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Cabale anti-Houellebecq : la possibilité d’une soumission

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islam zemmour houellebecq

L’historien Bartolomé Bennassar expliquait que l’Inquisition espagnole avait travaillé au service de l’État: «elle visait d’abord le but qui lui était propre, celui de créer un peuple unifié par la même croyance, conforme à l’orthodoxie catholique la plus exacte». Aussi avait-elle entrepris de réprimer tous les déviants, qu’ils fussent juifs, morisques, protestants ou encore sodomites. Les livres étaient également sous surveillance: l’Inquisition délivrait des licences d’impression et un premier index des ouvrages expurgés ou interdits fut publié dès 1551. En 1584, l’index de Quiroga porta à mille quatre cents le nombre des livres censurés. L’obsession de tout vouloir contrôler était telle que les cales des navires qui jetaient l’ancre en Espagne étaient soumises à une inspection. L’Inquisition cherchait ainsi, par tous les moyens, à empêcher la diffusion d’idées subversives. Rien d’extraordinaire, finalement. De nos jours, dans nos démocraties, des livres et des auteurs peuvent encore être mis à l’index parce qu’ils ne sont pas conformes à la pensée dominante. Certes, aucune interdiction ne sera prononcée, aucun bûcher ne sera dressé: pour que l’honneur de la démocratie soit sauf, les nouveaux inquisiteurs ont des méthodes plus subtiles.

Régulièrement, les bobos ont besoin de trembler à l’idée qu’un nouveau Mein Kampf sort en librairie. La gauche leur a donc désigné tour à tour l’Éloge littéraire d’Anders Breivik de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2012), L’Identité malheureuse d’Alain Finkielkraut (Stock, 2013) et, enfin, Le suicide français d’Éric Zemmour (Albin Michel, 2014) pour qu’ils les lynchent sans retenue. Chaque fois, le propos du livre est déformé et l’auteur traîné dans la boue: mais ne l’a-t-il pas cherché en critiquant le multiculturalisme, en doutant des bienfaits de l’immigration ou en dénonçant l’islamisation de notre société?

Ces dernières semaines, Eric Zemmour a donc été livré à la vindicte: on lui a d’abord reproché d’avoir voulu réhabiliter le régime de Vichy. Au sommet de l’État, Manuel Valls déclarait sur un ton péremptoire que «Zemmour ne mérite pas qu’on le lise». Mais la polémique n’a pas suffi à disqualifier Zemmour aux yeux du public: Le suicide français est un véritable succès et s’est déjà vendu à plus de 400000 exemplaires. Les gauchistes, dépités, ont donc renouvelé leurs attaques. Lundi dernier, Jean-Luc Mélenchon évoquait sur son blog une interview au Corriere della Sera: Eric Zemmour aurait parlé de déporter cinq millions de musulmans. Aussitôt, les réseaux sociaux s’emballaient: sur twitter, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve condamnait «avec une extrême fermeté les propos tenus par Eric Zemmour concernant les musulmans de France dans le Corriere della Sera» et le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Bruno Leroux, enjoignait les médias de boycotter Eric Zemmour. Dans le rôle du Tribunal du Saint-Office, SOS Racisme saisissait la justice et exigeait qu’Eric Zemmour soit exclu d’i>Télé, de RTL et du Figaro. Malgré la mise au point du journaliste Stefano Montefiori, qui expliqua que le mot déportation n’avait jamais été prononcé durant l’interview, la corrida médiatique continua et i>Télé décidait finalement de livrer la tête d’Eric Zemmour à SOS Racisme et aux musulmans d’Al-Kanz qui la lui avaient réclamée. Pour se justifier, Céline Pigalle, directrice de la rédaction d’iTélé, pourra toujours, sans honte, invoquer «la liberté d’expression»: l’éviction de Zemmour nous révèle à quel point il existe un décalage entre «l’opinion publique et l’opinion publiée».

Ces péripéties nous montrent qu’une certaine classe politique et médiatique, plutôt que chercher le débat contradictoire, s’obstine à donner dans le procès en sorcellerie. À l’instar de l’Inquisition, la gauche s’est érigée en juge de l’orthodoxie et de la déviance. Elle est persuadée d’incarner le Bien: elle ne tolère donc aucune discussion et préfère lancer des fatwas. Bientôt, Michel Houellebecq devrait subir à son tour les foudres de la bien-pensance car son prochain roman, Soumission, qui paraîtra le 7 janvier, se situerait en 2022 dans une France convertie à l’islam. Or, on se souvient que Houellebecq avait déclaré en 2001, lors de la promotion de son roman Plateforme, que «la religion la plus con, c’est quand même l’islam». À l’époque, cela avait provoqué un tel scandale que Claude Lévi-Strauss avait pris la défense de l’écrivain. Dans une interview parue le 10 octobre 2002 dans Le Nouvel Obs, l’ethnologue avait évoqué pêle-mêle le procès fait à Michel Houellebecq et la montée de l’intégrisme religieux :

«J’ai dit dans Tristes Tropiques ce que je pensais de l’islam. Bien que dans une langue plus châtiée, ce n’était pas tellement éloigné de ce pour quoi on fait aujourd’hui un procès à Houellebecq. Un tel procès aurait été inconcevable il y a un demi-siècle; ça ne serait venu à l’esprit de personne. On a le droit de critiquer la religion. On a le droit de dire ce qu’on pense. Nous sommes contaminés par l’intolérance islamique. Il en va de même avec l’idée actuelle qu’il faudrait introduire l’enseignement de l’histoire des religions à l’école. J’ai lu que l’on avait chargé Régis Debray d’une mission sur cette question. Là encore, cela me semble être une concession faite à l’islam: à l’idée que la religion doit pénétrer en dehors de son domaine. Il me semble au contraire que la laïcité pure et dure avait très bien marché jusqu’ici».

Claude Lévi-Strauss était conscient que sa liberté de ton ne serait plus possible aujourd’hui. En 1955, dans l’avant-dernier chapitre de Tristes Tropiques, il avait des mots très durs pour l’islam. Il expliquait notamment que les musulmans étaient «incapables de supporter l’existence d’autrui comme autrui: le seul moyen pour eux de se mettre à l’abri du doute et de l’humiliation consiste dans une “néantisation” d’autrui, considéré comme témoin d’une autre foi et d’une autre conduite». Aujourd’hui, ces quelques pages lui vaudraient sûrement d’être cloué au pilori. Les nouveaux inquisiteurs lui reprocheraient d’être islamophobe -le plus grand des crimes. Et en y réfléchissant, le fait qu’on ne puisse plus avoir aujourd’hui d’opinion critique sur l’islam, comme si cette religion était devenue sacrée pour tout le monde, même pour les non-musulmans, est peut-être le signe que, sans attendre 2022, notre pays est d’ores et déjà soumis.

 *Photo : wikicommons. 

Ne rêvez plus, veillez!

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veilleurs manif pour tous

Ceux qui croyaient au ciel s’étaient réfugiés dans les grottes de l’Histoire. Dehors soufflait le vent du progrès, emportant le vieux monde. Je faisais partie de ceux-là. Terrée dans ma nostalgie comme dans un bunker, j’attendais tranquillement l’apocalypse en écoutant Georges Brassens et en lisant Philippe Muray. Je croyais comme lui que, le monde étant détruit, il ne restait plus qu’à le versifier.

Les manifs ? J’y suis allée, oui, mais au début en traînant les pieds, légèrement écœurée par la marée rose bonbon des cortèges. Je pensais, en bonne réactionnaire, comme de Maistre, que « la contre-révolution ne sera[it] pas une révolution contraire, mais le contraire de la révolution ». J’étais gênée de défendre l’ordre dans la rue, inquiète à l’idée d’être conservateur en masse, agacée d’avoir à combattre pour mes idées en sweat rose fuchsia.[access capability= »lire_inedits »] J’avais intégré bien malgré moi le « gauchisme culturel » et l’idée que nous n’étions, mes amis et moi, que des erreurs statistiques destinées à sombrer dans l’oubli. Convaincue d’avoir perdu d’avance, seuls le sectarisme et le mépris du camp adverse me donnaient l’envie de poursuivre la lutte.

Et puis. J’ai vu les larmes de mon père qui, faisant l’aller-retour dans la journée depuis Toulouse pour assister aux manifs, n’en revenait pas de voir autant de monde qui « pensait comme lui ». J’ai senti une énergie dont je ne soupçonnais pas l’existence sortir des entrailles de mon pays. J’ai croisé la route des « veilleurs », j’ai vu, sur les places de France, ces jeunes s’asseoir en silence, et lire les auteurs que j’aimais – Bernanos, Péguy, Pasolini, Dostoïevski – à la lueur des bougies. J’ai compris que l’alternative à la civilisation libérale-libertaire que je cherchais depuis toujours était là en évidence, sous mes yeux. Que derrière les victoires d’Alexandre, il y a les idées d’Aristote. Qu’il fallait convertir les cœurs avant de changer l’histoire. Que le plus important était le combat culturel, et que nous pouvions le gagner. Que l’idée d’un sens de l’histoire inéluctable était fausse. Que rien n’était irréversible.

La formule de Camus : « Empêcher que le monde ne se défasse », transformée en slogan « On ne lâche rien », n’était soudain plus suffisante. J’ai compris que nous pouvions refaire ce qu’ils avaient défait.[/access]

*Photo : Thibault Camus/AP/SIPA. AP21448275_000003.

Déradicaliser les djihadistes?

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psy djihad etat islamique

À la suite de notre article sur le parcours psychique des djihadistes, plusieurs internautes nous ont interrogé sur les processus à même : soit de prévenir l’engagement djihadiste ou, à la lumière des drames de Dijon et de Nantes, d’éviter des phénomènes apparemment inexplicables de « mimétisme » –identification conviendrait mieux –, soit de mener à bien une « déradicalisation » des terroristes à leur retour en France.

