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Charlie Hebdo : quelques tweets

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charlie hebdo vadot

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charlie hebdo blaspheme

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charlie hebdo attaque

Et pendant ce temps sur Twitter, ceux qui aiment vraiment Dieu se répandent :

twitter charlie hebdo

Attentat contre Charlie Hebdo : hommage à Cabu

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« Cabu a été exécuté à genoux devant les autres »

J’ai lu cette phrase sur les réseaux sociaux. Je ne sais pas si elle correspond à la réalité. Pourtant, Cabu est bien mort.

Cette image tourne en boucle dans ma tête sans arrêt . « Cabu a été exécuté à genoux devant les autres ».

Je suis submergé d’émotion et de de tristesse. « Cabu a été exécuté à genoux devant les autres » .

Je ne connaissais absolument pas Cabu, mais « il a été exécuté à genoux devant les autres ».

Les victimes ne sont jamais des héros, mais « Cabu a été exécuté à genoux devant les autres »

Honneur à lui.

Attaque terroriste contre Charlie Hebdo

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charlie hebdo cabu charb

Ce matin, « vers 11 h 30, deux hommes armés d’une kalachnikov et d’un lance-roquettes ont fait irruption au siège de Charlie Hebdo dans le 11e arrondissement de Paris. Un échange de coups de feu a eu lieu avec les forces de l’ordre », provoquant une douzaine de morts selon un bilan provisoire, rapporte l’AFP.

« La France est devant un choc. Car c’est un attentat terroriste, ça ne fait pas de doute. Nous devons montrer que nous sommes un pays uni » a déclaré François Hollande. Dans la foulée, le plan Vigipirate a été relevé au plus haut niveau en Île-de-France.

Comme le président de la République a omis de le dire, et comme les chaînes info oublient de le préciser, si Charlie Hebdo était sous protection policière, c’est à la suite de nombreuses menaces émanant des milieux extrémistes islamistes.

La vidéo de l’agression :

D’après lefigaro.fr, les dessinateurs Cabu, Charb, Tignous, et Wolinski sont morts. L’économiste Bernard Maris est également au nombre des victimes.

Interrogée par L’Humanité, la dessinatrice Coco témoigne : les assaillants « parlaient parfaitement le français… se revendiquaient d’Al-Qaïda ».

Sur Europe 1, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) Dalil Boubakeur déclare : « C’est une déclaration de guerre fracassante. Les temps ont changé, nous entrons dans une nouvelle période de cette confrontation (…) Nous sommes horrifiés par la brutalité et la sauvagerie dans les locaux de Charlie Hebdo (…) Nous condamnons absolument ces faits de ce genre et nous attendons des autorités les mesures les plus justes. La communauté est abasourdie par ce qui vient de se passer. C’est un pan entier de notre démocratie qui est gravement atteint. »

Nicolas Sarkozy, président de l’UMP, dénonce « une atteinte directe, sauvage à la liberté d’expression ».

Turquie : le ministre des Affaires étrangères condamne l’attentat mais dénonce la montée de « l’islamophobie et de la xénophobie en Europe ».

Communiqué du Kremlin : Vladimir « Poutine exprime ses profondes condoléances aux parents et aux proches des personnes tuées dans l’attentat terroriste à Paris, aux Parisiens et à tous les Français (…) le terrorisme n’a pas de justifications. »

charlie hebdo appel temoins

*Photo : Francois Mori/AP/SIPA. AP21674742_000036.

Houellebecq, l’islam et France 2

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Hier soir, au journal télévisé de la Deux, Michel Houellebecq nous en a mis plein les mirettes. Non que le stigmatisé du moment se soit montré sapé comme un milord, ou mielleux d’éloquence ; mais avec son œil torve, sa lèvre flapie d’où semblait s’échapper la cendre d’une cigarette imaginaire et son électroencéphalogramme digne d’un plateau belge, l’auteur de Soumission a donné une leçon de rhétorique à tous les professionnels de la profession.

À côté de son relief, ses trois détracteurs interrogés par les reporters de France 2 ont fait pâle figure. J’ai failli rire jaune en entendant l’essayiste Malek Chebel pointer la « responsabilité » d’un écrivain auquel il reproche de montrer l’islam sous un jour défavorable (c’est bien connu, Houellebecq a inventé l’Etat islamique, les persécutions contre les minorités et toutes les autres joyeusetés qu’on déplore dans les pays au croissant rien que pour nous embêter…). Si l’on ne considère pas la conception française des droits de l’homme (et de la femme) comme un sanctuaire inviolable, force est de reconnaître le parti musulman que dépeint l’écrivain n’a rien d’extrémiste ni de violent. De là à penser qu’un islam politique, même modéré, ne fait pas toujours bon ménage avec le Bien, le Beau et le Bon, il y a un pas que nos meilleures associations nous interdisent de franchir.

Tout sourire, avec ses lunettes à la Groucho Marx, le président de la LICRA Alain Jakubowicz expliquait d’ailleurs – sans vraiment y croire ? – que Soumission était « le plus beau cadeau de Noël » dont Marine Le Pen pouvait rêver. En plateau, Houellebecq lui répliquera qu’aucun roman n’a changé le cours de l’Histoire, à la différence d’essais comme le Manifeste du parti communiste,  et que le Front national n’a vraiment pas besoin de lui pour surfer sur le vent mauvais du mal-vivre-ensemble.

Que dire enfin de Michela Marzano, écrivain et féministe transalpine, qui incrimine le romancier immoraliste, coupable de décrire sans moraline le détricotage des droits de la femme par la Fraternité musulmane au pouvoir. Comme nombre de ses contemporains écrivains, Houellebecq aurait sans doute dû s’en offusquer en jalonnant son livre d’avertissements du style (« je défends les femmes contre l’islam », ou « je suis l’auteur de ce roman et je désapprouve ce que dit mon personnage »). Houellebecq manquerait-il d’humanisme ? Peut-être pèche-t-il par défaut d’islamophobie…

Mariage gay à l’italienne

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sentinelle italie mariage gay

En France, émettre une opinion peu enthousiaste sur le mariage gay ou ses dérivés, vous expose à l’accusation d’homophobie, et donc à être excommunié en chaire, c’est-à-dire à la télé. Vous serez expulsé de la communauté des gens fréquentables – voire de votre logement.

Chez nous, en Italie, la sanction peut se révéler pire encore. Sachez d’abord qu’ici, les couples homos n’ont toujours pas le droit de convoler ni d’adopter – on en est encore à discuter d’une sorte de « pacte civil ». Sans doute frustrés par cette perspective pas assez matrimoniale à leurs yeux, et jaloux de leurs voisins français ou anglais, les activistes gays italiens entendent se rattraper sur le terrain judiciaire. Aussi mènent-ils actuellement bataille pour le projet de loi déposé par le député de gauche Scalfarotto contre l’« homophobie » et la « transphobie », actuellement en discussion au Sénat, après avoir été approuvé par la Chambre des députés.

En théorie, on ne peut qu’applaudir. Interdire que l’on persécute un citoyen pour cause de préférences sexuelles minoritaires, mais légales, est une excellente chose. Seulement, comme dirait la grand-mère de Martine Aubry, y’a un loup. En effet, malgré les demandes répétées de l’opposition, le texte se refuse à définir les délits d’« homophobie » et de « transphobie ». En clair, les tribunaux apprécieront. En plus clair encore, sous couvert de punir la violence, la discrimination ou les appels à la haine, on ouvre la porte au délit d’opinion. Si la loi Scalfarotto n’est pas réécrite de fond en comble, comme on dit chez vous, le premier juge venu pourra décider que s’être opposé au mariage gay ou à la GPA constitue un délit avec, à la clé, des peines pouvant aller jusqu’à un an et demi de prison.[access capability= »lire_inedits »]

Exagération propre aux esprits étroits, contaminés par la gangrène réac ? Si vous avez l’immense bonheur d’être italophone (et même si vous ne l’êtes pas, faites un effort, ça vaut le coup), allez donc chercher sur le Net les « linee guida per un’informazione rispettosa delle persone LGBT » (« lignes directrices pour une information respectueuse des personnes LGBT »),  vous comprendrez ce que certains progressistes entendent par « lutte contre les discriminations » – je propose comme traduction « cassage de gueule de ceux qui ne pensent pas droit ». Et, pour que le doute ne soit pas permis, ce qu’il convient de penser y est explicitement exposé.

Ce kit de bienséance, notamment adressé aux journalistes, a été publié sur le site du ministère pour l’Égalité des chances. On y stipule, par exemple, que l’expression « utero in affitto » (« prêt d’utérus ») est à proscrire, parce qu’elle renvoie à une idée négative et commerciale de cette pratique, alors qu’il s’agit d’« une aspiration du couple gay ou lesbien à avoir ses propres enfants ». Seuls des monstres pourraient vouloir contrarier une aspiration si légitime. Gare au confrère qui oserait parler de « mariage gay », parce que la formule correcte est « mariage entre deux personnes de même sexe » – dans les romans, qui seront vite sommés de s’adapter, la formule sera du meilleur effet. Il est aussi formellement déconseillé d’écrire que l’enfant « a besoin d’une figure masculine et d’une figure féminine comme condition fondamentale pour garantir son équilibre psychologique » (et il devrait être interdit de le penser). Enfin, un chapitre entier recense les règles à observer pour ne pas véhiculer des « discours de la haine », un autre est consacré aux « tics homophobes » que tout journaliste sérieux doit éviter.

La pièce était jouée d’avance. Mais, comme en France, de petits grains de sable perturbent le scénario. Dans la bataille contre la loi Scalfarotto, ces grains de sable sont les Sentinelle in Piedi (« sentinelles debout »). Nées l’an dernier dans le sillage des Veilleurs français, elles se battent avec les mêmes méthodes : la station debout, l’immobilité et la lecture en silence. Au risque d’enrager ceux qui, à gauche, fantasment un ennemi fasciste, les lecteurs des Sentinelle pèchent plutôt par excès de gandhisme.

Mais il y a plus grave que ce refus suspect de la violence, c’est que l’arme secrète des Sentinelle, c’est la raison. Oui, vous avez bien lu, la Raison. Qui peut les inviter à la désobéissance civile, voire à la rébellion maîtrisée, mais qui passe d’abord par l’expression mesurée d’un désaccord face à la démesure des injures et invectives dont elles sont la cible. « Si, aujourd’hui, il suffit de lire en silence pour être accusé d’homophobie, que se passera-t-il demain si le projet Scalfarotto devient une loi », se demandent les Sentinelle sur leur site.

Le 5 octobre dernier, pendant que La Manif pour Tous défilait à Paris et à Bordeaux, des dizaines de milliers de Sentinelle se sont rassemblées dans plus de cent villes d’Italie pour la défense de la liberté d’expression. En silence, pendant une heure, chacun brandissant un bouquin, séparés de deux mètres les uns des autres.

Ce happening pacifique – plutôt classe dans sa symbolique, non ?– n’a pas touché la gauche radicale et des groupes LGBT, qui ont organisé partout des contre-rassemblements pour crier face aux caméras leur haine envers les « homophobes-fachos-bigots-rétrogrades » (petite sélection d’insultes entendues sur place). Comme l’heure n’est plus aux minauderies – l’hydre homophobe rôde –, les camarades ont parfois poussé leur combat pour la tolérance jusqu’à l’agression physique. À Rovereto, dans le nord du pays, un prêtre, Matteo Graziola, et une jeune femme ont fini à l’hôpital.

Quand ils ne défendaient pas leurs opinions à la barre de fer, les gardiens de la démocratie se sont, un peu partout, exprimés en lançant des bouteilles, des œufs et des préservatifs pleins d’eau (et pas seulement), si possible en direction des mères poussant leurs bébés dans leurs landaus –, il suffit de faire une petite recherche sur YouTube pour voir de ses propres yeux.

Bien sûr, la presse « progressiste » n’a pas fait dans le détail : les cogneurs étaient les gentils libertaires et les Sentinelle, restées impassibles face aux violences, les vilains fachos. Comme quoi l’Italie n’est pas un pays si exotique que ça. Sauf qu’à la différence de ce qui s’est passé en France, des voix discordantes se sont fait entendre à gauche, notamment celle de Mario Adinolfi, l’un des fondateurs du Parti démocrate. En bisbille avec la direction de son parti sur les dossiers du mariage gay et de l’adoption, depuis un an, Adinolfi a franchi le Rubicon et s’est décidé, le 5 octobre dernier, à veiller aux côtés des Sentinelle, à Rome, devant le Panthéon : « Je dois avouer, raconte-t-il, qu’à la cinquante et unième minute, debout, immobile sur le pavé devant le Panthéon, des craquements aux genoux m’ont fait penser : tout cela est-il vraiment nécessaire ? Puis j’ai regardé les cinq ou six opposants accourus pour faire je ne sais quoi avec leurs petits triangles roses, et j’ai compris que c’était la formule parfaite. Nous, plus de cent, en silence, en train de lire. Eux, très peu nombreux, égarés et dépourvus d’arguments pour répondre. Parce que nous, on était là, debout, aussi pour eux. Pour leur liberté. »

Le 13 janvier prochain, Mario Adinolfi lancera son nouveau quotidien, La Croce. Son sous-titre : Contre les faux mythes du progrès.[/access]

*Photo : Luigi Mistrulli/SIPA. 00680891_000007.

Euro : Séguin avait tout dit

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seguin euro maastricht

Il y a cinq ans, Philippe Séguin disparaissait. Aujourd’hui encore, pour beaucoup de nos compatriotes, son nom reste attaché au combat qu’il a mené contre le Traité de Maastricht. Pour autant, faire de Séguin un antieuropéen est une caricature. Il pensait que l’Europe ne pouvait être seulement un marché, encore moins une technocratie, mais une construction politique permettant une Europe sociale qui protège ses entreprises et ses salariés. Il se situe clairement dans le sillage du général de Gaulle qui, dès 1952, avertissait : « On ne fera pas l’Europe si on ne la fait pas avec les peuples et en les y associant. Or, la voie que l’on suit est complètement différente. Les peuples n’y sont pas ».

