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Le Guignol inquiétant des Insoumis

Les Insoumis disent se réjouir de la chute de Bachar al-Assad. Concernant le régime syrien, Rima Hassan était mutique jusqu’à présent. On se demande rétroactivement comment elle a pu si facilement visiter le camp palestinien de Neirab près d’Alep en mars 2024… Quant à Jean-Luc Mélenchon, il semblait carrément relativiser les exactions du dictateur pendant la guerre civile syrienne, en affirmant notamment en 2015: « Vous connaissez une guerre où les civils ne reçoivent pas de bombes ? »


Il est indispensable d’examiner avec attention les prises de position erratiques des Insoumis, en particulier celles de Jean-Luc Mélenchon et de Rima Hassan, concernant la Syrie. Ces déclarations révèlent la véritable nature d’un mouvement qui aspire pourtant à gouverner ce pays un jour.

Rima Hassan, figure médiatique et intellectuelle, illustre parfaitement cette dérive. Elle n’a jamais trouvé un mot pour dénoncer les 500 000 morts victimes des massacres, tortures et viols systématiques perpétrés par le régime syrien. Pas une seule condamnation publique de Bachar al-Assad. Sa capacité à circuler librement dans une Syrie sous contrôle du régime n’était certainement pas due au hasard. Aujourd’hui, alors que le régime vacille et que les horreurs de ses prisons éclaboussent la scène internationale, Rima Hassan change opportunément de discours. Avec une désinvolture désarmante, elle condamne désormais ceux qu’elle semblait hier encore cautionner tacitement.

Ce revirement soudain illustre parfaitement la stratégie des Insoumis : un théâtre où la cohérence se sacrifie sur l’autel de l’opportunisme idéologique. Nous sommes face à un véritable Guignol politique. Mais contrairement aux marionnettes de mon enfance lyonnaise, qui faisaient rire avec leurs batailles burlesques contre les gendarmes ou les voleurs, selon les cas, les postures contradictoires des Insoumis inquiètent.

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Pour Rima Hassan et ses compagnons de route, Assad fut un temps le « résistant héroïque » contre l’Occident honni. Mais lorsque le vent tourne, Assad devient le « méchant », et les rebelles, naguère discrédités, deviennent les nouvelles figures de la vertu. Peu importe la vérité, pourvu qu’ils puissent clamer être du « bon côté de l’Histoire ».

Derrière ce spectacle se dissimule une menace bien plus insidieuse : l’intolérance déguisée en vertu. Une forme larvée de totalitarisme infiltre les esprits, particulièrement au sein d’une jeunesse éduquée mais désorientée, terrorisée à l’idée de se marginaliser en exprimant des opinions divergentes. Là où la pensée critique devrait être encouragée, elle se trouve étouffée par la peur du lynchage social et l’uniformité des opinions.

Le discours des Insoumis repose sur une vision simpliste et manichéenne : ils se posent en champions autoproclamés du Bien, affrontant un Mal omniprésent, qu’il s’agisse d’Israël diabolisé et « génocidaire », des puissances occidentales ou du « capitalisme impérialiste ». Mais sous cet affichage moral se cache une mécanique dangereuse, qui reproduit les travers des idéologies totalitaires. Héritiers d’un communisme dévoyé et complices tacites des régimes autoritaires, ils séduisent une jeunesse en quête d’idéal mais souvent privée de discernement et d’esprit critique.

Rima Hassan s’enveloppe dans l’aura de l’exil et de la lutte palestinienne, cherchant à capitaliser sur le prestige moral des opprimés. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il alterne les postures de révolutionnaire en chef, brandissant tour à tour le drapeau rouge de 1793 et l’ombre romantique du Che. Pour Rima Hassan, Alger n’est pas seulement une ville : c’est une Mecque révolutionnaire mythifiée. Pourtant, derrière ces figures se cachent des acteurs d’une pantomime dérisoire, profitant d’un vide civilisationnel où le réel est soigneusement ignoré. Ce sont des Guignols dangereux, capables de séduire une jeunesse en quête d’idéal mais trop souvent privée de discernement. Leur pantomime risque d’accoucher de lendemains sombres : non pas des jours heureux, mais un monde où le pire des obscurantismes se dissimule derrière les oripeaux de la vertu. Au-delà des slogans, leur discours prépare le terrain à des lendemains qui déchantent.  Non pas ceux d’une révolution utopique abolissant l’argent roi, comme ils le prétendent, mais ceux d’un renforcement des influences obscurantistes et liberticides.

Vive Henri IV!

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Le jour de la passation de pouvoirs à Matignon, on fêtait le 471e anniversaire de la naissance d’Henri IV. Le nouveau Premier ministre a consacré deux ouvrages à ce célèbre souverain natif de Pau.


Un tableau de Rubens le montre sur son cheval blanc entrer triomphalement à Paris. Après avoir abjuré la religion de sa mère et embrassé celle de son père, tout frais sacré à Notre-Dame de Chartres, le Béarnais a foncé à Paris, à Notre-Dame, non sans avoir lancé la phrase apocryphe « Paris vaut bien une messe. » Te Deum, la foule crie sur le parvis « Vive le Roi ! Vive Henri IV ! Vive la paix ! » Même si les Ligueurs catholiques grondent encore au sein même de la cathédrale, le bon roi Henri vient de mettre fin aux guerres civiles et religieuses qui déchirent le pays depuis trois décennies.

Un 13 décembre 2024, jour anniversaire de la naissance de Henri IV, un autre Béarnais, François Bayrou, foule, à 17 heures, les pavés de la cour de l’Hôtel Matignon, pour la passation de pouvoir avec le Premier ministre sortant. Il n’a qu’une seule idée en tête : rétablir la paix et redresser la France. A peine nommé, n’a-t-il pas eu une pensée pour le roi de la poule au pot qui lui a inspiré deux livres fort réussis ? Le Savoyard salua non sans humour, dans le Béarnais « une fraîcheur roborative. »

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Le Béarnais l’a dit tout de suite. On va dire la vérité aux Français sans tortiller du ruban. La France est dans une situation grave. Il faut redresser le pays financièrement, économiquement, politiquement, moralement. Un gouvernement de réconciliation s’impose avec l’union de la droite et de la gauche (hors LFI), l’union des centristes et des macronistes autour d’un socle commun. Autant dire « un gouvernement désintéressé, pluraliste et cohérent, issu de personnalités de caractère. »

A peine nommé, du MEDEF à la CPME en passant par l’U2P (sic) on s’est réjoui. Le PS et les écolos ont sorti « leurs lignes rouges ». Le RN a été sobre. Dans la foulée, on apprend la dégradation, par Moody’s, de la note souveraine de la France d’un cran,en raison de la « fragmentation politique du pays susceptible d’empirer ». C’est clair, non ?

Un vent nouveau se lèverait-il sur la France ? Est-ce l’adieu à l’esprit woke ? L’« effet cathédrale » ? Depuis la visite de Donald à Notre-Dame, a-t-on remarqué que l’on dit moins dans les médias « les Françaises et les Français » ? On n’a pas dit « les pompiers et les pompières. » On n’ose toujours pas « les médecins et les médecines. » L’histoire de France semble revenir en force. Quel homme d’Etat n’évoque amoureusement les figures du passé dans lesquelles il s’incarne ? Dans son discours à Notre-Dame, le président Macron aurait même, selon les dires journalistiques « convoqué la transcendance » !

Souhaitons bon vent au Premier ministre et à son futur gouvernement. Et entonnons, avec « fraîcheur », un couplet de la chanson, écrite à la gloire de Henri IV, par Charles Collé, et connue de tous les Français « Au diable les guerres/ Rancunes et partis ! Comme nos pères/ Chantons en vrais amis / Au choc des verres / Les roses et les lys ».

À bon entendeur…

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Le double discours de François Bayrou, faux réconciliateur

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Le nouveau Premier ministre assure être en capacité de retrouver le peuple perdu. Pourtant, il est en même temps connu pour être un partisan du « front républicain »… Le commentaire d’Ivan Rioufol.


La liesse populaire corse, qui a accueilli dimanche le pape François à Ajaccio, fait ressortir l’éloignement de la classe politique insincère. Qui imaginerait une telle ferveur pour Emmanuel Macron, par exemple ? Dès lors, se comprend mieux le choix du Souverain pontife de bouder la mondaine réouverture de Notre-Dame de Paris, avec un clergé relooké aux couleurs de Castelbajac. Là où, à Paris, la foule des chrétiens anonymes a été tenue à distance des puissants, elle a pu cette fois s’approcher au plus près du pape. Lui-même s’est d’ailleurs montré sensible à cette proximité physique avec une piété enracinée. Le Vatican et l’Église corse ont relégué le chef de l’État à un rang inusité de second rôle, lui laissant en fin de journée l’espace d’un court entretien avec François dans une salle d’aéroport.

Aveuglement

Analysant peu auparavant la crise de confiance que connait la politique, François Bayrou, tout juste nommé Premier ministre vendredi, a eu raison de déplorer « le mur de verre » qui sépare les citoyens du pouvoir. Le diagnostic, à vrai dire, n’est guère original. Il n’en reste pas moins que le biographe d’Henri IV, qui s’est donné un destin présidentiel, a promis d’œuvrer à une « réconciliation nécessaire ». La question est de savoir si son centrisme affiché, qui ne compte que 36 députés (Modem), peut accompagner la radicalisation rageuse de Macron, qui veut écarter ceux qui réclament son départ anticipé. A s’en tenir au parcours sinueux de Bayrou, soutien du chef de l’État depuis 2017 et partisan du « front républicain » contre LFI et le RN, il est permis de douter, au vu de son double discours, de sa capacité à retrouver le peuple perdu.

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Le macronisme est un canard sans tête. Et Bayrou est la perpétuation de la doctrine présidentielle, construite sur l’opposition entre progressisme et populisme. Il en partage l’aveuglement dogmatique sur les questions civilisationnelles nées du bradage de la souveraineté nationale. Derrière la nonchalante ambition du provincial, littéraire et fidèle en amitiés comme le fut François Mitterrand, se dissimule un madré pour qui sa fin personnelle importe avant tout. C’est lui qui en 2012 appela à voter François Hollande contre Nicolas Sarkozy, à qui il reprocha « sa course à l’extrême droite » et ses « obsessions » sur l’immigration et les frontières. Européiste comme Macron, il exècre « l’exaltation de la nation ».

Quel sort sera réservé à M. Retailleau ?

Dans un entretien au Figaro le 28 mars 2007, alors candidat à la présidentielle, il assurait, en dépit des faits : « Même dans la plus lointaine banlieue, on est heureux d’être français, on est républicain, on croit à la devise « Liberté, Egalité, Fraternité », et aux valeurs qu’elle porte ». S’il a certes donné son parrainage à Marine Le Pen en 2022, qu’il recevra en premier ce lundi, il a avalisé le cordon sanitaire. Vendredi, lors de la passation de pouvoir avec Michel Barnier, il a dit vouloir « rendre des chances à ceux qui n’en ont pas », en mêlant ceux des « quartiers » et des « villages ». Or ces deux mondes aussi s’opposent. Henri IV, voulant mettre fin à la guerre entre catholiques et protestants, avait lancé son fameux : « Paris vaut bien une messe ! ». Le Béarnais ira-t-il jusqu’à prôner de semblables accommodements avec la charia (« La France vaut bien quelques sourates ! ») au nom de la réconciliation avec l’islamisme des banlieues ? Si Bruno Retailleau accepte de rester au ministère de l’Intérieur, comment cela semble probable, il devra se garder d’avaliser les compromissions macroniennes. Le Premier ministre en est le spécialiste.

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Bayrou de secours

À peine nommé à Matignon, François Bayrou doit gérer la crise à Mayotte. Il entend cependant se libérer du temps pour composer un gouvernement resserré « de personnalités » d’ici Noël. Il annonce qu’il sera « un Premier ministre de plein exercice et de complémentarité ». Explications.


Nous assistons là, avec l’entrée dans l’écurie Matignon de qui vous savez, à la promotion d’un matériel tout à fait particulier, la roue de secours. Mais une roue de secours singulière, à peu près adaptable à tout modèle, de toute marque, toujours prête à servir sous le premier pavillon venu. On vit la recrue nouvelle remplir cet office dans la team Royal, en 2007, sans véritable succès, il est vrai. On assista de nouveau à une prestation du même ordre, visant en l’occurrence à faciliter la victoire de l’équipe Hollande. C’était en 2012. Cette fois avec un peu plus de réussite, mais, on s’en souvient, un bilan de course des plus calamiteux au franchissement de la ligne, la sauce hollandaise ayant rapidement viré vinaigre.

De nouveau, nous retrouvons notre pièce de recours au départ du grand prix de 2017, écurie Macron en la circonstance. Et là, le franc succès. La couronne de lauriers au cou du plus jeune compétiteur de tous les temps et l’Élysée pour paddock. Le jackpot. De quoi se sentir digne d’un tout autre rôle que celui d’une banale option d’assistance. De quoi se dire qu’il n’est que temps que la roue – l’autre, celle du destin – tourne enfin.

