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Gauche désunie

La gauche a des prétentions au pouvoir gouvernemental qu’elle justifie en prétendant que, à la différence de la droite, elle est unie. Sur le terrain, la réalité est souvent très différente.


Depuis les dernières Législatives, le NFP se roule par terre en couinant qu’on lui a volé l’élection qu’il n’a pas gagné. Pour pouvoir réclamer ce qui ne lui est pas dû, celui-ci a donc mis au point un conte pour enfants : la gauche serait la seule à pouvoir gérer la situation parlementaire parce qu’elle sait s’unir et qu’elle a la plus grosse coalition ! Le problème c’est que sur le terrain, cela ne marche pas. La preuve par Malakoff. Cette ville, dirigée par un élu communiste depuis 1925, est la preuve qu’il existe bien deux gauches irréconciliables mais qui ont encore besoin l’une de l’autre pour remporter des élections. Ces deux gauches se haïssent au point que les élus majoritaires de Malakoff se donnent maintenant rendez-vous dans les tribunaux. C’est ainsi que la maire PC, Jacqueline Belhomme a attaqué pour diffamation son adjoint à la culture LFI, Anthony Toueilles, qui lui a effectivement accroché une belle cible dans le dos en la traitant «d’islamophobe» et en l’accusant de relayer la communication de l’extrême-droite. 

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Pourquoi ? Parce que la Maire a partagé le visuel de Femmes, Vies, Liberté, le mouvement de soutien aux Iraniennes qui luttent contre l’apartheid sexuel. Elles le font en faisant de leur tête nue, le marqueur de la liberté retrouvée. Or, en Europe, les islamistes et la partie de la gauche qui les sert tiennent à présenter le voile comme une liberté. Non seulement la révolte des Iraniennes gêne leur propagande, mais elle montre l’aporie de la convergence des luttes. A Malakoff, l’édile communiste incarne une gauche traditionnelle et sociale, apte à séduire une partie des classes moyennes. Une gauche dont LFI veut la disparition au profit de l’alliance avec les islamistes et la population issue de l’immigration que ceux-ci ont infusés. LFI applique donc au PC les méthodes de déshumanisation qu’elle pratique envers tous ceux qu’elle considère comme des obstacles, quand elle a le sentiment de pouvoir s’en passer. Difficile de s’en émouvoir tant tout cela était prévisible. 

Panne sèche en haut lieu

Nicolas Idier connaît bien les cabinets ministériels. Dans Matignon la nuit, une plume du Premier ministre n’a que quelques heures pour rédiger un discours, et ses collègues ne sont pas pressés de l’aider.


Écrire, pour Nicolas Idier, c’est mettre de l’ordre dans le désordre du monde. Le romancier de La Musique des pierres (Gallimard, 2014) se place délibérément dans l’intervalle entre son intimité – par essence secrète – et l’extérieur, entre ce qu’il est et ce qui est, ce qui advient. Toute sa singularité, en somme, consiste à ne pas seulement se replier sur soi. Sans dénigrer pour autant l’autofiction, Idier emprunte une voie intermédiaire : il cherche à rapprocher le grand tout, si difficile à appréhender, de son petit « moi ». L’intervalle, pour Idier, c’est le mouvement. Un pas dedans, un pas dehors. Son voyage intérieur a un prix, celui de la connaissance, et partant, de la mécanique du monde. L’écriture, alors, est son véhicule.

L’écrasante majorité des romanciers immédiatement contemporains ont déserté la politique. Ils ont tort tant elle est une affaire de langage. Idier, qui fut une plume de Jean Castex, l’a bien compris. D’où ce nouveau roman drôle, lucide, dense, ironique, érudit et renseigné.

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C’est la nuit, à Matignon, au premier étage du 57, rue de Varenne. Le narrateur, un « conseiller technique discours » sans pouvoir – et qui plus est sur le départ –, est chargé de trouver dans l’urgence les mots justes à mettre, pour le lendemain, dans la bouche du Premier ministre. Il s’agit de désamorcer une situation parmi d’autres : des migrants, en désespoir de cause, sont perchés au sommet d’éoliennes entre Peuplingues et Sangatte dans le nord de la France. Certes, la langue est le lieu d’un combat mais « que peuvent les mots face à la souffrance de ces rescapés du pire » ? Bref, notre « sous-plume, comme il y a des sous-mains », lequel boit du saké junmai dans un mug «House of Cards», est obsédé par un portrait d’Alain Robbe-Grillet que le puissant Mobilier national a accroché, comme un «contre-modèle», face à celui du président de la République dans le bureau des conseillers. C’est un littéraire, notre narrateur, un lecteur de Segalen, de Mao, d’Aragon et de bien d’autres. Bon, il est sec pour son discours, pas de « punchlines » en ligne de mire, il téléphone à Sollers au motif que ce dernier a écrit un recueil de chroniques sous le titre Discours parfait. L’auteur de Femmes attaque direct : «La France moisie est de retour.» Puis, avant de raccrocher alors que le sous-plume lui confessait, comme un appel au secours, qu’il était en panne d’inspiration : « Lorsque quelque chose d’essentiel se passe, le temps est là et a tendance, en suivant la courbure de l’espace-temps, à devenir infini. » C’est cette courbe que notre antihéros n’arrive plus à suivre ! Que faire ? Recourir à la cartomancie ? S’en remettre à Conrad, le conseiller en chef, qui lui conseille de méditer une formule de Sénèque, « le chaos vous tire », pour débloquer la situation ? Ou s’adjoindre les conseils de Lena, l’influente conseillère communication dont l’épaule est tatouée d’une maxime de Joubert, «le plus beau des courages, c’est d’être heureux»?

Les lieux de pouvoir sont hantés par des ambitions désavouées.

Retour à Kensington

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Noël et Hanouka: des fêtes de lumière

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Les fêtes de Noël et de Hanouka ont de nombreux points communs et, cette année, elles surviennent le même jour. Pourtant, entre le Vatican et Israël, les tensions sont grandes, et le Pape semble se plier en quatre pour éviter les accusations d’islamophobie.


L’une a lieu le 25 décembre d’un calendrier solaire, l’autre le 25 Kislev d’un calendrier lunaire et il arrive, comme cette année, que le jour de Noël coïncide avec le premier jour de Hanouka. Ce n’est pas le seul point commun entre ces deux fêtes. Elles sont des occasions de cadeaux, une ancienne tradition pour Noël, qui a récupéré le prestige d’un évêque du passé, Saint Nicolas de Myre, alias le père Noël, une habitude plus récente pour Hanouka où le cadeau était une simple toupie à quatre faces avec l’initiale d’un mot hébreu sur chacune: nes gadol haya, un grand miracle a eu lieu. Mais la dernière lettre était un «Shin» (pour Sham, là-bas) sur la toupie (ou dreidel) d’Europe centrale, alors que c’est un «Pe» pour «Po» ici, sur le sevivon israélien. Une lettre qui change beaucoup de choses….

Si importants soient-ils, les cadeaux ne sont pas tout. Noël et Hanouka sont des fêtes de la lumière. Pour Noël, c’est la remontée du soleil victorieux, «sol invictus» des Romains, qui a déterminé la date de la fête. Pour Hanouka, c’est le miracle de la petite fiole d’huile pure retrouvée dans le Temple de Jérusalem profané, qui a permis au candélabre de luire pendant huit jours.

Les deux fêtes empruntent la même métaphore de la lumière: pour les Chrétiens, Jésus est la lumière du monde, pour les Juifs, la lumière est la lutte pour faire émerger un monde meilleur.

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Au cours de l’histoire,  d’autres significations de ces fêtes se sont ajoutées  Ce ne sont pas les mêmes.

Noël est devenu le symbole de la paix. Jésus en est le Prince, suivant une expression reprise du prophète Isaïe et dans l’évangile de Luc, sa naissance est associée à une promesse de paix. A la Noël 191,4 on a vu dans des tranchées d’improbables et brèves fraternisations entre combattants ennemis.

Hanouka est plus ambivalente: la fête repose sur un événement historiquement daté (164 avant l’ère chrétienne), la réinauguration du Temple (c’est le sens du mot Hanouka) repris par les troupes de Judas Macchabée. Mais l’aspect guerrier de l’événement a été oblitéré au profit du miracle de la fiole d’huile. Celui-ci n’est pas signalé dans les livres des Macchabées, qui sont considérés comme apocryphes par la tradition rabbinique et n’apparaissent pas dans les écrits de Qumran. La primauté donnée au pouvoir divin sur les exploits militaires humains reflète les conflits entre les pharisiens et plusieurs rois hasmonéens.

Mais ces exploits pour la défense et pour la survie nationale du peuple juif résonnent fortement dans l’histoire contemporaine d’Israel. De plus Hanouka, c’était le moment où chaque famille affirmait fièrement son identité juive en illuminant sa maison aux yeux d’un monde souvent hostile. Il n’est pas étonnant que cette fête soit devenue l’une des plus unitaires du judaisme.

Cette année 2024, Noël et Hanouka sont survenus dans un cadre de relations tendues, c’est le moins qu’on puisse dire, entre Israël et le Vatican.

Pour réaliser une crèche de Noël sur la place Saint Pierre, le Vatican a sollicité deux artistes de Bethléem. Un membre de l’Ambassade palestinienne y a ajouté un keffieh dans lequel le petit Jésus s’est trouvé enveloppé. C’est ainsi que le Pape a inauguré la crèche. Quelques jours plus tard, devant l’ampleur des critiques, le keffieh a été enlevé.

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Le Pape s’est prêté là à une triple confusion.  Confusion des  chrétiens de Bethléem et des habitants de Gaza, quasiment tous musulmans. A Bethléem même, les chrétiens, naguère près de 90% de la population, sont à peine plus de 10% aujourd’hui, et la pression de l’islamisme n’est pas pour rien dans cette disparition.

Ensuite, emblématisation abusive des Palestiniens comme les faibles parmi les faibles, en ligne avec la préférence du Pape François pour une Eglise des pauvres, que symbolise l’adoration des bergers devant la famille misérable de l’enfant Jésus.

Enfin, Jésus serait un enfant palestinien, les Juifs n’auraient donc rien à faire sur cette terre. C’est la thèse martelée par Mahmoud Abbas, la vieille thèse des Khazars. Elle a été démolie par les études de population qui confirment le lien génétique des Juifs européens avec le Moyen Orient, mais Abbas sait qu’une image de Jésus au keffieh est plus efficace que cent travaux scientifiques contraires. Et il ne faut pas compter sur lui pour rappeler que la circoncision au huitième jour de vie est une pratique juive, même si elle s’appelle en l’occurence le Jour de l’An chrétien.

Une étude récente de l’institut Memri dévoile l’ampleur des persécutions subies par les chrétiens face aux mouvements islamistes, mais le Pape François semble tétanisé par l’accusation d’islamophobie lancée contre Benoit XVI, quand celui-ci en 2006 dans un discours devant un parterre académique à Ratisbonne, avait rapporté une simple phrase d’un empereur byzantin sur la violence de l’islam. 

C’est ainsi que François, quand il manifeste sa solidarité aux chrétiens d’Orient le 7 octobre 2024, se contente d’écrire, un an après le 7 octobre 2023, que «ce jour-là la mèche de la haine a été allumée» sans jamais utiliser les mots massacres, Hamas, Juifs  ou otages. 

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Certes, il a demandé la libération des otages dans d’autres circonstances et il n’y a pas de motif, au regard de sa vie, de l’accuser d’antisémitisme. Il est normal qu’il soit inquiet des souffrances de la population de Gaza. Mais comment le Pape peut-il refuser de voir ou craindre de dire que l’idéologie mortifère du Hamas est la cause première de ces souffrances?

Et comment peut-il laisser planer l’hypothèse d’un génocide à Gaza, alors qu’il devrait savoir mieux que d’autres que l’intention génocidaire est consubstantielle à l’existence d’un génocide et que cette intention n’existe pas ici: ce qui existe, ce sont les tragiques réalités de la guerre.

C’est là où la préférence absolue pour la paix, quelles qu’en soient ses conséquences et ses modalités, peut être aussi une arme de destruction. C’est là où le message de Hanouka diverge de celui de Noel, lequel ne fut  d’ailleurs jamais respecté par la chrétienté.

 Les anges ont des mains blanches, mais, pour paraphraser Camus, ont-ils encore des mains?

Les contre-vérités de Jean-Pierre Lledo

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Suite à la publication de l’article de Jean-Pierre Lledo sur le site de Causeur, le 26 décembre, Benjamin Stora, professeur des universités, a demandé le droit de réponse afin de réfuter les accusations qui y sont portées contre lui.


Le journal Causeur vient de publier le 26 décembre 2024 sur son site un long article diffamatoire sur ma vie et mes travaux, signé de Jean-Pierre Lledo.

Avant de répondre, sur un plan factuel, aux graves accusations qui sont portées contre moi, je voudrais préciser deux points :

Je subis depuis de nombreuses années des violentes attaques antisémites publiées, en Algérie sur des sites comme Algérie patriotique (pas moins de huit articles qui m’attaquent en tant que juif) ; en France dans diverses publications comme Riposte Laïque (dans lequel écrit régulièrement monsieur Lledoremettant en cause ma qualité d’historien, en me traitant « d’historien officiel », ou « d’historien de cour ».

Pendant que Jean-Pierre Lledo était militant du Parti communiste algérien pendant de nombreuses années (de l’indépendance de l’Algérie en 1962 à son départ du pays en 1993,) il n’a cessé de défendre en Algérie les différents pouvoirs qui se sont succédé : de celui de Houari Boumedienne, à celui de Chadli Bendjédid. Pendant toute cette longue période, je ne l’ai pas rencontré dans tous les combats que j’ai menés à cette époque : la défense des militants du « Printemps berbère » en 1980; le combat contre le code de la famille en 1983 ; les luttes pour la construction de la Ligue algérienne des droits de l’homme commencée en 1984 ; la campagne pour la libération des militants arrétés en 1985…. Et je pourrais poursuivre la longue liste des combats menés où je n’ai jamais croisé Jean-Pierre Lledo.

J’ajoute que, dès 1978, j’ai soutenu ma thèse sur Messali Hadj, premier travail qui remettait en cause le discours officiel algérien véhiculé par le FLN alors au pouvoir (et tous ceux qui le soutenaient). Il est vrai qu’à cette époque Jean-Pierre Lledo faisait ses études à Moscou où il a obtenu un diplôme d’état de cinéma en 1976. Avec l’historien Mohammed Harbi et d’autres historiens algériens, j’ai élaboré un dictionnaire biographique de 600 militants, grâce aussi à l’aide de militants d’opposition, comme Hocine Ait Ahmed ou Mohamed Boudiaf. A ce moment, j’ai également publié une biographie de Ferhat Abbas, écrite avec le concours de la famille de Ferhat Abbas (qui était un ami de ma famille à Khenchela). Tous ces livres biographiques de responsables algériens ont été interdits en Algérie, et monsieur Lledo qui vivait dans ce pays n’a jamais protesté.

Dans mon documentaire, Les Années algériennes, diffusé en 1991, j’ai été le premier historien à faire découvrir l’horrible massacre de Melouza perpétré en mai 1957 par une unité de l’ALN, sur 374 villageois, soupçonnés de sympathies messalistes qui ont été égorgés. Mais Jean-Pierre Lledo n’a rien dit à ce moment-là sur ce documentaire, vivement critiqué dans la presse algérienne, alors qu’il vivait en Algérie.

Revenons maintenant sur quelques faits énoncés dans cette longue diatribe.

Jean-Pierre Lledo ne cite aucun de mes livres autobiographiques, Les Clés retrouvées une enfance juive à Constantine (Ed Stock) ; Les trois exils (publiés il y a vingt ans), ou L’Arrivée, de Constantine à Paris, où je raconte le pogrom antijuif du 5 aout 1934 à Constantine, par des musulmans, et l’assassinat de Raymond Leyris en juin 1961, par un membre du FLN (également raconté dans mon documentaire, Notre histoire, diffusé en 2012).

Il ne cite pas l’exposition, « Juifs d’Orient », dont j’ai été le commissaire général qui relate le départ des juifs du monde arabe (l’exposition s’est tenue à Paris à l’Institut du Monde arabe en 2022) ; il ne cite pas l’exposition, « Les Juifs de France, du temps colonial à nos jours », dont j’ai été le commissaire général au Musée d’histoire de l’immigration avec Mathias Dreyfus et Karima Direche….. Il ne cite pas, non plus, l’exposition « Juifs d’Algérie », dont j’ai été un des responsables scientifiques, avec Raphaël Draï et Jacob Oliel (exposition au Musée d’Art et d’Histoire du judaisme, 2012), qui traite de la vie quotidienne des juifs en terre d’Islam et sous la colonisation française… La liste est longue des « oublis » de monsieur Lledo qui déforme volontairement tous mes travaux, comme par exemple, aussi, les documentaires (le dernier en date a été réalisé avec Georges Marc Benamou, en 2022).

J’ajouterai que pour le rapport demandé par le Président de la République française en 2020 et remis en janvier 2021, Jean-Pierre  Lledo ne cite pas (encore) parmi les préconisations formulées, la demande d’excuses au sujet du massacre d’Européens du 26 mars 1962 de la rue d’Isly ; ainsi que la demande de reconnaissance sur les massacres de harkis. J’invite donc monsieur Lledo à lire ce rapport, publié par les éditions Albin Michel en 2021. A ces deux préconisations, le Président de la République a répondu favorablement par un discours prononcé à l’Elysée le 19 mars 2022, en demandant « pardon aux pieds-noirs, et aux harkis ». J’ai formulé d’autres préconisations, qui demandent aussi la reconnaissance de crimes commis par l’armée française (commis sur Maurice Audin, Ali Boumendjel ou Larbi Ben M’hidi,) et que la France vient de reconnaitre officiellement.

