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En manque d’espace

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conquete spatiale rosetta

Rosetta, Philae, Tchouri : dans une actualité mortifère, ces trois noms ont apporté un peu de joie prométhéenne dans les gazettes. Une sonde spatiale avait réussi à déposer un petit robot sur une comète, pour la première fois. L’exploit fut célébré universellement et le chef de l’État, tout heureux d’un projet franco-européen qui, pour une fois, avait parfaitement fonctionné, s’est exclamé : « Vous avez gagné, c’est une avancée considérable de la conquête spatiale. » Alors, d’où est venue la manière de mélancolie qui s’est emparée de votre serviteur ? La vision des premières photos qui renvoyaient, dans leur nudité glacée, au célèbre fragment de Pascal, « le silence de ces espaces infinis m’effraie » ? Non, répétons-le, nous ne ressentions pas de la frayeur, mais de la mélancolie.[access capability= »lire_inedits »] Sans doute est-elle celle de ma génération, qui a tellement rêvé à l’espace, à sa conquête, aux voyages qu’elle nous annonçait pour un futur proche qu’elle est secrètement déçue que cette épopée se réduise à un bout de ferraille téléguidé sur un caillou en perdition, sans un être humain à bord.

C’est que nous avions vu, vers l’âge de 5 ans, par la grâce de l’unique télé du quartier qui se trouvait au bistrot du coin, juché sur des épaules paternelles, les premiers pas de l’homme sur la Lune, une nuit de juillet 1969. C’est qu’ensuite nous avions lu Jules Verne dans De la Terre à la Lune et Ray Bradbury dans les Chroniques martiennes, le premier annonçant à propos de ses cosmonautes : « D’ailleurs, je les connais, ce sont des hommes ingénieux. À eux trois ils emportent dans l’espace toutes les ressources de l’art, de la science et de l’industrie », et le second : « Les hommes de la Terre vinrent sur Mars, ils venaient parce qu’ils avaient peur ou ignoraient la peur, parce qu’ils étaient heureux ou malheureux, parce qu’ils se sentaient ou ne se sentaient pas des âmes de pèlerins ». Et cela a continué, plus tard, en lisant notre cher Cyrano dans les États et Empires de la Lune, qui indiquait bien que ce désir avait toujours été une rêverie éminemment poétique : « Je m’étais attaché autour de moi quantité de fioles pleines de rosée, et la chaleur du soleil qui les attirait m’éleva si haut, qu’à la fin je me trouvais au-dessus des plus hautes nuées. »

On comprendra donc que Philae, nous invitant à résumer tout cela à un mauvais jeu vidéo qui nous force à rester sur le plancher des vaches, ne pouvait que nous rendre, au bout du compte, d’une tristesse infinie. Comme cet espace où nous n’irons jamais.[/access]

*Photo : wikicommons.

Jacques & Cecil

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jacques cecil laurent

En qualifiant de « hussards » quelques écrivains turbulents des années 50, Bernard Frank a mis le feu à la Grande histoire de la littérature. D’un quarteron disparate de chevau-légers (Nimier, Blondin, Laurent et Déon), le journaliste a créé, de toutes pièces, une armée de réactionnaires, pis une école de pensée contre le sartrisme ambiant. Pour l’éternité, ce seront, au choix, selon son camp, des écrivains de Droite, frivoles, inconséquents, fin de race, dangereux agitateurs ou des stylistes inspirés, professeurs d’irrévérence, nostalgiques des combats perdus, romanesques à outrance. Frank imaginait-il qu’une estocade lancée dans Les Temps Modernes en 1952 continuerait à toujours définir, un demi-siècle plus tard, l’anti-intellectualisme d’après-guerre ? Les Hussards sont pourtant une vue de l’esprit. Ils n’ont jamais existé. La preuve, il suffit de les lire. Ces quatre garçons dans le vent glacial de la Guerre Froide arpentent leurs propres terres. Ils ne chassent pas en meute. Ce sont d’incorrigibles vagabonds qui ne répondent à aucun diktat et à aucun oukase. En les (dis)qualifiant, Frank les aura poussés dans les ornières de la littérature, à l’ombre des autoroutes de la postérité. Quelle chance (inestimable) de recueillir le silence de l’intelligentsia !

La garantie d’un talent intact aucunement entaché par l’obscurantisme des élites culturelles qui tranchent entre ce qui doit ou ne doit pas être lu par les masses forcément ignorantes. L’infantilisation des lecteurs est une vieille manœuvre politique. La Pléiade les a donc mis à distance, l’Université ne leur pardonne pas leur liberté de ton et le grand public n’a connaissance d’eux que par ricochet. Nimier, le général en chef de ce mouvement factice, doit sa légende à son tragique accident de voiture en 1962 au volant d’une Aston Martin. Blondin à ses virées alcoolisées au Bar-Bac et à l’air de la Grande Boucle. Déon, l’unique survivant, à ses Poneys sauvages et à son épée d’académicien. Quant à Jacques Laurent (1919-2000) ? Mystère, il a disparu des radars et…des librairies. Alain Cresciucci, expert en désenchantés, ausculte l’Itinéraire d’un enfant du siècle aux Editions Pierre Guillaume de Roux. Cette radiographie précise, argumentée, implacable, du moins connu des Hussards est un magistral travail d’érudition et de réhabilitation. « Jacques Laurent ne prenait pas du tout son œuvre à la légère » martèle Cresciucci qui contredit, en l’espèce, le dilettantisme de ce second couteau des lettres françaises, indéboulonnable figure de la Brasserie Lipp, cigarette pendante et paupières lourdes.