Mais il faudra là encore faire preuve de patience. Une bien longue patience. Sept ans. Sept ans à rouler pour rien ou si peu, et puis voilà que s’opère l’ouverture, que survient la brèche par où se faufiler. Je veux dire le grand carambolage électoral qui rebat radicalement les cartes, révolutionne quasiment de fond en combles la grille de départ. Mais, patatras, le grand vainqueur de 2017, oublieux des services rendus, rechignant à récompenser comme il se doit tant de serviles vertus, se prend à lorgner du côté d’un matériel plus jeune, au parcours tout de même moins sinueux. À trop prendre de virages, il est vrai, la roue s’use, obère sa tenue de route, devient fort peu fiable, imprévisible, dangereuse donc.

Cette fois, en elle l’ambition ne fait qu’un tour. La bonne vieille roue ne se dégonfle pas : « Ce sera moi ou je fais un malheur », menace-t-elle le matin du jour fatidique, forçant ainsi le boss de l’écurie à avaler son chapeau. Pardon, son melon. Et c’est bien là l’évènement  le plus plaisant de ce grand cirque. Les dernières feuilles de lauriers, tombant, fanées, flétries, de la glorieuse couronne de 2017. Comme sous l’effet d’une paire de baffes. Paire de baffes dont on ne peut pas dire, d’ailleurs, qu’elle soit totalement imméritée…

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Puis vient l’heure de gloire, la roue se métamorphose en conquérant au panache blanc. Et c’est la passation de pouvoir dans la cour de Matignon. Les montagnards sont là. Barnier, le Savoyard. Bayrou, le Pyrénéen. L’Himalaya s’invite dans le propos lorsque le nouveau venu évoque la difficulté de la tâche qui l’attend. Doit-on comprendre à cela qu’un Beauceron, un homme de la plaine n’aurait pas fait l’affaire ? Une allusion, très fine (si, si) le laisserait penser. « Se débarrasser de ses charges (comprendre de la dette de dingue) sur ses enfants, c’est mal vu dans les contrées de montagne », assure le bleu. Probablement qu’ailleurs on s’en tape ? Nous sommes donc entre montagnards mais aussi entre vieux de la vieille. L’arrivant se plaît à rappeler que tous deux se côtoient depuis les Rénovateurs, groupe de jeunes loups de la politique des années 89-90, dents longues, idées courtes, s’imaginant que leur jeunesse (relative) valait légitimité et badge d’accès direct au pouvoir. Puis, dans l’air frisquet de cette cour, qui n’est pas sans rappeler, dixit le sortant, celui de la Savoie et des Pyrénées (puisqu’on vous dit qu’on est entre hommes des sommets) se poursuit la prise de parole de l’impétrant. Une sorte de prédication en l’occurrence. Modestement, l’orateur tient à mentionner qu’il a su prendre dans sa carrière des « risques inconsidérés », n’hésitant pas, par exemple, à brandir le spectre de la dette, cela au cœur même de campagnes électorales pour des présidentielles. Baste ! Quelle audace ! Aussi se sent-il de taille à regarder la situation de la France « les yeux ouverts, sans timidité ». Devant notre écran, nous sommes impressionnés. Nous n’avions jamais entendu de telles choses lors de précédentes passations de mistigri. Pas à dire, ça claque ! « Situation héritée de décennies entières », analyse le nouveau Premier ministre, là encore très finement. (Décennies durant lesquelles peut-être bien avait-il trekking sur les pentes de l’Himalaya pour excuse?) Quant à l’aggravation de ladite situation, elle ne serait due qu’à « l’accumulation des crises de ces dernières années ». En aucune façon à une quelconque impéritie du pouvoir en place depuis sept ans, vous l’aurez compris. En bon vieux briscard du sérail qu’il est, le promu n’ignore pas qu’un petit coup de déni par-ci, par-là, n’est pas sans utilité et n’a jamais fait de mal à un politique qui entend durer. D’ailleurs cela ne l’empêche nullement de s’engager à toujours parler vrai et clair. Pour que le bon peuple comprenne enfin ce qu’on lui veut, je suppose. C’est ce qui a manqué, n’est-ce pas, ces derniers temps : nous ne pigions pas assez bien les actions de génie qu’on menait pour nous. Débiles profonds que nous sommes ! D’ailleurs, pour améliorer la comprenoire nationale, l’homme « pense à l’École » dont, revendique-t-il, « il s’est occupé de nombreuses années ». Au vu de l’état dans lequel elle se trouve aujourd’hui, est-ce vraiment rassurant ?…

Enfin, bien que baignant dans l’euphorie de la victoire, le nouveau maître de Matignon n’oublie pas de manifester sa gratitude. Non pas à l’adresse de M. Macron, comme on pouvait s’y attendre, mais à l’endroit d’Henri IV, son ami, peut-être même son seul ami. Le roi de la réconciliation nationale. Ce qu’il veut être lui-même, justement, un prince de la réconciliation. Le savoyard Barnier aurait bien aimé tenir ce rôle lui aussi, mais un certain Attal-Ravaillac est venu le poignarder dans le dos avant qu’il n’en ait eu le loisir. Souhaitons au Béarnais un destin plus heureux. Celui-ci a déclaré par ailleurs qu’il serait un Premier ministre de plein exercice et de complémentarité. De plein exercice, soit. Mais de complémentarité ? Que comprendre ? Ne serions-nous pas devant une espèce de recyclage larvé du en-même temps ? À ce propos, il a déclaré aussi que ceux qui voudraient écrire le récit d’une quelconque rivalité entre l’Élysée et Matignon seraient déçus. Mais on notera qu’il n’a rien dit d’une éventuelle guéguerre d’homme à homme, entre Macron et lui. Finaud le Béarnais. Habile l’homme roue de secours.

Cela dit, nous autres pauvres Français du ras des pâquerettes, ce que nous attendons de ce montagnard-là est qu’il nous fasse descendre de ce maudit manège de montagnes russes sur lequel nous sommes embarqués malgré nous depuis des mois. La nausée nous monte aux lèvres. Et la colère, la vraie, la rude, l’incontrôlable n’est sans doute pas loin. Aussi, faudra-t-il certainement plus que la promesse d’une poule au pot le dimanche pour calmer le jeu.

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Like a virgin

Des photos coquines de Madonna avec le pape suscitent un tollé…


Je rassure tous les catholiques, ces images publiées sur Instagram sont générées par l’intelligence artificielle. On voit le pape François serrer dans ses bras l’icône pop court-vêtue de dentelle noire, peut-être tenter de l’embrasser et loucher dans son décolleté. Cela n’est certes pas très catholique, mais il n’y a rien de très satanique non plus. On est loin des caricatures de Charlie Hebdo montrant le pape en position scabreuse.

http://twitter.com/ThePopTingz/status/1867685876710748264

Flopée de réactions outragées. C’est irrespectueux, c’est scandaleux…

Certes, c’est une provocation sans risque. Madonna n’aurait pas fait ça avec un rabbin par peur d’être traitée d’antisémite, et certainement pas avec un imam par peur d’un coup de couteau ou pire. Mais, je comprends mal que des catholiques s’énervent autant pour un blasphème de bac à sable.

Puis-je comprendre que ça les blesse ? Évidemment, mais eux savent la chance de vivre dans des sociétés sécularisées où ce qui est à César est à César et ce qui est à Dieu est à Dieu (un principe d’ailleurs chrétien, issu de la Bible). Le corollaire, c’est qu’on a le droit de se moquer de Dieu (qui doit avoir le cuir plus épais que ce qu’on croit).

A lire aussi: « Pour les Grecs, homosexualité et virilité allaient de pair »

En Corse, le Pape François nous a donné hier une leçon de laïcité expliquant qu’elle devait être comme-ci ou comme-ça. La laïcité tout-court, ça suffit. Cela signifie que les croyants acceptent non seulement que les autres ne partagent pas leur foi, mais aussi qu’ils rigolent de ce qui est sacré pour eux. C’est ça la France. C’est la souffrance de la liberté. On accepte d’être choqué par les croyances et par les idées des autres. J’accepte bien de vivre-ensemble avec les Insoumis et leurs âneries… Et puis le catholicisme en connait un rayon sur les tourments de la chair.

Aujourd’hui, plus personne n’ose se moquer du dieu des musulmans, ni même dire qu’on a le droit de le faire, vu le risque de riposte violente de simplets ou de fanatiques. Et c’est ça que voudraient les catholiques, qu’on ait peur d’eux, qu’on les traite comme des enfants susceptibles, qu’on tourne sa langue mille fois avant de faire une blague ? C’est le contraire : ce n’est pas aux catholiques de se mettre à l’heure de la susceptibilité des musulmans, mais aux musulmans de bénéficier du même traitement ! La preuve qu’on les respecte, qu’ils sont des citoyens égaux, c’est qu’on peut se payer leur tête sans avoir la peur au ventre. Et puis si Dieu existe, quel qu’il soit, il doit vraiment en avoir marre d’être aimé par des cons (hommage à Cabu)…

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud Radio avec Jean-Jacques Bourdin

Leur dernière chance…

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En décrochant Matignon, le centriste Bayrou tient sa revanche et se voit offrir l’ultime possibilité de démontrer ce qu’il vaut vraiment.


Que François Bayrou ait été nommé Premier ministre dans la matinée du 13 décembre est loin de me déplaire par rapport à ce qu’on pouvait craindre des élucubrations présidentielles.

Mais la manière vaudevillesque dont la chose s’est faite, le passage de Sébastien Lecornu à François Bayrou dans la tête du président en quelques heures, montre à quel point, depuis sept ans, les nominations et les promotions ont plus relevé d’un jeu de hasard, d’une reconnaissance clientéliste que de choix mûrement réfléchis et acceptables. Certes sur un mode moins caricatural mais il n’empêche que rétrospectivement on ne peut qu’avoir froid dans le dos à l’idée des risques qui ont été pris.

François Bayrou, dans un rapport de force qu’il a gagné, s’est imposé au président de la République. Pour l’un et l’autre, il va s’agir de leur dernière chance.

Pour Emmanuel Macron, cela va de soi. Si Bayrou échoue, si une motion de censure renverse son gouvernement, je vois mal ce que le président pourra opposer aux blocages cette fois irréversibles dont la responsabilité initiale lui revient et à la constatation que son départ anticipé serait le seul remède.

Appréhension d’un bilan

Pour le maire de Pau, ce sera aussi l’ultime possibilité de démontrer ce qu’il vaut vraiment. Sans qu’on puisse douter de ses ombres ou de ses lumières : les unes et les autres ne prêteront plus à discussion.

François Bayrou, âgé de 73 ans, est moqué par certains parce qu’il n’aurait rien accompli durant quatre ans au ministère de l’Éducation nationale puis comme haut-commissaire au Plan. D’autres l’accusent de trahisons, lui reprochant d’avoir voté, à titre personnel, pour François Hollande en 2012 au détriment de Nicolas Sarkozy dont le quinquennat l’avait déçu, et choisi, en 2017, Emmanuel Macron contre François Fillon.

Outre qu’il est toujours navrant de voir des citoyens tourner en dérision des responsables politiques qui les dépassent de cent coudées, l’outrance avec laquelle on appréhende le bilan de François Bayrou et certaines de ses positions est injuste. Pour ces dernières, on oublie le courage qu’il lui a fallu pour les faire passer avant le conformisme et la solidarité automatique qu’on attendait de lui.

Par ailleurs, pour qui connaît le parcours de François Bayrou et sa vocation centriste depuis le début, il conviendrait par honnêteté de placer sur le plateau positif de sa balance le lanceur d’alerte qu’il a été, notamment pour la gravité de la dette ainsi que pour le scandale démocratique de l’arbitrage Sarkozy-Tapie-Lagarde. Et son attachement constant pour une vie républicaine apaisée qu’il n’estimait possible que grâce à un dépassement de la gauche et de la droite.

Aussi la haine de Simone Veil à son encontre avait été mal comprise !

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Faire sortir le centrisme de l’opportunisme

Quand François Bayrou a permis à Emmanuel Macron d’être élu en 2017, son soutien était parfaitement cohérent avec ce qu’il avait sans cesse pensé et martelé. Au point qu’on pouvait parfois questionner la validité d’une politique qui semblait ne s’attacher qu’aux modalités du débat public. Il faut convenir qu’il est demeuré un homme, durant les sept années de macronisme, à la fois libre, indépendant mais fidèle. Parfois critique mais argumentant souvent en faveur du président. Il avait un passé à faire valoir pour arracher Matignon à la force de son désir…

Sa volonté acharnée de faire sortir le centrisme de l’opportunisme et de l’inconsistance programmatique doit lui être reconnue. Sa vision du centre était pugnace, sans concession et, de fait, infiniment plus difficile à assumer que le confort de s’abandonner aux extrêmes. J’ai particulièrement apprécié le Bayrou de cette époque, qui avait su redonner leur fierté à une cause et à un camp trop longtemps discrédités pour leur mollesse.

François Mitterrand a abusé de ces attaques faciles.