Je pourrais encore continuer longuement à énumérer la liste des mensonges, contre-vérités de toutes sortes que l’on trouve dans ce texte.

Je voudrai terminer en disant que j’ai pris position pour la libération de Boualem Sansal dès l’annonce de son arrestation, sur ma page X (Twitter) (et j’invite à regarder ma page, et la date) ; que j’ai immédiatement publié la déclaration de la LDH, et signé la pétition de la Revue politique et parlementaire demandant sa libération.

Voilà près d’un demi-siècle que je travaille sur l’histoire de l’Algérie contemporaine, travail commencé sous la direction de René Rémond, en 1974 puis en devenant Professeur des universités en 1991, avec une thèse d’Etat soutenue sous la direction du Professeur Ageron. Et depuis longtemps, je continue ce combat pour m’approcher au plus près de la vérité historique, en me défendant contre les faussaires de l’histoire.

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DROIT DE REPONSE
Dans mon article publié sur Causeur.fr
du 26 décembre 2024, j’avais accusé l’historien B. Stora d’avoir dans une chaîne publique tiré sur l’ambulance (en l’occurrence l’écrivain algérien Boualem Sansal, emprisonné depuis le 16 Novembre). Loin d’être un lapsus, cela trahissait une volonté de ne pas déplaire aux pouvoirs algériens. Je le prouvais par trois exemples, de surcroît personnels. Dans sa réponse, Stora n’y a rien trouvé à objecter. Par contre, il s’est livré à un pitoyable exercice de désinformation concernant ma personne.
1 – « Riposte Laïque (dans lequel écrit régulièrement monsieur Lledo) ».
Faux Mr Stora, Wikipédia vous a induit en erreur ! J’ai mis fin à ma collaboration, il y a plus de 10 ans, ayant eu à y subir une censure, leur combat contre le tropisme envers l’islamisme restant estimable. 
2 – « Militant du Parti communiste algérien pendant de nombreuses années (de l’indépendance de l’Algérie en 1962 à son départ du pays en 1993), Lledo n’a cessé de défendre en Algérie les différents pouvoirs qui se sont succédés, de Boumédiène à Chadli.»
En 1962, j’avais 14 ans ! De plus en Novembre 1962, le PCA qui voulait se reconstituer, fut interdit. Par contre en 1965, à 17 ans, j’adhère à l’ORP (Organisation de la résistance populaire) qui combat le coup d’Etat de Boumédiène. En 1967, étudiant à Paris et à Nanterre, j’adhère au syndicat des étudiants algériens (UNEA), et au PAGS (‘’Parti de l’avant-garde socialiste’’ qui se veut le continuateur du PCA). Ne me sentant pas ‘’français’’, cette adhésion à deux organisations interdites en Algérie, était une manière pour moi de m’inscrire simultanément dans l’algérianité et dans la contestation, puisqu’en Algérie, comme dans le reste du monde arabo-musulman, un Juif qui aspire à une vie active dans la cité ne peut trouver place que dans les partis communistes, un des rares lieux de multiethnicité. 
Ceci dit, je quitte le PAGS fin 1990. Légalisé en 1989, comme les autres partis, je m’aperçois vite que les services de sécurité l’ont pénétré par tous ses pores, et ce, jusqu’à sa direction. De plus dans la lutte contre l’islamisme, je refuse l’allégeance aveugle à l’armée.
Désinformer cinq fois en une seule phrase, à quoi il faudrait ajouter votre invitation à lire votre Rapport à M. Macron, alors que dans mon texte initial je signalai ma critique parue dans la Revue politique et parlementaire, cela ne suffit-il pas à vous classer dans la catégorie de que j’appelle ‘’les historiens de l’à-peu-près’’ ? 
3 – « Pendant toute cette longue période, je ne l’ai pas rencontré dans tous les combats que j’ai menés à cette époque ».
Moi non plus. Depuis 1967, je ne vous ai pas rencontré dans tous les combats menés à cette époque, et, dans mon cas, dans des organisations algériennes, que ce soit à Paris (1967-69), à Moscou (69-76), à Alger (1976-1993), puis à nouveau Paris, contre l’islamisme (1993-2011). Si l’enquête loyale avait encore fait partie de votre arsenal d’historien, vous auriez pu apprendre quel a été mon rôle en Algérie dans l’organisation des cinéastes, la seule à refuser la tutelle FLN et qui résista jusqu’en 1987, puis dans le RAIS (Rassemblement des artistes, intellectuels et scientifiques, 1983-1993) qui rassemblait plus de 3000 personnes pour la liberté d’expression et pour la reconnaissance de l’identité berbère, puis dans le Comité contre la Torture (1988-93), enfin contre le nouveau fascisme vert…
Toujours accro à Wikipédia, vous tenez à signaler que j’ai été étudiant de cinéma à Moscou. Sachez donc qu’après concours, j’ai eu l’honneur d’être choisi par Mikhael Romm, chez qui étudièrent quelques années plus tôt Tarkovski et Kontchalovski, si ces noms vous disent quelque chose.
Et quand vous vous vantez d’avoir défendu des militants du « Printemps berbère » en 1980 et œuvré à la libération des militants arrêtés en 1985, mes amis kabyles me disent n’en avoir rien jamais su… 
Enfin grâce au témoignage d’un de vos anciens amis trotskystes-lambertistes, cet autre Juif d’Algérie, Jacques Simon, je constate que pendant que nous essayions d’empêcher le FIS (Front Islamique du Salut) de prendre le pouvoir, vous le légitimiez: « Dans son Appel du 1er novembre 1954, le FLN ne se fixait-il pas au départ, comme but de son combat, ‘’l’indépendance nationale, par la restauration de l’État algérien souverain, démocratique et social, dans le cadre des principes islamiques’’ ? L’islamisme algérien se présente comme le stade suprême du nationalisme. Un front (le FIS) chasse l’autre. », L’Express, 29 juin 1990. Ou alors dans Jeune Afrique (27 juin/3 juillet 1990): « La victoire du FIS est l’aboutissement de la logique indépendantiste née dans cette contre-société. En ce sens, les hommes du FIS peuvent se réclamer de ceux du 1er novembre 1954.». Points de vue que l’on peut retrouver sous votre signature dans toute la presse française de gauche de l’époque, et pas que… 
Est-ce la leçon que vous administra l’écrivain algérien Rachid Boujedra en direct dans une TV française (que je vis fin 1993 ou 94) qui vous retourna au point d’abandonner les islamistes pour vous rabibocher avec les autorités algériennes, en pleine guerre civile ?
4 – « Alors qu’il vivait en Algérie à ce moment-là Jean-Pierre Lledo n’a rien dit de mon documentaire ‘’Années algériennes’’, diffusé en 1991 et vivement critiqué dans la presse algérienne… ».
C’est vrai, mais contrairement à vous, je n’ai pas pour habitude de parler de films que je n’ai pas vu, celui-ci n’ayant pas été diffusé en Algérie comme vous auriez dû l’imaginer. De plus à cette époque du danger islamiste, nous avions d’autres chats à fouetter… (Au fait, pourquoi s’approprier un film qui, d’après le générique, a un réalisateur ?).
Après avoir redressé vos coups tordus, j’en viendrai prochainement à l’examen, autrement plus important, de vos narratifs concernant la guerre d’Algérie, le 8 Mai 45, le pogrom de 1934, de la colonisation, de la stratégie du FLN, et de votre dada, ‘’la guerre des mémoires’’. 
En attendant, constatant que votre attaque contre Sansal fait de vous un héros dans les réseaux sociaux manipulés par les services algériens, sans aucune réaction de votre part, et que les indignes propos du président Tebboune à l’encontre de Sansal : « Voilà, un voleur dont l’identité et le père sont inconnus… » n’ont pas heurté votre ‘’sentiment national’’, et ce au risque d’être taxé d’en être l’auxiliaire, je tiens à réitérer ma prière : N’ajoutez pas l’impudence à l’indécence et quittez prestement le Comité de Soutien à Sansal !Jean-Pierre Lledo, mardi 14 Janvier 2025

Noël : Darmanin au charbon

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Pas de Trêve des confiseurs pour le nouveau ministre de la Justice. Et Libé se plante en voulant jouer l’ironie prophétique.


Quid de la Trêve des confiseurs 2024 chez nos politiques ? Quelques-uns de nos ministres honorent la pause-nativité, pour réduire un temps le tumulte de leur quotidien en respectant ce moment sacré ; d’autres déballent cadeaux et autres attentions sous les fourches qui n’ont rien de caudines d’un sapin étincelant ; certains s’adonnent aux joies de la poudreuse en renouant avec la chaleur d’un chalet-image d’Epinal ; d’autres enfin ont opté pour une pause de Noël tropicale avec les alizés en guise de bise, loin des embarras hidalguesques. Pas Gérald Darmanin…

Le nouveau ministre de la Justice, que le pays des Corons a offert à la France, est, lui, au charbon. Les mains dans le cambouis. Rencontre avec les magistrats à Amiens, visite de la prison de Liancourt dans l’Oise, 20 h sur TF1 et autres moments forts d’un agenda habilement planifié : le successeur de Migaud et de Dupont sait qu’il a fort à faire pour inverser la vapeur d’une justice, plus prompte à jouer les assistantes sociales auprès des délinquants que les Père Fouettard. Issu de la droite, le ministre se replonge visiblement avec délice dans un quotidien plus actif, dans la droite ligne de son passage remarqué à l’Intérieur. Un mandat conduit tambour battant à la Sarkozy, figure tutélaire originelle. Sa cote auprès des forces de l’ordre en est éloquente.

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Les enjeux ne sont pas minces : il s’agit pour lui d’assurer sa place dans les starting-blocks de la plus ou moins future course à l’Elysée, avec d’autres concurrents issus du post-gaullisme à ses côtés, dont le très populaire ministre de l’Intérieur Bruno Retaillau, pour lequel de nombreux Français ont les yeux de Chimène. En quelques semaines, il a fait montre de son opiniâtreté. Et ça paye ! Les autres impétrants à droite tiennent plus de l’anecdotique, voire du ridicule. Même si en politique, on ne peut présager de rien !Ces deux-là vont jouer l’émulation pour pousser chacun leur avantage, dans le droit fil de leurs idéaux et en parfaite symbiose avec l’opinion. Il s’agit de conforter leur aura et de prendre une sérieuse option pour 2027… au plus tard. En faisant fi des lourdes menaces qui planent déjà sur le Radeau de la Méduse, barré par le pas très sémillant capitaine Bayrou.

Le journal Libération, Livre des Psaumes des soixante-huitards attardés mais néanmoins dangereux, a cru bon de jouer sur ce «partenariat» justice-intérieur entre ces deux ministres, à la mission essentielle par les temps qui courent, mais aussi concurrents pour le Château. «Deux flics ami-ami» : plaquait-il en une, pensant dénoncer les lourdes menaces que représentait cette complicité obligée entre des ministres-phares de même obédience, dans ce nouveau gouvernement, fait par ailleurs de bric et de broc.

Raté ! Et même pain bénit pour ces deux-là, ravis de l’aubaine de se voir ainsi délivré un brevet de reconnaissance plutôt qu’une fatwa, oserait-on dire. Le Père Noël est bien passé à Beauvau, après un détour par la place Vendôme. Et son message, via Libé, imprime déjà…

Un féminisme sensuel 

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Un féminisme sensuel : voilà ce que propose avec intelligence Pascale Kramer dans Les indulgences, son audacieux et délicat roman, publié chez Flammarion.


Clémence, 13 ans, est follement amoureuse de Vincent, son oncle, commissaire-priseur et homme à femmes. Il n’y prête guère attention ; il résiste. Mais cinq ans plus tard, elle devient sa maîtresse au grand dam d’une bonne partie de la famille. Voilà la situation qu’analyse Pascale Kramer, habile et talentueuse romancière, dans son si délicat roman, Les indulgences. Elle analyse, oui, sans jamais juger ; ça devient rare. En ces époques de radicalisation de tous ordres, plus d’une eût pu faire de Vincent un monstre, un velu moyenâgeux, un mâle pervers et dominant, un gorille incestueux. Elle s’y refuse ; Pascale Kramer, n’épargne pas non plus le séducteur mais elle nuance ; ça fait un bien fou quand, aujourd’hui, le simple fait de dire sur les réseaux sociaux qu’avant de condamner Depardieu, il faudrait que la justice passe, vous vaut des tombereaux d’injures et menaces diverses. Tristes temps ! 

L’intelligence de Pompidou face à l’affaire Gabrielle Russier

Pascale Kramer développe la même intelligence que Georges Pompidou quand celui-ci, au lendemain du suicide de Gabrielle Russier, cita de magnifiques vers d’Eluard, laissant entendre qu’il ne se sentait pas l’âme d’un juge devant une tragique histoire de passion entre un élève mineur et son professeur de français, largement majeure et si séduisante.  

Photo : Jean-François Robert © Flammarion

Mais ce roman n’est pas qu’analyses et réflexions ; il est aussi et surtout finement écrit, construit avec rigueur et vigueur ; jamais on ne s’ennuie dans ce texte qui alterne poésie pure et audace crue. Pascale Kramer nous fait fantasmer quand elle décrit Karine « et ses chairs rousses » ; elle nous épate quand elle écrit : « Au fond du tiroir laissé ouvert s’effritaient un petit sac de lavande et les débris d’un papillon de nuit sec comme de la cendre. » (Comme c’est bien vu !) Elle nous fait penser à Albertine Sarrazin ou à Anaïs Nin quand elle se permet : « Alors elle le laissa presser son ventre contre le sien et réveiller en elle ce soudain et mystérieux besoin d’être vandalisée », ou encore « C’est un soir en rentrant à la maison à vélo qu’elle sentit une chaleur gluante inonder soudain son entrejambe. »

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Pascale Kramer écrit comme les romancières d’antan, les Colette, les George Sand, les Nin et Sarrazin (encore et toujours) ; elle a la liberté de Bardot époque Vailland et Vadim ; elle a le féminisme doux et sensuel des Badinter et des Agacinski. Loin, si loin, des ayatollahs en jupons qui vomissent quand une petite fille s’habille en rose ou qu’elle n’a pas envie de jouer aux soldats de plomb. 

Les indulgences de Pascale Kramer font un bien fou.

Pascale Kramer, Les indulgences (Flammarion, 2024).

Une fatwa anti-Hamas

Les langues se délient contre le Hamas, le professeur Salman Al-Dayah condamne leurs actions dans une fatwa, jugeant qu’ils ont « violé les principes qui régissent le djihad »… nourrissant le débat dans le monde arabo-musulman sur le recours à la violence.


Le pogrom du 7-octobre vient d’être condamné, non par quelque institution occidentale suspectée de philosémitisme, mais par un des érudits religieux les plus respectés de Gaza. D’après la BBC, le professeur Salman al-Dayah, anciennement doyen de la faculté de charia et de droit de l’université islamique de Gaza, a publié début novembre une fatwa, ou avis juridique, qui condamne le Hamas pour avoir « violé les principes islamiques qui régissent le djihad ». La fatwa, dont le texte de six pages a été posté sur Facebook, assène que si le djihad – qu’il soit une lutte pour le progrès spirituel ou un combat armé contre les infidèles – ne respecte pas ses propres « piliers, causes ou conditions », « il doit être évité pour ne pas détruire les vies des gens ». En lançant l’opération « Déluge d’Al-Aqsa », les dirigeants du Hamas auraient pu prévoir la réponse d’Israël qui dispose d’une puissance militaire écrasante. Ils auraient dû donc abandonner ce projet afin d’épargner des vies palestiniennes. L’érudit dénonce aussi l’utilisation de la population civile et de ses infrastructures comme boucliers humains, accusant le Hamas de ne pas respecter l’obligation « d’éloigner les combattants des maisons et des abris des civils sans défense » et de faire le plus possible pour garantir leur sécurité, leur santé, et leur accès à l’éducation et à l’activité économique. Enfin, il pointe la part de responsabilité du Hamas dans la pénurie d’approvisionnements à Gaza. Étayant ses arguments par des citations du Coran et des références à la sunna, le professeur déclare : « La vie humaine est plus précieuse aux yeux de Dieu que La Mecque. » Salafiste modéré voire quiétiste, Salman al-Dayah s’oppose au Hamas sur plusieurs points : le bien-fondé de la lutte armée, la priorité accordée aux décisions des dirigeants politiques plutôt qu’aux principes islamiques et la coopération avec l’Iran chiite. Sa fatwa est une humiliation pour le Hamas qui se targue de justifier ses actions par des arguments religieux. Elle pourrait aussi nourrir le débat dans le monde arabo-musulman sur le recours à la violence dans la poursuite de buts qu’on prétend spirituels.

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Mal de maires

Dans les hautes sphères administratives, tout le monde est convaincu que le mille-feuilles territorial et la fonction publique qui va avec nous coûtent un pognon de dingue. Cependant les élus locaux ont de solides arguments pour résister aux coups de laminoir envisagés à Paris.


