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Iran: le régime des mollahs au bord du gouffre?

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Alors qu’il fait l’objet d’une contestation populaire de plus en plus forte, et qu’il est fragilisé par la défaite de ses proxys du Hamas et du Hezbollah et la chute du régime d’Assad, le régime des mollahs iraniens affiche des faiblesses structurelles qui pourraient bien le conduire à sa perte.


C’est un évènement passé inaperçu, qui en dit pourtant long sur les fragilités de la République islamique d’Iran. Le 23 octobre, des clercs du régime réunis en séminaire à Qom, appelaient à la reconnaissance de l’État d’Israël dans ses frontières de 1967. Dire qu’une telle prise de position apparaît plus que singulière, alors que l’État hébreu livre une guerre sans merci aux proxys terroristes de l’Iran, est un euphémisme. D’abord, parce que Qom, ville sainte du chiisme, est par excellence l’un des centres du pouvoir des mollahs. C’est là qu’ils sont formés, et qu’ils forment à leur tour, au sein de l’université religieuse de la ville, ceux qui deviendront les agents d’influence de la République islamique d’Iran. Ensuite, parce qu’une telle prise de parole ne reflète absolument pas la position officielle du Guide suprême, Ali Khamenei, qui menace de rayer Israël de la carte.

Bras de fer

Faut-il voir, dans cette contradiction, le signe d’une fracture au sein du régime iranien ? C’est en tout cas ce qu’explique une source iranienne proche du bureau du guide suprême, avec qui nous avons longuement échangé par messagerie cryptée : « Il y a aujourd’hui un bras de fer qui se joue entre les conservateurs, et les réformateurs. Mais ce serait une erreur de croire que leur opposition marque une différence idéologique. En réalité, les deux camps se font la guerre car les réformateurs, qui tiennent avec les Gardiens de la révolution islamique une partie de l’économie iranienne et les circuits de contrebande, pensent qu’un conflit avec Israël est mauvais pour leurs affaires, et que la République islamique n’y survivra pas. »

Des propos confirmés par l’un des experts qui connait le mieux les arcanes de la République islamique : le Franco-iranien Matthieu Ghadiri. Cet ancien agent double du contre-espionnage français, qui vient de publier Notre agent iranien (éditions Nouveau Monde), a été infiltré au sein du Corps des gardiens de la Révolution islamique. Et il l’affirme : « le premier président du courant réformateur était Mohammad Khatami, élu en 1997. Avec son élection, tout le monde, aussi bien en Iran qu’à l’étranger, pensait que le régime allait changer et devenir acceptable et fréquentable. D’ailleurs, Chirac l’a reçu en visite officielle à Paris fin 1999. Depuis, les réformateurs sont très influents dans les ministères, en particulier celui des Affaires étrangères. Mais ce que l’on oublie, c’est que les réformateurs iraniens ne sont pas des modérés et que la seule chose qui les différencie des conservateurs est la façon dont ils veulent gérer les affaires. Ces deux courants adhèrent à la constitution islamique, sont antisémites et s’opposent à la laïcité, les libertés individuelles et la démocratie libérale. Les réformateurs font donc semblant d’être modérés pour rassurer le monde occidental, mais dans les faits, leurs divergences avec les conservateurs ne sont pas profondes ».

A lire ensuite, Gil Mihaely: Syrie: le nouveau casse-tête d’Israël

Si le courant réformiste veut éviter le conflit avec Israël et les Etats-Unis, c’est aussi parce que les relations avec les partenaires russe et chinois connaissent quelques fausses notes. Moscou se montre peu favorable à l’idée de soutenir les mollahs dans le cas d’une guerre avec Israël et ses alliés occidentaux, quand Pékin s’émeut de plus en plus des leurs velléités militaires, lesquelles pourraient – en cas de chute du régime – mettre fin au flux de pétrole iranien bon marché.

Eviter l’escalade

La victoire de Donald Trump est aussi une source d’inquiétude à Téhéran. Selon la chaine Iran International (appartenant à l’opposition au régime), Abdullah Naseri, l’ancien PDG de l’agence de presse officielle iranienne (IRNA), aurait indiqué, le 7 novembre, que le Guide suprême et le Corps des Gardiens de la Révolution ont « peur de Trump », et que son accession à la Maison Blanche allait avoir pour conséquence l’affaiblissement de leur influence au Moyen-Orient. La raison de cette analyse tient au fait que le régime se sait affaibli sur le plan militaire, mais aussi voire surtout sur le plan intérieur.

Les récentes frappes israéliennes sur l’Iran ont mis à mal une importante partie de son système de défense anti-aérien iranien. En conséquence, un certain nombre d’officiers du Corps des Gardiens de la révolution et de sa force al Qods (l’unité d’élite en charge de ses opérations extérieures), se montrent critique vis-à-vis de la stratégie d’Ali Khamenei. Pour eux, Téhéran n’a pas les moyens d’une guerre avec Israël et ses alliés. Leur conclusion est qu’il faut trouver une entente avec les pays occidentaux, États-Unis en tête, afin d’éviter le pire. Une posture alarmiste au plus niveau de l’État, qui s’explique par le fait que les frappes ciblées orchestrées par Israël au Liban et en Syrie ont décapité une partie du commandement du Hezbollah, et tué plusieurs officiers de la force la Qods. Or, puisque les officiers de ce corps ont chacun son propre réseau d’informateurs, ces derniers sont de fait « HS » suite à l’élimination de celui avec lequel ils étaient en contact. Résultat : face à Israël, Téhéran est à la fois plus fragile et moins bien informée.   

Autre point, et non des moindres : l’Iran est traversé par une crise économique d’une exceptionnelle gravité. Un Iranien sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté, et les 2/3 du territoire n’ont qu’un accès restreint à l’eau potable. À Téhéran (8,9 millions d’habitants), Machhad (4,1), ou Ispahan (2), des millions de gens peinent à se nourrir deux fois par jour.  Dans un pays où la moyenne d’âge est de 32 ans, et la jeunesse surdiplômée, le chômage élevé (20%) exacerbe les tensions entre défavorisés et les privilégiés du régime. Partout en Iran, il est reproché aux dignitaires de la République islamique de s’enrichir sur le dos des autres, alors qu’il est de notoriété publique qu’au sein du Corps des gardiens de la révolution islamique, comme au plus haut niveau du gouvernement, des fortunes colossales ont été amassées par ceux-là mèmes qui réprimandent férocement toute forme de contestation populaire, même pacifique.

Un régime qui vacille

Pour Amir Hamidi, ex-agent spécial de la DEA (agence américaine de lutte contre les stupéfiants), spécialiste du Corps des Gardiens de la Révolution, cette situation est due à sa stratégie, jugée irrationnelle consistant à nier leur propre rôle : « la dernière fois que Khamenei a rencontré l’ensemble des membres de l’état-major du Corps des Gardiens de Révolution Islamique, il les a avertis que pour protéger le régime, ils devaient d’abord s’attaquer à ses faiblesses internes. Sauf que pour le faire il les a exhortés à connaître l’ennemi et à amplifier leur opposition aux États-Unis d’Amérique (…). Son obsession à blâmer les nations étrangères et à négliger de résoudre les problèmes intérieurs à l’Iran a cependant soulevé des inquiétudes quant à sa capacité à diriger efficacement le pays (…). Il suffit d’ailleurs de parler avec des fonctionnaires au sein du régime, pour mesurer leur niveau de défiance vis-à-vis de leur hiérarchie. »

Pour l’heure, malgré la contestation populaire et la crise économique, le pouvoir iranien ne tombe pas. L’avocat franco-iranien Hirbod Dehghani Azar, qui œuvre à la mise en place d’une cour pénale internationale pour juger les auteurs de crimes contre l’humanité en Iran, explique les raisons de cette résilience : « le régime vacille. Mais il tient encore par la violence, par les crimes qu’il perpètre et la mise en œuvre d’une politique tyrannique. Il fait aussi beaucoup de désinformation. Il a notamment fait passer des éléments de langage aux diplomaties occidentales pour leur faire peur. Les mollahs assurent par exemple que si la République islamique venait à tomber, alors il y aurait une partition du pays, ce qui est une aberration. »

A lire aussi, Jean-Sylvestre Mongrenier: Les portes de la guerre sont grandes ouvertes

Iranienne réfugiée en France, Sepideh Pooraghaiee est activiste politique. Elle préside l’association « Renaissance Moyen-Orient », qui vise à sensibiliser et fournir des outils éducatifs sur les questions du Moyen-Orient. En contact quotidien avec différents mouvements de résistance à l’intérieur du pays, elle témoigne : «si le régime iranien continue de s’affaiblir, les militaires [en Iran il existe deux armées, celle héritée de l’ancien régime et le corps des gardiens de la révolution islamique créé en 1979 par décret de Khomeini] pourraient rejoindre la contestation populaire. Il faut donc l’anticiper, car si personne ne le fait, alors cela fera comme au moment de la révolte de Mahsa Amini, en septembre 2022. Tous ceux qui prendront le risque de descendre dans la rue seront réprimés avec force. »  Résignée, elle ajoute : « cela me fait mal au cœur de le dire, mais Israël doit terminer le travail qu’il a commencé, et poursuivre ses bombardements contre l’Iran, même si cela a pour conséquence de faire des victimes. À l’intérieur du pays, les Iraniens le veulent et le disent. Ils savent que la faiblesse du régime tient au fait que le mouvement populaire qui s’oppose à lui est très fort. Il est indispensable de lui donner les moyens de poursuivre sa lutte ». La voix tremblante, la jeune femme poursuit : « il n’y a presque plus d’électricité en Iran. Les infirmières, les médecins et les gens éduqués cherchent à quitter le pays, pour fuir ce gouvernement barbare. Certains se suicident. Franchement, nous sommes désespérés. On se demande aussi ce que font les Américains. Ils ont des bases dans le golfe Persique, proches géographiquement de celles des gardiens de la révolution. Alors pourquoi ne les traitent-ils pas comme ils traitent les groupes terroristes sunnites ? Il faut être honnête : les gens sont fatigués. Si la République islamique se maintient plus longtemps, le pays finira par sombrer économiquement, car plus rien ne fonctionne. Cela aura des conséquences terribles pour le monde entier », prévient l’opposante, qui conclue : « il y a tant de compétences au sein de la population iranienne. Il est temps de lui faire confiance. »

En écho aux propos de Sepideh, Firouzeh[1], une étudiante en relations internationales de 25 ans à l’université d’Ispahan, nous confiait il y a peu : « dans le secteur privé comme au sein de l’administration, la contestation est de plus en plus importante, tout le monde le sait. Le gouvernement est à l’agonie. Le seul qui ne veut pas le voir, c’est le Guide suprême, alors que tout le monde sait bien que c’est fini, et que ce régime ne tiendra pas des années. C’est donc le moment où jamais pour le faire tomber ».  

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[1] Son nom, son âge et son lieu d’études ont été modifiés à sa demande

Lyrique: William Christie au sommet, Robert Carsen caustique et irrévérencieux

Les fêtes d’Hébé s’inscrit dans la grande lignée des opéras lyriques, si ce n’est comiques, avec une impertinence cocasse traversant le spectacle de bout en bout…


Une élégante brochette – ministrable écarté, ministresse en semi-retraite, star du cinéma hexagonal & conjoints… – honoraient le congé dominical, en ce 15 décembre 2024, de leur auguste présence au rang « protocole » de la corbeille de la salle Favart. À guichet fermé s’y tenait la seconde représentation des Fêtes d’Hébé, ce merveilleux opéra-ballet de Rameau (1653-1764)- cf. Les Indes galantesDardanus ou Les Boréales… L’exact contemporain de Haendel aura attendu d’avoir la cinquantaine pour se lancer dans l’aventure lyrique, mais avec quel génie ! À sa création en l’an 1739  –  pour situer, Louis XV n’a que 29 ans – , le compositeur dédie Les Fêtes d’Hébé à la vieille duchesse douairière de Bourbon-Condé, fille de Louis XIV et de la Montespan : « si [cet ouvrage] peut mériter son approbation, mon ambition est satisfaite ». L’Altesse sérénissime acquiesce à ces vœux. Elle n’a pas tort.

Les enjeux dramatiques de ces Fêtes d’Hébé, chronologiquement son deuxième opéra-ballet, résistent à l’entendement du spectateur d’aujourd’hui, peu familier du personnel mythologique dont la société cultivée du XVIIIème siècle était, elle, biberonnée dès le berceau. Au reste, même à l’époque, paraît-il, la médiocrité du livret dû à un certain Gautier de Montdorge n’échappait à personne, au point de susciter alors dans Paris quelques fielleuses parodies. Rameau ne s’en formalisa point : somptueux, la musique et le chant se suffisent largement à eux-mêmes.

Beaucoup de rires dans l’enceinte de l’Opéra-Comique

Prenant acte de cette difficulté à se repérer entre Sapho et son amant Alcée, Iphise et son chéri Tyrtée, Mercure et sa muse Eglé, etc., etc., la foison de cet Olympe nous passant au-dessus du crâne, le metteur en scène Robert Carsen transpose, avec le brio qu’on lui connait, cet aréopage fabuleux dans l’époque présente, en bord de Seine. Comme y invitait du reste, et la localisation de l’Académie Royale de Musique en ce temps-là, et l’argument proprement dit de l’opéra : rive droite, (faut-il y voir un clin d’œil ?), du Pont Neuf à la Tour Eiffel ! Ainsi les trois fêtes successives formant tour à tour les trois actes, ou « entrées » de l’opéra-ballet comme on les appelait, à savoir « La Poésie », « La Musique » et « La Danse » sous leur habillage mythologique, prennent place sur la rive du fleuve tant chéri de la nageuse Hidalgo.

Le prologue est pour Carsen l’occasion d’une transposition irrévérencieuse, qui fait à juste titre beaucoup rire dans l’enceinte de l’Opéra-Comique. Car selon la fable, Hébé, déesse de la jeunesse, pour avoir malencontreusement renversé le nectar des dieux, se voit contrainte de descendre de l’Olympe. C’est donc la salle des fêtes de l’Élysée qui sert de décor au raout au cours duquel l’hôtesse des lieux, vue de dos, une Première dame néanmoins reconnaissable à son épaisse, lourde et raide toison peinte en blond platine, se prend une bonne giclée de vin rouge sur sa robe immaculée, maladresse de la serveuse Hébé, laquelle rejoindra le fleuve en vélo, sans qu’on nous dise d’ailleurs si c’est sur piste cyclable… S’ensuit, chantée par la soprano Emmanuelle de Negri dans le rôle-titre, cette confidence en vers, si férocement d’actualité : « Je ne regrette plus /Le séjour du tonnerre:/ les Grâces, l’Amour et Vénus/ Ont leur empire sur la terre » […] « Volons, volons sur les bords de la Seine ».[…] « La Jeunesse et les Ris ont des attraits brillants ; / mais leur victoire est incertaine/ Sans l’heureux secours des talents ». Puis, devant la grille d’honneur du Palais de l’Elysée, toile de fond de la première « entrée » consacrée à « La Poésie », un aéropage mondain se selfise à satiété.  Hymas (ou Hylas, enlevé par les nymphes dans la mythologie grecque) prend l’habit d’un CRS : « On doit voler quand Sapho nous appelle », chante-t-il…

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Une impertinence cocasse traversera le spectacle de bout en bout sous les auspices du metteur en scène canadien, les numéros se continuant sur le quai de Paris-Plage, planté de palmiers en pot et garni de transats, puis sur le bal-musette nocturne implanté là même, avec Mercure pour DJ et vue imprenable sur l’île Saint-Louis et Notre-Dame, pour s’achever en feu d’artifice, au pied du pont d’Iéna, terminus d’un bateau-mouche baptisé « Hébé »… Entre temps, Iphise aura convolé avec le capitaine de l’équipe de foot, match retransmis sur écran en plein air, au pied du mur coiffé des boîtes vertes (finalement sauvegardées) de nos bouquinistes… Signées Nicolas Paul, les chorégraphies de danseurs des deux sexes en tenues de princes du ballon rond ou en jogging lorgnent, sans vulgarité, vers le hip-hop et le break dance. On sent que tout le monde s’est beaucoup amusé à ce carnaval de références.