En même temps, F. Mitterrand qui était avare de compliments – même si tactiquement il disait à chacun de ses soutiens et de ses fidèles qu’il était le meilleur, même Jean-Luc Mélenchon en a bénéficié ! -, n’a jamais hésité à faire part de son estime pour la personnalité de François Bayrou, parce que celui-ci brillait par le verbe et la culture, ayant dominé courageusement un bégaiement.

« Un Himalaya de difficultés » en perspective…

Pour ma part, je ne dirai pas que je l’ai bien connu – ce serait outrecuidant – mais suffisamment côtoyé toutefois pour pouvoir offrir un témoignage sur sa tolérance et son souci de la liberté d’expression. À plusieurs reprises, il m’a convié à faire un discours à l’université d’été du MoDem, à Guidel, en pleine conscience du caractère libre et imprévisible de mon propos public. Je me souviens de son écoute et de son attention. Quand plus tard il a affirmé, devant un autre parti, que « penser tous la même chose ce n’était plus penser », j’ai retrouvé avec bonheur et nostalgie un état d’esprit dont il m’avait fait bénéficier.

Premier ministre, comme il l’a déclaré en réponse à Michel Barnier il va affronter « un Himalaya de difficultés ». Sa tâche est immense. Tout ce qu’on est en droit de demander, de la part de ses adversaires comme de ses alliés, est qu’on le traite comme il le mérite : gravement, sérieusement, avec respect. Sans les moindres dérisions ni abaissement.

Qu’on n’oublie pas que ce sera la dernière chance, au président comme à lui, pour la France et les Français.

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Apprenons l’érotisme à nos enfants!

La polémique sur l’éducation à la sexualité a enflé durant tout ce mois, opposant la fugace ministre de l’Éducation, Anne Genetet, au non moins évanescent ministre à la Réussite scolaire, Alexandre Portier. Elle a donné quelques idées à notre chroniqueur, à qui rien de ce qui concerne l’érotisme n’est étranger. Attention, cette chronique est déconseillée aux moins de 18 ans.


La polémique ne date pas d’hier. Le souci d’une information sur la sexualité remonte au début du XXe siècle : on n’avait pas encore inventé la pénicilline pour juguler les maladies sexuellement transmissibles qui dévastaient alors la France, tout faisait craindre qu’un grand nombre d’hommes ne soient plus disponibles pour les prochaines guerres.

Information et éducation sexuelle

Ce souci s’estompe dans les années 1950, on en est désormais, en plein baby-boom, au souci d’une éducation sur la reproduction : c’est celle que je reçus, de la part d’une prof de Sciences peroxydée, avec des flotteurs avant et arrière qui nous faisaient croire abondamment à sa compétence en la matière. Le Summer of flower puis Mai 68 passant par-là, le très rigide Joseph Fontanet se fend d’une circulaire en juillet 1973 qui distingue l’information sexuelle, intégrée dans les cours de « Sciences Nat’ », comme on disait alors, et l’éducation sexuelle, facultative, à organiser en dehors des heures de cours : à noter que contraception et avortement se faufilent naturellement dans des programmes encore un peu légers.

Dans les années 1980, SIDA oblige, on mit davantage l’accent sur la prévention — et on commença à parler de capotes, même si une campagne prévue pour décembre 1988 fut retardée jusqu’en janvier, l’archevêché de Paris ayant fait comprendre au Premier ministre, Michel Rocard, que l’utilisation ciblée du latex ou du polyuréthane était incompatible avec les fêtes de Noël (on disait encore « Noël » à cette époque).

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Diverses circulaires précisant les contenus de cet enseignement virent le jour dans les années 1990, jusqu’à ce que la loi du 4 juillet 2001 impose « une information et une éducation à la sexualité dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène ».

En 2016, un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE) a révélé que l’obligation des trois séances annuelles était respectée dans une minorité d’écoles et d’établissements. Fatalitas ! Tant d’élèves privés de ces séances instructives sur l’enfilage de capotes sur des bananes…

La porno-révolution

On voit qu’on est resté assez loin du « Kama-Sutra pour adolescents » que fustigent (oh oui, encore !) les organisations traditionnalistes, qui en sont manifestement restées à des histoires d’abeilles, de roses et de choux-fleurs, avec ou sans adjonction de cigogne. À une époque où le premier visionnage de films pornographiques se situe vers 10 ans, on mesure l’écart entre le fanatisme répressif, le militantisme LGBT et la réalité de l’information sauvage des collégiens.

J’ai écrit au début des années 2010 sur la pornographie (on vient de découvrir que la France, pays de frustration sexuelle grandissante, est l’un des premiers usagers mondiaux de Pornhub). Je proposais alors de l’interdire (c’est techniquement possible) parce que ce qui est proposé sur les « tubes » est immonde et donne une vision altérée des relations entre les sexes. Et surtout, c’est à des années-lumière de l’érotisme — littéralement, science de l’amour.

Et pour cela, point n’est besoin de profs de SVT, qui présentent le sexe selon des ormes scientifiques auxquelles nous pensons peu à l’instant décisif. Il suffit d’inciter les enseignants de Lettres, dès que l’on recommencera à les recruter en fonction de leurs connaissances littéraires et non selon leur capacité d’obéissance aux diktats des « formateurs », à utiliser la littérature pour former ces jeunes gens impatients — auxquels on redonnera ainsi le goût de la lecture, ce qui n’est pas rien. Erotisme vs pornographie, c’est le web vs la bibliothèque.

Par exemple…

Cela commence par un échange de regards, figurez-vous…
« Il en sortit quelques femmes qui se retirèrent aussitôt ; mais il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans la cour, pendant qu’un homme d’un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur, s’empressait de faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si charmante, que moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d’attention ; moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport. J’avais le défaut d’être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais, loin d’être arrêté alors par cette faiblesse, je m’avançai vers la maîtresse de mon cœur. » (Abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731)

Puis on lui prend la main — et non, ce n’est pas un viol !
« Comme le dernier coup de dix heures retentissait encore, il étendit la main, et prit celle de madame de Rênal, qui la retira aussitôt. Julien, sans trop savoir ce qu’il faisait, la saisit de nouveau. Quoique bien ému lui-même, il fut frappé de la froideur glaciale de la main qu’il prenait ; il la serrait avec une force convulsive ; on fit un dernier effort pour la lui ôter, mais enfin cette main lui resta.
Son âme fut inondée de bonheur… » (Stendhal, Le Rouge et le noir, 1830 — San-Antonio trouvait que c’était là le passage le plus érotique de toute la littérature française).

On lui parle — non sans sous-entendus, mais justement, la littérature est l’art des sous-entendus :
« Je n’attends rien… je n’espère rien. Je vous aime. Quoi que vous fassiez, je vous le répéterai si souvent, avec tant de force et d’ardeur, que vous finirez bien par le comprendre. Je veux faire pénétrer en vous ma tendresse, vous la verser dans l’âme, mot par mot, heure par heure, jour par jour, de sorte qu’enfin elle vous imprègne comme une liqueur tombée goutte à goutte, qu’elle vous adoucisse, vous amollisse et vous force, plus tard, à me répondre : « Moi aussi, je vous aime. » (Maupassant, Bel-ami, 1885)

Outre le fait que cela permet une démonstration magnifique du pouvoir des métaphores (en)filées, on a là une description attentive des processus physiologiques à l’œuvre dans une relation amoureuse. Ces histoires aquatiques de « verser », « imprègne », « liqueur », « tombée goutte à goutte » sont assez éloquentes. Et la progression à partir de « pénétrer » jusqu’à « force » en passant par « adoucisse » et « amollisse » (ah, cette pénétration dans des espaces mous…) ne vaut-elle pas mieux que les travaux pratiques d’enfilage de capote sur banane — ou même sur gode format Rocco ?

A lire aussi: Transidentité: les recommandations délirantes de la HAS

On lui parle de fleurs, et de fil en aiguille, on trouve une façon plus élégante de lui dire qu’on la désire que le simple « tu veux ou tu veux pas ? »
« Il était si timide avec elle, qu’ayant fini par la posséder ce soir-là, en commençant par arranger ses catleyas, soit crainte de la froisser, soit peur de paraître rétrospectivement avoir menti, soit manque d’audace pour formuler une exigence plus grande que celle-là (qu’il pouvait renouveler puisqu’elle n’avait pas fâché Odette la première fois), les jours suivants il usa du même prétexte. Si elle avait des catleyas à son corsage, il disait : « C’est malheureux, ce soir, les catleyas n’ont pas besoin d’être arrangés, ils n’ont pas été déplacés comme l’autre soir ; il me semble pourtant que celui-ci n’est pas très droit. Je peux voir s’ils ne sentent pas plus que les autres ? » Ou bien, si elle n’en avait pas : « Oh ! pas de catleyas ce soir, pas moyen de me livrer à mes petits arrangements. » De sorte que, pendant quelque temps, ne fut pas changé l’ordre qu’il avait suivi le premier soir, en débutant par des attouchements de doigts et de lèvres sur la gorge d’Odette, et que ce fut par eux encore que commençaient chaque fois ses caresses ; et, bien plus tard quand l’arrangement (ou le simulacre d’arrangement) des catleyas, fut depuis longtemps tombé en désuétude, la métaphore « faire catleya » devenue un simple vocable qu’ils employaient sans y penser quand ils voulaient signifier l’acte de la possession physique… » (Proust, Un amour de Swann, 1913)

Maintenant, si vous êtes du genre à refuser les circonlocutions pour dire des choses crues, il vous reste toujours la possibilité de leur faire étudier le marquis de Sade : 
« O mon amie ! dis-je à Delbène qui me questionnait, j’avoue, puisqu’il faut que je réponde avec vérité, que le membre qui s’est introduit dans mon derrière, m’a causé des sensations infiniment plus vives et plus délicates que celui qui a parcouru mon devant. » (Sade, Histoire de Juliette, 1795)

Franchement, ce serait infiniment plus instructif que l’étude des contradictions entre, théorie du genre et statut chromosomique…

Mais voilà : les profs de Lettres des quinze dernières années maîtrisent-ils tous ces chefs d’œuvre — sans parler de l’art de les expliquer ? Les ont-ils seulement lus ?

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Pol Roger, les secrets de l’or à bulles

Pol Roger est la plus petite des grandes maisons de champagne. Elle cultive la discrétion et l’art d’assembler les cépages depuis le milieu du XIXe siècle. Parmi ses illustres clients, Winston Churchill lui a toujours été fidèle. Visite exclusive de ses caves à Épernay, en compagnie de Hubert de Billy, descendant direct du fondateur.


Quand Elon Musk aura fini de vendre ses bidules, nos vignerons de Champagne continueront à fabriquer le vin des rois de France dont l’élaboration a demandé des siècles de « recherche et développement ». À quelques semaines des fêtes, je réalise que peu de gens savent vraiment comment est fabriqué le champagne, ce vin de la joie, issu pourtant d’une terre qui n’a rien de joyeux, une terre pauvre et austère couverte de brume et dont les villages ont donné leurs noms aux pires batailles de la Grande Guerre.

Nous voici à Épernay, à 144 kilomètres de Paris. L’avenue de Champagne, bordée de châteaux et d’hôtels particuliers, recouvre une vraie ville souterraine composée de 110 kilomètres de caves dans lesquelles sont stockées 200 millions de bouteilles. Pour pénétrer dans les arcanes de ce vin méconnu, j’ai pris rendez-vous avec la maison Pol Roger, la plus petite des grandes maisons de champagne (2 millions de bouteilles par an), qui est toujours, depuis sa création en 1849, une entreprise 100 % familiale et indépendante. Hubert de Billy, descendant direct de Pol Roger, a bien voulu nous recevoir, grâce à une aimable lettre de recommandation écrite par Philippe de Lur Saluces, du château de Fargues, attestant que je n’étais pas un faquin. Dans ce monde de l’aristocratie des grands vins, il faut montrer patte blanche…

Genèse d’un grand champagne

« Pol Roger, mon ancêtre, était un entrepreneur. Né au village voisin d’Aÿ, c’était un peu le dernier venu, car les grandes maisons de champagne étaient déjà fondées depuis longtemps. Il a donc construit le château, creusé les caves, acheté des terres, embauché 400 ouvriers. Surtout, il s’est associé avec Pasteur qui a piloté scientifiquement la conduite des vins. Le vrai inventeur du vin de champagne, c’est Pasteur ! Avant lui, on ne maîtrisait pas les processus de fermentation, notamment la prise de mousse. On renforçait le champagne au cognac (d’où l’association Moët-Hennessy)… »

En 1860, Pol Roger part à la conquête du marché anglais, car Londres est depuis toujours la capitale mondiale des vins. En 1877, sa maison est la première de Champagne à bénéficier du « royal warrant », ce brevet d’excellence stipulant que le produit a été approuvé par « Her Majesty the Queen ».