Le mérite de ce livre/cette somme tient justement à la complexité de Jacques Laurent et à sa bibliographie ahurissante, foisonnante, inimaginable (!). De Vichy à Alger, de la Croisette au Quai de Conti, de Martine Carol à Mitterrand, Laurent et son double Cecil Saint-Laurent auront été les témoins, les diaristes, les pourfendeurs de l’histoire officielle de notre pays. Cette œuvre maousse est inatteignable tant elle revêt de multiples couches : des romans populaires (Caroline Chérie ou Hortense 14-18), des essais (Paul & Jean-Paul, Mauriac sous de Gaulle, Le français en cage, etc..), des classiques (Les Corps tranquilles, Les Bêtises – Goncourt 1971, Le Petit Canard, etc…) et une riche filmographie en tant que scénariste et dialoguiste. Il faut près de 400 pages à Alain Cresciucci pour aborder cet intellectuel victime du succès commercial de la série Caroline Chérie. Laurent est déroutant à plus d’un titre, car sa plume a baigné dans toutes les encres : érotique, historique, journalistique, autobiographique, etc…Il est amusant de constater que ce virulent opposant au Nouveau Roman, défenseur acharné du roman qui n’endoctrine pas, a été le hussard le plus novateur sur la forme. Il a osé, au contraire d’un Blondin à l’écriture limpide, chimiquement pure, à marier les genres, bousculer la chronologie, fondre le narrateur et ses personnages dans une identité trouble à la manière d’un Dr. Jekyll & Mr. Hyde.

Jacques Laurent à l’œuvre – Itinéraire d’un enfant du siècle – Alain Cresciucci – Editions Pierre-Guillaume de Roux .

*Photo : DALMAS/SIPA. 00416198_000002

Jacques Laurent à l’œuvre : Itinéraire d’un enfant du siècle

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Sparks, Barjot, zoophilie…

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ragondin bardot sparks

 

MON ROYAUME POUR UN EUROSTAR !

Rude saison pour les bûcherons, vous ne trouvez pas ? Ces dernières semaines encore, le sort s’est acharné sur moi. Non seulement j’ai passé mon temps à chercher des aiguilles dans ma botte de foin d’expulsé, mais il m’a fallu aussi batailler… contre des hommophobes en folie, et même pour défendre l’honneur zoophile de ma femme, injustement accusée cette fois-ci de non-assistance à lapins en danger.

Mais les mauvais jours finiront, et avant même le Paradis, j’aurai ma récompense ce mois-ci avec le concert de Sparks à Londres, en présence de la reine Élisabeth !

LECTURES SPIRITUELLES

Jeudi 30 octobre-Lundi 24 novembre/Comme l’explique Simon Leys en avant-propos à son recueil de citations Les Idées des autres[1. Magnifiquement commenté par Jean-Baptiste Baronian, ici-même, en septembre dernier], ce genre d’exercice nous en apprend plus sur le compilateur que sur les compilés. À titre d’exemple, ceux qui voudraient mieux me connaître liront avec profit les trois phrases qui suivent ; elles ont égayé, au hasard de mes lectures, ces quatre dernières semaines qui en avaient bien besoin.

– L’ennui selon Billy Wilder : « L’opéra, c’est un truc qui commence à 8 heures. Au bout de deux heures vous regardez votre montre, et il est 8 heures et demie ! »

– Le progrès selon Einstein : « Une hache entre les mains d’un psychopathe. »

– Les vertus théologales selon Chesterton (dans ma traduction) : « La foi, c’est croire en l’incroyable. L’espérance, c’est espérer quand il n’y a plus d’espoir. La charité, c’est aimer ceux qu’on n’aime pas. »

Vous me direz : « Va pour les deux premières citations, mais la troisième n’est pas super drôle ! » Relisez-la calmement, vous verrez : pour être profonde, la formule chestertonienne n’en est pas moins spirituelle.

HOMOPHOBE + CHATTOPHOBE + LAPINOPHOBE = FRIGIDE !

 Mercredi 5 novembre Après l’expulsion, l’acharnement continue ! Huit jours déjà qu’on a vidé les lieux, et voilà que Le Parisien titre : « Frigide Barjot avait laissé ses lapins dans son duplex. » Allons bon ! Mais les truffes du Huff Post ont reniflé encore mieux : « Dans son déménagement, Frigide Barjot oublie ses lapins et son chat ! » Ces gens-là n’ont vraiment rien à branler, pour inventer de pareilles fichaises.[access capability= »lire_inedits »]

« Au moment de la remise de clés, fantasme le Huff Puff, l’huissier a eu la surprise de découvrir deux lapins, Nicolas et François, et un chat, Connardeau »[1. À l’origine, je l’avais baptisé Vianney, du nom du saint du jour où Barjot l’a adopté. Et puis j’ai appris à le connaître…]. Les malheureux, peut-on lire, auraient passé toute la nuit seuls dans l’appartement désert, avec à peine de quoi se sustenter et pas la moindre distraction !

En vérité, cette nuit-là, toute la famille escroque dormait encore dans notre futur-ex-logement, et les pauvres bêtes n’auront été « livrées à elles-mêmes » que de 8 h 30 à 9 h 45 du matin – pendant que Madame était au commissariat.

Et voilà comment, le cas échéant, on monte de toutes (petites) pièces une lilliputienne « affaire », juste pour le plaisir d’en remettre une couche à la Barjot, cible décidément fastoche…

Je suis bien placé pourtant pour témoigner de la zoophilie active de ma femme. C’est elle qui m’impose, depuis dix ans déjà, ces bêtes à poils auxquelles elle semble ontologiquement attachée, pour des raisons qui m’échappent mais qu’une simple expulsion n’aura hélas pas suffi à ébranler. François, Nicolas et Connardeau sont toujours là ! Et même avant eux et moi, me suis-je laissé dire, Frigide a toujours eu une chatte[2. Ursule, Ursule II, Ursule III – toutes canonisées par la Grande Prêtresse. Vivement qu’on embaume Connardeau !]. 

ET LES RAGONDINS, DANS TOUT ÇA ?