Dans les années 1990, les cours de Sciences-Po parlaient des « grandes lois de décentralisation ». Le pouvoir se rapprochait du peuple. Aujourd’hui, on ne sait plus comment se dépêtrer de cette usine à gaz territoriale devenue pompe à fric. Début octobre, la Cour des comptes a rendu public un rapport pointant une dérive des dépenses des collectivités (communes, départements et régions). L’analyse des sages de la rue Cambon est assortie d’une proposition : se séparer de 100 000 agents de la fonction publique territoriale (FPT) pour économiser 4 milliards d’euros par an.

Agacée, l’AMF (Association des maires de France) a rejeté en bloc les chiffres comme les propositions du rapport. Les élus locaux n’en démordent pas : leurs collectivités, qui ne cessent d’assumer de nouvelles compétences, ont besoin de personnel. Ce n’est pas chez eux qu’on trouvera du gras. Résultat, Michel Barnier, qui dans une de ses premières moutures budgétaires pensait leur imposer un régime minceur de 5 milliards d’euros, a battu en retraite. Au-delà des polémiques, ce dialogue de sourds entre l’État et les collectivités par le truchement de la Cour des comptes met en lumière une question fondamentale : qui fait quoi et qui paie quoi ?

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Dans cette affaire, tout le monde a raison et tout le monde a tort. Pour le comprendre, il faut mettre de côté les « villes-mondes » comme Paris, où se trouvent les plus grands centres de décisions et qui attirent les talents internationaux, pour s’intéresser aux communes plus modestes, dans lesquelles vit la majorité des Français. Sur ces territoires, qui font le charme du pays, le maire n’est pas seulement un dirigeant, il est un pilier social, l’incarnation de l’existence même d’une communauté politique.

Recruter est une course d’obstacles pour les élus locaux

L’édile d’une ville moyenne confie, non sans une pointe d’amertume : « Il y a des agents que nous conservons simplement parce qu’ils ne trouveraient jamais un emploi ailleurs. Les licencier créerait un drame. Je suis le premier employeur de la ville ! » Un « maire poule » en somme. Et d’ajouter : « Quelques dizaines d’autres glandouillent, mais ils sont intouchables à cause du statut des fonctionnaires. » La gestion des ressources humaines dans la FPT, ce n’est pas seulement une affaire de comptes, mais de parents qu’on croise au marché, d’enfants qu’on a vus naître. Et puis, il y a tous ces risques de procès si l’on touche à un cheveu du personnel. Sans oublier les calculs électoralistes et leur volet clientéliste. Les maires se trouvent souvent face à des dilemmes difficiles à trancher.

En prime, recruter est une course d’obstacles pour les élus locaux, qui doivent en permanence jongler entre statuts et contraintes administratives. Surtout que les agents de la FPT, majoritairement de catégorie C (71,3 % contre 20 % pour l’État), souffrent d’une rémunération modeste et ne bénéficient pas des mêmes avantages que leurs collègues de la fonction publique d’État. Nombre de ceux que nous avons interrogés indiquent, par exemple, ne pas disposer de titres-restaurant.

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Un indicateur clé permet cependant d’esquisser une analyse comparative : le taux d’encadrement, qui mesure le nombre d’agents municipaux pour 1 000 habitants. À première vue, ces chiffres semblent éclairants. Avec 20 agents pour 1 000 habitants, la commune du maire cité plus haut affiche un ratio similaire à des villes comme Rennes ou Angers, mais largement supérieur à celui de métropoles comme Marseille (13,8) ou Lyon (14,3). « On ne peut pas comparer les mairies sur le simple taux d’encadrement, cela dépend énormément des niveaux de gestion territoriale », relativise le maire. Il n’a pas tort. Un directeur de mairie en Île-de-France explique : « Nous avons de nombreux équipements sportifs et culturels qui profitent aux habitants des communes voisines, mais ce sont nos agents qui les gèrent. » Ces disparités brouillent les comparaisons.

La nécessité d’une simplification drastique du mille-feuilles administratif

Reste un constat implacable : la décentralisation, amorcée par la loi Defferre en 1982, a multiplié les échelons administratifs. Et les « mutualisations » annoncées n’ont pas toujours fait diminuer les effectifs. Car il ne suffit pas de répéter que « le service public a un coût légitime ». Il faut répondre aussi à la question : ce coût est-il optimal ? Or, malgré des dépenses conséquentes, le citoyen moyen continue de pointer du doigt la qualité des services publics, qu’il juge insuffisante. L’exemple de Montpellier est édifiant. Entre 2015 et 2021, la Ville a vu ses charges de personnel augmenter de 18 millions d’euros, tandis que ses effectifs passaient de 3 510 à 3 710, malgré une mutualisation avec la métropole et une externalisation de certains services. « Toujours de bonnes raisons d’embaucher, mais peu de critères objectifs pour évaluer l’efficacité », alerte un rapport de la chambre régionale des comptes d’Occitanie.

Dans les plus petites villes, le sujet est tout autre. En Île-de-France, un élu raconte comment sa commune a privatisé la gestion des crèches : « Cela a réduit les coûts et satisfait les parents, mais les anciens agents municipaux ont été maintenus jusqu’à leur départ en retraite. » Une transition peu optimale, qui s’explique à la fois par les difficultés administratives quand on veut réaffecter un agent, et par l’effet « petite ville » où tout le monde croise tout le monde.

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À ces problématiques s’ajoutent les nouvelles missions confiées aux communes, comme la délivrance des passeports ou des cartes d’identité. Dans une autre mairie d’Île-de-France où nous avons enquêté, deux agents ont dû être embauchés pour cette tâche, alors que les recettes générées reviennent intégralement à l’État.

Pour les élus et les fonctionnaires locaux, la solution passe par une simplification drastique du mille-feuilles administratif et une autonomie accrue. « Laissez-nous faire les grands choix dans un cadre légal clair et égal pour tous, assuré par l’État », plaide un maire. Les grilles salariales figées, la rigidité statutaire et le manque de flexibilité découragent les talents, particulièrement chez les cadres, et ne permettent pas d’attirer des techniciens hautement qualifiés. Bref, il ne faut rien s’interdire. Surtout pas de réfléchir à la pertinence d’un statut protecteur qui finit par pénaliser tout le monde, y compris les principaux intéressés.

Benjamin Stora, avocat de l’Algérie ou ambassadeur plénipotentiaire de la France ?

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L’historien auteur du fameux « Rapport » qui porte son nom a paru peu enclin à défendre Boualem Sansal après son arrestation par les autorités algériennes. Ce fait est à mettre en parallèle avec son refus obstiné à admettre l’existence d’une judéophobie musulmane en Algérie avant, pendant et après l’indépendance de ce pays. Tribune du cinéaste et essayiste, Jean-Pierre Lledo.


Beaucoup de ceux qui avaient encore quelque estime pour cet historien ont été choqués par ses propos le dimanche 24 novembre sur la chaine publique France 5, suite à l’arrestation de l’écrivain algérien Boualem Sansal dès son arrivée à l’aéroport d’Alger, huit jours plus tôt.

Choqués de constater que sa réprobation de l’arrestation, du bout des lèvres, n’ait été que le prélude obligé à une condamnation sans appel de l’écrivain proférée du haut de son piédestal d’historien, de surcroit avec une joie mauvaise. Choqués donc qu’au moment où les voix de grands intellectuels s’élevaient contre l’arrestation d’un écrivain qui n’était coupable d’aucun acte criminel, l’historien, lui, tirait sur l’ambulance. 

A cette triste inconvenance, s’ajoutait une tentative de réfutation des propos de l’écrivain, tout à fait indigne d’un historien qui, s’il se vend habituellement comme « Monsieur Guerre d’Algérie », n’a jamais été un spécialiste de l’histoire ancienne du Maghreb. 

Mais qu’avait donc dit Boualem Sansal de si répréhensible ? « Tout le problème vient d’une décision prise par le gouvernement français : quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc, Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara […] la France a décidé comme ça, arbitrairement, de tracer une frontière… ».

Et que répliqua Stora à l’écrivain qui ne pouvait désormais plus lui répondre ?  

« C’est l’Émir Abdelkader qui a levé l’étendard contre la France… ! C’est un héros national en Algérie ! L’Emir Abdelkader qui était de Mascara… ! Mais je vais aller plus loin ! [Rires de Stora et du présentateur] C’est que celui qui a inventé le mouvement national algérien, avec d’autres, s’appelle Messali Hadj, il est né à Tlemcen… ! Tlemcen, c’est à la frontière avec le Maroc ! Et c’est lui qui va porter l’idée nationale ! Et on nous dit que ce n’est pas important ? ! »

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L’Emir Abdelkader a levé l’étendard contre la France, certes, mais quel étendard ? Celui de l’Algérie ? Non, elle n’existait pas comme nation. Ou plutôt l’étendard de l’islam et de quelques tribus de l’ouest ? L’Émir ne fut-il pas vaincu précisément parce que sa révolte resta seulement celle des tribus qui appartenaient à sa confrérie religieuse des Qadirya ? « Il se réclamait de la protection du sultan du Maroc, sous laquelle il a cherché refuge avant de reprendre la lutte en 1845 et de se réfugier une dernière fois au Maroc – qui l’obligea à se rendre aux Français – en 1847 », précise un historien moins soucieux d’idéologie, et plus des faits, Guy Pervillé. Enfin, si la Régence ottomane ne put s’emparer que de la partie orientale du Maghreb (Tunis) et de sa partie centrale (Alger), et jamais de sa partie occidentale, n’est-ce pas parce que le Maroc, au travers de toutes les dynasties qui l’ont constitué en royaume, avait déjà une personnalité suffisamment affirmée pour s’affranchir de son joug ?

Quant à Messali Hadj, en quoi viendrait-il contredire Sansal, lui qui devint le chef du premier parti nationaliste, le PPA… en 1933 ? Un siècle après la conquête française ! Et ce alors que la France a déjà annexé des territoires marocains, qui deviendront de la sorte des territoires algériens, sans que la promesse du FLN de redéfinir la frontière avec le Roi du Maroc après l’indépendance de l’Algérie ne soit jamais honorée, source de conflits et d’animosité jusqu’à aujourd’hui, puisqu’à plusieurs reprises les frontières ont été fermées, et les relations diplomatiques rompues. Au fait, l’historien partagerait-il la vision du PPA et de son chef Messali Hadj : « La Nation algérienne, arabe et musulmane, existe depuis le VIIème siècle » (selon le mémorandum présenté à l’ONU à la fin de 1948) ?

Et c’est sans doute parce que Stora est quand même conscient de sa faiblesse argumentative, qu’il n’hésite pas à franchir le pas de l’histoire vers l’affect : « Imaginez ce que ça représente pour les Algériens ! Ça blesse le sentiment national ! »Mais de quelle autorité, de quels travaux peut-il se prévaloir, pour se poser en spécialiste de la psyché algérienne ? Serait-il devenu l’avocat du pouvoir algérien, son ambassadeur ?

Question tout à fait légitime de mon point de vue qui ai eu plusieurs fois maille à partir avec cet historien.

Algérie, histoires à ne pas dire

Ce film qui montrait que la guerre de libération fut aussi une guerre d’épuration des populations non-musulmanes, fut interdit par les autorités algériennes dès que je le terminai, en juin 2007. Sorti en France en février 2008, Le Monde lui consacra sa 3ème de page. La critique cinématographique de Thomas Sotinel étant élogieuse, la journaliste politique Florence Beaugé se chargea de la contrecarrer sur le plan historique. Et face à Mohammed Harbi, que j’avais invité à voir le film, qui déclare honnêtement : « le principal mérite de ce documentaire est de jeter un pavé dans la mare et d’inciter les Algériens à accepter de se regarder, même si le miroir qu’on leur présente est déformant », les deux autres, Djerbal et Stora, « regrettent que les témoignages présentés par Lledo soient sortis de tout contexte »… Ah, ce « contexte », régulièrement convoqué pour atténuer la barbarie ! Le 7 octobre 2023, le Hamas se comporta de manière barbare… ? « Oui, mais… le contexte ! » Dans cet article, la journaliste ne trouvera rien de plus précis à leur faire dire. Et pour cause ! Ni l’un ni l’autre n’avaient vu le film ! J’avais organisé 3 projections (privées), en juillet à Alger où j’avais invité Harbi de passage, et Djerbal ne vint pas, et une générale en février 2008 à Paris où j’avais réinvité Harbi, mais pas Stora.

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Et si Stora s’est senti obligé de dire son désaccord avec l’arrestation de Sansal, dans mon cas, il ne s’éleva même pas contre la censure du film en Algérie. Et ce, pour la simple raison que la quête des personnages principaux, tous quatre Algériens musulmans, qui montre que l’épuration des non-musulmans est, durant toute la durée de la guerre d’Algérie, une stratégie concertée du FLN-ALN dès le début de la guerre, et non l’effet d’une cascade d’événements, va à l’encontre du méta-discours qu’il tient avec constance sur l’Algérie depuis ses débuts d’historien.

Le 5 juillet 1962 à Oran

En ce jour-là qui devait commémorer officiellement l’indépendance, suite aux résultats du référendum, eut lieu la plus grande tuerie de toute la guerre d’Algérie. L’historien Jean-Jacques Jordi, après plusieurs années de recherche dans les seules archives françaises, a réussi à identifier plus de 700 victimes assassinées ou disparues (quelques Arabes, une majorité de chrétiens, et une centaine de Juifs). Lorsque les archives algériennes seront ouvertes, ce nombre pourra être multiplié par deux ou trois. 

En 2013, je fis la description de cette terrible journée à propos de laquelle j’avais récolté des dizaines de témoignages d’Oranais de toutes origines, y compris familiaux, dans un article publié en deux parties par le Huffington Post qui s’attira une réponse de Stora contresignée par une dizaine d’universitaires et politiciens algériens qui n’avaient jamais écrit une seule ligne sur cette tragédie. 

Celui qui n’a jamais cru bon de consacrer un livre à l’évènement le plus meurtrier de toute la guerre, me répondit sans jamais évoquer mon film interdit en Algérie, dont la quatrième partie est entièrement consacrée à cet événement du 5 Juillet 1962. Notons que ce film n’a jamais été diffusé par une télévision en France, alors que Stora, qui n’est pas cinéaste, a bénéficié de ce privilège à de multiples reprises.

Mensonge direct ou par omission, diffamation, occultation, amalgame, fausse accusation, déduction abusive, tout cela en deux pages, sa réponse vise surtout à dénier que l’évènement ait pu être organisé en haut lieu… « Il ne faut pas non plus en venir à mettre en cause de manière globale et simpliste les indépendantistes algériens, ni négliger les nombreux témoignages qui relatent des faits de délinquance pure, commis dans un moment d’anarchie… ». Mais y a-t-il jamais eu un pogrom « spontané » ? La justice des Pays Bas ne vient-elle pas de déclarer que celui récent d’Amsterdam avait été concerté, technologie oblige, par WhatsApp ? La tuerie qui advint le 5 juillet 62, simultanément à la même heure (entre 11h et midi) dans tous les quartiers d’Oran, chrétiens et juifs, n’en est-il pas la meilleure preuve ? 

Mon film ne visait pas à se substituer au travail des historiens (véritables), mais à révéler des facettes de la guerre d’Algérie occultées par l’historiographie algérienne, qui sont absolument taboues. Pourtant, Stora m’accusait : « d’écrire une histoire hémiplégique qui ne s’intéresse qu’à une seule catégorie de victimes ». On voit bien aujourd’hui avec Sansal ce qu’il en coûte d’aller à l’encontre des narratifs historiques du pouvoir. 

Mais qui est « hémiplégique » ?

Le Rapport Stora de janvier 2021

L’Algérie n’ayant pas donné suite au projet d’un Rapport rédigé par une commission mixte d’historiens algériens et français, le président Macron commanda à Stora un rapport sur « Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Publié en son nom propre, l’objectif déclaré est de contribuer à une réconciliation franco-algérienne en apaisant les mémoires. Le résultat fut un ratage complet, le pouvoir algérien considérant que les concessions françaises n’étaient pas suffisantes. Et pourtant à combien de courbettes ce rapport ne s’était-il pas complu ! (Voir mes commentaires sur les parties 1, 2, 3, 4 et 5 du rapport).

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Lorsque des « massacres » y sont évoqués, il ne s’agit que de ceux dont ont été victimes les « Algériens ». Stora ignorerait-il que dans la région de Sétif en mai 1945, puis dans le Constantinois le 20 août 1955, ce sont les nationalistes musulmans qui déclenchèrent des insurrections dont la cible, au faciès, furent les non-musulmans, n’épargnant même pas les communistes, pourtant partisans de l’indépendance ? Quant aux massacres des Harkis, ce ne seraient que des « représailles », ce qui est reprendre à son compte le narratif scandaleux de l’État algérien les criminalisant.

Stora propose de commémorer des dates symboliques. Par exemple la répression de la manifestation FLN à Paris du 17 octobre 1961. Mais pourquoi pas aussi le massacre du 26 mars 1962 commis par l’armée française, fauchant en quelques minutes, à la mitrailleuse, près de 80 civils Pieds-Noirs sans armes ?

Il propose de reconnaître l’assassinat de l’avocat et militant politique Ali Boumendjel. Mais pourquoi pas aussi l’assassinat du chantre juif de la musique andalouse Raymond Leyris, assassiné le 22 juin 1961 à Constantine, à ce jour non revendiqué par le FLN ? Musique « judéo-amazigho-arabo-andalouse », et non pas seulement « arabo-andalouse », rectifie Mr Stora qui est resté muet lorsque Khalida Toumi, quatre fois ministre de la Culture dans les gouvernements Bouteflika, déclara s’être donné pour objectif de « déjudaïser la musique arabo-andalouse » ![1]

Et le Panthéon ? Oui, mais pas pour Gisèle Halimi, originaire de Tunisie, qui hormis son métier d’avocate, se positionna comme une militante anti-harki et anti-pied-noir. Pourquoi pas plutôt l’écrivain Jean Pélégri, publié par Gallimard, dont toute l’œuvre est marquée par l’idée de la complémentarité mémorielle entre l’Arabe et le Pied-Noir, ainsi que par les drames des injustices coloniales, puis algériennes ?