Avant de mourir, il y a cinq ans, Philippe Séguin a pu observer la justesse de ce constat. En 2008, le monde a en effet été frappé par une crise inédite depuis 1929. L’Europe et en son sein la France peinent à s’en sortir. Or, dès son fameux discours du 5 mai 1992, Séguin nous avertissait : « Il est bien temps de saisir notre peuple de la question européenne. Car voilà trente-cinq ans que le traité de Rome a été signé et que d’Acte unique en règlements, de règlement en directives, de directives en jurisprudence, la construction européenne se fait sans les peuples».

Nostalgie estimaient ses adversaires. Pourtant, que constate-t-on aujourd’hui ? Si l’on fait l’Europe sans les peuples, les peuples déferont l’Europe. L’abstention massive aux élections européennes, la montée en puissance des partis extrêmes, leur possible succès en Grèce qui fait trembler la planète finance, sont autant d’illustrations de la vision de Philippe Séguin.

Au cœur de son combat pour une Europe des nations et des peuples, ce dernier a tout de suite estimé que la monnaie unique présentait un danger supplémentaire. Le traité de Maastricht allait mettre les nations, donc les peuples sous tutelle, ce qui lui était insupportable en sa qualité de républicain et de démocrate.

Sa critique sur le traité de Maastricht portait sur deux points essentiels : aggraver le déficit démocratique accumulé au fil des années, au lieu de tenter de commencer à le résorber, et prévoir un mode de gestion et des objectifs contradictoires pour la monnaie unique. On faisait en effet découler la politique économique du monétaire quand le raisonnement aurait dû être inverse. Il était ainsi prévu que la politique monétaire serait décidée non par des instances démocratiques, mais par un organisme unique et tout-puissant, dépourvu de tout contrôle, cumulant plus de pouvoirs encore que le système de réserve fédéral américain ou la Bundesbank. « Le seul objectif qui lui était assigné était la lutte contre l’inflation ! Pas un mot sur la croissance et l’emploi. » L’objectif principal assigné à la Banque centrale européenne a été de maintenir la stabilité des prix dans la zone euro, afin de préserver la valeur de l’euro.

Au moment même où le continent européen connaissait des bouleversements de grande ampleur, bousculant toutes les données de notre vie collective, le politique se privait d’un levier d’action en confiant la politique monétaire à un système indépendant. Cette séparation entre la politique monétaire et la politique économique était d’autant plus paradoxale que, bien avant la crise, la France et l’Europe connaissaient déjà un chômage de masse et que la mission première donnée à la politique monétaire était la maîtrise de l’inflation et non le développement de l’emploi. À l’inverse, la Réserve fédérale des Etats-Unis avait un double mandat : agir pour le plein emploi autant que pour la stabilité des prix.

Puis les crises sont passées par là : d’abord la récession de 1993, ensuite les crises de 2008, financière puis économique. Il a fallu gérer ces crises tout en étant enfermé dans le carcan des critères de Maastricht, dont on cherchera en vain une justification quant au choix et au niveau fixé pour la création d’une zone monétaire.

Aujourd’hui, la faiblesse des taux d’intérêt permet-elle une allocation optimale des ressources ? L’engouement actuel de la terre entière à nous prêter à bas prix est-il durable ? Ne sommes-nous pas déjà à la remorque des marchés financiers et des agences de notation ? Qu’en sera-t-il alors de notre indépendance et de notre capacité à influer sur le cours des choses? Voilà les questions qui taraudaient Philippe Séguin au moment du choix de Maastricht et qui s’avèrent encore plus prégnantes avec l’irruption de la crise financière et économique dans notre modèle capitaliste. Les initiatives de Nicolas Sarkozy, pendant la présidence française de l’Union européenne, ont certes permis un plan de sauvetage du système bancaire qui évita son effondrement. Mais la France ne put échapper à la récession en 2009.

Le péché originel de la création de la zone euro a reposé sur l’hypothèse qu’elle constituait une zone économique optimale. Une zone économique ne peut être optimale au point de permettre d’y établir une monnaie unique que si elle présente aussi une suffisante homogénéité structurelle, voire culturelle. Les programmes, dits de cohésion, s’éparpillent entre de trop nombreuses priorités pour réduire ces disparités. Quant à l’espace social européen, cher à Philippe Séguin et ancré dans ses convictions de gaulliste social, il y a belle lurette que l’expression a disparu même si elle refait une timide apparition en Allemagne.

Reste la potion magique de la convergence souvent mise à toutes les sauces sans réelle volonté politique de la voir appliquée. Pour qu’il y ait une véritable convergence, elle doit porter d’abord sur les politiques économiques, « c’est-à-dire dans une relance de la croissance de la part des pays qui ont des excédents. Si n’on obtient pas cela, on va se retrouver très vite dans une situation où on aura un engrenage absolument détestable : des politiques d’austérité et des déséquilibres des finances publiques » rappelait Philippe Séguin, tout en ajoutant «que l’on ne peut pas vivre avec une monnaie unique sans convergence fiscale dans un espace où il y a des paradis fiscaux ».

Enfin, sa fibre sociale s’exprimait quand il déclarait : « faire converger les modèles sociaux ne peut se faire que si chacun fait un bout de chemin vers l’autre. Il n’est pas possible que la France abandonne son modèle social pour rejoindre le modèle libéral, plus proche du modèle anglo-saxon ».

Acceptons le débat et reconnaissons que les questions posées par Philippe Séguin au moment de Maastricht connaissent un regain d’actualité et n’ont pas encore reçu de réponse. Reconnaissons le caractère prémonitoire de son discours de 1992 : « Quand, du fait de l’application des accords de Maastricht, notamment en ce qui concerne la monnaie unique, le coût de la dénonciation sera devenu exorbitant, le piège sera refermé et, demain, aucune majorité parlementaire, quelles que soient les circonstances, ne pourra raisonnablement revenir sur ce qui aura été fait. Craignons alors que, pour finir, les sentiments nationaux, à force d’être étouffés, ne s’exacerbent jusqu’à se muer en nationalismes et ne conduisent l’Europe, une fois encore, au bord de graves difficultés, car rien n’est plus dangereux qu’une nation trop longtemps frustrée de la souveraineté par laquelle s’exprime sa liberté, c’est-à-dire son droit imprescriptible à choisir son destin. On ne joue pas impunément avec les peuples et leur histoire. »

Ce n’est pas d’une initiative européenne que peut venir la réponse s’il n’y a d’abord une volonté des Etats-membres. A commencer par les plus grands et ceux qui ont le plus d’intérêts et d’engagements dans la construction européenne, c’est-à-dire la France et l’Allemagne. La France ne doit pas avoir peur de l’Allemagne. Il était absurde de vouloir la « ligoter ». Il est tout aussi absurde aujourd’hui de vouloir la copier en tout et, la prenant pour étalon, de souffrir d’un sentiment d’infériorité peu propice au dialogue franc et constructif qui semble en panne depuis trois ans.

La voie à suivre est celle qui nous était tracée par Philippe Séguin: « Une fois de plus, il nous faut considérer le monde tel qu’il est et non tel qu’on voudrait qu’il soit. Et dans ce monde-là, ce que la France peut apporter de plus précieux à l’Europe, c’est de trouver en elle-même assez d’énergie et de volonté pour devenir un contrepoids, pour équilibrer les forces en présence, pour peser lourd face à l’Allemagne, sinon pour faire jeu égal avec elle. Que la crise de notre État providence appelle de profondes réformes, je serai le dernier à le contester. Que cette modernisation, faute de courage politique, soit imposée par les institutions communautaires, voilà qui me semble à la fois inquiétant et riche de désillusions pour notre pays. Le meilleur service que nous pouvons rendre à l’Europe, c’est donc de nous engager résolument sur la voie du redres­sement national, c’est de restaurer la cohésion nationale et l’autorité de l’État. »

Douze ans après, l’euro a-t-il été l’instrument de notre liberté ? Ne nous a-t-il pas, au contraire, endormis dans la fausse sécurité de l’accès facile aux financements des marchés internationaux, ne mettant ainsi aucun frein à la croissance de l’endettement ? Cette dépendance entrave la liberté d’action tant de la France que de l’Europe dans un monde qui bouge. Est-ce au moins le prix de notre prospérité ? La France qui comptait 3,5 millions de demandeurs d’emploi, avec ceux en activité réduite, a passé le cap des 5 millions en 2014. La crise mondiale est passée par là : mais l’euro n’a pas suffi à nous protéger et pour la suite, n’est-ce pas la crise même de la zone euro ?

Et pour répondre à Philippe Séguin, qui s’inquiétait du coût exorbitant de la dénonciation, je pose la question : a-t-on mesuré le coût de l’inaction ?

*Photo : FACELLY/SIPA. 00224736_000003.

Souvenirs mélancoliques d’un vieux jeune engagé

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veilleurs zad djihad

En 1980, quand j’étais en première, à Rouen, mon seul copain était de l’Action française. Moi, j’étais déjà communiste. Nous passions notre temps en discussions infinies sur les mérites comparés du nationalisme intégral et du matérialisme dialectique. Soyons honnêtes, nous aimions aussi traîner chez les bouquinistes et regarder passer les filles. La raison de cette étrange amitié, qui dure encore aujourd’hui, même s’il est désormais beaucoup moins maurrassien et moi beaucoup moins léniniste, c’était que nous n’avions pas d’autres interlocuteurs de notre âge, dans cette classe de première. Je rappelle la date : 1980. La crise était déjà là, les derniers gauchistes de Mai 68 se reconvertissaient dans la pub et, de Furet aux nouveaux philosophes, on nous bassinait déjà, dix ans avant la chute du mur de Berlin, avec la fin de l’Histoire, la disparition des Grands Récits, le postmodernisme triomphant. On rappellera, par exemple, que La Condition postmoderne de Lyotard datait de l’année précédente.

Le résultat était que, mon copain et moi, nous évoluions dans un environnement de jeunes gens qui ne pensaient, littéralement, plus rien ; pour qui l’engagement semblait une vieille lune qui traînait, poussiéreuse, dans les Lagarde et Michard, du côté de Sartre et de Camus. Ils étaient déjà tétanisés par la peur du chômage et drogués par le consumérisme. C’était l’époque, aussi, où Le Nouvel Obs annonçait en une l’avènement de « la bof génération ». En fait, dans une époque qui se serait encore vécue comme historique, mon copain et moi, nous aurions plutôt échangé des horions en distribuant des tracts avec nos clans respectifs. Nous nous retrouvions ensemble non pas parce qu’on pensait la même chose, mais tout simplement parce qu’on pensait encore quelque chose.[access capability= »lire_inedits »]

Ensuite, j’ai cessé d’être élève pour devenir prof – mon ami aussi. Et les choses n’ont fait qu’empirer. Les jeunes qui s’engagent ne sont plus qu’une poignée. La société, qui leur offre la précarité comme horizon indépassable et les habitue à vivre moins bien, sur tous les plans ou presque, que la génération précédente, les requiert pour des urgences plus immédiates. On pourrait penser, précisément, que cela fournit encore plus de raisons de se révolter. Mais entre le désespoir et la révolte, il y a plus qu’un pas. Et puis, soyons honnêtes, il y a la fatigue des partis (même le mien), le fonctionnement bureaucratique des syndicats et des associations, qui ne sont plus le lieu de l’expression d’un idéal militant mais un moyen de « faire carrière » comme permanent ou comme élu. Résultat, l’engagement a cessé depuis longtemps d’être un phénomène de masse.

Du coup, alors que nous entrons dans la cinquantaine, mon vieux copain royco et moi gardons une certaine sympathie pour ceux qui bougent encore, parfois de manière brutale. Pour ma part, depuis la fin des années 1990, j’ai été heureux de voir des jeunes, y compris les très redoutés Black Blocs, manifester contre les G8 ou s’installer sur les ZAD. Et certains l’ont payé de leur vie comme Carlo Giuliani, tué à Gênes en 2001, et, il y a quelques semaines, Rémi Fraisse, mort sur le barrage de Sivens. Cela ne m’empêche pas de trouver une certaine grandeur dans l’engagement des jeunes de La Manif pour tous, devenus des « veilleurs » impressionnants de constance. Les uns et les autres incarnent l’idée qu’on ne peut pas accepter un monde jugé, pour des raisons différentes, encore qu’il faudrait y regarder de plus près, proprement inacceptable.

Et puis les djihadistes made in France sont apparus. Dans un premier temps, mon copain et moi, on a refusé de condamner en bloc et de hurler à la cinquième colonne islamiste dans nos banlieues. On se disait à mots couverts que si on avait été à leur place, dans un quartier de relégation, avec une école et des parents démissionnaires, on aurait peut-être pensé qu’aller se battre là-bas donnerait un sens à la vie et que, finalement, mieux valait une fin effroyable qu’un effroi sans fin.

Sauf que. Sauf que le zadiste ou le veilleur, l’antifa ou le jeune identitaire ont, eux, un corpus idéologique qui ne se limite pas à quelques vidéos gore sur Internet.

Sauf que les choses ont changé très vite. Sauf que le djihadiste français ne correspond pas forcément, comme nous le confirment les premières études, au portrait-robot que l’on en avait tracé – pour aller vite, un môme des quartiers radicalisé par la mosquée du coin –, mais qu’il pouvait être un Blanc des classes moyennes, relativement éduqué, issu du bocage normand ou d’une famille catholique portugaise. Sauf que, converti ou musulman de souche, il n’embrasse pas la cause malgré la violence, mais pour elle.

Du coup, toute forme de sympathie, ou au moins d’indulgence, devient définitivement impossible. Affronter la police et risquer la prison pour empêcher la construction d’un barrage ou s’opposer à une mutation anthropologique dans la filiation, cela n’a rien à voir avec décapiter des êtres humains sur You Tube. Dans un cas, la violence, quand elle existe, est accidentelle, dans l’autre, elle est consubstantielle. C’est sans doute parce qu’en l’occurrence il ne s’agit plus d’engagement, mais d’endoctrinement. Il ne s’agit plus d’une démarche volontaire, active, raisonnée, mais de ce qu’il faut bien appeler une dérive sectaire. On ne veut plus, chez le djihadiste, comme du côté de Notre-Dame-des-Landes, inventer autre chose en marge de ce monde-là que l’on estime sur le point de s’effondrer. On veut le terroriser, le détruire, le faire retourner à la barbarie.