Jeudi 6 novembre/Saisie de cette fausse nouvelle, la vraie Bardot va-t-elle donc porter plainte contre la fausse pour « maltraitance envers des animaux », comme le lui enjoignent déjà des dizaines de trolls zoophiles ? Non, finalement, elle préfère s’en prendre aux agriculteurs nantais qui ont « jeté sans ménagement » contre la Préfecture « des ragondins vivants ! » À coup sûr, s’ils les avaient tuées avant, les pauvres bêtes eussent moins souffert de ce mauvais traitement.

GROS CAMION ET PETIT VÉLO

Jeudi 13 novembre/Suite à une innocente blague sur Facebook, qui ne chahutait que la pauvre Barjot (voir copie d’écran ci-jointe), voilà-t-il pas que le groupe auto-intitulé Gouines Comme Un Camion se soulève contre moi comme un seul capot !

La semaine précédente, la presse noiseuse et le tout-à-l’égout Internet avaient fait des gorges chaudes à propos d’une nouvelle « gaffe » de Frigide, enrôlée contre son gré dans l’aile catho du parti sarko-fillo-juppéiste… D’un seul clavier, ils avaient recopié une dépêche AFP au titre imperceptiblement ironique : « Par inadvertance, Frigide Barjot adhère à l’UMP ». Bref, ça m’a inspiré sur Facebook un prolongement aberrant comme je les aime, et sans trace d’anticamionnisme primaire.

Gouines Comme Un Camion : si j’avais retenu le nom de ce mouvement, c’est justement pour ce qu’il laissait supposer d’humour, voire de distanciation brechtienne. Autant dire que j’étais à mille bornes d’imaginer que le glissement camion-déménagement pût leur paraître discriminant. J’avais oublié que l’humour militant est un oxymort. Un humour subordonné à la Cause, c’est-à-dire asservi, c’est-à-dire inexistant.

Ainsi ai-je découvert avec surprise, un matin vers 15 heures, l’invasion de ma « page » et de mon « profil » par des pelletées de commentaires fielleux, venimeux ou tout simplement orduriers.

Pourquoi tant de haine, surtout à propos de rien ? Au nom de leur intelligence et de ma charité chrétienne, je me refuse à croire que tous les GCC & Friends sans exception se soient senti-E-s agressé-E-s par cette innocente pique à Barjot. Je tiens plutôt que ces filles-là rongent leur frein en rond dans leur groupuscule – jalousant à mort le succès de ces salopes réformistes de Femen, démagos, sexy, et même pas gouines !

Il faut bien lâcher la vapeur de temps en temps, n’est-ce pas ? Alors, dès que leur nom apparaît sur la Toile, c’est la fête au dépôt central ! L’occasion, plutôt rare semble-t-il, de se faire une mini-flashmob 2.0…

Si ça se trouve, ces messieurs-dames auront peut-être même recruté au passage une ou deux routières sympas ! C’est tout le bonheur que je leur souhaite.

TOUCHE PAS À MA PUTE, LOLO !

Lundi 17 novembre/Invité de C à vous juste après Barjot, Baffie fait une entrée fracassante sur le plateau en s’exclamant : « Elle est partie, la pute ? » « Vous lui direz en face ! » rétorque Anne-Élisabeth Lemoine, l’animatrice du jour. De fait, Lolo et Frifri s’étaient croisés au (dé)maquillage, et n’avaient échangé qu’un aimable pia-pia. Notre « provocateur » gardait sa saillie pour l’antenne, en l’absence de l’insultée…

Au-delà du mépris qui s’impose, je reste un peu triste pour Baffie, parce que ce con aurait pu choisir de l’être moins. Mais là, ça va faire tard.

VIENS CHEZ MOI, J’HABITE DANS UN KIMONO

Jeudi 20 novembre/Dans un mois pile, si Dieu le veult, on sera à Londres en formation élargie pour applaudir une fois encore Sparks, parce qu’ils le valent bien. Même qu’Élisabeth sera de la party ! La saison passée déjà, elle avait adoré leur concert à l’Alhambra. Mais de là à traverser la Manche, c’est une autre paire de, euh.

À noter quand même, pour les connoisseurs : hormis les deux frères, rien à voir entre ces deux prestations. L’an dernier, les Sparks Brothers étaient seuls en scène, comme l’indiquait le titre de leur tournée, Two Hands, One Mouth (en français : « un clavier, une voix »).

Le 20 décembre au contraire, et pour la première fois de sa carrière, le duo revisitera toute son œuvre depuis Kimono my House (1974) en compagnie d’un orchestre symphonique ! Lourde infrastructure pour un si « petit » groupe, qui exclut a priori toute perspective de tournée. Ce sera Londres ou rien – et pour nous les gens courageux, comme d’habitude ce sera Londres !

En tant que sparksiste néophyte, Élisabeth a sur moi un avantage que je lui envie : elle découvre d’un coup un répertoire de quarante ans, toujours renouvelé au fil de vingt-deux albums.

Par comparaison, nos amis les Stones, c’est à dire Mick et Keith, n’auront vraiment roulé leur bosse d’auteurs-compositeurs de génie que pendant dix ans, et surtout d’Out of Our Heads (1965) à Sticky Fingers (1971). Depuis lors ils se contentent d’amasser la mousse et, contrairement au dicton, ils n’ont jamais autant bougé, enchaînant les tournées mondiales de plus en plus géantes, lucratives et vaines…

Seule la musique live semble apte à raviver encore la flamme d’une inspiration depuis longtemps éteinte. « Tu dis ça parce que Satisfaction te rappelle ton premier slow ! » objecteront les glands. Mais le répertoire du groupe sur scène en 2014 reste essentiellement composé de morceaux d’avant 1980 – alors même qu’on voit dans les salles des gens toujours plus jeunes que moi !

