La justice a tranché : Nicolas Sarkozy recevra un beau bracelet électronique pour Noël ! Les détracteurs de l’ancien président et la majorité des éditorialistes assurent la bouche en cœur que les juges n’ont fait que leur travail… Reste qu’ils ont condamné Nicolas Sarkozy pour une simple intention, s’indigne Elisabeth Lévy.
Nicolas Sarkozy a été définitivement condamné le 18 décembre à une peine de prison de trois ans dont un an ferme sous bracelet dans l’affaire dite des « écoutes ». On a changé de monde. La Cour de cassation, de soi-disant sages qui appliquent le droit, confirme une condamnation délirante.
L’ancien chef de l’Etat est condamné pour une conversation avec son avocat. Une conversation secrète obtenue dans le cadre d’écoutes scandaleuses, selon la méthode des filets dérivants – on ne sait pas bien ce que l’on cherche, mais on écoute et on verra bien. Les juges enquêtaient sur une corruption supposée, mais n’ont jamais trouvé la trace de l’argent. 50 millions, ça se voit non ?
Ce qui est reproché à Nicolas Sarkozy ? Il aurait envisagé de pistonner un magistrat contre des infos. Bon, c’est la vie du pouvoir. Donner un coup de main à quelqu’un, dans la vie d’un homme de pouvoir, cela se fait tous les jours. Les politiques ne font que ça. Tous le font. Sauf qu’il n’y a pas eu de piston, ni de commencement supposé d’exécution. Le juge Azibert n’a jamais été nommé à Monaco. Sarkozy est donc condamné pour une intention. Et pourquoi pas pour une pensée ? Je cambriolerais bien la Banque de France (c’est stupide, puisqu’il n’y a pas d’argent à y trouver), vais-je être condamnée pour avoir émis cette intention ?
Est-ce à dire qu’un ancien président n’est pas un justiciable comme les autres ? Si, justement. Mais tous les jours, des délinquants qui ont frappé un flic, un prof, un pompier, ou qui pourrissent la vie de leurs concitoyens ou mettent des filles en danger sortent libres des tribunaux. Et Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, serait lui empêché de circuler ?
Des juges veulent se le payer parce que Mediapart a dit qu’il était coupable. Au nom de l’Etat de droit, c’est l’arbitraire. Des magistrats qui ne répondent jamais de rien se prennent pour des chevaliers blancs, fantasment sur le Watergate et rêvent de se faire des puissants. Mais, le gouvernement des juges, c’est la fin de la démocratie. Il parait qu’on juge au nom du peuple français ? Not in my name ! Pas en mon nom, s’il vous plait !!
Elisabeth Lévy sur la condamnation de Nicolas Sarkozy : « Je suis folle de rage »
Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud Radio
La notion de « bon père de famille », autrefois associée à la respectabilité, est aujourd’hui critiquée. Selon les progressistes, elle servirait en réalité à masquer les « violences sexistes et sexuelles ».
Voici que touche à sa fin le procès de ce qu’on appelle improprement l’affaire des viols de Mazan, comme si cette localité s’était fait une spécialité de ces monstruosités peu ou prou sur le même mode de ce qu’on a ailleurs avec, par exemple, les bêtises de Cambrai ou le nougat de Montélimar. Il est bien évident que cette barbarie sexuelle n’est nullement imputable à la cité mais bien exclusivement à un de ses habitants, le monstre Dominique Pelicot flanqué de ses non moins abjects complices, au nombre d’une cinquantaine. À l’issue de ce procès une forme de peine capitale aura été prononcée. La mise à mort du père. Ce qu’exprime fort nettement le titre d’un article du Monde de ce jour, signé Clara Cini : « La disqualification définitive des bons pères de famille »[1]. Oui, définitive…
Depuis le début de l’affaire et plus particulièrement de son traitement judiciaire, le courant féministe relayé avec ardeur par la bonne presse, celle qui pense comme il est convenable de penser, instruit en parallèle le procès de ce que ces gens se plaisent à ranger sous le terme générique de patriarcat. Pelicot ne serait pas une ignoble exception, une aberration, mais seulement la traduction paroxystique dans les faits d’une perversion inhérente à l’état de mâle, et plus spécifiquement de pater familias, ce chef de famille prétendument nanti de tous pouvoirs sur les siens, y compris de vie et de mort sur son épouse, cela jusqu’à une période récente en cas d’adultère, la fameuse et – il est vrai scandaleuse – circonstance jadis atténuante du « crime passionnel ».
En d’autres termes, il conviendrait que nous admettions, nous autres, époux et pères, qu’un Pelicot sommeillerait en chacun de nous. Ne sommeillerait que d’un œil, qui plus est. De ce fait, il serait également souhaitable que nous prenions notre part dans la condamnation du coupable. Ainsi, l’inquisition féministe wokisante ayant atteint-là son but suprême, revendiqué on ne peut plus clairement dans le titre de l’article du Monde, pourrait se faire une gloire d’avoir rivé à jamais le dernier clou du cercueil du père, et concomitamment de l’autorité paternelle.
Cela dit, on doit à un élémentaire souci de vérité de reconnaître que le mouvement de désertion de cette autorité est très largement entamé depuis quelques décennies. La délinquance de gamins de treize ou quinze ans livrés à eux-mêmes, laissés à la dérive est là pour nous le rappeler quasi quotidiennement. Or, face à cela, ce qui semblerait salutaire à la fois pour ces enfants et le paisible fonctionnement de notre société serait tout au contraire et tout simplement le rétablissement de l’autorité du père. Le père si souvent – et si complaisamment – absent, ce pathétique et lâche fantôme de ce qu’on appelle pudiquement les familles monoparentales. Et si le mot père est à bannir là aussi définitivement de notre vocabulaire, qu’on ait le courage d’exiger autorité et responsabilité du géniteur. Car tout gosse – du moins tant que la pseudo-science wokiste n’aura pas aboli aussi cette vérité millénaire – a bien un géniteur. À lui donc d’assumer sa désertion, son refus d’autorité. À lui, par exemple, d’exécuter à la place du gamin l’humiliant travail d’intérêt général. Croyez-moi, quand ce géniteur aura eu à curer cinq ou six week-ends de suite les fossés de la commune, quand il se « sera tapé la honte » de ramasser les feuilles et les papiers gras, il veillera d’un peu plus près à ce que sa progéniture reste bien dans les clous.
En un mot comme en cent : puisqu’on tient tant à ce que le père soit mort, saluons donc gaiement l’avènement du géniteur !
Et si demain tout s’inversait, demande Sonia Mabrouk. Et si demain les Européens débarquaient massivement sur les côtes d’Afrique du Nord, s’adapteraient-ils aux mœurs de pays hôtes en se convertissant à l’islam ? Renieraient-ils leur identité, comme certains le font déjà dans leur propre pays ?
De nos jours, les plus vives manifestations de patriotisme se trouvent chez certains Français de fraîche date : nés à l’étranger puis naturalisés ou nés en France dans des familles issues de l’immigration. Ils n’ont pas le monopole du cœur, mais peut-être celui du courage de dire des évidences que les Français de souche balaient d’un revers de main ou dissimulent par peur des conséquences.
Ces Français de fraîche date connaissent les réalités du monde, à commencer par sa laideur et son intolérance systémique. Ils savent ce qu’est un Arabe, un Pakistanais ou un Peul. Ils sont ouverts sur le monde tandis que le bobo l’imagine au lieu de le connaître, il projette sur lui sa conception rousseauiste de la nature humaine où la gentillesse et la fragilité forment l’horizon définitif de l’histoire. Or, il est sorti de l’histoire et l’ignore.
Il y a longtemps, il y eut Romain Gary. Aujourd’hui, il y a Éric Zemmour (son origine étrangère est décisive dans son engagement et sa radicalité). Il y a bien sûr Boualem Sansal, Claire Koç, Sabrina Medjebeur, Naïma M’Faddel… Et sans aucun doute Sonia Mabrouk.
Boat people improbables
Au lieu d’écrire un essai pour formuler crûment son message d’alerte (Réveillez-vous bon sang !), elle a choisi la forme romanesque.
Et si demain tout s’inversait relate le périple de Louise et d’Aurélien, un couple aisé qui décide de s’exiler en Afrique du Nord. La vie en France est devenue impossible à cause de la guerre civile interethnique et des incessants bombardements russes. La femme représente tout ce qu’il reste de bon dans l’Hexagone (bon sens, sensibilité, amour des belles lettres et des belles choses, fidélité à la tradition judéo-chrétienne) ; l’homme, tout ce qu’il y a de méprisable (déni, arrogance, opportunisme, absence de convictions). On a envie de lui donner des baffes et de demander à Louise : qu’est-ce que tu lui trouves, jusqu’à te marier et lui faire un gosse ?
Aurélien incarne l’archétype du winner, le gagnant de la mondialisation. Médecin, il a prospéré en réalisant des chirurgies de transition de genre sur des enfants et des adolescents. Quand sa femme l’interroge sur l’éthique de sa démarche, il répond qu’il s’agit du progrès et que l’on ne peut rien contre le progrès car « il nous dépasse ». Il nous dépasse et remplit son compte en banque.
Aurélien se croit extraordinaire. Il symbolise une époque où l’ultra-spécialisation technique détermine l’ascension sociale alors que la culture générale a perdu ses lettres de noblesse. Aurélien n’a tout simplement pas les moyens de comprendre qu’il risque de disparaître, et son pays avec lui, s’il ne se comporte pas comme un homme !
Chemin à double sain
Sonia Mabrouk s’adresse à tous les Aurélien de France avec la subtilité et la finesse qui font sa signature. Elle place le lecteur dans un scénario hypothétique, tellement invraisemblable qu’il désarme les résistances de ceux qui prennent toute référence à la réalité comme une micro-agression.
Qui pourrait imaginer que les Français, et les Européens en général, prennent le chemin de l’exil ? Qu’ils soient réduits au rang de boat people rançonnés par des passeurs et malmenés par les garde-côtes des pays arabes ? Qui pourrait croire que les populations arabes leur imposent la conversion à l’islam sans « droit à la différence » ni « touche pas à mon pote » ?
Ce scénario n’est pas inédit. La Méditerranée est une voie à double sain depuis toujours. Il n’y a pas si longtemps, des républicains espagnols ont fui Franco au Maroc, en Algérie et en Tunisie. Avant eux, d’autres Espagnols ont repeuplé l’Oranie au xixe siècle, espérant y trouver un refuge contre la misère et la disette. À la marge, des Allemands entachés par le nazisme se sont installés en Égypte après 1945. Si on ouvre davantage la focale, on voit des similitudes entre le scénario de Sonia Mabrouk et la grande migration des juifs expulsés par Isabelle la Catholique en 1492, éclatés en plusieurs diasporas du Maghreb au Levant.
Sonia Mabrouk a-t-elle lu Jean Raspail ?
Et si demain tout s’inversait pose plusieurs questions essentielles, la première étant celle du courage. Le courage de voir le défi identitaire qui s’impose à la France. Le courage d’admettre qu’une société n’a aucune chance de perdurer si elle n’arrive pas à se faire respecter chez elle. Le courage de reconnaître qu’un pays sans âme, avec des hommes sans contenu, est voué à la disparition.
On ne peut manquer de tracer un parallèle entre la démarche de Sonia Mabrouk et Le Camp des saints de Jean Raspail, paru il y a cinquante ans. Les deux partent du principe que l’islam est capable de dire non, de refuser la différence. Dans le livre de Raspail, les hordes misérables venues d’Inde reçoivent une fin de non-recevoir dans les pays musulmans qui les déroutent vers la France. Dans le roman de Sonia Mabrouk, les pays du Maghreb conditionnent leur accueil à l’abandon de l’identité européenne. Les deux pensent que l’Europe est malade et que son mal est moral, seulement moral.
Les similitudes s’arrêtent là, car Jean Raspail ne croit plus dans la morale chrétienne. Il pense qu’elle fait crever l’Europe qui aime plus l’étranger qu’elle-même. Sonia Mabrouk semble appeler de ses vœux à un retour à l’identité judéo-chrétienne, non comme un réveil spirituel stricto sensu, mais une sorte de vaccin contre le suicide culturel en cours.
Enfin, votre humble serviteur, citoyen d’un pays du Sud, ne peut s’empêcher de pousser plus loin l’exercice engagé par Sonia Mabrouk. Et si ces centaines de milliers d’Européens obligés de se convertir à l’islam en contrepartie du droit d’asile étaient la salvation des pays d’Afrique du Nord ? Ces nouveaux venus auraient le même impact bénéfique que les pieds noirs d’Algérie avaient dans les années 1950, lorsque le pays a eu une réelle chance de décoller. Des pieds noirs inexpugnables, car musulmans et assimilés… Et si le renouveau de la terre d’islam dépendait de l’arrivée en masse d’Occidentaux convertis y apportant l’éthique du travail, la confiance dans le progrès et l’amour de l’innovation ?
De quoi écrire une autre fiction. Son titre serait Le Printemps arabe.
Sonia Mabrouk, Et si demain tout s’inversait, Fayard, 2024.
Casse-Noisette est mis à l’honneur sur la scène du Grand-Théâtre de Bordeaux. Dans cet écrin, le ballet de l’Opéra national de Bordeaux déploie un savoir-faire admirable pour donner vie au chef-d’œuvre de Tchaïkovski.
À Bordeaux, le simple fait de se rendre au Grand-Théâtre est en soi un plaisir. Que l’on soit face au magnifique édifice de Victor Louis avec, depuis sa chambre, une vue superbe sur la façade, ou que l’on chemine, pour y accéder, à travers une ville d’une beauté classique si harmonieuse, le parcours est un enchantement. Et lorsqu’on parvient au Grand-Théâtre, la noblesse de son vestibule monumental constitue un sujet d’admiration supplémentaire.
Convenu mais plaisant
En ce mois de décembre, divertissements de fin d’année obligent, le Ballet de l’Opéra national de Bordeaux affiche une production de Casse-Noisette. Rien de plus traditionnel, sinon de plus convenu. Et pourtant, rien de plus plaisant, tant la musique de Tchaïkovski, un chef-d’œuvre du genre, est spirituelle, envoûtante, et tant est séduisante l’histoire imaginée par E.T.A. Hoffmann, remaniée par Alexandre Dumas.
Pour cette réalisation hivernale honorablement portée par l’Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine, sous la conduite du Lituanien Robertas Servenikas, on a eu recours, la chose n’est pas ordinaire, à un chorégraphe bulgare, Kaloyan Bojadjiev. Oui, un Bulgare, un vrai, né à Sofia au cours du crépuscule de l’effroyable dictature communiste, formé à la danse dans sa ville natale, danseur soliste à Pretoria, puis à Oslo où il s’essaie à la chorégraphie jusqu’à créer cette version de Casse-Noisette en 2016, laquelle obtient un franc succès dans son pays d’adoption. Assez pour qu’elle en vienne à débarquer (considérablement modifiée) à Bordeaux. Et cela en coproduction avec le Ballet de l’Opéra de Leipzig, en Saxe.
Salle comble pour 17 représentations
Longtemps dirigé par un ancien danseur étoile de l’Opéra de Paris, Charles Jude, et aujourd’hui par un ancien premier danseur de la même institution, Éric Quilleré, le Ballet de l’Opéra national de Bordeaux a déjà à son actif un vaste répertoire où l’on n’oubliera pas l’envoûtant Pneuma, création de Carolyn Carlson au cours de laquelle la compagnie fit des merveilles. Elle compte encore d’innombrables pièces du répertoire classique et néo-classique ou des créations contemporaines qu’elle a généralement su défendre avec vaillance.
Comptant quarante danseurs qui forment un beau groupe homogène, cette excellente troupe ne peut cependant s’attaquer à de grosses productions sans faire appel à des surnuméraires. Ils sont vingt-cinq danseurs supplémentaires pour permettre d’assurer, en alternance, les dix-sept représentations de ce Casse-Noisette qui fait salle comble. À eux s’ajoutent seize enfants venus du Conservatoire de Bordeaux.