« Boire du Pol Roger à Londres au début du xxe siècle, nous dit Hubert de Billy, révélait un statut social. Nous avons retrouvé une facture qui prouve que Winston Churchill buvait déjà du Pol Roger en 1906, alors qu’il venait d’entrer au gouvernement en tant que vice-ministre des Colonies. Il en buvait à titre personnel une pinte à chaque repas (soit 56 cl) ! À l’époque, tout le monde buvait du champagne pendant les repas : il n’a été servi à l’apéritif qu’après la Seconde Guerre mondiale. C’est à ce moment-là que le chardonnay (vif et tranchant) a pris le dessus sur le pinot noir (ample et vineux). »

La prestigieuse cuvée Winston Churchill © Pierre Aslan

La Grande-Bretagne conquise

Le « Vieux Lion » aimait tant dans le champagne Pol Roger qu’il a donné son nom à sa plus grande cuvée. On y retrouve sa fougue, sa puissance, mais aussi une finesse crémeuse et un côté gouleyant…

En descendant dans les 11 kilomètres de caves creusées à 35 mètres de profondeur, Hubert de Billy nous explique concrètement pourquoi le vin de Champagne (et le sien en particulier) est le fruit d’un savoir-faire unique : « Le secret, c’est la garde, la lenteur. Nos vins sont élevés en bouteilles très longtemps, de quatre à dix ans au minimum, au contact des levures qui se trouvent dans le goulot : ce sont elles qui vont nourrir le vin et lui donner tout son fruit et toute sa rondeur. Pour cela, il faut tourner les bouteilles… Nous sommes l’une des dernières maisons à remuer les bouteilles manuellement. Chaque jour, quatre remueurs, qui savent “lire le vin”, tournent à la main 50 000 bouteilles chacun ! »

Après des années de gestation, les bouteilles sont alors « dégorgées à la volée » manuellement : tête en bas, on les ouvre en les redressant le plus vite possible afin que la pression expulse le dépôt sans laisser échapper trop de vin. Mis bout à bout, tous ces gestes, inventés par le génie des vignerons champenois, façonnent ce vin qui, autrefois, servait à sacrer les rois de France à Reims.

Une maison où luxe rime avec discrétion

Pol Roger est une maison discrète dont on parle peu. Elle n’a jamais « surfé » sur le marketing du moment. On ne verra donc pas Hubert de Billy poser dans ses vignes en faisant mine de labourer avec un cheval… On ne le verra pas non plus prétendre faire des champagnes provenant d’une seule parcelle (comme c’est devenu la mode). Non, pour lui, le champagne a toujours été une mosaïque de goûts, une palette de couleurs, une symphonie de parfums, dont la richesse tient à l’assemblage de dizaines de terroirs différents qui sont une photographie de la Champagne. « Dans nos caves, nous laissons d’abord les cépages s’épanouir, nous séparons les parcelles et les crus, chacun sa cuve. Puis, nous goûtons les vins l’hiver, avant le 15 janvier. Au printemps, le chef de cave commence à assembler les cépages, les parcelles et les crus. C’est un travail d’orfèvre. »

À force de croire, de dire et de répéter que le sucre est mauvais en soi, certains vignerons ont fini par « adorer l’austérité du champagne plutôt que sa sagesse » (jolie formule que j’emprunte à la grande dégustatrice anglaise Jancis Robison).

Pourquoi ce vin devrait-il être austère ? Sur le terrain du sucre, Hubert de Billy observe l’ambivalence du marché : « Bien sûr, avec le changement climatique, le raisin mûrit mieux aujourd’hui et l’on ajoute moins de sucre, mais le goût français pour les champagnes peu dosés n’est pas universel ! En Angleterre, en Asie, le palais des consommateurs n’est pas prêt à cela et veut du champagne un peu dosé. Au Japon, pendant longtemps, on exportait énormément de champagnes “brut” et “extra brut” (dosé à 0 gramme de sucre), notamment pour les mariages : les bouteilles étaient débouchées, oui, mais les gens ne finissaient pas leurs verres, c’était trop dur pour leur palais ! »

Pour les fêtes, je vous recommande la cuvée « Brut Réserve » à base de pinot noir, pinot meunier et chardonnay. C’est un beau champagne de repas, très harmonieux, avec une finale de brioche et de fruits confits. Un délice avec des coquilles Saint-Jacques aux châtaignes et aux clémentines, une volaille en croûte de sel, un beaufort d’alpage…


Champagne Pol Roger
50 euros la bouteille chez tous les bons cavistes.

Huis clos

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Stéphane Denis, auteur de plus de quarante romans, habitué des cabinets ministériels à la fin des années 1970, prix Interallié en 2001 pour Sisters, nous offre un court roman dynamique et mordant, politiquement incorrect, dont le style rappelle celui de Paul Morand lorsqu’il écrivait Ouvert la nuit. Dans ce recueil de nouvelles, Morand évoque les rapports amoureux entre les hommes et les femmes de manière assez sombre. C’est aussi un prétexte pour voyager dans une Europe brisée par la Première Guerre mondiale. Stéphane Denis, quant à lui, nous convie à assister à une conversation, souvent brillante, entre un haut fonctionnaire de l’ONU, prénommé Munzu, et une jeune archéologue fraîchement mariée, Calliope. Ils sont dans un train immobilisé au milieu d’une morne plaine d’Europe centrale. À la différence du livre de Morand, les deux personnages principaux sont à l’arrêt, menacés par les drones de la guerre toute proche et les mafias locales qui s’adonnent aux pillages. Ils ne savent pas si ce faux Orient-Express parviendra à destination : Prague. Inutile de s’étendre davantage sur la symbolique de la situation.

Calliope attend Ben, son mari géomètre, parti à la recherche de la voiture-bar. Il semble déjà l’oublier. Alors le dialogue commence entre la jeune femme et le haut fonctionnaire. Elle porte essentiellement sur les femmes, et l’expérience de Munzu éclaire la candide Calliope. Elle finit par ne plus guetter le retour de Ben. Le récit, à la fois drôle et cynique, du diplomate a en effet de quoi refroidir ses ardeurs. Stella, son ex-épouse, est décrite de façon glaçante. C’est le parangon de la castratrice. « Certaines femmes, confesse le diplomate, sont nées pour diriger la planète, intervenir, juger, censurer, mesurer, sanctionner et pardonner, et Stella était de celles-là : tout au long de notre brève vie commune, qui me paraissait curieusement, après sa mort, aussi interminable, mystérieuse et profonde que ces cours de récréation où nous avons joué à dix ans et qui sont en fait de minuscules préaux d’école ; je n’avais jamais rien pu entreprendre de grand. » Stella, qu’il a épousée en Afrique du Sud, va mourir ; puis se réincarner, à deux reprises, pour continuer de tourmenter le diplomate. Les rebondissements sont originaux et donnent du rythme à l’histoire.

Les sentiments amoureux en prennent un sacré coup. Conclusion du diplomate : « Je pense que de nombreux hommes de mon âge feront comme moi dans les années à venir ; l’amour est devenu trop dangereux pour ma génération. » C’est pourtant rassurant un homme en pantalon de velours côtelé et chaussures John Lobb, qui cite Paul Claudel, dans un train arrêté au milieu de nulle part.

Stéphane Denis jette un regard désabusé sur un monde, celui du bon goût, en voie d’oblitération. Les oukases féministes, défendus par une idéologie woke mortifère, totalement coupée de la réalité anthropologique, ne font que scléroser notre bien le plus précieux : la vie. Et pourtant, certains détails méritent qu’on s’y accroche. Exemple, à propos du jean de Calliope, la bondissante : « Sur n’importe quelle autre femme, son jean eût été un jean de plus parmi des milliards de jeans ; sur elle, il montait au ciel. » Ce petit détail vous empêche de croire à la fin du sentiment amoureux.

Stéphane Denis, La fin du sentiment amoureux, Grasset. 112 pages.

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Campagne à la découpe

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Après Algues Vertes, Inès Léraud et Pierre Van Hove s’attaquent à l’épineuse histoire du remembrement qui mit le feu aux campagnes françaises. Champs de bataille est la BD à lire et à offrir en cette fin d’année


Le mot est interdit. Incompréhensible pour les jeunes urbains. Enseveli sous l’édredon des rancœurs et des jalousies. Plaie béante chez les anciens paysans. Il y eut quelques rares gagnants et beaucoup de perdants à cette loterie nationale, ce démembrement des terres agricoles, puzzle de parcelles sur lequel l’État profond s’amusa à remodeler le territoire. Enfant du Berry, j’entendis souvent ce mot prononcé avec un mélange de tristesse et d’amertume. L’État était passé par là. Sans recours, ni prévenance pour les populations locales, avec la force brutale d’une machine administrative insensible aux enracinés de toujours.

Une monstruosité

Inès Léraud et Pierre Van Hove, avec l’appui du conseiller historique Léandre Mandard, reviennent sur l’histoire enfouie du remembrement : « À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, l’État fait redessiner les terres agricoles dans la plupart des campagnes françaises afin que les champs soient accessibles par des chemins carrossables et facilement cultivables par des machines ». Ce regroupement à marche forcée, porté par une idéologie progressiste est une politique de la terre brulée qui annonce un désastre environnemental. On arrache les talus, on élargit, on polit, on rabote, on goudronne, on « bulldozerise » mille ans d’histoire agraire pour moderniser, mécaniser et surproduire à tout va au nom du marché et des traités européens. Nous payons aujourd’hui le prix de ces dérives consuméristes et libre-échangistes. On éventre surtout les villages, on fragmente les vieilles communautés rurales ; le démembrement laisse derrière lui une plaine de désolation et des tracteurs toujours plus monstrueux.

Les auteurs de cette BD racontent la genèse et la mise en œuvre de cette opération d’envergure nationale qui veut « américaniser » l’agriculteur français et faire de lui un chef d’exploitation responsable et dans le vent. Cette mutation au forceps est un système bien huilé qui parfois se heurte aux résistances locales. La propriété privée est mise à mal. Les réfractaires au changement sont considérés comme des arriérés qui se battent pour quelques pommiers et un malheureux cours d’eau. L’État ne supportant pas les mauvais coucheurs fait appel aux compagnies de CRS et va même jusqu’à psychiatriser les opposants. Sa violence légitime l’immunise contre les injustices. C’est l’histoire d’une meurtrissure, la main d’une organisation sachante qui fera le bonheur de ses concitoyens contre leur volonté. Champs de bataille, par son enquête de terrain fouillée, n’est pas une attaque à charge qui ne serait que dénonciation et victimisation, ressassement d’une période noire. Son intérêt historique réside dans sa vision complexe et non complotiste. Bien sûr qu’il y eut des profiteurs, des syndicats complices, des conseils municipaux à la botte des plus gros exploitants, un pacte tacite entre les banques, les semenciers, la chimie, le machinisme agricole et même le secteur industriel pour transformer nos paysans en agents actifs du progrès technique et social, mais surtout il y eut des Hommes dépouillés et d’autres qui crurent sincèrement aux vertus du remodelage géographique. Il fallait nourrir la France et faire de notre pays une puissance agricole de premier plan.

Combattants de l’ombre

Aurions-nous pu faire autrement en ne saccageant par notre territoire ? Vaste débat affrontant les tenants du productivisme et ceux qui prônent le soulagement de la Terre. Ce qui fait aussi la pertinence de ce document graphique, c’est le destin de ces combattants de l’ombre. Des témoignages glaçants comme cet agriculteur qui avoue : « Aujourd’hui, j’ai 100 hectares et 85 limousines. Je ne vis pas mieux que mon grand-père qui en avait dix ». Entre les pro-remembrement et les anti-remembrement, le torchon de la discorde brûle encore, deux générations plus tard. Dans cette BD, il y a des moments déchirants où les ingénieurs agronomes ont pris le pouvoir et où le paysan déboussolé, désorienté, soumis aux directives contradictoires ne sait même plus comment se comporter avec sa propre terre ou son bétail. Il est dépossédé de son savoir ancestral. La technostructure l’a emporté. Il a perdu son bon sens paysan. Ou ce fils qui parlant de son père dit : « Il aime sa terre et il est en guerre contre elle », paradoxe que tous les enfants ruraux ressentent dans leur chair. Les auteurs soulignent également des coalitions qui brouillent les schémas habituels de lutte tout tracés : « On peut aussi retenir de Trébrivan qu’une alliance inédite entre paysans « blancs », jeunes étudiants « rouges » et militants bretons a porté ses fruits ». Quant aux regrets d‘Edgar Pisani, ministre de l’Agriculture du Général qui déclara : « J’ai favorisé le développement d’une agriculture productiviste, ce fut la plus grosse bêtise de ma vie », elle ouvre le champ de la réflexion.

Champs de bataille, l’histoire enfouie du remembrement de Inès Léraud et Pierre Van Hove – La Revue Dessinée / Delcourt 192 pages.

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Le Guignol inquiétant des Insoumis

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Rima Hassan et Jean-Luc Mélenchon, Toulouse, 1 juin 2024 © FRED SCHEIBER/SIPA

Les Insoumis disent se réjouir de la chute de Bachar al-Assad. Concernant le régime syrien, Rima Hassan était mutique jusqu’à présent. On se demande rétroactivement comment elle a pu si facilement visiter le camp palestinien de Neirab près d’Alep en mars 2024… Quant à Jean-Luc Mélenchon, il semblait carrément relativiser les exactions du dictateur pendant la guerre civile syrienne, en affirmant notamment en 2015: « Vous connaissez une guerre où les civils ne reçoivent pas de bombes ? »


Il est indispensable d’examiner avec attention les prises de position erratiques des Insoumis, en particulier celles de Jean-Luc Mélenchon et de Rima Hassan, concernant la Syrie. Ces déclarations révèlent la véritable nature d’un mouvement qui aspire pourtant à gouverner ce pays un jour.