La prévention, tout comme la « déradicalisation », ne nous semble pas hors d’atteinte. Encore convient-il de ne pas se leurrer sur la finalité recherchée et sur la manière d’y parvenir. Ce n’est certainement pas le « moi raisonnable ». Nous l’avons souligné dans un récent entretien sur France 24 : pour les auteurs de ces actes, sujets devenus objets des constructions fantasmatiques et sacrificielles d’autrui, l’accomplissement et le modus operandi des tragédies de Dijon et de Nantes visent à suturer leur béance pulsionnelle. C’est-à-dire contenir la déliaison chaotique,  l’envahissement et le débordement de leurs forces psychiques en recourant à la puissance stimulante, structurante et attractive de l’appel djihadiste. Et en s’appropriant le rituel sans embrasser la religiosité du dogme. À Dijon, l’auteur présumé du forfait aurait précisé aux enquêteurs : « Pour me donner du courage, j’ai crié « Allahou Akbar » pour annihiler tout esprit critique ». À Nantes, le taux élevé d’alcoolémie du chauffard révèle un moyen plus qu’une fin. Vaincre la mort et mourir pour vivre : manifestation d’un éclatement, soit au niveau social, soit au niveau de l’organisme individuel, caractéristique de cette pulsion sexuelle de mort, « quête sans fin et qui ne connaît pas l’apaisement »[1. Jean Laplanche, Sexual, La sexualité élargie au sens freudien 2000-2006, PUF, Coll. « Quadrige Grands textes », 2007.]. Avec ses paradoxes subséquents : après son acte, le personnage à Nantes s’est lardé de coups de couteau, signalant l’interférence inconsciente de la culpabilité. Après avoir impulsivement détruit pour se punir, l’autodestruction suicidaire signe en retour la tentative de contrôler cette relation à la mort présente dans son « double ».

Il faut, à cet égard, tenir la radicalisation ou l’engagement djihadiste pour un symptôme : ne pas se laisser abuser ou tromper par ce dernier sans toutefois ignorer le contenu du message et le destinataire visé. D’où nos doutes sur les tentatives de « déradicalisation » fondées sur une approche purement cognitive, c’est à dire rationnelle et frontale, qui s’efforcent de toucher par la volition et dans leur réel, le « moi » des intéressés. Et ce, pour les convaincre de la morbidité de s’engager dans le djihad. Comment expliquer alors que les capacités d’entendement et de raison prêtées à ce « moi » n’aient justement pas été en mesure de bloquer préventivement l’individu dans sa démarche mortifère? La clinique l’illustre au quotidien: il ne sert à rien de dire à une anorexique qu’elle est dangereusement trop maigre tandis qu’elle est « authentiquement » persuadée qu’elle est trop grosse tout comme il est illusoire de tenir au drogué un discours bienveillant sur les méfaits pour sa santé des substances psychoactives alors qu’il en ressent cruellement le manque ou bien encore, de tenter de démontrer au phobique de l’avion le fait que ce moyen de transport, statistiques à l’appui, reste très sûr et rend son angoisse sans fondement. Il faut passer derrière le symptôme, remonter aux mécanismes psychiques infantiles dont les défaillances ont pu susciter haine, culpabilité, besoin de punition ou d’expiation : tout ce qui a trait au pulsionnel primaire et conduisant à rechercher une « plate-forme » à même de donner à ces ratages, un semblant de consistance, sinon de limite. Après lecture du papier sur Causeur, un étudiant de l’université de Nice nous demandait : « pourquoi n’avez-vous pas insisté sur les mécanismes de manipulation par les groupes djihadistes? ». Notre réponse le surprit : « pensez-vous que la manipulation dont vous parlez eût été possible sans que l’être humain ait déjà été subverti par son propre inconscient rendant le terrain propice à cette seconde phase? ».

N’importe quel gouvernement, par souci d’apaisement social et d’entente confessionnelle, rejettera officiellement l’amalgame entre ces affaires tout comme la justice, fondée sur le droit, dissociera terrorisme et déséquilibre mental : un déni des évidences psychiques – le déséquilibre est au cœur du pulsionnel – qui rapprochent plus ces dossiers qu’elles ne les distinguent. Et qui prive le criminel en quête de sens identitaire, de l’obtention inconsciente d’une responsabilité pénale – la sanction garantit la liberté de transgresser – et d’une reconnaissance judiciaire au « profit » d’un internement psychiatrique anonyme. D’où aussi, peut-être, la raison pour laquelle certaines expériences de « déradicalisation » entreprises à l’étranger, ont pu échouer[2. Le pragmatisme britannique conduit le Royaume-Uni à maintenir en dehors du territoire national les djihadistes de retour : aveu d’une incapacité à les traiter ?] : comment prétendre « réadapter » le patient à son environnement alors que celui-ci conditionne, entremêlé aux dimensions psychologiques où cette adaptation même le livre à la souffrance, son refus de vivre dans la société en question ?

De surcroît, la mise en œuvre technique d’une « prise en charge » des djihadistes de retour en France abonde en complexité: comment la réaliser sur des personnes sans doute placées en détention et pour lesquelles toute approche « thérapeutique » sera de facto assimilée à celle d’une société et de ses représentants, et dont l’amour comme la haine à leur égard ont psychiquement nourri leur « conversion »? Comment en outre faire accepter la durée du traitement sous l’empire d’une pression politique et médiatique exigeant des résultats spectaculaires, voire palpables à l’écran : osera-t-on exhiber un « repenti » devant les caméras? Reste la question des familles de djihadistes : à lire la presse, certaines d’entre elles auraient collaboré avec les autorités. Cette coopération justifiera-t-elle l’accroche familiale dans l’exercice destiné à réintégrer les « résilients » ? Nous rencontrons trop souvent l’ambivalence des parents sur le traitement de leur progéniture et leur crainte de laisser apparaître leur propre turpitude, pour ne pas exprimer nos hésitations en la matière : le crime de la pulsion s’origine aussi dans l’autre.

*Photo : Enrico.

Le sondage que j’attends!

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La question serait formulée ainsi : « Avez-vous plus peur du Front national que de l’Islam ?  » Tout laisse à croire que la réponse serait pour le moins dérangeante. Les Français (il leur en a fallu du temps) croient de moins en moins en un islam modéré… une contradiction dans les mots. Par ailleurs, ils respectent les religions, toutes les religions, mais ne tiennent pas, vraiment pas, dans leur écrasante majorité, à être soumis à l’une d’elles. Et la perspective dorénavant envisageable que dans une dizaine d’années la France soit un califat ne fait pas bondir leur cœur de joie. Le succès du livre de Zemmour a surfé sur cette crainte, bien perçue également par Michel Houellebecq qui, avec sa désinvolture canaille, prédit qu’il faudra bien un jour s’en accommoder. Deux versions du suicide de la France. Deux manières de se faire peur ? Ou, peut-être, d’envisager le pire pour ne pas avoir à le subir.

En face, le Front national qui se dédiabolise (ce qui ne veut rien dire, car il n’a jamais été diabolique, juste un peu bouffon et vulgaire) à la vitesse grand V. Il n’est plus une marionnette entre les mains de Mitterrand, mais une alternative de plus en plus crédible. Souhaitable ? Pas évident, car les Français de souche, s’ils tiennent à leurs traditions, tiennent plus encore à leurs économies. Ils veulent bien d’une droite dure qui rappelle à chaque étranger qu’en France, il convient de se comporter, de parler et de penser comme un Français, mais de là à prendre des risques…

Bref, ce sondage (mais peut-être existe-t-il et n’en ai-je pas eu connaissance) permettrait de voir un peu plus précisément l’avenir qui, bien évidemment, ne sera pas radieux. Une telle enquête sera utile pour savoir à quelle sauce nous allons être mangés. Entre la peste et le choléra, nous avons encore de belles journées devant nous. C’est ce qu’on pourrait appeler par antiphrase : les grandes espérances.

Pourquoi Alain Finkielkraut a aimé le livre de Houellebecq

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houellebecq finkielkraut piketty

Le nouveau roman de Michel Houellebecq, Soumission (Flammarion, 2014), divise la critique, jusque-là quasi-unanimement acquise au Goncourt 2010. Tandis que le directeur de la rédaction de Libération voit dans ce livre d’anticipation un symptôme de la « zemmourisation » des esprits et une validation des idées du Front national, Alain Finkielkraut salue le « grand romancier du possible » qu’est Houellebecq. Pour l’académicien, l’arrivée au pouvoir d’un parti musulman est un scénario possible à l’avenir, au même titre que la généralisation du clonage que prophétise cet « Alceste à cigarette ».  Bref, « Houellebecq appuie là où ça fait très mal et les progressistes crient aïe ! »

Revenant sur l’affaire Piketty, Alain Finkielkraut s’agace de voir ce jeune économiste refuser la Légion d’honneur à grands renforts de médias. « Les rebelles d’aujourd’hui sont des enfants gâtés » estime-t-il, arguant qu’il est « tout à fait légitime que la République mette à l’honneur un certain nombre de gens dont les travaux sont jugés estimables ». Le débat est ouvert !

*Photo : GINIES/SIPA. 00697589_000022.