Plus que la chorégraphie proprement dite, c’est bien le travail de mise-en-scène qui fait ici l’excellence du premier acte. Faut-il, plus qu’au chorégraphe bulgare, en être redevable au dramaturge et metteur-en-scène anglais Jon Bausor (associé à la Royal Shakespeare Company) qui a également conçu l’ensemble de la scénographie, des décors et des costumes ?
Tableaux plein de vie
Toujours est-il que les tableaux qui se succèdent – scènes de rue tout d’abord, où les auteurs envoient une flèche empoisonnée à la brutalité aveugle des militaires figurés sur le plateau ; scènes dans les salons des parents de la jeune héroïne, Clara, saisissante bataille rangée entre les rats, leur roi (excellente interprétation du titulaire du rôle) et les soldats de bois – ces tableaux sont pleins de vie, de naturel et magnifiquement exécutés. Pour ne rien dire de la danse des flocons de neige, si habilement chorégraphiée qu’elle donne l’illusion surprenante de vrais tourbillons neigeux quand débute leur chute. L’ensemble s’insère dans un décor remarquable d’élégance et de sobriété, mais d’où sourd aussi un inquiétant climat d’étrangeté.
Un décor qui, dans le songe de Clara, grandit démesurément, ce qui, sous les yeux des spectateurs, offre un effet théâtral extrêmement convaincant… avant que la jeune fille (Mathilde Froustey) et le jeune prince de ses rêves (Riku Ota), l’un et l’autre excellents techniciens, on le verra au second acte, s’envolent poétiquement sur un énorme lustre de cristal qui les transporte à Confiturembourg, le royaume de la fée Dragée.
Hélas, aussi enthousiasmante que peut être la première partie du ballet, le seconde apparaît en revanche bien quelconque. Il est vrai que l’action y est quasiment nulle, qu’elle n’est constituée que de divertissements, de pas-de-deux et de variations peu propres à exciter les neurones d’un dramaturge. Et ce n’est pas en travestissant les danseurs en bonbons, sucres d’orge et autres pièces en chocolat, qu’on les sort de l’ornière. Toutefois, le chorégraphe aurait pu imaginer des scènes originales sur les pages exquises de Tchaïkovski, plutôt que de s’en tenir à un modèle terriblement conventionnel. Aussi remarquables qu’aient été les décors du premier acte, ceux du second sont curieusement insignifiants. Et le contraste est si flagrant entre les deux parties qu’on en vient à se demander si la production n’a pas été victime de cruelles restrictions budgétaires. C’est infiniment regrettable, car le Ballet de Bordeaux, qui a fait pour cette grosse entreprise un effort considérable, tenait là quelque chose de parfait pour asseoir davantage encore sa belle réputation.
Casse-Noisette, Ballet de l’Opéra national de Bordeaux, au Grand-Théâtre de Bordeaux. Jusqu’au 31 décembre 2024.
Éric Ciotti a fait un rêve: le libéralisme venait au secours de l’État surendetté.
François Bayrou sera-t-il l’homme des premières coupes claires dans le fonctionnement de l’État ? Ses précédentes alertes sur l’endettement public offrent au Premier ministre l’occasion de passer à l’acte. Lui-même a d’ailleurs admis, mardi devant l’Assemblée nationale, qu’ « il n’y aura pas de redressement sans faire des économies ». Toutefois, son idée saugrenue, lundi soir, d’utiliser un Falcon de la République pour aller présider dans un aller-retour le conseil municipal de Pau n’a pas donné l’exemple de la tempérance budgétaire ni de la lucidité sur les priorités. C’est à Mayotte, dévastée par les ouragans, que l’hôte de Matignon, en quête de proximité avec les gens, aurait été sans doute plus utile. Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur démissionnaire, a été plus avisé en s’installant auprès du département sinistré.
Passons sur la bourde. Reste à savoir si le successeur de Michel Barnier saura corriger un projet de loi de finance qui avait été construit sur la facilité du recours à l’impôt. « Je n’ai jamais cru que c’était dans la fiscalité que se trouvait la réponse à tous les problèmes du pays », a-t-il déclaré mardi devant les députés. En attendant, le Léviathan bureaucratique reste un totem qui surplombe la France suradministrée et sous-gouvernée. Au XVIe siècle, Montaigne déplorait déjà les lois trop nombreuses. Pour la seule année 2023, le pays a enregistré 8000 lois, décrets, arrêtés ou circulaires. De 1994 à 2022, un million de fonctionnaires sont venus renforcer une fonction publique déjà pléthorique. On ne compte plus les centaines agences d’État ou de hautes autorités inutiles. À commencer par le Haut commissariat au plan, où pantouflait le Béarnais. L’audace serait de supprimer déjà ce comité Théodule…
Il est peu probable que Bayrou, en équilibre politique instable, s’aventure sur cette voie courageuse. Pour s’y être engagée, la présidente (Horizons) de la région des Pays de la Loire, Christelle Morançais, doit affronter une bruyante opposition de gauche, qui conteste son plan de 100 millions d’euros d’économies et de 100 postes non remplacés. Or cet impératif de désendettement devient incontournable. Même Marine Le Pen, qu’une partie de la droite qualifie de « socialiste », se rapproche en réalité d’une vision libérale de l’économie (moins d’impôts, moins de normes, moins d’État) quand elle déclare, comme ce mercredi dans Le Parisien en parlant de Bayrou : « Il sait ce que nous ne voulons pas : des taxes et des impôts supplémentaires pour la France. Nous voulons aussi des économies structurelles sur le fonctionnement de l’État ». Son allié Éric Ciotti va plus loin dans Le Figaro de ce jour en annonçant préparer pour janvier « une grande loi tronçonneuse » qui supprimerait les régions et les métropoles, mais aussi notamment le Conseil économique et social, le Haut commissariat au plan, l’Arcom, les agences régionales de santé, et autres « Hautes autorités » qui ne servent le plus souvent à rien ou qui, comme la Haute autorité de la santé, prône un accès gratuit au changement de sexe pour tous à partir de 16 ans, après avoir cautionné l’emprise étatique durant le Covid. Ce moins d’État est plus généralement le crédo libéral défendu par l’Argentin Javer Milei, mais aussi aux États-Unis par Elon Musk et Donald Trump. Autant d’exemples à suivre pour que maigrisse enfin l’État ventripotent.
Jessica, flic américaine trop zélée, transforme le désert qu’elle est chargée de surveiller en Arizona nightmare…
La solitaire Jessica Combey ne rit jamais. Même pas lorsque – envie subite – elle décide de se faire tringler rapidos, en déboursant quelques dollars, par un gringo corpulent qu’elle a levé au coin de la rue – non sans le cagouler pendant l’aller-retour en caisse jusqu’au plumard – on ne sait jamais ce que le gigolo d’occasion pourrait raconter. A-t-elle joui ? Pas sûr : son visage restera de marbre pendant le coït.
Voilà pour l’entrée en matière de The Wall, film belge tourné aux States, en anglais, par Philippe Van Leeuw, 70 ans, Bruxellois de souche établi à Paris, connu dans le milieu comme chef op. au moins autant que comme scénariste et réalisateur. Bardé de prix, son dernier film remonte à 2017 : Une famille syrienne, dont l’action se situait à Damas pendant la guerre civile. Sorti en 2009, son film précédent, Le jour où Dieu est parti en voyage, se passait à Kigali pendant le génocide rwandais : le cinéaste Van Leew aime décidément tourner au loin.
Build the wall !
Pour revenir à The Wall, la jeune femme passablement glaçante (l’actrice luxembourgeoise Vicky Krieps, excellente au demeurant, a pris des leçons d’anglais pour le rôle) s’avère être Federal Agent des US Border Patrols, ces gardes-frontière yankee qui patrouillent dans l’Arizona, au pied du mur de séparation entre les States et le Mexique. Seule femelle dans ce milieu de mâles (forcément dominants), Jessica Combey n’a pas, il est vrai, une vie marrante : sa belle-sœur et semble-t-il unique amie, atteinte d’un cancer, est à l’article de la mort… Patriote jusqu’au fanatisme, tirée à quatre épingles dans son uniforme malgré ses fêlures intimes, la soldate à catogan ne manque pas d’invoquer Dieu et ses saints pour la soutenir dans l’épreuve du quotidien.
Vraiment sur les nerfs, la Combey ! Conjugué à sa frustration libidinale, son nationalisme véhément la poussera aux dernières extrémités : chasseuse frénétique de ces migrants clandestins qui tentent le coup à leurs risques et périls dans le four de ce désert hostile, elle soupçonne les Amérindiens du cru d’être des passeurs : Mike Wilson (indigène qui joue ici son propre rôle) et son fils Zick. S’estimant légitimes sur leur territoire ancestral, ils ne traversent jamais par le poste-frontière légal, mais par un chemin connu d’eux seuls. Et les voilà mêlés, bien malgré eux, à un sanglant incident de frontière qu’aggrave tragiquement la présence de cette hystérique de la gâchette, murée dans la haine. N’en disons pas plus.
Il y a deux lectures contradictoires (mais pas incompatibles) à faire de The Wall : soit le film est le procès bien-pensant de la corruption, de la brutalité, de l’impunité qui règneraient dans ces parages au sein de l’engeance des exécutants (à la peau blanche) de l’ignominieuse loi étasunienne ; soit il dépeint, à travers le personnage antipathique de Jessica, un cas d’espèce qui, par les temps qui courent, ne manquera pas de scandaliser les vigies du woke, toujours sur le qui-vive quand la Femme chute de son piédestal. Philippe Van Leeuw balance ainsi entre posture vertueuse et risque assumé du bannissement par les amazones suractives du féminisme militant.
L’enseignement centré exclusivement sur le savoir est réduit à n’être efficace que par accident et fort superficiellement. Il ne s’attache pas à l’essentiel : la construction de la connaissance dans et par l’apprenant.
Philippe Meirieu, L’école, mode d’emploi.
En 2011, le Club de l’horloge attribuait à Philippe Meirieu, le pape des prétendues sciences de l’éducation, le prix Lyssenko pour « sa contribution majeure à la ruine de l’enseignement ». Après avoir transformé le professeur en « manager de l’aventure quotidienne de l’apprendre » et relégué les savoirs au fond de la classe, M. Meirieu décida dans les années 1980 de faire de cette dernière un lieu « ouvert » dans lequel « l’apprenant » allait devoir construire son propre savoir et le professeur en rabattre un peu. Instigateur des funestes Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM) inspirés des schools of education américaines et transformés en 2013 en les non moins désastreuses Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation (ESPE) puis, en 2019, en les tout aussi catastrophiques Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l’Éducation (INSPE), M. Meirieu – bourdieusien, jospinien, pédagogiste et intrigant – possédait tous les défauts requis pour mener l’Éducation nationale vers le gouffre où elle sombra corps et âme. La « génétique mitchourinienne » promue par Lyssenko étouffa la recherche biologique en URSS durant près de trente ans ; Philippe Meirieu a enseveli l’École sous des « sciences de l’éducation et de la pédagogie » qui, aujourd’hui encore, poursuivent leur œuvre d’insalubrité publique – son prix était donc hautement mérité.
Un lecteur appliqué de Mona Chollet
Certains professeurs parmi les plus anciens espéraient ne plus entendre parler de lui. Las ! M. Meirieu vient de sortir un livre (dont nous reparlerons) et de signer dans Libération un article dans lequel il préconise de « cesser d’opposer autoritarisme et laxisme pour encourager le “Ose par toi-même” »1. Le didacticien estime en effet qu’un « vent de répression » souffle sur l’Éducation nationale où les velléités d’élever le niveau « se traduisent surtout pas des mesures de sélection et d’exclusion ». Il en va de même, selon lui, pour les « jeunes en galères » injustement menacés « d’enfermement » et pour les enfants martyrisés par leurs parents et renvoyés « dans leur chambre au moindre débordement ». Tout cela serait le résultat d’une « “révolution conservatrice”préférant systématiquement la répression à la prévention, la sanction au soin,l’exclusion des gêneurs à l’accompagnement des marginaux ». Les syndicats enseignants de gauche, le Syndicat de la magistrature et les dealers des cités applaudissent.
Pour nous convaincre, Philippe Meirieu fait référence à celle que d’aucuns considèrent comme un des plus brillants esprits de notre temps, un phare intellectuel dans la nuit conservatrice, une boussole dans ces moments tourmentés où il est si facile de se perdre dans les méandres de la réaction – j’ai nommé Mona Chollet. Non seulement M. Meirieu est parvenu à lire le nouvel ouvrage de cette dame sans s’assoupir2, mais même il y a dégoté une idée, effrayante, et qui a nourri sa réflexion, celle du retour d’une éducation brutale et répressive, une « réhabilitation soft de la “pédagogie noire” » que Mme Chollet devine dans les actuels rapports de domination patriarcaux et parentaux, rien que ça. Il faut dire que cette idée, comme les deux autres de sa dernière brochure, est venue à l’esprit de cette journaliste dans des circonstances dramatiques, circonstances qu’elle décrit dans un entretien donné récemment à L’Humanité : « Alors que j’étais enfin libre, amoureuse, capable de vivre de mon écriture, en passe de réaliser mon rêve, une voix intérieure que je n’avais jamais entendue s’est mise à m’interdire le bonheur. Elle me dénigrait, me rabaissait, m’interdisait de profiter de cette situation, provoquant en moi un concentré chimiquement pur du sentiment d’illégitimité. Il fallait que j’analyse cet amas d’empêchements. » Ceci peut expliquer cela.
Belles contraintes
Si M. Meirieu reconnaît qu’une éducation sans aucune contrainte ne peut que nuire au développement de l’enfant, c’est en adoptant un point de vue strictement rousseauiste (le rousseauisme de Jean-Jacques, pas celui de Sandrine) : les enfants ne sont pas intrinsèquement mauvais mais ils vivent dans une « société inégalitaire ». Il faut par conséquent choisir les « belles contraintes » qui, tout en instaurant de modestes limites, permettront l’épanouissement des chérubins. Philippe Meirieu opte pour celles du « faire ensemble » (du football, une recette de cuisine ou un journal scolaire), seules à même de « préparer nos enfants à “faire ensemble société” ». Il recommande finalement de s’en remettre aux pratiques d’une « éducation populaire si maltraitée aujourd’hui ». L’éducation populaire à laquelle il est fait allusion est celle qui, née au début du XXe siècle et relancée après la Libération, reposait sur la création de ce que le techno-verbeux Philippe Meirieu appellera plus tard « lacomplémentarité éducative, cette complémentarité permettant le repérage des fonctions spécifiques de chaque éducateur et de la manière dont elles s’agencent pour ouvrir un espace à l’expression d’un sujet »,à savoir, pour le dire plus simplement, des structures culturelles et sportives mises à disposition de la population et, plus particulièrement, des jeunes gens. L’idée était en soi estimable et connut quelques succès – la pratique étendue du sport et de la musique, les exigeantes maisons de la culture chères à Malraux, les ciné-clubs scolaires, par exemple – mais, pour perdurer et permettre aux enfants de se confronter à de véritables découvertes spirituelles, artistiques ou intellectuelles, encore eût-il fallu que l’École, maillon principal de cette Éducation populaire, ne sombrât pas dans les bourdieuseries et le pédagogisme, avec l’idée erronée que son objectif principal est de combler les inégalités sociales. L’égalitarisme ayant supplanté l’élitisme et la méritocratie ayant été abandonnée au profit de la démagogie, le déclin était inéluctable. Après quelques décennies d’abaissement institutionnalisé, le résultat est là, catastrophique et insurmontable.
En toute logique, après avoir commis ses méfaits et constaté l’ampleur du désastre, Philippe Meirieu aurait dû se faire oublier, se cacher, se retirer dans quelque monastère où il aurait pu se repentir de ses crimes. Il n’en est rien. Toute honte bue, ce calamiteux personnage resurgit sur le devant de la scène éditoriale : Éducation : rallumons les Lumières, tel est le titre de l’objet contondant avec lequel il compte estourbir ceux qui continuent de dénoncer son influence malsaine. Ces derniers sont d’ailleurs tous mis dans le même sac, celui de… l’extrême droite. L’argumentation, superficielle et obsessionnelle, tient en deux mots : il y aurait d’un côté les nostalgiques du Maréchal et les députés d’extrême droite prônant « un recours martial à l’autorité », et, de l’autre, les « humanistes », « celles et ceux qui sont convaincus que c’est la quête de la justice qui confère à une politique sa véritable légitimité ». Les premiers imposeraient « le paradigme du repli sur soi » en bafouant « la valeur, essentielle à toute démocratie, de l’ouverture à l’altérité », tandis que les seconds rêvent de voir leur pays « continuer à progresser vers plus d’émancipation et de solidarité ». Air connu.