Rima Hassan, figure médiatique et intellectuelle, illustre parfaitement cette dérive. Elle n’a jamais trouvé un mot pour dénoncer les 500 000 morts victimes des massacres, tortures et viols systématiques perpétrés par le régime syrien. Pas une seule condamnation publique de Bachar al-Assad. Sa capacité à circuler librement dans une Syrie sous contrôle du régime n’était certainement pas due au hasard. Aujourd’hui, alors que le régime vacille et que les horreurs de ses prisons éclaboussent la scène internationale, Rima Hassan change opportunément de discours. Avec une désinvolture désarmante, elle condamne désormais ceux qu’elle semblait hier encore cautionner tacitement.

Ce revirement soudain illustre parfaitement la stratégie des Insoumis : un théâtre où la cohérence se sacrifie sur l’autel de l’opportunisme idéologique. Nous sommes face à un véritable Guignol politique. Mais contrairement aux marionnettes de mon enfance lyonnaise, qui faisaient rire avec leurs batailles burlesques contre les gendarmes ou les voleurs, selon les cas, les postures contradictoires des Insoumis inquiètent.

À lire aussi, Gil Mihaely: Syrie: le nouveau casse-tête d’Israël

Pour Rima Hassan et ses compagnons de route, Assad fut un temps le « résistant héroïque » contre l’Occident honni. Mais lorsque le vent tourne, Assad devient le « méchant », et les rebelles, naguère discrédités, deviennent les nouvelles figures de la vertu. Peu importe la vérité, pourvu qu’ils puissent clamer être du « bon côté de l’Histoire ».

Derrière ce spectacle se dissimule une menace bien plus insidieuse : l’intolérance déguisée en vertu. Une forme larvée de totalitarisme infiltre les esprits, particulièrement au sein d’une jeunesse éduquée mais désorientée, terrorisée à l’idée de se marginaliser en exprimant des opinions divergentes. Là où la pensée critique devrait être encouragée, elle se trouve étouffée par la peur du lynchage social et l’uniformité des opinions.

Le discours des Insoumis repose sur une vision simpliste et manichéenne : ils se posent en champions autoproclamés du Bien, affrontant un Mal omniprésent, qu’il s’agisse d’Israël diabolisé et « génocidaire », des puissances occidentales ou du « capitalisme impérialiste ». Mais sous cet affichage moral se cache une mécanique dangereuse, qui reproduit les travers des idéologies totalitaires. Héritiers d’un communisme dévoyé et complices tacites des régimes autoritaires, ils séduisent une jeunesse en quête d’idéal mais souvent privée de discernement et d’esprit critique.

Rima Hassan s’enveloppe dans l’aura de l’exil et de la lutte palestinienne, cherchant à capitaliser sur le prestige moral des opprimés. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il alterne les postures de révolutionnaire en chef, brandissant tour à tour le drapeau rouge de 1793 et l’ombre romantique du Che. Pour Rima Hassan, Alger n’est pas seulement une ville : c’est une Mecque révolutionnaire mythifiée. Pourtant, derrière ces figures se cachent des acteurs d’une pantomime dérisoire, profitant d’un vide civilisationnel où le réel est soigneusement ignoré. Ce sont des Guignols dangereux, capables de séduire une jeunesse en quête d’idéal mais trop souvent privée de discernement. Leur pantomime risque d’accoucher de lendemains sombres : non pas des jours heureux, mais un monde où le pire des obscurantismes se dissimule derrière les oripeaux de la vertu. Au-delà des slogans, leur discours prépare le terrain à des lendemains qui déchantent.  Non pas ceux d’une révolution utopique abolissant l’argent roi, comme ils le prétendent, mais ceux d’un renforcement des influences obscurantistes et liberticides.

Vive Henri IV!

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L'Entrée triomphale d'Henri IV dans Paris, Paul Rubens, vers 1627. DR.

Le jour de la passation de pouvoirs à Matignon, on fêtait le 471e anniversaire de la naissance d’Henri IV. Le nouveau Premier ministre a consacré deux ouvrages à ce célèbre souverain natif de Pau.


Un tableau de Rubens le montre sur son cheval blanc entrer triomphalement à Paris. Après avoir abjuré la religion de sa mère et embrassé celle de son père, tout frais sacré à Notre-Dame de Chartres, le Béarnais a foncé à Paris, à Notre-Dame, non sans avoir lancé la phrase apocryphe « Paris vaut bien une messe. » Te Deum, la foule crie sur le parvis « Vive le Roi ! Vive Henri IV ! Vive la paix ! » Même si les Ligueurs catholiques grondent encore au sein même de la cathédrale, le bon roi Henri vient de mettre fin aux guerres civiles et religieuses qui déchirent le pays depuis trois décennies.

Un 13 décembre 2024, jour anniversaire de la naissance de Henri IV, un autre Béarnais, François Bayrou, foule, à 17 heures, les pavés de la cour de l’Hôtel Matignon, pour la passation de pouvoir avec le Premier ministre sortant. Il n’a qu’une seule idée en tête : rétablir la paix et redresser la France. A peine nommé, n’a-t-il pas eu une pensée pour le roi de la poule au pot qui lui a inspiré deux livres fort réussis ? Le Savoyard salua non sans humour, dans le Béarnais « une fraîcheur roborative. »

A lire aussi: Bayrou de secours

Le Béarnais l’a dit tout de suite. On va dire la vérité aux Français sans tortiller du ruban. La France est dans une situation grave. Il faut redresser le pays financièrement, économiquement, politiquement, moralement. Un gouvernement de réconciliation s’impose avec l’union de la droite et de la gauche (hors LFI), l’union des centristes et des macronistes autour d’un socle commun. Autant dire « un gouvernement désintéressé, pluraliste et cohérent, issu de personnalités de caractère. »

A peine nommé, du MEDEF à la CPME en passant par l’U2P (sic) on s’est réjoui. Le PS et les écolos ont sorti « leurs lignes rouges ». Le RN a été sobre. Dans la foulée, on apprend la dégradation, par Moody’s, de la note souveraine de la France d’un cran,en raison de la « fragmentation politique du pays susceptible d’empirer ». C’est clair, non ?

Un vent nouveau se lèverait-il sur la France ? Est-ce l’adieu à l’esprit woke ? L’« effet cathédrale » ? Depuis la visite de Donald à Notre-Dame, a-t-on remarqué que l’on dit moins dans les médias « les Françaises et les Français » ? On n’a pas dit « les pompiers et les pompières. » On n’ose toujours pas « les médecins et les médecines. » L’histoire de France semble revenir en force. Quel homme d’Etat n’évoque amoureusement les figures du passé dans lesquelles il s’incarne ? Dans son discours à Notre-Dame, le président Macron aurait même, selon les dires journalistiques « convoqué la transcendance » !

Souhaitons bon vent au Premier ministre et à son futur gouvernement. Et entonnons, avec « fraîcheur », un couplet de la chanson, écrite à la gloire de Henri IV, par Charles Collé, et connue de tous les Français « Au diable les guerres/ Rancunes et partis ! Comme nos pères/ Chantons en vrais amis / Au choc des verres / Les roses et les lys ».

À bon entendeur…

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Le double discours de François Bayrou, faux réconciliateur

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Le Premier ministre François Bayrou tient un point presse au ministère de l'Intérieur concernant la situation à Mayotte, Paris, 14 décembre 2024 © Chang Martin/SIPA

Le nouveau Premier ministre assure être en capacité de retrouver le peuple perdu. Pourtant, il est en même temps connu pour être un partisan du « front républicain »… Le commentaire d’Ivan Rioufol.


La liesse populaire corse, qui a accueilli dimanche le pape François à Ajaccio, fait ressortir l’éloignement de la classe politique insincère. Qui imaginerait une telle ferveur pour Emmanuel Macron, par exemple ? Dès lors, se comprend mieux le choix du Souverain pontife de bouder la mondaine réouverture de Notre-Dame de Paris, avec un clergé relooké aux couleurs de Castelbajac. Là où, à Paris, la foule des chrétiens anonymes a été tenue à distance des puissants, elle a pu cette fois s’approcher au plus près du pape. Lui-même s’est d’ailleurs montré sensible à cette proximité physique avec une piété enracinée. Le Vatican et l’Église corse ont relégué le chef de l’État à un rang inusité de second rôle, lui laissant en fin de journée l’espace d’un court entretien avec François dans une salle d’aéroport.

Aveuglement

Analysant peu auparavant la crise de confiance que connait la politique, François Bayrou, tout juste nommé Premier ministre vendredi, a eu raison de déplorer « le mur de verre » qui sépare les citoyens du pouvoir. Le diagnostic, à vrai dire, n’est guère original. Il n’en reste pas moins que le biographe d’Henri IV, qui s’est donné un destin présidentiel, a promis d’œuvrer à une « réconciliation nécessaire ». La question est de savoir si son centrisme affiché, qui ne compte que 36 députés (Modem), peut accompagner la radicalisation rageuse de Macron, qui veut écarter ceux qui réclament son départ anticipé. A s’en tenir au parcours sinueux de Bayrou, soutien du chef de l’État depuis 2017 et partisan du « front républicain » contre LFI et le RN, il est permis de douter, au vu de son double discours, de sa capacité à retrouver le peuple perdu.

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Le macronisme est un canard sans tête. Et Bayrou est la perpétuation de la doctrine présidentielle, construite sur l’opposition entre progressisme et populisme. Il en partage l’aveuglement dogmatique sur les questions civilisationnelles nées du bradage de la souveraineté nationale. Derrière la nonchalante ambition du provincial, littéraire et fidèle en amitiés comme le fut François Mitterrand, se dissimule un madré pour qui sa fin personnelle importe avant tout. C’est lui qui en 2012 appela à voter François Hollande contre Nicolas Sarkozy, à qui il reprocha « sa course à l’extrême droite » et ses « obsessions » sur l’immigration et les frontières. Européiste comme Macron, il exècre « l’exaltation de la nation ».

Quel sort sera réservé à M. Retailleau ?

Dans un entretien au Figaro le 28 mars 2007, alors candidat à la présidentielle, il assurait, en dépit des faits : « Même dans la plus lointaine banlieue, on est heureux d’être français, on est républicain, on croit à la devise « Liberté, Egalité, Fraternité », et aux valeurs qu’elle porte ». S’il a certes donné son parrainage à Marine Le Pen en 2022, qu’il recevra en premier ce lundi, il a avalisé le cordon sanitaire. Vendredi, lors de la passation de pouvoir avec Michel Barnier, il a dit vouloir « rendre des chances à ceux qui n’en ont pas », en mêlant ceux des « quartiers » et des « villages ». Or ces deux mondes aussi s’opposent. Henri IV, voulant mettre fin à la guerre entre catholiques et protestants, avait lancé son fameux : « Paris vaut bien une messe ! ». Le Béarnais ira-t-il jusqu’à prôner de semblables accommodements avec la charia (« La France vaut bien quelques sourates ! ») au nom de la réconciliation avec l’islamisme des banlieues ? Si Bruno Retailleau accepte de rester au ministère de l’Intérieur, comment cela semble probable, il devra se garder d’avaliser les compromissions macroniennes. Le Premier ministre en est le spécialiste.

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Bayrou de secours

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Passation de pouvoir entre Michel Barnier et le nouveau Premier ministre Francois Bayrou, Paris, 13 décembre 2024 © Jacques Witt/SIPA

À peine nommé à Matignon, François Bayrou doit gérer la crise à Mayotte. Il entend cependant se libérer du temps pour composer un gouvernement resserré « de personnalités » d’ici Noël. Il annonce qu’il sera « un Premier ministre de plein exercice et de complémentarité ». Explications.


Nous assistons là, avec l’entrée dans l’écurie Matignon de qui vous savez, à la promotion d’un matériel tout à fait particulier, la roue de secours. Mais une roue de secours singulière, à peu près adaptable à tout modèle, de toute marque, toujours prête à servir sous le premier pavillon venu. On vit la recrue nouvelle remplir cet office dans la team Royal, en 2007, sans véritable succès, il est vrai. On assista de nouveau à une prestation du même ordre, visant en l’occurrence à faciliter la victoire de l’équipe Hollande. C’était en 2012. Cette fois avec un peu plus de réussite, mais, on s’en souvient, un bilan de course des plus calamiteux au franchissement de la ligne, la sauce hollandaise ayant rapidement viré vinaigre.

De nouveau, nous retrouvons notre pièce de recours au départ du grand prix de 2017, écurie Macron en la circonstance. Et là, le franc succès. La couronne de lauriers au cou du plus jeune compétiteur de tous les temps et l’Élysée pour paddock. Le jackpot. De quoi se sentir digne d’un tout autre rôle que celui d’une banale option d’assistance. De quoi se dire qu’il n’est que temps que la roue – l’autre, celle du destin – tourne enfin.