Photo : Vincent PONTET

… portés par un duo de choc

De ce divertissement espiègle, troussé de main de maître avec une fantaisie emprunte de causticité par l’irremplaçable Robert Carsen, le grand vainqueur reste tout de même William Christie et sa célèbre formation des Arts Florissants, à qui l’on doit la redécouverte, ce dernier demi-siècle, de la musique baroque sur instruments d’époque. Entre Christie et Carsen perdure un très ancien et fertile compagnonnage : ils se sont associés auparavant déjà sur une bonne dizaine de projets en l’espace de trente ans. Étonnante complicité entre le pape émérite du scrupuleux retour aux sources, et le rebelle à tout historicisme stérile en matière de scénographie !  

Porté par un orchestre à la vitalité stupéfiante, dont les sonorités archaïsantes, les crescendos savamment gradués, les pulsations nerveuses, au tempo rapide, contrastant avec les singulières langueurs de certains morceaux, sont une surprise permanente pour l’oreille contemporaine. Les chœurs, d’une netteté sans faille, ne sont pas moins excellents. Hébé puis naïade, Emmanuelle de Negri fait merveille, tout autant que la mezzo Lea Desandre qui campe tour à tour Sapho, Iphise et Eglé, et la soprano Ana Vieira Leita incarnant l’Amour, le Ruisseau et une bergère. Quant à Mercure, il s’impose magnifiquement sous les traits de Marc Mauillon, puissant et viril baryton ténor qu’on retrouvera dès janvier prochain, au Palais Garnier cette fois, encore dans Rameau, avec la tragédie lyrique Castor et Pollux – nouvelle régie d’une autre star de la mise en scène lyrique : Peter Sellars.


Les fêtes d’Hébé. Opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau. Direction : William Christie. Chœurs et orchestre Les Arts Florissants. Mise en scène : Robert Carsen. Avec : Emmanuelle de Negri, Lea Desandre, Ana Vieira Leite, Marc Mauillon, Renato Dolcini, Cyril Auvity, Lisandro Abadie Antonin Rondepierre, Matthieu Walendzik.
Durée : 2h50.
Théâtre national de l’Opéra-Comique, les 17, 19, 21 décembre 2024 à 20h (le 19, tenue de fête pour l’anniversaire de William Christie, 80 ans).  

Captation diffusée le 21 décembre sur Mezzo et medici.tv 

Une thérapie ciblée pour inverser le déclin français

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La France doit en finir avec la croissance à crédit. Concernant nos dépenses, l’émergence du numérique et de l’intelligence artificielle rend incompréhensible l’augmentation continue des effectifs d’agents publics… Sans remise en cause préalable profonde de notre modèle économique, parler de transition environnementale, de réindustrialisation, de nouvelles centrales nucléaires ou de développement de grandes infrastructures nationales est vain. Dans le contexte actuel de crédibilité dégradée de la parole politique, seul le recours au référendum gaullien permettrait d’obtenir l’assentiment des Français sur les mesures radicales à prendre. L’analyse de Philippe Nguyen.


Investisseur dans les industries décarbonées sur différents continents, témoin de la remarquable percée technologique du Sud global dans le monde, par ailleurs conseiller économique de deux candidats à la présidentielle française (2012 et 2022), il m’apparaît utile de présenter quelques pistes pour inverser l’inexorable déclin français vécu depuis quatre décennies.

Stabiliser le modèle social

En premier lieu, il convient d’être conscient que deux quinquennats seront probablement nécessaires pour y arriver. Ceci signifie que le porteur, courageux, d’une telle ambition en 2027, a toutes les chances de ne pas se faire réélire en 2032, la malédiction Schröder en quelque sorte.

En second lieu, on ne pourra pas faire l’économie de recentrer le « modèle social » français, que personne au monde n’envie en réalité, contrairement à ce que pensent les Français.

En troisième lieu, c’est bien la croissance qu’il faut privilégier mais une croissance vertueuse, pas une croissance à crédit, au détriment des générations futures. L’épargne privée devra de fait être mobilisée massivement, ce qui est un changement de paradigme.

Enfin, un véritable scénario de redressement devra recueillir l’assentiment d’une grande majorité de Français, pas la moitié mais plutôt les deux-tiers. Ceci appelle un rassemblement transpartisan dépassant les clivages picrocholins actuels. La légalité représentative n’est aujourd’hui clairement plus en phase avec la légitimité populaire.

La France doit renouer avec une discipline macroéconomique sans faille, dans la durée. Il ne s’agit plus désormais d’ajustement à la marge avec telle ou telle mesure sur la fiscalité de l’énergie, de baisse ou de hausse ciblée de la TVA, de taxation des « riches » et des « superprofits », de déremboursement de médicaments ou de suppression d’agences administratives. Inverser le déclin français passe par une discipline macroéconomique forte, s’inscrivant dans la durée.

Notre modèle social est en bout de course. Les dépenses sociales publiques françaises représentent 32,2% du PIB, soit 909 milliards d’euros en 2023, contre 27% en moyenne dans l’Union européenne et 20% dans l’OCDE.

L’objectif premier doit être de réduire progressivement le poids des dépenses sociales publiques dans la  production annuelle de richesse. Passer de 32,2 % du PIB à la moyenne européenne, soit 27 %, serait un bon objectif macroéconomique, au-delà des considérations techniques relatives aux différences entre systèmes sociaux nationaux. Ceci correspondrait à une maîtrise des dépenses sociales publiques de 147 milliards en euros constants (le déficit budgétaire 2023) au bout de 10 ans, soit un effort relatif d’une quinzaine de milliards d’euros par an. C’est-à-dire en fait un objectif de stabilisation des dépenses sociales publiques en euros courants, du fait d’une inflation cible à 2%. Il n’y a pas mille possibilités pour atteindre cet objectif. Soit divers dispositifs sociaux sont rendus moins favorables ou sont tout simplement supprimés, soit une désindexation partielle ou totale est mise en œuvre sur longue période. Tout scénario hybride, associant ces deux orientations en proportions variables, dispositif par dispositif, est bien sûr envisageable. Ceci laisse une grande latitude politique quant au choix  des dépenses sociales à privilégier ou non.

Prenons l’exemple des retraites. Les dépenses de retraite représentent 13,5% du PIB, soit 381 milliards d’euros en 2023. Nous devrons à l’évidence encore procéder à une nouvelle réforme dans les années à venir, compte tenu de l’allongement de la durée de vie et de la dégradation inéluctable du ratio « actifs sur retraités ». Les problématiques exprimées de façon passionnelles sur l’âge de départ à la retraite (60, 62, 64, 67ans,…) et sur l’indexation partielle ou totale des retraites ont empêché de considérer froidement et collectivement les solutions envisageables, acceptables socialement et compatibles avec les finances publiques. Le choix d’un départ à la carte, tenant compte des carrières longues, des métiers pénibles, des parcours professionnels hachés et des petites retraites, est possible tout en étant financé sur la durée.

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Une dose de capitalisation sera en tout état de cause indispensable, d’autant plus qu’elle sera vertueuse quant aux financements futurs des investissements souverains. L’exemple hollandais, qui fait l’objet d’un consensus national, est à cet égard un bon exemple. Nous touchons du doigt, sur cette question des retraites, la nécessité de sortir des postures et d’accéder à un assentiment populaire de bon sens.

Autre domaine, la santé. Les dépenses de santé représentent 12,1% du PIB, soit 342 milliards d’euros en 2023. Régulièrement chaque année se joue un psychodrame sur le dérapage des dépenses de santé, la baisse alarmante de la qualité des services hospitaliers ou l’extension des déserts médicaux.

Objectif envisageable : stabiliser les dépenses de santé en proportion de la richesse nationale, soit 12,1% du PIB et revenir progressivement à un bon niveau de service public. Ceci laisse la France dans le peloton de tête de l’OCDE, derrière les États-Unis et à peu près au même niveau que l’Allemagne, étant observé que l’OCDE affiche un niveau de dépenses de santé moyen à hauteur de 9,2% du PIB. Pour information, si la France s’alignait sur la moyenne OCDE, les Français économiseraient 82 milliards d’euros chaque année.

Les mesures à prendre, décapantes pour la France… et normales pour n’importe quel autre pays, sont à cet égard connues.

Ajuster et redynamiser la sphère publique

Il convient de se demander pourquoi l’Allemagne gère ses services publics avec 4,6 millions d’agents publics contre 5,5 millions d’agents publics pour la France, alors qu’elle a 24% de population en plus et des institutions décentralisées. Or, les services publics allemands ne sont pas moins bons que les services publics français.

Un objectif de réduction de 20% des effectifs publics est ainsi envisageable pour la France, pour la ramener au niveau de l’Allemagne (en nombre d’agents publics mais pas en proportion de la population), atteignable de façon progressive sur une décennie, soit une réduction programmée d’un million d’emplois publics et une amélioration des finances publiques autour de 60 milliards d’euros en régime de croisière. Objectif bien raisonnable : il s’agit de revenir à la situation de la France des années 2000, à une époque où le numérique n’était pas généralisé et où l’intelligence artificielle était balbutiante.

Il n’y aura pas de « grand soir » : ce programme devra faire l’objet d’une concertation avec les organisations représentatives quant aux processus à mettre en œuvre : adaptation des services et des rémunérations (en mieux…), plateformisation humanisée des services publics permise par le numérique et l’intelligence artificielle en bonne entente avec les agents, départs à la retraite non remplacés mais sans impact opérationnel, aide au reclassement interne et externe, formations complémentaires, appui à l’entrepreneuriat. Plans de licenciement ou dispositifs de radiation des cadres ne seront pas nécessaires. La demande de sens des agents publics dans leur travail constituera aussi un moteur puissant d’accompagnement et de bon atterrissage. Nous ne sommes en France, à l’évidence, qu’au début des transformations majeures qu’enregistrent les secteurs publics sur toute la planète.

Il sera probablement utile de reconsidérer les catégories d’agents publics pour lesquelless s’impose le bénéfice du statut de fonctionnaire, mis en place, rappelons-le, par le Conseil National de la Résistance à la Libération, soit il y a… quatre-vingts ans !

L’évolution du management public est aussi au cœur de l’amélioration des services publics et de leur efficience : il est ainsi urgent de concentrer la responsabilité et la décision publique au plus près du terrain, de redonner aux préfets une capacité d’impulsion et de décision localement, de permettre aux responsables d’unités administratives de base de récompenser et de sanctionner leurs collaborateurs, de les promouvoir et de les inciter à adapter leurs organisations administratives.

C’est une approche positive qu’il faudra promouvoir avec les agents publics, une dynamique de services publics « réenchantés », en quelque sorte. La fonction publique y est globalement prête, si elle est étroitement associée à la mise en œuvre de ces changements.

Une croissance vertueuse

La croissance a des retombées positives sur le pouvoir d’achat, l’emploi et les finances publiques. Nous pouvons dès lors nous demander pourquoi il est devenu si difficile d’atteindre le taux de croissance dite naturelle du pays, qui pour mémoire s’inscrit dans une fourchette de 1 à 1,2%.

La croissance, en fait, ne se décrète pas. C’est la résultante de nombreuses décisions, publiques et privées, qui d’abord repose sur la confiance des acteurs économiques. La croissance dépend aussi de ses modes de financement : ce n’est pas la même chose que de financer la croissance par la dette publique que de la financer par l’épargne privée.

Et à partir d’un certain niveau de prélèvements obligatoires (avec 45,6% du PIB selon Eurostat, nous avons hélas dépassé ce seuil depuis 2009), le multiplicateur keynésien des dépenses publiques passe en-dessous de 1, c’est-à-dire que 1 euro de dépenses publiques se traduit par moins d’1 euro de création de richesses.

Or, les besoins en investissements complémentaires de bien commun du pays sont importants : de l’ordre de 100 milliards d’euros par an, en transition environnementale, centrales nucléaires, infrastructures, technologies, réindustrialisation, fonds propres des PME/ETI, souveraineté industrielle et agricole. Là aussi, les enjeux prennent une dimension macroéconomique.

La mise en place d’un fonds souverain financé par l’épargne privée française, à hauteur de 100 milliards d’euros par an, soit 500 milliards d’euros sur cinq ans, répond à cette problématique de croissance vertueuse. Pour mémoire, le fonds souverain norvégien s’élève à 1700 milliards d’euros.

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En parallèle de la stabilisation des finances publiques, ce fonds souverain constitue un moteur macroéconomique permettant le rehaussement de la croissance naturelle française, passant de 1/1,2% à 2/2,5% par an sur la durée. Rien de magique dans cette perspective : ce fonds souverain permet une impulsion macroéconomique annuelle de l’ordre de 3% du PIB, compensant les effets récessifs de la baisse des dépenses publiques, sans avoir besoin de mobiliser de l’argent public, puisqu’il est financé par de l’épargne privée. Un placement privé complémentaire et non concurrent de l’épargne défiscalisée et de l’assurance-vie. Les émissions annuelles du fonds souverain ne représentent en effet que 4% des encours du livret A, du livret de développement durable et solidaire ainsi que de l’assurance-vie.

C’est du reste comme cela que les chemins de fer, les grands magasins et l’industrie se sont développés au XIXème siècle. Les Français deviennent actionnaires de l’économie française.

Une trajectoire de finances publiques enfin sous contrôle

L’ensemble de ces orientations permettent de passer en excédent budgétaire primaire (hors charges financières) en trois/quatre ans, de placer la dépense publique en-dessous 50% du PIB (57% actuellement) en sept/huit ans et de stabiliser puis ramener la dette publique en dessous de 100% du PIB sur la décennie. C’est long mais c’est atteignable sans fractures majeures au sein du pays.

Les agences de notation devraient assez vite remonter la note souveraine de la France, réduisant ainsi la charge annuelle de la dette publique.

Restaurer le référendum gaullien pour l’adhésion de deux Français sur trois

Se donner des objectifs macroéconomiques sur la durée permet de mettre en œuvre des réformes opérationnelles avec la souplesse nécessaire et de rendre le modèle français soutenable financièrement, sans le défigurer.

Plutôt qu’un plan technocratique, tout aussi pertinent soit-il, c’est une feuille de route traduisant des choix politiques qu’il convient de promouvoir, avec l’assentiment préalable d’une large majorité de Français.

Nous avons tout à gagner à renouer avec la pratique du référendum gaullien, dans le contexte actuel de crédibilité dégradée de la parole publique. Un référendum posant de vraies questions, assorti de formulations claires et non biaisées, de vrais débats publics, en particulier sur le système de retraite, le modèle social français et l’évolution des services publics.


La femme ou l’homme politique qui s’engagera dans une telle démarche de vérité, de transparence et de courage, gagnera la présidentielle 2027, c’est ma conviction profonde. La légitimité et le temps seront là pour permettre la mise en œuvre d’un réel programme d’inversion du déclin français. Le référendum constituera enfin une arme puissante pour dépasser les clivages partisans. Un retour à l’esprit originel de la Constitution de 1958.

Rencontre avec une caste-killeuse

Pour Chloé Morin, ancienne directrice de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean-Jaurès, c’est en déployant davantage de fonctionnaires sur le terrain et en réduisant la bureaucratie qu’on améliorera la qualité des services publics. Il faut surtout en finir avec une caste : la noblesse d’État qui gouverne l’administration.