Le diable Blanquer et les gentils idéalistes
Selon M. Meirieu, « en matière d’éducation, tout s’est précipité avec l’arrivée de Jean-Michel Blanquer au ministère de l’Éducation nationale en 2017 ». En plus d’avoir remis en cause le pédagogisme, dénoncé l’égalitarisme et réhabilité le “par cœur”, le méchant ministre Blanquer aurait enfourché « nombre de chevaux de bataille des néoconservateurs » : le combatcontre l’écriture inclusive et le wokisme. Heureusement, écrit M. Meirieu,Pap Ndiaye – cet audacieux ministre qui aura eu le courage de « dire tout haut d’une chaîne de télévision (devinez laquelle) qu’elle est d’extrême droite » – s’attaquera au contraire « aux marqueurs éducatifs de l’extrême droite », en particulier la laïcité « instrumentalisée par les boutefeux de l’exclusion ethnique ». Mais, se désole le chantre de la pédagogie gauchisante, cédant « aux pressions de l’extrême droite », le président de la République remerciera Pap Ndiaye et installera à la tête du ministère le redoutable Gabriel Attal, dont la première mesure, l’interdiction du port de l’abaya à l’école, sera la preuve de sa soumission à… l’extrême droite. Les heures sombres, la bête immonde, des groupuscules maréchalistes, la notion de préférence nationale renouant avec « les perspectives les plus noires des années 1930 », la montée de l’extrême droite en France et en Europe, la conférence d’Adorno “Éduquer après Auschwitz”, des « soubresauts réactionnaires », etc. sont évoqués pêle-mêle au fil des pages, histoire de marteler la Vérité sur l’École selon Saint Meirieu : la gauche a échoué mais ce n’est pas de sa faute – la droite et l’extrême droite ont gagné la guerre culturelle « contre tous ceux qui comme [lui], parce qu’ils croient en l’éducabilité des humains, sont définitivement considérés comme de dangereux idéalistes ». Il fallait oser ce tour de passe-passe, ce trucage de la réalité – preuve supplémentaire que l’idéologie règne en maîtresse dans le cerveau de M. Meirieu, le concepteur, faut-il rappeler, de la « pédagogie des situations-problèmes », un techno-machin grâce auquel « l’éducateur, conscient du fait qu’expliquer une chose à autrui est le meilleur moyen de le trouver lui-même, se donne pour tâche d’inventer des situations qui lui imposent de s’approprier les solutions requises ». Tout ceci est bien énigmatique. Au moins aussi énigmatique que le mot « énigme » lorsqu’il est défini par Philippe Meirieu : « Savoir entrevu qui suscite le désir de son dévoilement. L’énigme naît ainsi de ce que l’apprenant sait déjà et dont le formateur sait montrer le caractère partiel, ambigu, voire mystérieux. Le désir de savoir peut ainsi émerger face à une situation-problème si celle-ci est construite à partir d’une évaluation diagnostique des compétences et capacités d’un sujet. Le déjà-là problématisé offre la possibilité de son dépassement. »3 À l’époque (1988), de nombreux professeurs rirent aux éclats en lisant cette soupe indigeste. Mais l’idéologie a fait son œuvre. Fini de rire : l’ouvrage distillant ce genre de marmelade est aujourd’hui régulièrement réédité et mis à disposition des futurs professeurs désireux ou obligés de se mettre au diapason des méthodes pédagogiques les plus modernes, c’est-à-dire les plus néfastes.
Les théoriciens libertaires de la rue de Grenelle ont toujours eu en détestation l’incitation au travail, l’assiduité, la recherche de l’excellence – seuls moyens d’amener n’importe quel enfant, issu de n’importe quel milieu, à se dépasser pour aller au plus haut de ses capacités –pour leur préférer l’absence d’effort, la facilité, l’égalité vers le plus nul et la discrimination par le bas : « À la source de ce mouvement (l’égalitarisme à marche forcée sous la férule du pédagogisme) réside une haine de l’élitisme. Les pédagogues sont, en très grande majorité, des gens qui ont échoué aux divers concours qui jalonnent la carrière, de l’entrée de l’ENS à l’agrégation : Philippe Meirieu ne s’en est jamais bien remis », explique Jean-Paul Brighelli dans son avant-dernier livre4. Depuis quarante ans, à tous les échelons du système éducatif, ont été promus des individus de moins en moins qualifiés et de plus en plus serviles – parfaits, donc, pour enseigner ou faire enseignerl’ignorance (Jean-Claude Michéa) dans une structure étatique prévue pour une « éducation de masse qui se promettait de démocratiser la culture, jadis réservée aux classes privilégiées, mais qui a fini par abrutir les privilégiés eux-mêmes » (Christopher Lasch).
Les enseignants français devenus des managers du “faire société”
L’idéologie pédagogiste a décapité la transmission des savoirs. La morale gauchisante a supplanté la culture – et la droite elle-même s’est agenouillée devant elle. L’écologisme et le wokisme s’incrustent sournoisement dans les manuels scolaires de presque toutes les disciplines. Dans la garderie sociale qu’est devenue l’école, le professeur est de plus en plus souvent sommé d’être une sorte de « gestionnaire de l’apprendre », un animateur, un manager du « faire société », un coach du « vivre ensemble », un conseiller social, sociétal et inclusif, un tout ce qu’on veut du moment qu’il enseigne le moins possible. Logiquement, les universités déclinent à leur tour. Le relativisme culturel le plus niais règne dans les amphithéâtres. L’écriture inclusive, des théories relevant de la superstition et le blablatage militant d’obscurs mouvements censés représenter les « minorités » y ont désormais droit de cité. Les départements de sciences sociales, humaines ou politiques, ces nouveaux temples de l’ignorance et de la bêtise, sont aujourd’hui les meilleurs agents à la fois du gauchisme libéral-libertaire, de l’islamo-gauchisme et de l’impérialisme culturel américain. Dans ces antres du wokisme, sont formés les brillants sujets que s’arracheront demain les médias, divers organismes soi-disant indépendants, les administrations, les universités elles-mêmes. Immanquablement, certains finiront dans les différents services bureaucratiques de l’Éducation nationale. Il y aura parmi eux de nouveaux experts, de nouveaux spécialistes en sciences de l’éducation imprégnés de pédagogisme. Sur les décombres laissés par leur mentor, ils achèveront son œuvre de destruction avec la bénédiction des habiles bénéficiaires d’un système profitant à une faible proportion de la population – celle qui pourra par exemple mettre ses enfants dans les derniers établissements privés dispensant de véritables connaissances puis les envoyer poursuivre leurs études à l’étranger. Après l’École, le déclin de la France se mesurera aussi – et en vérité se mesure d’ores et déjà – à l’aune de celui de ses universités.
Mona Chollet, Résister à la culpabilisation : sur quelques empêchements d’exister, 2024, Éditions Zones. ↩︎
Philippe Meirieu, Apprendre… oui, mais comment. ESF Éditeur. Il est à noter que Philippe Meirieu a beaucoup, beaucoup, beaucoup écrit sur l’École – ce qui lui a été d’une grande aide dans les (rares) moments où il lui a fallu se justifier sur son influence, qu’on peut qualifier de préjudiciable, dans l’EN. Jean-Claude Riocreux, agrégé de Lettres classiques et ancien inspecteur d’académie, souligne ce point dans l’analyse qu’il fait de l’ensemble de son œuvre à l’occasion de l’attribution de son prix Lyssenko : « Dans la masse des écrits (de Philippe Meirieu), on enregistre des évolutions, ce qui est normal, des nuances parfois importantes d’un ouvrage à l’autre, mais aussi des contradictions. Tous ceux qui ont lu cette œuvre ont souligné ce fait. J’en suis moi-même désormais convaincu : à toute critique sur tel ou tel point, M. Meirieu sera en mesure de nous opposer une citation faisant diversion, contradiction ou contre-proposition. D’autre part, M. Meirieu, comme la plupart des réformateurs de l’école, semble marquer une préférence pour ce qui est confus et contourné. » ↩︎
Jean-Paul Brighelli, La fabrique du crétin. Vers l’apocalypse scolaire, 2022, Éditions de l’Archipel. ↩︎
Si la visite du Pape en Corse a été l’occasion d’une joyeuse ferveur populaire, elle a aussi conduit François à se laisser aller à quelques petites phrases pas forcément bienvenues – pour le dire pudiquement. Incident de peu d’importance en soi, mais qui mérite que l’on s’y arrête parce qu’il conduit à des réflexions allant bien au-delà de la personne du pontife.
« Une saine laïcité signifie libérer la croyance du poids de la politique et enrichir la politique par les apports de la croyance, en maintenant une nécessaire distance », a ainsi déclaré le Pape. Le contre-sens est saisissant, puisque la laïcité a au contraire pour objectif de libérer la politique du poids de la croyance religieuse – pour autant que ce soit possible, et nous reviendrons sur ce point.
Notons d’abord l’hypocrisie de cette phrase, venant d’un pontife qui n’a rien trouvé à redire à ce que soit installée au Vatican une crèche plaçant l’Enfant Jésus dans un keffieh (notre photo ci-dessous) : geste on ne peut plus politique, dont François a accepté sans rechigner qu’on fasse peser le poids sur la croyance. Sur X, l’excellent Jo Zefka a rappelé dans quelle trame historique s’inscrit cette négation de la judaïté du Christ par le Pape. J’ajoute qu’elle prend place, aussi, dans une réflexion plus philosophique sur le rapport entre un message universel et les conditions particulières de son émergence, ou de sa découverte. Réduire le Christ à l’universalité de son message, c’est le désincarner : paradoxe troublant pour une religion qui est, par essence, religion de l’Incarnation ! C’est faire de Jésus un simple messager, et non une partie du message, autrement dit un prophète parmi d’autres, approche plus islamique que chrétienne. Tout chrétien conséquent devrait pourtant prendre en compte ce fait fort simple : pour se faire Homme, Dieu s’est fait Juif. On peut débattre longuement du sens de ce choix divin, mais il est impossible de se dire chrétien si l’on refuse de croire qu’il s’agit là d’un fait. Certes, l’inculturation des symboles et des mythes a une longue histoire, et n’a en elle-même rien de négatif. Mais depuis le 7-Octobre, mettre un keffieh à l’Enfant Jésus n’est pas du tout la même chose que le représenter indifféremment par un poupon noir, jaune, rouge, brun ou blanc : ce n’est pas un signe d’universalité, mais au contraire de récupération au service d’une cause bien particulière, et dont le rapport au Peuple Juif – qui était celui du Christ – est pour le moins problématique. Tout ça, François le sait. En acceptant de se recueillir devant cette crèche politique, il a accompli un geste politique, et a donc fait précisément ce qu’il prétend maintenant dénoncer.
Au passage, je crois que c’est volontairement que Bruno Retailleau a répondu au Pape sur ce point, avec une parfaite courtoisie mais ce qui s’apparente à une diplomatique paire de gifles, en lui offrant un livre de Charles Péguy. Péguy, catholique et patriote, pour un Pape qui veut la dilution des nations européennes dans le multiculturalisme et l’islamisation. Péguy, catholique et dreyfusard, qui dénonçait les persécutions dont les Juifs étaient victimes à son époque, et rappela à ses contemporains que Jésus et Marie étaient Juifs, pour un Pape que sa haine anti-occidentale au nom du « Sud Global » conduit à nier la judéité de l’enfant de la crèche. Avouons que c’est bien joué.
Hypocrisie, donc, mais aussi contre-sens, qui ouvre cependant sur une réflexion nécessaire. « La foi ne reste pas un fait privé » a également dit François, s’attirant les foudres de nombreux défenseurs de la laïcité. C’est pourtant un fait : sa foi et ses croyances religieuses, qu’on le veuille ou non, qu’on l’approuve ou non, influencent la vision métaphysique que quelqu’un se fait de l’Homme et du monde, donc la vision méta-politique qu’il s’en fait, donc la vision politique qu’il s’en fait, et partant ses choix électoraux, ses engagements citoyens, etc. Arnaud Beltrame serait-il devenu le héros qu’il a été si sa détermination n’avait pas été nourrie par sa foi ? Henri d’Anselme aurait-il agi comme il l’a fait, à Annecy, si sa foi n’avait pas guidé son courage ? Charles de Gaulle et Philippe Leclerc de Hauteclocque auraient-ils été ceux qu’ils étaient, sans leur foi ? « Les apports de la croyance » ne sont pas forcément négatifs, même s’ils peuvent l’être – le procès en cours de multiples responsables de l’assassinat de Samuel Paty ne nous le rappelle que trop.
Insistons : nous savons bien que François veut faire la promotion d’une forme de « coexistence » multiculturelle, totalement étrangère à l’esprit comme à la lettre de notre laïcité, autant qu’à notre culture. Mais il a raison sur un point : « la foi ne reste pas un fait privé ». Et c’est justement pour ça que la loi du 9 décembre 1905 a réglementé la liberté de culte, en lui fixant des limites (le respect de la liberté de conscience avant tout, et les exigences de l’ordre public) et en instaurant la police des cultes, qui fait l’objet de tout le titre V (trop souvent négligé) de cette loi. La laïcité ne consiste donc pas à nier « les apports de la croyance », mais à les soumettre à la loi. Et précisons d’emblée que prétendre défendre la laïcité en combattant les calendriers de l’Avent et les crèches de Noël est une tartufferie pire encore que celle du Pape : vouloir détruire le socle culturel porteur de la vision métaphysique de l’Homme qui a rendu la laïcité pensable et possible, c’est vouloir détruire la laïcité. C’est vrai de ceux qui veulent effacer l’identité chrétienne de la France, et c’est vrai aussi de ceux qui voudraient effacer les sources juives et grecques du christianisme – sans Athènes et Jérusalem, sans Socrate et Hillel l’Ancien, la laïcité n’aurait plus de sens, et le christianisme perdrait certains de ses plus beaux aspects. « La rencontre du message biblique et de la pensée grecque n’était pas le fait du hasard » déclarait Benoït XVI, lui qui s’opposait à raison à la tentation de déshelléniser le christianisme. Une idée peut être comprise au-delà de ses conditions d’apparition, ou de découverte, mais elle ne peut pas forcément être adoptée dans n’importe quelles conditions, culturelles et anthropologiques. Ainsi, par exemple, la démarche scientifique. Née en Grèce Antique et nulle part ailleurs, avec sa sœur jumelle la philosophie, ses conclusions sont universellement vraies. Elle prospère sans difficulté au Japon, très loin de son berceau (je parle de la vraie science, celle qui s’appuie sur la vérification expérimentale et répond au critère de réfutabilité de Popper, et non des disciplines qui se donnent aujourd’hui abusivement le nom de « sciences » pour en usurper le prestige). Mais elle ne prospère pas partout : ceux qui parlent de « science bourgeoise » ou de « science Blanche » montrent ainsi qu’ils n’ont rien compris à la démarche scientifique et pire, que leur vision du monde les rend incapables de la comprendre. Même si les propriétés de la physique et des mathématiques, découvertes par la science, continuent à s’appliquer à eux et autour d’eux, que ça leur plaise ou non.
Double leçon. D’abord, que l’universalité du message n’efface pas la valeur intrinsèque du messager, ni l’importance du socle culturel qui rend possible son message. C’est vrai du Christ, et comme le rappelait Péguy, le petit enfant qui dort dans la crèche est un enfant Juif – on croirait presque entendre De Funès dans Rabbi Jacob : « Comment Yeshua, vous êtes Juif ? » C’est vrai aussi de la laïcité, construite certes contre les clergés mais grâce à une culture profondément imprégnée de christianisme, et de tout ce que celui-ci porte encore de l’enseignement des prêtres de Yahvé et des philosophes d’Athéna.