Stora attribue au cinéma la vertu d’être un « formidable catalyseur de mémoire ». Bien sûr, mais pourquoi taire l’omnipotence de la censure en Algérie ? Et au-delà du cinéma et de la littérature, l’exemple du chanteur Enrico Macias, interdit d’antenne et de scène dans son pays natal depuis 60 ans, alors qu’il est adulé par les Algériens !

Alors qui est « hémiplégique » ?

Colloque sur les Juifs d’Algérie – Jérusalem – 24 au 26 Septembre 2024

Ce colloque, ouvert au public, qui s’est tenu en Zoom, avait réuni des universitaires israéliens et français. Les questions soulevées par les intervenants étaient intéressantes. Sauf qu’il en manquait une et de taille : celle de la judéophobie musulmane avant, durant, et après l’indépendance. Ayant eu à examiner les relations judéo-musulmanes dans divers ouvrages et conférences, Stora était l’un des invités. 

Dès la fin de son exposé, la parole me fut accordée et je posai deux questions, l’une aux organisateurs et la suivante à Stora :

  • Comment se fait-il que dans un tel Colloque sur les « Juifs d’Algérie », il n’y ait pas une seule intervention sur la judéophobie musulmane, laquelle a été une réalité historique et est toujours une question d’actualité ?[2]
  • Mr Stora, pourriez-vous m’expliquer pourquoi vous avez constamment cherché à atténuer cette réalité ? Et pour ne prendre qu’un exemple, prenons celui du livre, commandité par l’Europe, que vous avez dirigé avec le Tunisien Abdelwaheb Meddeb Histoire des relations entre juifs et musulmans, des origines à nos jours, dédié à la conviviencia judéo-musulmane. L’un des articles écrits par l’un de vos amis constantinois, Abdelmajid Merdaci, fait les louanges de Raymond Leyris (il chantait en arabe, il y avait des Arabes dans son orchestre, etc.), sauf… qu’il occulte le fait que le musicien juif ait été… assassiné par le FLN, le 22 juin 1961.

Ne me laissant pas finir, Stora se mit à crier : « C’est faux ! ». Je pus lui répondre que c’était le témoignage de Jacques Leyris, le fils de Raymond. Menaçant de s’en aller, Stora continua son cirque, et les organisateurs coupèrent mon micro.

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Si j’avais pu poursuivre, j’aurais demandé aussi à Stora pourquoi dans le livre précité, il avait expurgé de la bibliographie les noms d’universitaires qui eux, n’avaient pas occulté dans leurs œuvres la judéophobie musulmane en Algérie, ces éminents chercheurs que sont Shmuel Trigano, Georges Bensoussan, Paul Fenton, et David Littman. Étrange coïncidence : ces mêmes universitaires n’avaient pas été invités à ce Colloque (à part Littman, décédé).

Conclusions

J’arrêterai là la liste loin d’être exhaustive de mes griefs. Ceux ici invoqués sont suffisants pour que l’on puisse se persuader que le coup de poignard dans le dos asséné à un écrivain jeté en prison n’était pas un lapsus. C’était plutôt la continuation en droite ligne de sa tentative d’exonérer de ses crimes le nationalisme algérien, et de sa vision irénique des relations judéo-arabes.

Pourtant si les chefs nationalistes masquèrent leur projet d’épuration ethnique durant la guerre d’Algérie, ils ne le dissimulèrent plus, l’indépendance acquise. Ainsi l’un des négociateurs des Accords d’Évian, qui fut un Premier ministre anti-intégriste durant la décennie noire, le « moderniste » Réda Malek : « Heureusement, le caractère sacré arabo-musulman de la nation algérienne était sauvegardé ».[3] Ou bien Ben Khedda, le président du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), 1961-1962 : « En refusant notamment la nationalité algérienne automatique pour un million d’Européens, nous avions prévenu le danger d’une Algérie bicéphale ».[4]

Benjamin qui, la retraite venue, semble découvrir sa judéité, aura-t-il le courage d’un Nathan Weinstock, lequel après avoir écrit deux ouvrages dans les années 70 qui devinrent la Bible des Falestiniens, osa remettre en cause ses convictions ébranlées par la réalité d’un terrorisme falestinien dont le but était et demeure la destruction d’Israël et des Juifs ? Osera-t-il à son tour écrire une histoire de la judéophobie musulmane en Algérie, aujourd’hui dissimulée en israélophobie ?

Je l’espère, sinon s’il s’entête à vouloir plaire aux uns et à ne pas déplaire aux autres, il lui faudra assumer l’inconfort d’être en alternance l’historien officiel de la repentance française, et à ses heures perdues, un ambassadeur plénipotentiaire. 

De la France ou de l’Algérie ? On ne sait trop…

Ah, j’oubliais… Comme à la bonne époque de votre trotskysme, vous vous êtes infiltré dans le Comité de soutien à Sansal. Quel culot ! Auriez-vous l’obligeance de vous en retirer ? Merci.


[1] Propos tenus le 10 février 2008 dans le quotidien algérien arabophone, de tendance islamique, Ech Chourouq.

[2] Voir J.-P. Lledo, « La judéophobie musulmane en Algérie avant, pendant, et après la période française » in Juifs d’Algérie, dirigé par Joëlle Allouche-Benayoun et Geneviève Dermenjian (PUF, 2015).

[3] Réda Malek, Accords d’Évian (Seuil, 1990).

[4] Ben Khedda, La fin de la guerre d’Algérie (Casbah Ed., Alger, 1998).

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Guerre en Ukraine : des torts partagés ?

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La guerre d’Ukraine n’aurait pas dû avoir lieu, ne cesse de dire Pierre Lellouche, ancien secrétaire d’État et chroniqueur du magazine Valeurs actuelles. Son dernier livre est un essai fouillé et incisif de bout en bout dans lequel il estime que les Européens ont péché par optimisme démocratique face à la Russie agressive de Vladimir Poutine.


« La fin de l’Europe de Yalta ne doit à aucun prix mener à l’Europe de Versailles », Zbigniew Brzezinski.

Pierre Lellouche, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes puis du Commerce extérieur dans deux des gouvernements de François Fillon, nous explique dans son dernier ouvrage, Engrenages. La guerre d’Ukraine et le basculement du monde, pourquoi il pense et dit, et ce depuis le début, que la guerre en Ukraine aurait pu et aurait dû être évitée. Par ailleurs, il en déroule toutes les conséquences pour le monde, et le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont légion.

En 1991, après des siècles de dominations diverses (Pologne, Lituanie, Russie) où elle changea d’alliances pour se délivrer de l’ennemi d’hier, lequel n’était jamais le même, l’Ukraine acquit son indépendance à condition de rendre à César ce qui lui appartenait ; à savoir aux Russes tout l’arsenal nucléaire et militaire qu’elle comptait sur son territoire[1] et ce, parce que des traités lui garantissaient protection de la part de pays occidentaux. La Russie, de son côté, s’engageait à ne pas l’agresser ; ce qu’elle fit cependant, arguant que la Révolution de Maïdan était en fait un coup d’Etat perpétré par Kiev et les Américains pour se débarrasser d’un président pro-russe, ce qui rendait nulle et non avenue sa signature des traités.

Une sécession douloureuse

Mais revenons en arrière. Si la fin de la Guerre froide laissa espérer aux Russes une sorte d’accord avec les Américains pour protéger leur « zone d’influence » et pour que ces derniers ne s’empressent pas d’abriter sous leur aile otanusienne tous les anciens pays satellites, force fut de constater que rien de tel n’eut lieu. Le mépris « versaillais » l’emporta sur la raison, on regarda de haut cette « région provinciale » (Barak Obama) ou, pire encore, cette « grosse station d’essence avec des armes atomiques » (le sénateur John McCain). Et Pierre Lellouche d’affirmer : « L’Occident victorieux n’a pas cru bon de définir une architecture de sécurité qui fasse sa place à la Russie ». Pourtant, « avec la réunification de l’Allemagne, l’Alliance atlantique avait rempli sa mission historique. […] L’Europe centrale accédait quant à elle à la liberté. Un autre système de sécurité collective devenait alors possible, avec la Russie, et non contre elle ».

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Par ailleurs, et contrairement aux pays dits satellites, la Russie a toujours considéré l’Ukraine comme son centre de gravité. Se séparer d’elle radicalement, c’était s’amputer. Le « Petit russe » et le « Grand russe » comme on les appelait au XIXème siècle, tous deux slaves, tous deux orthodoxes, ayant une langue sinon commune au moins voisine, n’étaient pas voués à faire sécession, estime Lellouche. Sans compter que l’Ukraine a sur son sol une population russe (11,3 millions de Russes ethniques, soit plus de 22% des habitants) et une population ukrainienne souvent mélangées. Elles n’étaient donc pas promises au divorce et ce, malgré les affrontements du passé. Bref, si la Russie avait accepté l’indépendance de sa voisine, c’était à condition que celle-ci reste neutre et dans sa zone d’influence. Soljenitsyne, dans son essai Reconstruire la Russie publié en 1990, essai qui a beaucoup influencé Poutine, admettait cependant que si les Ukrainiens choisissaient de se séparer de la Russie, ils devaient pouvoir être libres de le faire « sauf pour les régions qui ne faisaient pas partie intégrante de la vieille Ukraine, c’est-à-dire la Novorossia : la Crimée, le Donbass et les zones proches de la mer Noire ». Comment mieux résumer l’histoire de cette guerre ? Et Kissinger (1923-2023) déplorera à son tour le malentendu entre Russes et Occidentaux au sujet de la fin de l’URSS, les seconds ne comprenant pas que seuls les non-Russes voulaient quitter « l’Empire ».

Une Europe naïve

Pierre Lellouche souligne fort bien les croyances et les incohérences du bloc occidental et en particulier de l’Europe. Après la chute de l’URSS, la démocratie avait gagné, la guerre devint un « impensé désagréable » et tous les pays du monde allaient se donner la main pour faire régner droits de l’homme et déconstruction post-nationale. Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé.

Après, notamment, l’invasion de l’Irak par les Américains, le modèle occidental n’en fut plus un pour le restant du monde, et l’ordre mondial que ceux-ci avaient déterminé depuis 1945 fut remis en question par tous ceux qui, anciennement colonisés ou pas, n’acceptaient plus cette domination. Et les fameuses valeurs qui allaient avec. C’est ainsi qu’on vit émerger l’« affirmation identitaire des uns » et le « déni des réalités des autres » ; les autres étant ici les Européens qui avaient, du reste, remis leur sécurité dans les mains des Américains. Cette «servitude volontaire » fit que le sort de l’Ukraine dépendait infiniment plus de l’armement et de l’argent des États-Unis que de ceux de l’Europe qui n’auraient jamais été suffisants. Pour autant, cette dernière donna la modique somme de « 300 milliards d’euros pour un pays tiers, non membre de son alliance, en déléguant officiellement à ce dernier, et à lui seul, la responsabilité de dire quand et comment la guerre doit s’arrêter ». Ainsi, et même si l’Europe n’y suffirait absolument pas, on arme et on finance quand même une guerre sans avoir vraiment voix au chapitre, au nom d’une émotion dont l’auteur nous dit qu’elle joua un rôle considérable dans ce conflit. Tout semble désormais soumis aux bons sentiments ou aux grands principes moraux avec lesquels on ne fait pas de politique sérieuse. Encore moins de géopolitique tout court. 

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Selon Halford John Mackinder (1861-1947), le but de la géopolitique dont il fut l’un des maîtres au début du XXème siècle, n’est autre que « l’aboutissement à un équilibre des puissances, lequel garantit à chaque nation sa sécurité et représente la condition de ses libertés ». Or, ajoute Pierre Lellouche, « l’équilibre des puissances ne s’obtient pas, loin de là, par la seule proclamation de « droits », surtout si une telle proclamation conduit à engendrer des déséquilibres périlleux ».De fait, l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan obligerait le bloc occidental à entrer dans le conflit (même si, d’une certaine manière, il fait déjà la guerre à la Russie par procuration), ce qui mènerait tout droit à une Troisième Guerre mondiale. D’autre part, le minimum est d’avoir les moyens de ses beaux discours, et « l’hubris jupitérienne » ne palliera pas notre armée et notre armement amaigris… Pierre Lellouche n’hésite pas à dire que : « Cette défaite intellectuelle devant l’émotion, cette préférence pour le déni des réalités […] sont les symptômes, parmi beaucoup d’autres, de la maladie profonde de nos systèmes démocratiques ».

Avons-nous réveillé les quatre cavaliers de l’Apocalypse?

Alors, on diabolisa l’adversaire ; Poutine allait envahir l’Europe, cette guerre était la nôtre, la victoire devait être totale et donc sans concession. Il y eut pourtant plusieurs rencontres dans ce sens, avant le déclenchement de la guerre et même après. « Ma conviction est qu’une négociation à la mi-décembre 2021, si elle avait pu se teniraurait pu éviter les destructions et les 500 000 morts et blessés que nous déplorons aujourd’hui » soutient l’ancien secrétaire d’État. Et nous ne réussîmes, de surcroît, qu’à affaiblir notre propre économie avec des sanctions qui touchèrent fort peu la Russie, laquelle réussit à vendre ailleurs, et nous favorisâmes le tropisme eurasien en jetant les Russes dans les bras des Chinois. Et pas seulement eux ! Pierre Lellouche appelle les « quatre cavaliers de l’Apocalypse » la coalition entre Russie, Chine, Corée du Nord et Iran.

Dans une seconde partie, Pierre Lellouche s’attaque aux conséquences de cette guerre qui n’aurait pas dû avoir lieu : fin de la confiance dans les traités, ainsi que mise à mal de la dissuasion nucléaire, puisque, d’une part, la présence d’armes nucléaires n’empêcha pas une guerre de haute intensité et de longue durée, et que, d’autre part, la nucléarisation du monde bat son plein. Les Russes et les Chinois ont cessé toute coopération avec les Occidentaux pour freiner le programme iranien, et Poutine soutient « le droit de la Corée du Nord de renforcer sa défense […] contre la dictature néo-colonialiste mondiale ».

Et qui, mieux qu’Israël – selon Lellouche – pour représenter « ce porte-avions avancé de l’Occident colonialiste en Orient ? » C’est là que la guerre de Gaza, dont Pierre Lellouche rappelle opportunément qu’elle commença le7-Octobre, rejoint celle d’Ukraine, en créant un front anti-occidental global. Le nouveau damné de la terre est le Palestinien qui va inspirer non seulement au « Sud global » mais à nos universités, l’idée d’une « deuxième décolonisation ». Celle-ci trouvera un allié dans les BRICS+ (au nombre de 10, à présent) une organisation représentant près de la moitié de la population mondiale, le 1/3 du PIB et la moitié de la production de pétrole de la planète. Leur Nouvelle banque de développement (NDB) créée en 2014, sorte d’anti-FMI, compte bien échapper aux contraintes politiques et sociales imposées par Washington en vue de se passer, à terme, du dollar et des sanctions qui vont avec…

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Quant à l’Europe et à ses deux mantras fétiches – la transition énergétique qui rend « vertueux » et l’élargissement d’elle-même jusqu’à des pays qui sont de véritables poudrières (et ce… au nom de la Paix) –, elle s’englue dans des considérations administratives et juridiques sans réussir à organiser une défense commune, et surtout, sans se voir disparaître. Relégués au rang de consommateurs puisque nous avons favorisé la production à l’Est (véritable appel d’air pour les cerveaux de demain et pas seulement les petites mains), la Chine en particulier, qui produit du CO2 parfaitement mondialiste, ce qui rendra nos efforts de tri sélectif assez vains, nous dormons les yeux ouverts. La France surtout, de plus en plus à la remorque d’une Allemagne sachant toujours ou presque défendre ses intérêts, et sachant fort bien dans certains cas nuire aux nôtres.

Pierre Lellouche se demande alors si l’Europe va se réveiller, pour « préparer l’après-guerre en Ukraine, répondre aux défis économiques américain et chinois, tout en protégeant son identité, c’est-à-dire ses frontières face à des vagues migratoires sans précédent. Voilà le défi. Il est immense. C’est ici que Boutcha en Ukraine, Gaza en Orient, et Lampedusa en Sicile se rejoignent ».

Pierre Lellouche, Engrenages. La guerre d’Ukraine et le basculement du monde (Odile Jacob, 2024).


[1] 5000 ogives nucléaires, dont 376 missiles intercontinentaux, faisant de l’Ukraine la troisième puissance nucléaire, retournèrent en Russie.

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Gauche désunie

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Manifestation en soutien aux femmes iraniennes, Paris, le 10/11/2024. SEVGI/SIPA

La gauche a des prétentions au pouvoir gouvernemental qu’elle justifie en prétendant que, à la différence de la droite, elle est unie. Sur le terrain, la réalité est souvent très différente.


