défense, au sein du PS, de positions moins défavorables à Israël que celles de la direction du Parti, telles qu’elles s’expriment, par exemple au sein du Cercle Léon Blum dont il ne fut jamais membre, à la différence de Julien Dray, DSK ou Pierre Moscovici. Si cela n’était devenu un gros mot dans le vocabulaire de la gauche d’aujourd’hui, on pourrait donc le créditer d’un parcours d’assimilation réussi, dont les racines plongent jusqu’au décret Crémieux faisant de ses ancêtres juifs d’Algérie des citoyens français à part entière.

C’est peut-être ce qui provoque son étonnement désolé lors de la réception du misérable billet dont il nous a donné connaissance : « me faire ça, à moi, qui ne suis ni religieux ni sioniste militant, c’est trop inzuste ! » se lamente notre Caliméro du Palais-Bourbon.

Qu’il me permette de lui faire amicalement part de mon expérience en la matière, celle d’un homme qui a l’âge de ses parents, et occupé une position publique, certes moins prestigieuse que la sienne, mais tout de même de nature à vous exposer à l’activité de ce genre de correspondants importuns.

Pendant toutes les années où j’ai exercé des fonctions dans la presse nationale, à Libération, puis au Monde, je n’ai abordé qu’exceptionnellement des sujets réputés sensibles pour quelqu’un portant un patronyme indubitablement juif : un dossier en 1979 dans Libération , sur la diffusion sur Antenne 2, du feuilleton Holocauste, et un reportage en Israël pour ce même journal lors de l’arrivée des Falashas en 1983, et c’est à peu près tout. Au  Monde , je me suis bien gardé de me mêler de ces sujets, non que je n’eusse pas envie de m’y consacrer, car les questions du Proche-Orient me fascinaient, mais en raison d’un tout bête scrupule déontologique. Mon approche du conflit israélo-arabe était, de mon point de vue de l’époque, plus passionnelle que rationnelle, et en conséquence, je ne m’estimais pas autorisé à utiliser un grand organe de presse comme vecteur clandestin d’opinions personnelles. Un attitude confinant d’ailleurs au masochisme, car je pouvais observer, que dans un bureau voisin du service international, un gang de Levantins responsables de la rubrique Proche et Moyen-Orient, composé d’un juif antisioniste, d’un Arménien et d’un Grec arabolâtres, tous trois originaires d’Egypte menait sans vergogne une campagne résolument hostile à l’État juif, non exempte de manipulations ni de crapuleries journalistiques, sans que la direction du journal ne s’en émeuve…[1. Il faut préciser, par souci de justice qu’à partir du milieu des années 80, Jacques Amalric, chef du service étranger, s’efforça de corriger ces biais. Après son départ, en 1992, le «  quotidien de référence » reprit son antienne anti-israélienne en l’adaptant au goût du jour.]

Or, c’est durant cette période que j’ai reçu le plus abondant courrier à caractère antisémite de mon existence : plus d’une cinquantaine de lettres de tout acabit, de la haine antijuive maurrassienne écrite d’une main tremblée de vieillard aux diatribes post soixante-huitardes maquillant l’antisémitisme sous des oripeaux antisionistes. J’ai conservé ces lettres, et met ce corpus à la disposition d’éventuels chercheurs travaillant sur l’antisémitisme en France dans le dernier quart du siècle dernier. J’en ai conclu que l’irritation de mes correspondants résultait non pas de prises de positions concernant la situation des juifs en France ou ailleurs dans le monde, Israël compris. Ils m’en voulaient beaucoup plus de mon culot de petit juif, venu  d’on ne sait où, de faire preuve d’expertise sur des sujets  comme la politique allemande, l’Union européenne, l’OTAN…

La preuve : lorsque, touché par l’âge de la retraite, je me  suis libéré de ce devoir de réserve auto-imposé, et écrivait plusieurs livres plutôt engagés en faveur des juifs et d’Israël, j’ai été négligé par les corbeaux habituels. On m’attaquait, certes, mais à cause des idées exposées, et non pas es qualités. J’ai même l’impression d’avoir inspiré quelque crainte, comme si ces paranoïaques supposaient que je puisse bénéficier d’une protection rapprochée de Tsahal ou du Mossad !