Mon réveillon sans Philippot

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Des jeunes UMP ont réveillonné avec leurs amis frontistes du même âge, tels que Florian Philippot : c’est le scoop que nous a vendu Marianne au lendemain de la fête. Il n’en fallait pas plus pour que le ban et l’arrière-ban de la classe politique s’indignent de cette « collusion » UMP-FN. Suivant la mode du grand déballage, David Desgouilles nous raconte son réveillon on ne peut plus convenable, avec des gens qui pensent bien et sans rien qui tâche…

La rédaction

 

31 décembre, Paris

C’est la première fois que j’organise un réveillon à Paris. Dans la France périphérique où je survis, je n’ai pas l’occasion de rencontrer des personnes dont la culture et le sens de l’éthique rivalisent avec leur engagement républicain et le goût du vivre-ensemble.

18h59

Louis-Georges Tin, ancien candidat au Prix Nobel de la Paix, arrive en compagnie d’Aymeric Caron. J’ai engagé ces deux-là comme videurs. Avec eux, aucun risque de pollution de la soirée par des éléments rappelant les heures les plus sombres de notre histoire.

19h17

Catastrophe. Le traiteur me téléphone pour m’expliquer qu’un type chevelu et barbu lui a refusé l’entrée de tous les plats à base de chair animale. Je me débrouille pour tromper la vigilance de Caron et faire passer les denrées par la fenêtre de la salle de bain. Le traiteur m’applique une surfacturation pour l’échafaudage loué et le temps perdu.

20h03

Les invités commencent à arriver. Jean-Luc Romero, Sylvain Bourmeau et Audrey Pulvar sont les premiers. Le second a déjà repéré la bibliothèque de l’ami qui m’a gracieusement prêté l’appartement. Il débute un contrôle exhaustif des auteurs.

20h17

Edouard Louis, Geoffroy de Lagasnerie et Didier Eribon arrivent. Ils regardent sous les lits afin de vérifier si Marcel Gauchet n’y serait pas caché.

21h11

Tous les invités ou presque sont arrivés. Philippe Corcuff met les rieurs de son côté en improvisant une imitation d’Henri Guaino quittant le plateau de France 5 parce qu’il a été vaincu par les arguments républicains de Jean-Luc.

21h34

Sylvain Bourmeau, qui n’a pas quitté le contrôle de la bibliothèque depuis une heure et demie, déboule dans le séjour l’air mi-indigné, mi-satisfait. Il vient de trouver L’année zéro de la gauche, de Laurent Bouvet et Laurent Baumel. Certains invités commencent à me regarder en chien de faïence.

22h08

Edwy Plenel passe une tête à mon réveillon. C’est la consécration. Il fait plusieurs selfies avec des invités, vend huit abonnements de Mediapart et gratifie l’assemblée du même sermon qu’il avait effectué à France Cul deux jours avant.

22h46

Laurent Joffrin tombe sur le catalogue d’Havas voyages. Il feuillette les pages « Croisières » avec nostalgie.

23h12

Bourmeau arrive en hurlant ! Il vient de trouver Balladur, immobile à grands pas, d’Eric Zemmour. Le bouquin avait été caché sous la bibliothèque mais cela n’a pas échappé à sa grande sagacité. La tension est réelle. J’ai beau expliquer que le lecteur a ostensiblement affublé Zemmour de petites moustaches sur la quatrième de couverture afin de manifester sa désapprobation, le réveillon risque de tourner court, trois quarts d’heure avant minuit, ce qui est un peu ballot. Je décide donc de confier à Laurent Mauduit la mission d’organiser un autodafé dans la cheminée, ce qui calme les esprits, à l’exception de celui (sic) de Cécile Duflot, qui hurle dans les oreilles de toute l’assemblée que les feux de cheminée, c’est mal. Elle tweete le feu de cheminée, de rage.

23h59

Je tiens le bon bout. Certes, Bourmeau s’est maintenant attaqué à la vidéothèque et il a fait un peu la gueule en découvrant la collection complète des Don Camillo, mais tout risque majeur d’incident a été contourné avec brio. C’est à ce moment-là que l’un des convives évoque le conflit israélo-palestinien. Le feu part avec une vitesse telle qu’on se croit très vite au cœur d’une dispute entre Gilbert Collard et Jean-Marie Le Pen dans un bureau politique du Front national. Les assiettes volent, les insultes fusent. Seul Bourmeau garde son calme. Il découpe avec application un CD de Michel Sardou qu’il a découvert dans la salle de bain.

4h02

Les invités sont partis. Les pompiers aussi. Autour de moi, tout n’est que cendres, vaisselle en miettes et désolation. Mais pourquoi ai-je demandé aux femmes de débarrasser la table ?

*Photo : melaloulse.

Cold in July, vrai film noir de Jim Mickle

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Que peut-on demander à un bon film noir en 2015 ? Que peut-on demander à un genre qui a trop tendance, pour se renouveler, à aller chercher du côté de la pyrotechnie flingueuse ou du maniérisme dépouillé crasseux janséniste ou encore de la banalité surjouée dans des décors d’une médiocrité hyperbolique à visée de critique sociale ? Pour répondre à cette question, on pourra aller voir Cold in July de Jim Mickle. Cold in July joue avec les codes du genre, y compris avec les travers dénoncés plus haut. Mais comme cela est fait de manière parfaitement consciente, voire assez roublarde, l’amateur ressort comblé.

Cold in July, c’est d’abord un bon scénario. Ce n’est pas évident par les temps qui courent où les arguments des films de genre ont de plus en plus tendance à tenir sur un ticket de métro. Mais ici, en l’occurrence, il s’agit de l’adaptation d’un polar de Joe R. Lansdale, un des très bons américains du roman noir d’aujourd’hui qui promène ses personnages dans un Texas à la fois violent, plouc et attachant. Dans Cold in July, au début mais au début seulement, il est question d’autodéfense. On est en 1989, dans une de ces petites villes où même ma chaleur n’arrive pas à effacer la banalité des vies quotidiennes made in America. Un couple est réveillé la nuit par un cambrioleur. Le mari un bon gars qui exerce le métier d’encadreur dans sa boutique va chercher un flingue en tremblotant. Il est joué par un Michaël C.Hall (Dexter) doté d’une coupe de cheveux de footballeur allemand des années 80 et d’une normalité presque encombrante. Il tire un peu par maladresse sur le voleur qui va éclabousser le canapé familial et une horrible croûte au mur avec sa cervelle. On est à la limite de l’esthétique volontairement cheap du gore qui fait toujours ressortir par contraste l’horreur de la violence.

A partir de là, tout va mal se passer. Notre gentil encadreur est traité comme un héros qu’il n’a pas envie d’être, la police locale arrange le coup y compris quand le père de la victime décide de se venger. Il est ici joué par le mythique Sam Shepard qui n’hésite pas à assumer son corps vieillissant comme seuls savent le faire les grands acteurs.

Evidemment, ce n’est là que la première partie du film. Dans la seconde, il va virer à l’équipée sanglante de trois hommes, l’encadreur banal, le père de la victime qui est en fait un ancien truand mutique et, ô plaisir mélancolique, Dan Johnson (vous savez le blond de Deux Flics à Miami ?) en détective privé à stetson,  éleveur de cochon qui sont partis se venger d’une manipulation dont on ne vous dira rien.

Jim Mickle, le metteur en scène, nous donne avec Cold in July un film qui est une synthèse plutôt très réussie entre l’ironie des frères Coen et le minimalisme angoissant d’un John Carpenter dont on se souvient quand on voit certaines scènes de Cold in July comme l’assaut contre le repaire des amateurs de snuff movies ou même dans la musique avec ce synthétiseur obsédant qui était aussi la marque de fabrique de l’auteur d’Invasion Los Angeles. Ce parti pris esthétique rend par exemple les fusillades particulièrement sanglantes avec des impacts approximatifs qui ne tuent jamais du premier coup et va de pair avec une forme d’humour très rentré comme dans cette scène où le couple, après le cambriolage, nettoie son salon et décide, quand même, de changer de canapé pour continuer à regarder la télé.

Il est difficile, dans le film de Mickle, de chercher autre chose que ce qu’il nous donne. Il n’est pas comme dans History of violence de Cronenberg auquel on songe aussi parfois, une réflexion sur la sauvagerie qui sommeillerait en  nous tous. Il n’est pas non plus une parodie malgré quelques plans au ralenti  où le réalisateur se fait plaisir, et à nous aussi par la même occasion. C’est sans doute pour cela, d’ailleurs, que Cold in July est un des films les plus intéressants de moment puisque chose devenue rare aujourd’hui, il coïncide parfaitement, malgré son caractère hybride, avec son intention de départ : donner un bon film noir, ni plus, ni moins.

 

En salle depuis le 31 décembre

La cocaïne, business moderne sur toute la ligne

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cocaine roberto saviano

Dans Sweetness and Power (Penguin, 1986), Sidney W. Mintz mettait au jour un fondement rarement étudié de la civilisation occidentale moderne : l’invasion du sucre depuis deux siècles et demi. Pour lui, la culture du sucre fut, dans les plantations antillaises et américaines, l’une des premières tentatives de mettre en place des structures de production capitalistique performantes ; mais aussi et en même temps l’occasion d’une modification en profondeur des habitudes alimentaires occidentales (fors la France, note-t-il). L’extraordinaire apport calorique du fruit de la canne, joint à son coût relativement modeste, le fit rapidement passer du statut de nectar aristocratique à celui d’aliment de base pour les masses. Lesquelles travaillaient mieux et plus longtemps en retour.

Le sucre fut le carburant de la première révolution industrielle : une autre poudre, blanche elle aussi, meut aujourd’hui le turbocapitalisme.