Les zadistes et autres tarnacois, que les médias et la police qualifient volontiers d’enragés – terme auquel sa naissance soixante-huitarde donne il est vrai un parfum laudatif – rêvent de communautés alternatives inventant sur fond de décroissance une autre façon de vivre ensemble et redonnant son sens au vieux et beau mot d’émancipation. On peut certes s’indigner que, ponctuellement, pendant une manif qui dégénère, ils mettent en coupe réglée une ville en brisant les vitrines avec une prédilection pour celles des banques. Reste que leur but ultime, pour paraphraser un titre de Duras, est de vivre des journées entières dans les arbres. On peut y croire, on peut en sourire, on peut même les admirer de chercher une voie nouvelle. Dans un des livres qui les inspirent, À nos amis, une suite de L’Insurrection qui vient, ne lit-on pas qu’il faut en finir « avec ce qu’il reste de gauche en nous », c’est-à-dire avec cette fausse alternative prévue par le système lui-même ?

Le jeune djihadiste, lui, passerait ces utopistes, veilleurs ou « anarcho-autonomes » au fil de l’épée. Pour une raison simple et terrifiante : son désir ultime n’est pas de vivre mieux, c’est de nous faire mourir, tous, et lui avec. Son islamisme n’étant rien d’autre, au bout du compte, qu’une variante d’un vieux, très vieux nihilisme, que Nietzsche définissait ainsi : « Le nihilisme n’est pas seulement la croyance que tout mérite de disparaître : on met la main à l’œuvre et on disparaît soi-même… »[/access]

*Photo : wikicommons.

Que va devenir l’Afghanistan?

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afghanistan obama usa

Cette fois, pas de show filmé par les caméras du monde entier. Pas d’éditoriaux dithyrambiques ou même critiques. Pas de chef d’Etat faisant le service après-vente à la télévision. La fin de l’engagement occidental en Afghanistan, le 28 décembre 2014, s’est déroulée dans la discrétion et le silence d’une aventure malheureuse, dont on aurait presque honte. On hésite à poser la question : après treize ans d’occupation militaire, 3500 morts chez les Occidentaux, au moins 25 000 parmi les civils afghans, à quoi tout cela a-t-il servi ?

Après le 11 septembre 2001, les Etats-Unis se jettent sur l’Afghanistan, pour venger les morts du World Trade Center. Cette opération était initialement baptisée « Justice infinie », mais renommée de justesse « Justice immuable », pour ne pas choquer les opinions publiques musulmanes, car seule la justice d’Allah est infinie. La première étape du conflit, qui consistait à prendre Kaboul et détruire les bases d’Al-Qaïda, était aisée, et somme toute légitime. Mais au lieu de se retirer, et de se concentrer sur la traque de Ben Laden, qui sera retrouvé, comme on le sait, au Pakistan, protégé par les services secrets locaux, les Etats-Unis et leurs alliés ont cherché à construire une démocratie à l’occidentale, et à faire table rase des équilibres ethniques locaux.

Dans leur souci de créer un ennemi identifiable, les Américains ont commis l’erreur d’amalgamer Al-Qaïda, label terroriste récupéré un peu partout dans le monde, et les talibans, islamistes à la férocité établie, mais qui sont surtout l’émanation de l’ethnie pachtoune, majoritaire dans le sud et l’ouest de l’Afghanistan. Les Pachtouns débordent sur la frontière pakistanaise, voilà pourquoi les talibans possèdent des bases dans les deux pays, et jouissent du soutien de l’armée et des services secrets pakistanais. En effet, le Pakistan considère l’Afghanistan comme sa cour intérieure, mais aussi comme sa profondeur stratégique, partie intégrante d’un « Pachtounistan » hors-frontières.

Guerriers légendaires, les pachtounes ont lutté contre les Britanniques, lors des guerres anglo-afghanes, en 1839 puis en 1878 (celle où Watson, l’acolyte de Sherlock Holmes, fut blessé). Londres voulait imposer son influence, depuis sa possession indienne, et surtout fixer sa frontière, par rapport à la Russie voisine. L’Afghanistan moderne est un Etat-tampon entre Russes et Anglais, et sa frontière avec le Pakistan actuel est la ligne Durand, établie par les soldats britanniques en 1893, qui divise artificiellement les tribus pachtounes.

Lors de la décolonisation de l’Inde et du Pakistan en 1947, la ligne Durand est maintenue comme frontière intangible, sous la pression des Etats-Unis, qui redoutent l’influence soviétique sur le petit Afghanistan. De fait, Moscou s’intéresse au pays, et y envoie nombre d’ingénieurs et conseillers divers. Les Soviétiques favorisent également la création d’un Parti communiste local. Celui-ci promeut la modernisation de la société afghane, ce qui heurte de plein fouet l’islam ancré et ancien des habitants. Les communistes afghans participent au renversement de la monarchie en 1973, puis s’emparent du pouvoir en 1978. C’est une guerre civile interne au Parti qui pousse le Kremlin à intervenir, en 1979, en prenant Kaboul et en massacrant les communistes dissidents, tentés de se détourner de l’orbite russe.

Ce qui n’était, là encore, qu’une opération de police se meut en guérilla de longue durée, et en affrontement Est-Ouest. Adossés au Pakistan, les pachtounes se dressent contre l’occupant soviétique et le régime de Kaboul, avec Gulbuddin Hekmatyar, chef islamiste radical. Ils sont soutenus par la CIA, ainsi que les pétromonarchies du Golfe. L’Afghanistan ouvre le bal des destinations au djihad, avec nombre de combattants étrangers qui partent affronter le communisme athée.

En 1989, les Soviétiques se retirent d’Afghanistan. Ils ont essuyé des pertes, mais ont empêché la rébellion de triompher, et laissent assez d’armes au régime de Kaboul pour se maintenir. Mohammed Najibullah, ancien chef de la police secrète communiste afghane, parvient ainsi à rester président jusqu’en 1992. À cette date, le régime de Kaboul ne peut plus compter sur l’appui soviétique, et cède sous les coups d’une rébellion mêlant pachtounes islamistes et tadjiks musulmans modérés avec le commandant Massoud. Leur alliance éclate peu après, et la guerre civile s’empare du pays. Les talibans, puissamment armés et financés par les pétromonarchies et le Pakistan, conquièrent l’Afghanistan en 1996, sauf la zone tadjik du nord, où se réfugie Massoud.

Expulsé du Soudan, où il était hébergé, Ben Laden se réfugie en Afghanistan. La présence d’Al-Qaïda est fatale pour le régime taliban, qui disparaît dans l’offensive américaine en 2001, mais le mollah Omar, installé à Karachi, au Pakistan, allié avec Gulbuddin Hekmatyar, lance une guérilla d’usure contre l’occupant occidental, qui dure jusqu’à aujourd’hui. Leur objectif était de reconquérir le pouvoir à Kaboul en attendant le départ des Occidentaux. Ces derniers laissent cependant derrière eux un Etat afghan réorganisé, ainsi que 12 500 soldats, essentiellement américains, pour soutenir l’armée loyaliste. Le président Hamid Karzaï, installé par l’occupant en 2001, sera-t-il le Najibullah des Occidentaux ? Le régime de Kaboul peut bien se maintenir, plus longtemps que le défunt gouvernement communiste, entraîné dans la chute de l’URSS.

Toutefois, Karzaï n’ignore pas le sort réservé à Najibullah, lorsque les talibans prirent Kaboul, en 1996 : torturé, traîné derrière un pickup et pendu. Avant de laisser la main, chef de l’Etat afghan a pris soin ces dernières années de se détourner progressivement des Etats-Unis, en se posant en patriote afghan scandalisé par le « colonialisme » de l’armée américaine. Plutôt que de rester agrippé au soutien occidental, Karzaï se voit plus en partageant le pouvoir avec les talibans, pachtounes comme lui.

Treize ans de guerre en Afghanistan ont réussi à annihiler Al-Qaïda, mais ni à vaincre l’hydre islamiste, ni à vitrifier les talibans, qui reprennent le pouvoir dans un combat classique de libération nationale. Après les expéditions désastreuses d’Irak et de Libye, le temps des aventures exotiques pour exporter la démocratie semble bel et bien révolu.

*Photo : Rahmat Gul/AP/SIPA. AP21672713_000002.

Stationnement : le cadeau d’Anne Hidalgo aux parisiens

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Rentrée de réveillon la veille, je m’interroge tandis que je cherche ma voiture du regard. La hausse des prix de stationnement sera-­t-­elle appliquée dès le premier jour de la nouvelle année ou peut on espérer un temps de procédure, de mise en application, de discussion ­ un de ces termes que l’on entend si souvent quand on attend un retour rapide de l’administration- un petit temps qui offrirait un sursis à ces nouveaux frais annoncés?

La réponse de l’automate ne s’est pas fait attendre : dorénavant, je devrai payer 9 euros pour me garer dans mon quartier, le XIIIème, en semaine et le samedi. Car, et c’est le deuxième cadeau d’Anne Hidalgo aux parisiens moyens, le samedi devient payant. À entendre la maire de Paris, le congé de fin de semaine, tout comme celui d’été, acquis socialiste qui plus est, que l’on accordait à la famille, à la culture et aux loisirs, est démodé : « L’évolution des usages en matière de congés» justifie que l’on rende le mois d’août payant. Celui-ci n’étant plus marqué « significativement » par une « baisse d’activité pour tous ». Gageons que ce nouveau slogan capitaliste « pas de baisse d’activité pour tous » ne résonne pas aussi bien aux oreilles de l’électorat parisien que le « pour tous » de Mme Taubira. De plus, j’ignore ce que fait Anne Hidalgo de ses vacances d’été mais elle n’est certainement pas à Paris. Autrement, elle saurait qu’on y trouve vitrine close à chaque coin de rue, que chercher son pain devient une mission stratégique qui nécessite parfois une organisation à plusieurs, que prendre un café en terrasse devient un projet illusoire, sauf en zone touristique, et enfin, que le service administratif est arrêté, définitivement arrêté, tout le temps de l’été.

Mon ticket de résidence débité, je tente de comprendre les motifs de l’acharnement hidalguesque sur les voitures des plus pauvres, qui ne peuvent, eux, s’offrir le luxe d’un parking sous-terrain.

« Inciter les riverains à utiliser d’avantage les 82% des places situées hors voies publiques » a martelé Anne Hidalgo avant les dernières municipales. Mais, notre maire croit-elle vraiment que si j’avais le choix, je m’amuserais à garer ma vieille Fiat Uno dehors, alors qu’elle ne démarre plus au premier coup de froid ? Anne Hidalgo croit-elle que j’aime chercher une place pendant 30 minutes minimum à chaque déplacement, au point de ne vouloir garer confortablement mon véhicule en sous-­sol ? Il y a bien un parking sous mon immeuble moderne, mais à 70 euros par mois contre 13 euros en plein air, le calcul était vite fait. Aujourd’hui, à 36 euros le mois, je continuerai de me garer sur les voies publiques car je n’ai pas encore trouvé d’alternative plus économique. Et les tarifs de parkings ne sont pas prêts de diminuer, au contraire, puisqu’ils bénéficient d’une demande croissante.

Certes, il faut lutter contre la pollution, diminuer les déplacements motorisés, développer les transports en commun. Et quoi, qu’est-­ce que j’apprends ? Le prix des tickets RATP a encore augmenté (le carnet de ticket a augmenté d’un euro et le passe Navigo de 2,90 euros en zone 1 et 2) ? Et Guillaume Pépy, le directeur de la SNCF, vient d’annoncer une hausse de 2,6 % sur les TER, intercités et TGV ? Ou est la cohérence ?

De plus, la méthode la plus efficace pour soulager la congestion automobile à Paris, et donc la pollution, serait de proposer plus de places de stationnement, pas de les limiter. Une étude de l’INRIX de 2012 établit ainsi que 20% du flux de circulation parisien est constitué d’automobilistes en recherche de stationnement.

« Tous à nos vélos ! » devrions nous conclure. Dans mon cas, c’est déjà fait. Je suis une accro de la pédale, et ne circulais, il y a peu, qu’en deux roues. Mais j’ai dû arrêter. Je suis enceinte et bientôt, même le plus beau des vélos ne me permettra plus de transporter bébé, poussette, biberons, sac à langer, etc.

Et puis, tous ne l’entendent pas de cette oreille-là.  Aux deux roues sportives, certains préfèrent les deux roues motrices. Scooter et motos sont ainsi passés de 4% à 9 % du parc d’engins motorisés depuis 2001. Ce qui fait la part belle aux particules fines tant décriées chez les automobilistes.

Les seuls qui sont véritablement avantagés dans cette affaire, ce sont les propriétaires de voiture électrique : placement gratuit en voie publique. Pas besoin de carte de résident, pas de tickets de stationnement. Bref, soit vous êtes riche, soit vous pouvez espérer qu’en vingt ou vingt-cinq ans, vous aurez amorti le surcoût des voiturettes à piles…

Paysans : une terre, deux mondes

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paysans bretagne fnsea

Pierre-Yves Lozahic, agriculteur au Merzer, 960 habitants, dans les Côtes-d’Armor, avait ensemencé 6 hectares de terre en haricots verts extra-fins. En septembre, les pouvoirs publics lui ont demandé d’« éliminer » cette production maraîchère. Raison de l’oukase : l’embargo russe, réplique aux sanctions européennes dans la crise ukrainienne. Des stocks de beurre qui devaient être exportés en Russie encombraient les « frigos » français, ne permettant pas aux haricots de l’exploitant breton d’y trouver place. Mais tout n’est apparemment pas perdu : « On m’a dit que je serais rémunéré en novembre pour le manque à gagner », veut croire le lésé. Au 20 du mois, il attendait encore.