Depuis les dernières Législatives, le NFP se roule par terre en couinant qu’on lui a volé l’élection qu’il n’a pas gagné. Pour pouvoir réclamer ce qui ne lui est pas dû, celui-ci a donc mis au point un conte pour enfants : la gauche serait la seule à pouvoir gérer la situation parlementaire parce qu’elle sait s’unir et qu’elle a la plus grosse coalition ! Le problème c’est que sur le terrain, cela ne marche pas. La preuve par Malakoff. Cette ville, dirigée par un élu communiste depuis 1925, est la preuve qu’il existe bien deux gauches irréconciliables mais qui ont encore besoin l’une de l’autre pour remporter des élections. Ces deux gauches se haïssent au point que les élus majoritaires de Malakoff se donnent maintenant rendez-vous dans les tribunaux. C’est ainsi que la maire PC, Jacqueline Belhomme a attaqué pour diffamation son adjoint à la culture LFI, Anthony Toueilles, qui lui a effectivement accroché une belle cible dans le dos en la traitant «d’islamophobe» et en l’accusant de relayer la communication de l’extrême-droite. 

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Pourquoi ? Parce que la Maire a partagé le visuel de Femmes, Vies, Liberté, le mouvement de soutien aux Iraniennes qui luttent contre l’apartheid sexuel. Elles le font en faisant de leur tête nue, le marqueur de la liberté retrouvée. Or, en Europe, les islamistes et la partie de la gauche qui les sert tiennent à présenter le voile comme une liberté. Non seulement la révolte des Iraniennes gêne leur propagande, mais elle montre l’aporie de la convergence des luttes. A Malakoff, l’édile communiste incarne une gauche traditionnelle et sociale, apte à séduire une partie des classes moyennes. Une gauche dont LFI veut la disparition au profit de l’alliance avec les islamistes et la population issue de l’immigration que ceux-ci ont infusés. LFI applique donc au PC les méthodes de déshumanisation qu’elle pratique envers tous ceux qu’elle considère comme des obstacles, quand elle a le sentiment de pouvoir s’en passer. Difficile de s’en émouvoir tant tout cela était prévisible. 

Panne sèche en haut lieu

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Nicolas Idier © Opale.photo

Nicolas Idier connaît bien les cabinets ministériels. Dans Matignon la nuit, une plume du Premier ministre n’a que quelques heures pour rédiger un discours, et ses collègues ne sont pas pressés de l’aider.


Écrire, pour Nicolas Idier, c’est mettre de l’ordre dans le désordre du monde. Le romancier de La Musique des pierres (Gallimard, 2014) se place délibérément dans l’intervalle entre son intimité – par essence secrète – et l’extérieur, entre ce qu’il est et ce qui est, ce qui advient. Toute sa singularité, en somme, consiste à ne pas seulement se replier sur soi. Sans dénigrer pour autant l’autofiction, Idier emprunte une voie intermédiaire : il cherche à rapprocher le grand tout, si difficile à appréhender, de son petit « moi ». L’intervalle, pour Idier, c’est le mouvement. Un pas dedans, un pas dehors. Son voyage intérieur a un prix, celui de la connaissance, et partant, de la mécanique du monde. L’écriture, alors, est son véhicule.

L’écrasante majorité des romanciers immédiatement contemporains ont déserté la politique. Ils ont tort tant elle est une affaire de langage. Idier, qui fut une plume de Jean Castex, l’a bien compris. D’où ce nouveau roman drôle, lucide, dense, ironique, érudit et renseigné.

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C’est la nuit, à Matignon, au premier étage du 57, rue de Varenne. Le narrateur, un « conseiller technique discours » sans pouvoir – et qui plus est sur le départ –, est chargé de trouver dans l’urgence les mots justes à mettre, pour le lendemain, dans la bouche du Premier ministre. Il s’agit de désamorcer une situation parmi d’autres : des migrants, en désespoir de cause, sont perchés au sommet d’éoliennes entre Peuplingues et Sangatte dans le nord de la France. Certes, la langue est le lieu d’un combat mais « que peuvent les mots face à la souffrance de ces rescapés du pire » ? Bref, notre « sous-plume, comme il y a des sous-mains », lequel boit du saké junmai dans un mug «House of Cards», est obsédé par un portrait d’Alain Robbe-Grillet que le puissant Mobilier national a accroché, comme un «contre-modèle», face à celui du président de la République dans le bureau des conseillers. C’est un littéraire, notre narrateur, un lecteur de Segalen, de Mao, d’Aragon et de bien d’autres. Bon, il est sec pour son discours, pas de « punchlines » en ligne de mire, il téléphone à Sollers au motif que ce dernier a écrit un recueil de chroniques sous le titre Discours parfait. L’auteur de Femmes attaque direct : «La France moisie est de retour.» Puis, avant de raccrocher alors que le sous-plume lui confessait, comme un appel au secours, qu’il était en panne d’inspiration : « Lorsque quelque chose d’essentiel se passe, le temps est là et a tendance, en suivant la courbure de l’espace-temps, à devenir infini. » C’est cette courbe que notre antihéros n’arrive plus à suivre ! Que faire ? Recourir à la cartomancie ? S’en remettre à Conrad, le conseiller en chef, qui lui conseille de méditer une formule de Sénèque, « le chaos vous tire », pour débloquer la situation ? Ou s’adjoindre les conseils de Lena, l’influente conseillère communication dont l’épaule est tatouée d’une maxime de Joubert, «le plus beau des courages, c’est d’être heureux»?

Les lieux de pouvoir sont hantés par des ambitions désavouées.

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Noël et Hanouka: des fêtes de lumière

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Le Pape François prie devant une crèche de Noël fabriquée à Bethléem. Au Vatican, le 7 décembre 2024. Andrew Medichini/AP/SIPA

Les fêtes de Noël et de Hanouka ont de nombreux points communs et, cette année, elles surviennent le même jour. Pourtant, entre le Vatican et Israël, les tensions sont grandes, et le Pape semble se plier en quatre pour éviter les accusations d’islamophobie.


L’une a lieu le 25 décembre d’un calendrier solaire, l’autre le 25 Kislev d’un calendrier lunaire et il arrive, comme cette année, que le jour de Noël coïncide avec le premier jour de Hanouka. Ce n’est pas le seul point commun entre ces deux fêtes. Elles sont des occasions de cadeaux, une ancienne tradition pour Noël, qui a récupéré le prestige d’un évêque du passé, Saint Nicolas de Myre, alias le père Noël, une habitude plus récente pour Hanouka où le cadeau était une simple toupie à quatre faces avec l’initiale d’un mot hébreu sur chacune: nes gadol haya, un grand miracle a eu lieu. Mais la dernière lettre était un «Shin» (pour Sham, là-bas) sur la toupie (ou dreidel) d’Europe centrale, alors que c’est un «Pe» pour «Po» ici, sur le sevivon israélien. Une lettre qui change beaucoup de choses….

Si importants soient-ils, les cadeaux ne sont pas tout. Noël et Hanouka sont des fêtes de la lumière. Pour Noël, c’est la remontée du soleil victorieux, «sol invictus» des Romains, qui a déterminé la date de la fête. Pour Hanouka, c’est le miracle de la petite fiole d’huile pure retrouvée dans le Temple de Jérusalem profané, qui a permis au candélabre de luire pendant huit jours.

Les deux fêtes empruntent la même métaphore de la lumière: pour les Chrétiens, Jésus est la lumière du monde, pour les Juifs, la lumière est la lutte pour faire émerger un monde meilleur.

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Au cours de l’histoire,  d’autres significations de ces fêtes se sont ajoutées  Ce ne sont pas les mêmes.

Noël est devenu le symbole de la paix. Jésus en est le Prince, suivant une expression reprise du prophète Isaïe et dans l’évangile de Luc, sa naissance est associée à une promesse de paix. A la Noël 191,4 on a vu dans des tranchées d’improbables et brèves fraternisations entre combattants ennemis.

Hanouka est plus ambivalente: la fête repose sur un événement historiquement daté (164 avant l’ère chrétienne), la réinauguration du Temple (c’est le sens du mot Hanouka) repris par les troupes de Judas Macchabée. Mais l’aspect guerrier de l’événement a été oblitéré au profit du miracle de la fiole d’huile. Celui-ci n’est pas signalé dans les livres des Macchabées, qui sont considérés comme apocryphes par la tradition rabbinique et n’apparaissent pas dans les écrits de Qumran. La primauté donnée au pouvoir divin sur les exploits militaires humains reflète les conflits entre les pharisiens et plusieurs rois hasmonéens.

Mais ces exploits pour la défense et pour la survie nationale du peuple juif résonnent fortement dans l’histoire contemporaine d’Israel. De plus Hanouka, c’était le moment où chaque famille affirmait fièrement son identité juive en illuminant sa maison aux yeux d’un monde souvent hostile. Il n’est pas étonnant que cette fête soit devenue l’une des plus unitaires du judaisme.

Cette année 2024, Noël et Hanouka sont survenus dans un cadre de relations tendues, c’est le moins qu’on puisse dire, entre Israël et le Vatican.

Pour réaliser une crèche de Noël sur la place Saint Pierre, le Vatican a sollicité deux artistes de Bethléem. Un membre de l’Ambassade palestinienne y a ajouté un keffieh dans lequel le petit Jésus s’est trouvé enveloppé. C’est ainsi que le Pape a inauguré la crèche. Quelques jours plus tard, devant l’ampleur des critiques, le keffieh a été enlevé.

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Le Pape s’est prêté là à une triple confusion.  Confusion des  chrétiens de Bethléem et des habitants de Gaza, quasiment tous musulmans. A Bethléem même, les chrétiens, naguère près de 90% de la population, sont à peine plus de 10% aujourd’hui, et la pression de l’islamisme n’est pas pour rien dans cette disparition.

Ensuite, emblématisation abusive des Palestiniens comme les faibles parmi les faibles, en ligne avec la préférence du Pape François pour une Eglise des pauvres, que symbolise l’adoration des bergers devant la famille misérable de l’enfant Jésus.

Enfin, Jésus serait un enfant palestinien, les Juifs n’auraient donc rien à faire sur cette terre. C’est la thèse martelée par Mahmoud Abbas, la vieille thèse des Khazars. Elle a été démolie par les études de population qui confirment le lien génétique des Juifs européens avec le Moyen Orient, mais Abbas sait qu’une image de Jésus au keffieh est plus efficace que cent travaux scientifiques contraires. Et il ne faut pas compter sur lui pour rappeler que la circoncision au huitième jour de vie est une pratique juive, même si elle s’appelle en l’occurence le Jour de l’An chrétien.

Une étude récente de l’institut Memri dévoile l’ampleur des persécutions subies par les chrétiens face aux mouvements islamistes, mais le Pape François semble tétanisé par l’accusation d’islamophobie lancée contre Benoit XVI, quand celui-ci en 2006 dans un discours devant un parterre académique à Ratisbonne, avait rapporté une simple phrase d’un empereur byzantin sur la violence de l’islam. 

C’est ainsi que François, quand il manifeste sa solidarité aux chrétiens d’Orient le 7 octobre 2024, se contente d’écrire, un an après le 7 octobre 2023, que «ce jour-là la mèche de la haine a été allumée» sans jamais utiliser les mots massacres, Hamas, Juifs  ou otages. 

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Certes, il a demandé la libération des otages dans d’autres circonstances et il n’y a pas de motif, au regard de sa vie, de l’accuser d’antisémitisme. Il est normal qu’il soit inquiet des souffrances de la population de Gaza. Mais comment le Pape peut-il refuser de voir ou craindre de dire que l’idéologie mortifère du Hamas est la cause première de ces souffrances?

Et comment peut-il laisser planer l’hypothèse d’un génocide à Gaza, alors qu’il devrait savoir mieux que d’autres que l’intention génocidaire est consubstantielle à l’existence d’un génocide et que cette intention n’existe pas ici: ce qui existe, ce sont les tragiques réalités de la guerre.

C’est là où la préférence absolue pour la paix, quelles qu’en soient ses conséquences et ses modalités, peut être aussi une arme de destruction. C’est là où le message de Hanouka diverge de celui de Noel, lequel ne fut  d’ailleurs jamais respecté par la chrétienté.

 Les anges ont des mains blanches, mais, pour paraphraser Camus, ont-ils encore des mains?

Les contre-vérités de Jean-Pierre Lledo

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Benjamin Stora, historien francais, professeur des universités, Rue Soufflot à Paris. 19/4/2018. ERIC DESSONS/JDD/SIPA

Suite à la publication de l’article de Jean-Pierre Lledo sur le site de Causeur, le 26 décembre, Benjamin Stora, professeur des universités, a demandé le droit de réponse afin de réfuter les accusations qui y sont portées contre lui.


Le journal Causeur vient de publier le 26 décembre 2024 sur son site un long article diffamatoire sur ma vie et mes travaux, signé de Jean-Pierre Lledo.

Avant de répondre, sur un plan factuel, aux graves accusations qui sont portées contre moi, je voudrais préciser deux points :

Je subis depuis de nombreuses années des violentes attaques antisémites publiées, en Algérie sur des sites comme Algérie patriotique (pas moins de huit articles qui m’attaquent en tant que juif) ; en France dans diverses publications comme Riposte Laïque (dans lequel écrit régulièrement monsieur Lledoremettant en cause ma qualité d’historien, en me traitant « d’historien officiel », ou « d’historien de cour ».

Pendant que Jean-Pierre Lledo était militant du Parti communiste algérien pendant de nombreuses années (de l’indépendance de l’Algérie en 1962 à son départ du pays en 1993,) il n’a cessé de défendre en Algérie les différents pouvoirs qui se sont succédé : de celui de Houari Boumedienne, à celui de Chadli Bendjédid. Pendant toute cette longue période, je ne l’ai pas rencontré dans tous les combats que j’ai menés à cette époque : la défense des militants du « Printemps berbère » en 1980; le combat contre le code de la famille en 1983 ; les luttes pour la construction de la Ligue algérienne des droits de l’homme commencée en 1984 ; la campagne pour la libération des militants arrétés en 1985…. Et je pourrais poursuivre la longue liste des combats menés où je n’ai jamais croisé Jean-Pierre Lledo.

J’ajoute que, dès 1978, j’ai soutenu ma thèse sur Messali Hadj, premier travail qui remettait en cause le discours officiel algérien véhiculé par le FLN alors au pouvoir (et tous ceux qui le soutenaient). Il est vrai qu’à cette époque Jean-Pierre Lledo faisait ses études à Moscou où il a obtenu un diplôme d’état de cinéma en 1976. Avec l’historien Mohammed Harbi et d’autres historiens algériens, j’ai élaboré un dictionnaire biographique de 600 militants, grâce aussi à l’aide de militants d’opposition, comme Hocine Ait Ahmed ou Mohamed Boudiaf. A ce moment, j’ai également publié une biographie de Ferhat Abbas, écrite avec le concours de la famille de Ferhat Abbas (qui était un ami de ma famille à Khenchela). Tous ces livres biographiques de responsables algériens ont été interdits en Algérie, et monsieur Lledo qui vivait dans ce pays n’a jamais protesté.

Dans mon documentaire, Les Années algériennes, diffusé en 1991, j’ai été le premier historien à faire découvrir l’horrible massacre de Melouza perpétré en mai 1957 par une unité de l’ALN, sur 374 villageois, soupçonnés de sympathies messalistes qui ont été égorgés. Mais Jean-Pierre Lledo n’a rien dit à ce moment-là sur ce documentaire, vivement critiqué dans la presse algérienne, alors qu’il vivait en Algérie.

Revenons maintenant sur quelques faits énoncés dans cette longue diatribe.

Jean-Pierre Lledo ne cite aucun de mes livres autobiographiques, Les Clés retrouvées une enfance juive à Constantine (Ed Stock) ; Les trois exils (publiés il y a vingt ans), ou L’Arrivée, de Constantine à Paris, où je raconte le pogrom antijuif du 5 aout 1934 à Constantine, par des musulmans, et l’assassinat de Raymond Leyris en juin 1961, par un membre du FLN (également raconté dans mon documentaire, Notre histoire, diffusé en 2012).

Il ne cite pas l’exposition, « Juifs d’Orient », dont j’ai été le commissaire général qui relate le départ des juifs du monde arabe (l’exposition s’est tenue à Paris à l’Institut du Monde arabe en 2022) ; il ne cite pas l’exposition, « Les Juifs de France, du temps colonial à nos jours », dont j’ai été le commissaire général au Musée d’histoire de l’immigration avec Mathias Dreyfus et Karima Direche….. Il ne cite pas, non plus, l’exposition « Juifs d’Algérie », dont j’ai été un des responsables scientifiques, avec Raphaël Draï et Jacob Oliel (exposition au Musée d’Art et d’Histoire du judaisme, 2012), qui traite de la vie quotidienne des juifs en terre d’Islam et sous la colonisation française… La liste est longue des « oublis » de monsieur Lledo qui déforme volontairement tous mes travaux, comme par exemple, aussi, les documentaires (le dernier en date a été réalisé avec Georges Marc Benamou, en 2022).

J’ajouterai que pour le rapport demandé par le Président de la République française en 2020 et remis en janvier 2021, Jean-Pierre  Lledo ne cite pas (encore) parmi les préconisations formulées, la demande d’excuses au sujet du massacre d’Européens du 26 mars 1962 de la rue d’Isly ; ainsi que la demande de reconnaissance sur les massacres de harkis. J’invite donc monsieur Lledo à lire ce rapport, publié par les éditions Albin Michel en 2021. A ces deux préconisations, le Président de la République a répondu favorablement par un discours prononcé à l’Elysée le 19 mars 2022, en demandant « pardon aux pieds-noirs, et aux harkis ». J’ai formulé d’autres préconisations, qui demandent aussi la reconnaissance de crimes commis par l’armée française (commis sur Maurice Audin, Ali Boumendjel ou Larbi Ben M’hidi,) et que la France vient de reconnaitre officiellement.