Mettons les choses au point, pour éviter un courrier inutilement agressif : non seulement je ne leur jette pas la pierre mais, dans les mêmes circonstances, je ferais pareil. L’inspiration est un papillon posé sur l’épaule, n’est-ce pas ? Qui sait combien de temps avant qu’il ne reprenne son vol, et s’il reviendra jamais ? Alors autant faire le selfie tout de suite, quitte à le revendre ensuite en sérigraphie à des milliards d’exemplaires…

Ainsi font les Stones, qui engrangent encore le blé produit par des semailles cinquantenaires – et ils ont bien raison ! Après tout, comme disaient les Rouleaux Sacrés, il y a un temps pour tout, un temps pour semer et un temps pour moissonner… 

GOD SAVE THE SPARKS !

Lundi 24 novembre/Un mot à la hâte, en relisant le précédent. Les Stones, vous et moi, c’est une chose ; mais Sparks, c’est différent ! « There’s no such thing as aliens », comme ils disent. Bien sûr les frangins vieillissent, mais pas leur inspiration, toujours aussi imprévisible et rafraîchissante. À chaque nouvel album, on dirait un jeune groupe soucieux de « faire ses preuves » – à ceci près que Ron et Russell n’ont plus rien à prouver qu’à eux-mêmes, sans souci du « qu’en-vendra-t’on ».

Trois succès internationaux en quarante ans, ça fait peu. Si c’était ça l’objet, croyez-moi que Ron et Russell, pas plus cons que d’autres, auraient lâché l’affaire depuis belle lurette… Par exemple pour en revenir à leurs premières amours respectives, le graphisme et le cinéma. Mais c’est la musique qui les a réunis, alors va pour la musique – et advienne que pourra !

Que dire de deux frères qui bossent ainsi ensemble pendant si longtemps sans jamais se fâcher, sinon que j’admire ? Leur secret partagé, c’est une échelle de valeurs plutôt rare de nos jours. Tout en haut, l’inaccessible perfection de leur art ; et d’un barreau l’autre, autant que possible, la fidélité de leur public, aussi petit soit-il. (À ce propos, si vous saviez comme on se sent plus important en tant que membre du fan club de Sparks que de celui, au hasard, des Stones…)

En tant que « loyal fan », j’ai même eu à traverser les basses eaux de l’inspiration sparksienne (1983-1993). Dix ans quand même, quatre albums laborieux – et même pas de quoi faire un single digne de leur nom… Je me suis consolé en réécoutant en boucle leur magnifique trilogie britannique des années 1974-1975 : Kimono My House/Propaganda/Indiscreet. Pourquoi diable ces Californiens sont-ils retournés aux États-Unis ? Et à quoi bon revenir ensuite à la civilisation, si c’était pour s’égarer aussitôt dans l’impasse pailletée du disco à la Moroder ?

Enfin 2002 vint – et son miracle, auquel sur le moment, bien entendu, je n’ai pas cru. Finis soudain la pop aérienne et le rock Castafiore qui avaient été mon absinthe, et dont je sniffais la bouteille vide… Finis, ou plutôt sublimés dans l’extravagant Lil’Beethoven. Imaginez un album où chaque chanson serait un mini-opéra, et dont l’ambiance marierait minimalisme hypnotique et symphonie baroque, avec quelques accès bienvenus d’art rock. Eh bien, Lil’Beethoven, c’est ça – même s’il m’a fallu plus de temps pour le comprendre que pour vous l’expliquer.

À l’âge où les autres groupes des 70’s se reforment entre survivants, après trente ans de brouille, pour payer leurs impôts à coups de tubes rouillés, Ron et Russell résurrectent ! Ils font une entrée fraîche et joyeuse, remarquable et même remarquée, dans le XXIe siècle.

À première écoute, donc, je suis tombé de cheval. « C’est quoi cette bouse ? », grondai-je le nez dans la galette de polycarbonate. Il a bien dû s’écouler un mois avant que je ne tente à nouveau l’expérience…

Subtilement dilué dans mon répertoire iPodique de l’époque, j’ai fini par aimer ce « Petit Beethoven », et même par convenir qu’ils n’avaient jamais fait mieux. Simplement, ils auraient pu prévenir.[/access]

*Photo : wikicommons.

Zemmour, Houellebecq, Truffaut, etc.

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Comme en 2011, 2012 et 2013 revenons sur les temps forts de l’année écoulée, de A à Z…

Trains. La mission première de la SNCF n’est pas de faire rouler des trains (ça se saurait !), mais de nous faire rêver. Ainsi, les gares, les aiguillages, les wagons eux-mêmes sont les lieux de mille enchantements, et d’autant de retards liés à des accidents graves de voyageurs… En 2014 la France a fait la connaissance de Jean-Pierre, un jeune-homme de 26 ans, faux contrôleur, qui écumait les trains depuis des années en uniforme SNCF réglementaire gris et violet, sans être salarié de la société publique. « C’est plus qu’une passion. Il a le vocabulaire technique des contrôleurs, ce n’est pas pour ne pas payer son billet. Il raconte spontanément qu’il a effectué 1000 trajets en train déguisé de la sorte, n’hésitant pas à aider les voyageurs » explique l’avocate du fétichiste. Originaire de Tahiti, ancien militaire, Jean-Pierre a été démasqué par un vrai contrôleur, à bord d’un Narbonne-Bordeaux, et interpellé en gare de Toulouse-Matabiau. Il a été placé sous contrôle judiciaire. L’histoire ne manque pas de faire songer à celle que raconte Spielberg dans Catch Me If You Can… On pourrait très bien entendre parler de lui, en tant que faux pilote de ligne, faux médecin, voire faux député… encore qu’il serait peut-être difficile, en ce cas, de faire la différence…