L’homme, marié, quatre enfants, se pose des questions sur son avenir. Il exerce le métier d’agriculteur depuis plus de vingt ans. L’an prochain, il en aura 50. En mars, il a gambergé une nuit entière, seul, devant son ordinateur, cherchant des solutions. Il voulait « tout vendre », y compris la maison. Sa femme, propriétaire de la maison, a dit : « On la garde. » Pour lui, c’était tout ou rien. « Je ne voulais pas de la fenêtre en voir d’autres travailler mes terres », confie-t-il, ému. Finalement, ils n’ont rien vendu.

L’agriculteur a une tête en granit mais un cœur en compote, à moins que ce ne soit l’inverse. Face au sort qui s’abat, il tient le coup.[access capability= »lire_inedits »] Dans la journée, il reste seul sur l’exploitation, située sur la route de Pommerit-le-Vicomte, à une dizaine de kilomètres de Lanvollon, chef-lieu de canton. Son petit chien Diabolo ne le quitte pas d’une semelle. « C’est mon compagnon, je lui dis tout. » Les « gens » ne peuvent sans doute pas comprendre : un si beau domaine et tant d’ennuis. Un corps de ferme en pierres apparentes, un tracteur de la dernière génération comme en rêvent les gamins pour Noël, une moissonneuse batteuse, 70 hectares de cultures en blé, maïs et colza, deux poulaillers, une chaudière à bois : Pierre-Yves Lozahic a vu grand, peut-être trop grand – dans le secteur, quand ça ne va pas, c’est souvent la faute à « trop grand ».

Les poulaillers, un neuf, grand, et un vieux, plus petit, n’ont pas le rendement désiré. L’agriculteur vendait ses poules et dindons à Doux, le volailler du Finistère sauvé de la faillite fin 2013. Mais il a perdu ce débouché qui lui permettait de voir venir. Doux, qui le tient pour un agitateur, n’a plus voulu de lui. Pierre-Yves Lozahic est syndicaliste, président de la section avicole de la Fédération départementale des exploitants agricoles (FDSEA) des Côtes-d’Armor. Jamais le dernier à monter au front du « dialogue social ». Au plus fort de la bataille, il maintenait la « pression » devant le siège de la société, à Châteaulin. Il revendiquait la poursuite de la production et le paiement des créances aux producteurs, qui comptaient jusqu’à trois lots non payés de volailles livrées. Aujourd’hui, il prend en location des lots de dindons reproducteurs, qu’il reçoit à dix semaines et rend à vingt-huit, à Saint-Jacques Aliments, une filiale du groupe agroalimentaire Le Gouessant. Mais il est très loin des 45 000 poulets produits en 2011, à raison, alors, de sept à huit lots par an. En ce mois de novembre, les jeunes dindons glougloutent dans le petit hangar. Le grand est pour l’heure vide, des plumes au sol témoignent du passage récent des gallinacés.

La chaudière à bois était censée chauffer les poulaillers. Pour amortir plus rapidement l’investissement, l’agriculteur avait pensé fournir du chauffage à cinq maisons alentour qui, avec sa ferme, forment un hameau au sein de la commune du Merzer. Ça ne s’est pas fait. De plus, l’installation est à l’arrêt en raison d’un problème technique. Les remboursements, eux, continuent. Dans la région, deux banques prêtent aux agriculteurs : le Crédit agricole et le Crédit mutuel de Bretagne, le CMB. Pierre-Yves Lozahic a investi 80 000 euros dans la chaudière, 35 autres mille dans la rénovation du vieux poulailler et 35 000 euros dans le développement général de son exploitation. Les traites sur la chaudière atteignent 1 000 euros par mois.

Un litige avec un ancien employé, qui a perdu l’usage de son bras après un accident à la machine servant à hisser les volailles dans les camions, lui a coûté 25 000 euros. « Dans ces cas-là, dit-il, un patron a toujours tort. » Par chance, sa femme, institutrice dans une école privée, a un salaire fixe. « Je n’ai pas voulu la porter caution de la ferme. » Le mari a son honneur, et le bon sens veut qu’on ne mette pas tous ses œufs dans le même panier. Une journée par semaine, il vend des logiciels agricoles à des confrères, un système de guidage GPS aidant aux travaux des champs. Lui-même en possède un, installé sur son tracteur. Les renseignements ainsi fournis permettent de gérer l’ajout d’engrais de manière automatique et « dans le respect de l’environnement ».

Pierre-Yves Lozahic est issu de l’agriculture moderne, l’intensive, celles des Trente Glorieuses, qui paraît aujourd’hui bien vieille à beaucoup, tout acquis qu’ils sont au bien-produisant. Dans la famille paysanne française, il est le « méchant », et il ne supporte pas qu’on le juge ainsi. « Il n’y a pas de méchants », tranche-t-il. Comme tant d’autres, il a adhéré dans sa jeunesse au « parti unique », la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, et n’en a pas démissionné depuis. Il n’aime pas qu’on le prenne pour un « pollueur » ; d’ailleurs, les algues vertes qui font tellement tache sur les côtes bretonnes sont, dit-il, en diminution. « Ça fait quinze ans que le virage pour une agriculture plus saine a été pris », affirme-t-il, quand la réalité s’obstine encore çà et là à démontrer le contraire.

L’agriculteur a pris conscience de certaines choses. Sûrement un peu contraint et forcé. La chaudière, par exemple, c’était pour économiser l’énergie. Sur ses parcelles offrant les moins bons rendements, il a planté du miscanthus, une sorte de roseau qui, broyé, sert de litière aux poulaillers. L’écologie et le porte-monnaie en sortent a priori gagnants. Il est devenu un adepte des « techniques culturales simplifiées », les TCS. « Je ne laboure plus du tout mes champs [les socs de la charrue ont fait place à une sorte de herse, NDLR], les micro-organismes de la terre en sont moins bouleversés, explique-t-il, convaincu. Bien sûr, on utilise des engrais – les nitrates – et des fongicides, mais pas plus qu’il ne faut. » Pierre-Yves Lozahic a l’impression de faire son maximum pour la sauvegarde de la nature. Il comprend d’autant moins les contrôles tatillons qui lui bouffent la vie. Un jour, il se fait reprendre parce qu’il a planté « 3 mètres carrés » de céréales trop près d’un cours d’eau qu’il faut tenir à distance des écoulements chimiques, un autre, c’est une date imposée pour l’épandage du fumier récupéré dans les poulaillers, quand le cycle naturel, et notamment les pluies, demanderait qu’on épande au moment le plus judicieux. Toute cette paperasse infantilisante qui s’empile, c’est à devenir fou. Cela fait un an que Pierre-Yves Lozahic n’a pas pris de vacances, ni même un jour de vrai repos, dit-il. Il a une caravane au bord de la mer, à Plouha, où vont sa femme et ses enfants, l’été.

Le 5 novembre, il a participé à la journée d’action « Y’a le feu dans nos campagnes », pour protester contre les contrôles administratifs « abusifs ». Avec d’autres agriculteurs du département, il a allumé un feu à Saint-Brieuc, le chef-lieu des Côtes-d’Armor. Dans un coin de sa maison dort un bonnet rouge, tel l’anneau de Tolkien. Il était de sortie contre l’écotaxe. « Nous aussi, les agriculteurs, on était partis pour contribuer, avec tous les transports que nécessitent nos activités. On n’a pas voulu », rappelle le bientôt quinquagénaire.

Il y a trente ans, Pierre-Yves Lozahic avait des envies de voyages. Il n’était pas destiné à l’agriculture : ses parents, des paysans atteints dans leur santé, l’avaient dissuadé de prendre leur suite. Il devait fréquenter une école technique à Lamballe, sur la route de Saint-Brieuc à Rennes. Mais comme les parents avaient eu une mauvaise expérience avec l’aînée, partie étudier à Saint-Brieuc, à une trentaine de kilomètres du Merzer, tout un chemin à l’époque, il avait été décidé en fin de compte que le jeune Pierre-Yves s’inscrirait dans une école d’agriculture proche de la maison. Il fit tout de même un stage de quelques mois dans une ferme au Danemark. Puis un autre aux États-Unis, dans l’État du Minnesota. De retour dans les Côtes-d’Armor, on l’appelait « l’Américain ». À 20 ans, il avait des projets de grands départs ; la destination qui le faisait rêver, c’était le Niger. Et puis, la famille a mis le holà. Il a repris la ferme de l’oncle. C’est-à-dire qu’il l’a rachetée. Son souhait est désormais de laisser une exploitation viable à l’horizon d’une douzaine d’années à ses enfants, qu’ils se destinent ou non à l’agriculture.

À quelques kilomètres de là, à Lanvollon, Rémi Le Mézec, Rémy Le Guen et Joël Le Calvez dirigent ensemble une exploitation de 62 hectares qui possède une soixantaine de vaches laitières. Leur devise – bien faire avant d’en faire plus – renvoie au mouvement dit « de l’agriculture paysanne ». Pas tout à fait le kibboutz, tout de même : ces trois associés travaillent ensemble mais ont chacun leur maison et leur famille. Chacun d’eux est d’astreinte un dimanche sur trois, ce qui en laisse deux de libres à la suite. C’est appréciable. Rémi Le Mézec, 53 ans, appartient à la Confédération paysanne, dont il fut le porte-parole dans les Côtes-d’Armor, un syndicat écolo et plutôt à gauche créé en 1987 en opposition à la productiviste FNSEA, classée, elle, à droite. C’est d’ailleurs cette année-là que Rémi Le Mézec s’est installé à son compte, à Tressignaux, un hameau proche de Lanvollon et de ses 1 500 habitants, à l’endroit où ses parents, agriculteurs également, officiaient avant lui. Rémy Le Guen l’a rejoint en 1992 et Joël Le Calvez en 1999.

Comment font-ils pour vivre à trois sur une surface somme toute assez moyenne ? Quel est le secret de ce feng shui agricole ? La maîtrise, justement. « On fait notre revenu plus avec ce qu’on ne dépense pas qu’avec ce qu’on gagne », explique Rémi Le Mézec. La méthode semble efficace, puisque, à exploitation comparable, le revenu annuel de chacun des trois associés s’élève à 30 000 euros, contre 15 000 seulement pour un agriculteur « classique ». Les épouses des trois hommes exercent toutes des métiers sans lien avec l’exploitation. Quant aux maris, leurs domaines de compétences se complètent : Rémi apporte ses lumières d’ancien comptable, Rémy, avec « y », est un as du bricolage, ce qui est bien pratique pour les réparations, et Joël est un parfait éleveur.

« Au fil du temps, on se rend compte que notre système, ça marche », constate Rémi Le Mézec. Le « ménage à trois » qu’il forme avec ses deux associés étonne un peu dans le paysage briochin, plus habitué au standard « one man, one land », un modèle cependant en pleine débâcle, tant il est difficile de tenir seul une ferme, matériellement et mentalement. « Je ne jette pas la pierre au système, dit-il prudemment pour ne pas blesser des confrères, mais c’est une grande déception que de voir diminuer le nombre d’agriculteurs. » Des paysans se suicident ou tentent de le faire. L’irréparable n’est pas réservé aux désespérés du modèle intensif. Un agriculteur bio, ami de Rémi Le Mézec, s’est donné la mort.

Boléro va bientôt mettre bas. La vache est laissée seule dans un compartiment de l’étable, dite à stabulation libre. Ici, une vache est inséminée tous les quatorze mois, ce qui lui laisse trois mois de répit entre deux portées. À la naissance, le veau est aussitôt séparé de la mère – « ce n’est pas ce dont nous sommes le plus fiers, confie l’agriculteur, mais il vaut mieux le faire immédiatement que deux jours après ». Seuls les veaux femelles restent à la ferme, les mâles finissent chez le boucher. L’an dernier, la production laitière de la ferme de Tressignaux a atteint le record de 480 000 litres, à raison de deux traites par jour, dans la salle automatisée prévue à cet effet. La fin des quotas laitiers approche. Ils avaient été introduits dans les années 1980 quand le trop-produit finissait dans la cuve à purin. Ils seront remplacés par des contrats privés liant les producteurs à des acheteurs.

Les deux Rémi(y) et Joël ne sont pas vraiment des Khmers verts du milieu rural. « On nous considère comme des intensifs dans les organismes d’agriculture alternative et, aux yeux des autres, on passe pour des écolos, parce qu’on fait beaucoup d’herbe et parce qu’on entretient les haies des bocages », résume Rémi Le Mézec. L’herbe ? Non pas la prohibée, mais la verte et tendre, celle dont les vaches et les génisses se nourrissent, sauf pendant les mois d’hiver, passés dans l’étable comme il se doit. Le fourrage étant l’un des postes budgétaires les plus coûteux, des économies appréciables sont réalisées là. Sur 69 hectares de terres, 38 sont plantés en herbe – à raison d’un ensemencement tous les six ans –, 15 en maïs et 9 en blé et orge. Le maïs, difficile de faire sans. « Cela pallie notre manque de surface, justifie Rémi Le Mézec, quand la pousse de l’herbe ne suffit plus. » Les vaches ne le mangent pas frais, mais après qu’il a fermenté sous des bâches, et parfois mélangé à un complément comme le colza, « non transgénique », précise-t-on.

On a peu parlé des subventions européennes de la PAC, la politique agricole commune, qui rentrent environ pour un tiers dans les revenus des agriculteurs. On n’en a pas parlé du tout, même. Les agriculteurs en font rarement état, craignant qu’on les traite d’assistés. Ce soir-là, une représentation théâtrale est donnée à l’auditorium du Moulin de Blanchardeau, à Lanvollon. Il y a un os dans le pâté, c’est le nom de la pièce jouée en divers endroits de France en zone rurale et qui met en scène deux femmes, une mère d’agriculteur et sa belle-fille, une éducatrice qui « n’épaule pas son mari à la ferme ». Tous les clichés et toutes les vérités liés au monde agricole sont ici abordés : les conflits des générations, les subventions, le suicide, la pollution des sols, le cocufiage de l’épouse, à Pigalle, lors du Salon de l’agriculture. Rémi Le Mézec, qui a vu la pièce, a trouvé qu’elle « visait juste ». Pierre-Yves Lozahic l’a vue aussi, un autre soir. Cela permet de mettre des mots sur leur condition de paysans.[/access]

*Photo : wikicommons.