Elle les appelle « les inamovibles ». Pour Chloé Morin, ce sont les hauts fonctionnaires, ces aristocrates d’un genre nouveau, qui sont les principaux responsables de la gabegie croissante de l’administration française. Il y a quatre ans, elle leur a consacré un essai remarqué, au sous-titre qui frise la dénonciation de l’État profond : « Vous ne les verrez jamais, mais ils gouvernent ». Mais pour l’ancienne directrice à la Fondation Jean Jaurès, pas question de critiquer le tiers état du service public, les agents que les administrés voient au quotidien. Au contraire, affirme-t-elle, il en faudrait davantage. Et mieux les payer. Au fait, on a oublié de vous dire que Chloé Morin a conseillé Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls entre 2012 et 2017.


Causeur. Comment comprenez-vous que plus de la moitié des Français se déclarent, dans les sondages, insatisfaits de l’accueil et de la qualité du service dans les administrations ?

Chloé Morin. Bien sûr qu’ils sont insatisfaits ! Et ils ont souvent raison de l’être. Avez-vous déjà fait l’expérience de France Travail (ex-Pôle Emploi), par exemple ? C’est un calvaire. Rien n’est fait pour véritablement épauler le chômeur et l’aider dans sa recherche d’emploi. Et quand vous commencez à être indemnisé moins de trois mois après le début de votre période d’inactivité, vous devez vous estimer heureux… Je pourrais multiplier les exemples de ce type, aussi bien dans les services publics que dans les organismes chargés de missions de service public.

Comment améliorer le service public ?

Il faut plus de fonctionnaires au contact du public, sur le terrain – professeurs, policiers, infirmières – et moins dans les bureaux. C’est à la bureaucratie – celle qui produit les montagnes de paperasse qui noient les entreprises comme les particuliers, pour justifier leur existence – et non aux fonctionnaires qu’il faut s’attaquer.

Ne faudrait-il pas tout simplement moins de fonctionnaires, mais mieux payés ?

Dans certains endroits, oui, incontestablement. On se plaint de recruter des profs qui ne sont pas au niveau. Mais si on les payait mieux, on attirerait de meilleurs profils.

Dans votre livre, vous critiquez la haute administration et son aptitude à créer toujours plus de bureaucratie et à bloquer les réformes décidées par les gouvernants. Est-ce seulement de sa faute si le service public est devenu si ankylosé ?

Non. C’est aussi la faute des responsables politiques qui, depuis des décennies, ne s’intéressent pas véritablement à la réforme de l’État. C’est pourtant, à mes yeux, l’urgence aujourd’hui. Il faut faire mieux, beaucoup mieux, et avec moins. Mais pour ça, il faut du courage. Car ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change dans la machine administrative sont très nombreux.

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Mais Emmanuel Macron, qui dénonçait en 2016, dans son essai Révolution, « une caste bénéficiant de privilèges hors du temps », n’a-t-il pas supprimé l’ENA et les grands corps d’État ?

Si, mais il n’est pas allé au bout de sa logique. Sans doute parce qu’il a beaucoup tardé à s’attaquer au sujet, puis qu’il s’est retrouvé dépourvu des moyens suffisants pour mener à bien son action.

Parmi les causes des dysfonctionnements de l’administration, vous pointez aussi le « New Public Management », cette « philosophie libérale de l’État » (Luc Rouban) qui nous vient des pays anglo-saxons. Mais n’est-ce pas une bonne idée de concevoir les services publics comme des entreprises ? N’est-ce pas gage de performance ?

Pas toujours. Tout est affaire de mesure. Certaines méthodes du privé peuvent être très utiles à la sphère publique. Mais comme toujours, nous avons tendance en France à faire du zèle et à appliquer bêtement l’ensemble d’une doctrine sans réfléchir à ce qui n’est pas transposable chez nous, ou dans telle ou telle administration. Je note que les comptables de Bercy n’ont jamais eu autant de pouvoir et jamais été aussi donneurs de leçons, et que pour autant, la dette n’a jamais été si importante. Il est trop facile de prétendre que ce serait uniquement la faute de citoyens irresponsables et de politiques manquant de courage. Cela tient aussi à notre approche de la conception du budget et de l’action publique. C’est systémique.

Peut-on parler d’« État profond » ?

C’est un terme controversé, notamment parce qu’il a été employé par des responsables politiques populistes ou dans des régimes peu démocratiques. Je note que certains profitent de l’histoire de ce terme – qui commence en Turquie – pour mieux disqualifier le constat qu’il désigne. Afin de ne pas leur donner cet argument facile, je préfère quant à moi ne pas l’utiliser.

Dans votre ouvrage, vous plaidez pour le « Spoil System » (le « système des dépouilles »), cette pratique américaine qui veut qu’à chaque alternance politique, on change non seulement de ministres et de cabinets ministériels, mais aussi de hauts fonctionnaires.

L’inamovibilité de notre haute administration a l’avantage de nous préserver de l’accaparement, tel qu’il a cours aux États-Unis, de l’État par les intérêts privés. Mais elle a l’inconvénient de finir par autonomiser une sorte de noblesse d’État au sommet du service public. C’est ce second inconvénient que l’on pourrait corriger en permettant à un ministre, quand il prend ses fonctions, de nommer ses directeurs centraux d’administration. Cela permettrait aux politiques de mieux asseoir leur autorité. Mais contrairement à ce que font les Américains, je ne recommande pas pour autant que les hauts fonctionnaires déposés soient renvoyés. Il est tout à fait possible de les réaffecter à d’autres postes de qualité au sein de l’administration.

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Au début des Inamovibles, vous citez Jean-Marc Sauvé, qui fut notamment secrétaire général du gouvernement sous Juppé, Jospin, Raffarin et Villepin, et pour qui l’État est « chez nous encore plus qu’ailleurs […] le dépositaire d’une mémoire collective et l’incarnation de notre désir de vivre ensemble ». Ces belles paroles ne sont-elles pas une simple incantation ? L’État et ses fonctionnaires sont-ils encore le socle de notre nation ?

Les Français sont toujours très attachés à l’État. C’est la raison pour laquelle ils en attendent beaucoup, peut-être parfois trop, en dépit du fait qu’ils jugent durement les fonctionnaires et la bureaucratie. De ce point de vue, on observe une disjonction entre l’État, qui garde une bonne image, et les fonctionnaires, qui l’incarnent.

Esquisse d’un crépuscule

Dans Oh, Canada (2024) de Paul Schrader, adapté du roman Foregone de Russell Banks, on suit Leonard Fife, un cinéaste réfugié interprété par Richard Gere, qui, atteint d’un cancer incurable, révèle ses secrets lors d’une dernière interview…


Paul Schrader délivre un portrait en clair-obscur d’une fin de carrière d’un réalisateur de film documentaire joué par Richard Gere et aidé par Uma Thurman pour évoquer cette vie d’artiste.

Très curieusement, le nouveau film du talentueux et passionnant Paul Schrader (American Gigolo, La Féline, entre autres et sans compter le scénario de Taxi Driver notamment) est passé totalement inaperçu au dernier Festival de Cannes où il était en compétition. C’est d’autant plus injuste que Oh, Canada se révèle être un film d’une sombre beauté funèbre. Il met en majesté déchue un Richard Gere aux cheveux définitivement blancs et dont le personnage est bien décidé à faire le bilan d’une vie. Se déroulant dans le milieu du cinéma, le film prend des allures assumées sinon d’autoportrait, du moins d’un reflet de l’artiste vieillissant. Face à lui, une Uma Thurman plus que parfaite en compagne des vieux jours et des bilans obligés.


Les « Tontons flingueurs » de la République

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« Quand le lion est mort, les chacals se disputent l’empire »


Les politiques, ça ose tout… Elisabeth Borne, Gabriel Attal, Michel Barnier, François Bayrou, Tournez manège ! La Main passe ; Le Dindon ; Interdit au public ; La Facture ; J’y suis, j’y reste… Feydeau et Labiche, avant Macbeth. Les mouches vont de nouveau changer d’âne, se poussent de giron en giron pour sauver un maroquin, arracher une breloque, un fromage, la présidence d’une Haute autorité. Bruno tient la place Beauvau. Rachida, nerveuse, rédige des placets. Elle adore D’Artagnan, les Branlos, la poule au Pot, skier à Font-Romeu. Xavier Bertrand, Pierre Moscovici, Thierry Breton, des ours solitaires, dominants, rodent, ils ont faim… A qui l’or des réceptions de l’ambassadeur, les rochers Ferrero du Quai d’Orsay ?  « L’honneur, ils l’ont dans les dents, comme du caramel » (Marcel Aymé).

Le Mahabharatin

Les allocutions de passation de pouvoir condensent toutes les naïvetés, impuissances et médiocrités politiques. Les jeunes fanfarons, vieux guides de hautes crevasses, premiers de cordée, qui tous ont mené le pays au fond de l’étang, se font la courte échelle. Nestor manager de transition, digne et urbain, Michel Barnier connaît le refrain : « Je continue à croire que notre pays a besoin de vérité, d’apaisement, de dignité, de réconciliation. Notre pays a aussi besoin de justice. Trop de Français ont aujourd’hui le sentiment que leurs préoccupations quotidiennes ne sont pas prises en compte par les gouvernants »

Après les Alpes, les Pyrénées et le caquet de Gascogne. Bretteur et menteur, François Bayrou prévient qu’il sera un Premier ministre « de plein exercice et de complémentarité » … une aide contre l’Elysée. Il est conscient de « l’Himalaya qui se dresse devant nous ». Tartarin au Tibet a vu le Migou, connaît « mieux que personne » Henri IV et la difficulté de la situation. « Nous avons le devoir, dans un moment aussi grave pour le pays, pour l’Europe et devant tous les risques de la planète, d’affronter les yeux ouverts, sans timidité, la situation qui est héritée de décennies entières ». A la fin de l’envoi, Montfleury mollit, se couche : « Si je peux, à mon tour, j’essaierai de servir cette réconciliation nécessaire ». « Les mots soulèvent les montagnes quand ils sont des mots vivants ; ils les sapent quand ils sont des mots morts » (Montherlant). 

Dans la coulée du grand bronze, sur des pistes vertes, roses, rouges, les Popeye du NFP, Bronzés au pays des Soviets, coconstruisent leur bonhomme de neige rassembleur : une tête de Castets, un ventre de Glucksmann, le chapeau de Cazeneuve… Où placer la carotte de Mélenchon ? Gare au virilisme. Le problème c’est le grisbi. Qui va régler la douloureuse à la fin du Grand Guignol ? Moody’s vient d’abaisser notre note souveraine : Aa2, assortie d’une perspective négative, le Aa3 nous pend au nez. 

Le Mexicain, Monsieur Fernand, Raoul et les autres 

Barrages républicains, arcs de contrefort – brisés, surbaissés, plein centre -, soupe à l’union, pactes de non-agression, coalition des modérés bios, stage d’apprentissage de non-censure, traîtres en période d’essai, autodissolution de l’Assemblée : aucune tartufferie ne nous est épargnée. Le blocage est durable, structurel. 2027 se rapproche. Le suffrage universel menace la démocratie… Enferrés dans l’idéologie, des promesses ubuesques, contradictoires, les partis et le Parlement paniquent. Tout compromis est impossible, suicidaire, ferait immanquablement tomber les masques, la fausse monnaie des concertos pour flûte de paons et mandoline, qui mènent au Palais-Bourbon. L’union ça craint. 

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Cornérisé, le président a hissé le drapeau blanc. Le diplomate prend le pas sur l’homme d’action, l’époque est aux tables rondes, à la détente. Il suggère un « gouvernement d’intérêt général représentant toutes les forces politiques d’un arc de gouvernement qui puisse y participer ou, à tout le moins, qui s’engage à ne pas le censurer » … « En 2016, Manu le Mexicain, tout le monde l’aurait donné à cent contre un : flingué à la surprise, mais c’t’homme là, ce qui l’a sauvé : c’est sa psychologie. Ça été une épée, un cador ; moi je suis objectif, on parlera encore de lui dans cent ans. Seulement, faut bien reconnaître que Jupiter a décliné, surtout de la tête…Quand le lion est mort, les chacals se disputent l’empire. On ne peut pas leur en demander plus qu’aux fils de Charlemagne » (Les Tontons flingueurs).

LFI a gardé l’esprit fantassin, un côté maquisard. Madame Mado, Mathilde Panot, Folace, Freddy, Bastien, Boyard, sans peur ni reproche, tirent en rafale, multiplient les fermés et les rabats. Taratatata ! Raoul Mélenchon Volfoni dynamite, disperse, ventile, veut renvoyer le gugusse de Matignon tout droit à la maison mère, au terminus des prétentieux. Mais sa priorité, ce n’est pas le Béarnais. Son objectif, c’est le gros lot, l’Elysée, le patron. « Mais y connaît pas Raoul ce mec ! Y va avoir un réveil pénible… J’ai voulu être diplomate à cause de vous tous, éviter qu’le sang coule… Mais maintenant c’est fini… je vais le travailler en férocité… le faire marcher à coups de latte… A ma pogne je veux le voir… Et je vous promets qu’il demandera pardon !… Et au garde-à-vous ! » (Les Tontons flingueurs).

Sous le signe de l’Hexagone

La morale de l’histoire, honteuse, est passée sous silence. N’en déplaise aux journalistes naïfs, sociologues amnésiques, politiques démagogues, la démocratie et la France, cela fait deux. Notre fond de sauce tricolore n’a jamais été athénien ni parlementariste. La tradition nationale, c’est le vertical, la courtisanerie, le ressentiment, les jalousies, furieuses, durables. Notre Credo c’est le « bien commun » en ordre serré – au pas camarades, en cadence citoyens -, en tranchant tout ce qui dépasse.

L’amour de la liberté, le dialogue, le sens du compromis – sinon fraternel, du moins apaisé -, consubstantiels à toute démocratie (représentative, parlementaire, directe, de terrain) nous ont toujours fait défaut. Avec ou sans culotte, gilet jaune, rouge ou noir, le vice incurable des Français, c’est « L’amour du censeur » (Pierre Legendre), des statuts, grilles, les décorations, le bâton, les chefs – grands et petits – surtout petits. Pas de liberté pour les amis de la liberté ! 

L’inavouable est masqué, enrobé dans des promesses de Nupes, des pétitions de grands principes, est maquillé dans des devises éblouissantes, schibboleths de pacotille aux splendeurs invisibles et mutantes, aujourd’hui le « toutlemondisme », la « diversocratie », une mythologie démonétisée. L’art de faire passer la servitude volontaire pour une civilité, pour l’amour du prochain et de l’égalité. Un seul Maître nous manque et tout est dépeuplé. Sieyès a vendu la mèche : « Le pouvoir vient d’en haut et la confiance vient d’en bas ». 

« L’État c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde » (Frédéric Bastiat).

Non, François Bayrou ne doit pas démissionner de son mandat de maire!

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En pleine crise à Mayotte, le Premier ministre François Bayrou se voit reprocher sa participation au Conseil municipal de Pau. Est-ce vraiment choquant ?


Il est curieux qu’on reproche au Premier ministre de ne pas faire assez de com… Pour certains journalistes et la gauche, François Bayrou aurait dû immédiatement s’envoler pour Mayotte, alors qu’il est en pleines consultations pour constituer un gouvernement. Et s’il était allé à Mayotte, les mêmes lui auraient sûrement reproché de… faire de la com !