Alors, cher Jérôme Guedj, si ces courriers te chagrinent, un seul remède : vas-y carrément dans la juiverie triomphante (demande conseil à ton nouveau collègue Meyer Habib, il est très bon dans le genre). Envoie, si ce n’est déjà fait, des cartes de vœux de Rosh Hashana à tous les yids ahskénazes et sépharades de votre circo (dépêche-toi, c’est le 4 septembre !). Prends, l’an prochain tes vacances à Netanya, en tweetant tous les jours des tofs de ta famille sur la plage. Fais-toi photographier avec Shimon Pérès, car  je concède que Netanyahou ce serait contreproductif vu ton positionnement politique. Si cela te paraît trop dur, alors jette discrètement au panier les lettres du même acabit que ton coup de blues ne va pas manquer de susciter. Bonne année 5774 quand même !

*Photo: DR

Rubens : Muray-Lens, et retour

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rubens promethee supplicie

rubens promethee suppliciePour atteindre le Louvre-Lens, inauguré en décembre 2012, il faut prendre le train. Car la ville de Lens, dans le département du Pas-de-Calais, a fait le choix de se situer à environ 200 kilomètres de Paris. Un trajet en TGV d’environ une heure est donc le prix à payer pour visiter « L’Europe de Rubens », exposition présentant 170 œuvres de l’artiste anversois et de quelques-uns de ses contemporains. Le TGV est un endroit éprouvant fonctionnant à l’énergie nucléaire, où des humains très variés coexistent dans l’indifférence. Cet épisode ferroviaire est cependant l’occasion de se replonger dans La Gloire de Rubens, l’ouvrage que Philippe Muray a consacré au peintre en 1991, réédité il y a peu par Les Belles Lettres. Le contempteur féroce du festivisme aime Rubens autant qu’il abhorre les nouvelles idoles de l’art contemporain : « Je ne serais pas en train de parler de Rubens si je n’avais oublié depuis des éternités mes obligations filiales envers toutes les formes d’anti-culture, minimalisme, design, anti-art, avant-gardes et autres saintsulpiceries sur la mort de l’art. » Muray dit aussi, sur le ton de la confidence, à quel point l’art de Rubens renvoie à la sexualité : « Le dieu Rubens me poursuit depuis que les femmes existent. Avant de le connaître, je l’ai cent fois reconnu dans la courbe d’un dos, dans le penchant d’un flanc, au détour d’un cou, sous le murmure d’un visage. Plus je connais ses femmes, plus j’aime les autres à travers elles. » Comme on le comprend : Rubens mène à toutes les femmes, et toutes les femmes mènent à Rubens…

Le train s’arrête à Arras quelques minutes, le temps d’embarquer de nouveaux voyageurs. Pendant ce temps-là, Philippe Muray cite Louis-Ferdinand Céline pour nous faire toucher du doigt la chair des toiles de Rubens : « L’humanité ne sera sauvée que par l’amour des cuisses. Tout le reste n’est que haine et ennui. » La gare de Lens est inscrite au registre des monuments historiques depuis 1984. Son architecture art déco, ses fresques murales évoquant les destins liés des mineurs et des cheminots ainsi que sa grande tour surmontée d’une horloge bleue en font un passage touristique obligé. Une navette relie la gare au musée, si par hasard d’imprudents amateurs d’art en venaient à vouloir flâner dans les rues de la ville ouvrière. S’enchaînent les corons tristes, jusqu’au Louvre, construit sur la fosse n°9 de la Compagnie des mines de Lens, à l’endroit même où les mineurs extrayaient du charbon.

Naturellement, l’idée de « délocaliser » un peu du Louvre dans une ville telle que celle-ci peut faire sourire. La lourdingue velléité politique a même fait rire beaucoup de monde à l’étranger, dont un journaliste britannique qui y a vu « une initiative maladroite, le mouvement d’auto-détestation d’une institution qui devrait, au contraire, être fière de sa splendeur palatiale ». [access capability= »lire_inedits »] Et pourquoi Lens, et pas Vesoul, Guéret ou Maulévrier (Maine-et-Loire) ville natale de Jean-Marc Ayrault ? Les visiteurs sont rares dans le hall du musée imposant, à l’architecture de hangar aéronautique. Quelques cars de touristes égayent le parking de leurs couleurs bariolées.