Charlie Hebdo : quelques tweets

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twitter charlie hebdo

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charlie hebdo vadot

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charlie hebdo attaque

Et pendant ce temps sur Twitter, ceux qui aiment vraiment Dieu se répandent :

twitter charlie hebdo

Attentat contre Charlie Hebdo : hommage à Cabu

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« Cabu a été exécuté à genoux devant les autres »

J’ai lu cette phrase sur les réseaux sociaux. Je ne sais pas si elle correspond à la réalité. Pourtant, Cabu est bien mort.

Cette image tourne en boucle dans ma tête sans arrêt . « Cabu a été exécuté à genoux devant les autres ».

Je suis submergé d’émotion et de de tristesse. « Cabu a été exécuté à genoux devant les autres » .

Je ne connaissais absolument pas Cabu, mais « il a été exécuté à genoux devant les autres ».

Les victimes ne sont jamais des héros, mais « Cabu a été exécuté à genoux devant les autres »

Honneur à lui.

Attaque terroriste contre Charlie Hebdo

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charlie hebdo cabu charb

Ce matin, « vers 11 h 30, deux hommes armés d’une kalachnikov et d’un lance-roquettes ont fait irruption au siège de Charlie Hebdo dans le 11e arrondissement de Paris. Un échange de coups de feu a eu lieu avec les forces de l’ordre », provoquant une douzaine de morts selon un bilan provisoire, rapporte l’AFP.

« La France est devant un choc. Car c’est un attentat terroriste, ça ne fait pas de doute. Nous devons montrer que nous sommes un pays uni » a déclaré François Hollande. Dans la foulée, le plan Vigipirate a été relevé au plus haut niveau en Île-de-France.

Comme le président de la République a omis de le dire, et comme les chaînes info oublient de le préciser, si Charlie Hebdo était sous protection policière, c’est à la suite de nombreuses menaces émanant des milieux extrémistes islamistes.

La vidéo de l’agression :

D’après lefigaro.fr, les dessinateurs Cabu, Charb, Tignous, et Wolinski sont morts. L’économiste Bernard Maris est également au nombre des victimes.

Interrogée par L’Humanité, la dessinatrice Coco témoigne : les assaillants « parlaient parfaitement le français… se revendiquaient d’Al-Qaïda ».

Sur Europe 1, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) Dalil Boubakeur déclare : « C’est une déclaration de guerre fracassante. Les temps ont changé, nous entrons dans une nouvelle période de cette confrontation (…) Nous sommes horrifiés par la brutalité et la sauvagerie dans les locaux de Charlie Hebdo (…) Nous condamnons absolument ces faits de ce genre et nous attendons des autorités les mesures les plus justes. La communauté est abasourdie par ce qui vient de se passer. C’est un pan entier de notre démocratie qui est gravement atteint. »

Nicolas Sarkozy, président de l’UMP, dénonce « une atteinte directe, sauvage à la liberté d’expression ».

Turquie : le ministre des Affaires étrangères condamne l’attentat mais dénonce la montée de « l’islamophobie et de la xénophobie en Europe ».

Communiqué du Kremlin : Vladimir « Poutine exprime ses profondes condoléances aux parents et aux proches des personnes tuées dans l’attentat terroriste à Paris, aux Parisiens et à tous les Français (…) le terrorisme n’a pas de justifications. »

charlie hebdo appel temoins

*Photo : Francois Mori/AP/SIPA. AP21674742_000036.

Houellebecq, l’islam et France 2

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Hier soir, au journal télévisé de la Deux, Michel Houellebecq nous en a mis plein les mirettes. Non que le stigmatisé du moment se soit montré sapé comme un milord, ou mielleux d’éloquence ; mais avec son œil torve, sa lèvre flapie d’où semblait s’échapper la cendre d’une cigarette imaginaire et son électroencéphalogramme digne d’un plateau belge, l’auteur de Soumission a donné une leçon de rhétorique à tous les professionnels de la profession.

À côté de son relief, ses trois détracteurs interrogés par les reporters de France 2 ont fait pâle figure. J’ai failli rire jaune en entendant l’essayiste Malek Chebel pointer la « responsabilité » d’un écrivain auquel il reproche de montrer l’islam sous un jour défavorable (c’est bien connu, Houellebecq a inventé l’Etat islamique, les persécutions contre les minorités et toutes les autres joyeusetés qu’on déplore dans les pays au croissant rien que pour nous embêter…). Si l’on ne considère pas la conception française des droits de l’homme (et de la femme) comme un sanctuaire inviolable, force est de reconnaître le parti musulman que dépeint l’écrivain n’a rien d’extrémiste ni de violent. De là à penser qu’un islam politique, même modéré, ne fait pas toujours bon ménage avec le Bien, le Beau et le Bon, il y a un pas que nos meilleures associations nous interdisent de franchir.

Tout sourire, avec ses lunettes à la Groucho Marx, le président de la LICRA Alain Jakubowicz expliquait d’ailleurs – sans vraiment y croire ? – que Soumission était « le plus beau cadeau de Noël » dont Marine Le Pen pouvait rêver. En plateau, Houellebecq lui répliquera qu’aucun roman n’a changé le cours de l’Histoire, à la différence d’essais comme le Manifeste du parti communiste,  et que le Front national n’a vraiment pas besoin de lui pour surfer sur le vent mauvais du mal-vivre-ensemble.

Que dire enfin de Michela Marzano, écrivain et féministe transalpine, qui incrimine le romancier immoraliste, coupable de décrire sans moraline le détricotage des droits de la femme par la Fraternité musulmane au pouvoir. Comme nombre de ses contemporains écrivains, Houellebecq aurait sans doute dû s’en offusquer en jalonnant son livre d’avertissements du style (« je défends les femmes contre l’islam », ou « je suis l’auteur de ce roman et je désapprouve ce que dit mon personnage »). Houellebecq manquerait-il d’humanisme ? Peut-être pèche-t-il par défaut d’islamophobie…

Mariage gay à l’italienne

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sentinelle italie mariage gay

sentinelle italie mariage gay

En France, émettre une opinion peu enthousiaste sur le mariage gay ou ses dérivés, vous expose à l’accusation d’homophobie, et donc à être excommunié en chaire, c’est-à-dire à la télé. Vous serez expulsé de la communauté des gens fréquentables – voire de votre logement.

Chez nous, en Italie, la sanction peut se révéler pire encore. Sachez d’abord qu’ici, les couples homos n’ont toujours pas le droit de convoler ni d’adopter – on en est encore à discuter d’une sorte de « pacte civil ». Sans doute frustrés par cette perspective pas assez matrimoniale à leurs yeux, et jaloux de leurs voisins français ou anglais, les activistes gays italiens entendent se rattraper sur le terrain judiciaire. Aussi mènent-ils actuellement bataille pour le projet de loi déposé par le député de gauche Scalfarotto contre l’« homophobie » et la « transphobie », actuellement en discussion au Sénat, après avoir été approuvé par la Chambre des députés.

En théorie, on ne peut qu’applaudir. Interdire que l’on persécute un citoyen pour cause de préférences sexuelles minoritaires, mais légales, est une excellente chose. Seulement, comme dirait la grand-mère de Martine Aubry, y’a un loup. En effet, malgré les demandes répétées de l’opposition, le texte se refuse à définir les délits d’« homophobie » et de « transphobie ». En clair, les tribunaux apprécieront. En plus clair encore, sous couvert de punir la violence, la discrimination ou les appels à la haine, on ouvre la porte au délit d’opinion. Si la loi Scalfarotto n’est pas réécrite de fond en comble, comme on dit chez vous, le premier juge venu pourra décider que s’être opposé au mariage gay ou à la GPA constitue un délit avec, à la clé, des peines pouvant aller jusqu’à un an et demi de prison.[access capability= »lire_inedits »]

Exagération propre aux esprits étroits, contaminés par la gangrène réac ? Si vous avez l’immense bonheur d’être italophone (et même si vous ne l’êtes pas, faites un effort, ça vaut le coup), allez donc chercher sur le Net les « linee guida per un’informazione rispettosa delle persone LGBT » (« lignes directrices pour une information respectueuse des personnes LGBT »),  vous comprendrez ce que certains progressistes entendent par « lutte contre les discriminations » – je propose comme traduction « cassage de gueule de ceux qui ne pensent pas droit ». Et, pour que le doute ne soit pas permis, ce qu’il convient de penser y est explicitement exposé.

Ce kit de bienséance, notamment adressé aux journalistes, a été publié sur le site du ministère pour l’Égalité des chances. On y stipule, par exemple, que l’expression « utero in affitto » (« prêt d’utérus ») est à proscrire, parce qu’elle renvoie à une idée négative et commerciale de cette pratique, alors qu’il s’agit d’« une aspiration du couple gay ou lesbien à avoir ses propres enfants ». Seuls des monstres pourraient vouloir contrarier une aspiration si légitime. Gare au confrère qui oserait parler de « mariage gay », parce que la formule correcte est « mariage entre deux personnes de même sexe » – dans les romans, qui seront vite sommés de s’adapter, la formule sera du meilleur effet. Il est aussi formellement déconseillé d’écrire que l’enfant « a besoin d’une figure masculine et d’une figure féminine comme condition fondamentale pour garantir son équilibre psychologique » (et il devrait être interdit de le penser). Enfin, un chapitre entier recense les règles à observer pour ne pas véhiculer des « discours de la haine », un autre est consacré aux « tics homophobes » que tout journaliste sérieux doit éviter.

La pièce était jouée d’avance. Mais, comme en France, de petits grains de sable perturbent le scénario. Dans la bataille contre la loi Scalfarotto, ces grains de sable sont les Sentinelle in Piedi (« sentinelles debout »). Nées l’an dernier dans le sillage des Veilleurs français, elles se battent avec les mêmes méthodes : la station debout, l’immobilité et la lecture en silence. Au risque d’enrager ceux qui, à gauche, fantasment un ennemi fasciste, les lecteurs des Sentinelle pèchent plutôt par excès de gandhisme.

Mais il y a plus grave que ce refus suspect de la violence, c’est que l’arme secrète des Sentinelle, c’est la raison. Oui, vous avez bien lu, la Raison. Qui peut les inviter à la désobéissance civile, voire à la rébellion maîtrisée, mais qui passe d’abord par l’expression mesurée d’un désaccord face à la démesure des injures et invectives dont elles sont la cible. « Si, aujourd’hui, il suffit de lire en silence pour être accusé d’homophobie, que se passera-t-il demain si le projet Scalfarotto devient une loi », se demandent les Sentinelle sur leur site.

Le 5 octobre dernier, pendant que La Manif pour Tous défilait à Paris et à Bordeaux, des dizaines de milliers de Sentinelle se sont rassemblées dans plus de cent villes d’Italie pour la défense de la liberté d’expression. En silence, pendant une heure, chacun brandissant un bouquin, séparés de deux mètres les uns des autres.

Ce happening pacifique – plutôt classe dans sa symbolique, non ?– n’a pas touché la gauche radicale et des groupes LGBT, qui ont organisé partout des contre-rassemblements pour crier face aux caméras leur haine envers les « homophobes-fachos-bigots-rétrogrades » (petite sélection d’insultes entendues sur place). Comme l’heure n’est plus aux minauderies – l’hydre homophobe rôde –, les camarades ont parfois poussé leur combat pour la tolérance jusqu’à l’agression physique. À Rovereto, dans le nord du pays, un prêtre, Matteo Graziola, et une jeune femme ont fini à l’hôpital.

Quand ils ne défendaient pas leurs opinions à la barre de fer, les gardiens de la démocratie se sont, un peu partout, exprimés en lançant des bouteilles, des œufs et des préservatifs pleins d’eau (et pas seulement), si possible en direction des mères poussant leurs bébés dans leurs landaus –, il suffit de faire une petite recherche sur YouTube pour voir de ses propres yeux.

Bien sûr, la presse « progressiste » n’a pas fait dans le détail : les cogneurs étaient les gentils libertaires et les Sentinelle, restées impassibles face aux violences, les vilains fachos. Comme quoi l’Italie n’est pas un pays si exotique que ça. Sauf qu’à la différence de ce qui s’est passé en France, des voix discordantes se sont fait entendre à gauche, notamment celle de Mario Adinolfi, l’un des fondateurs du Parti démocrate. En bisbille avec la direction de son parti sur les dossiers du mariage gay et de l’adoption, depuis un an, Adinolfi a franchi le Rubicon et s’est décidé, le 5 octobre dernier, à veiller aux côtés des Sentinelle, à Rome, devant le Panthéon : « Je dois avouer, raconte-t-il, qu’à la cinquante et unième minute, debout, immobile sur le pavé devant le Panthéon, des craquements aux genoux m’ont fait penser : tout cela est-il vraiment nécessaire ? Puis j’ai regardé les cinq ou six opposants accourus pour faire je ne sais quoi avec leurs petits triangles roses, et j’ai compris que c’était la formule parfaite. Nous, plus de cent, en silence, en train de lire. Eux, très peu nombreux, égarés et dépourvus d’arguments pour répondre. Parce que nous, on était là, debout, aussi pour eux. Pour leur liberté. »

Le 13 janvier prochain, Mario Adinolfi lancera son nouveau quotidien, La Croce. Son sous-titre : Contre les faux mythes du progrès.[/access]

*Photo : Luigi Mistrulli/SIPA. 00680891_000007.

Euro : Séguin avait tout dit

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seguin euro maastricht

Il y a cinq ans, Philippe Séguin disparaissait. Aujourd’hui encore, pour beaucoup de nos compatriotes, son nom reste attaché au combat qu’il a mené contre le Traité de Maastricht. Pour autant, faire de Séguin un antieuropéen est une caricature. Il pensait que l’Europe ne pouvait être seulement un marché, encore moins une technocratie, mais une construction politique permettant une Europe sociale qui protège ses entreprises et ses salariés. Il se situe clairement dans le sillage du général de Gaulle qui, dès 1952, avertissait : « On ne fera pas l’Europe si on ne la fait pas avec les peuples et en les y associant. Or, la voie que l’on suit est complètement différente. Les peuples n’y sont pas ».