Polémique palo-mahoraise

François Bayrou a décidé que la bonne personne pour impulser et coordonner l’action de l’État sur le terrain, c’était Bruno Retailleau, ce qui annonce d’ailleurs le maintien de celui-ci Place Beauvau (une bonne nouvelle), et il a eu raison. Les Mahorais n’ont pas besoin de cirque politique mais d’une action et d’une vision à long terme. On voit mal ce que François Bayrou aurait fait de plus que son ministre de l’Intérieur.
Il aggrave son cas en se rendant hier à Pau pour le conseil municipal de la ville, au lieu d’être à la cellule de crise dirigée par le président Macron à Beauvau. Une décision « indigne et irrespectueuse », pour le socialiste Arthur Delaporte. Il a participé en visioconférence à la cellule de crise depuis la préfecture des Pyrénées-Atlantiques, avant le fameux conseil municipal. Où est le scandale ? On nous bassine en temps normal avec les vertus du télétravail, il faudrait savoir.
François Bayrou devrait-il démissionner de son mandat de maire, comme l’avaient fait Jean-Marc Ayrault ou Edouard Philippe ? Non. Si nous étions en tout début de mandat, cela pourrait se discuter. Mais, les municipales sont prévues en 2026, et toutes les grandes décisions d’investissement pour la ville ont été prises. François Bayrou est un maire apprécié, y compris de ses opposants, et il a une bonne équipe.

A lire ensuite, Ivan Rioufol: Le double discours de François Bayrou, faux réconciliateur

L’ancrage territorial du Béarnais est sa grande supériorité politique sur Emmanuel Macron. L’autre atout de Bayrou, c’est qu’il a un parti, ce qui lui a permis de faire plier le président de la République. Bref, il fait de la politique. On en a bien besoin.

Rappel à la loi

Que le Premier ministre continue, même de loin, à diriger une ville, ce n’est pas du temps pris aux Français mais le meilleur moyen de savoir ce qu’ils vivent. La loi autorise le cumul d’un mandat et d’une fonction ministérielle. Ce qu’elle interdit, c’est deux mandats électifs (le fameux député-maire d’autrefois) et c’est sans doute une des plus grandes âneries qu’ait votées le Parlement ces dernières années. Résultat: nos députés n’ont plus les mains dans le cambouis du réel. Autrement dit, on a inscrit dans la loi la déconnexion qui est au cœur de la crise politique que nous traversons.
Aujourd’hui, on dirait que le gouvernement est le représentant de Paris auprès des peuplades exotiques de nos provinces à qui il porte la bonne parole. Il est temps qu’il soit le porte-parole des Français à Paris !


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin

François Bayrou est le premier Premier ministre d’Emmanuel Macron!

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François Bayrou, alias Monsieur 12 Heures Chrono, a réussi à transformer un réveil brutal à 5h du matin en triomphe politique à 17h, s’imposant comme le premier chef de gouvernement d’Emmanuel Macron émancipé du chef de l’État…


Le vendredi 13 décembre 2024, Emmanuel Macron a nommé François Bayrou à Matignon, ou plutôt si l’on en croit le récit d’observateurs bien informés, François Bayrou s’est imposé comme Premier ministre à un président affaibli par une dissolution hasardeuse.

Mais François Bayrou n’est pas seulement le nouveau Premier ministre, il est en fait devenu le seul vrai Premier ministre que le président Jupiter aura eu à nommer au cours de ses deux quinquennats.

Ainsi, alors qu’Edouard Philippe, Jean Castex, Elisabeth Borne, Gabriel Attal et Michel Barnier n’étaient que les premiers des ministres d’Emmanuel Macron – c’est-à-dire au sens étymologique les premiers de ses « serviteurs » – François Bayrou est en fait l’unique réel Premier ministre qui, grâce à son coup de force, aura le pouvoir de « déterminer et conduire la politique de la nation » comme le stipule l’article 20 de la Constitution.

Réveillé à 5h du matin pour s’entendre dire qu’il ne sera pas nommé, François Bayrou a obtenu un rendez-vous avec le président de la République à 8h30, avant de le faire changer d’avis et devenir Premier ministre à 17h.

Il y a eu 24 heures dans la vie d’une femme de Stefan Zweig.
Reste donc à écrire « 12 heures dans la vie d’un homme » qui auront tout changé du destin d’un homme et peut-être de celui de la France.

A lire aussi, Ivan Rioufol: Le double discours de François Bayrou, faux réconciliateur

L’histoire peut être résumée ainsi : comment un homme que les médias, les critiques, les jaloux et les rancuniers décrivent comme un personnage falot, faible et peu fiable est devenu le point central de la vie politique française avec seulement 33 députés sur 577. Au surplus, en se montrant imprévisible et dissuasif, il est parvenu à devenir l’unique Premier ministre d’Emmanuel Macron au vrai sens du terme.

À ceux qui l’accusent de vouloir brader la Cinquième République en s’apprêtant à y inclure une dose de proportionnelle, rappelons que ces institutions ont été laminées par le passage au quinquennat, par les précédentes cohabitations et par les refus des présidents successifs de tirer les conclusions de leurs échecs électoraux.

Dans ces moments agités où la France a besoin de se réformer pour ne pas sombrer économiquement, où les périls internationaux guettent de toutes parts, souhaitons-lui, souhaitons-nous qu’il réussisse.

Pour lui, pour nous, pour la France et pour son influence dans le monde.


PS : je n’ai jamais voté pour François Bayrou

Questions pour un Champion, une ode quotidienne à la culture générale 

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Heureusement qu’il nous reste Questions pour un Champion pour résister toujours et encore aux envahisseurs que sont la téléréalité, les réseaux sociaux et la bêtise généralisée…


Le plus grand drame de notre époque – si nous ne devions en retenir qu’un seul – pourrait être la perte de culture générale, soit l’ensemble des connaissances accumulées au cours de l’existence. Dans les cas les plus extrêmes, Chateaubriand fait désormais figure d’illustre inconnu, les îles Kerguelen sont redevenues une terra incognita et il se trouverait bien quelques personnes pour penser que le tableau de Mendeleïev est l’œuvre d’un peintre. Dès lors, voir s’affronter dans les Masters, jusqu’à la fin de l’année, les soixante-quatre meilleurs candidats de l’histoire de Questions pour un Champion est un plaisir de fin gourmet. 

On imagine les heures d’émerveillement devant les choses de la vie, de préparation digne de sportifs de haut niveau et de révisions qu’il leur a fallu pour accumuler des connaissances éparses et multidisciplinaires afin de pouvoir se souvenir, devant le bienveillant Samuel Étienne, que Tamino fut le personnage principal de La flûte enchantée de Mozart, Zénobie la reine légendaire de Palmyre ou encore Claude Viallat un peintre contemporain originaire de Nîmes. 

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Par-delà les moments de gloire personnels, acquérir une culture générale solide est le meilleur des investissements, tant la vie, la mort et leurs mystères sont forcément plus doux à appréhender lorsque l’on plante ses pas dans ceux des grands aventuriers, quand on hume le parfum de fleurs que l’on parvient à reconnaître par leur forme et leurs couleurs, ou encore lorsque nos peines de cœur deviennent dérisoires comparées à l’enchaînement mortifère du tragédien Racine dans Andromaque; plus que tous les coachings à la mode, nous n’aurions d’ailleurs qu’un seul conseil à prodiguer : se plonger dans l’Iliade et l’Odyssée.

La culture générale, si elle est indispensable à titre individuel, l’est également collectivement : elle est la sève venant alimenter l’éloquence et donc le dialogue civilisé. Elle est le ciment commun d’un groupe d’amis, d’un village et d’une nation; partant de là, elle est la porte d’entrée nous permettant de découvrir d’autres civilisations et d’arriver à en chérir au-delà de notre pré carré. 

Si tout s’est effondré, il faut en trouver les causes dans le nivellement généralisé par le bas, la profusion de contenus abêtissants sur les réseaux sociaux, la dévalorisation du « par cœur » ou encore l’accélération du temps qui empêche la cristallisation d’expériences communes dans des souvenirs partagés. Les hommes et les femmes ayant aujourd’hui la soixantaine ont vu les mêmes programmes à la télévision, ont lu les mêmes romans à l’école et ont étudié les mêmes théorèmes mathématiques ; désormais, un jeune de vingt-cinq ans n’a plus les mêmes références qu’un post-adolescent de quelques années son cadet. 

La culture générale semble même devenir un handicap : en quoi est-elle un atout lors d’un entretien d’embauche, dans un débat politique ou au moment de séduire ? Miss Picardie, première du tant redouté test de connaissances soumis aux prétendantes au titre de plus belle femme de France, n’a pas été retenue parmi les cinq dernières candidates à pouvoir briguer la couronne.

Il est pourtant plus que temps de renouer avec la culture générale. « Au moins, on en a, au plus on l’étale », entend-on déjà persifler ceux qui comparent ses vertus à celles de la confiture. En la matière, il n’y en a désormais plus guère au fond du pot pour l’étaler sur l’ensemble de la tartine. La famine guette et avec elle notre civilisation est menacée de faim et donc de fin.

Du lundi au vendredi à 17h45 et le samedi à 17h55. France 3.

Un divertissement racoleur

Play, signé par le Suédois Alexandre Ekman, est un spectacle repris par le Ballet de l’Opéra de Paris sept ans après sa création. Et c’est regrettable.


Fallait-il reprogrammer Play, spectacle chorégraphique créé il y a sept ans à l’Opéra de Paris ? Poser la question, c’est y répondre ! Toutefois, cette production, aussi aimablement creuse qu’elle est spectaculaire, fonctionne parfaitement sur un public qui semble totalement dépourvu de discernement et qui l’acclame. En ces temps où la gestion financière d’un théâtre peut aisément primer sur la valeur artistique de ce qu’il offre, tourner le dos à l’intelligence en affichant un spectacle racoleur ne pose guère problème puisqu’il s’agit avant tout de remplir les caisses de l’Opéra.   

Un sentiment vertigineux

Tout en faisant appel au travail d’improvisation de ses trente-cinq interprètes du Ballet de l’Opéra de Paris, dont la bravoure et l’excellence technique sont assurément dignes d’éloges, Ekman a monté avec Play une grosse et coûteuse machine apparaissant comme un véritable catalogue de ce qui s’est fait sur scène durant ces dernières décennies. S’ouvrant sur ce qui pourrait n’être rien d’autre qu’une séance d’aérobic à laquelle participent tous les danseurs, le spectacle empile des séquences sans queue ni tête et sans autre ambition apparente que de meubler l’espace et le temps. Pour ce faire, Ekman a puisé sans trop de vergogne dans le répertoire contemporain, et même au-delà, parmi ce que d’autres que lui ont mis en scène, afin d’offrir au public des images devenues familières avec le temps, propres à le conforter dans le sentiment vertigineux de découvrir une modernité qui, déjà, n’en est plus une.

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« Le but ultime de la danse, c’est la danse »

Car Ekman obéit, inconsciemment peut-être, à une démarche au fond très judicieuse : faute d’idées personnelles, il emprunte aimablement celles des autres dans un touchant esprit de confraternité.

Une scénographie à la Robert Wilson avec un plateau blanc, immense et magnifique, découvrant la scène de l’Opéra dans toute son ampleur ; un cosmonaute errant sur le plateau agrippé à un drapeau ou des gestes répétés à l’envi (Wilson encore) ; des textes psalmodiés en voix off, et bien entendu en anglais ; un danseur au buste nu émergeant d’une crinoline démesurée (Carolyn Carlson) ; une interprète angoissée appelant dans le vide, puis s’adressant familièrement aux spectateurs du premier rang (Pina Bausch) ; un arbre planté là, seul dans cette immensité blanche (Carlson encore) ; des éléments cubiques suspendus en l’air et qui, descendus sur la scène, entraveront le parcours des danseurs (François Morellet et Andy De Groat) ; cette fille encore qui très lentement traverse le plateau, un peu à la façon de Lucinda Childs dans Einstein on the Beach ; et même le spectre voilé d’une danseuse se maintenant sur pointes, tout comme dans l’acte des Willis de Giselle. On a ainsi répertorié quarante années de création et plus encore. Et pour faire bonne mesure, on assène vocalement et par écrit des sentences aussi prodigieusement idiotes que : « Le but ultime de la danse, c’est la danse ».

De Jeux à Play

Avant même que débute la chorégraphie, alors qu’on voit débouler sur scène quatre gaillards, des saxophonistes en tenues de tennis, comment ne pas songer à Jeux, une chorégraphie aujourd’hui oubliée de Nijinski composée sur la partition de Debussy, et qui n’eut pas l’heur, en 1912, de recueillir l’adhésion du public des Ballets russes ?

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Cent douze ans plus tard, alors que les titres anglais d’ouvrages dansés font des ravages dans un monde chorégraphique formidablement moutonnier, on peut tout de même se demander pourquoi une pièce commandée à un Suédois par une institution française comme le Ballet de l’Opéra de Paris, et destinée en majorité à un public francophone, s’intitule de façon parfaitement gratuite en anglais et ânonne des niaiseries dans la même langue. Play a ainsi remplacé Jeux, avec à la clef un ouvrage franchement indigent, aussi vide de substance que sont savantasses les textes du programme complaisant qui l’accompagnent, et où surabondent les références à Artaud, Shaw, Baudrillard, Freud, Perec, Fink, Bourdieu, Shakespeare… comme s’il fallait impérativement citer de grands noms pour justifier l’insignifiance du propos d’Ekman.

Play (Alexander Ekman), Ballet de l’Opéra de Paris © Agathe Poupeney OnP

Le prêt-à-porter de la modernité

Le propos ? Quel propos d’ailleurs ? À en croire les contributions rédigées pour le programme qui commentent ou, plus justement, encensent le spectacle, dans Play la notion de jeu revêt une dimension toute philosophique. La réalité est plus amère. Et l’essentiel de la soirée est noyé sous des milliers de balles vertes dans lesquelles se noient les danseurs et une chorégraphie absolument dépourvue d’intérêt.

Ce n’est pas laid. C’est vide ! Anecdotique !

Pour être juste, il faut reconnaître qu’à la fin du spectacle l’ensemble des danseurs, juchés sur les cubes et exécutant en canon une gestuelle fort simple, mais efficace, cet ensemble forme une très belle scène. C’est d’ailleurs le seul moment prenant de Play qu’accompagne fort bien une partition enfin apaisée, écrite pour des instruments à cordes par un autre Scandinave, Mikael Karlsson. Il n’en fallait pas plus pour engendrer, aussitôt le rideau baissé, les applaudissements du public, ravi d’avoir assisté à tant d’agitation dès le début des manœuvres et dont on veut espérer qu’il ovationne avant tout l’engagement physique des danseurs. Mais Ekman, malin comme un bonimenteur de foire, jouant de la séduction facile comme un représentant de commerce, n’a pas encore dit son dernier mot. Le rideau se relève pour dévoiler une chanteuse afro-américaine venue là comme un cheveu sur la soupe… avant que les danseurs projettent dans la salle de l’Opéra de gigantesques ballons qui vous retombent lourdement sur le crâne ou lancent aux spectateurs des balles jaunes que ces derniers renvoient sur la scène avec l’ivresse d’être aussi de la partie. C’en est fait : cette fois, au second baisser de rideau, dans un élan irraisonné, la plupart des spectateurs, électrisés, se lèvent pour ovationner. Pour les rendre à ce point enthousiastes, il suffisait donc, comme à un caniche, de leur lancer une baballe.


Play, avec le Ballet de l’Opéra de Paris. Opéra Garnier, jusqu’au 4 janvier 2025.

Iran: le régime des mollahs au bord du gouffre?

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L'yatollah Ali Khamenei photographié à Téhéran, 2 décembre 2024 © Iranian Supreme Leader'S Office//SIPA

Alors qu’il fait l’objet d’une contestation populaire de plus en plus forte, et qu’il est fragilisé par la défaite de ses proxys du Hamas et du Hezbollah et la chute du régime d’Assad, le régime des mollahs iraniens affiche des faiblesses structurelles qui pourraient bien le conduire à sa perte.