Je pourrais encore continuer longuement à énumérer la liste des mensonges, contre-vérités de toutes sortes que l’on trouve dans ce texte.

Je voudrai terminer en disant que j’ai pris position pour la libération de Boualem Sansal dès l’annonce de son arrestation, sur ma page X (Twitter) (et j’invite à regarder ma page, et la date) ; que j’ai immédiatement publié la déclaration de la LDH, et signé la pétition de la Revue politique et parlementaire demandant sa libération.

Voilà près d’un demi-siècle que je travaille sur l’histoire de l’Algérie contemporaine, travail commencé sous la direction de René Rémond, en 1974 puis en devenant Professeur des universités en 1991, avec une thèse d’Etat soutenue sous la direction du Professeur Ageron. Et depuis longtemps, je continue ce combat pour m’approcher au plus près de la vérité historique, en me défendant contre les faussaires de l’histoire.

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DROIT DE REPONSE
Dans mon article publié sur Causeur.fr
du 26 décembre 2024, j’avais accusé l’historien B. Stora d’avoir dans une chaîne publique tiré sur l’ambulance (en l’occurrence l’écrivain algérien Boualem Sansal, emprisonné depuis le 16 Novembre). Loin d’être un lapsus, cela trahissait une volonté de ne pas déplaire aux pouvoirs algériens. Je le prouvais par trois exemples, de surcroît personnels. Dans sa réponse, Stora n’y a rien trouvé à objecter. Par contre, il s’est livré à un pitoyable exercice de désinformation concernant ma personne.
1 – « Riposte Laïque (dans lequel écrit régulièrement monsieur Lledo) ».
Faux Mr Stora, Wikipédia vous a induit en erreur ! J’ai mis fin à ma collaboration, il y a plus de 10 ans, ayant eu à y subir une censure, leur combat contre le tropisme envers l’islamisme restant estimable. 
2 – « Militant du Parti communiste algérien pendant de nombreuses années (de l’indépendance de l’Algérie en 1962 à son départ du pays en 1993), Lledo n’a cessé de défendre en Algérie les différents pouvoirs qui se sont succédés, de Boumédiène à Chadli.»
En 1962, j’avais 14 ans ! De plus en Novembre 1962, le PCA qui voulait se reconstituer, fut interdit. Par contre en 1965, à 17 ans, j’adhère à l’ORP (Organisation de la résistance populaire) qui combat le coup d’Etat de Boumédiène. En 1967, étudiant à Paris et à Nanterre, j’adhère au syndicat des étudiants algériens (UNEA), et au PAGS (‘’Parti de l’avant-garde socialiste’’ qui se veut le continuateur du PCA). Ne me sentant pas ‘’français’’, cette adhésion à deux organisations interdites en Algérie, était une manière pour moi de m’inscrire simultanément dans l’algérianité et dans la contestation, puisqu’en Algérie, comme dans le reste du monde arabo-musulman, un Juif qui aspire à une vie active dans la cité ne peut trouver place que dans les partis communistes, un des rares lieux de multiethnicité. 
Ceci dit, je quitte le PAGS fin 1990. Légalisé en 1989, comme les autres partis, je m’aperçois vite que les services de sécurité l’ont pénétré par tous ses pores, et ce, jusqu’à sa direction. De plus dans la lutte contre l’islamisme, je refuse l’allégeance aveugle à l’armée.
Désinformer cinq fois en une seule phrase, à quoi il faudrait ajouter votre invitation à lire votre Rapport à M. Macron, alors que dans mon texte initial je signalai ma critique parue dans la Revue politique et parlementaire, cela ne suffit-il pas à vous classer dans la catégorie de que j’appelle ‘’les historiens de l’à-peu-près’’ ? 
3 – « Pendant toute cette longue période, je ne l’ai pas rencontré dans tous les combats que j’ai menés à cette époque ».
Moi non plus. Depuis 1967, je ne vous ai pas rencontré dans tous les combats menés à cette époque, et, dans mon cas, dans des organisations algériennes, que ce soit à Paris (1967-69), à Moscou (69-76), à Alger (1976-1993), puis à nouveau Paris, contre l’islamisme (1993-2011). Si l’enquête loyale avait encore fait partie de votre arsenal d’historien, vous auriez pu apprendre quel a été mon rôle en Algérie dans l’organisation des cinéastes, la seule à refuser la tutelle FLN et qui résista jusqu’en 1987, puis dans le RAIS (Rassemblement des artistes, intellectuels et scientifiques, 1983-1993) qui rassemblait plus de 3000 personnes pour la liberté d’expression et pour la reconnaissance de l’identité berbère, puis dans le Comité contre la Torture (1988-93), enfin contre le nouveau fascisme vert…
Toujours accro à Wikipédia, vous tenez à signaler que j’ai été étudiant de cinéma à Moscou. Sachez donc qu’après concours, j’ai eu l’honneur d’être choisi par Mikhael Romm, chez qui étudièrent quelques années plus tôt Tarkovski et Kontchalovski, si ces noms vous disent quelque chose.
Et quand vous vous vantez d’avoir défendu des militants du « Printemps berbère » en 1980 et œuvré à la libération des militants arrêtés en 1985, mes amis kabyles me disent n’en avoir rien jamais su… 
Enfin grâce au témoignage d’un de vos anciens amis trotskystes-lambertistes, cet autre Juif d’Algérie, Jacques Simon, je constate que pendant que nous essayions d’empêcher le FIS (Front Islamique du Salut) de prendre le pouvoir, vous le légitimiez: « Dans son Appel du 1er novembre 1954, le FLN ne se fixait-il pas au départ, comme but de son combat, ‘’l’indépendance nationale, par la restauration de l’État algérien souverain, démocratique et social, dans le cadre des principes islamiques’’ ? L’islamisme algérien se présente comme le stade suprême du nationalisme. Un front (le FIS) chasse l’autre. », L’Express, 29 juin 1990. Ou alors dans Jeune Afrique (27 juin/3 juillet 1990): « La victoire du FIS est l’aboutissement de la logique indépendantiste née dans cette contre-société. En ce sens, les hommes du FIS peuvent se réclamer de ceux du 1er novembre 1954.». Points de vue que l’on peut retrouver sous votre signature dans toute la presse française de gauche de l’époque, et pas que… 
Est-ce la leçon que vous administra l’écrivain algérien Rachid Boujedra en direct dans une TV française (que je vis fin 1993 ou 94) qui vous retourna au point d’abandonner les islamistes pour vous rabibocher avec les autorités algériennes, en pleine guerre civile ?
4 – « Alors qu’il vivait en Algérie à ce moment-là Jean-Pierre Lledo n’a rien dit de mon documentaire ‘’Années algériennes’’, diffusé en 1991 et vivement critiqué dans la presse algérienne… ».
C’est vrai, mais contrairement à vous, je n’ai pas pour habitude de parler de films que je n’ai pas vu, celui-ci n’ayant pas été diffusé en Algérie comme vous auriez dû l’imaginer. De plus à cette époque du danger islamiste, nous avions d’autres chats à fouetter… (Au fait, pourquoi s’approprier un film qui, d’après le générique, a un réalisateur ?).
Après avoir redressé vos coups tordus, j’en viendrai prochainement à l’examen, autrement plus important, de vos narratifs concernant la guerre d’Algérie, le 8 Mai 45, le pogrom de 1934, de la colonisation, de la stratégie du FLN, et de votre dada, ‘’la guerre des mémoires’’. 
En attendant, constatant que votre attaque contre Sansal fait de vous un héros dans les réseaux sociaux manipulés par les services algériens, sans aucune réaction de votre part, et que les indignes propos du président Tebboune à l’encontre de Sansal : « Voilà, un voleur dont l’identité et le père sont inconnus… » n’ont pas heurté votre ‘’sentiment national’’, et ce au risque d’être taxé d’en être l’auxiliaire, je tiens à réitérer ma prière : N’ajoutez pas l’impudence à l’indécence et quittez prestement le Comité de Soutien à Sansal !Jean-Pierre Lledo, mardi 14 Janvier 2025

Noël : Darmanin au charbon

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Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, lors de la cérémonie de passation de pouvoir, ministère de l'Intérieur, Paris, 23 septembre. Jacques Witt/SIPA

Pas de Trêve des confiseurs pour le nouveau ministre de la Justice. Et Libé se plante en voulant jouer l’ironie prophétique.


Quid de la Trêve des confiseurs 2024 chez nos politiques ? Quelques-uns de nos ministres honorent la pause-nativité, pour réduire un temps le tumulte de leur quotidien en respectant ce moment sacré ; d’autres déballent cadeaux et autres attentions sous les fourches qui n’ont rien de caudines d’un sapin étincelant ; certains s’adonnent aux joies de la poudreuse en renouant avec la chaleur d’un chalet-image d’Epinal ; d’autres enfin ont opté pour une pause de Noël tropicale avec les alizés en guise de bise, loin des embarras hidalguesques. Pas Gérald Darmanin…

Le nouveau ministre de la Justice, que le pays des Corons a offert à la France, est, lui, au charbon. Les mains dans le cambouis. Rencontre avec les magistrats à Amiens, visite de la prison de Liancourt dans l’Oise, 20 h sur TF1 et autres moments forts d’un agenda habilement planifié : le successeur de Migaud et de Dupont sait qu’il a fort à faire pour inverser la vapeur d’une justice, plus prompte à jouer les assistantes sociales auprès des délinquants que les Père Fouettard. Issu de la droite, le ministre se replonge visiblement avec délice dans un quotidien plus actif, dans la droite ligne de son passage remarqué à l’Intérieur. Un mandat conduit tambour battant à la Sarkozy, figure tutélaire originelle. Sa cote auprès des forces de l’ordre en est éloquente.

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Les enjeux ne sont pas minces : il s’agit pour lui d’assurer sa place dans les starting-blocks de la plus ou moins future course à l’Elysée, avec d’autres concurrents issus du post-gaullisme à ses côtés, dont le très populaire ministre de l’Intérieur Bruno Retaillau, pour lequel de nombreux Français ont les yeux de Chimène. En quelques semaines, il a fait montre de son opiniâtreté. Et ça paye ! Les autres impétrants à droite tiennent plus de l’anecdotique, voire du ridicule. Même si en politique, on ne peut présager de rien !Ces deux-là vont jouer l’émulation pour pousser chacun leur avantage, dans le droit fil de leurs idéaux et en parfaite symbiose avec l’opinion. Il s’agit de conforter leur aura et de prendre une sérieuse option pour 2027… au plus tard. En faisant fi des lourdes menaces qui planent déjà sur le Radeau de la Méduse, barré par le pas très sémillant capitaine Bayrou.

Le journal Libération, Livre des Psaumes des soixante-huitards attardés mais néanmoins dangereux, a cru bon de jouer sur ce «partenariat» justice-intérieur entre ces deux ministres, à la mission essentielle par les temps qui courent, mais aussi concurrents pour le Château. «Deux flics ami-ami» : plaquait-il en une, pensant dénoncer les lourdes menaces que représentait cette complicité obligée entre des ministres-phares de même obédience, dans ce nouveau gouvernement, fait par ailleurs de bric et de broc.

Raté ! Et même pain bénit pour ces deux-là, ravis de l’aubaine de se voir ainsi délivré un brevet de reconnaissance plutôt qu’une fatwa, oserait-on dire. Le Père Noël est bien passé à Beauvau, après un détour par la place Vendôme. Et son message, via Libé, imprime déjà…

Un féminisme sensuel 

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Pascale Kramer, Paris, 11/12/2008. ANDERSEN ULF/SIPA

Un féminisme sensuel : voilà ce que propose avec intelligence Pascale Kramer dans Les indulgences, son audacieux et délicat roman, publié chez Flammarion.


Clémence, 13 ans, est follement amoureuse de Vincent, son oncle, commissaire-priseur et homme à femmes. Il n’y prête guère attention ; il résiste. Mais cinq ans plus tard, elle devient sa maîtresse au grand dam d’une bonne partie de la famille. Voilà la situation qu’analyse Pascale Kramer, habile et talentueuse romancière, dans son si délicat roman, Les indulgences. Elle analyse, oui, sans jamais juger ; ça devient rare. En ces époques de radicalisation de tous ordres, plus d’une eût pu faire de Vincent un monstre, un velu moyenâgeux, un mâle pervers et dominant, un gorille incestueux. Elle s’y refuse ; Pascale Kramer, n’épargne pas non plus le séducteur mais elle nuance ; ça fait un bien fou quand, aujourd’hui, le simple fait de dire sur les réseaux sociaux qu’avant de condamner Depardieu, il faudrait que la justice passe, vous vaut des tombereaux d’injures et menaces diverses. Tristes temps ! 

L’intelligence de Pompidou face à l’affaire Gabrielle Russier

Pascale Kramer développe la même intelligence que Georges Pompidou quand celui-ci, au lendemain du suicide de Gabrielle Russier, cita de magnifiques vers d’Eluard, laissant entendre qu’il ne se sentait pas l’âme d’un juge devant une tragique histoire de passion entre un élève mineur et son professeur de français, largement majeure et si séduisante.  

Photo : Jean-François Robert © Flammarion

Mais ce roman n’est pas qu’analyses et réflexions ; il est aussi et surtout finement écrit, construit avec rigueur et vigueur ; jamais on ne s’ennuie dans ce texte qui alterne poésie pure et audace crue. Pascale Kramer nous fait fantasmer quand elle décrit Karine « et ses chairs rousses » ; elle nous épate quand elle écrit : « Au fond du tiroir laissé ouvert s’effritaient un petit sac de lavande et les débris d’un papillon de nuit sec comme de la cendre. » (Comme c’est bien vu !) Elle nous fait penser à Albertine Sarrazin ou à Anaïs Nin quand elle se permet : « Alors elle le laissa presser son ventre contre le sien et réveiller en elle ce soudain et mystérieux besoin d’être vandalisée », ou encore « C’est un soir en rentrant à la maison à vélo qu’elle sentit une chaleur gluante inonder soudain son entrejambe. »

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Pascale Kramer écrit comme les romancières d’antan, les Colette, les George Sand, les Nin et Sarrazin (encore et toujours) ; elle a la liberté de Bardot époque Vailland et Vadim ; elle a le féminisme doux et sensuel des Badinter et des Agacinski. Loin, si loin, des ayatollahs en jupons qui vomissent quand une petite fille s’habille en rose ou qu’elle n’a pas envie de jouer aux soldats de plomb. 

Les indulgences de Pascale Kramer font un bien fou.

Pascale Kramer, Les indulgences (Flammarion, 2024).

Les indulgences

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Une fatwa anti-Hamas

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© D. R.

Les langues se délient contre le Hamas, le professeur Salman Al-Dayah condamne leurs actions dans une fatwa, jugeant qu’ils ont « violé les principes qui régissent le djihad »… nourrissant le débat dans le monde arabo-musulman sur le recours à la violence.


Le pogrom du 7-octobre vient d’être condamné, non par quelque institution occidentale suspectée de philosémitisme, mais par un des érudits religieux les plus respectés de Gaza. D’après la BBC, le professeur Salman al-Dayah, anciennement doyen de la faculté de charia et de droit de l’université islamique de Gaza, a publié début novembre une fatwa, ou avis juridique, qui condamne le Hamas pour avoir « violé les principes islamiques qui régissent le djihad ». La fatwa, dont le texte de six pages a été posté sur Facebook, assène que si le djihad – qu’il soit une lutte pour le progrès spirituel ou un combat armé contre les infidèles – ne respecte pas ses propres « piliers, causes ou conditions », « il doit être évité pour ne pas détruire les vies des gens ». En lançant l’opération « Déluge d’Al-Aqsa », les dirigeants du Hamas auraient pu prévoir la réponse d’Israël qui dispose d’une puissance militaire écrasante. Ils auraient dû donc abandonner ce projet afin d’épargner des vies palestiniennes. L’érudit dénonce aussi l’utilisation de la population civile et de ses infrastructures comme boucliers humains, accusant le Hamas de ne pas respecter l’obligation « d’éloigner les combattants des maisons et des abris des civils sans défense » et de faire le plus possible pour garantir leur sécurité, leur santé, et leur accès à l’éducation et à l’activité économique. Enfin, il pointe la part de responsabilité du Hamas dans la pénurie d’approvisionnements à Gaza. Étayant ses arguments par des citations du Coran et des références à la sunna, le professeur déclare : « La vie humaine est plus précieuse aux yeux de Dieu que La Mecque. » Salafiste modéré voire quiétiste, Salman al-Dayah s’oppose au Hamas sur plusieurs points : le bien-fondé de la lutte armée, la priorité accordée aux décisions des dirigeants politiques plutôt qu’aux principes islamiques et la coopération avec l’Iran chiite. Sa fatwa est une humiliation pour le Hamas qui se targue de justifier ses actions par des arguments religieux. Elle pourrait aussi nourrir le débat dans le monde arabo-musulman sur le recours à la violence dans la poursuite de buts qu’on prétend spirituels.

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Mal de maires

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106e Congrès des Maires à Paris, 21 novembre 2024. Au centre, David Lisnard, président de l'Association des Maires de France © Lionel Guericolas /MPP/SIPA

Dans les hautes sphères administratives, tout le monde est convaincu que le mille-feuilles territorial et la fonction publique qui va avec nous coûtent un pognon de dingue. Cependant les élus locaux ont de solides arguments pour résister aux coups de laminoir envisagés à Paris.