Ensuite, que les convictions métaphysiques, qu’elles soient religieuses, spirituelles ou philosophiques, ne restent jamais un fait totalement privé, puisqu’elles ont toujours une influence sur les convictions politiques et ont donc des conséquences politiques. La laïcité n’est pas la négation de l’impact méta-politique et politique de la croyance religieuse, mais au contraire l’affirmation que cet impact incontestable, qui selon les croyances peut être bénéfique ou destructeur, doit être évalué, critiqué, débattu, et emporte l’obligation pour la religion de se plier à la loi commune. Ce qui, en France, veut dire notamment se plier à la première phrase du premier article de la loi de 1905, qui assure la liberté de conscience (donc en particulier le droit à l’apostasie). C’est là quelque chose que nous devons implacablement exiger de tous les cultes présents sur notre sol : qu’ils défendent la liberté de conscience, et s’abstiennent de toute apologie de textes ou d’enseignements qui seraient hostiles à cette liberté, fondamentale entre toutes. Fondamentale pour permettre la confrontation des idées, donc le débat politique, mais aussi pour permettre la foi, étant donné que la foi est affaire de confiance, et qu’il ne peut y avoir de confiance que librement donnée.
Le philosophe Walter Benjamin a hésité entre le marxisme et le sionisme. Suite à l’invasion de la France par les nazis, il se suicide en septembre 1940. Dans son dernier livre, Jean Caune revient sur son parcours et cette hésitation entre URSS et la Palestine de l’époque.
Une anecdote qu’on racontait jadis dans ma famille maternelle parlait de deux bateaux se croisant en Méditerranée, et des passagers sur le pont se faisaient le même signe : tourner leur index contre la tempe, en désignant ceux de l’autre navire. Le premier bateau emmenait des Juifs en Eretz-Israël (la « Palestine » de l’époque), tandis que le second les en éloignait, à destination de l’URSS. Cette anecdote m’est revenue à l’esprit en découvrant l’essai que Jean Caune vient de consacrer à Walter Benjamin, sous-titré Une pensée juive entre Moscou et Jérusalem.
Juif allemand assimilé, Benjamin fut attiré par le marxisme et par la Révolution – à l’instar de nombreux autres penseurs juifs du XXe siècle – mais aussi séduit un temps par le sionisme. Largement méconnu de son vivant, il a pourtant été admiré par d’éminents intellectuels comme Hannah Arendt, Theodor Adorno ou Gershom Scholem, avec lequel il entretint une amitié durable. Dans le petit livre qu’elle lui a consacré, Arendt écrit de Benjamin qu’il « n’avait appris à nager ni avec le courant, ni contre le courant ».
Un passage d’une lettre de Benjamin à Scholem, écrite de Berlin en 1931, fait écho aux mots d’Arendt. Il s’y compare à « un naufragé dérivant sur une épave, qui grimpe à la pointe de son mât, lui-même déjà fendu ». Et Benjamin conclut : « De là-haut, il a la chance de lancer un signal pour qu’on le sauve ». Moins de dix ans plus tard, il se donnait la mort à Portbou en Catalogne, âgé de 48 ans. Désespéré par l’éventualité d’être rattrapé par la Gestapo, Benjamin disait « n’avoir d’autre choix que d’en finir, dans une situation sans issue ». Personne n’était venu le sauver…
Pour illustrer la dimension juive de sa pensée, Jean Caune part de l’idée chère à Benjamin, selon laquelle l’homme communique sa propre essence spirituelle en nommant toutes les autres choses. Ce pouvoir de nomination confié par Dieu à l’homme dans le récit de la Genèse fait ainsi d’Adam le premier philosophe, bien avant Platon. La judéité de Benjamin, observe l’auteur, « était une composante centrale de sa personnalité ». Toutefois, elle « était essentiellement fondée sur une approche intellectuelle et manquait d’ancrages concrets dans son expérience culturelle ».
Destin tragique
Le livre comporte un chapitre intéressant sur le messianisme de Walter Benjamin et ses sources juives. La thématique messianique occupe une place centrale dans l’œuvre de Benjamin, et notamment dans ses Thèses sur le concept d’histoire, un de ses livres les plus fameux. Peut-on pourtant affirmer qu’il s’agit bien du messianisme dans son acception juive ? Ayant récemment traduit un recueil de textes de David Ben Gourion sur ce même sujet [1], je me permets d’en douter. Aux yeux de Ben Gourion, le messianisme était le cœur de la croyance du peuple juif et ce qui lui avait permis de recréer son Etat, après deux mille ans d’exil. Benjamin, lui, n’avait pas les idées aussi claires, et c’est son hésitation entre Moscou et Jérusalem qui fut la cause de son destin tragique.
Les précédents ouvrages de Jean Caune, professeur émérite des universités, portaient sur l’esthétique et sur le théâtre. Expliquant son engouement pour la pensée de Walter Benjamin, il évoque la mémoire de ses parents, « venus chercher en France la possibilité de vivre dignement », comme le dit la dédicace du livre. Je peux tout à fait souscrire à cette motivation, ma mère étant née à Jérusalem et mon père ayant passé plusieurs années à Moscou dans les années 1930, où mon grand-père, l’architecte André Lurçat, avait été invité par la société pan-soviétique pour les relations culturelles avec l’étranger.
Les événements survenus depuis le 7-Octobre 2023 donnent au livre de Jean Caune une résonance dramatique. Pour beaucoup de Juifs assimilés – en France et ailleurs – la judéité redevient en effet un élément central de l’existence, qui les amène à s’interroger sur leur avenir et, pour certains d’entre eux, à retrouver le chemin de Jérusalem. La lecture de ce livre n’en est que plus actuelle.
Jean Caune, Walter Benjamin, Une pensée juive entre Moscou et Jérusalem, 176 pages, éditions Imago 2024.
[1] David Ben Gourion, En faveur du messianisme, L’Etat d’Israël et l’avenir du peuple juif, éditions l’éléphant 2024.
Alors qu’il fait l’objet d’une contestation populaire de plus en plus forte, et qu’il est fragilisé par la défaite de ses proxys du Hamas et du Hezbollah et la chute du régime d’Assad, le régime des mollahs iraniens affiche des faiblesses structurelles qui pourraient bien le conduire à sa perte.
C’est un évènement passé inaperçu, qui en dit pourtant long sur les fragilités de la République islamique d’Iran. Le 23 octobre, des clercs du régime réunis en séminaire à Qom, appelaient à la reconnaissance de l’État d’Israël dans ses frontières de 1967. Dire qu’une telle prise de position apparaît plus que singulière, alors que l’État hébreu livre une guerre sans merci aux proxys terroristes de l’Iran, est un euphémisme. D’abord, parce que Qom, ville sainte du chiisme, est par excellence l’un des centres du pouvoir des mollahs. C’est là qu’ils sont formés, et qu’ils forment à leur tour, au sein de l’université religieuse de la ville, ceux qui deviendront les agents d’influence de la République islamique d’Iran. Ensuite, parce qu’une telle prise de parole ne reflète absolument pas la position officielle du Guide suprême, Ali Khamenei, qui menace de rayer Israël de la carte.
Bras de fer
Faut-il voir, dans cette contradiction, le signe d’une fracture au sein du régime iranien ? C’est en tout cas ce qu’explique une source iranienne proche du bureau du guide suprême, avec qui nous avons longuement échangé par messagerie cryptée : « Il y a aujourd’hui un bras de fer qui se joue entre les conservateurs, et les réformateurs. Mais ce serait une erreur de croire que leur opposition marque une différence idéologique. En réalité, les deux camps se font la guerre car les réformateurs, qui tiennent avec les Gardiens de la révolution islamique une partie de l’économie iranienne et les circuits de contrebande, pensent qu’un conflit avec Israël est mauvais pour leurs affaires, et que la République islamique n’y survivra pas. »
Des propos confirmés par l’un des experts qui connait le mieux les arcanes de la République islamique : le Franco-iranien Matthieu Ghadiri. Cet ancien agent double du contre-espionnage français, qui vient de publier Notre agent iranien (éditions Nouveau Monde), a été infiltré au sein du Corps des gardiens de la Révolution islamique. Et il l’affirme : « le premier président du courant réformateur était Mohammad Khatami, élu en 1997. Avec son élection, tout le monde, aussi bien en Iran qu’à l’étranger, pensait que le régime allait changer et devenir acceptable et fréquentable. D’ailleurs, Chirac l’a reçu en visite officielle à Paris fin 1999. Depuis, les réformateurs sont très influents dans les ministères, en particulier celui des Affaires étrangères. Mais ce que l’on oublie, c’est que les réformateurs iraniens ne sont pas des modérés et que la seule chose qui les différencie des conservateurs est la façon dont ils veulent gérer les affaires. Ces deux courants adhèrent à la constitution islamique, sont antisémites et s’opposent à la laïcité, les libertés individuelles et la démocratie libérale. Les réformateurs font donc semblant d’être modérés pour rassurer le monde occidental, mais dans les faits, leurs divergences avec les conservateurs ne sont pas profondes ».
Si le courant réformiste veut éviter le conflit avec Israël et les Etats-Unis, c’est aussi parce que les relations avec les partenaires russe et chinois connaissent quelques fausses notes. Moscou se montre peu favorable à l’idée de soutenir les mollahs dans le cas d’une guerre avec Israël et ses alliés occidentaux, quand Pékin s’émeut de plus en plus des leurs velléités militaires, lesquelles pourraient – en cas de chute du régime – mettre fin au flux de pétrole iranien bon marché.
Eviter l’escalade
La victoire de Donald Trump est aussi une source d’inquiétude à Téhéran. Selon la chaine Iran International (appartenant à l’opposition au régime), Abdullah Naseri, l’ancien PDG de l’agence de presse officielle iranienne (IRNA), aurait indiqué, le 7 novembre, que le Guide suprême et le Corps des Gardiens de la Révolution ont « peur de Trump », et que son accession à la Maison Blanche allait avoir pour conséquence l’affaiblissement de leur influence au Moyen-Orient. La raison de cette analyse tient au fait que le régime se sait affaibli sur le plan militaire, mais aussi voire surtout sur le plan intérieur.
Les récentes frappes israéliennes sur l’Iran ont mis à mal une importante partie de son système de défense anti-aérien iranien. En conséquence, un certain nombre d’officiers du Corps des Gardiens de la révolution et de sa force al Qods (l’unité d’élite en charge de ses opérations extérieures), se montrent critique vis-à-vis de la stratégie d’Ali Khamenei. Pour eux, Téhéran n’a pas les moyens d’une guerre avec Israël et ses alliés. Leur conclusion est qu’il faut trouver une entente avec les pays occidentaux, États-Unis en tête, afin d’éviter le pire. Une posture alarmiste au plus niveau de l’État, qui s’explique par le fait que les frappes ciblées orchestrées par Israël au Liban et en Syrie ont décapité une partie du commandement du Hezbollah, et tué plusieurs officiers de la force la Qods. Or, puisque les officiers de ce corps ont chacun son propre réseau d’informateurs, ces derniers sont de fait « HS » suite à l’élimination de celui avec lequel ils étaient en contact. Résultat : face à Israël, Téhéran est à la fois plus fragile et moins bien informée.
Autre point, et non des moindres : l’Iran est traversé par une crise économique d’une exceptionnelle gravité. Un Iranien sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté, et les 2/3 du territoire n’ont qu’un accès restreint à l’eau potable. À Téhéran (8,9 millions d’habitants), Machhad (4,1), ou Ispahan (2), des millions de gens peinent à se nourrir deux fois par jour. Dans un pays où la moyenne d’âge est de 32 ans, et la jeunesse surdiplômée, le chômage élevé (20%) exacerbe les tensions entre défavorisés et les privilégiés du régime. Partout en Iran, il est reproché aux dignitaires de la République islamique de s’enrichir sur le dos des autres, alors qu’il est de notoriété publique qu’au sein du Corps des gardiens de la révolution islamique, comme au plus haut niveau du gouvernement, des fortunes colossales ont été amassées par ceux-là mèmes qui réprimandent férocement toute forme de contestation populaire, même pacifique.
Un régime qui vacille
Pour Amir Hamidi, ex-agent spécial de la DEA (agence américaine de lutte contre les stupéfiants), spécialiste du Corps des Gardiens de la Révolution, cette situation est due à sa stratégie, jugée irrationnelle consistant à nier leur propre rôle : « la dernière fois que Khamenei a rencontré l’ensemble des membres de l’état-major du Corps des Gardiens de Révolution Islamique, il les a avertis que pour protéger le régime, ils devaient d’abord s’attaquer à ses faiblesses internes. Sauf que pour le faire il les a exhortés à connaître l’ennemi et à amplifier leur opposition aux États-Unis d’Amérique (…). Son obsession à blâmer les nations étrangères et à négliger de résoudre les problèmes intérieurs à l’Iran a cependant soulevé des inquiétudes quant à sa capacité à diriger efficacement le pays (…). Il suffit d’ailleurs de parler avec des fonctionnaires au sein du régime, pour mesurer leur niveau de défiance vis-à-vis de leur hiérarchie. »
Pour l’heure, malgré la contestation populaire et la crise économique, le pouvoir iranien ne tombe pas. L’avocat franco-iranien Hirbod Dehghani Azar, qui œuvre à la mise en place d’une cour pénale internationale pour juger les auteurs de crimes contre l’humanité en Iran, explique les raisons de cette résilience : « le régime vacille. Mais il tient encore par la violence, par les crimes qu’il perpètre et la mise en œuvre d’une politique tyrannique. Il fait aussi beaucoup de désinformation. Il a notamment fait passer des éléments de langage aux diplomaties occidentales pour leur faire peur. Les mollahs assurent par exemple que si la République islamique venait à tomber, alors il y aurait une partition du pays, ce qui est une aberration. »
Iranienne réfugiée en France, Sepideh Pooraghaiee est activiste politique. Elle préside l’association « Renaissance Moyen-Orient », qui vise à sensibiliser et fournir des outils éducatifs sur les questions du Moyen-Orient. En contact quotidien avec différents mouvements de résistance à l’intérieur du pays, elle témoigne : «si le régime iranien continue de s’affaiblir, les militaires [en Iran il existe deux armées, celle héritée de l’ancien régime et le corps des gardiens de la révolution islamique créé en 1979 par décret de Khomeini] pourraient rejoindre la contestation populaire. Il faut donc l’anticiper, car si personne ne le fait, alors cela fera comme au moment de la révolte de Mahsa Amini, en septembre 2022. Tous ceux qui prendront le risque de descendre dans la rue seront réprimés avec force. » Résignée, elle ajoute : « cela me fait mal au cœur de le dire, mais Israël doit terminer le travail qu’il a commencé, et poursuivre ses bombardements contre l’Iran, même si cela a pour conséquence de faire des victimes. À l’intérieur du pays, les Iraniens le veulent et le disent. Ils savent que la faiblesse du régime tient au fait que le mouvement populaire qui s’oppose à lui est très fort. Il est indispensable de lui donner les moyens de poursuivre sa lutte ». La voix tremblante, la jeune femme poursuit : « il n’y a presque plus d’électricité en Iran. Les infirmières, les médecins et les gens éduqués cherchent à quitter le pays, pour fuir ce gouvernement barbare. Certains se suicident. Franchement, nous sommes désespérés. On se demande aussi ce que font les Américains. Ils ont des bases dans le golfe Persique, proches géographiquement de celles des gardiens de la révolution. Alors pourquoi ne les traitent-ils pas comme ils traitent les groupes terroristes sunnites ? Il faut être honnête : les gens sont fatigués. Si la République islamique se maintient plus longtemps, le pays finira par sombrer économiquement, car plus rien ne fonctionne. Cela aura des conséquences terribles pour le monde entier », prévient l’opposante, qui conclue : « il y a tant de compétences au sein de la population iranienne. Il est temps de lui faire confiance. »
En écho aux propos de Sepideh, Firouzeh[1], une étudiante en relations internationales de 25 ans à l’université d’Ispahan, nous confiait il y a peu : « dans le secteur privé comme au sein de l’administration, la contestation est de plus en plus importante, tout le monde le sait. Le gouvernement est à l’agonie. Le seul qui ne veut pas le voir, c’est le Guide suprême, alors que tout le monde sait bien que c’est fini, et que ce régime ne tiendra pas des années. C’est donc le moment où jamais pour le faire tomber ».