Pour en comprendre le fonctionnement, il faut marcher dans les pas de Roberto Saviano, journaliste napolitain connu pour son Gomorra, enquête précise au cœur des nouvelles mafias italiennes, qui lui vaut de vivre encore aujourd’hui, sept ans après, sous une protection policière permanente. S’aventurer avec lui dans le sillage de la cocaïne, c’est faire trois fois le tour du monde, des pires jungles colombiennes aux tours high-tech de la City londonienne en passant par l’enfer terrestre créé avec application par les cartels mexicains.[access capability= »lire_inedits »]

L’histoire moderne de la cocaïne commence en 1989 dans un hôtel d’Acapulco : Felix Gallardo, El Padrino, un ancien flic mexicain devenu le parrain de la drogue, a pris l’ascendant sur les Colombiens. C’est lui, le distributeur, celui qui fait passer par les 3 000 kilomètres de frontière du pays avec les États-Unis les tonnes de poudre, qui est maintenant le maître. Ce jour-là, il convoque les différents chefs de clan du Mexique et fait son Yalta à lui : il répartit le territoire. Il structure en fait les cartels que nous connaissons encore aujourd’hui, ceux de Ciudad Juarez, de Tijuana, du Golfe…

En Colombie, l’étoile de Pablo Escobar, le seigneur de Medellin, a pâli, et les guerres intestines avec les cartels des autres villes comme Cali, avec les FARC ou encore avec les paramilitaires, qui tous touchent à l’argent de la drogue, ont achevé d’affaiblir les producteurs. Rien n’a changé en apparence, la coca est toujours cultivée en Colombie. Mais de nouveaux parrains sont apparus, ces Mexicains donc, auprès de qui Al Capone ou Escobar font figure d’enfants de chœur. Les États du nord du Mexique sont devenus des narco-États : pas un politique, pas un flic, qui ne touche au trafic. Seules de violentes descentes de la DEA, l’administration américaine chargée de la drogue, désorganisent parfois une industrie florissante. Une industrie qui vaut 50 000 morts par an, seulement pour le Mexique. Et il ne s’agit pas simplement de narcos, mais aussi de femmes, d’enfants, d’innocents de toute sorte que l’on exécute pour terroriser la population. Palme toutes catégories de l’horreur : les Kaibiles, ces anciennes forces spéciales guatémaltèques, constituées pour lutter contre le communisme puis contre la drogue, et qui sont précisément passées au service des cartels mexicains. En huit semaines, on les forme à ne plus jamais rien ressentir : semaines passées dans la jungle à manger des animaux vivants, humiliations, épreuves en tout genre. À ce régime-là, raconte Saviano, vous faites de saint François d’Assise un monstre. Cette armée de zombies terrorise, viole, brûle, assassine, jette des nourrissons contre les murs si on le lui demande.

Pourquoi ? Parce que la cocaïne, c’est le capitalisme à l’état extra pur : la seule industrie du monde où vous gagnez mille fois votre mise à coup sûr. Tout bénef, surtout quand, comme toutes ces mafias, vous interdisez à vos membres et même aux populations que vous contrôlez de consommer le moindre gramme du poison que vous vendez. Dans les campagnes mexicaines, les banderoles abondent qui annoncent : « Les Zetas – une autre armée de l’apocalypse – luttent contre la drogue et protègent vos enfants. » De l’autre côté de la frontière, chez les gringos, l’économie elle aussi fonctionne à la coke : cadres sup défoncés qui s’en remettent un coup dans le nez pour pouvoir performer, et paradis fiscaux qui blanchissent au vu et su de tout le monde. Saviano va même jusqu’à affirmer que la City londonienne s’est sauvée de la faillite complète en 2008 en intégrant 300 milliards de dollars nés du trafic de drogue dans ses banques par des mécanismes complexes de sociétés-écrans.

Les Mexicains et leurs petits camarades de jeu colombiens ont plus d’un tour dans leur sac : cargos, mules, avions posés dans le désert africain, sous-marins de poche, ils inondent le monde de leur dope par tous les moyens, même légaux.

Vue d’ici, l’histoire racontée par Saviano a au moins le mérite de nous apprendre que la barbarie s’est éloignée de l’autre côté de l’Atlantique : apparemment, les petits caïds de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, tremblent de peur devant les Mexicains et les Colombiens. On ne joue plus dans la même cour en matière de cruauté. C’est loin, la French Connection. Cosa nostra, elle, semble totalement à l’ouest. Seuls les Russes tirent leur épingle du jeu, notamment Semen Mogilevic, considéré comme le parrain le plus puissant de toute l’histoire, devant Capone, Lucky Luciano et Escobar, et doué à la fois d’une complexion obèse et d’un QI noosphérique.

La neige semble tomber doucement sur toute la surface du globe, et il y a un risque, Saviano l’avoue, à trop l’étudier, de sombrer dans la paranoïa. Pourtant, son étude extrêmement précise et documentée, nourrie de personnages qui frôlent le romanesque, ordures intégrales ou bétail humain de la nouvelle économie de l’exploitation, dessine une seconde carte du monde, trop juste pour qu’on la néglige.[/access]

Extra pure. Voyage dans l’économie de la cocaïne, de Roberto Saviano, Gallimard.

 

*Photo : pixabay.

Couture et Murat : l’art pour l’art

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murat charlelie couture

Charlélie Couture et Jean-Louis Murat ont en commun – entre autres – la pratique de la peinture, de l’écriture et de la chanson sourcée dans les ruisseaux de l’amour et les caniveaux de la vie. Les deux artistes empaquettent les plis de l’âme et les recoins des ressentiments comme montait Christo son emballage autour du Pont-Neuf : avec grandeur et hauteur. Et aussi avec, en guise de toile polyamide, la fée électricité et l’âme bluesy-poétique à double tranchant.

Couture a sorti à l’automne dernier son nouvel album, réalisé par Benjamin Biolay. Le single « L’Amour au fond » a tourné un peu en radio, pas assez. Feu Jean-Louis Foulquier, fondateur des Francofolies de La Rochelle, décrivait l’univers Couture ainsi : « Mots couleurs trait de plume, portrait au couteau et chansons aquarelles qui rendent la vie plus belle quand elles tournent à la radio. » Il n’avait pas tort mais, pour rendre la vie plus belle en France, il y a déjà iTélé. Et Plus belle la vie à 20h20. À défaut de passer à la radio, Charlélie passera près de chez vous en 2015 (à l’Olympia notamment le 28 mai). En outre, la ville de Nancy – d’où il est originaire – consacre une grande exposition rétrospective de ses œuvres de plasticien méconnu dans l’hexagone (alors que le Lorrain tient une galerie à New York…). Courrez-y si vous êtes dans le coin, l’événement – où installations, peinture, photo et sculpture se fondent dans un joyeux maelström artytectural – se tient jusqu’au 1er mars à la Galerie Poirel.

De son côté, comme s’il n’était jamais satisfait d’une chose créée, Jean-Louis Murat passe à une autre compulsivement. L’argumentaire de son nouveau double album, Babel, repose sur son implantation locale intégrale : un disque du cru, enregistré et emballé avec des figures du coin, sans délocalisations dénaturantes. Le résultat donne à entendre un soft rock topographique, aux allures de carte de Tendre franchissant le Rubicon de la Mer dangereuse vers les Terres inconnues de l’identité d’une Auvergne jordanienne : « La ville de Murat contient un château, jadis, tenu par des Arabes. Murat vient de  »Maures ». L’idée que des Arabes aient pu être présents en Auvergne dès le Haut Moyen-âge me séduit. Cela questionne les origines […] L’Auvergnat est un mélange de Vikings et d’Arabes. » soulignait Jean-Louis à la sortie de Babel. Avec un tel pedigree, on comprend mieux la phrase d’un spécialiste des Auvergnats qui déclara jadis à leur sujet : « Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes. » (en même temps, un seul Murat suffit pour qu’il y ait des problèmes, demandez à ses confrères de la chanson française ce qu’ils en pensent).

Hormis une mécanique des chœurs poussive qui vient gâcher le plaisir sur « Chacun vendrait des grives » et un « Chant Soviet » un peu léger, l’objet commence véritablement à partir du troisième titre, « J’ai fréquenté la beauté ». Dans cette ballade gracile comme un vol d’hirondelles, l’auteur nous conte – au passé – un pan de sa vie de dauphin dans les eaux d’un quotidien au grand air, dans le coin de La Bourboule. Dommage que seule la flûte ne prenne pas son envol… Puis l’album déroule son charme caravanier avec une facilité déconcertante. « Dans la direction du Crest » sonne même comme du Charlélie Couture, c’est dire si le taux d’apesanteur est élevé.  Des parfums de désert où souffle une tension toute morriconienne concluent le CD1 admirablement (« Mujade Ribe »), avant la Lewis Carrollerie « Vallée des merveilles ». Et bis repetita avec le second CD, onctueux comme du Saint-Nectaire humecté d’une goutte de Jurançon doux, avec un zeste de bluegrass. Côté paroles : les chansons résonnent comme des Chroniques champêtres – Volume 1 – Dylaniennes de par leur dimension autobiographique de père de famille, mais aussi par l’évocation des souvenirs de tout ordre dans une prose environnementale limpide. Murat nous convie dans une géographie toute personnelle, arpentant les paysages de son passé qui surplombent son quotidien d’autochtone de la vallée du Vendeix.

Babel scelle – trente-cinq ans après les débuts déjà chaotiques du chanteur – la victoire à la Pyrrhus de Jean-Louis Murat sur le champ de bataille dévasté de la chanson française. Alors, après Babel, l’Olympe (auvergnat, bien sûr) ?

 

ImMortel, de Charlélie Couture (Mercury)

Exposition Charlélie, NCY – NYC jusqu’au 1er mars 2015 à Nancy.

Babel, de Jean-Louis Murat (Pias)

 

*Photo : URMAN LIONEL/SIPA. 00695154_000011. 