C’est un évènement passé inaperçu, qui en dit pourtant long sur les fragilités de la République islamique d’Iran. Le 23 octobre, des clercs du régime réunis en séminaire à Qom, appelaient à la reconnaissance de l’État d’Israël dans ses frontières de 1967. Dire qu’une telle prise de position apparaît plus que singulière, alors que l’État hébreu livre une guerre sans merci aux proxys terroristes de l’Iran, est un euphémisme. D’abord, parce que Qom, ville sainte du chiisme, est par excellence l’un des centres du pouvoir des mollahs. C’est là qu’ils sont formés, et qu’ils forment à leur tour, au sein de l’université religieuse de la ville, ceux qui deviendront les agents d’influence de la République islamique d’Iran. Ensuite, parce qu’une telle prise de parole ne reflète absolument pas la position officielle du Guide suprême, Ali Khamenei, qui menace de rayer Israël de la carte.

Bras de fer

Faut-il voir, dans cette contradiction, le signe d’une fracture au sein du régime iranien ? C’est en tout cas ce qu’explique une source iranienne proche du bureau du guide suprême, avec qui nous avons longuement échangé par messagerie cryptée : « Il y a aujourd’hui un bras de fer qui se joue entre les conservateurs, et les réformateurs. Mais ce serait une erreur de croire que leur opposition marque une différence idéologique. En réalité, les deux camps se font la guerre car les réformateurs, qui tiennent avec les Gardiens de la révolution islamique une partie de l’économie iranienne et les circuits de contrebande, pensent qu’un conflit avec Israël est mauvais pour leurs affaires, et que la République islamique n’y survivra pas. »

Des propos confirmés par l’un des experts qui connait le mieux les arcanes de la République islamique : le Franco-iranien Matthieu Ghadiri. Cet ancien agent double du contre-espionnage français, qui vient de publier Notre agent iranien (éditions Nouveau Monde), a été infiltré au sein du Corps des gardiens de la Révolution islamique. Et il l’affirme : « le premier président du courant réformateur était Mohammad Khatami, élu en 1997. Avec son élection, tout le monde, aussi bien en Iran qu’à l’étranger, pensait que le régime allait changer et devenir acceptable et fréquentable. D’ailleurs, Chirac l’a reçu en visite officielle à Paris fin 1999. Depuis, les réformateurs sont très influents dans les ministères, en particulier celui des Affaires étrangères. Mais ce que l’on oublie, c’est que les réformateurs iraniens ne sont pas des modérés et que la seule chose qui les différencie des conservateurs est la façon dont ils veulent gérer les affaires. Ces deux courants adhèrent à la constitution islamique, sont antisémites et s’opposent à la laïcité, les libertés individuelles et la démocratie libérale. Les réformateurs font donc semblant d’être modérés pour rassurer le monde occidental, mais dans les faits, leurs divergences avec les conservateurs ne sont pas profondes ».

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Si le courant réformiste veut éviter le conflit avec Israël et les Etats-Unis, c’est aussi parce que les relations avec les partenaires russe et chinois connaissent quelques fausses notes. Moscou se montre peu favorable à l’idée de soutenir les mollahs dans le cas d’une guerre avec Israël et ses alliés occidentaux, quand Pékin s’émeut de plus en plus des leurs velléités militaires, lesquelles pourraient – en cas de chute du régime – mettre fin au flux de pétrole iranien bon marché.

Eviter l’escalade

La victoire de Donald Trump est aussi une source d’inquiétude à Téhéran. Selon la chaine Iran International (appartenant à l’opposition au régime), Abdullah Naseri, l’ancien PDG de l’agence de presse officielle iranienne (IRNA), aurait indiqué, le 7 novembre, que le Guide suprême et le Corps des Gardiens de la Révolution ont « peur de Trump », et que son accession à la Maison Blanche allait avoir pour conséquence l’affaiblissement de leur influence au Moyen-Orient. La raison de cette analyse tient au fait que le régime se sait affaibli sur le plan militaire, mais aussi voire surtout sur le plan intérieur.

Les récentes frappes israéliennes sur l’Iran ont mis à mal une importante partie de son système de défense anti-aérien iranien. En conséquence, un certain nombre d’officiers du Corps des Gardiens de la révolution et de sa force al Qods (l’unité d’élite en charge de ses opérations extérieures), se montrent critique vis-à-vis de la stratégie d’Ali Khamenei. Pour eux, Téhéran n’a pas les moyens d’une guerre avec Israël et ses alliés. Leur conclusion est qu’il faut trouver une entente avec les pays occidentaux, États-Unis en tête, afin d’éviter le pire. Une posture alarmiste au plus niveau de l’État, qui s’explique par le fait que les frappes ciblées orchestrées par Israël au Liban et en Syrie ont décapité une partie du commandement du Hezbollah, et tué plusieurs officiers de la force la Qods. Or, puisque les officiers de ce corps ont chacun son propre réseau d’informateurs, ces derniers sont de fait « HS » suite à l’élimination de celui avec lequel ils étaient en contact. Résultat : face à Israël, Téhéran est à la fois plus fragile et moins bien informée.   

Autre point, et non des moindres : l’Iran est traversé par une crise économique d’une exceptionnelle gravité. Un Iranien sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté, et les 2/3 du territoire n’ont qu’un accès restreint à l’eau potable. À Téhéran (8,9 millions d’habitants), Machhad (4,1), ou Ispahan (2), des millions de gens peinent à se nourrir deux fois par jour.  Dans un pays où la moyenne d’âge est de 32 ans, et la jeunesse surdiplômée, le chômage élevé (20%) exacerbe les tensions entre défavorisés et les privilégiés du régime. Partout en Iran, il est reproché aux dignitaires de la République islamique de s’enrichir sur le dos des autres, alors qu’il est de notoriété publique qu’au sein du Corps des gardiens de la révolution islamique, comme au plus haut niveau du gouvernement, des fortunes colossales ont été amassées par ceux-là mèmes qui réprimandent férocement toute forme de contestation populaire, même pacifique.

Un régime qui vacille

Pour Amir Hamidi, ex-agent spécial de la DEA (agence américaine de lutte contre les stupéfiants), spécialiste du Corps des Gardiens de la Révolution, cette situation est due à sa stratégie, jugée irrationnelle consistant à nier leur propre rôle : « la dernière fois que Khamenei a rencontré l’ensemble des membres de l’état-major du Corps des Gardiens de Révolution Islamique, il les a avertis que pour protéger le régime, ils devaient d’abord s’attaquer à ses faiblesses internes. Sauf que pour le faire il les a exhortés à connaître l’ennemi et à amplifier leur opposition aux États-Unis d’Amérique (…). Son obsession à blâmer les nations étrangères et à négliger de résoudre les problèmes intérieurs à l’Iran a cependant soulevé des inquiétudes quant à sa capacité à diriger efficacement le pays (…). Il suffit d’ailleurs de parler avec des fonctionnaires au sein du régime, pour mesurer leur niveau de défiance vis-à-vis de leur hiérarchie. »

Pour l’heure, malgré la contestation populaire et la crise économique, le pouvoir iranien ne tombe pas. L’avocat franco-iranien Hirbod Dehghani Azar, qui œuvre à la mise en place d’une cour pénale internationale pour juger les auteurs de crimes contre l’humanité en Iran, explique les raisons de cette résilience : « le régime vacille. Mais il tient encore par la violence, par les crimes qu’il perpètre et la mise en œuvre d’une politique tyrannique. Il fait aussi beaucoup de désinformation. Il a notamment fait passer des éléments de langage aux diplomaties occidentales pour leur faire peur. Les mollahs assurent par exemple que si la République islamique venait à tomber, alors il y aurait une partition du pays, ce qui est une aberration. »

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Iranienne réfugiée en France, Sepideh Pooraghaiee est activiste politique. Elle préside l’association « Renaissance Moyen-Orient », qui vise à sensibiliser et fournir des outils éducatifs sur les questions du Moyen-Orient. En contact quotidien avec différents mouvements de résistance à l’intérieur du pays, elle témoigne : «si le régime iranien continue de s’affaiblir, les militaires [en Iran il existe deux armées, celle héritée de l’ancien régime et le corps des gardiens de la révolution islamique créé en 1979 par décret de Khomeini] pourraient rejoindre la contestation populaire. Il faut donc l’anticiper, car si personne ne le fait, alors cela fera comme au moment de la révolte de Mahsa Amini, en septembre 2022. Tous ceux qui prendront le risque de descendre dans la rue seront réprimés avec force. »  Résignée, elle ajoute : « cela me fait mal au cœur de le dire, mais Israël doit terminer le travail qu’il a commencé, et poursuivre ses bombardements contre l’Iran, même si cela a pour conséquence de faire des victimes. À l’intérieur du pays, les Iraniens le veulent et le disent. Ils savent que la faiblesse du régime tient au fait que le mouvement populaire qui s’oppose à lui est très fort. Il est indispensable de lui donner les moyens de poursuivre sa lutte ». La voix tremblante, la jeune femme poursuit : « il n’y a presque plus d’électricité en Iran. Les infirmières, les médecins et les gens éduqués cherchent à quitter le pays, pour fuir ce gouvernement barbare. Certains se suicident. Franchement, nous sommes désespérés. On se demande aussi ce que font les Américains. Ils ont des bases dans le golfe Persique, proches géographiquement de celles des gardiens de la révolution. Alors pourquoi ne les traitent-ils pas comme ils traitent les groupes terroristes sunnites ? Il faut être honnête : les gens sont fatigués. Si la République islamique se maintient plus longtemps, le pays finira par sombrer économiquement, car plus rien ne fonctionne. Cela aura des conséquences terribles pour le monde entier », prévient l’opposante, qui conclue : « il y a tant de compétences au sein de la population iranienne. Il est temps de lui faire confiance. »

En écho aux propos de Sepideh, Firouzeh[1], une étudiante en relations internationales de 25 ans à l’université d’Ispahan, nous confiait il y a peu : « dans le secteur privé comme au sein de l’administration, la contestation est de plus en plus importante, tout le monde le sait. Le gouvernement est à l’agonie. Le seul qui ne veut pas le voir, c’est le Guide suprême, alors que tout le monde sait bien que c’est fini, et que ce régime ne tiendra pas des années. C’est donc le moment où jamais pour le faire tomber ».  

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[1] Son nom, son âge et son lieu d’études ont été modifiés à sa demande

Lyrique: William Christie au sommet, Robert Carsen caustique et irrévérencieux

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Les Fêtes d'Hébé de Jean-Philippe Rameau © Vincent Pontet

Les fêtes d’Hébé s’inscrit dans la grande lignée des opéras lyriques, si ce n’est comiques, avec une impertinence cocasse traversant le spectacle de bout en bout…


Une élégante brochette – ministrable écarté, ministresse en semi-retraite, star du cinéma hexagonal & conjoints… – honoraient le congé dominical, en ce 15 décembre 2024, de leur auguste présence au rang « protocole » de la corbeille de la salle Favart. À guichet fermé s’y tenait la seconde représentation des Fêtes d’Hébé, ce merveilleux opéra-ballet de Rameau (1653-1764)- cf. Les Indes galantesDardanus ou Les Boréales… L’exact contemporain de Haendel aura attendu d’avoir la cinquantaine pour se lancer dans l’aventure lyrique, mais avec quel génie ! À sa création en l’an 1739  –  pour situer, Louis XV n’a que 29 ans – , le compositeur dédie Les Fêtes d’Hébé à la vieille duchesse douairière de Bourbon-Condé, fille de Louis XIV et de la Montespan : « si [cet ouvrage] peut mériter son approbation, mon ambition est satisfaite ». L’Altesse sérénissime acquiesce à ces vœux. Elle n’a pas tort.

Les enjeux dramatiques de ces Fêtes d’Hébé, chronologiquement son deuxième opéra-ballet, résistent à l’entendement du spectateur d’aujourd’hui, peu familier du personnel mythologique dont la société cultivée du XVIIIème siècle était, elle, biberonnée dès le berceau. Au reste, même à l’époque, paraît-il, la médiocrité du livret dû à un certain Gautier de Montdorge n’échappait à personne, au point de susciter alors dans Paris quelques fielleuses parodies. Rameau ne s’en formalisa point : somptueux, la musique et le chant se suffisent largement à eux-mêmes.

Beaucoup de rires dans l’enceinte de l’Opéra-Comique

Prenant acte de cette difficulté à se repérer entre Sapho et son amant Alcée, Iphise et son chéri Tyrtée, Mercure et sa muse Eglé, etc., etc., la foison de cet Olympe nous passant au-dessus du crâne, le metteur en scène Robert Carsen transpose, avec le brio qu’on lui connait, cet aréopage fabuleux dans l’époque présente, en bord de Seine. Comme y invitait du reste, et la localisation de l’Académie Royale de Musique en ce temps-là, et l’argument proprement dit de l’opéra : rive droite, (faut-il y voir un clin d’œil ?), du Pont Neuf à la Tour Eiffel ! Ainsi les trois fêtes successives formant tour à tour les trois actes, ou « entrées » de l’opéra-ballet comme on les appelait, à savoir « La Poésie », « La Musique » et « La Danse » sous leur habillage mythologique, prennent place sur la rive du fleuve tant chéri de la nageuse Hidalgo.

Le prologue est pour Carsen l’occasion d’une transposition irrévérencieuse, qui fait à juste titre beaucoup rire dans l’enceinte de l’Opéra-Comique. Car selon la fable, Hébé, déesse de la jeunesse, pour avoir malencontreusement renversé le nectar des dieux, se voit contrainte de descendre de l’Olympe. C’est donc la salle des fêtes de l’Élysée qui sert de décor au raout au cours duquel l’hôtesse des lieux, vue de dos, une Première dame néanmoins reconnaissable à son épaisse, lourde et raide toison peinte en blond platine, se prend une bonne giclée de vin rouge sur sa robe immaculée, maladresse de la serveuse Hébé, laquelle rejoindra le fleuve en vélo, sans qu’on nous dise d’ailleurs si c’est sur piste cyclable… S’ensuit, chantée par la soprano Emmanuelle de Negri dans le rôle-titre, cette confidence en vers, si férocement d’actualité : « Je ne regrette plus /Le séjour du tonnerre:/ les Grâces, l’Amour et Vénus/ Ont leur empire sur la terre » […] « Volons, volons sur les bords de la Seine ».[…] « La Jeunesse et les Ris ont des attraits brillants ; / mais leur victoire est incertaine/ Sans l’heureux secours des talents ». Puis, devant la grille d’honneur du Palais de l’Elysée, toile de fond de la première « entrée » consacrée à « La Poésie », un aéropage mondain se selfise à satiété.  Hymas (ou Hylas, enlevé par les nymphes dans la mythologie grecque) prend l’habit d’un CRS : « On doit voler quand Sapho nous appelle », chante-t-il…

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Une impertinence cocasse traversera le spectacle de bout en bout sous les auspices du metteur en scène canadien, les numéros se continuant sur le quai de Paris-Plage, planté de palmiers en pot et garni de transats, puis sur le bal-musette nocturne implanté là même, avec Mercure pour DJ et vue imprenable sur l’île Saint-Louis et Notre-Dame, pour s’achever en feu d’artifice, au pied du pont d’Iéna, terminus d’un bateau-mouche baptisé « Hébé »… Entre temps, Iphise aura convolé avec le capitaine de l’équipe de foot, match retransmis sur écran en plein air, au pied du mur coiffé des boîtes vertes (finalement sauvegardées) de nos bouquinistes… Signées Nicolas Paul, les chorégraphies de danseurs des deux sexes en tenues de princes du ballon rond ou en jogging lorgnent, sans vulgarité, vers le hip-hop et le break dance. On sent que tout le monde s’est beaucoup amusé à ce carnaval de références.