Truffaut. En 2014, nous avons célébré les trente ans de la disparition du cinéaste François Truffaut, fauché cruellement dans la fleur de l’âge (52 ans !) alors qu’il n’avait rien demandé au cancer et qu’il avait en plus des projets de films. La Cinémathèque a consacré une exposition (fétichiste à souhait !) au réalisateur de L’homme qui aimait les femmes, dans laquelle on a pu  voir une reconstitution de son bureau, sa correspondance avec Hitchcock, des trésors issus des collections des Cahiers du cinéma, etc. On a découvert, à cette occasion, une lettre pleine d’ironie que Truffaut adressait à Jean-Luc Godard au début des années 80 (le réalisateur du Mépris – après des années d’invectives – proposait aux cinéastes de la « Nouvelle vague » de grandes retrouvailles) : « Ton invitation en Suisse est extraordinairement flatteuse quand on sait à quel point ton temps est précieux. Ainsi donc à présent tu as remis les Tchèques, les Vietnamiens, les Cubains, les Palestiniens, les Mozambicains sur les bons rails et tu vas désormais te pencher avec sollicitude sur la rééducation du dernier carré de la Nouvelle vague. J’espère que ce projet de bouquin hâtif à fourguer chez Gallimard ne signifie pas que tu te fiches du tiers monde comme du quart. (…) J’attends ta réponse sans impatience (…) et il n’est pas question de bâcler la préparation de ton prochain film autobiographique dont je crois  connaître le titre : Une merde est une merde« . On regrette que la vie ne lui ai pas laissé le temps d’écrire ses mémoires… outre la très belle galerie de femmes qu’il aurait pu brosser, on se serait bien amusé…François Hollande – habitué à les… prendre, les 400 coups, a visité l’exposition et l’a jugé « magnifique » (selon un indiscret du Figaro). Il a fait le choix de venir un jour après moi. Il est évident qu’il cherche à m’éviter…

ZAD© =  » Zones à défendre « ©. Grand succès marketing de l’année. Les  » ZAD « ©, essentiellement composées de punks à chiens, de gugusses à keffieh, de dreadeux blancs et de tentes Quechua©… Le terme a émergé dans les médias à l’occasion du fiasco retentissant du projet de barrage de Sivens (dans le Tarn)… La retenue d’eau, destinée aux agriculteurs, devait dynamiser tout un territoire. Un campement écolo-libertaire, occupant sauvagement le chantier, a mis le projet au point mort. Tout cela à grands coups tapageurs de décroissance, et d’appels à la désobéissance civique… Touché par une grenade offensive lancée par les forces de l’ordre, un militant écolo, nommé Remi Fraisse, a perdu la vie. En pareilles circonstances c’est Mourir pour des idées de Brassens qui retentit en nous… « Mourrons pour des idées, d’accord, mais de mort lente » (bis).

Zaz/Zemmour. Année difficile pour les Historiens. Non seulement la chanteuse Zaz a créé le chaos total et la désolation en déclarant en pleine promo de son album de chansons rétro sur Paris, qu’il existait  » une forme de légèreté  » en France sous l’Occupation… Déchaînement furieux de commentaires acerbes sur Twitter, réactions courroucées d’Historiens professionnels dans les colonnes des journaux autorisés. Libé a « dénoncé » les propos de la chanteuse ! On a frôlé le « J’accuse ! ». Dans un registre légèrement différent le polémiste Eric Zemmour, connu pour ses énervements réacs et ses provocs incessantes, a créé l’émoi à cause d’un passage de son ouvrage « Le suicide français » qui a pu apparaître comme une tentative de « réhabilitation » du régime de Vichy. Tout le monde a donné son avis sur la question, sauf Zaz, curieusement… D’ailleurs, à ce propos, avez-vous remarqué qu’en lisant « Zemmour » à l’envers, et en changeant toutes les lettres cela donne : « Satanas ». Coïncidence ? Je ne crois pas…

2015. On apprend la publication début janvier du prochain roman de Michel Houellebecq chez Flammarion. L’opus, qui promet de faire couler beaucoup d’encre, proposera le portrait d’une France troublante aux prises avec l’islamisme. En 2022, au terme du second quinquennat de François Hollande (pitié, non…) un inquiétant parti « Fraternité musulmane » arrive au pouvoir, avec l’appui du PS et de l’UMP. François Bayrou est à Matignon. On instaure une « islamisation » de l’Education nationale, et la polygamie est autorisée. On connaît déjà le titre de ce sulfureux roman : Soumission.

Dans cette interview il dit quelques mots au sujet de son roman…

On va bien s’amuser…

*Photo : AGF/SIPA. 00691389_000009. 

Piketty, le revers du revers de la médaille

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thomas piketty legion honneur

Le 1er janvier 2015 vient de nous offrir pour étrennes une de ces petites polémiques dérisoires dont le mainstream parisien raffole. Thomas Piketty, économiste désormais notoire, figurant sur les décrets de promotion de la Légion d’Honneur du nouvel an, a refusé la distinction. Avec hauteur nous dit-on. Bigre.

Il n’est certes pas le premier, toute la journée les médias qui en ont fait des gorges chaudes nous ont communiqué la liste des prédécesseurs en refus. Je disais dans ces colonnes il y a déjà quelque temps que le refus de la médaille avait toujours son revers.

Regardons d’un peu plus près la petite comédie que l’on vient de nous présenter. Au préalable, à propos de ce que certains qualifient de hochet, afin que les choses soient claires et tout en restant dans le théâtre, rapportons-nous à Louis Jouvet, professeur d’art dramatique dans le film « Entrée des artistes ». C’est l’inoubliable séquence de la blanchisserie où ledit Jouvet s’afflige de constater « qu’on y lave en famille le linge sale des autres… »

« Je suis officier de la Légion d’honneur, je n’en tire pas de vanité. Je vous dis ces choses parce qu’aux yeux de certaines personnes cet accessoire vestimentaire confère à ceux qui le portent un certain prestige. Cet attribut me donne le privilège d’être écouté respectueusement par les imbéciles. Les autres ne me prêtant quelque attention qu’à cause de mon talent, de ma carrière et de mon passé. »

Quittons les sommets pour une première question. Comment Thomas Piketty pourrait-il prétendre ne pas avoir été au courant de la proposition de se voir nommé à ce grade ? La procédure menée sous la direction de la Grande Chancellerie est à la fois longue et minutieuse.  Le dossier de proposition doit être extrêmement complet et en partie rempli par le pressenti. CV détaillé, mémoire de soutien, casier judiciaire, parrainages etc. La liste des membres de la promotion, une fois établie par la Grande Chancellerie est approuvée en Conseil des Ministres. Thomas Piketty savait qu’il y figurerait. Il a donc monté une petite opération. Personne ne peut le croire lorsqu’il dit au matin du 1er janvier : «je viens d’apprendre que j’étais proposé pour la Légion d’honneur ».