Cabale anti-Houellebecq : la possibilité d’une soumission

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islam zemmour houellebecq

islam zemmour houellebecq

L’historien Bartolomé Bennassar expliquait que l’Inquisition espagnole avait travaillé au service de l’État: «elle visait d’abord le but qui lui était propre, celui de créer un peuple unifié par la même croyance, conforme à l’orthodoxie catholique la plus exacte». Aussi avait-elle entrepris de réprimer tous les déviants, qu’ils fussent juifs, morisques, protestants ou encore sodomites. Les livres étaient également sous surveillance: l’Inquisition délivrait des licences d’impression et un premier index des ouvrages expurgés ou interdits fut publié dès 1551. En 1584, l’index de Quiroga porta à mille quatre cents le nombre des livres censurés. L’obsession de tout vouloir contrôler était telle que les cales des navires qui jetaient l’ancre en Espagne étaient soumises à une inspection. L’Inquisition cherchait ainsi, par tous les moyens, à empêcher la diffusion d’idées subversives. Rien d’extraordinaire, finalement. De nos jours, dans nos démocraties, des livres et des auteurs peuvent encore être mis à l’index parce qu’ils ne sont pas conformes à la pensée dominante. Certes, aucune interdiction ne sera prononcée, aucun bûcher ne sera dressé: pour que l’honneur de la démocratie soit sauf, les nouveaux inquisiteurs ont des méthodes plus subtiles.

Régulièrement, les bobos ont besoin de trembler à l’idée qu’un nouveau Mein Kampf sort en librairie. La gauche leur a donc désigné tour à tour l’Éloge littéraire d’Anders Breivik de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2012), L’Identité malheureuse d’Alain Finkielkraut (Stock, 2013) et, enfin, Le suicide français d’Éric Zemmour (Albin Michel, 2014) pour qu’ils les lynchent sans retenue. Chaque fois, le propos du livre est déformé et l’auteur traîné dans la boue: mais ne l’a-t-il pas cherché en critiquant le multiculturalisme, en doutant des bienfaits de l’immigration ou en dénonçant l’islamisation de notre société?

Ces dernières semaines, Eric Zemmour a donc été livré à la vindicte: on lui a d’abord reproché d’avoir voulu réhabiliter le régime de Vichy. Au sommet de l’État, Manuel Valls déclarait sur un ton péremptoire que «Zemmour ne mérite pas qu’on le lise». Mais la polémique n’a pas suffi à disqualifier Zemmour aux yeux du public: Le suicide français est un véritable succès et s’est déjà vendu à plus de 400000 exemplaires. Les gauchistes, dépités, ont donc renouvelé leurs attaques. Lundi dernier, Jean-Luc Mélenchon évoquait sur son blog une interview au Corriere della Sera: Eric Zemmour aurait parlé de déporter cinq millions de musulmans. Aussitôt, les réseaux sociaux s’emballaient: sur twitter, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve condamnait «avec une extrême fermeté les propos tenus par Eric Zemmour concernant les musulmans de France dans le Corriere della Sera» et le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Bruno Leroux, enjoignait les médias de boycotter Eric Zemmour. Dans le rôle du Tribunal du Saint-Office, SOS Racisme saisissait la justice et exigeait qu’Eric Zemmour soit exclu d’i>Télé, de RTL et du Figaro. Malgré la mise au point du journaliste Stefano Montefiori, qui expliqua que le mot déportation n’avait jamais été prononcé durant l’interview, la corrida médiatique continua et i>Télé décidait finalement de livrer la tête d’Eric Zemmour à SOS Racisme et aux musulmans d’Al-Kanz qui la lui avaient réclamée. Pour se justifier, Céline Pigalle, directrice de la rédaction d’iTélé, pourra toujours, sans honte, invoquer «la liberté d’expression»: l’éviction de Zemmour nous révèle à quel point il existe un décalage entre «l’opinion publique et l’opinion publiée».

Ces péripéties nous montrent qu’une certaine classe politique et médiatique, plutôt que chercher le débat contradictoire, s’obstine à donner dans le procès en sorcellerie. À l’instar de l’Inquisition, la gauche s’est érigée en juge de l’orthodoxie et de la déviance. Elle est persuadée d’incarner le Bien: elle ne tolère donc aucune discussion et préfère lancer des fatwas. Bientôt, Michel Houellebecq devrait subir à son tour les foudres de la bien-pensance car son prochain roman, Soumission, qui paraîtra le 7 janvier, se situerait en 2022 dans une France convertie à l’islam. Or, on se souvient que Houellebecq avait déclaré en 2001, lors de la promotion de son roman Plateforme, que «la religion la plus con, c’est quand même l’islam». À l’époque, cela avait provoqué un tel scandale que Claude Lévi-Strauss avait pris la défense de l’écrivain. Dans une interview parue le 10 octobre 2002 dans Le Nouvel Obs, l’ethnologue avait évoqué pêle-mêle le procès fait à Michel Houellebecq et la montée de l’intégrisme religieux :

«J’ai dit dans Tristes Tropiques ce que je pensais de l’islam. Bien que dans une langue plus châtiée, ce n’était pas tellement éloigné de ce pour quoi on fait aujourd’hui un procès à Houellebecq. Un tel procès aurait été inconcevable il y a un demi-siècle; ça ne serait venu à l’esprit de personne. On a le droit de critiquer la religion. On a le droit de dire ce qu’on pense. Nous sommes contaminés par l’intolérance islamique. Il en va de même avec l’idée actuelle qu’il faudrait introduire l’enseignement de l’histoire des religions à l’école. J’ai lu que l’on avait chargé Régis Debray d’une mission sur cette question. Là encore, cela me semble être une concession faite à l’islam: à l’idée que la religion doit pénétrer en dehors de son domaine. Il me semble au contraire que la laïcité pure et dure avait très bien marché jusqu’ici».

Claude Lévi-Strauss était conscient que sa liberté de ton ne serait plus possible aujourd’hui. En 1955, dans l’avant-dernier chapitre de Tristes Tropiques, il avait des mots très durs pour l’islam. Il expliquait notamment que les musulmans étaient «incapables de supporter l’existence d’autrui comme autrui: le seul moyen pour eux de se mettre à l’abri du doute et de l’humiliation consiste dans une “néantisation” d’autrui, considéré comme témoin d’une autre foi et d’une autre conduite». Aujourd’hui, ces quelques pages lui vaudraient sûrement d’être cloué au pilori. Les nouveaux inquisiteurs lui reprocheraient d’être islamophobe -le plus grand des crimes. Et en y réfléchissant, le fait qu’on ne puisse plus avoir aujourd’hui d’opinion critique sur l’islam, comme si cette religion était devenue sacrée pour tout le monde, même pour les non-musulmans, est peut-être le signe que, sans attendre 2022, notre pays est d’ores et déjà soumis.

 *Photo : wikicommons. 

Ne rêvez plus, veillez!

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veilleurs manif pour tous

veilleurs manif pour tous

Ceux qui croyaient au ciel s’étaient réfugiés dans les grottes de l’Histoire. Dehors soufflait le vent du progrès, emportant le vieux monde. Je faisais partie de ceux-là. Terrée dans ma nostalgie comme dans un bunker, j’attendais tranquillement l’apocalypse en écoutant Georges Brassens et en lisant Philippe Muray. Je croyais comme lui que, le monde étant détruit, il ne restait plus qu’à le versifier.

Les manifs ? J’y suis allée, oui, mais au début en traînant les pieds, légèrement écœurée par la marée rose bonbon des cortèges. Je pensais, en bonne réactionnaire, comme de Maistre, que « la contre-révolution ne sera[it] pas une révolution contraire, mais le contraire de la révolution ». J’étais gênée de défendre l’ordre dans la rue, inquiète à l’idée d’être conservateur en masse, agacée d’avoir à combattre pour mes idées en sweat rose fuchsia.[access capability= »lire_inedits »] J’avais intégré bien malgré moi le « gauchisme culturel » et l’idée que nous n’étions, mes amis et moi, que des erreurs statistiques destinées à sombrer dans l’oubli. Convaincue d’avoir perdu d’avance, seuls le sectarisme et le mépris du camp adverse me donnaient l’envie de poursuivre la lutte.

Et puis. J’ai vu les larmes de mon père qui, faisant l’aller-retour dans la journée depuis Toulouse pour assister aux manifs, n’en revenait pas de voir autant de monde qui « pensait comme lui ». J’ai senti une énergie dont je ne soupçonnais pas l’existence sortir des entrailles de mon pays. J’ai croisé la route des « veilleurs », j’ai vu, sur les places de France, ces jeunes s’asseoir en silence, et lire les auteurs que j’aimais – Bernanos, Péguy, Pasolini, Dostoïevski – à la lueur des bougies. J’ai compris que l’alternative à la civilisation libérale-libertaire que je cherchais depuis toujours était là en évidence, sous mes yeux. Que derrière les victoires d’Alexandre, il y a les idées d’Aristote. Qu’il fallait convertir les cœurs avant de changer l’histoire. Que le plus important était le combat culturel, et que nous pouvions le gagner. Que l’idée d’un sens de l’histoire inéluctable était fausse. Que rien n’était irréversible.

La formule de Camus : « Empêcher que le monde ne se défasse », transformée en slogan « On ne lâche rien », n’était soudain plus suffisante. J’ai compris que nous pouvions refaire ce qu’ils avaient défait.[/access]

*Photo : Thibault Camus/AP/SIPA. AP21448275_000003.

Déradicaliser les djihadistes?

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psy djihad etat islamique

psy djihad etat islamique

À la suite de notre article sur le parcours psychique des djihadistes, plusieurs internautes nous ont interrogé sur les processus à même : soit de prévenir l’engagement djihadiste ou, à la lumière des drames de Dijon et de Nantes, d’éviter des phénomènes apparemment inexplicables de « mimétisme » –identification conviendrait mieux –, soit de mener à bien une « déradicalisation » des terroristes à leur retour en France.