Dans les années 1990, les cours de Sciences-Po parlaient des « grandes lois de décentralisation ». Le pouvoir se rapprochait du peuple. Aujourd’hui, on ne sait plus comment se dépêtrer de cette usine à gaz territoriale devenue pompe à fric. Début octobre, la Cour des comptes a rendu public un rapport pointant une dérive des dépenses des collectivités (communes, départements et régions). L’analyse des sages de la rue Cambon est assortie d’une proposition : se séparer de 100 000 agents de la fonction publique territoriale (FPT) pour économiser 4 milliards d’euros par an.

Agacée, l’AMF (Association des maires de France) a rejeté en bloc les chiffres comme les propositions du rapport. Les élus locaux n’en démordent pas : leurs collectivités, qui ne cessent d’assumer de nouvelles compétences, ont besoin de personnel. Ce n’est pas chez eux qu’on trouvera du gras. Résultat, Michel Barnier, qui dans une de ses premières moutures budgétaires pensait leur imposer un régime minceur de 5 milliards d’euros, a battu en retraite. Au-delà des polémiques, ce dialogue de sourds entre l’État et les collectivités par le truchement de la Cour des comptes met en lumière une question fondamentale : qui fait quoi et qui paie quoi ?

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Dans cette affaire, tout le monde a raison et tout le monde a tort. Pour le comprendre, il faut mettre de côté les « villes-mondes » comme Paris, où se trouvent les plus grands centres de décisions et qui attirent les talents internationaux, pour s’intéresser aux communes plus modestes, dans lesquelles vit la majorité des Français. Sur ces territoires, qui font le charme du pays, le maire n’est pas seulement un dirigeant, il est un pilier social, l’incarnation de l’existence même d’une communauté politique.

Recruter est une course d’obstacles pour les élus locaux

L’édile d’une ville moyenne confie, non sans une pointe d’amertume : « Il y a des agents que nous conservons simplement parce qu’ils ne trouveraient jamais un emploi ailleurs. Les licencier créerait un drame. Je suis le premier employeur de la ville ! » Un « maire poule » en somme. Et d’ajouter : « Quelques dizaines d’autres glandouillent, mais ils sont intouchables à cause du statut des fonctionnaires. » La gestion des ressources humaines dans la FPT, ce n’est pas seulement une affaire de comptes, mais de parents qu’on croise au marché, d’enfants qu’on a vus naître. Et puis, il y a tous ces risques de procès si l’on touche à un cheveu du personnel. Sans oublier les calculs électoralistes et leur volet clientéliste. Les maires se trouvent souvent face à des dilemmes difficiles à trancher.

En prime, recruter est une course d’obstacles pour les élus locaux, qui doivent en permanence jongler entre statuts et contraintes administratives. Surtout que les agents de la FPT, majoritairement de catégorie C (71,3 % contre 20 % pour l’État), souffrent d’une rémunération modeste et ne bénéficient pas des mêmes avantages que leurs collègues de la fonction publique d’État. Nombre de ceux que nous avons interrogés indiquent, par exemple, ne pas disposer de titres-restaurant.

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Un indicateur clé permet cependant d’esquisser une analyse comparative : le taux d’encadrement, qui mesure le nombre d’agents municipaux pour 1 000 habitants. À première vue, ces chiffres semblent éclairants. Avec 20 agents pour 1 000 habitants, la commune du maire cité plus haut affiche un ratio similaire à des villes comme Rennes ou Angers, mais largement supérieur à celui de métropoles comme Marseille (13,8) ou Lyon (14,3). « On ne peut pas comparer les mairies sur le simple taux d’encadrement, cela dépend énormément des niveaux de gestion territoriale », relativise le maire. Il n’a pas tort. Un directeur de mairie en Île-de-France explique : « Nous avons de nombreux équipements sportifs et culturels qui profitent aux habitants des communes voisines, mais ce sont nos agents qui les gèrent. » Ces disparités brouillent les comparaisons.

La nécessité d’une simplification drastique du mille-feuilles administratif

Reste un constat implacable : la décentralisation, amorcée par la loi Defferre en 1982, a multiplié les échelons administratifs. Et les « mutualisations » annoncées n’ont pas toujours fait diminuer les effectifs. Car il ne suffit pas de répéter que « le service public a un coût légitime ». Il faut répondre aussi à la question : ce coût est-il optimal ? Or, malgré des dépenses conséquentes, le citoyen moyen continue de pointer du doigt la qualité des services publics, qu’il juge insuffisante. L’exemple de Montpellier est édifiant. Entre 2015 et 2021, la Ville a vu ses charges de personnel augmenter de 18 millions d’euros, tandis que ses effectifs passaient de 3 510 à 3 710, malgré une mutualisation avec la métropole et une externalisation de certains services. « Toujours de bonnes raisons d’embaucher, mais peu de critères objectifs pour évaluer l’efficacité », alerte un rapport de la chambre régionale des comptes d’Occitanie.

Dans les plus petites villes, le sujet est tout autre. En Île-de-France, un élu raconte comment sa commune a privatisé la gestion des crèches : « Cela a réduit les coûts et satisfait les parents, mais les anciens agents municipaux ont été maintenus jusqu’à leur départ en retraite. » Une transition peu optimale, qui s’explique à la fois par les difficultés administratives quand on veut réaffecter un agent, et par l’effet « petite ville » où tout le monde croise tout le monde.

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À ces problématiques s’ajoutent les nouvelles missions confiées aux communes, comme la délivrance des passeports ou des cartes d’identité. Dans une autre mairie d’Île-de-France où nous avons enquêté, deux agents ont dû être embauchés pour cette tâche, alors que les recettes générées reviennent intégralement à l’État.

Pour les élus et les fonctionnaires locaux, la solution passe par une simplification drastique du mille-feuilles administratif et une autonomie accrue. « Laissez-nous faire les grands choix dans un cadre légal clair et égal pour tous, assuré par l’État », plaide un maire. Les grilles salariales figées, la rigidité statutaire et le manque de flexibilité découragent les talents, particulièrement chez les cadres, et ne permettent pas d’attirer des techniciens hautement qualifiés. Bref, il ne faut rien s’interdire. Surtout pas de réfléchir à la pertinence d’un statut protecteur qui finit par pénaliser tout le monde, y compris les principaux intéressés.

Benjamin Stora, avocat de l’Algérie ou ambassadeur plénipotentiaire de la France ?

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Emmanuel Macron reçoit des mains de l'historien Benjamin Stora son rapport sur la mémoire de la colonisation de l'Algérie, palais de l'Elysée, 20/01/2021, Christian Hartmann/AP/SIPA.

L’historien auteur du fameux « Rapport » qui porte son nom a paru peu enclin à défendre Boualem Sansal après son arrestation par les autorités algériennes. Ce fait est à mettre en parallèle avec son refus obstiné à admettre l’existence d’une judéophobie musulmane en Algérie avant, pendant et après l’indépendance de ce pays. Tribune du cinéaste et essayiste, Jean-Pierre Lledo.


Beaucoup de ceux qui avaient encore quelque estime pour cet historien ont été choqués par ses propos le dimanche 24 novembre sur la chaine publique France 5, suite à l’arrestation de l’écrivain algérien Boualem Sansal dès son arrivée à l’aéroport d’Alger, huit jours plus tôt.

Choqués de constater que sa réprobation de l’arrestation, du bout des lèvres, n’ait été que le prélude obligé à une condamnation sans appel de l’écrivain proférée du haut de son piédestal d’historien, de surcroit avec une joie mauvaise. Choqués donc qu’au moment où les voix de grands intellectuels s’élevaient contre l’arrestation d’un écrivain qui n’était coupable d’aucun acte criminel, l’historien, lui, tirait sur l’ambulance. 

A cette triste inconvenance, s’ajoutait une tentative de réfutation des propos de l’écrivain, tout à fait indigne d’un historien qui, s’il se vend habituellement comme « Monsieur Guerre d’Algérie », n’a jamais été un spécialiste de l’histoire ancienne du Maghreb. 

Mais qu’avait donc dit Boualem Sansal de si répréhensible ? « Tout le problème vient d’une décision prise par le gouvernement français : quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc, Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara […] la France a décidé comme ça, arbitrairement, de tracer une frontière… ».

Et que répliqua Stora à l’écrivain qui ne pouvait désormais plus lui répondre ?  

« C’est l’Émir Abdelkader qui a levé l’étendard contre la France… ! C’est un héros national en Algérie ! L’Emir Abdelkader qui était de Mascara… ! Mais je vais aller plus loin ! [Rires de Stora et du présentateur] C’est que celui qui a inventé le mouvement national algérien, avec d’autres, s’appelle Messali Hadj, il est né à Tlemcen… ! Tlemcen, c’est à la frontière avec le Maroc ! Et c’est lui qui va porter l’idée nationale ! Et on nous dit que ce n’est pas important ? ! »

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L’Emir Abdelkader a levé l’étendard contre la France, certes, mais quel étendard ? Celui de l’Algérie ? Non, elle n’existait pas comme nation. Ou plutôt l’étendard de l’islam et de quelques tribus de l’ouest ? L’Émir ne fut-il pas vaincu précisément parce que sa révolte resta seulement celle des tribus qui appartenaient à sa confrérie religieuse des Qadirya ? « Il se réclamait de la protection du sultan du Maroc, sous laquelle il a cherché refuge avant de reprendre la lutte en 1845 et de se réfugier une dernière fois au Maroc – qui l’obligea à se rendre aux Français – en 1847 », précise un historien moins soucieux d’idéologie, et plus des faits, Guy Pervillé. Enfin, si la Régence ottomane ne put s’emparer que de la partie orientale du Maghreb (Tunis) et de sa partie centrale (Alger), et jamais de sa partie occidentale, n’est-ce pas parce que le Maroc, au travers de toutes les dynasties qui l’ont constitué en royaume, avait déjà une personnalité suffisamment affirmée pour s’affranchir de son joug ?

Quant à Messali Hadj, en quoi viendrait-il contredire Sansal, lui qui devint le chef du premier parti nationaliste, le PPA… en 1933 ? Un siècle après la conquête française ! Et ce alors que la France a déjà annexé des territoires marocains, qui deviendront de la sorte des territoires algériens, sans que la promesse du FLN de redéfinir la frontière avec le Roi du Maroc après l’indépendance de l’Algérie ne soit jamais honorée, source de conflits et d’animosité jusqu’à aujourd’hui, puisqu’à plusieurs reprises les frontières ont été fermées, et les relations diplomatiques rompues. Au fait, l’historien partagerait-il la vision du PPA et de son chef Messali Hadj : « La Nation algérienne, arabe et musulmane, existe depuis le VIIème siècle » (selon le mémorandum présenté à l’ONU à la fin de 1948) ?

Et c’est sans doute parce que Stora est quand même conscient de sa faiblesse argumentative, qu’il n’hésite pas à franchir le pas de l’histoire vers l’affect : « Imaginez ce que ça représente pour les Algériens ! Ça blesse le sentiment national ! »Mais de quelle autorité, de quels travaux peut-il se prévaloir, pour se poser en spécialiste de la psyché algérienne ? Serait-il devenu l’avocat du pouvoir algérien, son ambassadeur ?

Question tout à fait légitime de mon point de vue qui ai eu plusieurs fois maille à partir avec cet historien.

Algérie, histoires à ne pas dire

Ce film qui montrait que la guerre de libération fut aussi une guerre d’épuration des populations non-musulmanes, fut interdit par les autorités algériennes dès que je le terminai, en juin 2007. Sorti en France en février 2008, Le Monde lui consacra sa 3ème de page. La critique cinématographique de Thomas Sotinel étant élogieuse, la journaliste politique Florence Beaugé se chargea de la contrecarrer sur le plan historique. Et face à Mohammed Harbi, que j’avais invité à voir le film, qui déclare honnêtement : « le principal mérite de ce documentaire est de jeter un pavé dans la mare et d’inciter les Algériens à accepter de se regarder, même si le miroir qu’on leur présente est déformant », les deux autres, Djerbal et Stora, « regrettent que les témoignages présentés par Lledo soient sortis de tout contexte »… Ah, ce « contexte », régulièrement convoqué pour atténuer la barbarie ! Le 7 octobre 2023, le Hamas se comporta de manière barbare… ? « Oui, mais… le contexte ! » Dans cet article, la journaliste ne trouvera rien de plus précis à leur faire dire. Et pour cause ! Ni l’un ni l’autre n’avaient vu le film ! J’avais organisé 3 projections (privées), en juillet à Alger où j’avais invité Harbi de passage, et Djerbal ne vint pas, et une générale en février 2008 à Paris où j’avais réinvité Harbi, mais pas Stora.

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Et si Stora s’est senti obligé de dire son désaccord avec l’arrestation de Sansal, dans mon cas, il ne s’éleva même pas contre la censure du film en Algérie. Et ce, pour la simple raison que la quête des personnages principaux, tous quatre Algériens musulmans, qui montre que l’épuration des non-musulmans est, durant toute la durée de la guerre d’Algérie, une stratégie concertée du FLN-ALN dès le début de la guerre, et non l’effet d’une cascade d’événements, va à l’encontre du méta-discours qu’il tient avec constance sur l’Algérie depuis ses débuts d’historien.

Le 5 juillet 1962 à Oran

En ce jour-là qui devait commémorer officiellement l’indépendance, suite aux résultats du référendum, eut lieu la plus grande tuerie de toute la guerre d’Algérie. L’historien Jean-Jacques Jordi, après plusieurs années de recherche dans les seules archives françaises, a réussi à identifier plus de 700 victimes assassinées ou disparues (quelques Arabes, une majorité de chrétiens, et une centaine de Juifs). Lorsque les archives algériennes seront ouvertes, ce nombre pourra être multiplié par deux ou trois. 

En 2013, je fis la description de cette terrible journée à propos de laquelle j’avais récolté des dizaines de témoignages d’Oranais de toutes origines, y compris familiaux, dans un article publié en deux parties par le Huffington Post qui s’attira une réponse de Stora contresignée par une dizaine d’universitaires et politiciens algériens qui n’avaient jamais écrit une seule ligne sur cette tragédie. 

Celui qui n’a jamais cru bon de consacrer un livre à l’évènement le plus meurtrier de toute la guerre, me répondit sans jamais évoquer mon film interdit en Algérie, dont la quatrième partie est entièrement consacrée à cet événement du 5 Juillet 1962. Notons que ce film n’a jamais été diffusé par une télévision en France, alors que Stora, qui n’est pas cinéaste, a bénéficié de ce privilège à de multiples reprises.

Mensonge direct ou par omission, diffamation, occultation, amalgame, fausse accusation, déduction abusive, tout cela en deux pages, sa réponse vise surtout à dénier que l’évènement ait pu être organisé en haut lieu… « Il ne faut pas non plus en venir à mettre en cause de manière globale et simpliste les indépendantistes algériens, ni négliger les nombreux témoignages qui relatent des faits de délinquance pure, commis dans un moment d’anarchie… ». Mais y a-t-il jamais eu un pogrom « spontané » ? La justice des Pays Bas ne vient-elle pas de déclarer que celui récent d’Amsterdam avait été concerté, technologie oblige, par WhatsApp ? La tuerie qui advint le 5 juillet 62, simultanément à la même heure (entre 11h et midi) dans tous les quartiers d’Oran, chrétiens et juifs, n’en est-il pas la meilleure preuve ? 

Mon film ne visait pas à se substituer au travail des historiens (véritables), mais à révéler des facettes de la guerre d’Algérie occultées par l’historiographie algérienne, qui sont absolument taboues. Pourtant, Stora m’accusait : « d’écrire une histoire hémiplégique qui ne s’intéresse qu’à une seule catégorie de victimes ». On voit bien aujourd’hui avec Sansal ce qu’il en coûte d’aller à l’encontre des narratifs historiques du pouvoir. 

Mais qui est « hémiplégique » ?

Le Rapport Stora de janvier 2021

L’Algérie n’ayant pas donné suite au projet d’un Rapport rédigé par une commission mixte d’historiens algériens et français, le président Macron commanda à Stora un rapport sur « Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Publié en son nom propre, l’objectif déclaré est de contribuer à une réconciliation franco-algérienne en apaisant les mémoires. Le résultat fut un ratage complet, le pouvoir algérien considérant que les concessions françaises n’étaient pas suffisantes. Et pourtant à combien de courbettes ce rapport ne s’était-il pas complu ! (Voir mes commentaires sur les parties 1, 2, 3, 4 et 5 du rapport).

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Lorsque des « massacres » y sont évoqués, il ne s’agit que de ceux dont ont été victimes les « Algériens ». Stora ignorerait-il que dans la région de Sétif en mai 1945, puis dans le Constantinois le 20 août 1955, ce sont les nationalistes musulmans qui déclenchèrent des insurrections dont la cible, au faciès, furent les non-musulmans, n’épargnant même pas les communistes, pourtant partisans de l’indépendance ? Quant aux massacres des Harkis, ce ne seraient que des « représailles », ce qui est reprendre à son compte le narratif scandaleux de l’État algérien les criminalisant.

Stora propose de commémorer des dates symboliques. Par exemple la répression de la manifestation FLN à Paris du 17 octobre 1961. Mais pourquoi pas aussi le massacre du 26 mars 1962 commis par l’armée française, fauchant en quelques minutes, à la mitrailleuse, près de 80 civils Pieds-Noirs sans armes ?