Rubens n’était pas seulement le peintre de la chair et des cuisses, mais aussi le peintre de l’Europe. Telle est la ligne directrice de cette excellente exposition temporaire visible jusqu’au 23 septembre en ces confins nordistes. L’Anversois Rubens est européen. Il est employé par les cours de différentes capitales européennes pour son art suggestif du portrait. « Dans le monde des cours, est-il précisé, les peintres ne sont pas les artistes les plus importants. Les musiciens, en général, priment. » Et plus  encore les maîtres d’armes…

Catholique, hostile à la cause protestante, Rubens – dont l’œuvre est stridence et grâce – illustre avec une épaisseur sans pareille les épisodes bibliques. Ses œuvres ont des titres sublimes…  Vierge à l’enfant entourée des saints Innocents (1618), où Marie, vierge potelée, est exubérante de grâce et de générosité. Plus loin, on voit La Pitié et la Victoire tenant une couronne  (1632-1633) aux dominantes de rouges et de jaunes irradiants ; puis La Sagesse victorieuse de la guerre et de la discorde sous le gouvernement de Jacques Ier d’Angleterre, dont la composition gracieuse et classique renvoie aux maîtres de Rubens, à commencer par Michel-Ange. Mais Rubens, peintre du XVIIe siècle n’oublie jamais les leçons de la Renaissance : ainsi peint-il, en 1632-33 L’Angleterre et l’Écosse avec Minerve et l’Amour où l’inspiration antique est très perceptible. Partout, il travaille les corps avec ferveur, et attache une immense importance aux détails. Dans Vénus et l’Amour tenant un miroir (1613), la grâce vient de la délicatesse de l’image renvoyée par le miroir, ce visage envoûtant de Vénus. Dans la célèbre toile Prométhée supplicié (1611-1612), l’aigle terrifiant − envoyé par Zeus − dévore le foie du titan imprudent ayant donné le feu divin aux hommes, en une composition majestueuse. Avec Léda et le cygne (1600) les relations entre les hommes et les animaux sont apaisées : la figure mythologique s’abandonne en un baiser légendaire au volatile divin ; l’imbrication de leurs corps est charnelle et troublante.

Pas la moindre fausse note dans ce parcours, si ce n’est − à mi-chemin − la diffusion d’une vidéo sur les différentes capitales européennes (infiniment dispensable…). Dans son journal, en date du 6 octobre 1987, Philippe Muray écrit au sujet de Rubens : « Qu’est-ce qu’être abondant dans un monde petit, avare, parcimonieux ? Qu’est-ce qu’être un artiste joyeux, coloré, bondissant, dans l’univers d’art qui s’est ouvert après les carrés blancs sur fonds blancs ? » Et quid des cuisses des femmes de Rubens en ce monde émacié ? Quid des générosités démonstratives du peintre anversois dans ce monde du politiquement correct et du principe de précaution ? Dans le TGV qui me ramène vers Paris, je songe que Rubens pourrait bien sauver le monde de l’ennui, et qu’il est peut-être même notre dernier recours…[/access]

 

Philippe Muray, La Gloire de Rubens, Les Belles Lettres.

Exposition « L’Europe de Rubens », du 22 mai au 23 septembre 2013, au Louvre-Lens.

 

*Photo: Rubens, Prométhée supplicié

 

François Hollande, l’homme invisible

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françois hollande

françois hollande
Je suis atteint du syndrome de Griffin. Et je ne suis manifestement pas le seul. Le syndrome de Griffin tire son nom du héros du roman L’homme invisible de HG Wells qui raconte comment un savant parvient à disparaître des yeux de ses contemporains tout en étant là. En l’occurrence, ce n’est pas moi qui ai disparu, enfin je ne crois pas, mais ce sont les hommes politiques. Ils n’impriment plus ni les rétines, ni les écrans, ni les mémoires.