Photo : Vincent PONTET

… portés par un duo de choc

De ce divertissement espiègle, troussé de main de maître avec une fantaisie emprunte de causticité par l’irremplaçable Robert Carsen, le grand vainqueur reste tout de même William Christie et sa célèbre formation des Arts Florissants, à qui l’on doit la redécouverte, ce dernier demi-siècle, de la musique baroque sur instruments d’époque. Entre Christie et Carsen perdure un très ancien et fertile compagnonnage : ils se sont associés auparavant déjà sur une bonne dizaine de projets en l’espace de trente ans. Étonnante complicité entre le pape émérite du scrupuleux retour aux sources, et le rebelle à tout historicisme stérile en matière de scénographie !  

Porté par un orchestre à la vitalité stupéfiante, dont les sonorités archaïsantes, les crescendos savamment gradués, les pulsations nerveuses, au tempo rapide, contrastant avec les singulières langueurs de certains morceaux, sont une surprise permanente pour l’oreille contemporaine. Les chœurs, d’une netteté sans faille, ne sont pas moins excellents. Hébé puis naïade, Emmanuelle de Negri fait merveille, tout autant que la mezzo Lea Desandre qui campe tour à tour Sapho, Iphise et Eglé, et la soprano Ana Vieira Leita incarnant l’Amour, le Ruisseau et une bergère. Quant à Mercure, il s’impose magnifiquement sous les traits de Marc Mauillon, puissant et viril baryton ténor qu’on retrouvera dès janvier prochain, au Palais Garnier cette fois, encore dans Rameau, avec la tragédie lyrique Castor et Pollux – nouvelle régie d’une autre star de la mise en scène lyrique : Peter Sellars.


Les fêtes d’Hébé. Opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau. Direction : William Christie. Chœurs et orchestre Les Arts Florissants. Mise en scène : Robert Carsen. Avec : Emmanuelle de Negri, Lea Desandre, Ana Vieira Leite, Marc Mauillon, Renato Dolcini, Cyril Auvity, Lisandro Abadie Antonin Rondepierre, Matthieu Walendzik.
Durée : 2h50.
Théâtre national de l’Opéra-Comique, les 17, 19, 21 décembre 2024 à 20h (le 19, tenue de fête pour l’anniversaire de William Christie, 80 ans).  

Captation diffusée le 21 décembre sur Mezzo et medici.tv 

Une thérapie ciblée pour inverser le déclin français

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Paris. À gauche, le ministère des Finances dans le quartier de Bercy. DR.

La France doit en finir avec la croissance à crédit. Concernant nos dépenses, l’émergence du numérique et de l’intelligence artificielle rend incompréhensible l’augmentation continue des effectifs d’agents publics… Sans remise en cause préalable profonde de notre modèle économique, parler de transition environnementale, de réindustrialisation, de nouvelles centrales nucléaires ou de développement de grandes infrastructures nationales est vain. Dans le contexte actuel de crédibilité dégradée de la parole politique, seul le recours au référendum gaullien permettrait d’obtenir l’assentiment des Français sur les mesures radicales à prendre. L’analyse de Philippe Nguyen.


Investisseur dans les industries décarbonées sur différents continents, témoin de la remarquable percée technologique du Sud global dans le monde, par ailleurs conseiller économique de deux candidats à la présidentielle française (2012 et 2022), il m’apparaît utile de présenter quelques pistes pour inverser l’inexorable déclin français vécu depuis quatre décennies.

Stabiliser le modèle social

En premier lieu, il convient d’être conscient que deux quinquennats seront probablement nécessaires pour y arriver. Ceci signifie que le porteur, courageux, d’une telle ambition en 2027, a toutes les chances de ne pas se faire réélire en 2032, la malédiction Schröder en quelque sorte.

En second lieu, on ne pourra pas faire l’économie de recentrer le « modèle social » français, que personne au monde n’envie en réalité, contrairement à ce que pensent les Français.

En troisième lieu, c’est bien la croissance qu’il faut privilégier mais une croissance vertueuse, pas une croissance à crédit, au détriment des générations futures. L’épargne privée devra de fait être mobilisée massivement, ce qui est un changement de paradigme.

Enfin, un véritable scénario de redressement devra recueillir l’assentiment d’une grande majorité de Français, pas la moitié mais plutôt les deux-tiers. Ceci appelle un rassemblement transpartisan dépassant les clivages picrocholins actuels. La légalité représentative n’est aujourd’hui clairement plus en phase avec la légitimité populaire.

La France doit renouer avec une discipline macroéconomique sans faille, dans la durée. Il ne s’agit plus désormais d’ajustement à la marge avec telle ou telle mesure sur la fiscalité de l’énergie, de baisse ou de hausse ciblée de la TVA, de taxation des « riches » et des « superprofits », de déremboursement de médicaments ou de suppression d’agences administratives. Inverser le déclin français passe par une discipline macroéconomique forte, s’inscrivant dans la durée.

Notre modèle social est en bout de course. Les dépenses sociales publiques françaises représentent 32,2% du PIB, soit 909 milliards d’euros en 2023, contre 27% en moyenne dans l’Union européenne et 20% dans l’OCDE.

L’objectif premier doit être de réduire progressivement le poids des dépenses sociales publiques dans la  production annuelle de richesse. Passer de 32,2 % du PIB à la moyenne européenne, soit 27 %, serait un bon objectif macroéconomique, au-delà des considérations techniques relatives aux différences entre systèmes sociaux nationaux. Ceci correspondrait à une maîtrise des dépenses sociales publiques de 147 milliards en euros constants (le déficit budgétaire 2023) au bout de 10 ans, soit un effort relatif d’une quinzaine de milliards d’euros par an. C’est-à-dire en fait un objectif de stabilisation des dépenses sociales publiques en euros courants, du fait d’une inflation cible à 2%. Il n’y a pas mille possibilités pour atteindre cet objectif. Soit divers dispositifs sociaux sont rendus moins favorables ou sont tout simplement supprimés, soit une désindexation partielle ou totale est mise en œuvre sur longue période. Tout scénario hybride, associant ces deux orientations en proportions variables, dispositif par dispositif, est bien sûr envisageable. Ceci laisse une grande latitude politique quant au choix  des dépenses sociales à privilégier ou non.

Prenons l’exemple des retraites. Les dépenses de retraite représentent 13,5% du PIB, soit 381 milliards d’euros en 2023. Nous devrons à l’évidence encore procéder à une nouvelle réforme dans les années à venir, compte tenu de l’allongement de la durée de vie et de la dégradation inéluctable du ratio « actifs sur retraités ». Les problématiques exprimées de façon passionnelles sur l’âge de départ à la retraite (60, 62, 64, 67ans,…) et sur l’indexation partielle ou totale des retraites ont empêché de considérer froidement et collectivement les solutions envisageables, acceptables socialement et compatibles avec les finances publiques. Le choix d’un départ à la carte, tenant compte des carrières longues, des métiers pénibles, des parcours professionnels hachés et des petites retraites, est possible tout en étant financé sur la durée.

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Une dose de capitalisation sera en tout état de cause indispensable, d’autant plus qu’elle sera vertueuse quant aux financements futurs des investissements souverains. L’exemple hollandais, qui fait l’objet d’un consensus national, est à cet égard un bon exemple. Nous touchons du doigt, sur cette question des retraites, la nécessité de sortir des postures et d’accéder à un assentiment populaire de bon sens.

Autre domaine, la santé. Les dépenses de santé représentent 12,1% du PIB, soit 342 milliards d’euros en 2023. Régulièrement chaque année se joue un psychodrame sur le dérapage des dépenses de santé, la baisse alarmante de la qualité des services hospitaliers ou l’extension des déserts médicaux.

Objectif envisageable : stabiliser les dépenses de santé en proportion de la richesse nationale, soit 12,1% du PIB et revenir progressivement à un bon niveau de service public. Ceci laisse la France dans le peloton de tête de l’OCDE, derrière les États-Unis et à peu près au même niveau que l’Allemagne, étant observé que l’OCDE affiche un niveau de dépenses de santé moyen à hauteur de 9,2% du PIB. Pour information, si la France s’alignait sur la moyenne OCDE, les Français économiseraient 82 milliards d’euros chaque année.

Les mesures à prendre, décapantes pour la France… et normales pour n’importe quel autre pays, sont à cet égard connues.

Ajuster et redynamiser la sphère publique

Il convient de se demander pourquoi l’Allemagne gère ses services publics avec 4,6 millions d’agents publics contre 5,5 millions d’agents publics pour la France, alors qu’elle a 24% de population en plus et des institutions décentralisées. Or, les services publics allemands ne sont pas moins bons que les services publics français.

Un objectif de réduction de 20% des effectifs publics est ainsi envisageable pour la France, pour la ramener au niveau de l’Allemagne (en nombre d’agents publics mais pas en proportion de la population), atteignable de façon progressive sur une décennie, soit une réduction programmée d’un million d’emplois publics et une amélioration des finances publiques autour de 60 milliards d’euros en régime de croisière. Objectif bien raisonnable : il s’agit de revenir à la situation de la France des années 2000, à une époque où le numérique n’était pas généralisé et où l’intelligence artificielle était balbutiante.

Il n’y aura pas de « grand soir » : ce programme devra faire l’objet d’une concertation avec les organisations représentatives quant aux processus à mettre en œuvre : adaptation des services et des rémunérations (en mieux…), plateformisation humanisée des services publics permise par le numérique et l’intelligence artificielle en bonne entente avec les agents, départs à la retraite non remplacés mais sans impact opérationnel, aide au reclassement interne et externe, formations complémentaires, appui à l’entrepreneuriat. Plans de licenciement ou dispositifs de radiation des cadres ne seront pas nécessaires. La demande de sens des agents publics dans leur travail constituera aussi un moteur puissant d’accompagnement et de bon atterrissage. Nous ne sommes en France, à l’évidence, qu’au début des transformations majeures qu’enregistrent les secteurs publics sur toute la planète.

Il sera probablement utile de reconsidérer les catégories d’agents publics pour lesquelless s’impose le bénéfice du statut de fonctionnaire, mis en place, rappelons-le, par le Conseil National de la Résistance à la Libération, soit il y a… quatre-vingts ans !

L’évolution du management public est aussi au cœur de l’amélioration des services publics et de leur efficience : il est ainsi urgent de concentrer la responsabilité et la décision publique au plus près du terrain, de redonner aux préfets une capacité d’impulsion et de décision localement, de permettre aux responsables d’unités administratives de base de récompenser et de sanctionner leurs collaborateurs, de les promouvoir et de les inciter à adapter leurs organisations administratives.

C’est une approche positive qu’il faudra promouvoir avec les agents publics, une dynamique de services publics « réenchantés », en quelque sorte. La fonction publique y est globalement prête, si elle est étroitement associée à la mise en œuvre de ces changements.

Une croissance vertueuse

La croissance a des retombées positives sur le pouvoir d’achat, l’emploi et les finances publiques. Nous pouvons dès lors nous demander pourquoi il est devenu si difficile d’atteindre le taux de croissance dite naturelle du pays, qui pour mémoire s’inscrit dans une fourchette de 1 à 1,2%.

La croissance, en fait, ne se décrète pas. C’est la résultante de nombreuses décisions, publiques et privées, qui d’abord repose sur la confiance des acteurs économiques. La croissance dépend aussi de ses modes de financement : ce n’est pas la même chose que de financer la croissance par la dette publique que de la financer par l’épargne privée.

Et à partir d’un certain niveau de prélèvements obligatoires (avec 45,6% du PIB selon Eurostat, nous avons hélas dépassé ce seuil depuis 2009), le multiplicateur keynésien des dépenses publiques passe en-dessous de 1, c’est-à-dire que 1 euro de dépenses publiques se traduit par moins d’1 euro de création de richesses.

Or, les besoins en investissements complémentaires de bien commun du pays sont importants : de l’ordre de 100 milliards d’euros par an, en transition environnementale, centrales nucléaires, infrastructures, technologies, réindustrialisation, fonds propres des PME/ETI, souveraineté industrielle et agricole. Là aussi, les enjeux prennent une dimension macroéconomique.

La mise en place d’un fonds souverain financé par l’épargne privée française, à hauteur de 100 milliards d’euros par an, soit 500 milliards d’euros sur cinq ans, répond à cette problématique de croissance vertueuse. Pour mémoire, le fonds souverain norvégien s’élève à 1700 milliards d’euros.

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En parallèle de la stabilisation des finances publiques, ce fonds souverain constitue un moteur macroéconomique permettant le rehaussement de la croissance naturelle française, passant de 1/1,2% à 2/2,5% par an sur la durée. Rien de magique dans cette perspective : ce fonds souverain permet une impulsion macroéconomique annuelle de l’ordre de 3% du PIB, compensant les effets récessifs de la baisse des dépenses publiques, sans avoir besoin de mobiliser de l’argent public, puisqu’il est financé par de l’épargne privée. Un placement privé complémentaire et non concurrent de l’épargne défiscalisée et de l’assurance-vie. Les émissions annuelles du fonds souverain ne représentent en effet que 4% des encours du livret A, du livret de développement durable et solidaire ainsi que de l’assurance-vie.

C’est du reste comme cela que les chemins de fer, les grands magasins et l’industrie se sont développés au XIXème siècle. Les Français deviennent actionnaires de l’économie française.

Une trajectoire de finances publiques enfin sous contrôle

L’ensemble de ces orientations permettent de passer en excédent budgétaire primaire (hors charges financières) en trois/quatre ans, de placer la dépense publique en-dessous 50% du PIB (57% actuellement) en sept/huit ans et de stabiliser puis ramener la dette publique en dessous de 100% du PIB sur la décennie. C’est long mais c’est atteignable sans fractures majeures au sein du pays.

Les agences de notation devraient assez vite remonter la note souveraine de la France, réduisant ainsi la charge annuelle de la dette publique.

Restaurer le référendum gaullien pour l’adhésion de deux Français sur trois

Se donner des objectifs macroéconomiques sur la durée permet de mettre en œuvre des réformes opérationnelles avec la souplesse nécessaire et de rendre le modèle français soutenable financièrement, sans le défigurer.

Plutôt qu’un plan technocratique, tout aussi pertinent soit-il, c’est une feuille de route traduisant des choix politiques qu’il convient de promouvoir, avec l’assentiment préalable d’une large majorité de Français.

Nous avons tout à gagner à renouer avec la pratique du référendum gaullien, dans le contexte actuel de crédibilité dégradée de la parole publique. Un référendum posant de vraies questions, assorti de formulations claires et non biaisées, de vrais débats publics, en particulier sur le système de retraite, le modèle social français et l’évolution des services publics.


La femme ou l’homme politique qui s’engagera dans une telle démarche de vérité, de transparence et de courage, gagnera la présidentielle 2027, c’est ma conviction profonde. La légitimité et le temps seront là pour permettre la mise en œuvre d’un réel programme d’inversion du déclin français. Le référendum constituera enfin une arme puissante pour dépasser les clivages partisans. Un retour à l’esprit originel de la Constitution de 1958.

Rencontre avec une caste-killeuse

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Chloé Morin © Alain ROBERT/SIPA

Pour Chloé Morin, ancienne directrice de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean-Jaurès, c’est en déployant davantage de fonctionnaires sur le terrain et en réduisant la bureaucratie qu’on améliorera la qualité des services publics. Il faut surtout en finir avec une caste : la noblesse d’État qui gouverne l’administration.