Il propose de reconnaître l’assassinat de l’avocat et militant politique Ali Boumendjel. Mais pourquoi pas aussi l’assassinat du chantre juif de la musique andalouse Raymond Leyris, assassiné le 22 juin 1961 à Constantine, à ce jour non revendiqué par le FLN ? Musique « judéo-amazigho-arabo-andalouse », et non pas seulement « arabo-andalouse », rectifie Mr Stora qui est resté muet lorsque Khalida Toumi, quatre fois ministre de la Culture dans les gouvernements Bouteflika, déclara s’être donné pour objectif de « déjudaïser la musique arabo-andalouse » ![1]

Et le Panthéon ? Oui, mais pas pour Gisèle Halimi, originaire de Tunisie, qui hormis son métier d’avocate, se positionna comme une militante anti-harki et anti-pied-noir. Pourquoi pas plutôt l’écrivain Jean Pélégri, publié par Gallimard, dont toute l’œuvre est marquée par l’idée de la complémentarité mémorielle entre l’Arabe et le Pied-Noir, ainsi que par les drames des injustices coloniales, puis algériennes ?

Stora attribue au cinéma la vertu d’être un « formidable catalyseur de mémoire ». Bien sûr, mais pourquoi taire l’omnipotence de la censure en Algérie ? Et au-delà du cinéma et de la littérature, l’exemple du chanteur Enrico Macias, interdit d’antenne et de scène dans son pays natal depuis 60 ans, alors qu’il est adulé par les Algériens !

Alors qui est « hémiplégique » ?

Colloque sur les Juifs d’Algérie – Jérusalem – 24 au 26 Septembre 2024

Ce colloque, ouvert au public, qui s’est tenu en Zoom, avait réuni des universitaires israéliens et français. Les questions soulevées par les intervenants étaient intéressantes. Sauf qu’il en manquait une et de taille : celle de la judéophobie musulmane avant, durant, et après l’indépendance. Ayant eu à examiner les relations judéo-musulmanes dans divers ouvrages et conférences, Stora était l’un des invités. 

Dès la fin de son exposé, la parole me fut accordée et je posai deux questions, l’une aux organisateurs et la suivante à Stora :

  • Comment se fait-il que dans un tel Colloque sur les « Juifs d’Algérie », il n’y ait pas une seule intervention sur la judéophobie musulmane, laquelle a été une réalité historique et est toujours une question d’actualité ?[2]
  • Mr Stora, pourriez-vous m’expliquer pourquoi vous avez constamment cherché à atténuer cette réalité ? Et pour ne prendre qu’un exemple, prenons celui du livre, commandité par l’Europe, que vous avez dirigé avec le Tunisien Abdelwaheb Meddeb Histoire des relations entre juifs et musulmans, des origines à nos jours, dédié à la conviviencia judéo-musulmane. L’un des articles écrits par l’un de vos amis constantinois, Abdelmajid Merdaci, fait les louanges de Raymond Leyris (il chantait en arabe, il y avait des Arabes dans son orchestre, etc.), sauf… qu’il occulte le fait que le musicien juif ait été… assassiné par le FLN, le 22 juin 1961.

Ne me laissant pas finir, Stora se mit à crier : « C’est faux ! ». Je pus lui répondre que c’était le témoignage de Jacques Leyris, le fils de Raymond. Menaçant de s’en aller, Stora continua son cirque, et les organisateurs coupèrent mon micro.

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Si j’avais pu poursuivre, j’aurais demandé aussi à Stora pourquoi dans le livre précité, il avait expurgé de la bibliographie les noms d’universitaires qui eux, n’avaient pas occulté dans leurs œuvres la judéophobie musulmane en Algérie, ces éminents chercheurs que sont Shmuel Trigano, Georges Bensoussan, Paul Fenton, et David Littman. Étrange coïncidence : ces mêmes universitaires n’avaient pas été invités à ce Colloque (à part Littman, décédé).

Conclusions

J’arrêterai là la liste loin d’être exhaustive de mes griefs. Ceux ici invoqués sont suffisants pour que l’on puisse se persuader que le coup de poignard dans le dos asséné à un écrivain jeté en prison n’était pas un lapsus. C’était plutôt la continuation en droite ligne de sa tentative d’exonérer de ses crimes le nationalisme algérien, et de sa vision irénique des relations judéo-arabes.

Pourtant si les chefs nationalistes masquèrent leur projet d’épuration ethnique durant la guerre d’Algérie, ils ne le dissimulèrent plus, l’indépendance acquise. Ainsi l’un des négociateurs des Accords d’Évian, qui fut un Premier ministre anti-intégriste durant la décennie noire, le « moderniste » Réda Malek : « Heureusement, le caractère sacré arabo-musulman de la nation algérienne était sauvegardé ».[3] Ou bien Ben Khedda, le président du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), 1961-1962 : « En refusant notamment la nationalité algérienne automatique pour un million d’Européens, nous avions prévenu le danger d’une Algérie bicéphale ».[4]

Benjamin qui, la retraite venue, semble découvrir sa judéité, aura-t-il le courage d’un Nathan Weinstock, lequel après avoir écrit deux ouvrages dans les années 70 qui devinrent la Bible des Falestiniens, osa remettre en cause ses convictions ébranlées par la réalité d’un terrorisme falestinien dont le but était et demeure la destruction d’Israël et des Juifs ? Osera-t-il à son tour écrire une histoire de la judéophobie musulmane en Algérie, aujourd’hui dissimulée en israélophobie ?

Je l’espère, sinon s’il s’entête à vouloir plaire aux uns et à ne pas déplaire aux autres, il lui faudra assumer l’inconfort d’être en alternance l’historien officiel de la repentance française, et à ses heures perdues, un ambassadeur plénipotentiaire. 

De la France ou de l’Algérie ? On ne sait trop…

Ah, j’oubliais… Comme à la bonne époque de votre trotskysme, vous vous êtes infiltré dans le Comité de soutien à Sansal. Quel culot ! Auriez-vous l’obligeance de vous en retirer ? Merci.


[1] Propos tenus le 10 février 2008 dans le quotidien algérien arabophone, de tendance islamique, Ech Chourouq.

[2] Voir J.-P. Lledo, « La judéophobie musulmane en Algérie avant, pendant, et après la période française » in Juifs d’Algérie, dirigé par Joëlle Allouche-Benayoun et Geneviève Dermenjian (PUF, 2015).

[3] Réda Malek, Accords d’Évian (Seuil, 1990).

[4] Ben Khedda, La fin de la guerre d’Algérie (Casbah Ed., Alger, 1998).

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Guerre en Ukraine : des torts partagés ?

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Pierre Lellouche au lendemain de la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles de 2016, 09/11/2016. WITT/SIPA

La guerre d’Ukraine n’aurait pas dû avoir lieu, ne cesse de dire Pierre Lellouche, ancien secrétaire d’État et chroniqueur du magazine Valeurs actuelles. Son dernier livre est un essai fouillé et incisif de bout en bout dans lequel il estime que les Européens ont péché par optimisme démocratique face à la Russie agressive de Vladimir Poutine.


« La fin de l’Europe de Yalta ne doit à aucun prix mener à l’Europe de Versailles », Zbigniew Brzezinski.

Pierre Lellouche, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes puis du Commerce extérieur dans deux des gouvernements de François Fillon, nous explique dans son dernier ouvrage, Engrenages. La guerre d’Ukraine et le basculement du monde, pourquoi il pense et dit, et ce depuis le début, que la guerre en Ukraine aurait pu et aurait dû être évitée. Par ailleurs, il en déroule toutes les conséquences pour le monde, et le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont légion.

En 1991, après des siècles de dominations diverses (Pologne, Lituanie, Russie) où elle changea d’alliances pour se délivrer de l’ennemi d’hier, lequel n’était jamais le même, l’Ukraine acquit son indépendance à condition de rendre à César ce qui lui appartenait ; à savoir aux Russes tout l’arsenal nucléaire et militaire qu’elle comptait sur son territoire[1] et ce, parce que des traités lui garantissaient protection de la part de pays occidentaux. La Russie, de son côté, s’engageait à ne pas l’agresser ; ce qu’elle fit cependant, arguant que la Révolution de Maïdan était en fait un coup d’Etat perpétré par Kiev et les Américains pour se débarrasser d’un président pro-russe, ce qui rendait nulle et non avenue sa signature des traités.

Une sécession douloureuse

Mais revenons en arrière. Si la fin de la Guerre froide laissa espérer aux Russes une sorte d’accord avec les Américains pour protéger leur « zone d’influence » et pour que ces derniers ne s’empressent pas d’abriter sous leur aile otanusienne tous les anciens pays satellites, force fut de constater que rien de tel n’eut lieu. Le mépris « versaillais » l’emporta sur la raison, on regarda de haut cette « région provinciale » (Barak Obama) ou, pire encore, cette « grosse station d’essence avec des armes atomiques » (le sénateur John McCain). Et Pierre Lellouche d’affirmer : « L’Occident victorieux n’a pas cru bon de définir une architecture de sécurité qui fasse sa place à la Russie ». Pourtant, « avec la réunification de l’Allemagne, l’Alliance atlantique avait rempli sa mission historique. […] L’Europe centrale accédait quant à elle à la liberté. Un autre système de sécurité collective devenait alors possible, avec la Russie, et non contre elle ».

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Par ailleurs, et contrairement aux pays dits satellites, la Russie a toujours considéré l’Ukraine comme son centre de gravité. Se séparer d’elle radicalement, c’était s’amputer. Le « Petit russe » et le « Grand russe » comme on les appelait au XIXème siècle, tous deux slaves, tous deux orthodoxes, ayant une langue sinon commune au moins voisine, n’étaient pas voués à faire sécession, estime Lellouche. Sans compter que l’Ukraine a sur son sol une population russe (11,3 millions de Russes ethniques, soit plus de 22% des habitants) et une population ukrainienne souvent mélangées. Elles n’étaient donc pas promises au divorce et ce, malgré les affrontements du passé. Bref, si la Russie avait accepté l’indépendance de sa voisine, c’était à condition que celle-ci reste neutre et dans sa zone d’influence. Soljenitsyne, dans son essai Reconstruire la Russie publié en 1990, essai qui a beaucoup influencé Poutine, admettait cependant que si les Ukrainiens choisissaient de se séparer de la Russie, ils devaient pouvoir être libres de le faire « sauf pour les régions qui ne faisaient pas partie intégrante de la vieille Ukraine, c’est-à-dire la Novorossia : la Crimée, le Donbass et les zones proches de la mer Noire ». Comment mieux résumer l’histoire de cette guerre ? Et Kissinger (1923-2023) déplorera à son tour le malentendu entre Russes et Occidentaux au sujet de la fin de l’URSS, les seconds ne comprenant pas que seuls les non-Russes voulaient quitter « l’Empire ».

Une Europe naïve

Pierre Lellouche souligne fort bien les croyances et les incohérences du bloc occidental et en particulier de l’Europe. Après la chute de l’URSS, la démocratie avait gagné, la guerre devint un « impensé désagréable » et tous les pays du monde allaient se donner la main pour faire régner droits de l’homme et déconstruction post-nationale. Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé.

Après, notamment, l’invasion de l’Irak par les Américains, le modèle occidental n’en fut plus un pour le restant du monde, et l’ordre mondial que ceux-ci avaient déterminé depuis 1945 fut remis en question par tous ceux qui, anciennement colonisés ou pas, n’acceptaient plus cette domination. Et les fameuses valeurs qui allaient avec. C’est ainsi qu’on vit émerger l’« affirmation identitaire des uns » et le « déni des réalités des autres » ; les autres étant ici les Européens qui avaient, du reste, remis leur sécurité dans les mains des Américains. Cette «servitude volontaire » fit que le sort de l’Ukraine dépendait infiniment plus de l’armement et de l’argent des États-Unis que de ceux de l’Europe qui n’auraient jamais été suffisants. Pour autant, cette dernière donna la modique somme de « 300 milliards d’euros pour un pays tiers, non membre de son alliance, en déléguant officiellement à ce dernier, et à lui seul, la responsabilité de dire quand et comment la guerre doit s’arrêter ». Ainsi, et même si l’Europe n’y suffirait absolument pas, on arme et on finance quand même une guerre sans avoir vraiment voix au chapitre, au nom d’une émotion dont l’auteur nous dit qu’elle joua un rôle considérable dans ce conflit. Tout semble désormais soumis aux bons sentiments ou aux grands principes moraux avec lesquels on ne fait pas de politique sérieuse. Encore moins de géopolitique tout court. 

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Selon Halford John Mackinder (1861-1947), le but de la géopolitique dont il fut l’un des maîtres au début du XXème siècle, n’est autre que « l’aboutissement à un équilibre des puissances, lequel garantit à chaque nation sa sécurité et représente la condition de ses libertés ». Or, ajoute Pierre Lellouche, « l’équilibre des puissances ne s’obtient pas, loin de là, par la seule proclamation de « droits », surtout si une telle proclamation conduit à engendrer des déséquilibres périlleux ».De fait, l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan obligerait le bloc occidental à entrer dans le conflit (même si, d’une certaine manière, il fait déjà la guerre à la Russie par procuration), ce qui mènerait tout droit à une Troisième Guerre mondiale. D’autre part, le minimum est d’avoir les moyens de ses beaux discours, et « l’hubris jupitérienne » ne palliera pas notre armée et notre armement amaigris… Pierre Lellouche n’hésite pas à dire que : « Cette défaite intellectuelle devant l’émotion, cette préférence pour le déni des réalités […] sont les symptômes, parmi beaucoup d’autres, de la maladie profonde de nos systèmes démocratiques ».

Avons-nous réveillé les quatre cavaliers de l’Apocalypse?

Alors, on diabolisa l’adversaire ; Poutine allait envahir l’Europe, cette guerre était la nôtre, la victoire devait être totale et donc sans concession. Il y eut pourtant plusieurs rencontres dans ce sens, avant le déclenchement de la guerre et même après. « Ma conviction est qu’une négociation à la mi-décembre 2021, si elle avait pu se teniraurait pu éviter les destructions et les 500 000 morts et blessés que nous déplorons aujourd’hui » soutient l’ancien secrétaire d’État. Et nous ne réussîmes, de surcroît, qu’à affaiblir notre propre économie avec des sanctions qui touchèrent fort peu la Russie, laquelle réussit à vendre ailleurs, et nous favorisâmes le tropisme eurasien en jetant les Russes dans les bras des Chinois. Et pas seulement eux ! Pierre Lellouche appelle les « quatre cavaliers de l’Apocalypse » la coalition entre Russie, Chine, Corée du Nord et Iran.

Dans une seconde partie, Pierre Lellouche s’attaque aux conséquences de cette guerre qui n’aurait pas dû avoir lieu : fin de la confiance dans les traités, ainsi que mise à mal de la dissuasion nucléaire, puisque, d’une part, la présence d’armes nucléaires n’empêcha pas une guerre de haute intensité et de longue durée, et que, d’autre part, la nucléarisation du monde bat son plein. Les Russes et les Chinois ont cessé toute coopération avec les Occidentaux pour freiner le programme iranien, et Poutine soutient « le droit de la Corée du Nord de renforcer sa défense […] contre la dictature néo-colonialiste mondiale ».

Et qui, mieux qu’Israël – selon Lellouche – pour représenter « ce porte-avions avancé de l’Occident colonialiste en Orient ? » C’est là que la guerre de Gaza, dont Pierre Lellouche rappelle opportunément qu’elle commença le7-Octobre, rejoint celle d’Ukraine, en créant un front anti-occidental global. Le nouveau damné de la terre est le Palestinien qui va inspirer non seulement au « Sud global » mais à nos universités, l’idée d’une « deuxième décolonisation ». Celle-ci trouvera un allié dans les BRICS+ (au nombre de 10, à présent) une organisation représentant près de la moitié de la population mondiale, le 1/3 du PIB et la moitié de la production de pétrole de la planète. Leur Nouvelle banque de développement (NDB) créée en 2014, sorte d’anti-FMI, compte bien échapper aux contraintes politiques et sociales imposées par Washington en vue de se passer, à terme, du dollar et des sanctions qui vont avec…

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Quant à l’Europe et à ses deux mantras fétiches – la transition énergétique qui rend « vertueux » et l’élargissement d’elle-même jusqu’à des pays qui sont de véritables poudrières (et ce… au nom de la Paix) –, elle s’englue dans des considérations administratives et juridiques sans réussir à organiser une défense commune, et surtout, sans se voir disparaître. Relégués au rang de consommateurs puisque nous avons favorisé la production à l’Est (véritable appel d’air pour les cerveaux de demain et pas seulement les petites mains), la Chine en particulier, qui produit du CO2 parfaitement mondialiste, ce qui rendra nos efforts de tri sélectif assez vains, nous dormons les yeux ouverts. La France surtout, de plus en plus à la remorque d’une Allemagne sachant toujours ou presque défendre ses intérêts, et sachant fort bien dans certains cas nuire aux nôtres.

Pierre Lellouche se demande alors si l’Europe va se réveiller, pour « préparer l’après-guerre en Ukraine, répondre aux défis économiques américain et chinois, tout en protégeant son identité, c’est-à-dire ses frontières face à des vagues migratoires sans précédent. Voilà le défi. Il est immense. C’est ici que Boutcha en Ukraine, Gaza en Orient, et Lampedusa en Sicile se rejoignent ».

Pierre Lellouche, Engrenages. La guerre d’Ukraine et le basculement du monde (Odile Jacob, 2024).


[1] 5000 ogives nucléaires, dont 376 missiles intercontinentaux, faisant de l’Ukraine la troisième puissance nucléaire, retournèrent en Russie.

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