La justice a tranché : Nicolas Sarkozy recevra un beau bracelet électronique pour Noël ! Les détracteurs de l’ancien président et la majorité des éditorialistes assurent la bouche en cœur que les juges n’ont fait que leur travail… Reste qu’ils ont condamné Nicolas Sarkozy pour une simple intention, s’indigne Elisabeth Lévy.
Nicolas Sarkozy a été définitivement condamné le 18 décembre à une peine de prison de trois ans dont un an ferme sous bracelet dans l’affaire dite des « écoutes ». On a changé de monde. La Cour de cassation, de soi-disant sages qui appliquent le droit, confirme une condamnation délirante.
L’ancien chef de l’Etat est condamné pour une conversation avec son avocat. Une conversation secrète obtenue dans le cadre d’écoutes scandaleuses, selon la méthode des filets dérivants – on ne sait pas bien ce que l’on cherche, mais on écoute et on verra bien. Les juges enquêtaient sur une corruption supposée, mais n’ont jamais trouvé la trace de l’argent. 50 millions, ça se voit non ?
Ce qui est reproché à Nicolas Sarkozy ? Il aurait envisagé de pistonner un magistrat contre des infos. Bon, c’est la vie du pouvoir. Donner un coup de main à quelqu’un, dans la vie d’un homme de pouvoir, cela se fait tous les jours. Les politiques ne font que ça. Tous le font. Sauf qu’il n’y a pas eu de piston, ni de commencement supposé d’exécution. Le juge Azibert n’a jamais été nommé à Monaco. Sarkozy est donc condamné pour une intention. Et pourquoi pas pour une pensée ? Je cambriolerais bien la Banque de France (c’est stupide, puisqu’il n’y a pas d’argent à y trouver), vais-je être condamnée pour avoir émis cette intention ?
Est-ce à dire qu’un ancien président n’est pas un justiciable comme les autres ? Si, justement. Mais tous les jours, des délinquants qui ont frappé un flic, un prof, un pompier, ou qui pourrissent la vie de leurs concitoyens ou mettent des filles en danger sortent libres des tribunaux. Et Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, serait lui empêché de circuler ?
Des juges veulent se le payer parce que Mediapart a dit qu’il était coupable. Au nom de l’Etat de droit, c’est l’arbitraire. Des magistrats qui ne répondent jamais de rien se prennent pour des chevaliers blancs, fantasment sur le Watergate et rêvent de se faire des puissants. Mais, le gouvernement des juges, c’est la fin de la démocratie. Il parait qu’on juge au nom du peuple français ? Not in my name ! Pas en mon nom, s’il vous plait !!
Elisabeth Lévy sur la condamnation de Nicolas Sarkozy : « Je suis folle de rage »
Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud Radio
La notion de « bon père de famille », autrefois associée à la respectabilité, est aujourd’hui critiquée. Selon les progressistes, elle servirait en réalité à masquer les « violences sexistes et sexuelles ».
Voici que touche à sa fin le procès de ce qu’on appelle improprement l’affaire des viols de Mazan, comme si cette localité s’était fait une spécialité de ces monstruosités peu ou prou sur le même mode de ce qu’on a ailleurs avec, par exemple, les bêtises de Cambrai ou le nougat de Montélimar. Il est bien évident que cette barbarie sexuelle n’est nullement imputable à la cité mais bien exclusivement à un de ses habitants, le monstre Dominique Pelicot flanqué de ses non moins abjects complices, au nombre d’une cinquantaine. À l’issue de ce procès une forme de peine capitale aura été prononcée. La mise à mort du père. Ce qu’exprime fort nettement le titre d’un article du Monde de ce jour, signé Clara Cini : « La disqualification définitive des bons pères de famille »[1]. Oui, définitive…
Depuis le début de l’affaire et plus particulièrement de son traitement judiciaire, le courant féministe relayé avec ardeur par la bonne presse, celle qui pense comme il est convenable de penser, instruit en parallèle le procès de ce que ces gens se plaisent à ranger sous le terme générique de patriarcat. Pelicot ne serait pas une ignoble exception, une aberration, mais seulement la traduction paroxystique dans les faits d’une perversion inhérente à l’état de mâle, et plus spécifiquement de pater familias, ce chef de famille prétendument nanti de tous pouvoirs sur les siens, y compris de vie et de mort sur son épouse, cela jusqu’à une période récente en cas d’adultère, la fameuse et – il est vrai scandaleuse – circonstance jadis atténuante du « crime passionnel ».
En d’autres termes, il conviendrait que nous admettions, nous autres, époux et pères, qu’un Pelicot sommeillerait en chacun de nous. Ne sommeillerait que d’un œil, qui plus est. De ce fait, il serait également souhaitable que nous prenions notre part dans la condamnation du coupable. Ainsi, l’inquisition féministe wokisante ayant atteint-là son but suprême, revendiqué on ne peut plus clairement dans le titre de l’article du Monde, pourrait se faire une gloire d’avoir rivé à jamais le dernier clou du cercueil du père, et concomitamment de l’autorité paternelle.
Cela dit, on doit à un élémentaire souci de vérité de reconnaître que le mouvement de désertion de cette autorité est très largement entamé depuis quelques décennies. La délinquance de gamins de treize ou quinze ans livrés à eux-mêmes, laissés à la dérive est là pour nous le rappeler quasi quotidiennement. Or, face à cela, ce qui semblerait salutaire à la fois pour ces enfants et le paisible fonctionnement de notre société serait tout au contraire et tout simplement le rétablissement de l’autorité du père. Le père si souvent – et si complaisamment – absent, ce pathétique et lâche fantôme de ce qu’on appelle pudiquement les familles monoparentales. Et si le mot père est à bannir là aussi définitivement de notre vocabulaire, qu’on ait le courage d’exiger autorité et responsabilité du géniteur. Car tout gosse – du moins tant que la pseudo-science wokiste n’aura pas aboli aussi cette vérité millénaire – a bien un géniteur. À lui donc d’assumer sa désertion, son refus d’autorité. À lui, par exemple, d’exécuter à la place du gamin l’humiliant travail d’intérêt général. Croyez-moi, quand ce géniteur aura eu à curer cinq ou six week-ends de suite les fossés de la commune, quand il se « sera tapé la honte » de ramasser les feuilles et les papiers gras, il veillera d’un peu plus près à ce que sa progéniture reste bien dans les clous.
En un mot comme en cent : puisqu’on tient tant à ce que le père soit mort, saluons donc gaiement l’avènement du géniteur !
Et si demain tout s’inversait, demande Sonia Mabrouk. Et si demain les Européens débarquaient massivement sur les côtes d’Afrique du Nord, s’adapteraient-ils aux mœurs de pays hôtes en se convertissant à l’islam ? Renieraient-ils leur identité, comme certains le font déjà dans leur propre pays ?
De nos jours, les plus vives manifestations de patriotisme se trouvent chez certains Français de fraîche date : nés à l’étranger puis naturalisés ou nés en France dans des familles issues de l’immigration. Ils n’ont pas le monopole du cœur, mais peut-être celui du courage de dire des évidences que les Français de souche balaient d’un revers de main ou dissimulent par peur des conséquences.
Ces Français de fraîche date connaissent les réalités du monde, à commencer par sa laideur et son intolérance systémique. Ils savent ce qu’est un Arabe, un Pakistanais ou un Peul. Ils sont ouverts sur le monde tandis que le bobo l’imagine au lieu de le connaître, il projette sur lui sa conception rousseauiste de la nature humaine où la gentillesse et la fragilité forment l’horizon définitif de l’histoire. Or, il est sorti de l’histoire et l’ignore.
Il y a longtemps, il y eut Romain Gary. Aujourd’hui, il y a Éric Zemmour (son origine étrangère est décisive dans son engagement et sa radicalité). Il y a bien sûr Boualem Sansal, Claire Koç, Sabrina Medjebeur, Naïma M’Faddel… Et sans aucun doute Sonia Mabrouk.
Boat people improbables
Au lieu d’écrire un essai pour formuler crûment son message d’alerte (Réveillez-vous bon sang !), elle a choisi la forme romanesque.
Et si demain tout s’inversait relate le périple de Louise et d’Aurélien, un couple aisé qui décide de s’exiler en Afrique du Nord. La vie en France est devenue impossible à cause de la guerre civile interethnique et des incessants bombardements russes. La femme représente tout ce qu’il reste de bon dans l’Hexagone (bon sens, sensibilité, amour des belles lettres et des belles choses, fidélité à la tradition judéo-chrétienne) ; l’homme, tout ce qu’il y a de méprisable (déni, arrogance, opportunisme, absence de convictions). On a envie de lui donner des baffes et de demander à Louise : qu’est-ce que tu lui trouves, jusqu’à te marier et lui faire un gosse ?
Aurélien incarne l’archétype du winner, le gagnant de la mondialisation. Médecin, il a prospéré en réalisant des chirurgies de transition de genre sur des enfants et des adolescents. Quand sa femme l’interroge sur l’éthique de sa démarche, il répond qu’il s’agit du progrès et que l’on ne peut rien contre le progrès car « il nous dépasse ». Il nous dépasse et remplit son compte en banque.
Aurélien se croit extraordinaire. Il symbolise une époque où l’ultra-spécialisation technique détermine l’ascension sociale alors que la culture générale a perdu ses lettres de noblesse. Aurélien n’a tout simplement pas les moyens de comprendre qu’il risque de disparaître, et son pays avec lui, s’il ne se comporte pas comme un homme !
Chemin à double sain
Sonia Mabrouk s’adresse à tous les Aurélien de France avec la subtilité et la finesse qui font sa signature. Elle place le lecteur dans un scénario hypothétique, tellement invraisemblable qu’il désarme les résistances de ceux qui prennent toute référence à la réalité comme une micro-agression.
Qui pourrait imaginer que les Français, et les Européens en général, prennent le chemin de l’exil ? Qu’ils soient réduits au rang de boat people rançonnés par des passeurs et malmenés par les garde-côtes des pays arabes ? Qui pourrait croire que les populations arabes leur imposent la conversion à l’islam sans « droit à la différence » ni « touche pas à mon pote » ?
Ce scénario n’est pas inédit. La Méditerranée est une voie à double sain depuis toujours. Il n’y a pas si longtemps, des républicains espagnols ont fui Franco au Maroc, en Algérie et en Tunisie. Avant eux, d’autres Espagnols ont repeuplé l’Oranie au xixe siècle, espérant y trouver un refuge contre la misère et la disette. À la marge, des Allemands entachés par le nazisme se sont installés en Égypte après 1945. Si on ouvre davantage la focale, on voit des similitudes entre le scénario de Sonia Mabrouk et la grande migration des juifs expulsés par Isabelle la Catholique en 1492, éclatés en plusieurs diasporas du Maghreb au Levant.
Sonia Mabrouk a-t-elle lu Jean Raspail ?
Et si demain tout s’inversait pose plusieurs questions essentielles, la première étant celle du courage. Le courage de voir le défi identitaire qui s’impose à la France. Le courage d’admettre qu’une société n’a aucune chance de perdurer si elle n’arrive pas à se faire respecter chez elle. Le courage de reconnaître qu’un pays sans âme, avec des hommes sans contenu, est voué à la disparition.
On ne peut manquer de tracer un parallèle entre la démarche de Sonia Mabrouk et Le Camp des saints de Jean Raspail, paru il y a cinquante ans. Les deux partent du principe que l’islam est capable de dire non, de refuser la différence. Dans le livre de Raspail, les hordes misérables venues d’Inde reçoivent une fin de non-recevoir dans les pays musulmans qui les déroutent vers la France. Dans le roman de Sonia Mabrouk, les pays du Maghreb conditionnent leur accueil à l’abandon de l’identité européenne. Les deux pensent que l’Europe est malade et que son mal est moral, seulement moral.
Les similitudes s’arrêtent là, car Jean Raspail ne croit plus dans la morale chrétienne. Il pense qu’elle fait crever l’Europe qui aime plus l’étranger qu’elle-même. Sonia Mabrouk semble appeler de ses vœux à un retour à l’identité judéo-chrétienne, non comme un réveil spirituel stricto sensu, mais une sorte de vaccin contre le suicide culturel en cours.
Enfin, votre humble serviteur, citoyen d’un pays du Sud, ne peut s’empêcher de pousser plus loin l’exercice engagé par Sonia Mabrouk. Et si ces centaines de milliers d’Européens obligés de se convertir à l’islam en contrepartie du droit d’asile étaient la salvation des pays d’Afrique du Nord ? Ces nouveaux venus auraient le même impact bénéfique que les pieds noirs d’Algérie avaient dans les années 1950, lorsque le pays a eu une réelle chance de décoller. Des pieds noirs inexpugnables, car musulmans et assimilés… Et si le renouveau de la terre d’islam dépendait de l’arrivée en masse d’Occidentaux convertis y apportant l’éthique du travail, la confiance dans le progrès et l’amour de l’innovation ?
De quoi écrire une autre fiction. Son titre serait Le Printemps arabe.
Sonia Mabrouk, Et si demain tout s’inversait, Fayard, 2024.
Casse-Noisette est mis à l’honneur sur la scène du Grand-Théâtre de Bordeaux. Dans cet écrin, le ballet de l’Opéra national de Bordeaux déploie un savoir-faire admirable pour donner vie au chef-d’œuvre de Tchaïkovski.
À Bordeaux, le simple fait de se rendre au Grand-Théâtre est en soi un plaisir. Que l’on soit face au magnifique édifice de Victor Louis avec, depuis sa chambre, une vue superbe sur la façade, ou que l’on chemine, pour y accéder, à travers une ville d’une beauté classique si harmonieuse, le parcours est un enchantement. Et lorsqu’on parvient au Grand-Théâtre, la noblesse de son vestibule monumental constitue un sujet d’admiration supplémentaire.
Convenu mais plaisant
En ce mois de décembre, divertissements de fin d’année obligent, le Ballet de l’Opéra national de Bordeaux affiche une production de Casse-Noisette. Rien de plus traditionnel, sinon de plus convenu. Et pourtant, rien de plus plaisant, tant la musique de Tchaïkovski, un chef-d’œuvre du genre, est spirituelle, envoûtante, et tant est séduisante l’histoire imaginée par E.T.A. Hoffmann, remaniée par Alexandre Dumas.
Pour cette réalisation hivernale honorablement portée par l’Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine, sous la conduite du Lituanien Robertas Servenikas, on a eu recours, la chose n’est pas ordinaire, à un chorégraphe bulgare, Kaloyan Bojadjiev. Oui, un Bulgare, un vrai, né à Sofia au cours du crépuscule de l’effroyable dictature communiste, formé à la danse dans sa ville natale, danseur soliste à Pretoria, puis à Oslo où il s’essaie à la chorégraphie jusqu’à créer cette version de Casse-Noisette en 2016, laquelle obtient un franc succès dans son pays d’adoption. Assez pour qu’elle en vienne à débarquer (considérablement modifiée) à Bordeaux. Et cela en coproduction avec le Ballet de l’Opéra de Leipzig, en Saxe.
Salle comble pour 17 représentations
Longtemps dirigé par un ancien danseur étoile de l’Opéra de Paris, Charles Jude, et aujourd’hui par un ancien premier danseur de la même institution, Éric Quilleré, le Ballet de l’Opéra national de Bordeaux a déjà à son actif un vaste répertoire où l’on n’oubliera pas l’envoûtant Pneuma, création de Carolyn Carlson au cours de laquelle la compagnie fit des merveilles. Elle compte encore d’innombrables pièces du répertoire classique et néo-classique ou des créations contemporaines qu’elle a généralement su défendre avec vaillance.
Comptant quarante danseurs qui forment un beau groupe homogène, cette excellente troupe ne peut cependant s’attaquer à de grosses productions sans faire appel à des surnuméraires. Ils sont vingt-cinq danseurs supplémentaires pour permettre d’assurer, en alternance, les dix-sept représentations de ce Casse-Noisette qui fait salle comble. À eux s’ajoutent seize enfants venus du Conservatoire de Bordeaux.