La prévention, tout comme la « déradicalisation », ne nous semble pas hors d’atteinte. Encore convient-il de ne pas se leurrer sur la finalité recherchée et sur la manière d’y parvenir. Ce n’est certainement pas le « moi raisonnable ». Nous l’avons souligné dans un récent entretien sur France 24 : pour les auteurs de ces actes, sujets devenus objets des constructions fantasmatiques et sacrificielles d’autrui, l’accomplissement et le modus operandi des tragédies de Dijon et de Nantes visent à suturer leur béance pulsionnelle. C’est-à-dire contenir la déliaison chaotique,  l’envahissement et le débordement de leurs forces psychiques en recourant à la puissance stimulante, structurante et attractive de l’appel djihadiste. Et en s’appropriant le rituel sans embrasser la religiosité du dogme. À Dijon, l’auteur présumé du forfait aurait précisé aux enquêteurs : « Pour me donner du courage, j’ai crié « Allahou Akbar » pour annihiler tout esprit critique ». À Nantes, le taux élevé d’alcoolémie du chauffard révèle un moyen plus qu’une fin. Vaincre la mort et mourir pour vivre : manifestation d’un éclatement, soit au niveau social, soit au niveau de l’organisme individuel, caractéristique de cette pulsion sexuelle de mort, « quête sans fin et qui ne connaît pas l’apaisement »[1. Jean Laplanche, Sexual, La sexualité élargie au sens freudien 2000-2006, PUF, Coll. « Quadrige Grands textes », 2007.]. Avec ses paradoxes subséquents : après son acte, le personnage à Nantes s’est lardé de coups de couteau, signalant l’interférence inconsciente de la culpabilité. Après avoir impulsivement détruit pour se punir, l’autodestruction suicidaire signe en retour la tentative de contrôler cette relation à la mort présente dans son « double ».

Il faut, à cet égard, tenir la radicalisation ou l’engagement djihadiste pour un symptôme : ne pas se laisser abuser ou tromper par ce dernier sans toutefois ignorer le contenu du message et le destinataire visé. D’où nos doutes sur les tentatives de « déradicalisation » fondées sur une approche purement cognitive, c’est à dire rationnelle et frontale, qui s’efforcent de toucher par la volition et dans leur réel, le « moi » des intéressés. Et ce, pour les convaincre de la morbidité de s’engager dans le djihad. Comment expliquer alors que les capacités d’entendement et de raison prêtées à ce « moi » n’aient justement pas été en mesure de bloquer préventivement l’individu dans sa démarche mortifère? La clinique l’illustre au quotidien: il ne sert à rien de dire à une anorexique qu’elle est dangereusement trop maigre tandis qu’elle est « authentiquement » persuadée qu’elle est trop grosse tout comme il est illusoire de tenir au drogué un discours bienveillant sur les méfaits pour sa santé des substances psychoactives alors qu’il en ressent cruellement le manque ou bien encore, de tenter de démontrer au phobique de l’avion le fait que ce moyen de transport, statistiques à l’appui, reste très sûr et rend son angoisse sans fondement. Il faut passer derrière le symptôme, remonter aux mécanismes psychiques infantiles dont les défaillances ont pu susciter haine, culpabilité, besoin de punition ou d’expiation : tout ce qui a trait au pulsionnel primaire et conduisant à rechercher une « plate-forme » à même de donner à ces ratages, un semblant de consistance, sinon de limite. Après lecture du papier sur Causeur, un étudiant de l’université de Nice nous demandait : « pourquoi n’avez-vous pas insisté sur les mécanismes de manipulation par les groupes djihadistes? ». Notre réponse le surprit : « pensez-vous que la manipulation dont vous parlez eût été possible sans que l’être humain ait déjà été subverti par son propre inconscient rendant le terrain propice à cette seconde phase? ».

N’importe quel gouvernement, par souci d’apaisement social et d’entente confessionnelle, rejettera officiellement l’amalgame entre ces affaires tout comme la justice, fondée sur le droit, dissociera terrorisme et déséquilibre mental : un déni des évidences psychiques – le déséquilibre est au cœur du pulsionnel – qui rapprochent plus ces dossiers qu’elles ne les distinguent. Et qui prive le criminel en quête de sens identitaire, de l’obtention inconsciente d’une responsabilité pénale – la sanction garantit la liberté de transgresser – et d’une reconnaissance judiciaire au « profit » d’un internement psychiatrique anonyme. D’où aussi, peut-être, la raison pour laquelle certaines expériences de « déradicalisation » entreprises à l’étranger, ont pu échouer[2. Le pragmatisme britannique conduit le Royaume-Uni à maintenir en dehors du territoire national les djihadistes de retour : aveu d’une incapacité à les traiter ?] : comment prétendre « réadapter » le patient à son environnement alors que celui-ci conditionne, entremêlé aux dimensions psychologiques où cette adaptation même le livre à la souffrance, son refus de vivre dans la société en question ?

De surcroît, la mise en œuvre technique d’une « prise en charge » des djihadistes de retour en France abonde en complexité: comment la réaliser sur des personnes sans doute placées en détention et pour lesquelles toute approche « thérapeutique » sera de facto assimilée à celle d’une société et de ses représentants, et dont l’amour comme la haine à leur égard ont psychiquement nourri leur « conversion »? Comment en outre faire accepter la durée du traitement sous l’empire d’une pression politique et médiatique exigeant des résultats spectaculaires, voire palpables à l’écran : osera-t-on exhiber un « repenti » devant les caméras? Reste la question des familles de djihadistes : à lire la presse, certaines d’entre elles auraient collaboré avec les autorités. Cette coopération justifiera-t-elle l’accroche familiale dans l’exercice destiné à réintégrer les « résilients » ? Nous rencontrons trop souvent l’ambivalence des parents sur le traitement de leur progéniture et leur crainte de laisser apparaître leur propre turpitude, pour ne pas exprimer nos hésitations en la matière : le crime de la pulsion s’origine aussi dans l’autre.

*Photo : Enrico.

Le sondage que j’attends!

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La question serait formulée ainsi : « Avez-vous plus peur du Front national que de l’Islam ?  » Tout laisse à croire que la réponse serait pour le moins dérangeante. Les Français (il leur en a fallu du temps) croient de moins en moins en un islam modéré… une contradiction dans les mots. Par ailleurs, ils respectent les religions, toutes les religions, mais ne tiennent pas, vraiment pas, dans leur écrasante majorité, à être soumis à l’une d’elles. Et la perspective dorénavant envisageable que dans une dizaine d’années la France soit un califat ne fait pas bondir leur cœur de joie. Le succès du livre de Zemmour a surfé sur cette crainte, bien perçue également par Michel Houellebecq qui, avec sa désinvolture canaille, prédit qu’il faudra bien un jour s’en accommoder. Deux versions du suicide de la France. Deux manières de se faire peur ? Ou, peut-être, d’envisager le pire pour ne pas avoir à le subir.

En face, le Front national qui se dédiabolise (ce qui ne veut rien dire, car il n’a jamais été diabolique, juste un peu bouffon et vulgaire) à la vitesse grand V. Il n’est plus une marionnette entre les mains de Mitterrand, mais une alternative de plus en plus crédible. Souhaitable ? Pas évident, car les Français de souche, s’ils tiennent à leurs traditions, tiennent plus encore à leurs économies. Ils veulent bien d’une droite dure qui rappelle à chaque étranger qu’en France, il convient de se comporter, de parler et de penser comme un Français, mais de là à prendre des risques…

Bref, ce sondage (mais peut-être existe-t-il et n’en ai-je pas eu connaissance) permettrait de voir un peu plus précisément l’avenir qui, bien évidemment, ne sera pas radieux. Une telle enquête sera utile pour savoir à quelle sauce nous allons être mangés. Entre la peste et le choléra, nous avons encore de belles journées devant nous. C’est ce qu’on pourrait appeler par antiphrase : les grandes espérances.

Pourquoi Alain Finkielkraut a aimé le livre de Houellebecq

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houellebecq finkielkraut piketty

houellebecq finkielkraut piketty

Le nouveau roman de Michel Houellebecq, Soumission (Flammarion, 2014), divise la critique, jusque-là quasi-unanimement acquise au Goncourt 2010. Tandis que le directeur de la rédaction de Libération voit dans ce livre d’anticipation un symptôme de la « zemmourisation » des esprits et une validation des idées du Front national, Alain Finkielkraut salue le « grand romancier du possible » qu’est Houellebecq. Pour l’académicien, l’arrivée au pouvoir d’un parti musulman est un scénario possible à l’avenir, au même titre que la généralisation du clonage que prophétise cet « Alceste à cigarette ».  Bref, « Houellebecq appuie là où ça fait très mal et les progressistes crient aïe ! »

Revenant sur l’affaire Piketty, Alain Finkielkraut s’agace de voir ce jeune économiste refuser la Légion d’honneur à grands renforts de médias. « Les rebelles d’aujourd’hui sont des enfants gâtés » estime-t-il, arguant qu’il est « tout à fait légitime que la République mette à l’honneur un certain nombre de gens dont les travaux sont jugés estimables ». Le débat est ouvert !

*Photo : GINIES/SIPA. 00697589_000022.