Avant de mourir, il y a cinq ans, Philippe Séguin a pu observer la justesse de ce constat. En 2008, le monde a en effet été frappé par une crise inédite depuis 1929. L’Europe et en son sein la France peinent à s’en sortir. Or, dès son fameux discours du 5 mai 1992, Séguin nous avertissait : « Il est bien temps de saisir notre peuple de la question européenne. Car voilà trente-cinq ans que le traité de Rome a été signé et que d’Acte unique en règlements, de règlement en directives, de directives en jurisprudence, la construction européenne se fait sans les peuples».

Nostalgie estimaient ses adversaires. Pourtant, que constate-t-on aujourd’hui ? Si l’on fait l’Europe sans les peuples, les peuples déferont l’Europe. L’abstention massive aux élections européennes, la montée en puissance des partis extrêmes, leur possible succès en Grèce qui fait trembler la planète finance, sont autant d’illustrations de la vision de Philippe Séguin.

Au cœur de son combat pour une Europe des nations et des peuples, ce dernier a tout de suite estimé que la monnaie unique présentait un danger supplémentaire. Le traité de Maastricht allait mettre les nations, donc les peuples sous tutelle, ce qui lui était insupportable en sa qualité de républicain et de démocrate.

Sa critique sur le traité de Maastricht portait sur deux points essentiels : aggraver le déficit démocratique accumulé au fil des années, au lieu de tenter de commencer à le résorber, et prévoir un mode de gestion et des objectifs contradictoires pour la monnaie unique. On faisait en effet découler la politique économique du monétaire quand le raisonnement aurait dû être inverse. Il était ainsi prévu que la politique monétaire serait décidée non par des instances démocratiques, mais par un organisme unique et tout-puissant, dépourvu de tout contrôle, cumulant plus de pouvoirs encore que le système de réserve fédéral américain ou la Bundesbank. « Le seul objectif qui lui était assigné était la lutte contre l’inflation ! Pas un mot sur la croissance et l’emploi. » L’objectif principal assigné à la Banque centrale européenne a été de maintenir la stabilité des prix dans la zone euro, afin de préserver la valeur de l’euro.

Au moment même où le continent européen connaissait des bouleversements de grande ampleur, bousculant toutes les données de notre vie collective, le politique se privait d’un levier d’action en confiant la politique monétaire à un système indépendant. Cette séparation entre la politique monétaire et la politique économique était d’autant plus paradoxale que, bien avant la crise, la France et l’Europe connaissaient déjà un chômage de masse et que la mission première donnée à la politique monétaire était la maîtrise de l’inflation et non le développement de l’emploi. À l’inverse, la Réserve fédérale des Etats-Unis avait un double mandat : agir pour le plein emploi autant que pour la stabilité des prix.

Puis les crises sont passées par là : d’abord la récession de 1993, ensuite les crises de 2008, financière puis économique. Il a fallu gérer ces crises tout en étant enfermé dans le carcan des critères de Maastricht, dont on cherchera en vain une justification quant au choix et au niveau fixé pour la création d’une zone monétaire.

Aujourd’hui, la faiblesse des taux d’intérêt permet-elle une allocation optimale des ressources ? L’engouement actuel de la terre entière à nous prêter à bas prix est-il durable ? Ne sommes-nous pas déjà à la remorque des marchés financiers et des agences de notation ? Qu’en sera-t-il alors de notre indépendance et de notre capacité à influer sur le cours des choses? Voilà les questions qui taraudaient Philippe Séguin au moment du choix de Maastricht et qui s’avèrent encore plus prégnantes avec l’irruption de la crise financière et économique dans notre modèle capitaliste. Les initiatives de Nicolas Sarkozy, pendant la présidence française de l’Union européenne, ont certes permis un plan de sauvetage du système bancaire qui évita son effondrement. Mais la France ne put échapper à la récession en 2009.

Le péché originel de la création de la zone euro a reposé sur l’hypothèse qu’elle constituait une zone économique optimale. Une zone économique ne peut être optimale au point de permettre d’y établir une monnaie unique que si elle présente aussi une suffisante homogénéité structurelle, voire culturelle. Les programmes, dits de cohésion, s’éparpillent entre de trop nombreuses priorités pour réduire ces disparités. Quant à l’espace social européen, cher à Philippe Séguin et ancré dans ses convictions de gaulliste social, il y a belle lurette que l’expression a disparu même si elle refait une timide apparition en Allemagne.

Reste la potion magique de la convergence souvent mise à toutes les sauces sans réelle volonté politique de la voir appliquée. Pour qu’il y ait une véritable convergence, elle doit porter d’abord sur les politiques économiques, « c’est-à-dire dans une relance de la croissance de la part des pays qui ont des excédents. Si n’on obtient pas cela, on va se retrouver très vite dans une situation où on aura un engrenage absolument détestable : des politiques d’austérité et des déséquilibres des finances publiques » rappelait Philippe Séguin, tout en ajoutant «que l’on ne peut pas vivre avec une monnaie unique sans convergence fiscale dans un espace où il y a des paradis fiscaux ».

Enfin, sa fibre sociale s’exprimait quand il déclarait : « faire converger les modèles sociaux ne peut se faire que si chacun fait un bout de chemin vers l’autre. Il n’est pas possible que la France abandonne son modèle social pour rejoindre le modèle libéral, plus proche du modèle anglo-saxon ».

Acceptons le débat et reconnaissons que les questions posées par Philippe Séguin au moment de Maastricht connaissent un regain d’actualité et n’ont pas encore reçu de réponse. Reconnaissons le caractère prémonitoire de son discours de 1992 : « Quand, du fait de l’application des accords de Maastricht, notamment en ce qui concerne la monnaie unique, le coût de la dénonciation sera devenu exorbitant, le piège sera refermé et, demain, aucune majorité parlementaire, quelles que soient les circonstances, ne pourra raisonnablement revenir sur ce qui aura été fait. Craignons alors que, pour finir, les sentiments nationaux, à force d’être étouffés, ne s’exacerbent jusqu’à se muer en nationalismes et ne conduisent l’Europe, une fois encore, au bord de graves difficultés, car rien n’est plus dangereux qu’une nation trop longtemps frustrée de la souveraineté par laquelle s’exprime sa liberté, c’est-à-dire son droit imprescriptible à choisir son destin. On ne joue pas impunément avec les peuples et leur histoire. »

Ce n’est pas d’une initiative européenne que peut venir la réponse s’il n’y a d’abord une volonté des Etats-membres. A commencer par les plus grands et ceux qui ont le plus d’intérêts et d’engagements dans la construction européenne, c’est-à-dire la France et l’Allemagne. La France ne doit pas avoir peur de l’Allemagne. Il était absurde de vouloir la « ligoter ». Il est tout aussi absurde aujourd’hui de vouloir la copier en tout et, la prenant pour étalon, de souffrir d’un sentiment d’infériorité peu propice au dialogue franc et constructif qui semble en panne depuis trois ans.

La voie à suivre est celle qui nous était tracée par Philippe Séguin: « Une fois de plus, il nous faut considérer le monde tel qu’il est et non tel qu’on voudrait qu’il soit. Et dans ce monde-là, ce que la France peut apporter de plus précieux à l’Europe, c’est de trouver en elle-même assez d’énergie et de volonté pour devenir un contrepoids, pour équilibrer les forces en présence, pour peser lourd face à l’Allemagne, sinon pour faire jeu égal avec elle. Que la crise de notre État providence appelle de profondes réformes, je serai le dernier à le contester. Que cette modernisation, faute de courage politique, soit imposée par les institutions communautaires, voilà qui me semble à la fois inquiétant et riche de désillusions pour notre pays. Le meilleur service que nous pouvons rendre à l’Europe, c’est donc de nous engager résolument sur la voie du redres­sement national, c’est de restaurer la cohésion nationale et l’autorité de l’État. »

Douze ans après, l’euro a-t-il été l’instrument de notre liberté ? Ne nous a-t-il pas, au contraire, endormis dans la fausse sécurité de l’accès facile aux financements des marchés internationaux, ne mettant ainsi aucun frein à la croissance de l’endettement ? Cette dépendance entrave la liberté d’action tant de la France que de l’Europe dans un monde qui bouge. Est-ce au moins le prix de notre prospérité ? La France qui comptait 3,5 millions de demandeurs d’emploi, avec ceux en activité réduite, a passé le cap des 5 millions en 2014. La crise mondiale est passée par là : mais l’euro n’a pas suffi à nous protéger et pour la suite, n’est-ce pas la crise même de la zone euro ?

Et pour répondre à Philippe Séguin, qui s’inquiétait du coût exorbitant de la dénonciation, je pose la question : a-t-on mesuré le coût de l’inaction ?

*Photo : FACELLY/SIPA. 00224736_000003.

Souvenirs mélancoliques d’un vieux jeune engagé

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veilleurs zad djihad

En 1980, quand j’étais en première, à Rouen, mon seul copain était de l’Action française. Moi, j’étais déjà communiste. Nous passions notre temps en discussions infinies sur les mérites comparés du nationalisme intégral et du matérialisme dialectique. Soyons honnêtes, nous aimions aussi traîner chez les bouquinistes et regarder passer les filles. La raison de cette étrange amitié, qui dure encore aujourd’hui, même s’il est désormais beaucoup moins maurrassien et moi beaucoup moins léniniste, c’était que nous n’avions pas d’autres interlocuteurs de notre âge, dans cette classe de première. Je rappelle la date : 1980. La crise était déjà là, les derniers gauchistes de Mai 68 se reconvertissaient dans la pub et, de Furet aux nouveaux philosophes, on nous bassinait déjà, dix ans avant la chute du mur de Berlin, avec la fin de l’Histoire, la disparition des Grands Récits, le postmodernisme triomphant. On rappellera, par exemple, que La Condition postmoderne de Lyotard datait de l’année précédente.

Le résultat était que, mon copain et moi, nous évoluions dans un environnement de jeunes gens qui ne pensaient, littéralement, plus rien ; pour qui l’engagement semblait une vieille lune qui traînait, poussiéreuse, dans les Lagarde et Michard, du côté de Sartre et de Camus. Ils étaient déjà tétanisés par la peur du chômage et drogués par le consumérisme. C’était l’époque, aussi, où Le Nouvel Obs annonçait en une l’avènement de « la bof génération ». En fait, dans une époque qui se serait encore vécue comme historique, mon copain et moi, nous aurions plutôt échangé des horions en distribuant des tracts avec nos clans respectifs. Nous nous retrouvions ensemble non pas parce qu’on pensait la même chose, mais tout simplement parce qu’on pensait encore quelque chose.[access capability= »lire_inedits »]

Ensuite, j’ai cessé d’être élève pour devenir prof – mon ami aussi. Et les choses n’ont fait qu’empirer. Les jeunes qui s’engagent ne sont plus qu’une poignée. La société, qui leur offre la précarité comme horizon indépassable et les habitue à vivre moins bien, sur tous les plans ou presque, que la génération précédente, les requiert pour des urgences plus immédiates. On pourrait penser, précisément, que cela fournit encore plus de raisons de se révolter. Mais entre le désespoir et la révolte, il y a plus qu’un pas. Et puis, soyons honnêtes, il y a la fatigue des partis (même le mien), le fonctionnement bureaucratique des syndicats et des associations, qui ne sont plus le lieu de l’expression d’un idéal militant mais un moyen de « faire carrière » comme permanent ou comme élu. Résultat, l’engagement a cessé depuis longtemps d’être un phénomène de masse.

Du coup, alors que nous entrons dans la cinquantaine, mon vieux copain royco et moi gardons une certaine sympathie pour ceux qui bougent encore, parfois de manière brutale. Pour ma part, depuis la fin des années 1990, j’ai été heureux de voir des jeunes, y compris les très redoutés Black Blocs, manifester contre les G8 ou s’installer sur les ZAD. Et certains l’ont payé de leur vie comme Carlo Giuliani, tué à Gênes en 2001, et, il y a quelques semaines, Rémi Fraisse, mort sur le barrage de Sivens. Cela ne m’empêche pas de trouver une certaine grandeur dans l’engagement des jeunes de La Manif pour tous, devenus des « veilleurs » impressionnants de constance. Les uns et les autres incarnent l’idée qu’on ne peut pas accepter un monde jugé, pour des raisons différentes, encore qu’il faudrait y regarder de plus près, proprement inacceptable.

Et puis les djihadistes made in France sont apparus. Dans un premier temps, mon copain et moi, on a refusé de condamner en bloc et de hurler à la cinquième colonne islamiste dans nos banlieues. On se disait à mots couverts que si on avait été à leur place, dans un quartier de relégation, avec une école et des parents démissionnaires, on aurait peut-être pensé qu’aller se battre là-bas donnerait un sens à la vie et que, finalement, mieux valait une fin effroyable qu’un effroi sans fin.

Sauf que. Sauf que le zadiste ou le veilleur, l’antifa ou le jeune identitaire ont, eux, un corpus idéologique qui ne se limite pas à quelques vidéos gore sur Internet.

Sauf que les choses ont changé très vite. Sauf que le djihadiste français ne correspond pas forcément, comme nous le confirment les premières études, au portrait-robot que l’on en avait tracé – pour aller vite, un môme des quartiers radicalisé par la mosquée du coin –, mais qu’il pouvait être un Blanc des classes moyennes, relativement éduqué, issu du bocage normand ou d’une famille catholique portugaise. Sauf que, converti ou musulman de souche, il n’embrasse pas la cause malgré la violence, mais pour elle.

Du coup, toute forme de sympathie, ou au moins d’indulgence, devient définitivement impossible. Affronter la police et risquer la prison pour empêcher la construction d’un barrage ou s’opposer à une mutation anthropologique dans la filiation, cela n’a rien à voir avec décapiter des êtres humains sur You Tube. Dans un cas, la violence, quand elle existe, est accidentelle, dans l’autre, elle est consubstantielle. C’est sans doute parce qu’en l’occurrence il ne s’agit plus d’engagement, mais d’endoctrinement. Il ne s’agit plus d’une démarche volontaire, active, raisonnée, mais de ce qu’il faut bien appeler une dérive sectaire. On ne veut plus, chez le djihadiste, comme du côté de Notre-Dame-des-Landes, inventer autre chose en marge de ce monde-là que l’on estime sur le point de s’effondrer. On veut le terroriser, le détruire, le faire retourner à la barbarie.