Elle les appelle « les inamovibles ». Pour Chloé Morin, ce sont les hauts fonctionnaires, ces aristocrates d’un genre nouveau, qui sont les principaux responsables de la gabegie croissante de l’administration française. Il y a quatre ans, elle leur a consacré un essai remarqué, au sous-titre qui frise la dénonciation de l’État profond : « Vous ne les verrez jamais, mais ils gouvernent ». Mais pour l’ancienne directrice à la Fondation Jean Jaurès, pas question de critiquer le tiers état du service public, les agents que les administrés voient au quotidien. Au contraire, affirme-t-elle, il en faudrait davantage. Et mieux les payer. Au fait, on a oublié de vous dire que Chloé Morin a conseillé Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls entre 2012 et 2017.


Causeur. Comment comprenez-vous que plus de la moitié des Français se déclarent, dans les sondages, insatisfaits de l’accueil et de la qualité du service dans les administrations ?

Chloé Morin. Bien sûr qu’ils sont insatisfaits ! Et ils ont souvent raison de l’être. Avez-vous déjà fait l’expérience de France Travail (ex-Pôle Emploi), par exemple ? C’est un calvaire. Rien n’est fait pour véritablement épauler le chômeur et l’aider dans sa recherche d’emploi. Et quand vous commencez à être indemnisé moins de trois mois après le début de votre période d’inactivité, vous devez vous estimer heureux… Je pourrais multiplier les exemples de ce type, aussi bien dans les services publics que dans les organismes chargés de missions de service public.

Comment améliorer le service public ?

Il faut plus de fonctionnaires au contact du public, sur le terrain – professeurs, policiers, infirmières – et moins dans les bureaux. C’est à la bureaucratie – celle qui produit les montagnes de paperasse qui noient les entreprises comme les particuliers, pour justifier leur existence – et non aux fonctionnaires qu’il faut s’attaquer.

Ne faudrait-il pas tout simplement moins de fonctionnaires, mais mieux payés ?

Dans certains endroits, oui, incontestablement. On se plaint de recruter des profs qui ne sont pas au niveau. Mais si on les payait mieux, on attirerait de meilleurs profils.

Dans votre livre, vous critiquez la haute administration et son aptitude à créer toujours plus de bureaucratie et à bloquer les réformes décidées par les gouvernants. Est-ce seulement de sa faute si le service public est devenu si ankylosé ?

Non. C’est aussi la faute des responsables politiques qui, depuis des décennies, ne s’intéressent pas véritablement à la réforme de l’État. C’est pourtant, à mes yeux, l’urgence aujourd’hui. Il faut faire mieux, beaucoup mieux, et avec moins. Mais pour ça, il faut du courage. Car ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change dans la machine administrative sont très nombreux.

À lire aussi, Jeremy Stubbs: Causeur: Boucs émissaires ou privilégiés? Chers fonctionnaires…

Mais Emmanuel Macron, qui dénonçait en 2016, dans son essai Révolution, « une caste bénéficiant de privilèges hors du temps », n’a-t-il pas supprimé l’ENA et les grands corps d’État ?

Si, mais il n’est pas allé au bout de sa logique. Sans doute parce qu’il a beaucoup tardé à s’attaquer au sujet, puis qu’il s’est retrouvé dépourvu des moyens suffisants pour mener à bien son action.

Parmi les causes des dysfonctionnements de l’administration, vous pointez aussi le « New Public Management », cette « philosophie libérale de l’État » (Luc Rouban) qui nous vient des pays anglo-saxons. Mais n’est-ce pas une bonne idée de concevoir les services publics comme des entreprises ? N’est-ce pas gage de performance ?

Pas toujours. Tout est affaire de mesure. Certaines méthodes du privé peuvent être très utiles à la sphère publique. Mais comme toujours, nous avons tendance en France à faire du zèle et à appliquer bêtement l’ensemble d’une doctrine sans réfléchir à ce qui n’est pas transposable chez nous, ou dans telle ou telle administration. Je note que les comptables de Bercy n’ont jamais eu autant de pouvoir et jamais été aussi donneurs de leçons, et que pour autant, la dette n’a jamais été si importante. Il est trop facile de prétendre que ce serait uniquement la faute de citoyens irresponsables et de politiques manquant de courage. Cela tient aussi à notre approche de la conception du budget et de l’action publique. C’est systémique.

Peut-on parler d’« État profond » ?

C’est un terme controversé, notamment parce qu’il a été employé par des responsables politiques populistes ou dans des régimes peu démocratiques. Je note que certains profitent de l’histoire de ce terme – qui commence en Turquie – pour mieux disqualifier le constat qu’il désigne. Afin de ne pas leur donner cet argument facile, je préfère quant à moi ne pas l’utiliser.

Dans votre ouvrage, vous plaidez pour le « Spoil System » (le « système des dépouilles »), cette pratique américaine qui veut qu’à chaque alternance politique, on change non seulement de ministres et de cabinets ministériels, mais aussi de hauts fonctionnaires.

L’inamovibilité de notre haute administration a l’avantage de nous préserver de l’accaparement, tel qu’il a cours aux États-Unis, de l’État par les intérêts privés. Mais elle a l’inconvénient de finir par autonomiser une sorte de noblesse d’État au sommet du service public. C’est ce second inconvénient que l’on pourrait corriger en permettant à un ministre, quand il prend ses fonctions, de nommer ses directeurs centraux d’administration. Cela permettrait aux politiques de mieux asseoir leur autorité. Mais contrairement à ce que font les Américains, je ne recommande pas pour autant que les hauts fonctionnaires déposés soient renvoyés. Il est tout à fait possible de les réaffecter à d’autres postes de qualité au sein de l’administration.

À lire aussi, Henri Guaino: Les blâmés de la République

Au début des Inamovibles, vous citez Jean-Marc Sauvé, qui fut notamment secrétaire général du gouvernement sous Juppé, Jospin, Raffarin et Villepin, et pour qui l’État est « chez nous encore plus qu’ailleurs […] le dépositaire d’une mémoire collective et l’incarnation de notre désir de vivre ensemble ». Ces belles paroles ne sont-elles pas une simple incantation ? L’État et ses fonctionnaires sont-ils encore le socle de notre nation ?

Les Français sont toujours très attachés à l’État. C’est la raison pour laquelle ils en attendent beaucoup, peut-être parfois trop, en dépit du fait qu’ils jugent durement les fonctionnaires et la bureaucratie. De ce point de vue, on observe une disjonction entre l’État, qui garde une bonne image, et les fonctionnaires, qui l’incarnent.

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Esquisse d’un crépuscule

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© Oh Canada-LLC ARP

Dans Oh, Canada (2024) de Paul Schrader, adapté du roman Foregone de Russell Banks, on suit Leonard Fife, un cinéaste réfugié interprété par Richard Gere, qui, atteint d’un cancer incurable, révèle ses secrets lors d’une dernière interview…


Paul Schrader délivre un portrait en clair-obscur d’une fin de carrière d’un réalisateur de film documentaire joué par Richard Gere et aidé par Uma Thurman pour évoquer cette vie d’artiste.

Très curieusement, le nouveau film du talentueux et passionnant Paul Schrader (American Gigolo, La Féline, entre autres et sans compter le scénario de Taxi Driver notamment) est passé totalement inaperçu au dernier Festival de Cannes où il était en compétition. C’est d’autant plus injuste que Oh, Canada se révèle être un film d’une sombre beauté funèbre. Il met en majesté déchue un Richard Gere aux cheveux définitivement blancs et dont le personnage est bien décidé à faire le bilan d’une vie. Se déroulant dans le milieu du cinéma, le film prend des allures assumées sinon d’autoportrait, du moins d’un reflet de l’artiste vieillissant. Face à lui, une Uma Thurman plus que parfaite en compagne des vieux jours et des bilans obligés.


Les « Tontons flingueurs » de la République

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Le président Macron à Varsovie en Pologne, 12 décembre 2024 © Jeanne Accorsini/SIPA

« Quand le lion est mort, les chacals se disputent l’empire »


Les politiques, ça ose tout… Elisabeth Borne, Gabriel Attal, Michel Barnier, François Bayrou, Tournez manège ! La Main passe ; Le Dindon ; Interdit au public ; La Facture ; J’y suis, j’y reste… Feydeau et Labiche, avant Macbeth. Les mouches vont de nouveau changer d’âne, se poussent de giron en giron pour sauver un maroquin, arracher une breloque, un fromage, la présidence d’une Haute autorité. Bruno tient la place Beauvau. Rachida, nerveuse, rédige des placets. Elle adore D’Artagnan, les Branlos, la poule au Pot, skier à Font-Romeu. Xavier Bertrand, Pierre Moscovici, Thierry Breton, des ours solitaires, dominants, rodent, ils ont faim… A qui l’or des réceptions de l’ambassadeur, les rochers Ferrero du Quai d’Orsay ?  « L’honneur, ils l’ont dans les dents, comme du caramel » (Marcel Aymé).

Le Mahabharatin

Les allocutions de passation de pouvoir condensent toutes les naïvetés, impuissances et médiocrités politiques. Les jeunes fanfarons, vieux guides de hautes crevasses, premiers de cordée, qui tous ont mené le pays au fond de l’étang, se font la courte échelle. Nestor manager de transition, digne et urbain, Michel Barnier connaît le refrain : « Je continue à croire que notre pays a besoin de vérité, d’apaisement, de dignité, de réconciliation. Notre pays a aussi besoin de justice. Trop de Français ont aujourd’hui le sentiment que leurs préoccupations quotidiennes ne sont pas prises en compte par les gouvernants »

Après les Alpes, les Pyrénées et le caquet de Gascogne. Bretteur et menteur, François Bayrou prévient qu’il sera un Premier ministre « de plein exercice et de complémentarité » … une aide contre l’Elysée. Il est conscient de « l’Himalaya qui se dresse devant nous ». Tartarin au Tibet a vu le Migou, connaît « mieux que personne » Henri IV et la difficulté de la situation. « Nous avons le devoir, dans un moment aussi grave pour le pays, pour l’Europe et devant tous les risques de la planète, d’affronter les yeux ouverts, sans timidité, la situation qui est héritée de décennies entières ». A la fin de l’envoi, Montfleury mollit, se couche : « Si je peux, à mon tour, j’essaierai de servir cette réconciliation nécessaire ». « Les mots soulèvent les montagnes quand ils sont des mots vivants ; ils les sapent quand ils sont des mots morts » (Montherlant). 

Dans la coulée du grand bronze, sur des pistes vertes, roses, rouges, les Popeye du NFP, Bronzés au pays des Soviets, coconstruisent leur bonhomme de neige rassembleur : une tête de Castets, un ventre de Glucksmann, le chapeau de Cazeneuve… Où placer la carotte de Mélenchon ? Gare au virilisme. Le problème c’est le grisbi. Qui va régler la douloureuse à la fin du Grand Guignol ? Moody’s vient d’abaisser notre note souveraine : Aa2, assortie d’une perspective négative, le Aa3 nous pend au nez. 

Le Mexicain, Monsieur Fernand, Raoul et les autres 

Barrages républicains, arcs de contrefort – brisés, surbaissés, plein centre -, soupe à l’union, pactes de non-agression, coalition des modérés bios, stage d’apprentissage de non-censure, traîtres en période d’essai, autodissolution de l’Assemblée : aucune tartufferie ne nous est épargnée. Le blocage est durable, structurel. 2027 se rapproche. Le suffrage universel menace la démocratie… Enferrés dans l’idéologie, des promesses ubuesques, contradictoires, les partis et le Parlement paniquent. Tout compromis est impossible, suicidaire, ferait immanquablement tomber les masques, la fausse monnaie des concertos pour flûte de paons et mandoline, qui mènent au Palais-Bourbon. L’union ça craint. 

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Cornérisé, le président a hissé le drapeau blanc. Le diplomate prend le pas sur l’homme d’action, l’époque est aux tables rondes, à la détente. Il suggère un « gouvernement d’intérêt général représentant toutes les forces politiques d’un arc de gouvernement qui puisse y participer ou, à tout le moins, qui s’engage à ne pas le censurer » … « En 2016, Manu le Mexicain, tout le monde l’aurait donné à cent contre un : flingué à la surprise, mais c’t’homme là, ce qui l’a sauvé : c’est sa psychologie. Ça été une épée, un cador ; moi je suis objectif, on parlera encore de lui dans cent ans. Seulement, faut bien reconnaître que Jupiter a décliné, surtout de la tête…Quand le lion est mort, les chacals se disputent l’empire. On ne peut pas leur en demander plus qu’aux fils de Charlemagne » (Les Tontons flingueurs).

LFI a gardé l’esprit fantassin, un côté maquisard. Madame Mado, Mathilde Panot, Folace, Freddy, Bastien, Boyard, sans peur ni reproche, tirent en rafale, multiplient les fermés et les rabats. Taratatata ! Raoul Mélenchon Volfoni dynamite, disperse, ventile, veut renvoyer le gugusse de Matignon tout droit à la maison mère, au terminus des prétentieux. Mais sa priorité, ce n’est pas le Béarnais. Son objectif, c’est le gros lot, l’Elysée, le patron. « Mais y connaît pas Raoul ce mec ! Y va avoir un réveil pénible… J’ai voulu être diplomate à cause de vous tous, éviter qu’le sang coule… Mais maintenant c’est fini… je vais le travailler en férocité… le faire marcher à coups de latte… A ma pogne je veux le voir… Et je vous promets qu’il demandera pardon !… Et au garde-à-vous ! » (Les Tontons flingueurs).

Sous le signe de l’Hexagone

La morale de l’histoire, honteuse, est passée sous silence. N’en déplaise aux journalistes naïfs, sociologues amnésiques, politiques démagogues, la démocratie et la France, cela fait deux. Notre fond de sauce tricolore n’a jamais été athénien ni parlementariste. La tradition nationale, c’est le vertical, la courtisanerie, le ressentiment, les jalousies, furieuses, durables. Notre Credo c’est le « bien commun » en ordre serré – au pas camarades, en cadence citoyens -, en tranchant tout ce qui dépasse.

L’amour de la liberté, le dialogue, le sens du compromis – sinon fraternel, du moins apaisé -, consubstantiels à toute démocratie (représentative, parlementaire, directe, de terrain) nous ont toujours fait défaut. Avec ou sans culotte, gilet jaune, rouge ou noir, le vice incurable des Français, c’est « L’amour du censeur » (Pierre Legendre), des statuts, grilles, les décorations, le bâton, les chefs – grands et petits – surtout petits. Pas de liberté pour les amis de la liberté ! 

L’inavouable est masqué, enrobé dans des promesses de Nupes, des pétitions de grands principes, est maquillé dans des devises éblouissantes, schibboleths de pacotille aux splendeurs invisibles et mutantes, aujourd’hui le « toutlemondisme », la « diversocratie », une mythologie démonétisée. L’art de faire passer la servitude volontaire pour une civilité, pour l’amour du prochain et de l’égalité. Un seul Maître nous manque et tout est dépeuplé. Sieyès a vendu la mèche : « Le pouvoir vient d’en haut et la confiance vient d’en bas ». 

« L’État c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde » (Frédéric Bastiat).

Non, François Bayrou ne doit pas démissionner de son mandat de maire!

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François Bayrou inaugure l'agrandissement du stade du Hameau, Pau, décembre 2017 © FERNAN FOURCADE/SIPA

En pleine crise à Mayotte, le Premier ministre François Bayrou se voit reprocher sa participation au Conseil municipal de Pau. Est-ce vraiment choquant ?


Il est curieux qu’on reproche au Premier ministre de ne pas faire assez de com… Pour certains journalistes et la gauche, François Bayrou aurait dû immédiatement s’envoler pour Mayotte, alors qu’il est en pleines consultations pour constituer un gouvernement. Et s’il était allé à Mayotte, les mêmes lui auraient sûrement reproché de… faire de la com !