Donnant l’occasion au Grand Chancelier, le général Georgelin,  de lui donner une petite leçon de savoir-vivre républicain : « La plupart de ceux qui font connaître leur refus publiquement agissent ainsi pour attirer l’attention sur eux ou sur le combat qu’ils mènent. Ceux qui la refusent pour de bonnes raisons – un souci d’indépendance, un excès d’humilité – , des raisons que je comprends parfaitement, s’arrangent toujours pour nous le faire savoir discrètement, avant la publication de leur nom au Journal Officiel. »

« Discrètement » ce n’est pas le registre choisi par Thomas Piketty. Et quelles sont donc les raisons avancées de ce refus dont il a voulu qu’il soit porté à la connaissance du bon peuple ?

«Je refuse cette nomination car je ne pense pas que ce soit le rôle d’un gouvernement de décider qui est honorable ». Là, on est quand même dans le culot d’acier. Mais dites-moi cher Monsieur ne faites-vous pas partie de cette particularité française (comme Jean Tirole d’ailleurs) de ce que l’on appelle « les économistes d’État » ? C’est cet État, c’est-à-dire nous les contribuables, qui depuis toujours vous paye. Vous permettant ainsi, de faire vos recherches et de publier vos livres. J’aurais tendance à penser que non seulement l’État légitimement représenté par ce gouvernement, a le droit d’apprécier ce que vous faites mais qu’il en a même le devoir.  On ajoutera à l’attention du libertarien de fraîche date que vous semblez devenu,  que dans une démocratie représentative républicaine c’est effectivement aussi le boulot du gouvernement.

Vous avez ajouté : «Il ferait bien de se consacrer à la relance de la croissance en France et en Europe.» Accrochons-nous pour ne pas tomber à la renverse. Vous avez fait partie avec d’autres de ces économistes qui ont préparé l’arrivée de François Hollande à la Présidence. Vous avez clairement et à plusieurs reprises appelé à voter pour lui. Appartenant à ces petits cercles, vous saviez pertinemment ce qui nous attendait et quelle serait la politique menée.

Ah oui, mais là ce n’est pas pareil. La catastrophe s’approche, elle est inéluctable. Alors il faut quitter le navire. En essayant par le refus de la médaille de donner du panache à la sortie. Et par la démagogie des motifs faire croire qu’elle se fait par bâbord.

La Rochefoucauld nous avait dit il y a déjà longtemps : « le refus des louanges, c’est vouloir être loué deux fois ». Thomas Piketty a essayé la passe de trois. Laisser passer la nomination au J.O., refuser à grand son de trompe, et sortir à gauche.

Le Diable a toujours reconnu que le défaut qu’il préfère chez les hommes, c’est la vanité.

 *Photo :  WITT/SIPA. 00700904_000006. 

Casseurs : la loi du petit nombre

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sivens insecurite fraisse

Sommes-nous encore en démocratie ? Quand nos gouvernants semblent de plus en plus soumis au chantage de minorités agissantes qui imposent leurs funestes idées à la majorité silencieuse, la question n’est nullement rhétorique. Et les événements de Sivens ne rassurent guère sur la santé de notre République. Quand des lobbies font la loi, il n’y a plus de chose commune.

De quoi parle-t-on ? D’une centaine d’extrémistes armés de barres de fer, de cocktails Molotov, et d’une rage qui leur fait mépriser le risque que chaque dérapage émeutier leur fait courir, à eux ou à la police. Seulement, bien sûr, derrière les « enragés » – dénomination curieusement flatteuse en langage médiatique –, il y a des romantiques, des idéalistes, des suiveurs emportés par la vague, comme ce jeune homme qui a eu la vie arrachée. On imagine la peine de la famille. Tout ça pour ça, tout ça pour quoi ? À quoi s’opposaient-t-ils ? Un barrage dans des marécages… un projet monté par des élus, des représentants du peuple, des dépositaires de l’État de droit. Dans n’importe quel pays démocratique, on déplorerait le terrible accident qui a tué un manifestant sans pour autant remettre en cause les décisions prises par la représentation populaire. « Un flic, une balle, justice sociale », hurlaient-ils à l’adresse de l’État. Et l’État, prêt à se déjuger sous le diktat de l’émotion, semble leur donner raison. Au prétexte de rendre justice à la victime, on donne une prime à la violence.

Il y a bien une victime. Reste à savoir ce qui l’a tuée. Une terrible erreur policière, sans doute. Le spectacle télévisuel pitoyable de Cécile Duflot, s’affichant toute pudeur bue, les larmes aux yeux, en pleine Assemblée nationale, suggère qu’il a aussi été victime de l’irresponsabilité et du cynisme politiciens. Et nous voilà conviés au bal des hypocrites, où ceux qui, la veille, encourageaient des gamins à se battre à 2 heures du matin, s’affligent bruyamment de la mort d’un jeune qu’ils prétendent, pour finir, enrôler comme martyr.[access capability= »lire_inedits »]

Au lendemain du drame, des politiques se bousculent devant les caméras pour exprimer leur « émotion », « exiger des mesures » pour que « cela n’arrive plus jamais ». Au sommet de l’État, on cherche à « calmer le jeu ». On mènera une enquête, on envisage d’ôter leurs armes aux gendarmes. Le citoyen lambda est le témoin affligé et impuissant de tant lâcheté. L’État est-il devenu si faible, si peu sûr de son bon droit, qu’il n’imagine d’autre réaction aux cris d’indignation amplifiés sur tous les écrans que la reculade et l’effacement de ses propres principes ?

