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La réforme des retraites n’est ni urgente, ni opportune


La réforme des retraites n’est ni urgente, ni opportune

emmanuel maurel ps

Dans son engagement présidentiel n°18, le candidat Hollande promettait une réforme des retraites au « cadre financier durablement équilibré ». Or, si le régime général peut prétendre à l’équilibre en 2020, il reste que les régimes spéciaux et ceux des fonctionnaires seront eux financés par le déficit. Tant qu’à réformer, ne faut-il pas viser l’équilibre du système entier ? Ne faudrait-il pas toucher aux régimes spéciaux, notamment dans la fonction publique ?

Le Gouvernement est bien inspiré de n’avoir pas remis en cause des droits acquis depuis plusieurs générations de travailleurs. L’enjeu aujourd’hui n’est pas tant de remettre en question les droits du voisin mais de répartir différemment les richesses afin que l’ensemble des salariés voient leurs droits progresser. J’ajoute que lorsqu’on regarde la retraite que touchent effectivement les fonctionnaires ou les salariés relevant des régimes spéciaux, il n’y a pas beaucoup de différence avec le montant des pensions servies aux salariés du privé.

Vous semblez plus dubitatif sur le reste de la réforme. Le courant « Maintenant la gauche » que vous dirigez au sein du PS a même dénoncé dans un communiqué l’allongement de la durée de cotisation jusqu’à 43 annuités prévue par le gouvernement après 2020. Mais cette solution n’est elle pas inévitable ? Peut-on réellement envisager d’autres solutions que le « travailler plus » pour financer durablement le système ?

« Travailler plus », c’était le slogan de la majorité précédente, et les Français ne nous ont pas élus pour faire la même politique que la droite. La priorité, c’est la bataille pour le plein emploi et pour une plus juste répartition des richesses.

Promouvoir l’allongement de la durée de cotisations au prétexte du « bon sens », c’est aller dans la mauvaise direction. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas parce que l’on vit plus longtemps que l’on doit travailler plus longtemps. Historiquement, c’est même plutôt le contraire. La gauche n’a cessé de le répéter pendant des décennies. La productivité horaire des travailleurs français est une des meilleures au monde, notre démographie est excellente. Par ailleurs, la durée moyenne de travail des salariés qui ont pris leur retraite en 2012 équivaut à 151 trimestres en 2012 selon la CNAV(Caisse nationale d’assurance vieillesse), donc à 38 ans de cotisations environ. Dans ces conditions, l’allongement de la durée de cotisations n’est pas une bonne solution, surtout quand dans le même temps on prétend lutter contre le chômage des seniors et faciliter l’entrée des jeunes sur le marché du travail.

Le vrai réalisme, c’est de ne pas faire reposer le financement des retraites sur les seuls travailleurs et d’oublier de mettre à contribution les revenus du capital contrairement à ce qu’exigeait le PS cet été. D’autres sources de financement existent, mais surtout, n’oublions jamais de rappeler que c’est l’emploi qui est la solution ultime. Moins il y a de chômeurs, moins il y a de problèmes pour financer nos retraites.

 Autre motif de mécontentement, les salariés et les retraités seront lourdement mis à contribution : hausse des impôts des retraités, report de six mois de la revalorisation des pensions, hausse des cotisations salariales… Est-ce équitable d’ainsi amputer le pouvoir d’achat des Français ?

Depuis des mois, je plaide, avec mes amis, pour un report de la réforme des retraites que nous ne jugeons ni urgente ni opportune ; la priorité doit demeurer selon nous la relance économique, la lutte pour l’emploi, et la victoire contre le chômage.

Si je note avec satisfaction le frémissement de la reprise, il faut se donner les moyens de l’amplifier, en relançant la consommation populaire (par la revalorisation des salaires et des minimas sociaux) et l’investissement productif. Enfin, une grande réforme fiscale est nécessaire pour assurer un meilleur partage des richesses, plus favorable au monde du travail.

Pour compenser la hausse des cotisations patronales prévu par la réforme, le Medef a obtenu la promesse d’une réduction du coût du travail dès 2014. En s’engageant à baisser les cotisations sociales de la branche familiale, le premier ministre ne vous parait-il pas céder davantage à la pression du patronat qu’à celle des syndicats ?

Il est vrai que le résultat des négociations estivales apparaît aujourd’hui déséquilibré en faveur du patronat. Je ne vois pas ce qui pourrait justifier des concessions supplémentaires, sauf à considérer que la réforme des retraites doit être exclusivement portée par les salariés !

Il serait bon d’avoir un débat sérieux sur le niveau prétendument élevé du « coût du travail » dans notre pays. Je suis à cet égard stupéfait de voir un ministre socialiste de l’économie reprendre à son compte, sans aucun recul critique, les analyses du patronat.

Ce qui fait la compétitivité d’une entreprise, et d’un pays, c’est la qualité de la main d’œuvre, celle de ses infrastructures, c’est aussi la qualité de son modèle social. Plutôt que de s’engager dans une course folle au moins disant social, sachons valoriser nos atouts. Et investissons massivement dans la recherche, dans la formation, dans les services publics : à long terme, c’est ce qui garantira à la France de rester une grande nation.

*Photo: Parti socialiste



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Journaliste au Figaro, elle participe au lancement de la revue Limite et intervient régulièrement comme chroniqueuse éditorialiste sur CNews.

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