Polémique palo-mahoraise

François Bayrou a décidé que la bonne personne pour impulser et coordonner l’action de l’État sur le terrain, c’était Bruno Retailleau, ce qui annonce d’ailleurs le maintien de celui-ci Place Beauvau (une bonne nouvelle), et il a eu raison. Les Mahorais n’ont pas besoin de cirque politique mais d’une action et d’une vision à long terme. On voit mal ce que François Bayrou aurait fait de plus que son ministre de l’Intérieur.
Il aggrave son cas en se rendant hier à Pau pour le conseil municipal de la ville, au lieu d’être à la cellule de crise dirigée par le président Macron à Beauvau. Une décision « indigne et irrespectueuse », pour le socialiste Arthur Delaporte. Il a participé en visioconférence à la cellule de crise depuis la préfecture des Pyrénées-Atlantiques, avant le fameux conseil municipal. Où est le scandale ? On nous bassine en temps normal avec les vertus du télétravail, il faudrait savoir.
François Bayrou devrait-il démissionner de son mandat de maire, comme l’avaient fait Jean-Marc Ayrault ou Edouard Philippe ? Non. Si nous étions en tout début de mandat, cela pourrait se discuter. Mais, les municipales sont prévues en 2026, et toutes les grandes décisions d’investissement pour la ville ont été prises. François Bayrou est un maire apprécié, y compris de ses opposants, et il a une bonne équipe.

A lire ensuite, Ivan Rioufol: Le double discours de François Bayrou, faux réconciliateur

L’ancrage territorial du Béarnais est sa grande supériorité politique sur Emmanuel Macron. L’autre atout de Bayrou, c’est qu’il a un parti, ce qui lui a permis de faire plier le président de la République. Bref, il fait de la politique. On en a bien besoin.

Rappel à la loi

Que le Premier ministre continue, même de loin, à diriger une ville, ce n’est pas du temps pris aux Français mais le meilleur moyen de savoir ce qu’ils vivent. La loi autorise le cumul d’un mandat et d’une fonction ministérielle. Ce qu’elle interdit, c’est deux mandats électifs (le fameux député-maire d’autrefois) et c’est sans doute une des plus grandes âneries qu’ait votées le Parlement ces dernières années. Résultat: nos députés n’ont plus les mains dans le cambouis du réel. Autrement dit, on a inscrit dans la loi la déconnexion qui est au cœur de la crise politique que nous traversons.
Aujourd’hui, on dirait que le gouvernement est le représentant de Paris auprès des peuplades exotiques de nos provinces à qui il porte la bonne parole. Il est temps qu’il soit le porte-parole des Français à Paris !


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin

François Bayrou est le premier Premier ministre d’Emmanuel Macron!

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Le Premier ministre François Bayrou à l'Assemblée nationale, cet après midi. Capture LCI.

François Bayrou, alias Monsieur 12 Heures Chrono, a réussi à transformer un réveil brutal à 5h du matin en triomphe politique à 17h, s’imposant comme le premier chef de gouvernement d’Emmanuel Macron émancipé du chef de l’État…


Le vendredi 13 décembre 2024, Emmanuel Macron a nommé François Bayrou à Matignon, ou plutôt si l’on en croit le récit d’observateurs bien informés, François Bayrou s’est imposé comme Premier ministre à un président affaibli par une dissolution hasardeuse.

Mais François Bayrou n’est pas seulement le nouveau Premier ministre, il est en fait devenu le seul vrai Premier ministre que le président Jupiter aura eu à nommer au cours de ses deux quinquennats.

Ainsi, alors qu’Edouard Philippe, Jean Castex, Elisabeth Borne, Gabriel Attal et Michel Barnier n’étaient que les premiers des ministres d’Emmanuel Macron – c’est-à-dire au sens étymologique les premiers de ses « serviteurs » – François Bayrou est en fait l’unique réel Premier ministre qui, grâce à son coup de force, aura le pouvoir de « déterminer et conduire la politique de la nation » comme le stipule l’article 20 de la Constitution.

Réveillé à 5h du matin pour s’entendre dire qu’il ne sera pas nommé, François Bayrou a obtenu un rendez-vous avec le président de la République à 8h30, avant de le faire changer d’avis et devenir Premier ministre à 17h.

Il y a eu 24 heures dans la vie d’une femme de Stefan Zweig.
Reste donc à écrire « 12 heures dans la vie d’un homme » qui auront tout changé du destin d’un homme et peut-être de celui de la France.

A lire aussi, Ivan Rioufol: Le double discours de François Bayrou, faux réconciliateur

L’histoire peut être résumée ainsi : comment un homme que les médias, les critiques, les jaloux et les rancuniers décrivent comme un personnage falot, faible et peu fiable est devenu le point central de la vie politique française avec seulement 33 députés sur 577. Au surplus, en se montrant imprévisible et dissuasif, il est parvenu à devenir l’unique Premier ministre d’Emmanuel Macron au vrai sens du terme.

À ceux qui l’accusent de vouloir brader la Cinquième République en s’apprêtant à y inclure une dose de proportionnelle, rappelons que ces institutions ont été laminées par le passage au quinquennat, par les précédentes cohabitations et par les refus des présidents successifs de tirer les conclusions de leurs échecs électoraux.

Dans ces moments agités où la France a besoin de se réformer pour ne pas sombrer économiquement, où les périls internationaux guettent de toutes parts, souhaitons-lui, souhaitons-nous qu’il réussisse.

Pour lui, pour nous, pour la France et pour son influence dans le monde.


PS : je n’ai jamais voté pour François Bayrou

Questions pour un Champion, une ode quotidienne à la culture générale 

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Julien Lepers l'ancien animateur phare de Questions pour un Champion présente le décor de l'émission sur France 3 à Paris, France le 15/12/2005 © BENAROCH/SIPA

Heureusement qu’il nous reste Questions pour un Champion pour résister toujours et encore aux envahisseurs que sont la téléréalité, les réseaux sociaux et la bêtise généralisée…


Le plus grand drame de notre époque – si nous ne devions en retenir qu’un seul – pourrait être la perte de culture générale, soit l’ensemble des connaissances accumulées au cours de l’existence. Dans les cas les plus extrêmes, Chateaubriand fait désormais figure d’illustre inconnu, les îles Kerguelen sont redevenues une terra incognita et il se trouverait bien quelques personnes pour penser que le tableau de Mendeleïev est l’œuvre d’un peintre. Dès lors, voir s’affronter dans les Masters, jusqu’à la fin de l’année, les soixante-quatre meilleurs candidats de l’histoire de Questions pour un Champion est un plaisir de fin gourmet. 

On imagine les heures d’émerveillement devant les choses de la vie, de préparation digne de sportifs de haut niveau et de révisions qu’il leur a fallu pour accumuler des connaissances éparses et multidisciplinaires afin de pouvoir se souvenir, devant le bienveillant Samuel Étienne, que Tamino fut le personnage principal de La flûte enchantée de Mozart, Zénobie la reine légendaire de Palmyre ou encore Claude Viallat un peintre contemporain originaire de Nîmes. 

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Par-delà les moments de gloire personnels, acquérir une culture générale solide est le meilleur des investissements, tant la vie, la mort et leurs mystères sont forcément plus doux à appréhender lorsque l’on plante ses pas dans ceux des grands aventuriers, quand on hume le parfum de fleurs que l’on parvient à reconnaître par leur forme et leurs couleurs, ou encore lorsque nos peines de cœur deviennent dérisoires comparées à l’enchaînement mortifère du tragédien Racine dans Andromaque; plus que tous les coachings à la mode, nous n’aurions d’ailleurs qu’un seul conseil à prodiguer : se plonger dans l’Iliade et l’Odyssée.

La culture générale, si elle est indispensable à titre individuel, l’est également collectivement : elle est la sève venant alimenter l’éloquence et donc le dialogue civilisé. Elle est le ciment commun d’un groupe d’amis, d’un village et d’une nation; partant de là, elle est la porte d’entrée nous permettant de découvrir d’autres civilisations et d’arriver à en chérir au-delà de notre pré carré. 

Si tout s’est effondré, il faut en trouver les causes dans le nivellement généralisé par le bas, la profusion de contenus abêtissants sur les réseaux sociaux, la dévalorisation du « par cœur » ou encore l’accélération du temps qui empêche la cristallisation d’expériences communes dans des souvenirs partagés. Les hommes et les femmes ayant aujourd’hui la soixantaine ont vu les mêmes programmes à la télévision, ont lu les mêmes romans à l’école et ont étudié les mêmes théorèmes mathématiques ; désormais, un jeune de vingt-cinq ans n’a plus les mêmes références qu’un post-adolescent de quelques années son cadet. 

La culture générale semble même devenir un handicap : en quoi est-elle un atout lors d’un entretien d’embauche, dans un débat politique ou au moment de séduire ? Miss Picardie, première du tant redouté test de connaissances soumis aux prétendantes au titre de plus belle femme de France, n’a pas été retenue parmi les cinq dernières candidates à pouvoir briguer la couronne.

Il est pourtant plus que temps de renouer avec la culture générale. « Au moins, on en a, au plus on l’étale », entend-on déjà persifler ceux qui comparent ses vertus à celles de la confiture. En la matière, il n’y en a désormais plus guère au fond du pot pour l’étaler sur l’ensemble de la tartine. La famine guette et avec elle notre civilisation est menacée de faim et donc de fin.

Du lundi au vendredi à 17h45 et le samedi à 17h55. France 3.

Un divertissement racoleur

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Ballet de l'Opéra de Paris © Ann Ray OnP

Play, signé par le Suédois Alexandre Ekman, est un spectacle repris par le Ballet de l’Opéra de Paris sept ans après sa création. Et c’est regrettable.


Fallait-il reprogrammer Play, spectacle chorégraphique créé il y a sept ans à l’Opéra de Paris ? Poser la question, c’est y répondre ! Toutefois, cette production, aussi aimablement creuse qu’elle est spectaculaire, fonctionne parfaitement sur un public qui semble totalement dépourvu de discernement et qui l’acclame. En ces temps où la gestion financière d’un théâtre peut aisément primer sur la valeur artistique de ce qu’il offre, tourner le dos à l’intelligence en affichant un spectacle racoleur ne pose guère problème puisqu’il s’agit avant tout de remplir les caisses de l’Opéra.   

Un sentiment vertigineux

Tout en faisant appel au travail d’improvisation de ses trente-cinq interprètes du Ballet de l’Opéra de Paris, dont la bravoure et l’excellence technique sont assurément dignes d’éloges, Ekman a monté avec Play une grosse et coûteuse machine apparaissant comme un véritable catalogue de ce qui s’est fait sur scène durant ces dernières décennies. S’ouvrant sur ce qui pourrait n’être rien d’autre qu’une séance d’aérobic à laquelle participent tous les danseurs, le spectacle empile des séquences sans queue ni tête et sans autre ambition apparente que de meubler l’espace et le temps. Pour ce faire, Ekman a puisé sans trop de vergogne dans le répertoire contemporain, et même au-delà, parmi ce que d’autres que lui ont mis en scène, afin d’offrir au public des images devenues familières avec le temps, propres à le conforter dans le sentiment vertigineux de découvrir une modernité qui, déjà, n’en est plus une.

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« Le but ultime de la danse, c’est la danse »

Car Ekman obéit, inconsciemment peut-être, à une démarche au fond très judicieuse : faute d’idées personnelles, il emprunte aimablement celles des autres dans un touchant esprit de confraternité.

Une scénographie à la Robert Wilson avec un plateau blanc, immense et magnifique, découvrant la scène de l’Opéra dans toute son ampleur ; un cosmonaute errant sur le plateau agrippé à un drapeau ou des gestes répétés à l’envi (Wilson encore) ; des textes psalmodiés en voix off, et bien entendu en anglais ; un danseur au buste nu émergeant d’une crinoline démesurée (Carolyn Carlson) ; une interprète angoissée appelant dans le vide, puis s’adressant familièrement aux spectateurs du premier rang (Pina Bausch) ; un arbre planté là, seul dans cette immensité blanche (Carlson encore) ; des éléments cubiques suspendus en l’air et qui, descendus sur la scène, entraveront le parcours des danseurs (François Morellet et Andy De Groat) ; cette fille encore qui très lentement traverse le plateau, un peu à la façon de Lucinda Childs dans Einstein on the Beach ; et même le spectre voilé d’une danseuse se maintenant sur pointes, tout comme dans l’acte des Willis de Giselle. On a ainsi répertorié quarante années de création et plus encore. Et pour faire bonne mesure, on assène vocalement et par écrit des sentences aussi prodigieusement idiotes que : « Le but ultime de la danse, c’est la danse ».

De Jeux à Play

Avant même que débute la chorégraphie, alors qu’on voit débouler sur scène quatre gaillards, des saxophonistes en tenues de tennis, comment ne pas songer à Jeux, une chorégraphie aujourd’hui oubliée de Nijinski composée sur la partition de Debussy, et qui n’eut pas l’heur, en 1912, de recueillir l’adhésion du public des Ballets russes ?

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Cent douze ans plus tard, alors que les titres anglais d’ouvrages dansés font des ravages dans un monde chorégraphique formidablement moutonnier, on peut tout de même se demander pourquoi une pièce commandée à un Suédois par une institution française comme le Ballet de l’Opéra de Paris, et destinée en majorité à un public francophone, s’intitule de façon parfaitement gratuite en anglais et ânonne des niaiseries dans la même langue. Play a ainsi remplacé Jeux, avec à la clef un ouvrage franchement indigent, aussi vide de substance que sont savantasses les textes du programme complaisant qui l’accompagnent, et où surabondent les références à Artaud, Shaw, Baudrillard, Freud, Perec, Fink, Bourdieu, Shakespeare… comme s’il fallait impérativement citer de grands noms pour justifier l’insignifiance du propos d’Ekman.

Play (Alexander Ekman), Ballet de l’Opéra de Paris © Agathe Poupeney OnP

Le prêt-à-porter de la modernité

Le propos ? Quel propos d’ailleurs ? À en croire les contributions rédigées pour le programme qui commentent ou, plus justement, encensent le spectacle, dans Play la notion de jeu revêt une dimension toute philosophique. La réalité est plus amère. Et l’essentiel de la soirée est noyé sous des milliers de balles vertes dans lesquelles se noient les danseurs et une chorégraphie absolument dépourvue d’intérêt.

Ce n’est pas laid. C’est vide ! Anecdotique !

Pour être juste, il faut reconnaître qu’à la fin du spectacle l’ensemble des danseurs, juchés sur les cubes et exécutant en canon une gestuelle fort simple, mais efficace, cet ensemble forme une très belle scène. C’est d’ailleurs le seul moment prenant de Play qu’accompagne fort bien une partition enfin apaisée, écrite pour des instruments à cordes par un autre Scandinave, Mikael Karlsson. Il n’en fallait pas plus pour engendrer, aussitôt le rideau baissé, les applaudissements du public, ravi d’avoir assisté à tant d’agitation dès le début des manœuvres et dont on veut espérer qu’il ovationne avant tout l’engagement physique des danseurs. Mais Ekman, malin comme un bonimenteur de foire, jouant de la séduction facile comme un représentant de commerce, n’a pas encore dit son dernier mot. Le rideau se relève pour dévoiler une chanteuse afro-américaine venue là comme un cheveu sur la soupe… avant que les danseurs projettent dans la salle de l’Opéra de gigantesques ballons qui vous retombent lourdement sur le crâne ou lancent aux spectateurs des balles jaunes que ces derniers renvoient sur la scène avec l’ivresse d’être aussi de la partie. C’en est fait : cette fois, au second baisser de rideau, dans un élan irraisonné, la plupart des spectateurs, électrisés, se lèvent pour ovationner. Pour les rendre à ce point enthousiastes, il suffisait donc, comme à un caniche, de leur lancer une baballe.


Play, avec le Ballet de l’Opéra de Paris. Opéra Garnier, jusqu’au 4 janvier 2025.