Comment des minorités peuvent-elles faire ainsi plier la loi et ceux qui sont chargés de la défendre ? La première explication est des plus prosaïques. Une armée d’oisifs, de marginaux et autres étudiants en sociologie jouit d’un avantage comparatif sur le « boloss » qui s’obstine à aller au boulot : elle dispose d’un temps considérable. L’idéologie fait le reste : compassionnalisme à tous les étages, culte du mythe révolutionnaire, mépris du peuple qui vote mal et à qui on prétend enseigner les bonnes manières de penser.

De reculade en reculade, l’exemple s’est imposé : pour écrire ou modifier l’histoire de France, pas besoin d’être nombreux, il suffit de caillasser, de briser des vitres, de brûler des voitures et d’insulter des flics. À la mi-novembre, alors que la mobilisation lycéenne contre les « violences policières » prétendument responsables de la mort de Rémi Fraisse s’était rapidement essoufflée – on se lasse vite de jouer à la guérilla, surtout en période de vacances –, quelques centaines d’irréductibles parvenaient encore à bloquer ou à perturber des dizaines de lycées, tandis que l’université de Rennes se voyait contrainte de bloquer ses accès par peur des violences. Que dire d’un État incapable de garantir à ses citoyens le droit élémentaire d’aller à l’école ou à la fac ?

Le plus inquiétant, c’est qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé que l’on pourrait mettre au compte d’une émotion somme toute compréhensible. Céder aux caprices et aux oukases de lobbys aussi vindicatifs qu’ils sont numériquement faibles est devenu un principe de gouvernement. Ainsi l’activisme débridé, parfois violent, et parfois juste ridicule, de « collectifs », associations et coteries diverses, épaulés par d’impayables experts et sociologues appointés (comme l’insubmersible Mucchielli), qui grenouillent autour ou à l’intérieur du pouvoir, prend-il le pas sur l’expression démocratique.

Plus ces nouvelles avant-gardes sont minoritaires, plus elles se croient autorisées à imposer au peuple leurs idées farfelues, démentes ou dangereuses. Arrêtons-nous sur le cas des Verts, qui sont en train de tuer la belle idée d’écologie en la coloriant de rouge. Que le PS leur ait offert leurs électeurs sur un plateau, dans le cadre d’une combinazione préélectorale, ne les a pas empêchés de mettre leur grain de sel dans d’innombrables dossiers : loi Alur, fiscalité des entreprises, du capital ou des particuliers, normes de construction, centres de shoot. Voilà un parti qui a su rentabiliser ses 2,31 % à la présidentielle. Difficile d’avoir un meilleur ratio représentativité/influence.

Dans de nombreux domaines de la vie publique, des groupes de pression plus ou moins visibles et organisés influencent directement l’action publique dans un sens conforme à leurs intérêts catégoriels. De ce point de vue, l’insécurité est un cas d’école. Qu’ils soient de gauche ou de droite, les Français, dans leur immense majorité – 70 à 80 % à en croire certains sondages – aspirent à un retour de la tranquillité, du civisme, de l’ordre, en un mot de la justice – qui passe par la punition du coupable. Et les lois s’empilent en sens inverse, tout simplement parce que les lois sont écrites sous la dictée du Syndicat de la magistrature, minoritaire chez les magistrats eux-mêmes. Quelques « juges rouges » peuvent donc ériger en dogme la culture de l’excuse, en contradiction totale avec ce que veut le peuple français, au nom duquel la justice est rendue.

En matière d’éducation, le même renversement des valeurs est à l’œuvre. Là aussi, des minorités surpuissantes mènent depuis des décennies une guerre contre le bon sens, ordonnant les déconstructions successives qui ont ruiné la qualité de l’instruction, infligeant aux élèves et aux professeurs leurs lubies pédagogistes et modernistes, il suffit de lire un manuel scolaire pour s’en rendre compte. Là encore quelques idéologues prétendent piloter le formatage des cerveaux des enfants contre l’avis des parents – « s’appuyer sur la jeunesse pour changer les mentalités », disait Benoît Hamon. Alors que le mérite, l’effort, l’exigence sont plébiscités par la majorité, on envisage la suppression des notes et la fin des internats d’excellence et on prépare en douce la mise au pas des prépas, dernier bastion de la méritocratie – trop bourgeoise, sans doute.

Si l’éducation n’est pas venue à bout de toute singularité, l’aristocratie de la culture s’y emploiera. Le népotisme, les réseaux subventionnés, les connivences politiques et le conformisme de l’anticonformisme se coalisent pour dicter au peuple ignorant ce qu’il convient d’aimer. Une étroite caste se partage les places et les honneurs, condamne à l’oubli et à la précarité d’authentiques créateurs et se gausse des ploucs horrifiés par le plug anal géant, tellement rebelle, de Paul McCarthy place Vendôme.

Curieuse époque, tout de même, qui célèbre la démocratie citoyenne et ignore les aspirations fondamentales des citoyens. La génération 68 a perdu la bataille idéologique : de plus en plus de Français veulent en finir avec l’héritage de sa révolution d’enfants gâtés. Mais elle entend toujours régenter les esprits. Et quand elle échoue à convaincre, elle n’hésite pas à châtier, comme en témoignent les innombrables procès en sorcellerie et les mises en quarantaine prononcées à l’encontre de tous ceux qui ne pensent pas droit.

