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Jérôme Guedj, cible d’un corbeau antisémite


Jérôme Guedj, cible d’un corbeau antisémite

jerome guedj

Jérôme Guedj, député PS et président du Conseil général de l’Essonne, a fait le buzz de cette prérentrée politique en twittant le fac-similé d’un courrier antisémite à lui adressé :

tweet guedj antisemitisme

Ce tweet a immédiatement fait le tour des rédactions en ligne des grands médias, à l’affût de toute nouvelle naissance issue du ventre encore fécond de la bête immonde.

On notera la naïve délicatesse de la missive anonyme écrite au feutre en quatre couleurs (rouge, vert, bleu et noir), agrémentée de petits dessins, dont un drapeau israélien prolongeant la dernière barre d’un « H » terminal improprement ajouté au mot « Knesset », dénomination officielle du parlement monocaméral de l’Etat d’Israël.

Par son contenu, cette lettre peut être classée dans la catégorie des poulets antisémites « soft », car elle ne vise qu’à inciter son récipiendaire à changer de crémerie, pour aller exercer ses talents dans l’hémicycle de la Knesset. Un sort nettement plus enviable sur le plan de la qualité de la vie que le regret, souvent formulé par les corbeaux antisémites « hard », que le projet hitlérien n’ai pas été mené à son terme en ce qui vous concerne. Commentaire de Guedj : « #PasCoolLaRentrée », ce qui en tweetolangue « djeune » révèle une forte émotion doublée d’une colère froide du député agressé.

Et pourtant, à quarante-et-un ans, dont une vingtaine consacrée à la vie politique active, Jérôme Guedj ne se souvient que de trois attaques à caractère plus ou moins antisémite dont il aurait été victime dans le cadre de sa vie publique. Il faut préciser que ce brillant sujet, issu d’un milieu modeste de juifs pieds-noirs (il est né à Pantin, c’est dire !) a effectué un parcours républicain exemplaire. Issu du collège Diderot, d’Aubervilliers dans le 9-3, il intègre Sciences-Po Paris, puis l’ENA, bien avant que les mesures de discrimination positive instaurées par feu Richard Descoings ne favorisent l’entrée des jeunes des cités dans les temples de l’élitisme. De son judaïsme, Guedj s’est bien gardé de faire un étendard, ni dans le registre de la victimologie, ni dans celui de la « jewish pride » : on chercherait en vain, dans ses interventions publiques ou ses écrits, des propos pouvant être influencés ou même mis en relation avec ses origines. Certes, il est entré en politique par le canal de SOS-Racisme à l’époque où Julien Dray en était le patron, comme Harlem Désir ou Malek Boutih, mais la dénonciation systématique de l’antisémitisme n’a jamais été sa tasse de thé. Pas plus que la défense, au sein du PS, de positions moins défavorables à Israël que celles de la direction du Parti, telles qu’elles s’expriment, par exemple au sein du Cercle Léon Blum dont il ne fut jamais membre, à la différence de Julien Dray, DSK ou Pierre Moscovici. Si cela n’était devenu un gros mot dans le vocabulaire de la gauche d’aujourd’hui, on pourrait donc le créditer d’un parcours d’assimilation réussi, dont les racines plongent jusqu’au décret Crémieux faisant de ses ancêtres juifs d’Algérie des citoyens français à part entière.

C’est peut-être ce qui provoque son étonnement désolé lors de la réception du misérable billet dont il nous a donné connaissance : « me faire ça, à moi, qui ne suis ni religieux ni sioniste militant, c’est trop inzuste ! » se lamente notre Caliméro du Palais-Bourbon.

Qu’il me permette de lui faire amicalement part de mon expérience en la matière, celle d’un homme qui a l’âge de ses parents, et occupé une position publique, certes moins prestigieuse que la sienne, mais tout de même de nature à vous exposer à l’activité de ce genre de correspondants importuns.