Mais il faudra là encore faire preuve de patience. Une bien longue patience. Sept ans. Sept ans à rouler pour rien ou si peu, et puis voilà que s’opère l’ouverture, que survient la brèche par où se faufiler. Je veux dire le grand carambolage électoral qui rebat radicalement les cartes, révolutionne quasiment de fond en combles la grille de départ. Mais, patatras, le grand vainqueur de 2017, oublieux des services rendus, rechignant à récompenser comme il se doit tant de serviles vertus, se prend à lorgner du côté d’un matériel plus jeune, au parcours tout de même moins sinueux. À trop prendre de virages, il est vrai, la roue s’use, obère sa tenue de route, devient fort peu fiable, imprévisible, dangereuse donc.

Cette fois, en elle l’ambition ne fait qu’un tour. La bonne vieille roue ne se dégonfle pas : « Ce sera moi ou je fais un malheur », menace-t-elle le matin du jour fatidique, forçant ainsi le boss de l’écurie à avaler son chapeau. Pardon, son melon. Et c’est bien là l’évènement  le plus plaisant de ce grand cirque. Les dernières feuilles de lauriers, tombant, fanées, flétries, de la glorieuse couronne de 2017. Comme sous l’effet d’une paire de baffes. Paire de baffes dont on ne peut pas dire, d’ailleurs, qu’elle soit totalement imméritée…

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Puis vient l’heure de gloire, la roue se métamorphose en conquérant au panache blanc. Et c’est la passation de pouvoir dans la cour de Matignon. Les montagnards sont là. Barnier, le Savoyard. Bayrou, le Pyrénéen. L’Himalaya s’invite dans le propos lorsque le nouveau venu évoque la difficulté de la tâche qui l’attend. Doit-on comprendre à cela qu’un Beauceron, un homme de la plaine n’aurait pas fait l’affaire ? Une allusion, très fine (si, si) le laisserait penser. « Se débarrasser de ses charges (comprendre de la dette de dingue) sur ses enfants, c’est mal vu dans les contrées de montagne », assure le bleu. Probablement qu’ailleurs on s’en tape ? Nous sommes donc entre montagnards mais aussi entre vieux de la vieille. L’arrivant se plaît à rappeler que tous deux se côtoient depuis les Rénovateurs, groupe de jeunes loups de la politique des années 89-90, dents longues, idées courtes, s’imaginant que leur jeunesse (relative) valait légitimité et badge d’accès direct au pouvoir. Puis, dans l’air frisquet de cette cour, qui n’est pas sans rappeler, dixit le sortant, celui de la Savoie et des Pyrénées (puisqu’on vous dit qu’on est entre hommes des sommets) se poursuit la prise de parole de l’impétrant. Une sorte de prédication en l’occurrence. Modestement, l’orateur tient à mentionner qu’il a su prendre dans sa carrière des « risques inconsidérés », n’hésitant pas, par exemple, à brandir le spectre de la dette, cela au cœur même de campagnes électorales pour des présidentielles. Baste ! Quelle audace ! Aussi se sent-il de taille à regarder la situation de la France « les yeux ouverts, sans timidité ». Devant notre écran, nous sommes impressionnés. Nous n’avions jamais entendu de telles choses lors de précédentes passations de mistigri. Pas à dire, ça claque ! « Situation héritée de décennies entières », analyse le nouveau Premier ministre, là encore très finement. (Décennies durant lesquelles peut-être bien avait-il trekking sur les pentes de l’Himalaya pour excuse?) Quant à l’aggravation de ladite situation, elle ne serait due qu’à « l’accumulation des crises de ces dernières années ». En aucune façon à une quelconque impéritie du pouvoir en place depuis sept ans, vous l’aurez compris. En bon vieux briscard du sérail qu’il est, le promu n’ignore pas qu’un petit coup de déni par-ci, par-là, n’est pas sans utilité et n’a jamais fait de mal à un politique qui entend durer. D’ailleurs cela ne l’empêche nullement de s’engager à toujours parler vrai et clair. Pour que le bon peuple comprenne enfin ce qu’on lui veut, je suppose. C’est ce qui a manqué, n’est-ce pas, ces derniers temps : nous ne pigions pas assez bien les actions de génie qu’on menait pour nous. Débiles profonds que nous sommes ! D’ailleurs, pour améliorer la comprenoire nationale, l’homme « pense à l’École » dont, revendique-t-il, « il s’est occupé de nombreuses années ». Au vu de l’état dans lequel elle se trouve aujourd’hui, est-ce vraiment rassurant ?…

Enfin, bien que baignant dans l’euphorie de la victoire, le nouveau maître de Matignon n’oublie pas de manifester sa gratitude. Non pas à l’adresse de M. Macron, comme on pouvait s’y attendre, mais à l’endroit d’Henri IV, son ami, peut-être même son seul ami. Le roi de la réconciliation nationale. Ce qu’il veut être lui-même, justement, un prince de la réconciliation. Le savoyard Barnier aurait bien aimé tenir ce rôle lui aussi, mais un certain Attal-Ravaillac est venu le poignarder dans le dos avant qu’il n’en ait eu le loisir. Souhaitons au Béarnais un destin plus heureux. Celui-ci a déclaré par ailleurs qu’il serait un Premier ministre de plein exercice et de complémentarité. De plein exercice, soit. Mais de complémentarité ? Que comprendre ? Ne serions-nous pas devant une espèce de recyclage larvé du en-même temps ? À ce propos, il a déclaré aussi que ceux qui voudraient écrire le récit d’une quelconque rivalité entre l’Élysée et Matignon seraient déçus. Mais on notera qu’il n’a rien dit d’une éventuelle guéguerre d’homme à homme, entre Macron et lui. Finaud le Béarnais. Habile l’homme roue de secours.

Cela dit, nous autres pauvres Français du ras des pâquerettes, ce que nous attendons de ce montagnard-là est qu’il nous fasse descendre de ce maudit manège de montagnes russes sur lequel nous sommes embarqués malgré nous depuis des mois. La nausée nous monte aux lèvres. Et la colère, la vraie, la rude, l’incontrôlable n’est sans doute pas loin. Aussi, faudra-t-il certainement plus que la promesse d’une poule au pot le dimanche pour calmer le jeu.

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Images truquées. Réseaux sociaux.

Des photos coquines de Madonna avec le pape suscitent un tollé…


Je rassure tous les catholiques, ces images publiées sur Instagram sont générées par l’intelligence artificielle. On voit le pape François serrer dans ses bras l’icône pop court-vêtue de dentelle noire, peut-être tenter de l’embrasser et loucher dans son décolleté. Cela n’est certes pas très catholique, mais il n’y a rien de très satanique non plus. On est loin des caricatures de Charlie Hebdo montrant le pape en position scabreuse.

http://twitter.com/ThePopTingz/status/1867685876710748264

Flopée de réactions outragées. C’est irrespectueux, c’est scandaleux…

Certes, c’est une provocation sans risque. Madonna n’aurait pas fait ça avec un rabbin par peur d’être traitée d’antisémite, et certainement pas avec un imam par peur d’un coup de couteau ou pire. Mais, je comprends mal que des catholiques s’énervent autant pour un blasphème de bac à sable.

Puis-je comprendre que ça les blesse ? Évidemment, mais eux savent la chance de vivre dans des sociétés sécularisées où ce qui est à César est à César et ce qui est à Dieu est à Dieu (un principe d’ailleurs chrétien, issu de la Bible). Le corollaire, c’est qu’on a le droit de se moquer de Dieu (qui doit avoir le cuir plus épais que ce qu’on croit).

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En Corse, le Pape François nous a donné hier une leçon de laïcité expliquant qu’elle devait être comme-ci ou comme-ça. La laïcité tout-court, ça suffit. Cela signifie que les croyants acceptent non seulement que les autres ne partagent pas leur foi, mais aussi qu’ils rigolent de ce qui est sacré pour eux. C’est ça la France. C’est la souffrance de la liberté. On accepte d’être choqué par les croyances et par les idées des autres. J’accepte bien de vivre-ensemble avec les Insoumis et leurs âneries… Et puis le catholicisme en connait un rayon sur les tourments de la chair.

Aujourd’hui, plus personne n’ose se moquer du dieu des musulmans, ni même dire qu’on a le droit de le faire, vu le risque de riposte violente de simplets ou de fanatiques. Et c’est ça que voudraient les catholiques, qu’on ait peur d’eux, qu’on les traite comme des enfants susceptibles, qu’on tourne sa langue mille fois avant de faire une blague ? C’est le contraire : ce n’est pas aux catholiques de se mettre à l’heure de la susceptibilité des musulmans, mais aux musulmans de bénéficier du même traitement ! La preuve qu’on les respecte, qu’ils sont des citoyens égaux, c’est qu’on peut se payer leur tête sans avoir la peur au ventre. Et puis si Dieu existe, quel qu’il soit, il doit vraiment en avoir marre d’être aimé par des cons (hommage à Cabu)…

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud Radio avec Jean-Jacques Bourdin

Leur dernière chance…

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Francois Bayrou. Forum démocratique du Modem. Seignosse, France le 16 septembre 2007 © CHAMUSSY/SIPA

En décrochant Matignon, le centriste Bayrou tient sa revanche et se voit offrir l’ultime possibilité de démontrer ce qu’il vaut vraiment.


Que François Bayrou ait été nommé Premier ministre dans la matinée du 13 décembre est loin de me déplaire par rapport à ce qu’on pouvait craindre des élucubrations présidentielles.

Mais la manière vaudevillesque dont la chose s’est faite, le passage de Sébastien Lecornu à François Bayrou dans la tête du président en quelques heures, montre à quel point, depuis sept ans, les nominations et les promotions ont plus relevé d’un jeu de hasard, d’une reconnaissance clientéliste que de choix mûrement réfléchis et acceptables. Certes sur un mode moins caricatural mais il n’empêche que rétrospectivement on ne peut qu’avoir froid dans le dos à l’idée des risques qui ont été pris.

François Bayrou, dans un rapport de force qu’il a gagné, s’est imposé au président de la République. Pour l’un et l’autre, il va s’agir de leur dernière chance.

Pour Emmanuel Macron, cela va de soi. Si Bayrou échoue, si une motion de censure renverse son gouvernement, je vois mal ce que le président pourra opposer aux blocages cette fois irréversibles dont la responsabilité initiale lui revient et à la constatation que son départ anticipé serait le seul remède.

Appréhension d’un bilan

Pour le maire de Pau, ce sera aussi l’ultime possibilité de démontrer ce qu’il vaut vraiment. Sans qu’on puisse douter de ses ombres ou de ses lumières : les unes et les autres ne prêteront plus à discussion.

François Bayrou, âgé de 73 ans, est moqué par certains parce qu’il n’aurait rien accompli durant quatre ans au ministère de l’Éducation nationale puis comme haut-commissaire au Plan. D’autres l’accusent de trahisons, lui reprochant d’avoir voté, à titre personnel, pour François Hollande en 2012 au détriment de Nicolas Sarkozy dont le quinquennat l’avait déçu, et choisi, en 2017, Emmanuel Macron contre François Fillon.

Outre qu’il est toujours navrant de voir des citoyens tourner en dérision des responsables politiques qui les dépassent de cent coudées, l’outrance avec laquelle on appréhende le bilan de François Bayrou et certaines de ses positions est injuste. Pour ces dernières, on oublie le courage qu’il lui a fallu pour les faire passer avant le conformisme et la solidarité automatique qu’on attendait de lui.

Par ailleurs, pour qui connaît le parcours de François Bayrou et sa vocation centriste depuis le début, il conviendrait par honnêteté de placer sur le plateau positif de sa balance le lanceur d’alerte qu’il a été, notamment pour la gravité de la dette ainsi que pour le scandale démocratique de l’arbitrage Sarkozy-Tapie-Lagarde. Et son attachement constant pour une vie républicaine apaisée qu’il n’estimait possible que grâce à un dépassement de la gauche et de la droite.

Aussi la haine de Simone Veil à son encontre avait été mal comprise !

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Faire sortir le centrisme de l’opportunisme

Quand François Bayrou a permis à Emmanuel Macron d’être élu en 2017, son soutien était parfaitement cohérent avec ce qu’il avait sans cesse pensé et martelé. Au point qu’on pouvait parfois questionner la validité d’une politique qui semblait ne s’attacher qu’aux modalités du débat public. Il faut convenir qu’il est demeuré un homme, durant les sept années de macronisme, à la fois libre, indépendant mais fidèle. Parfois critique mais argumentant souvent en faveur du président. Il avait un passé à faire valoir pour arracher Matignon à la force de son désir…

Sa volonté acharnée de faire sortir le centrisme de l’opportunisme et de l’inconsistance programmatique doit lui être reconnue. Sa vision du centre était pugnace, sans concession et, de fait, infiniment plus difficile à assumer que le confort de s’abandonner aux extrêmes. J’ai particulièrement apprécié le Bayrou de cette époque, qui avait su redonner leur fierté à une cause et à un camp trop longtemps discrédités pour leur mollesse.