Même le premier d’entre eux, François Hollande. Il n’est pas mou, il est transparent. Je lisais son entretien avec Le Monde samedi et j’oubliais au fur et à mesure ce que je lisais. J’ai cru que c’était de ma faute, que les prémices du gâtisme me fondaient dessus comme fond un néoconservateur sur un syndicaliste de gauche ou une dictature arabe. J’ai fait lire l’interview à mon entourage, les réactions furent les mêmes. On n’arrivait pas à retenir quoi que ce soit, une idée forte qui en général est fortement exprimée car le fond conditionne la forme et vice-versa. C’était sans nul doute dû à la prose terne et calibrée, sans saveur, énarchique, sans rien où accrocher l’entendement et encore moins la sensibilité. Cela se voit beaucoup sur François Hollande car en théorie il est président de la République et même président le Vème république, c’est à dire qu’il bénéficie d’une constitution qui par les pouvoirs qu’elle confère au chef de l’état donnerait une certaine consistance au plus ectoplasmique des élus.

Mais cela ne vaut guère mieux ailleurs. C’est devenu une banalité de dire qu’on connaît à peine les ministres alors que sous Chaban ou Mauroy n’importe quel Français, qui n’avait pourtant pas des dizaines de chaînes info et des milliers de sites internet, était capable de vous dire qui était ministre du travail ou secrétaire d’Etat aux DOM-TOM. Là chez les ministres, on ne connaît que Valls parce qu’il est de droite dans un gouvernement de gauche et Taubira parce qu’elle est de gauche dans un gouvernement de droite.

Ca ne va guère mieux en dehors du gouvernement. Prenez Marine Le Pen, elle aussi, elle est devenue normale. Elle s’est tellement dédiabolisée qu’elle est désormais une femme de droite comme les autres, ce qui va finir par lui poser des problèmes puisque son électorat est de gauche. À l’UMP, j’ai déjà oublié la photo de Fillon posant devant son château dans Match. Autrefois, un homme de droite qui aurait posé devant un château, ça aurait fait des histoires à n’en plus finir. Pompidou avait vertement engueulé le jeune Chirac qui s’était montré devant son château de Bity. Aujourd’hui, Pompidou qui n’était pas invisible, lui, avec ses Winston, son whisky, son Anthologie de la poésie française et sa Porsche ne dirait rien à Fillon. Parce qu’en fait s’il y a toujours un château, il n’y a plus personne devant.

La saison est pourtant propice aux hommes politiques. C’est la période des universités d’été. On se demande pourquoi on les appelle comme ça, d’ailleurs. Vu le niveau de formation politique du militant de base actuel, on n’y apprend visiblement pas grand chose. Et même si septembre, c’est encore techniquement l’été, depuis que les Français ne partent plus en vacances pour cause de pouvoir d’achat et qu’on fait rentrer les mômes la première semaine, l’été dure quinze jours environ, fin juillet début aout. Donc dans ces universités d’été qui n’en sont pas,  des hommes politiques invisibles font leur rentrée. De Jean-François Copé, par exemple que les gens ont fini par confondre avec Sarkozy alors que maintenant il ne veut plus, j’ai retenu qu’il était bronzé. Et sur l’ensemble de sa carrière, il nous reste quoi ? Une sortie sur les pains au chocolat ? Une seule formule ! C’est peu quand on se souvient des vacheries ou des bons mots que pouvaient sortir à la chaine les Mitterrand, les Giscard, les Chirac. Eux on les voyait bien. On pouvait les détester, les admirer, ils existaient. Ils avaient un corps et un discours, ce qui revient au même quand on est un peu sémiologue et en règle générale, on l’est jamais assez, sémiologue. Sarkozy a été le dernier à avoir une certaine présence. Ca ne m’étonne plus une telle nostalgie chez les militants et électeurs UMP qui ne sont pas rancuniers car Sarkozy a quand même perdu toutes les élections sauf celle de 2007. Même moi, j’en suis presque nostalgique aussi. C’était un tel plaisir d’être sarkophobe, de pouvoir exercer une mauvaise foi rabique. Parce que c’est le rôle d’un homme politique, ça, d’incarner quelque chose, de prendre des coups ou d’accepter les cris d’amour.

Là, je n’ai plus envie de détester ou d’aimer qui que ce soit. J’aurais l’impression de me battre avec du vent comme dans une histoire de fantômes chinois.

C’est le syndrome de Griffin. Pire que le poujadisme du tous pourris, l’indifférence du tous pareils.

*Photo: Parti Socialiste.