Les zadistes et autres tarnacois, que les médias et la police qualifient volontiers d’enragés – terme auquel sa naissance soixante-huitarde donne il est vrai un parfum laudatif – rêvent de communautés alternatives inventant sur fond de décroissance une autre façon de vivre ensemble et redonnant son sens au vieux et beau mot d’émancipation. On peut certes s’indigner que, ponctuellement, pendant une manif qui dégénère, ils mettent en coupe réglée une ville en brisant les vitrines avec une prédilection pour celles des banques. Reste que leur but ultime, pour paraphraser un titre de Duras, est de vivre des journées entières dans les arbres. On peut y croire, on peut en sourire, on peut même les admirer de chercher une voie nouvelle. Dans un des livres qui les inspirent, À nos amis, une suite de L’Insurrection qui vient, ne lit-on pas qu’il faut en finir « avec ce qu’il reste de gauche en nous », c’est-à-dire avec cette fausse alternative prévue par le système lui-même ?

Le jeune djihadiste, lui, passerait ces utopistes, veilleurs ou « anarcho-autonomes » au fil de l’épée. Pour une raison simple et terrifiante : son désir ultime n’est pas de vivre mieux, c’est de nous faire mourir, tous, et lui avec. Son islamisme n’étant rien d’autre, au bout du compte, qu’une variante d’un vieux, très vieux nihilisme, que Nietzsche définissait ainsi : « Le nihilisme n’est pas seulement la croyance que tout mérite de disparaître : on met la main à l’œuvre et on disparaît soi-même… »[/access]

*Photo : wikicommons.

Que va devenir l’Afghanistan?

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afghanistan obama usa

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Cette fois, pas de show filmé par les caméras du monde entier. Pas d’éditoriaux dithyrambiques ou même critiques. Pas de chef d’Etat faisant le service après-vente à la télévision. La fin de l’engagement occidental en Afghanistan, le 28 décembre 2014, s’est déroulée dans la discrétion et le silence d’une aventure malheureuse, dont on aurait presque honte. On hésite à poser la question : après treize ans d’occupation militaire, 3500 morts chez les Occidentaux, au moins 25 000 parmi les civils afghans, à quoi tout cela a-t-il servi ?

Après le 11 septembre 2001, les Etats-Unis se jettent sur l’Afghanistan, pour venger les morts du World Trade Center. Cette opération était initialement baptisée « Justice infinie », mais renommée de justesse « Justice immuable », pour ne pas choquer les opinions publiques musulmanes, car seule la justice d’Allah est infinie. La première étape du conflit, qui consistait à prendre Kaboul et détruire les bases d’Al-Qaïda, était aisée, et somme toute légitime. Mais au lieu de se retirer, et de se concentrer sur la traque de Ben Laden, qui sera retrouvé, comme on le sait, au Pakistan, protégé par les services secrets locaux, les Etats-Unis et leurs alliés ont cherché à construire une démocratie à l’occidentale, et à faire table rase des équilibres ethniques locaux.

Dans leur souci de créer un ennemi identifiable, les Américains ont commis l’erreur d’amalgamer Al-Qaïda, label terroriste récupéré un peu partout dans le monde, et les talibans, islamistes à la férocité établie, mais qui sont surtout l’émanation de l’ethnie pachtoune, majoritaire dans le sud et l’ouest de l’Afghanistan. Les Pachtouns débordent sur la frontière pakistanaise, voilà pourquoi les talibans possèdent des bases dans les deux pays, et jouissent du soutien de l’armée et des services secrets pakistanais. En effet, le Pakistan considère l’Afghanistan comme sa cour intérieure, mais aussi comme sa profondeur stratégique, partie intégrante d’un « Pachtounistan » hors-frontières.

Guerriers légendaires, les pachtounes ont lutté contre les Britanniques, lors des guerres anglo-afghanes, en 1839 puis en 1878 (celle où Watson, l’acolyte de Sherlock Holmes, fut blessé). Londres voulait imposer son influence, depuis sa possession indienne, et surtout fixer sa frontière, par rapport à la Russie voisine. L’Afghanistan moderne est un Etat-tampon entre Russes et Anglais, et sa frontière avec le Pakistan actuel est la ligne Durand, établie par les soldats britanniques en 1893, qui divise artificiellement les tribus pachtounes.

Lors de la décolonisation de l’Inde et du Pakistan en 1947, la ligne Durand est maintenue comme frontière intangible, sous la pression des Etats-Unis, qui redoutent l’influence soviétique sur le petit Afghanistan. De fait, Moscou s’intéresse au pays, et y envoie nombre d’ingénieurs et conseillers divers. Les Soviétiques favorisent également la création d’un Parti communiste local. Celui-ci promeut la modernisation de la société afghane, ce qui heurte de plein fouet l’islam ancré et ancien des habitants. Les communistes afghans participent au renversement de la monarchie en 1973, puis s’emparent du pouvoir en 1978. C’est une guerre civile interne au Parti qui pousse le Kremlin à intervenir, en 1979, en prenant Kaboul et en massacrant les communistes dissidents, tentés de se détourner de l’orbite russe.

Ce qui n’était, là encore, qu’une opération de police se meut en guérilla de longue durée, et en affrontement Est-Ouest. Adossés au Pakistan, les pachtounes se dressent contre l’occupant soviétique et le régime de Kaboul, avec Gulbuddin Hekmatyar, chef islamiste radical. Ils sont soutenus par la CIA, ainsi que les pétromonarchies du Golfe. L’Afghanistan ouvre le bal des destinations au djihad, avec nombre de combattants étrangers qui partent affronter le communisme athée.

En 1989, les Soviétiques se retirent d’Afghanistan. Ils ont essuyé des pertes, mais ont empêché la rébellion de triompher, et laissent assez d’armes au régime de Kaboul pour se maintenir. Mohammed Najibullah, ancien chef de la police secrète communiste afghane, parvient ainsi à rester président jusqu’en 1992. À cette date, le régime de Kaboul ne peut plus compter sur l’appui soviétique, et cède sous les coups d’une rébellion mêlant pachtounes islamistes et tadjiks musulmans modérés avec le commandant Massoud. Leur alliance éclate peu après, et la guerre civile s’empare du pays. Les talibans, puissamment armés et financés par les pétromonarchies et le Pakistan, conquièrent l’Afghanistan en 1996, sauf la zone tadjik du nord, où se réfugie Massoud.

Expulsé du Soudan, où il était hébergé, Ben Laden se réfugie en Afghanistan. La présence d’Al-Qaïda est fatale pour le régime taliban, qui disparaît dans l’offensive américaine en 2001, mais le mollah Omar, installé à Karachi, au Pakistan, allié avec Gulbuddin Hekmatyar, lance une guérilla d’usure contre l’occupant occidental, qui dure jusqu’à aujourd’hui. Leur objectif était de reconquérir le pouvoir à Kaboul en attendant le départ des Occidentaux. Ces derniers laissent cependant derrière eux un Etat afghan réorganisé, ainsi que 12 500 soldats, essentiellement américains, pour soutenir l’armée loyaliste. Le président Hamid Karzaï, installé par l’occupant en 2001, sera-t-il le Najibullah des Occidentaux ? Le régime de Kaboul peut bien se maintenir, plus longtemps que le défunt gouvernement communiste, entraîné dans la chute de l’URSS.

Toutefois, Karzaï n’ignore pas le sort réservé à Najibullah, lorsque les talibans prirent Kaboul, en 1996 : torturé, traîné derrière un pickup et pendu. Avant de laisser la main, chef de l’Etat afghan a pris soin ces dernières années de se détourner progressivement des Etats-Unis, en se posant en patriote afghan scandalisé par le « colonialisme » de l’armée américaine. Plutôt que de rester agrippé au soutien occidental, Karzaï se voit plus en partageant le pouvoir avec les talibans, pachtounes comme lui.

Treize ans de guerre en Afghanistan ont réussi à annihiler Al-Qaïda, mais ni à vaincre l’hydre islamiste, ni à vitrifier les talibans, qui reprennent le pouvoir dans un combat classique de libération nationale. Après les expéditions désastreuses d’Irak et de Libye, le temps des aventures exotiques pour exporter la démocratie semble bel et bien révolu.

*Photo : Rahmat Gul/AP/SIPA. AP21672713_000002.

Stationnement : le cadeau d’Anne Hidalgo aux parisiens

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Rentrée de réveillon la veille, je m’interroge tandis que je cherche ma voiture du regard. La hausse des prix de stationnement sera-­t-­elle appliquée dès le premier jour de la nouvelle année ou peut on espérer un temps de procédure, de mise en application, de discussion ­ un de ces termes que l’on entend si souvent quand on attend un retour rapide de l’administration- un petit temps qui offrirait un sursis à ces nouveaux frais annoncés?

La réponse de l’automate ne s’est pas fait attendre : dorénavant, je devrai payer 9 euros pour me garer dans mon quartier, le XIIIème, en semaine et le samedi. Car, et c’est le deuxième cadeau d’Anne Hidalgo aux parisiens moyens, le samedi devient payant. À entendre la maire de Paris, le congé de fin de semaine, tout comme celui d’été, acquis socialiste qui plus est, que l’on accordait à la famille, à la culture et aux loisirs, est démodé : « L’évolution des usages en matière de congés» justifie que l’on rende le mois d’août payant. Celui-ci n’étant plus marqué « significativement » par une « baisse d’activité pour tous ». Gageons que ce nouveau slogan capitaliste « pas de baisse d’activité pour tous » ne résonne pas aussi bien aux oreilles de l’électorat parisien que le « pour tous » de Mme Taubira. De plus, j’ignore ce que fait Anne Hidalgo de ses vacances d’été mais elle n’est certainement pas à Paris. Autrement, elle saurait qu’on y trouve vitrine close à chaque coin de rue, que chercher son pain devient une mission stratégique qui nécessite parfois une organisation à plusieurs, que prendre un café en terrasse devient un projet illusoire, sauf en zone touristique, et enfin, que le service administratif est arrêté, définitivement arrêté, tout le temps de l’été.

Mon ticket de résidence débité, je tente de comprendre les motifs de l’acharnement hidalguesque sur les voitures des plus pauvres, qui ne peuvent, eux, s’offrir le luxe d’un parking sous-terrain.

« Inciter les riverains à utiliser d’avantage les 82% des places situées hors voies publiques » a martelé Anne Hidalgo avant les dernières municipales. Mais, notre maire croit-elle vraiment que si j’avais le choix, je m’amuserais à garer ma vieille Fiat Uno dehors, alors qu’elle ne démarre plus au premier coup de froid ? Anne Hidalgo croit-elle que j’aime chercher une place pendant 30 minutes minimum à chaque déplacement, au point de ne vouloir garer confortablement mon véhicule en sous-­sol ? Il y a bien un parking sous mon immeuble moderne, mais à 70 euros par mois contre 13 euros en plein air, le calcul était vite fait. Aujourd’hui, à 36 euros le mois, je continuerai de me garer sur les voies publiques car je n’ai pas encore trouvé d’alternative plus économique. Et les tarifs de parkings ne sont pas prêts de diminuer, au contraire, puisqu’ils bénéficient d’une demande croissante.

Certes, il faut lutter contre la pollution, diminuer les déplacements motorisés, développer les transports en commun. Et quoi, qu’est-­ce que j’apprends ? Le prix des tickets RATP a encore augmenté (le carnet de ticket a augmenté d’un euro et le passe Navigo de 2,90 euros en zone 1 et 2) ? Et Guillaume Pépy, le directeur de la SNCF, vient d’annoncer une hausse de 2,6 % sur les TER, intercités et TGV ? Ou est la cohérence ?

De plus, la méthode la plus efficace pour soulager la congestion automobile à Paris, et donc la pollution, serait de proposer plus de places de stationnement, pas de les limiter. Une étude de l’INRIX de 2012 établit ainsi que 20% du flux de circulation parisien est constitué d’automobilistes en recherche de stationnement.

« Tous à nos vélos ! » devrions nous conclure. Dans mon cas, c’est déjà fait. Je suis une accro de la pédale, et ne circulais, il y a peu, qu’en deux roues. Mais j’ai dû arrêter. Je suis enceinte et bientôt, même le plus beau des vélos ne me permettra plus de transporter bébé, poussette, biberons, sac à langer, etc.

Et puis, tous ne l’entendent pas de cette oreille-là.  Aux deux roues sportives, certains préfèrent les deux roues motrices. Scooter et motos sont ainsi passés de 4% à 9 % du parc d’engins motorisés depuis 2001. Ce qui fait la part belle aux particules fines tant décriées chez les automobilistes.

Les seuls qui sont véritablement avantagés dans cette affaire, ce sont les propriétaires de voiture électrique : placement gratuit en voie publique. Pas besoin de carte de résident, pas de tickets de stationnement. Bref, soit vous êtes riche, soit vous pouvez espérer qu’en vingt ou vingt-cinq ans, vous aurez amorti le surcoût des voiturettes à piles…

Paysans : une terre, deux mondes

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paysans bretagne fnsea

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Pierre-Yves Lozahic, agriculteur au Merzer, 960 habitants, dans les Côtes-d’Armor, avait ensemencé 6 hectares de terre en haricots verts extra-fins. En septembre, les pouvoirs publics lui ont demandé d’« éliminer » cette production maraîchère. Raison de l’oukase : l’embargo russe, réplique aux sanctions européennes dans la crise ukrainienne. Des stocks de beurre qui devaient être exportés en Russie encombraient les « frigos » français, ne permettant pas aux haricots de l’exploitant breton d’y trouver place. Mais tout n’est apparemment pas perdu : « On m’a dit que je serais rémunéré en novembre pour le manque à gagner », veut croire le lésé. Au 20 du mois, il attendait encore.