Plus que la chorégraphie proprement dite, c’est bien le travail de mise-en-scène qui fait ici l’excellence du premier acte. Faut-il, plus qu’au chorégraphe bulgare, en être redevable au dramaturge et metteur-en-scène anglais Jon Bausor (associé à la Royal Shakespeare Company) qui a également conçu l’ensemble de la scénographie, des décors et des costumes ?
Tableaux plein de vie
Toujours est-il que les tableaux qui se succèdent – scènes de rue tout d’abord, où les auteurs envoient une flèche empoisonnée à la brutalité aveugle des militaires figurés sur le plateau ; scènes dans les salons des parents de la jeune héroïne, Clara, saisissante bataille rangée entre les rats, leur roi (excellente interprétation du titulaire du rôle) et les soldats de bois – ces tableaux sont pleins de vie, de naturel et magnifiquement exécutés. Pour ne rien dire de la danse des flocons de neige, si habilement chorégraphiée qu’elle donne l’illusion surprenante de vrais tourbillons neigeux quand débute leur chute. L’ensemble s’insère dans un décor remarquable d’élégance et de sobriété, mais d’où sourd aussi un inquiétant climat d’étrangeté.
Un décor qui, dans le songe de Clara, grandit démesurément, ce qui, sous les yeux des spectateurs, offre un effet théâtral extrêmement convaincant… avant que la jeune fille (Mathilde Froustey) et le jeune prince de ses rêves (Riku Ota), l’un et l’autre excellents techniciens, on le verra au second acte, s’envolent poétiquement sur un énorme lustre de cristal qui les transporte à Confiturembourg, le royaume de la fée Dragée.
Hélas, aussi enthousiasmante que peut être la première partie du ballet, le seconde apparaît en revanche bien quelconque. Il est vrai que l’action y est quasiment nulle, qu’elle n’est constituée que de divertissements, de pas-de-deux et de variations peu propres à exciter les neurones d’un dramaturge. Et ce n’est pas en travestissant les danseurs en bonbons, sucres d’orge et autres pièces en chocolat, qu’on les sort de l’ornière. Toutefois, le chorégraphe aurait pu imaginer des scènes originales sur les pages exquises de Tchaïkovski, plutôt que de s’en tenir à un modèle terriblement conventionnel. Aussi remarquables qu’aient été les décors du premier acte, ceux du second sont curieusement insignifiants. Et le contraste est si flagrant entre les deux parties qu’on en vient à se demander si la production n’a pas été victime de cruelles restrictions budgétaires. C’est infiniment regrettable, car le Ballet de Bordeaux, qui a fait pour cette grosse entreprise un effort considérable, tenait là quelque chose de parfait pour asseoir davantage encore sa belle réputation.
Casse-Noisette, Ballet de l’Opéra national de Bordeaux, au Grand-Théâtre de Bordeaux. Jusqu’au 31 décembre 2024.
Éric Ciotti a fait un rêve: le libéralisme venait au secours de l’État surendetté.
François Bayrou sera-t-il l’homme des premières coupes claires dans le fonctionnement de l’État ? Ses précédentes alertes sur l’endettement public offrent au Premier ministre l’occasion de passer à l’acte. Lui-même a d’ailleurs admis, mardi devant l’Assemblée nationale, qu’ « il n’y aura pas de redressement sans faire des économies ». Toutefois, son idée saugrenue, lundi soir, d’utiliser un Falcon de la République pour aller présider dans un aller-retour le conseil municipal de Pau n’a pas donné l’exemple de la tempérance budgétaire ni de la lucidité sur les priorités. C’est à Mayotte, dévastée par les ouragans, que l’hôte de Matignon, en quête de proximité avec les gens, aurait été sans doute plus utile. Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur démissionnaire, a été plus avisé en s’installant auprès du département sinistré.
Passons sur la bourde. Reste à savoir si le successeur de Michel Barnier saura corriger un projet de loi de finance qui avait été construit sur la facilité du recours à l’impôt. « Je n’ai jamais cru que c’était dans la fiscalité que se trouvait la réponse à tous les problèmes du pays », a-t-il déclaré mardi devant les députés. En attendant, le Léviathan bureaucratique reste un totem qui surplombe la France suradministrée et sous-gouvernée. Au XVIe siècle, Montaigne déplorait déjà les lois trop nombreuses. Pour la seule année 2023, le pays a enregistré 8000 lois, décrets, arrêtés ou circulaires. De 1994 à 2022, un million de fonctionnaires sont venus renforcer une fonction publique déjà pléthorique. On ne compte plus les centaines agences d’État ou de hautes autorités inutiles. À commencer par le Haut commissariat au plan, où pantouflait le Béarnais. L’audace serait de supprimer déjà ce comité Théodule…
Il est peu probable que Bayrou, en équilibre politique instable, s’aventure sur cette voie courageuse. Pour s’y être engagée, la présidente (Horizons) de la région des Pays de la Loire, Christelle Morançais, doit affronter une bruyante opposition de gauche, qui conteste son plan de 100 millions d’euros d’économies et de 100 postes non remplacés. Or cet impératif de désendettement devient incontournable. Même Marine Le Pen, qu’une partie de la droite qualifie de « socialiste », se rapproche en réalité d’une vision libérale de l’économie (moins d’impôts, moins de normes, moins d’État) quand elle déclare, comme ce mercredi dans Le Parisien en parlant de Bayrou : « Il sait ce que nous ne voulons pas : des taxes et des impôts supplémentaires pour la France. Nous voulons aussi des économies structurelles sur le fonctionnement de l’État ». Son allié Éric Ciotti va plus loin dans Le Figaro de ce jour en annonçant préparer pour janvier « une grande loi tronçonneuse » qui supprimerait les régions et les métropoles, mais aussi notamment le Conseil économique et social, le Haut commissariat au plan, l’Arcom, les agences régionales de santé, et autres « Hautes autorités » qui ne servent le plus souvent à rien ou qui, comme la Haute autorité de la santé, prône un accès gratuit au changement de sexe pour tous à partir de 16 ans, après avoir cautionné l’emprise étatique durant le Covid. Ce moins d’État est plus généralement le crédo libéral défendu par l’Argentin Javer Milei, mais aussi aux États-Unis par Elon Musk et Donald Trump. Autant d’exemples à suivre pour que maigrisse enfin l’État ventripotent.
Jessica, flic américaine trop zélée, transforme le désert qu’elle est chargée de surveiller en Arizona nightmare…
La solitaire Jessica Combey ne rit jamais. Même pas lorsque – envie subite – elle décide de se faire tringler rapidos, en déboursant quelques dollars, par un gringo corpulent qu’elle a levé au coin de la rue – non sans le cagouler pendant l’aller-retour en caisse jusqu’au plumard – on ne sait jamais ce que le gigolo d’occasion pourrait raconter. A-t-elle joui ? Pas sûr : son visage restera de marbre pendant le coït.
Voilà pour l’entrée en matière de The Wall, film belge tourné aux States, en anglais, par Philippe Van Leeuw, 70 ans, Bruxellois de souche établi à Paris, connu dans le milieu comme chef op. au moins autant que comme scénariste et réalisateur. Bardé de prix, son dernier film remonte à 2017 : Une famille syrienne, dont l’action se situait à Damas pendant la guerre civile. Sorti en 2009, son film précédent, Le jour où Dieu est parti en voyage, se passait à Kigali pendant le génocide rwandais : le cinéaste Van Leew aime décidément tourner au loin.
Build the wall !
Pour revenir à The Wall, la jeune femme passablement glaçante (l’actrice luxembourgeoise Vicky Krieps, excellente au demeurant, a pris des leçons d’anglais pour le rôle) s’avère être Federal Agent des US Border Patrols, ces gardes-frontière yankee qui patrouillent dans l’Arizona, au pied du mur de séparation entre les States et le Mexique. Seule femelle dans ce milieu de mâles (forcément dominants), Jessica Combey n’a pas, il est vrai, une vie marrante : sa belle-sœur et semble-t-il unique amie, atteinte d’un cancer, est à l’article de la mort… Patriote jusqu’au fanatisme, tirée à quatre épingles dans son uniforme malgré ses fêlures intimes, la soldate à catogan ne manque pas d’invoquer Dieu et ses saints pour la soutenir dans l’épreuve du quotidien.
Vraiment sur les nerfs, la Combey ! Conjugué à sa frustration libidinale, son nationalisme véhément la poussera aux dernières extrémités : chasseuse frénétique de ces migrants clandestins qui tentent le coup à leurs risques et périls dans le four de ce désert hostile, elle soupçonne les Amérindiens du cru d’être des passeurs : Mike Wilson (indigène qui joue ici son propre rôle) et son fils Zick. S’estimant légitimes sur leur territoire ancestral, ils ne traversent jamais par le poste-frontière légal, mais par un chemin connu d’eux seuls. Et les voilà mêlés, bien malgré eux, à un sanglant incident de frontière qu’aggrave tragiquement la présence de cette hystérique de la gâchette, murée dans la haine. N’en disons pas plus.
Il y a deux lectures contradictoires (mais pas incompatibles) à faire de The Wall : soit le film est le procès bien-pensant de la corruption, de la brutalité, de l’impunité qui règneraient dans ces parages au sein de l’engeance des exécutants (à la peau blanche) de l’ignominieuse loi étasunienne ; soit il dépeint, à travers le personnage antipathique de Jessica, un cas d’espèce qui, par les temps qui courent, ne manquera pas de scandaliser les vigies du woke, toujours sur le qui-vive quand la Femme chute de son piédestal. Philippe Van Leeuw balance ainsi entre posture vertueuse et risque assumé du bannissement par les amazones suractives du féminisme militant.
L’enseignement centré exclusivement sur le savoir est réduit à n’être efficace que par accident et fort superficiellement. Il ne s’attache pas à l’essentiel : la construction de la connaissance dans et par l’apprenant.
Philippe Meirieu, L’école, mode d’emploi.
En 2011, le Club de l’horloge attribuait à Philippe Meirieu, le pape des prétendues sciences de l’éducation, le prix Lyssenko pour « sa contribution majeure à la ruine de l’enseignement ». Après avoir transformé le professeur en « manager de l’aventure quotidienne de l’apprendre » et relégué les savoirs au fond de la classe, M. Meirieu décida dans les années 1980 de faire de cette dernière un lieu « ouvert » dans lequel « l’apprenant » allait devoir construire son propre savoir et le professeur en rabattre un peu. Instigateur des funestes Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM) inspirés des schools of education américaines et transformés en 2013 en les non moins désastreuses Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation (ESPE) puis, en 2019, en les tout aussi catastrophiques Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l’Éducation (INSPE), M. Meirieu – bourdieusien, jospinien, pédagogiste et intrigant – possédait tous les défauts requis pour mener l’Éducation nationale vers le gouffre où elle sombra corps et âme. La « génétique mitchourinienne » promue par Lyssenko étouffa la recherche biologique en URSS durant près de trente ans ; Philippe Meirieu a enseveli l’École sous des « sciences de l’éducation et de la pédagogie » qui, aujourd’hui encore, poursuivent leur œuvre d’insalubrité publique – son prix était donc hautement mérité.
Un lecteur appliqué de Mona Chollet
Certains professeurs parmi les plus anciens espéraient ne plus entendre parler de lui. Las ! M. Meirieu vient de sortir un livre (dont nous reparlerons) et de signer dans Libération un article dans lequel il préconise de « cesser d’opposer autoritarisme et laxisme pour encourager le “Ose par toi-même” »1. Le didacticien estime en effet qu’un « vent de répression » souffle sur l’Éducation nationale où les velléités d’élever le niveau « se traduisent surtout pas des mesures de sélection et d’exclusion ». Il en va de même, selon lui, pour les « jeunes en galères » injustement menacés « d’enfermement » et pour les enfants martyrisés par leurs parents et renvoyés « dans leur chambre au moindre débordement ». Tout cela serait le résultat d’une « “révolution conservatrice”préférant systématiquement la répression à la prévention, la sanction au soin,l’exclusion des gêneurs à l’accompagnement des marginaux ». Les syndicats enseignants de gauche, le Syndicat de la magistrature et les dealers des cités applaudissent.
Pour nous convaincre, Philippe Meirieu fait référence à celle que d’aucuns considèrent comme un des plus brillants esprits de notre temps, un phare intellectuel dans la nuit conservatrice, une boussole dans ces moments tourmentés où il est si facile de se perdre dans les méandres de la réaction – j’ai nommé Mona Chollet. Non seulement M. Meirieu est parvenu à lire le nouvel ouvrage de cette dame sans s’assoupir2, mais même il y a dégoté une idée, effrayante, et qui a nourri sa réflexion, celle du retour d’une éducation brutale et répressive, une « réhabilitation soft de la “pédagogie noire” » que Mme Chollet devine dans les actuels rapports de domination patriarcaux et parentaux, rien que ça. Il faut dire que cette idée, comme les deux autres de sa dernière brochure, est venue à l’esprit de cette journaliste dans des circonstances dramatiques, circonstances qu’elle décrit dans un entretien donné récemment à L’Humanité : « Alors que j’étais enfin libre, amoureuse, capable de vivre de mon écriture, en passe de réaliser mon rêve, une voix intérieure que je n’avais jamais entendue s’est mise à m’interdire le bonheur. Elle me dénigrait, me rabaissait, m’interdisait de profiter de cette situation, provoquant en moi un concentré chimiquement pur du sentiment d’illégitimité. Il fallait que j’analyse cet amas d’empêchements. » Ceci peut expliquer cela.
Belles contraintes
Si M. Meirieu reconnaît qu’une éducation sans aucune contrainte ne peut que nuire au développement de l’enfant, c’est en adoptant un point de vue strictement rousseauiste (le rousseauisme de Jean-Jacques, pas celui de Sandrine) : les enfants ne sont pas intrinsèquement mauvais mais ils vivent dans une « société inégalitaire ». Il faut par conséquent choisir les « belles contraintes » qui, tout en instaurant de modestes limites, permettront l’épanouissement des chérubins. Philippe Meirieu opte pour celles du « faire ensemble » (du football, une recette de cuisine ou un journal scolaire), seules à même de « préparer nos enfants à “faire ensemble société” ». Il recommande finalement de s’en remettre aux pratiques d’une « éducation populaire si maltraitée aujourd’hui ». L’éducation populaire à laquelle il est fait allusion est celle qui, née au début du XXe siècle et relancée après la Libération, reposait sur la création de ce que le techno-verbeux Philippe Meirieu appellera plus tard « lacomplémentarité éducative, cette complémentarité permettant le repérage des fonctions spécifiques de chaque éducateur et de la manière dont elles s’agencent pour ouvrir un espace à l’expression d’un sujet »,à savoir, pour le dire plus simplement, des structures culturelles et sportives mises à disposition de la population et, plus particulièrement, des jeunes gens. L’idée était en soi estimable et connut quelques succès – la pratique étendue du sport et de la musique, les exigeantes maisons de la culture chères à Malraux, les ciné-clubs scolaires, par exemple – mais, pour perdurer et permettre aux enfants de se confronter à de véritables découvertes spirituelles, artistiques ou intellectuelles, encore eût-il fallu que l’École, maillon principal de cette Éducation populaire, ne sombrât pas dans les bourdieuseries et le pédagogisme, avec l’idée erronée que son objectif principal est de combler les inégalités sociales. L’égalitarisme ayant supplanté l’élitisme et la méritocratie ayant été abandonnée au profit de la démagogie, le déclin était inéluctable. Après quelques décennies d’abaissement institutionnalisé, le résultat est là, catastrophique et insurmontable.
En toute logique, après avoir commis ses méfaits et constaté l’ampleur du désastre, Philippe Meirieu aurait dû se faire oublier, se cacher, se retirer dans quelque monastère où il aurait pu se repentir de ses crimes. Il n’en est rien. Toute honte bue, ce calamiteux personnage resurgit sur le devant de la scène éditoriale : Éducation : rallumons les Lumières, tel est le titre de l’objet contondant avec lequel il compte estourbir ceux qui continuent de dénoncer son influence malsaine. Ces derniers sont d’ailleurs tous mis dans le même sac, celui de… l’extrême droite. L’argumentation, superficielle et obsessionnelle, tient en deux mots : il y aurait d’un côté les nostalgiques du Maréchal et les députés d’extrême droite prônant « un recours martial à l’autorité », et, de l’autre, les « humanistes », « celles et ceux qui sont convaincus que c’est la quête de la justice qui confère à une politique sa véritable légitimité ». Les premiers imposeraient « le paradigme du repli sur soi » en bafouant « la valeur, essentielle à toute démocratie, de l’ouverture à l’altérité », tandis que les seconds rêvent de voir leur pays « continuer à progresser vers plus d’émancipation et de solidarité ». Air connu.
