Couture et Murat : l’art pour l’art


Couture et Murat : l’art pour l’art

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Charlélie Couture et Jean-Louis Murat ont en commun – entre autres – la pratique de la peinture, de l’écriture et de la chanson sourcée dans les ruisseaux de l’amour et les caniveaux de la vie. Les deux artistes empaquettent les plis de l’âme et les recoins des ressentiments comme montait Christo son emballage autour du Pont-Neuf : avec grandeur et hauteur. Et aussi avec, en guise de toile polyamide, la fée électricité et l’âme bluesy-poétique à double tranchant.

Couture a sorti à l’automne dernier son nouvel album, réalisé par Benjamin Biolay. Le single « L’Amour au fond » a tourné un peu en radio, pas assez. Feu Jean-Louis Foulquier, fondateur des Francofolies de La Rochelle, décrivait l’univers Couture ainsi : « Mots couleurs trait de plume, portrait au couteau et chansons aquarelles qui rendent la vie plus belle quand elles tournent à la radio. » Il n’avait pas tort mais, pour rendre la vie plus belle en France, il y a déjà iTélé. Et Plus belle la vie à 20h20. À défaut de passer à la radio, Charlélie passera près de chez vous en 2015 (à l’Olympia notamment le 28 mai). En outre, la ville de Nancy – d’où il est originaire – consacre une grande exposition rétrospective de ses œuvres de plasticien méconnu dans l’hexagone (alors que le Lorrain tient une galerie à New York…). Courrez-y si vous êtes dans le coin, l’événement – où installations, peinture, photo et sculpture se fondent dans un joyeux maelström artytectural – se tient jusqu’au 1er mars à la Galerie Poirel.

De son côté, comme s’il n’était jamais satisfait d’une chose créée, Jean-Louis Murat passe à une autre compulsivement. L’argumentaire de son nouveau double album, Babel, repose sur son implantation locale intégrale : un disque du cru, enregistré et emballé avec des figures du coin, sans délocalisations dénaturantes. Le résultat donne à entendre un soft rock topographique, aux allures de carte de Tendre franchissant le Rubicon de la Mer dangereuse vers les Terres inconnues de l’identité d’une Auvergne jordanienne : « La ville de Murat contient un château, jadis, tenu par des Arabes. Murat vient de  »Maures ». L’idée que des Arabes aient pu être présents en Auvergne dès le Haut Moyen-âge me séduit. Cela questionne les origines […] L’Auvergnat est un mélange de Vikings et d’Arabes. » soulignait Jean-Louis à la sortie de Babel. Avec un tel pedigree, on comprend mieux la phrase d’un spécialiste des Auvergnats qui déclara jadis à leur sujet : « Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes. » (en même temps, un seul Murat suffit pour qu’il y ait des problèmes, demandez à ses confrères de la chanson française ce qu’ils en pensent).

Hormis une mécanique des chœurs poussive qui vient gâcher le plaisir sur « Chacun vendrait des grives » et un « Chant Soviet » un peu léger, l’objet commence véritablement à partir du troisième titre, « J’ai fréquenté la beauté ». Dans cette ballade gracile comme un vol d’hirondelles, l’auteur nous conte – au passé – un pan de sa vie de dauphin dans les eaux d’un quotidien au grand air, dans le coin de La Bourboule. Dommage que seule la flûte ne prenne pas son envol… Puis l’album déroule son charme caravanier avec une facilité déconcertante. « Dans la direction du Crest » sonne même comme du Charlélie Couture, c’est dire si le taux d’apesanteur est élevé.  Des parfums de désert où souffle une tension toute morriconienne concluent le CD1 admirablement (« Mujade Ribe »), avant la Lewis Carrollerie « Vallée des merveilles ». Et bis repetita avec le second CD, onctueux comme du Saint-Nectaire humecté d’une goutte de Jurançon doux, avec un zeste de bluegrass. Côté paroles : les chansons résonnent comme des Chroniques champêtres – Volume 1 – Dylaniennes de par leur dimension autobiographique de père de famille, mais aussi par l’évocation des souvenirs de tout ordre dans une prose environnementale limpide. Murat nous convie dans une géographie toute personnelle, arpentant les paysages de son passé qui surplombent son quotidien d’autochtone de la vallée du Vendeix.

Babel scelle – trente-cinq ans après les débuts déjà chaotiques du chanteur – la victoire à la Pyrrhus de Jean-Louis Murat sur le champ de bataille dévasté de la chanson française. Alors, après Babel, l’Olympe (auvergnat, bien sûr) ?

 

ImMortel, de Charlélie Couture (Mercury)

Exposition Charlélie, NCY – NYC jusqu’au 1er mars 2015 à Nancy.

Babel, de Jean-Louis Murat (Pias)

 

*Photo : URMAN LIONEL/SIPA. 00695154_000011. 



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est l'auteur de nombreux ouvrages biographiques, dont Jean-Louis Murat : Coups de tête (Ed. Carpentier, 2015). Ancien collaborateur de Rolling Stone, il a contribué à la rédaction du Nouveau Dictionnaire du Rock (Robert Laffont, 2014) et vient de publier Jean-Louis Murat : coups de tête (Carpentier, 2015).

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