François Mitterrand a abusé de ces attaques faciles.

En même temps, F. Mitterrand qui était avare de compliments – même si tactiquement il disait à chacun de ses soutiens et de ses fidèles qu’il était le meilleur, même Jean-Luc Mélenchon en a bénéficié ! -, n’a jamais hésité à faire part de son estime pour la personnalité de François Bayrou, parce que celui-ci brillait par le verbe et la culture, ayant dominé courageusement un bégaiement.

« Un Himalaya de difficultés » en perspective…

Pour ma part, je ne dirai pas que je l’ai bien connu – ce serait outrecuidant – mais suffisamment côtoyé toutefois pour pouvoir offrir un témoignage sur sa tolérance et son souci de la liberté d’expression. À plusieurs reprises, il m’a convié à faire un discours à l’université d’été du MoDem, à Guidel, en pleine conscience du caractère libre et imprévisible de mon propos public. Je me souviens de son écoute et de son attention. Quand plus tard il a affirmé, devant un autre parti, que « penser tous la même chose ce n’était plus penser », j’ai retrouvé avec bonheur et nostalgie un état d’esprit dont il m’avait fait bénéficier.

Premier ministre, comme il l’a déclaré en réponse à Michel Barnier il va affronter « un Himalaya de difficultés ». Sa tâche est immense. Tout ce qu’on est en droit de demander, de la part de ses adversaires comme de ses alliés, est qu’on le traite comme il le mérite : gravement, sérieusement, avec respect. Sans les moindres dérisions ni abaissement.

Qu’on n’oublie pas que ce sera la dernière chance, au président comme à lui, pour la France et les Français.

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Apprenons l’érotisme à nos enfants!

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DR.

La polémique sur l’éducation à la sexualité a enflé durant tout ce mois, opposant la fugace ministre de l’Éducation, Anne Genetet, au non moins évanescent ministre à la Réussite scolaire, Alexandre Portier. Elle a donné quelques idées à notre chroniqueur, à qui rien de ce qui concerne l’érotisme n’est étranger. Attention, cette chronique est déconseillée aux moins de 18 ans.


La polémique ne date pas d’hier. Le souci d’une information sur la sexualité remonte au début du XXe siècle : on n’avait pas encore inventé la pénicilline pour juguler les maladies sexuellement transmissibles qui dévastaient alors la France, tout faisait craindre qu’un grand nombre d’hommes ne soient plus disponibles pour les prochaines guerres.

Information et éducation sexuelle

Ce souci s’estompe dans les années 1950, on en est désormais, en plein baby-boom, au souci d’une éducation sur la reproduction : c’est celle que je reçus, de la part d’une prof de Sciences peroxydée, avec des flotteurs avant et arrière qui nous faisaient croire abondamment à sa compétence en la matière. Le Summer of flower puis Mai 68 passant par-là, le très rigide Joseph Fontanet se fend d’une circulaire en juillet 1973 qui distingue l’information sexuelle, intégrée dans les cours de « Sciences Nat’ », comme on disait alors, et l’éducation sexuelle, facultative, à organiser en dehors des heures de cours : à noter que contraception et avortement se faufilent naturellement dans des programmes encore un peu légers.

Dans les années 1980, SIDA oblige, on mit davantage l’accent sur la prévention — et on commença à parler de capotes, même si une campagne prévue pour décembre 1988 fut retardée jusqu’en janvier, l’archevêché de Paris ayant fait comprendre au Premier ministre, Michel Rocard, que l’utilisation ciblée du latex ou du polyuréthane était incompatible avec les fêtes de Noël (on disait encore « Noël » à cette époque).

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Diverses circulaires précisant les contenus de cet enseignement virent le jour dans les années 1990, jusqu’à ce que la loi du 4 juillet 2001 impose « une information et une éducation à la sexualité dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène ».

En 2016, un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE) a révélé que l’obligation des trois séances annuelles était respectée dans une minorité d’écoles et d’établissements. Fatalitas ! Tant d’élèves privés de ces séances instructives sur l’enfilage de capotes sur des bananes…

La porno-révolution

On voit qu’on est resté assez loin du « Kama-Sutra pour adolescents » que fustigent (oh oui, encore !) les organisations traditionnalistes, qui en sont manifestement restées à des histoires d’abeilles, de roses et de choux-fleurs, avec ou sans adjonction de cigogne. À une époque où le premier visionnage de films pornographiques se situe vers 10 ans, on mesure l’écart entre le fanatisme répressif, le militantisme LGBT et la réalité de l’information sauvage des collégiens.

J’ai écrit au début des années 2010 sur la pornographie (on vient de découvrir que la France, pays de frustration sexuelle grandissante, est l’un des premiers usagers mondiaux de Pornhub). Je proposais alors de l’interdire (c’est techniquement possible) parce que ce qui est proposé sur les « tubes » est immonde et donne une vision altérée des relations entre les sexes. Et surtout, c’est à des années-lumière de l’érotisme — littéralement, science de l’amour.

Et pour cela, point n’est besoin de profs de SVT, qui présentent le sexe selon des ormes scientifiques auxquelles nous pensons peu à l’instant décisif. Il suffit d’inciter les enseignants de Lettres, dès que l’on recommencera à les recruter en fonction de leurs connaissances littéraires et non selon leur capacité d’obéissance aux diktats des « formateurs », à utiliser la littérature pour former ces jeunes gens impatients — auxquels on redonnera ainsi le goût de la lecture, ce qui n’est pas rien. Erotisme vs pornographie, c’est le web vs la bibliothèque.

Par exemple…

Cela commence par un échange de regards, figurez-vous…
« Il en sortit quelques femmes qui se retirèrent aussitôt ; mais il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans la cour, pendant qu’un homme d’un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur, s’empressait de faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si charmante, que moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d’attention ; moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport. J’avais le défaut d’être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais, loin d’être arrêté alors par cette faiblesse, je m’avançai vers la maîtresse de mon cœur. » (Abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731)

Puis on lui prend la main — et non, ce n’est pas un viol !
« Comme le dernier coup de dix heures retentissait encore, il étendit la main, et prit celle de madame de Rênal, qui la retira aussitôt. Julien, sans trop savoir ce qu’il faisait, la saisit de nouveau. Quoique bien ému lui-même, il fut frappé de la froideur glaciale de la main qu’il prenait ; il la serrait avec une force convulsive ; on fit un dernier effort pour la lui ôter, mais enfin cette main lui resta.
Son âme fut inondée de bonheur… » (Stendhal, Le Rouge et le noir, 1830 — San-Antonio trouvait que c’était là le passage le plus érotique de toute la littérature française).

On lui parle — non sans sous-entendus, mais justement, la littérature est l’art des sous-entendus :
« Je n’attends rien… je n’espère rien. Je vous aime. Quoi que vous fassiez, je vous le répéterai si souvent, avec tant de force et d’ardeur, que vous finirez bien par le comprendre. Je veux faire pénétrer en vous ma tendresse, vous la verser dans l’âme, mot par mot, heure par heure, jour par jour, de sorte qu’enfin elle vous imprègne comme une liqueur tombée goutte à goutte, qu’elle vous adoucisse, vous amollisse et vous force, plus tard, à me répondre : « Moi aussi, je vous aime. » (Maupassant, Bel-ami, 1885)

Outre le fait que cela permet une démonstration magnifique du pouvoir des métaphores (en)filées, on a là une description attentive des processus physiologiques à l’œuvre dans une relation amoureuse. Ces histoires aquatiques de « verser », « imprègne », « liqueur », « tombée goutte à goutte » sont assez éloquentes. Et la progression à partir de « pénétrer » jusqu’à « force » en passant par « adoucisse » et « amollisse » (ah, cette pénétration dans des espaces mous…) ne vaut-elle pas mieux que les travaux pratiques d’enfilage de capote sur banane — ou même sur gode format Rocco ?

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On lui parle de fleurs, et de fil en aiguille, on trouve une façon plus élégante de lui dire qu’on la désire que le simple « tu veux ou tu veux pas ? »
« Il était si timide avec elle, qu’ayant fini par la posséder ce soir-là, en commençant par arranger ses catleyas, soit crainte de la froisser, soit peur de paraître rétrospectivement avoir menti, soit manque d’audace pour formuler une exigence plus grande que celle-là (qu’il pouvait renouveler puisqu’elle n’avait pas fâché Odette la première fois), les jours suivants il usa du même prétexte. Si elle avait des catleyas à son corsage, il disait : « C’est malheureux, ce soir, les catleyas n’ont pas besoin d’être arrangés, ils n’ont pas été déplacés comme l’autre soir ; il me semble pourtant que celui-ci n’est pas très droit. Je peux voir s’ils ne sentent pas plus que les autres ? » Ou bien, si elle n’en avait pas : « Oh ! pas de catleyas ce soir, pas moyen de me livrer à mes petits arrangements. » De sorte que, pendant quelque temps, ne fut pas changé l’ordre qu’il avait suivi le premier soir, en débutant par des attouchements de doigts et de lèvres sur la gorge d’Odette, et que ce fut par eux encore que commençaient chaque fois ses caresses ; et, bien plus tard quand l’arrangement (ou le simulacre d’arrangement) des catleyas, fut depuis longtemps tombé en désuétude, la métaphore « faire catleya » devenue un simple vocable qu’ils employaient sans y penser quand ils voulaient signifier l’acte de la possession physique… » (Proust, Un amour de Swann, 1913)

Maintenant, si vous êtes du genre à refuser les circonlocutions pour dire des choses crues, il vous reste toujours la possibilité de leur faire étudier le marquis de Sade : 
« O mon amie ! dis-je à Delbène qui me questionnait, j’avoue, puisqu’il faut que je réponde avec vérité, que le membre qui s’est introduit dans mon derrière, m’a causé des sensations infiniment plus vives et plus délicates que celui qui a parcouru mon devant. » (Sade, Histoire de Juliette, 1795)

Franchement, ce serait infiniment plus instructif que l’étude des contradictions entre, théorie du genre et statut chromosomique…

Mais voilà : les profs de Lettres des quinze dernières années maîtrisent-ils tous ces chefs d’œuvre — sans parler de l’art de les expliquer ? Les ont-ils seulement lus ?

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Pol Roger, les secrets de l’or à bulles

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Hubert de Billy, cinquième génération de la famille Pol Roger, devant la statue de Winston Churchill qui buvait une pinte de champagne à chaque repas ! © Pierre Aslan

Pol Roger est la plus petite des grandes maisons de champagne. Elle cultive la discrétion et l’art d’assembler les cépages depuis le milieu du XIXe siècle. Parmi ses illustres clients, Winston Churchill lui a toujours été fidèle. Visite exclusive de ses caves à Épernay, en compagnie de Hubert de Billy, descendant direct du fondateur.


Quand Elon Musk aura fini de vendre ses bidules, nos vignerons de Champagne continueront à fabriquer le vin des rois de France dont l’élaboration a demandé des siècles de « recherche et développement ». À quelques semaines des fêtes, je réalise que peu de gens savent vraiment comment est fabriqué le champagne, ce vin de la joie, issu pourtant d’une terre qui n’a rien de joyeux, une terre pauvre et austère couverte de brume et dont les villages ont donné leurs noms aux pires batailles de la Grande Guerre.

Nous voici à Épernay, à 144 kilomètres de Paris. L’avenue de Champagne, bordée de châteaux et d’hôtels particuliers, recouvre une vraie ville souterraine composée de 110 kilomètres de caves dans lesquelles sont stockées 200 millions de bouteilles. Pour pénétrer dans les arcanes de ce vin méconnu, j’ai pris rendez-vous avec la maison Pol Roger, la plus petite des grandes maisons de champagne (2 millions de bouteilles par an), qui est toujours, depuis sa création en 1849, une entreprise 100 % familiale et indépendante. Hubert de Billy, descendant direct de Pol Roger, a bien voulu nous recevoir, grâce à une aimable lettre de recommandation écrite par Philippe de Lur Saluces, du château de Fargues, attestant que je n’étais pas un faquin. Dans ce monde de l’aristocratie des grands vins, il faut montrer patte blanche…

Genèse d’un grand champagne

« Pol Roger, mon ancêtre, était un entrepreneur. Né au village voisin d’Aÿ, c’était un peu le dernier venu, car les grandes maisons de champagne étaient déjà fondées depuis longtemps. Il a donc construit le château, creusé les caves, acheté des terres, embauché 400 ouvriers. Surtout, il s’est associé avec Pasteur qui a piloté scientifiquement la conduite des vins. Le vrai inventeur du vin de champagne, c’est Pasteur ! Avant lui, on ne maîtrisait pas les processus de fermentation, notamment la prise de mousse. On renforçait le champagne au cognac (d’où l’association Moët-Hennessy)… »

En 1860, Pol Roger part à la conquête du marché anglais, car Londres est depuis toujours la capitale mondiale des vins. En 1877, sa maison est la première de Champagne à bénéficier du « royal warrant », ce brevet d’excellence stipulant que le produit a été approuvé par « Her Majesty the Queen ».