Le diable Blanquer et les gentils idéalistes
Selon M. Meirieu, « en matière d’éducation, tout s’est précipité avec l’arrivée de Jean-Michel Blanquer au ministère de l’Éducation nationale en 2017 ». En plus d’avoir remis en cause le pédagogisme, dénoncé l’égalitarisme et réhabilité le “par cœur”, le méchant ministre Blanquer aurait enfourché « nombre de chevaux de bataille des néoconservateurs » : le combatcontre l’écriture inclusive et le wokisme. Heureusement, écrit M. Meirieu,Pap Ndiaye – cet audacieux ministre qui aura eu le courage de « dire tout haut d’une chaîne de télévision (devinez laquelle) qu’elle est d’extrême droite » – s’attaquera au contraire « aux marqueurs éducatifs de l’extrême droite », en particulier la laïcité « instrumentalisée par les boutefeux de l’exclusion ethnique ». Mais, se désole le chantre de la pédagogie gauchisante, cédant « aux pressions de l’extrême droite », le président de la République remerciera Pap Ndiaye et installera à la tête du ministère le redoutable Gabriel Attal, dont la première mesure, l’interdiction du port de l’abaya à l’école, sera la preuve de sa soumission à… l’extrême droite. Les heures sombres, la bête immonde, des groupuscules maréchalistes, la notion de préférence nationale renouant avec « les perspectives les plus noires des années 1930 », la montée de l’extrême droite en France et en Europe, la conférence d’Adorno “Éduquer après Auschwitz”, des « soubresauts réactionnaires », etc. sont évoqués pêle-mêle au fil des pages, histoire de marteler la Vérité sur l’École selon Saint Meirieu : la gauche a échoué mais ce n’est pas de sa faute – la droite et l’extrême droite ont gagné la guerre culturelle « contre tous ceux qui comme [lui], parce qu’ils croient en l’éducabilité des humains, sont définitivement considérés comme de dangereux idéalistes ». Il fallait oser ce tour de passe-passe, ce trucage de la réalité – preuve supplémentaire que l’idéologie règne en maîtresse dans le cerveau de M. Meirieu, le concepteur, faut-il rappeler, de la « pédagogie des situations-problèmes », un techno-machin grâce auquel « l’éducateur, conscient du fait qu’expliquer une chose à autrui est le meilleur moyen de le trouver lui-même, se donne pour tâche d’inventer des situations qui lui imposent de s’approprier les solutions requises ». Tout ceci est bien énigmatique. Au moins aussi énigmatique que le mot « énigme » lorsqu’il est défini par Philippe Meirieu : « Savoir entrevu qui suscite le désir de son dévoilement. L’énigme naît ainsi de ce que l’apprenant sait déjà et dont le formateur sait montrer le caractère partiel, ambigu, voire mystérieux. Le désir de savoir peut ainsi émerger face à une situation-problème si celle-ci est construite à partir d’une évaluation diagnostique des compétences et capacités d’un sujet. Le déjà-là problématisé offre la possibilité de son dépassement. »3 À l’époque (1988), de nombreux professeurs rirent aux éclats en lisant cette soupe indigeste. Mais l’idéologie a fait son œuvre. Fini de rire : l’ouvrage distillant ce genre de marmelade est aujourd’hui régulièrement réédité et mis à disposition des futurs professeurs désireux ou obligés de se mettre au diapason des méthodes pédagogiques les plus modernes, c’est-à-dire les plus néfastes.
Les théoriciens libertaires de la rue de Grenelle ont toujours eu en détestation l’incitation au travail, l’assiduité, la recherche de l’excellence – seuls moyens d’amener n’importe quel enfant, issu de n’importe quel milieu, à se dépasser pour aller au plus haut de ses capacités –pour leur préférer l’absence d’effort, la facilité, l’égalité vers le plus nul et la discrimination par le bas : « À la source de ce mouvement (l’égalitarisme à marche forcée sous la férule du pédagogisme) réside une haine de l’élitisme. Les pédagogues sont, en très grande majorité, des gens qui ont échoué aux divers concours qui jalonnent la carrière, de l’entrée de l’ENS à l’agrégation : Philippe Meirieu ne s’en est jamais bien remis », explique Jean-Paul Brighelli dans son avant-dernier livre4. Depuis quarante ans, à tous les échelons du système éducatif, ont été promus des individus de moins en moins qualifiés et de plus en plus serviles – parfaits, donc, pour enseigner ou faire enseignerl’ignorance (Jean-Claude Michéa) dans une structure étatique prévue pour une « éducation de masse qui se promettait de démocratiser la culture, jadis réservée aux classes privilégiées, mais qui a fini par abrutir les privilégiés eux-mêmes » (Christopher Lasch).
Les enseignants français devenus des managers du “faire société”
L’idéologie pédagogiste a décapité la transmission des savoirs. La morale gauchisante a supplanté la culture – et la droite elle-même s’est agenouillée devant elle. L’écologisme et le wokisme s’incrustent sournoisement dans les manuels scolaires de presque toutes les disciplines. Dans la garderie sociale qu’est devenue l’école, le professeur est de plus en plus souvent sommé d’être une sorte de « gestionnaire de l’apprendre », un animateur, un manager du « faire société », un coach du « vivre ensemble », un conseiller social, sociétal et inclusif, un tout ce qu’on veut du moment qu’il enseigne le moins possible. Logiquement, les universités déclinent à leur tour. Le relativisme culturel le plus niais règne dans les amphithéâtres. L’écriture inclusive, des théories relevant de la superstition et le blablatage militant d’obscurs mouvements censés représenter les « minorités » y ont désormais droit de cité. Les départements de sciences sociales, humaines ou politiques, ces nouveaux temples de l’ignorance et de la bêtise, sont aujourd’hui les meilleurs agents à la fois du gauchisme libéral-libertaire, de l’islamo-gauchisme et de l’impérialisme culturel américain. Dans ces antres du wokisme, sont formés les brillants sujets que s’arracheront demain les médias, divers organismes soi-disant indépendants, les administrations, les universités elles-mêmes. Immanquablement, certains finiront dans les différents services bureaucratiques de l’Éducation nationale. Il y aura parmi eux de nouveaux experts, de nouveaux spécialistes en sciences de l’éducation imprégnés de pédagogisme. Sur les décombres laissés par leur mentor, ils achèveront son œuvre de destruction avec la bénédiction des habiles bénéficiaires d’un système profitant à une faible proportion de la population – celle qui pourra par exemple mettre ses enfants dans les derniers établissements privés dispensant de véritables connaissances puis les envoyer poursuivre leurs études à l’étranger. Après l’École, le déclin de la France se mesurera aussi – et en vérité se mesure d’ores et déjà – à l’aune de celui de ses universités.
Mona Chollet, Résister à la culpabilisation : sur quelques empêchements d’exister, 2024, Éditions Zones. ↩︎
Philippe Meirieu, Apprendre… oui, mais comment. ESF Éditeur. Il est à noter que Philippe Meirieu a beaucoup, beaucoup, beaucoup écrit sur l’École – ce qui lui a été d’une grande aide dans les (rares) moments où il lui a fallu se justifier sur son influence, qu’on peut qualifier de préjudiciable, dans l’EN. Jean-Claude Riocreux, agrégé de Lettres classiques et ancien inspecteur d’académie, souligne ce point dans l’analyse qu’il fait de l’ensemble de son œuvre à l’occasion de l’attribution de son prix Lyssenko : « Dans la masse des écrits (de Philippe Meirieu), on enregistre des évolutions, ce qui est normal, des nuances parfois importantes d’un ouvrage à l’autre, mais aussi des contradictions. Tous ceux qui ont lu cette œuvre ont souligné ce fait. J’en suis moi-même désormais convaincu : à toute critique sur tel ou tel point, M. Meirieu sera en mesure de nous opposer une citation faisant diversion, contradiction ou contre-proposition. D’autre part, M. Meirieu, comme la plupart des réformateurs de l’école, semble marquer une préférence pour ce qui est confus et contourné. » ↩︎
Jean-Paul Brighelli, La fabrique du crétin. Vers l’apocalypse scolaire, 2022, Éditions de l’Archipel. ↩︎
Si la visite du Pape en Corse a été l’occasion d’une joyeuse ferveur populaire, elle a aussi conduit François à se laisser aller à quelques petites phrases pas forcément bienvenues – pour le dire pudiquement. Incident de peu d’importance en soi, mais qui mérite que l’on s’y arrête parce qu’il conduit à des réflexions allant bien au-delà de la personne du pontife.
« Une saine laïcité signifie libérer la croyance du poids de la politique et enrichir la politique par les apports de la croyance, en maintenant une nécessaire distance », a ainsi déclaré le Pape. Le contre-sens est saisissant, puisque la laïcité a au contraire pour objectif de libérer la politique du poids de la croyance religieuse – pour autant que ce soit possible, et nous reviendrons sur ce point.
Notons d’abord l’hypocrisie de cette phrase, venant d’un pontife qui n’a rien trouvé à redire à ce que soit installée au Vatican une crèche plaçant l’Enfant Jésus dans un keffieh (notre photo ci-dessous) : geste on ne peut plus politique, dont François a accepté sans rechigner qu’on fasse peser le poids sur la croyance. Sur X, l’excellent Jo Zefka a rappelé dans quelle trame historique s’inscrit cette négation de la judaïté du Christ par le Pape. J’ajoute qu’elle prend place, aussi, dans une réflexion plus philosophique sur le rapport entre un message universel et les conditions particulières de son émergence, ou de sa découverte. Réduire le Christ à l’universalité de son message, c’est le désincarner : paradoxe troublant pour une religion qui est, par essence, religion de l’Incarnation ! C’est faire de Jésus un simple messager, et non une partie du message, autrement dit un prophète parmi d’autres, approche plus islamique que chrétienne. Tout chrétien conséquent devrait pourtant prendre en compte ce fait fort simple : pour se faire Homme, Dieu s’est fait Juif. On peut débattre longuement du sens de ce choix divin, mais il est impossible de se dire chrétien si l’on refuse de croire qu’il s’agit là d’un fait. Certes, l’inculturation des symboles et des mythes a une longue histoire, et n’a en elle-même rien de négatif. Mais depuis le 7-Octobre, mettre un keffieh à l’Enfant Jésus n’est pas du tout la même chose que le représenter indifféremment par un poupon noir, jaune, rouge, brun ou blanc : ce n’est pas un signe d’universalité, mais au contraire de récupération au service d’une cause bien particulière, et dont le rapport au Peuple Juif – qui était celui du Christ – est pour le moins problématique. Tout ça, François le sait. En acceptant de se recueillir devant cette crèche politique, il a accompli un geste politique, et a donc fait précisément ce qu’il prétend maintenant dénoncer.
Au passage, je crois que c’est volontairement que Bruno Retailleau a répondu au Pape sur ce point, avec une parfaite courtoisie mais ce qui s’apparente à une diplomatique paire de gifles, en lui offrant un livre de Charles Péguy. Péguy, catholique et patriote, pour un Pape qui veut la dilution des nations européennes dans le multiculturalisme et l’islamisation. Péguy, catholique et dreyfusard, qui dénonçait les persécutions dont les Juifs étaient victimes à son époque, et rappela à ses contemporains que Jésus et Marie étaient Juifs, pour un Pape que sa haine anti-occidentale au nom du « Sud Global » conduit à nier la judéité de l’enfant de la crèche. Avouons que c’est bien joué.
Hypocrisie, donc, mais aussi contre-sens, qui ouvre cependant sur une réflexion nécessaire. « La foi ne reste pas un fait privé » a également dit François, s’attirant les foudres de nombreux défenseurs de la laïcité. C’est pourtant un fait : sa foi et ses croyances religieuses, qu’on le veuille ou non, qu’on l’approuve ou non, influencent la vision métaphysique que quelqu’un se fait de l’Homme et du monde, donc la vision méta-politique qu’il s’en fait, donc la vision politique qu’il s’en fait, et partant ses choix électoraux, ses engagements citoyens, etc. Arnaud Beltrame serait-il devenu le héros qu’il a été si sa détermination n’avait pas été nourrie par sa foi ? Henri d’Anselme aurait-il agi comme il l’a fait, à Annecy, si sa foi n’avait pas guidé son courage ? Charles de Gaulle et Philippe Leclerc de Hauteclocque auraient-ils été ceux qu’ils étaient, sans leur foi ? « Les apports de la croyance » ne sont pas forcément négatifs, même s’ils peuvent l’être – le procès en cours de multiples responsables de l’assassinat de Samuel Paty ne nous le rappelle que trop.
Insistons : nous savons bien que François veut faire la promotion d’une forme de « coexistence » multiculturelle, totalement étrangère à l’esprit comme à la lettre de notre laïcité, autant qu’à notre culture. Mais il a raison sur un point : « la foi ne reste pas un fait privé ». Et c’est justement pour ça que la loi du 9 décembre 1905 a réglementé la liberté de culte, en lui fixant des limites (le respect de la liberté de conscience avant tout, et les exigences de l’ordre public) et en instaurant la police des cultes, qui fait l’objet de tout le titre V (trop souvent négligé) de cette loi. La laïcité ne consiste donc pas à nier « les apports de la croyance », mais à les soumettre à la loi. Et précisons d’emblée que prétendre défendre la laïcité en combattant les calendriers de l’Avent et les crèches de Noël est une tartufferie pire encore que celle du Pape : vouloir détruire le socle culturel porteur de la vision métaphysique de l’Homme qui a rendu la laïcité pensable et possible, c’est vouloir détruire la laïcité. C’est vrai de ceux qui veulent effacer l’identité chrétienne de la France, et c’est vrai aussi de ceux qui voudraient effacer les sources juives et grecques du christianisme – sans Athènes et Jérusalem, sans Socrate et Hillel l’Ancien, la laïcité n’aurait plus de sens, et le christianisme perdrait certains de ses plus beaux aspects. « La rencontre du message biblique et de la pensée grecque n’était pas le fait du hasard » déclarait Benoït XVI, lui qui s’opposait à raison à la tentation de déshelléniser le christianisme. Une idée peut être comprise au-delà de ses conditions d’apparition, ou de découverte, mais elle ne peut pas forcément être adoptée dans n’importe quelles conditions, culturelles et anthropologiques. Ainsi, par exemple, la démarche scientifique. Née en Grèce Antique et nulle part ailleurs, avec sa sœur jumelle la philosophie, ses conclusions sont universellement vraies. Elle prospère sans difficulté au Japon, très loin de son berceau (je parle de la vraie science, celle qui s’appuie sur la vérification expérimentale et répond au critère de réfutabilité de Popper, et non des disciplines qui se donnent aujourd’hui abusivement le nom de « sciences » pour en usurper le prestige). Mais elle ne prospère pas partout : ceux qui parlent de « science bourgeoise » ou de « science Blanche » montrent ainsi qu’ils n’ont rien compris à la démarche scientifique et pire, que leur vision du monde les rend incapables de la comprendre. Même si les propriétés de la physique et des mathématiques, découvertes par la science, continuent à s’appliquer à eux et autour d’eux, que ça leur plaise ou non.
Double leçon. D’abord, que l’universalité du message n’efface pas la valeur intrinsèque du messager, ni l’importance du socle culturel qui rend possible son message. C’est vrai du Christ, et comme le rappelait Péguy, le petit enfant qui dort dans la crèche est un enfant Juif – on croirait presque entendre De Funès dans Rabbi Jacob : « Comment Yeshua, vous êtes Juif ? » C’est vrai aussi de la laïcité, construite certes contre les clergés mais grâce à une culture profondément imprégnée de christianisme, et de tout ce que celui-ci porte encore de l’enseignement des prêtres de Yahvé et des philosophes d’Athéna.