Mon réveillon sans Philippot

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fn ump reveillon

fn ump reveillon

Des jeunes UMP ont réveillonné avec leurs amis frontistes du même âge, tels que Florian Philippot : c’est le scoop que nous a vendu Marianne au lendemain de la fête. Il n’en fallait pas plus pour que le ban et l’arrière-ban de la classe politique s’indignent de cette « collusion » UMP-FN. Suivant la mode du grand déballage, David Desgouilles nous raconte son réveillon on ne peut plus convenable, avec des gens qui pensent bien et sans rien qui tâche…

La rédaction

 

31 décembre, Paris

C’est la première fois que j’organise un réveillon à Paris. Dans la France périphérique où je survis, je n’ai pas l’occasion de rencontrer des personnes dont la culture et le sens de l’éthique rivalisent avec leur engagement républicain et le goût du vivre-ensemble.

18h59

Louis-Georges Tin, ancien candidat au Prix Nobel de la Paix, arrive en compagnie d’Aymeric Caron. J’ai engagé ces deux-là comme videurs. Avec eux, aucun risque de pollution de la soirée par des éléments rappelant les heures les plus sombres de notre histoire.

19h17

Catastrophe. Le traiteur me téléphone pour m’expliquer qu’un type chevelu et barbu lui a refusé l’entrée de tous les plats à base de chair animale. Je me débrouille pour tromper la vigilance de Caron et faire passer les denrées par la fenêtre de la salle de bain. Le traiteur m’applique une surfacturation pour l’échafaudage loué et le temps perdu.

20h03

Les invités commencent à arriver. Jean-Luc Romero, Sylvain Bourmeau et Audrey Pulvar sont les premiers. Le second a déjà repéré la bibliothèque de l’ami qui m’a gracieusement prêté l’appartement. Il débute un contrôle exhaustif des auteurs.

20h17

Edouard Louis, Geoffroy de Lagasnerie et Didier Eribon arrivent. Ils regardent sous les lits afin de vérifier si Marcel Gauchet n’y serait pas caché.

21h11

Tous les invités ou presque sont arrivés. Philippe Corcuff met les rieurs de son côté en improvisant une imitation d’Henri Guaino quittant le plateau de France 5 parce qu’il a été vaincu par les arguments républicains de Jean-Luc.

21h34

Sylvain Bourmeau, qui n’a pas quitté le contrôle de la bibliothèque depuis une heure et demie, déboule dans le séjour l’air mi-indigné, mi-satisfait. Il vient de trouver L’année zéro de la gauche, de Laurent Bouvet et Laurent Baumel. Certains invités commencent à me regarder en chien de faïence.

22h08

Edwy Plenel passe une tête à mon réveillon. C’est la consécration. Il fait plusieurs selfies avec des invités, vend huit abonnements de Mediapart et gratifie l’assemblée du même sermon qu’il avait effectué à France Cul deux jours avant.

22h46

Laurent Joffrin tombe sur le catalogue d’Havas voyages. Il feuillette les pages « Croisières » avec nostalgie.

23h12

Bourmeau arrive en hurlant ! Il vient de trouver Balladur, immobile à grands pas, d’Eric Zemmour. Le bouquin avait été caché sous la bibliothèque mais cela n’a pas échappé à sa grande sagacité. La tension est réelle. J’ai beau expliquer que le lecteur a ostensiblement affublé Zemmour de petites moustaches sur la quatrième de couverture afin de manifester sa désapprobation, le réveillon risque de tourner court, trois quarts d’heure avant minuit, ce qui est un peu ballot. Je décide donc de confier à Laurent Mauduit la mission d’organiser un autodafé dans la cheminée, ce qui calme les esprits, à l’exception de celui (sic) de Cécile Duflot, qui hurle dans les oreilles de toute l’assemblée que les feux de cheminée, c’est mal. Elle tweete le feu de cheminée, de rage.

23h59

Je tiens le bon bout. Certes, Bourmeau s’est maintenant attaqué à la vidéothèque et il a fait un peu la gueule en découvrant la collection complète des Don Camillo, mais tout risque majeur d’incident a été contourné avec brio. C’est à ce moment-là que l’un des convives évoque le conflit israélo-palestinien. Le feu part avec une vitesse telle qu’on se croit très vite au cœur d’une dispute entre Gilbert Collard et Jean-Marie Le Pen dans un bureau politique du Front national. Les assiettes volent, les insultes fusent. Seul Bourmeau garde son calme. Il découpe avec application un CD de Michel Sardou qu’il a découvert dans la salle de bain.

4h02

Les invités sont partis. Les pompiers aussi. Autour de moi, tout n’est que cendres, vaisselle en miettes et désolation. Mais pourquoi ai-je demandé aux femmes de débarrasser la table ?

*Photo : melaloulse.

Cold in July, vrai film noir de Jim Mickle

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cold july mickle

cold july mickle

Que peut-on demander à un bon film noir en 2015 ? Que peut-on demander à un genre qui a trop tendance, pour se renouveler, à aller chercher du côté de la pyrotechnie flingueuse ou du maniérisme dépouillé crasseux janséniste ou encore de la banalité surjouée dans des décors d’une médiocrité hyperbolique à visée de critique sociale ? Pour répondre à cette question, on pourra aller voir Cold in July de Jim Mickle. Cold in July joue avec les codes du genre, y compris avec les travers dénoncés plus haut. Mais comme cela est fait de manière parfaitement consciente, voire assez roublarde, l’amateur ressort comblé.

Cold in July, c’est d’abord un bon scénario. Ce n’est pas évident par les temps qui courent où les arguments des films de genre ont de plus en plus tendance à tenir sur un ticket de métro. Mais ici, en l’occurrence, il s’agit de l’adaptation d’un polar de Joe R. Lansdale, un des très bons américains du roman noir d’aujourd’hui qui promène ses personnages dans un Texas à la fois violent, plouc et attachant. Dans Cold in July, au début mais au début seulement, il est question d’autodéfense. On est en 1989, dans une de ces petites villes où même ma chaleur n’arrive pas à effacer la banalité des vies quotidiennes made in America. Un couple est réveillé la nuit par un cambrioleur. Le mari un bon gars qui exerce le métier d’encadreur dans sa boutique va chercher un flingue en tremblotant. Il est joué par un Michaël C.Hall (Dexter) doté d’une coupe de cheveux de footballeur allemand des années 80 et d’une normalité presque encombrante. Il tire un peu par maladresse sur le voleur qui va éclabousser le canapé familial et une horrible croûte au mur avec sa cervelle. On est à la limite de l’esthétique volontairement cheap du gore qui fait toujours ressortir par contraste l’horreur de la violence.

A partir de là, tout va mal se passer. Notre gentil encadreur est traité comme un héros qu’il n’a pas envie d’être, la police locale arrange le coup y compris quand le père de la victime décide de se venger. Il est ici joué par le mythique Sam Shepard qui n’hésite pas à assumer son corps vieillissant comme seuls savent le faire les grands acteurs.

Evidemment, ce n’est là que la première partie du film. Dans la seconde, il va virer à l’équipée sanglante de trois hommes, l’encadreur banal, le père de la victime qui est en fait un ancien truand mutique et, ô plaisir mélancolique, Dan Johnson (vous savez le blond de Deux Flics à Miami ?) en détective privé à stetson,  éleveur de cochon qui sont partis se venger d’une manipulation dont on ne vous dira rien.

Jim Mickle, le metteur en scène, nous donne avec Cold in July un film qui est une synthèse plutôt très réussie entre l’ironie des frères Coen et le minimalisme angoissant d’un John Carpenter dont on se souvient quand on voit certaines scènes de Cold in July comme l’assaut contre le repaire des amateurs de snuff movies ou même dans la musique avec ce synthétiseur obsédant qui était aussi la marque de fabrique de l’auteur d’Invasion Los Angeles. Ce parti pris esthétique rend par exemple les fusillades particulièrement sanglantes avec des impacts approximatifs qui ne tuent jamais du premier coup et va de pair avec une forme d’humour très rentré comme dans cette scène où le couple, après le cambriolage, nettoie son salon et décide, quand même, de changer de canapé pour continuer à regarder la télé.

Il est difficile, dans le film de Mickle, de chercher autre chose que ce qu’il nous donne. Il n’est pas comme dans History of violence de Cronenberg auquel on songe aussi parfois, une réflexion sur la sauvagerie qui sommeillerait en  nous tous. Il n’est pas non plus une parodie malgré quelques plans au ralenti  où le réalisateur se fait plaisir, et à nous aussi par la même occasion. C’est sans doute pour cela, d’ailleurs, que Cold in July est un des films les plus intéressants de moment puisque chose devenue rare aujourd’hui, il coïncide parfaitement, malgré son caractère hybride, avec son intention de départ : donner un bon film noir, ni plus, ni moins.

 

En salle depuis le 31 décembre

La cocaïne, business moderne sur toute la ligne

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cocaine roberto saviano

cocaine roberto saviano

Dans Sweetness and Power (Penguin, 1986), Sidney W. Mintz mettait au jour un fondement rarement étudié de la civilisation occidentale moderne : l’invasion du sucre depuis deux siècles et demi. Pour lui, la culture du sucre fut, dans les plantations antillaises et américaines, l’une des premières tentatives de mettre en place des structures de production capitalistique performantes ; mais aussi et en même temps l’occasion d’une modification en profondeur des habitudes alimentaires occidentales (fors la France, note-t-il). L’extraordinaire apport calorique du fruit de la canne, joint à son coût relativement modeste, le fit rapidement passer du statut de nectar aristocratique à celui d’aliment de base pour les masses. Lesquelles travaillaient mieux et plus longtemps en retour.

Le sucre fut le carburant de la première révolution industrielle : une autre poudre, blanche elle aussi, meut aujourd’hui le turbocapitalisme.