« Boire du Pol Roger à Londres au début du xxe siècle, nous dit Hubert de Billy, révélait un statut social. Nous avons retrouvé une facture qui prouve que Winston Churchill buvait déjà du Pol Roger en 1906, alors qu’il venait d’entrer au gouvernement en tant que vice-ministre des Colonies. Il en buvait à titre personnel une pinte à chaque repas (soit 56 cl) ! À l’époque, tout le monde buvait du champagne pendant les repas : il n’a été servi à l’apéritif qu’après la Seconde Guerre mondiale. C’est à ce moment-là que le chardonnay (vif et tranchant) a pris le dessus sur le pinot noir (ample et vineux). »

La prestigieuse cuvée Winston Churchill © Pierre Aslan

La Grande-Bretagne conquise

Le « Vieux Lion » aimait tant dans le champagne Pol Roger qu’il a donné son nom à sa plus grande cuvée. On y retrouve sa fougue, sa puissance, mais aussi une finesse crémeuse et un côté gouleyant…

En descendant dans les 11 kilomètres de caves creusées à 35 mètres de profondeur, Hubert de Billy nous explique concrètement pourquoi le vin de Champagne (et le sien en particulier) est le fruit d’un savoir-faire unique : « Le secret, c’est la garde, la lenteur. Nos vins sont élevés en bouteilles très longtemps, de quatre à dix ans au minimum, au contact des levures qui se trouvent dans le goulot : ce sont elles qui vont nourrir le vin et lui donner tout son fruit et toute sa rondeur. Pour cela, il faut tourner les bouteilles… Nous sommes l’une des dernières maisons à remuer les bouteilles manuellement. Chaque jour, quatre remueurs, qui savent “lire le vin”, tournent à la main 50 000 bouteilles chacun ! »

Après des années de gestation, les bouteilles sont alors « dégorgées à la volée » manuellement : tête en bas, on les ouvre en les redressant le plus vite possible afin que la pression expulse le dépôt sans laisser échapper trop de vin. Mis bout à bout, tous ces gestes, inventés par le génie des vignerons champenois, façonnent ce vin qui, autrefois, servait à sacrer les rois de France à Reims.

Une maison où luxe rime avec discrétion

Pol Roger est une maison discrète dont on parle peu. Elle n’a jamais « surfé » sur le marketing du moment. On ne verra donc pas Hubert de Billy poser dans ses vignes en faisant mine de labourer avec un cheval… On ne le verra pas non plus prétendre faire des champagnes provenant d’une seule parcelle (comme c’est devenu la mode). Non, pour lui, le champagne a toujours été une mosaïque de goûts, une palette de couleurs, une symphonie de parfums, dont la richesse tient à l’assemblage de dizaines de terroirs différents qui sont une photographie de la Champagne. « Dans nos caves, nous laissons d’abord les cépages s’épanouir, nous séparons les parcelles et les crus, chacun sa cuve. Puis, nous goûtons les vins l’hiver, avant le 15 janvier. Au printemps, le chef de cave commence à assembler les cépages, les parcelles et les crus. C’est un travail d’orfèvre. »

À force de croire, de dire et de répéter que le sucre est mauvais en soi, certains vignerons ont fini par « adorer l’austérité du champagne plutôt que sa sagesse » (jolie formule que j’emprunte à la grande dégustatrice anglaise Jancis Robison).

Pourquoi ce vin devrait-il être austère ? Sur le terrain du sucre, Hubert de Billy observe l’ambivalence du marché : « Bien sûr, avec le changement climatique, le raisin mûrit mieux aujourd’hui et l’on ajoute moins de sucre, mais le goût français pour les champagnes peu dosés n’est pas universel ! En Angleterre, en Asie, le palais des consommateurs n’est pas prêt à cela et veut du champagne un peu dosé. Au Japon, pendant longtemps, on exportait énormément de champagnes “brut” et “extra brut” (dosé à 0 gramme de sucre), notamment pour les mariages : les bouteilles étaient débouchées, oui, mais les gens ne finissaient pas leurs verres, c’était trop dur pour leur palais ! »

Pour les fêtes, je vous recommande la cuvée « Brut Réserve » à base de pinot noir, pinot meunier et chardonnay. C’est un beau champagne de repas, très harmonieux, avec une finale de brioche et de fruits confits. Un délice avec des coquilles Saint-Jacques aux châtaignes et aux clémentines, une volaille en croûte de sel, un beaufort d’alpage…


Champagne Pol Roger
50 euros la bouteille chez tous les bons cavistes.

Huis clos

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L'écrivain français Stéphane Denis © JF Paga

Stéphane Denis, auteur de plus de quarante romans, habitué des cabinets ministériels à la fin des années 1970, prix Interallié en 2001 pour Sisters, nous offre un court roman dynamique et mordant, politiquement incorrect, dont le style rappelle celui de Paul Morand lorsqu’il écrivait Ouvert la nuit. Dans ce recueil de nouvelles, Morand évoque les rapports amoureux entre les hommes et les femmes de manière assez sombre. C’est aussi un prétexte pour voyager dans une Europe brisée par la Première Guerre mondiale. Stéphane Denis, quant à lui, nous convie à assister à une conversation, souvent brillante, entre un haut fonctionnaire de l’ONU, prénommé Munzu, et une jeune archéologue fraîchement mariée, Calliope. Ils sont dans un train immobilisé au milieu d’une morne plaine d’Europe centrale. À la différence du livre de Morand, les deux personnages principaux sont à l’arrêt, menacés par les drones de la guerre toute proche et les mafias locales qui s’adonnent aux pillages. Ils ne savent pas si ce faux Orient-Express parviendra à destination : Prague. Inutile de s’étendre davantage sur la symbolique de la situation.

Calliope attend Ben, son mari géomètre, parti à la recherche de la voiture-bar. Il semble déjà l’oublier. Alors le dialogue commence entre la jeune femme et le haut fonctionnaire. Elle porte essentiellement sur les femmes, et l’expérience de Munzu éclaire la candide Calliope. Elle finit par ne plus guetter le retour de Ben. Le récit, à la fois drôle et cynique, du diplomate a en effet de quoi refroidir ses ardeurs. Stella, son ex-épouse, est décrite de façon glaçante. C’est le parangon de la castratrice. « Certaines femmes, confesse le diplomate, sont nées pour diriger la planète, intervenir, juger, censurer, mesurer, sanctionner et pardonner, et Stella était de celles-là : tout au long de notre brève vie commune, qui me paraissait curieusement, après sa mort, aussi interminable, mystérieuse et profonde que ces cours de récréation où nous avons joué à dix ans et qui sont en fait de minuscules préaux d’école ; je n’avais jamais rien pu entreprendre de grand. » Stella, qu’il a épousée en Afrique du Sud, va mourir ; puis se réincarner, à deux reprises, pour continuer de tourmenter le diplomate. Les rebondissements sont originaux et donnent du rythme à l’histoire.

Les sentiments amoureux en prennent un sacré coup. Conclusion du diplomate : « Je pense que de nombreux hommes de mon âge feront comme moi dans les années à venir ; l’amour est devenu trop dangereux pour ma génération. » C’est pourtant rassurant un homme en pantalon de velours côtelé et chaussures John Lobb, qui cite Paul Claudel, dans un train arrêté au milieu de nulle part.

Stéphane Denis jette un regard désabusé sur un monde, celui du bon goût, en voie d’oblitération. Les oukases féministes, défendus par une idéologie woke mortifère, totalement coupée de la réalité anthropologique, ne font que scléroser notre bien le plus précieux : la vie. Et pourtant, certains détails méritent qu’on s’y accroche. Exemple, à propos du jean de Calliope, la bondissante : « Sur n’importe quelle autre femme, son jean eût été un jean de plus parmi des milliards de jeans ; sur elle, il montait au ciel. » Ce petit détail vous empêche de croire à la fin du sentiment amoureux.

Stéphane Denis, La fin du sentiment amoureux, Grasset. 112 pages.

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Campagne à la découpe

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© Éditions Delcourt, 2024 — Léraud, Van Hove

Après Algues Vertes, Inès Léraud et Pierre Van Hove s’attaquent à l’épineuse histoire du remembrement qui mit le feu aux campagnes françaises. Champs de bataille est la BD à lire et à offrir en cette fin d’année


Le mot est interdit. Incompréhensible pour les jeunes urbains. Enseveli sous l’édredon des rancœurs et des jalousies. Plaie béante chez les anciens paysans. Il y eut quelques rares gagnants et beaucoup de perdants à cette loterie nationale, ce démembrement des terres agricoles, puzzle de parcelles sur lequel l’État profond s’amusa à remodeler le territoire. Enfant du Berry, j’entendis souvent ce mot prononcé avec un mélange de tristesse et d’amertume. L’État était passé par là. Sans recours, ni prévenance pour les populations locales, avec la force brutale d’une machine administrative insensible aux enracinés de toujours.

Une monstruosité

Inès Léraud et Pierre Van Hove, avec l’appui du conseiller historique Léandre Mandard, reviennent sur l’histoire enfouie du remembrement : « À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, l’État fait redessiner les terres agricoles dans la plupart des campagnes françaises afin que les champs soient accessibles par des chemins carrossables et facilement cultivables par des machines ». Ce regroupement à marche forcée, porté par une idéologie progressiste est une politique de la terre brulée qui annonce un désastre environnemental. On arrache les talus, on élargit, on polit, on rabote, on goudronne, on « bulldozerise » mille ans d’histoire agraire pour moderniser, mécaniser et surproduire à tout va au nom du marché et des traités européens. Nous payons aujourd’hui le prix de ces dérives consuméristes et libre-échangistes. On éventre surtout les villages, on fragmente les vieilles communautés rurales ; le démembrement laisse derrière lui une plaine de désolation et des tracteurs toujours plus monstrueux.

Les auteurs de cette BD racontent la genèse et la mise en œuvre de cette opération d’envergure nationale qui veut « américaniser » l’agriculteur français et faire de lui un chef d’exploitation responsable et dans le vent. Cette mutation au forceps est un système bien huilé qui parfois se heurte aux résistances locales. La propriété privée est mise à mal. Les réfractaires au changement sont considérés comme des arriérés qui se battent pour quelques pommiers et un malheureux cours d’eau. L’État ne supportant pas les mauvais coucheurs fait appel aux compagnies de CRS et va même jusqu’à psychiatriser les opposants. Sa violence légitime l’immunise contre les injustices. C’est l’histoire d’une meurtrissure, la main d’une organisation sachante qui fera le bonheur de ses concitoyens contre leur volonté. Champs de bataille, par son enquête de terrain fouillée, n’est pas une attaque à charge qui ne serait que dénonciation et victimisation, ressassement d’une période noire. Son intérêt historique réside dans sa vision complexe et non complotiste. Bien sûr qu’il y eut des profiteurs, des syndicats complices, des conseils municipaux à la botte des plus gros exploitants, un pacte tacite entre les banques, les semenciers, la chimie, le machinisme agricole et même le secteur industriel pour transformer nos paysans en agents actifs du progrès technique et social, mais surtout il y eut des Hommes dépouillés et d’autres qui crurent sincèrement aux vertus du remodelage géographique. Il fallait nourrir la France et faire de notre pays une puissance agricole de premier plan.

Combattants de l’ombre

Aurions-nous pu faire autrement en ne saccageant par notre territoire ? Vaste débat affrontant les tenants du productivisme et ceux qui prônent le soulagement de la Terre. Ce qui fait aussi la pertinence de ce document graphique, c’est le destin de ces combattants de l’ombre. Des témoignages glaçants comme cet agriculteur qui avoue : « Aujourd’hui, j’ai 100 hectares et 85 limousines. Je ne vis pas mieux que mon grand-père qui en avait dix ». Entre les pro-remembrement et les anti-remembrement, le torchon de la discorde brûle encore, deux générations plus tard. Dans cette BD, il y a des moments déchirants où les ingénieurs agronomes ont pris le pouvoir et où le paysan déboussolé, désorienté, soumis aux directives contradictoires ne sait même plus comment se comporter avec sa propre terre ou son bétail. Il est dépossédé de son savoir ancestral. La technostructure l’a emporté. Il a perdu son bon sens paysan. Ou ce fils qui parlant de son père dit : « Il aime sa terre et il est en guerre contre elle », paradoxe que tous les enfants ruraux ressentent dans leur chair. Les auteurs soulignent également des coalitions qui brouillent les schémas habituels de lutte tout tracés : « On peut aussi retenir de Trébrivan qu’une alliance inédite entre paysans « blancs », jeunes étudiants « rouges » et militants bretons a porté ses fruits ». Quant aux regrets d‘Edgar Pisani, ministre de l’Agriculture du Général qui déclara : « J’ai favorisé le développement d’une agriculture productiviste, ce fut la plus grosse bêtise de ma vie », elle ouvre le champ de la réflexion.

Champs de bataille, l’histoire enfouie du remembrement de Inès Léraud et Pierre Van Hove – La Revue Dessinée / Delcourt 192 pages.

Champs de bataille: L'Histoire enfouie du remembrement

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