Ensuite, que les convictions métaphysiques, qu’elles soient religieuses, spirituelles ou philosophiques, ne restent jamais un fait totalement privé, puisqu’elles ont toujours une influence sur les convictions politiques et ont donc des conséquences politiques. La laïcité n’est pas la négation de l’impact méta-politique et politique de la croyance religieuse, mais au contraire l’affirmation que cet impact incontestable, qui selon les croyances peut être bénéfique ou destructeur, doit être évalué, critiqué, débattu, et emporte l’obligation pour la religion de se plier à la loi commune. Ce qui, en France, veut dire notamment se plier à la première phrase du premier article de la loi de 1905, qui assure la liberté de conscience (donc en particulier le droit à l’apostasie). C’est là quelque chose que nous devons implacablement exiger de tous les cultes présents sur notre sol : qu’ils défendent la liberté de conscience, et s’abstiennent de toute apologie de textes ou d’enseignements qui seraient hostiles à cette liberté, fondamentale entre toutes. Fondamentale pour permettre la confrontation des idées, donc le débat politique, mais aussi pour permettre la foi, étant donné que la foi est affaire de confiance, et qu’il ne peut y avoir de confiance que librement donnée.
Le philosophe Walter Benjamin a hésité entre le marxisme et le sionisme. Suite à l’invasion de la France par les nazis, il se suicide en septembre 1940. Dans son dernier livre, Jean Caune revient sur son parcours et cette hésitation entre URSS et la Palestine de l’époque.
Une anecdote qu’on racontait jadis dans ma famille maternelle parlait de deux bateaux se croisant en Méditerranée, et des passagers sur le pont se faisaient le même signe : tourner leur index contre la tempe, en désignant ceux de l’autre navire. Le premier bateau emmenait des Juifs en Eretz-Israël (la « Palestine » de l’époque), tandis que le second les en éloignait, à destination de l’URSS. Cette anecdote m’est revenue à l’esprit en découvrant l’essai que Jean Caune vient de consacrer à Walter Benjamin, sous-titré Une pensée juive entre Moscou et Jérusalem.
Juif allemand assimilé, Benjamin fut attiré par le marxisme et par la Révolution – à l’instar de nombreux autres penseurs juifs du XXe siècle – mais aussi séduit un temps par le sionisme. Largement méconnu de son vivant, il a pourtant été admiré par d’éminents intellectuels comme Hannah Arendt, Theodor Adorno ou Gershom Scholem, avec lequel il entretint une amitié durable. Dans le petit livre qu’elle lui a consacré, Arendt écrit de Benjamin qu’il « n’avait appris à nager ni avec le courant, ni contre le courant ».
Un passage d’une lettre de Benjamin à Scholem, écrite de Berlin en 1931, fait écho aux mots d’Arendt. Il s’y compare à « un naufragé dérivant sur une épave, qui grimpe à la pointe de son mât, lui-même déjà fendu ». Et Benjamin conclut : « De là-haut, il a la chance de lancer un signal pour qu’on le sauve ». Moins de dix ans plus tard, il se donnait la mort à Portbou en Catalogne, âgé de 48 ans. Désespéré par l’éventualité d’être rattrapé par la Gestapo, Benjamin disait « n’avoir d’autre choix que d’en finir, dans une situation sans issue ». Personne n’était venu le sauver…
Pour illustrer la dimension juive de sa pensée, Jean Caune part de l’idée chère à Benjamin, selon laquelle l’homme communique sa propre essence spirituelle en nommant toutes les autres choses. Ce pouvoir de nomination confié par Dieu à l’homme dans le récit de la Genèse fait ainsi d’Adam le premier philosophe, bien avant Platon. La judéité de Benjamin, observe l’auteur, « était une composante centrale de sa personnalité ». Toutefois, elle « était essentiellement fondée sur une approche intellectuelle et manquait d’ancrages concrets dans son expérience culturelle ».
Destin tragique
Le livre comporte un chapitre intéressant sur le messianisme de Walter Benjamin et ses sources juives. La thématique messianique occupe une place centrale dans l’œuvre de Benjamin, et notamment dans ses Thèses sur le concept d’histoire, un de ses livres les plus fameux. Peut-on pourtant affirmer qu’il s’agit bien du messianisme dans son acception juive ? Ayant récemment traduit un recueil de textes de David Ben Gourion sur ce même sujet [1], je me permets d’en douter. Aux yeux de Ben Gourion, le messianisme était le cœur de la croyance du peuple juif et ce qui lui avait permis de recréer son Etat, après deux mille ans d’exil. Benjamin, lui, n’avait pas les idées aussi claires, et c’est son hésitation entre Moscou et Jérusalem qui fut la cause de son destin tragique.
Les précédents ouvrages de Jean Caune, professeur émérite des universités, portaient sur l’esthétique et sur le théâtre. Expliquant son engouement pour la pensée de Walter Benjamin, il évoque la mémoire de ses parents, « venus chercher en France la possibilité de vivre dignement », comme le dit la dédicace du livre. Je peux tout à fait souscrire à cette motivation, ma mère étant née à Jérusalem et mon père ayant passé plusieurs années à Moscou dans les années 1930, où mon grand-père, l’architecte André Lurçat, avait été invité par la société pan-soviétique pour les relations culturelles avec l’étranger.
Les événements survenus depuis le 7-Octobre 2023 donnent au livre de Jean Caune une résonance dramatique. Pour beaucoup de Juifs assimilés – en France et ailleurs – la judéité redevient en effet un élément central de l’existence, qui les amène à s’interroger sur leur avenir et, pour certains d’entre eux, à retrouver le chemin de Jérusalem. La lecture de ce livre n’en est que plus actuelle.
Jean Caune, Walter Benjamin, Une pensée juive entre Moscou et Jérusalem, 176 pages, éditions Imago 2024.
[1] David Ben Gourion, En faveur du messianisme, L’Etat d’Israël et l’avenir du peuple juif, éditions l’éléphant 2024.
Alors qu’il fait l’objet d’une contestation populaire de plus en plus forte, et qu’il est fragilisé par la défaite de ses proxys du Hamas et du Hezbollah et la chute du régime d’Assad, le régime des mollahs iraniens affiche des faiblesses structurelles qui pourraient bien le conduire à sa perte.
C’est un évènement passé inaperçu, qui en dit pourtant long sur les fragilités de la République islamique d’Iran. Le 23 octobre, des clercs du régime réunis en séminaire à Qom, appelaient à la reconnaissance de l’État d’Israël dans ses frontières de 1967. Dire qu’une telle prise de position apparaît plus que singulière, alors que l’État hébreu livre une guerre sans merci aux proxys terroristes de l’Iran, est un euphémisme. D’abord, parce que Qom, ville sainte du chiisme, est par excellence l’un des centres du pouvoir des mollahs. C’est là qu’ils sont formés, et qu’ils forment à leur tour, au sein de l’université religieuse de la ville, ceux qui deviendront les agents d’influence de la République islamique d’Iran. Ensuite, parce qu’une telle prise de parole ne reflète absolument pas la position officielle du Guide suprême, Ali Khamenei, qui menace de rayer Israël de la carte.
Bras de fer
Faut-il voir, dans cette contradiction, le signe d’une fracture au sein du régime iranien ? C’est en tout cas ce qu’explique une source iranienne proche du bureau du guide suprême, avec qui nous avons longuement échangé par messagerie cryptée : « Il y a aujourd’hui un bras de fer qui se joue entre les conservateurs, et les réformateurs. Mais ce serait une erreur de croire que leur opposition marque une différence idéologique. En réalité, les deux camps se font la guerre car les réformateurs, qui tiennent avec les Gardiens de la révolution islamique une partie de l’économie iranienne et les circuits de contrebande, pensent qu’un conflit avec Israël est mauvais pour leurs affaires, et que la République islamique n’y survivra pas. »
Des propos confirmés par l’un des experts qui connait le mieux les arcanes de la République islamique : le Franco-iranien Matthieu Ghadiri. Cet ancien agent double du contre-espionnage français, qui vient de publier Notre agent iranien (éditions Nouveau Monde), a été infiltré au sein du Corps des gardiens de la Révolution islamique. Et il l’affirme : « le premier président du courant réformateur était Mohammad Khatami, élu en 1997. Avec son élection, tout le monde, aussi bien en Iran qu’à l’étranger, pensait que le régime allait changer et devenir acceptable et fréquentable. D’ailleurs, Chirac l’a reçu en visite officielle à Paris fin 1999. Depuis, les réformateurs sont très influents dans les ministères, en particulier celui des Affaires étrangères. Mais ce que l’on oublie, c’est que les réformateurs iraniens ne sont pas des modérés et que la seule chose qui les différencie des conservateurs est la façon dont ils veulent gérer les affaires. Ces deux courants adhèrent à la constitution islamique, sont antisémites et s’opposent à la laïcité, les libertés individuelles et la démocratie libérale. Les réformateurs font donc semblant d’être modérés pour rassurer le monde occidental, mais dans les faits, leurs divergences avec les conservateurs ne sont pas profondes ».
Si le courant réformiste veut éviter le conflit avec Israël et les Etats-Unis, c’est aussi parce que les relations avec les partenaires russe et chinois connaissent quelques fausses notes. Moscou se montre peu favorable à l’idée de soutenir les mollahs dans le cas d’une guerre avec Israël et ses alliés occidentaux, quand Pékin s’émeut de plus en plus des leurs velléités militaires, lesquelles pourraient – en cas de chute du régime – mettre fin au flux de pétrole iranien bon marché.
Eviter l’escalade
La victoire de Donald Trump est aussi une source d’inquiétude à Téhéran. Selon la chaine Iran International (appartenant à l’opposition au régime), Abdullah Naseri, l’ancien PDG de l’agence de presse officielle iranienne (IRNA), aurait indiqué, le 7 novembre, que le Guide suprême et le Corps des Gardiens de la Révolution ont « peur de Trump », et que son accession à la Maison Blanche allait avoir pour conséquence l’affaiblissement de leur influence au Moyen-Orient. La raison de cette analyse tient au fait que le régime se sait affaibli sur le plan militaire, mais aussi voire surtout sur le plan intérieur.
Les récentes frappes israéliennes sur l’Iran ont mis à mal une importante partie de son système de défense anti-aérien iranien. En conséquence, un certain nombre d’officiers du Corps des Gardiens de la révolution et de sa force al Qods (l’unité d’élite en charge de ses opérations extérieures), se montrent critique vis-à-vis de la stratégie d’Ali Khamenei. Pour eux, Téhéran n’a pas les moyens d’une guerre avec Israël et ses alliés. Leur conclusion est qu’il faut trouver une entente avec les pays occidentaux, États-Unis en tête, afin d’éviter le pire. Une posture alarmiste au plus niveau de l’État, qui s’explique par le fait que les frappes ciblées orchestrées par Israël au Liban et en Syrie ont décapité une partie du commandement du Hezbollah, et tué plusieurs officiers de la force la Qods. Or, puisque les officiers de ce corps ont chacun son propre réseau d’informateurs, ces derniers sont de fait « HS » suite à l’élimination de celui avec lequel ils étaient en contact. Résultat : face à Israël, Téhéran est à la fois plus fragile et moins bien informée.
Autre point, et non des moindres : l’Iran est traversé par une crise économique d’une exceptionnelle gravité. Un Iranien sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté, et les 2/3 du territoire n’ont qu’un accès restreint à l’eau potable. À Téhéran (8,9 millions d’habitants), Machhad (4,1), ou Ispahan (2), des millions de gens peinent à se nourrir deux fois par jour. Dans un pays où la moyenne d’âge est de 32 ans, et la jeunesse surdiplômée, le chômage élevé (20%) exacerbe les tensions entre défavorisés et les privilégiés du régime. Partout en Iran, il est reproché aux dignitaires de la République islamique de s’enrichir sur le dos des autres, alors qu’il est de notoriété publique qu’au sein du Corps des gardiens de la révolution islamique, comme au plus haut niveau du gouvernement, des fortunes colossales ont été amassées par ceux-là mèmes qui réprimandent férocement toute forme de contestation populaire, même pacifique.
Un régime qui vacille
Pour Amir Hamidi, ex-agent spécial de la DEA (agence américaine de lutte contre les stupéfiants), spécialiste du Corps des Gardiens de la Révolution, cette situation est due à sa stratégie, jugée irrationnelle consistant à nier leur propre rôle : « la dernière fois que Khamenei a rencontré l’ensemble des membres de l’état-major du Corps des Gardiens de Révolution Islamique, il les a avertis que pour protéger le régime, ils devaient d’abord s’attaquer à ses faiblesses internes. Sauf que pour le faire il les a exhortés à connaître l’ennemi et à amplifier leur opposition aux États-Unis d’Amérique (…). Son obsession à blâmer les nations étrangères et à négliger de résoudre les problèmes intérieurs à l’Iran a cependant soulevé des inquiétudes quant à sa capacité à diriger efficacement le pays (…). Il suffit d’ailleurs de parler avec des fonctionnaires au sein du régime, pour mesurer leur niveau de défiance vis-à-vis de leur hiérarchie. »
Pour l’heure, malgré la contestation populaire et la crise économique, le pouvoir iranien ne tombe pas. L’avocat franco-iranien Hirbod Dehghani Azar, qui œuvre à la mise en place d’une cour pénale internationale pour juger les auteurs de crimes contre l’humanité en Iran, explique les raisons de cette résilience : « le régime vacille. Mais il tient encore par la violence, par les crimes qu’il perpètre et la mise en œuvre d’une politique tyrannique. Il fait aussi beaucoup de désinformation. Il a notamment fait passer des éléments de langage aux diplomaties occidentales pour leur faire peur. Les mollahs assurent par exemple que si la République islamique venait à tomber, alors il y aurait une partition du pays, ce qui est une aberration. »
Iranienne réfugiée en France, Sepideh Pooraghaiee est activiste politique. Elle préside l’association « Renaissance Moyen-Orient », qui vise à sensibiliser et fournir des outils éducatifs sur les questions du Moyen-Orient. En contact quotidien avec différents mouvements de résistance à l’intérieur du pays, elle témoigne : «si le régime iranien continue de s’affaiblir, les militaires [en Iran il existe deux armées, celle héritée de l’ancien régime et le corps des gardiens de la révolution islamique créé en 1979 par décret de Khomeini] pourraient rejoindre la contestation populaire. Il faut donc l’anticiper, car si personne ne le fait, alors cela fera comme au moment de la révolte de Mahsa Amini, en septembre 2022. Tous ceux qui prendront le risque de descendre dans la rue seront réprimés avec force. » Résignée, elle ajoute : « cela me fait mal au cœur de le dire, mais Israël doit terminer le travail qu’il a commencé, et poursuivre ses bombardements contre l’Iran, même si cela a pour conséquence de faire des victimes. À l’intérieur du pays, les Iraniens le veulent et le disent. Ils savent que la faiblesse du régime tient au fait que le mouvement populaire qui s’oppose à lui est très fort. Il est indispensable de lui donner les moyens de poursuivre sa lutte ». La voix tremblante, la jeune femme poursuit : « il n’y a presque plus d’électricité en Iran. Les infirmières, les médecins et les gens éduqués cherchent à quitter le pays, pour fuir ce gouvernement barbare. Certains se suicident. Franchement, nous sommes désespérés. On se demande aussi ce que font les Américains. Ils ont des bases dans le golfe Persique, proches géographiquement de celles des gardiens de la révolution. Alors pourquoi ne les traitent-ils pas comme ils traitent les groupes terroristes sunnites ? Il faut être honnête : les gens sont fatigués. Si la République islamique se maintient plus longtemps, le pays finira par sombrer économiquement, car plus rien ne fonctionne. Cela aura des conséquences terribles pour le monde entier », prévient l’opposante, qui conclue : « il y a tant de compétences au sein de la population iranienne. Il est temps de lui faire confiance. »
En écho aux propos de Sepideh, Firouzeh[1], une étudiante en relations internationales de 25 ans à l’université d’Ispahan, nous confiait il y a peu : « dans le secteur privé comme au sein de l’administration, la contestation est de plus en plus importante, tout le monde le sait. Le gouvernement est à l’agonie. Le seul qui ne veut pas le voir, c’est le Guide suprême, alors que tout le monde sait bien que c’est fini, et que ce régime ne tiendra pas des années. C’est donc le moment où jamais pour le faire tomber ».