Pour en comprendre le fonctionnement, il faut marcher dans les pas de Roberto Saviano, journaliste napolitain connu pour son Gomorra, enquête précise au cœur des nouvelles mafias italiennes, qui lui vaut de vivre encore aujourd’hui, sept ans après, sous une protection policière permanente. S’aventurer avec lui dans le sillage de la cocaïne, c’est faire trois fois le tour du monde, des pires jungles colombiennes aux tours high-tech de la City londonienne en passant par l’enfer terrestre créé avec application par les cartels mexicains.[access capability= »lire_inedits »]

L’histoire moderne de la cocaïne commence en 1989 dans un hôtel d’Acapulco : Felix Gallardo, El Padrino, un ancien flic mexicain devenu le parrain de la drogue, a pris l’ascendant sur les Colombiens. C’est lui, le distributeur, celui qui fait passer par les 3 000 kilomètres de frontière du pays avec les États-Unis les tonnes de poudre, qui est maintenant le maître. Ce jour-là, il convoque les différents chefs de clan du Mexique et fait son Yalta à lui : il répartit le territoire. Il structure en fait les cartels que nous connaissons encore aujourd’hui, ceux de Ciudad Juarez, de Tijuana, du Golfe…

En Colombie, l’étoile de Pablo Escobar, le seigneur de Medellin, a pâli, et les guerres intestines avec les cartels des autres villes comme Cali, avec les FARC ou encore avec les paramilitaires, qui tous touchent à l’argent de la drogue, ont achevé d’affaiblir les producteurs. Rien n’a changé en apparence, la coca est toujours cultivée en Colombie. Mais de nouveaux parrains sont apparus, ces Mexicains donc, auprès de qui Al Capone ou Escobar font figure d’enfants de chœur. Les États du nord du Mexique sont devenus des narco-États : pas un politique, pas un flic, qui ne touche au trafic. Seules de violentes descentes de la DEA, l’administration américaine chargée de la drogue, désorganisent parfois une industrie florissante. Une industrie qui vaut 50 000 morts par an, seulement pour le Mexique. Et il ne s’agit pas simplement de narcos, mais aussi de femmes, d’enfants, d’innocents de toute sorte que l’on exécute pour terroriser la population. Palme toutes catégories de l’horreur : les Kaibiles, ces anciennes forces spéciales guatémaltèques, constituées pour lutter contre le communisme puis contre la drogue, et qui sont précisément passées au service des cartels mexicains. En huit semaines, on les forme à ne plus jamais rien ressentir : semaines passées dans la jungle à manger des animaux vivants, humiliations, épreuves en tout genre. À ce régime-là, raconte Saviano, vous faites de saint François d’Assise un monstre. Cette armée de zombies terrorise, viole, brûle, assassine, jette des nourrissons contre les murs si on le lui demande.

Pourquoi ? Parce que la cocaïne, c’est le capitalisme à l’état extra pur : la seule industrie du monde où vous gagnez mille fois votre mise à coup sûr. Tout bénef, surtout quand, comme toutes ces mafias, vous interdisez à vos membres et même aux populations que vous contrôlez de consommer le moindre gramme du poison que vous vendez. Dans les campagnes mexicaines, les banderoles abondent qui annoncent : « Les Zetas – une autre armée de l’apocalypse – luttent contre la drogue et protègent vos enfants. » De l’autre côté de la frontière, chez les gringos, l’économie elle aussi fonctionne à la coke : cadres sup défoncés qui s’en remettent un coup dans le nez pour pouvoir performer, et paradis fiscaux qui blanchissent au vu et su de tout le monde. Saviano va même jusqu’à affirmer que la City londonienne s’est sauvée de la faillite complète en 2008 en intégrant 300 milliards de dollars nés du trafic de drogue dans ses banques par des mécanismes complexes de sociétés-écrans.

Les Mexicains et leurs petits camarades de jeu colombiens ont plus d’un tour dans leur sac : cargos, mules, avions posés dans le désert africain, sous-marins de poche, ils inondent le monde de leur dope par tous les moyens, même légaux.

Vue d’ici, l’histoire racontée par Saviano a au moins le mérite de nous apprendre que la barbarie s’est éloignée de l’autre côté de l’Atlantique : apparemment, les petits caïds de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, tremblent de peur devant les Mexicains et les Colombiens. On ne joue plus dans la même cour en matière de cruauté. C’est loin, la French Connection. Cosa nostra, elle, semble totalement à l’ouest. Seuls les Russes tirent leur épingle du jeu, notamment Semen Mogilevic, considéré comme le parrain le plus puissant de toute l’histoire, devant Capone, Lucky Luciano et Escobar, et doué à la fois d’une complexion obèse et d’un QI noosphérique.

La neige semble tomber doucement sur toute la surface du globe, et il y a un risque, Saviano l’avoue, à trop l’étudier, de sombrer dans la paranoïa. Pourtant, son étude extrêmement précise et documentée, nourrie de personnages qui frôlent le romanesque, ordures intégrales ou bétail humain de la nouvelle économie de l’exploitation, dessine une seconde carte du monde, trop juste pour qu’on la néglige.[/access]

Extra pure. Voyage dans l’économie de la cocaïne, de Roberto Saviano, Gallimard.

 

*Photo : pixabay.

Couture et Murat : l’art pour l’art

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murat charlelie couture

murat charlelie couture

Charlélie Couture et Jean-Louis Murat ont en commun – entre autres – la pratique de la peinture, de l’écriture et de la chanson sourcée dans les ruisseaux de l’amour et les caniveaux de la vie. Les deux artistes empaquettent les plis de l’âme et les recoins des ressentiments comme montait Christo son emballage autour du Pont-Neuf : avec grandeur et hauteur. Et aussi avec, en guise de toile polyamide, la fée électricité et l’âme bluesy-poétique à double tranchant.

Couture a sorti à l’automne dernier son nouvel album, réalisé par Benjamin Biolay. Le single « L’Amour au fond » a tourné un peu en radio, pas assez. Feu Jean-Louis Foulquier, fondateur des Francofolies de La Rochelle, décrivait l’univers Couture ainsi : « Mots couleurs trait de plume, portrait au couteau et chansons aquarelles qui rendent la vie plus belle quand elles tournent à la radio. » Il n’avait pas tort mais, pour rendre la vie plus belle en France, il y a déjà iTélé. Et Plus belle la vie à 20h20. À défaut de passer à la radio, Charlélie passera près de chez vous en 2015 (à l’Olympia notamment le 28 mai). En outre, la ville de Nancy – d’où il est originaire – consacre une grande exposition rétrospective de ses œuvres de plasticien méconnu dans l’hexagone (alors que le Lorrain tient une galerie à New York…). Courrez-y si vous êtes dans le coin, l’événement – où installations, peinture, photo et sculpture se fondent dans un joyeux maelström artytectural – se tient jusqu’au 1er mars à la Galerie Poirel.

De son côté, comme s’il n’était jamais satisfait d’une chose créée, Jean-Louis Murat passe à une autre compulsivement. L’argumentaire de son nouveau double album, Babel, repose sur son implantation locale intégrale : un disque du cru, enregistré et emballé avec des figures du coin, sans délocalisations dénaturantes. Le résultat donne à entendre un soft rock topographique, aux allures de carte de Tendre franchissant le Rubicon de la Mer dangereuse vers les Terres inconnues de l’identité d’une Auvergne jordanienne : « La ville de Murat contient un château, jadis, tenu par des Arabes. Murat vient de  »Maures ». L’idée que des Arabes aient pu être présents en Auvergne dès le Haut Moyen-âge me séduit. Cela questionne les origines […] L’Auvergnat est un mélange de Vikings et d’Arabes. » soulignait Jean-Louis à la sortie de Babel. Avec un tel pedigree, on comprend mieux la phrase d’un spécialiste des Auvergnats qui déclara jadis à leur sujet : « Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes. » (en même temps, un seul Murat suffit pour qu’il y ait des problèmes, demandez à ses confrères de la chanson française ce qu’ils en pensent).

Hormis une mécanique des chœurs poussive qui vient gâcher le plaisir sur « Chacun vendrait des grives » et un « Chant Soviet » un peu léger, l’objet commence véritablement à partir du troisième titre, « J’ai fréquenté la beauté ». Dans cette ballade gracile comme un vol d’hirondelles, l’auteur nous conte – au passé – un pan de sa vie de dauphin dans les eaux d’un quotidien au grand air, dans le coin de La Bourboule. Dommage que seule la flûte ne prenne pas son envol… Puis l’album déroule son charme caravanier avec une facilité déconcertante. « Dans la direction du Crest » sonne même comme du Charlélie Couture, c’est dire si le taux d’apesanteur est élevé.  Des parfums de désert où souffle une tension toute morriconienne concluent le CD1 admirablement (« Mujade Ribe »), avant la Lewis Carrollerie « Vallée des merveilles ». Et bis repetita avec le second CD, onctueux comme du Saint-Nectaire humecté d’une goutte de Jurançon doux, avec un zeste de bluegrass. Côté paroles : les chansons résonnent comme des Chroniques champêtres – Volume 1 – Dylaniennes de par leur dimension autobiographique de père de famille, mais aussi par l’évocation des souvenirs de tout ordre dans une prose environnementale limpide. Murat nous convie dans une géographie toute personnelle, arpentant les paysages de son passé qui surplombent son quotidien d’autochtone de la vallée du Vendeix.

Babel scelle – trente-cinq ans après les débuts déjà chaotiques du chanteur – la victoire à la Pyrrhus de Jean-Louis Murat sur le champ de bataille dévasté de la chanson française. Alors, après Babel, l’Olympe (auvergnat, bien sûr) ?

 

ImMortel, de Charlélie Couture (Mercury)

Exposition Charlélie, NCY – NYC jusqu’au 1er mars 2015 à Nancy.

Babel, de Jean-Louis Murat (Pias)

 

*Photo : URMAN LIONEL/SIPA. 00695154_000011.