Pendant toutes les années où j’ai exercé des fonctions dans la presse nationale, à Libération, puis au Monde, je n’ai abordé qu’exceptionnellement des sujets réputés sensibles pour quelqu’un portant un patronyme indubitablement juif : un dossier en 1979 dans Libération , sur la diffusion sur Antenne 2, du feuilleton Holocauste, et un reportage en Israël pour ce même journal lors de l’arrivée des Falashas en 1983, et c’est à peu près tout. Au  Monde , je me suis bien gardé de me mêler de ces sujets, non que je n’eusse pas envie de m’y consacrer, car les questions du Proche-Orient me fascinaient, mais en raison d’un tout bête scrupule déontologique. Mon approche du conflit israélo-arabe était, de mon point de vue de l’époque, plus passionnelle que rationnelle, et en conséquence, je ne m’estimais pas autorisé à utiliser un grand organe de presse comme vecteur clandestin d’opinions personnelles. Un attitude confinant d’ailleurs au masochisme, car je pouvais observer, que dans un bureau voisin du service international, un gang de Levantins responsables de la rubrique Proche et Moyen-Orient, composé d’un juif antisioniste, d’un Arménien et d’un Grec arabolâtres, tous trois originaires d’Egypte menait sans vergogne une campagne résolument hostile à l’État juif, non exempte de manipulations ni de crapuleries journalistiques, sans que la direction du journal ne s’en émeuve…[1. Il faut préciser, par souci de justice qu’à partir du milieu des années 80, Jacques Amalric, chef du service étranger, s’efforça de corriger ces biais. Après son départ, en 1992, le «  quotidien de référence » reprit son antienne anti-israélienne en l’adaptant au goût du jour.]

Or, c’est durant cette période que j’ai reçu le plus abondant courrier à caractère antisémite de mon existence : plus d’une cinquantaine de lettres de tout acabit, de la haine antijuive maurrassienne écrite d’une main tremblée de vieillard aux diatribes post soixante-huitardes maquillant l’antisémitisme sous des oripeaux antisionistes. J’ai conservé ces lettres, et met ce corpus à la disposition d’éventuels chercheurs travaillant sur l’antisémitisme en France dans le dernier quart du siècle dernier. J’en ai conclu que l’irritation de mes correspondants résultait non pas de prises de positions concernant la situation des juifs en France ou ailleurs dans le monde, Israël compris. Ils m’en voulaient beaucoup plus de mon culot de petit juif, venu  d’on ne sait où, de faire preuve d’expertise sur des sujets  comme la politique allemande, l’Union européenne, l’OTAN…

La preuve : lorsque, touché par l’âge de la retraite, je me  suis libéré de ce devoir de réserve auto-imposé, et écrivait plusieurs livres plutôt engagés en faveur des juifs et d’Israël, j’ai été négligé par les corbeaux habituels. On m’attaquait, certes, mais à cause des idées exposées, et non pas es qualités. J’ai même l’impression d’avoir inspiré quelque crainte, comme si ces paranoïaques supposaient que je puisse bénéficier d’une protection rapprochée de Tsahal ou du Mossad !

Alors, cher Jérôme Guedj, si ces courriers te chagrinent, un seul remède : vas-y carrément dans la juiverie triomphante (demande conseil à ton nouveau collègue Meyer Habib, il est très bon dans le genre). Envoie, si ce n’est déjà fait, des cartes de vœux de Rosh Hashana à tous les yids ahskénazes et sépharades de votre circo (dépêche-toi, c’est le 4 septembre !). Prends, l’an prochain tes vacances à Netanya, en tweetant tous les jours des tofs de ta famille sur la plage. Fais-toi photographier avec Shimon Pérès, car  je concède que Netanyahou ce serait contreproductif vu ton positionnement politique. Si cela te paraît trop dur, alors jette discrètement au panier les lettres du même acabit que ton coup de blues ne va pas manquer de susciter. Bonne année 5774 quand même !

*Photo: DR



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