Ne rêvez plus, veillez!


Ne rêvez plus, veillez!

veilleurs manif pour tous

Ceux qui croyaient au ciel s’étaient réfugiés dans les grottes de l’Histoire. Dehors soufflait le vent du progrès, emportant le vieux monde. Je faisais partie de ceux-là. Terrée dans ma nostalgie comme dans un bunker, j’attendais tranquillement l’apocalypse en écoutant Georges Brassens et en lisant Philippe Muray. Je croyais comme lui que, le monde étant détruit, il ne restait plus qu’à le versifier.

Les manifs ? J’y suis allée, oui, mais au début en traînant les pieds, légèrement écœurée par la marée rose bonbon des cortèges. Je pensais, en bonne réactionnaire, comme de Maistre, que « la contre-révolution ne sera[it] pas une révolution contraire, mais le contraire de la révolution ». J’étais gênée de défendre l’ordre dans la rue, inquiète à l’idée d’être conservateur en masse, agacée d’avoir à combattre pour mes idées en sweat rose fuchsia.[access capability= »lire_inedits »] J’avais intégré bien malgré moi le « gauchisme culturel » et l’idée que nous n’étions, mes amis et moi, que des erreurs statistiques destinées à sombrer dans l’oubli. Convaincue d’avoir perdu d’avance, seuls le sectarisme et le mépris du camp adverse me donnaient l’envie de poursuivre la lutte.

Et puis. J’ai vu les larmes de mon père qui, faisant l’aller-retour dans la journée depuis Toulouse pour assister aux manifs, n’en revenait pas de voir autant de monde qui « pensait comme lui ». J’ai senti une énergie dont je ne soupçonnais pas l’existence sortir des entrailles de mon pays. J’ai croisé la route des « veilleurs », j’ai vu, sur les places de France, ces jeunes s’asseoir en silence, et lire les auteurs que j’aimais – Bernanos, Péguy, Pasolini, Dostoïevski – à la lueur des bougies. J’ai compris que l’alternative à la civilisation libérale-libertaire que je cherchais depuis toujours était là en évidence, sous mes yeux. Que derrière les victoires d’Alexandre, il y a les idées d’Aristote. Qu’il fallait convertir les cœurs avant de changer l’histoire. Que le plus important était le combat culturel, et que nous pouvions le gagner. Que l’idée d’un sens de l’histoire inéluctable était fausse. Que rien n’était irréversible.

La formule de Camus : « Empêcher que le monde ne se défasse », transformée en slogan « On ne lâche rien », n’était soudain plus suffisante. J’ai compris que nous pouvions refaire ce qu’ils avaient défait.[/access]

*Photo : Thibault Camus/AP/SIPA. AP21448275_000003.

Décembre 2014 #19

Article extrait du Magazine Causeur



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Journaliste au Figaro, elle participe au lancement de la revue Limite et intervient régulièrement comme chroniqueuse éditorialiste sur CNews.

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