L’homme, marié, quatre enfants, se pose des questions sur son avenir. Il exerce le métier d’agriculteur depuis plus de vingt ans. L’an prochain, il en aura 50. En mars, il a gambergé une nuit entière, seul, devant son ordinateur, cherchant des solutions. Il voulait « tout vendre », y compris la maison. Sa femme, propriétaire de la maison, a dit : « On la garde. » Pour lui, c’était tout ou rien. « Je ne voulais pas de la fenêtre en voir d’autres travailler mes terres », confie-t-il, ému. Finalement, ils n’ont rien vendu.

L’agriculteur a une tête en granit mais un cœur en compote, à moins que ce ne soit l’inverse. Face au sort qui s’abat, il tient le coup.[access capability= »lire_inedits »] Dans la journée, il reste seul sur l’exploitation, située sur la route de Pommerit-le-Vicomte, à une dizaine de kilomètres de Lanvollon, chef-lieu de canton. Son petit chien Diabolo ne le quitte pas d’une semelle. « C’est mon compagnon, je lui dis tout. » Les « gens » ne peuvent sans doute pas comprendre : un si beau domaine et tant d’ennuis. Un corps de ferme en pierres apparentes, un tracteur de la dernière génération comme en rêvent les gamins pour Noël, une moissonneuse batteuse, 70 hectares de cultures en blé, maïs et colza, deux poulaillers, une chaudière à bois : Pierre-Yves Lozahic a vu grand, peut-être trop grand – dans le secteur, quand ça ne va pas, c’est souvent la faute à « trop grand ».

Les poulaillers, un neuf, grand, et un vieux, plus petit, n’ont pas le rendement désiré. L’agriculteur vendait ses poules et dindons à Doux, le volailler du Finistère sauvé de la faillite fin 2013. Mais il a perdu ce débouché qui lui permettait de voir venir. Doux, qui le tient pour un agitateur, n’a plus voulu de lui. Pierre-Yves Lozahic est syndicaliste, président de la section avicole de la Fédération départementale des exploitants agricoles (FDSEA) des Côtes-d’Armor. Jamais le dernier à monter au front du « dialogue social ». Au plus fort de la bataille, il maintenait la « pression » devant le siège de la société, à Châteaulin. Il revendiquait la poursuite de la production et le paiement des créances aux producteurs, qui comptaient jusqu’à trois lots non payés de volailles livrées. Aujourd’hui, il prend en location des lots de dindons reproducteurs, qu’il reçoit à dix semaines et rend à vingt-huit, à Saint-Jacques Aliments, une filiale du groupe agroalimentaire Le Gouessant. Mais il est très loin des 45 000 poulets produits en 2011, à raison, alors, de sept à huit lots par an. En ce mois de novembre, les jeunes dindons glougloutent dans le petit hangar. Le grand est pour l’heure vide, des plumes au sol témoignent du passage récent des gallinacés.

La chaudière à bois était censée chauffer les poulaillers. Pour amortir plus rapidement l’investissement, l’agriculteur avait pensé fournir du chauffage à cinq maisons alentour qui, avec sa ferme, forment un hameau au sein de la commune du Merzer. Ça ne s’est pas fait. De plus, l’installation est à l’arrêt en raison d’un problème technique. Les remboursements, eux, continuent. Dans la région, deux banques prêtent aux agriculteurs : le Crédit agricole et le Crédit mutuel de Bretagne, le CMB. Pierre-Yves Lozahic a investi 80 000 euros dans la chaudière, 35 autres mille dans la rénovation du vieux poulailler et 35 000 euros dans le développement général de son exploitation. Les traites sur la chaudière atteignent 1 000 euros par mois.

Un litige avec un ancien employé, qui a perdu l’usage de son bras après un accident à la machine servant à hisser les volailles dans les camions, lui a coûté 25 000 euros. « Dans ces cas-là, dit-il, un patron a toujours tort. » Par chance, sa femme, institutrice dans une école privée, a un salaire fixe. « Je n’ai pas voulu la porter caution de la ferme. » Le mari a son honneur, et le bon sens veut qu’on ne mette pas tous ses œufs dans le même panier. Une journée par semaine, il vend des logiciels agricoles à des confrères, un système de guidage GPS aidant aux travaux des champs. Lui-même en possède un, installé sur son tracteur. Les renseignements ainsi fournis permettent de gérer l’ajout d’engrais de manière automatique et « dans le respect de l’environnement ».

Pierre-Yves Lozahic est issu de l’agriculture moderne, l’intensive, celles des Trente Glorieuses, qui paraît aujourd’hui bien vieille à beaucoup, tout acquis qu’ils sont au bien-produisant. Dans la famille paysanne française, il est le « méchant », et il ne supporte pas qu’on le juge ainsi. « Il n’y a pas de méchants », tranche-t-il. Comme tant d’autres, il a adhéré dans sa jeunesse au « parti unique », la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, et n’en a pas démissionné depuis. Il n’aime pas qu’on le prenne pour un « pollueur » ; d’ailleurs, les algues vertes qui font tellement tache sur les côtes bretonnes sont, dit-il, en diminution. « Ça fait quinze ans que le virage pour une agriculture plus saine a été pris », affirme-t-il, quand la réalité s’obstine encore çà et là à démontrer le contraire.

L’agriculteur a pris conscience de certaines choses. Sûrement un peu contraint et forcé. La chaudière, par exemple, c’était pour économiser l’énergie. Sur ses parcelles offrant les moins bons rendements, il a planté du miscanthus, une sorte de roseau qui, broyé, sert de litière aux poulaillers. L’écologie et le porte-monnaie en sortent a priori gagnants. Il est devenu un adepte des « techniques culturales simplifiées », les TCS. « Je ne laboure plus du tout mes champs [les socs de la charrue ont fait place à une sorte de herse, NDLR], les micro-organismes de la terre en sont moins bouleversés, explique-t-il, convaincu. Bien sûr, on utilise des engrais – les nitrates – et des fongicides, mais pas plus qu’il ne faut. » Pierre-Yves Lozahic a l’impression de faire son maximum pour la sauvegarde de la nature. Il comprend d’autant moins les contrôles tatillons qui lui bouffent la vie. Un jour, il se fait reprendre parce qu’il a planté « 3 mètres carrés » de céréales trop près d’un cours d’eau qu’il faut tenir à distance des écoulements chimiques, un autre, c’est une date imposée pour l’épandage du fumier récupéré dans les poulaillers, quand le cycle naturel, et notamment les pluies, demanderait qu’on épande au moment le plus judicieux. Toute cette paperasse infantilisante qui s’empile, c’est à devenir fou. Cela fait un an que Pierre-Yves Lozahic n’a pas pris de vacances, ni même un jour de vrai repos, dit-il. Il a une caravane au bord de la mer, à Plouha, où vont sa femme et ses enfants, l’été.

Le 5 novembre, il a participé à la journée d’action « Y’a le feu dans nos campagnes », pour protester contre les contrôles administratifs « abusifs ». Avec d’autres agriculteurs du département, il a allumé un feu à Saint-Brieuc, le chef-lieu des Côtes-d’Armor. Dans un coin de sa maison dort un bonnet rouge, tel l’anneau de Tolkien. Il était de sortie contre l’écotaxe. « Nous aussi, les agriculteurs, on était partis pour contribuer, avec tous les transports que nécessitent nos activités. On n’a pas voulu », rappelle le bientôt quinquagénaire.

Il y a trente ans, Pierre-Yves Lozahic avait des envies de voyages. Il n’était pas destiné à l’agriculture : ses parents, des paysans atteints dans leur santé, l’avaient dissuadé de prendre leur suite. Il devait fréquenter une école technique à Lamballe, sur la route de Saint-Brieuc à Rennes. Mais comme les parents avaient eu une mauvaise expérience avec l’aînée, partie étudier à Saint-Brieuc, à une trentaine de kilomètres du Merzer, tout un chemin à l’époque, il avait été décidé en fin de compte que le jeune Pierre-Yves s’inscrirait dans une école d’agriculture proche de la maison. Il fit tout de même un stage de quelques mois dans une ferme au Danemark. Puis un autre aux États-Unis, dans l’État du Minnesota. De retour dans les Côtes-d’Armor, on l’appelait « l’Américain ». À 20 ans, il avait des projets de grands départs ; la destination qui le faisait rêver, c’était le Niger. Et puis, la famille a mis le holà. Il a repris la ferme de l’oncle. C’est-à-dire qu’il l’a rachetée. Son souhait est désormais de laisser une exploitation viable à l’horizon d’une douzaine d’années à ses enfants, qu’ils se destinent ou non à l’agriculture.

À quelques kilomètres de là, à Lanvollon, Rémi Le Mézec, Rémy Le Guen et Joël Le Calvez dirigent ensemble une exploitation de 62 hectares qui possède une soixantaine de vaches laitières. Leur devise – bien faire avant d’en faire plus – renvoie au mouvement dit « de l’agriculture paysanne ». Pas tout à fait le kibboutz, tout de même : ces trois associés travaillent ensemble mais ont chacun leur maison et leur famille. Chacun d’eux est d’astreinte un dimanche sur trois, ce qui en laisse deux de libres à la suite. C’est appréciable. Rémi Le Mézec, 53 ans, appartient à la Confédération paysanne, dont il fut le porte-parole dans les Côtes-d’Armor, un syndicat écolo et plutôt à gauche créé en 1987 en opposition à la productiviste FNSEA, classée, elle, à droite. C’est d’ailleurs cette année-là que Rémi Le Mézec s’est installé à son compte, à Tressignaux, un hameau proche de Lanvollon et de ses 1 500 habitants, à l’endroit où ses parents, agriculteurs également, officiaient avant lui. Rémy Le Guen l’a rejoint en 1992 et Joël Le Calvez en 1999.

Comment font-ils pour vivre à trois sur une surface somme toute assez moyenne ? Quel est le secret de ce feng shui agricole ? La maîtrise, justement. « On fait notre revenu plus avec ce qu’on ne dépense pas qu’avec ce qu’on gagne », explique Rémi Le Mézec. La méthode semble efficace, puisque, à exploitation comparable, le revenu annuel de chacun des trois associés s’élève à 30 000 euros, contre 15 000 seulement pour un agriculteur « classique ». Les épouses des trois hommes exercent toutes des métiers sans lien avec l’exploitation. Quant aux maris, leurs domaines de compétences se complètent : Rémi apporte ses lumières d’ancien comptable, Rémy, avec « y », est un as du bricolage, ce qui est bien pratique pour les réparations, et Joël est un parfait éleveur.

« Au fil du temps, on se rend compte que notre système, ça marche », constate Rémi Le Mézec. Le « ménage à trois » qu’il forme avec ses deux associés étonne un peu dans le paysage briochin, plus habitué au standard « one man, one land », un modèle cependant en pleine débâcle, tant il est difficile de tenir seul une ferme, matériellement et mentalement. « Je ne jette pas la pierre au système, dit-il prudemment pour ne pas blesser des confrères, mais c’est une grande déception que de voir diminuer le nombre d’agriculteurs. » Des paysans se suicident ou tentent de le faire. L’irréparable n’est pas réservé aux désespérés du modèle intensif. Un agriculteur bio, ami de Rémi Le Mézec, s’est donné la mort.

Boléro va bientôt mettre bas. La vache est laissée seule dans un compartiment de l’étable, dite à stabulation libre. Ici, une vache est inséminée tous les quatorze mois, ce qui lui laisse trois mois de répit entre deux portées. À la naissance, le veau est aussitôt séparé de la mère – « ce n’est pas ce dont nous sommes le plus fiers, confie l’agriculteur, mais il vaut mieux le faire immédiatement que deux jours après ». Seuls les veaux femelles restent à la ferme, les mâles finissent chez le boucher. L’an dernier, la production laitière de la ferme de Tressignaux a atteint le record de 480 000 litres, à raison de deux traites par jour, dans la salle automatisée prévue à cet effet. La fin des quotas laitiers approche. Ils avaient été introduits dans les années 1980 quand le trop-produit finissait dans la cuve à purin. Ils seront remplacés par des contrats privés liant les producteurs à des acheteurs.

Les deux Rémi(y) et Joël ne sont pas vraiment des Khmers verts du milieu rural. « On nous considère comme des intensifs dans les organismes d’agriculture alternative et, aux yeux des autres, on passe pour des écolos, parce qu’on fait beaucoup d’herbe et parce qu’on entretient les haies des bocages », résume Rémi Le Mézec. L’herbe ? Non pas la prohibée, mais la verte et tendre, celle dont les vaches et les génisses se nourrissent, sauf pendant les mois d’hiver, passés dans l’étable comme il se doit. Le fourrage étant l’un des postes budgétaires les plus coûteux, des économies appréciables sont réalisées là. Sur 69 hectares de terres, 38 sont plantés en herbe – à raison d’un ensemencement tous les six ans –, 15 en maïs et 9 en blé et orge. Le maïs, difficile de faire sans. « Cela pallie notre manque de surface, justifie Rémi Le Mézec, quand la pousse de l’herbe ne suffit plus. » Les vaches ne le mangent pas frais, mais après qu’il a fermenté sous des bâches, et parfois mélangé à un complément comme le colza, « non transgénique », précise-t-on.

On a peu parlé des subventions européennes de la PAC, la politique agricole commune, qui rentrent environ pour un tiers dans les revenus des agriculteurs. On n’en a pas parlé du tout, même. Les agriculteurs en font rarement état, craignant qu’on les traite d’assistés. Ce soir-là, une représentation théâtrale est donnée à l’auditorium du Moulin de Blanchardeau, à Lanvollon. Il y a un os dans le pâté, c’est le nom de la pièce jouée en divers endroits de France en zone rurale et qui met en scène deux femmes, une mère d’agriculteur et sa belle-fille, une éducatrice qui « n’épaule pas son mari à la ferme ». Tous les clichés et toutes les vérités liés au monde agricole sont ici abordés : les conflits des générations, les subventions, le suicide, la pollution des sols, le cocufiage de l’épouse, à Pigalle, lors du Salon de l’agriculture. Rémi Le Mézec, qui a vu la pièce, a trouvé qu’elle « visait juste ». Pierre-Yves Lozahic l’a vue aussi, un autre soir. Cela permet de mettre des mots sur leur condition de paysans.[/access]

*Photo : wikicommons.