Le plus grave, c’est que ces minorités agissantes (dont la puissance est à la mesure de la faiblesse de l’État) contribuent à soulever les Français les uns contre les autres. On l’a vu lors du débat pipé d’avance sur le « mariage pour tous ». Le lobby LGBT (dépourvu de toute représentativité) voulait un affrontement frontal : les insultes proférées contre les opposants, les manipulations, les amalgames honteux, le refus de toute discussion – les mots « droits » et « égalité » suffisant à réduire l’adversaire au silence –, ont abouti à ternir l’image d’une communauté qui auparavant avait la sympathie de tous ou presque. La majorité des homosexuels aurait sûrement préféré un débat plus serein.

On pourrait encore évoquer le jusqu’au-boutisme de certaines associations féministes qui ont déclaré la guerre au « vieux mâle blanc hétérosexuel », la cécité que tentent d’imposer les « antiracistes », ou encore certains syndicats capables de bloquer le pays ou de conduire des entreprises au cimetière sans que personne n’y puisse rien. Mais on n’en finirait pas.

Reste à s’interroger sur la curieuse complaisance des médias pour ces opinions minoritaires et ceux qui les portent, quand ces mêmes médias ne cachent pas leur mépris pour les idées partagées par un grand nombre de leurs concitoyens. En effet, cette tyrannie du petit nombre ne peut s’exercer que grâce à d’efficaces porte-voix médiatiques. Faisant en quelque sorte office de lobby des lobbies, les médias deviennent ainsi les adversaires du pluralisme qu’ils prétendent incarner.

Chaque jour, la loi de la République doit ainsi s’incliner devant la loi de la minorité. Et on ne voit nul homme d’État se dresser contre ce festival de revendications catégorielles auxquelles s’ajoutent désormais des exigences religieuses et culturelles. Au contraire, les élus auxquels le peuple a confié la défense de l’intérêt général somment sans cesse ce peuple de « s’adapter », de « respecter les différences » et, finalement, d’effacer la sienne pour ne pas « stigmatiser ». Face à cette forme larvée de dictature, on songe à ce que penserait de Gaulle s’il revenait nous visiter. « La chienlit au pouvoir ? » Il n’y croirait pas un instant.[/access]

*Photo : SALOM GOMIS SEBASTIEN/SIPA. 00699456_000003.

La liberté de Zemmour, c’est notre liberté à tous

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Un Premier ministre appelle ses concitoyens à boycotter le livre d’un opposant ; son ministre de l’Intérieur demande sa mise au ban, sur la base d’un truquage éhonté de ses propos ; des médias, des associations, des intellectuels dénoncent en boucle l’ennemi du peuple ; des journalistes réclament que l’on fasse taire cette voix dissidente – et se réjouissent bruyamment d’avoir en partie gagné.

Ça ne se passe pas dans la Russie des années 1950, mais dans la France de 2014.

Qu’ils soient de gauche ou de droite, « mariage pour tous » ou « manif pour tous », adversaires ou partisans d’Eric Zemmour, ceux qui chérissent la liberté d’expression doivent savoir, après son limogeage par iTélé, qu’elle est aujourd’hui menacée.

On peut être en désaccord partiel ou radical avec Eric Zemmour, on peut critiquer et réfuter ses thèses. Elles ne sortent pas du cadre de l’acceptable, tel qu’il est défini par la loi et la décence commune. Si on pense que ses idées sont dangereuses, il faut les combattre, argument contre argument, conformément à l’héritage des Lumières et à l’art français de la polémique. Mais sur ce champ de bataille, une arme devrait être proscrite : celle qui consiste à faire taire l’adversaire.

C’est pourtant celle qu’a choisie iTélé, en supprimant « Ça se dispute » son émission la plus populaire, donc la plus rentable. Cette décision, qui sacrifie ses profits à ses « valeurs », peut sembler noble et vertueuse. On aimerait cependant savoir comment le groupe Canal +, propriétaire de iTélé, a pu, des années durant, oublier ces « valeurs » qui lui sont si chères et contribuer à la diffusion d’idées si détestables. On aimerait aussi comprendre ce qui l’autorise à faire si peu de cas du public d’Eric Zemmour.

Rappelons que c’est sur la base d’un dossier mensonger concocté (involontairement ou pas) par un journaliste italien et ficelé par Jean-Luc Mélenchon qu’a été lancée une campagne demandant explicitement aux médias employant Zemmour de le licencier. Autrement dit, ce n’est pas pour ce qu’il a dit ou écrit qu’on veut le bâillonner, mais pour ce qu’on lui fait dire.

Rappelons que de trop nombreux journalistes, et pas seulement à iTélé, se sont joints avec ardeur à ces campagnes maccarthystes.

Rappelons que des millions de Français se reconnaissent dans les thèses exprimées par Eric Zemmour et que des millions d’autres, sans être d’accord avec lui, souhaitent qu’il puisse s’exprimer librement.

Quand des puissances politiques, médiatiques et économiques se coalisent pour exclure du débat public une partie des électeurs/téléspectateurs, c’est la démocratie qui est en jeu.

Nous ne laisserons pas faire. Montaigne dit qu’il faut « frotter sa cervelle contre celle d’austruy ». Nous continuerons à débattre de tous les sujets, y compris les plus sensibles – et surtout ceux-là –, même avec ceux dont les idées nous déplaisent – et surtout avec eux. Les censeurs peuvent gagner des batailles. C’est la liberté de penser (et de se disputer) qui gagnera la guerre.

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N.B : Votre adresse mail n’apparaîtra pas dans la liste des signataires que vous pouvez consulter ici.

Grèce : Syriza au pied du mur

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grece syriza tsipras

Les élections démocratiques sont souvent affaires de malentendus. Pour rassembler plus large que son camp, il est fréquent d’employer des formules d’équilibriste, quitte à prendre quelque liberté avec la vérité. La Grèce serait-elle une exception ? Les sondages attribuant environ 30% d’intentions de vote à Syriza, la coalition de la gauche radicale hellène, posent la question.

Dans l’imaginaire collectif, ce parti incarne une véritable alternative. Pour certains, il s’agit d’une rupture avec l’« austérité », c’est-à-dire la politique économique et sociale menée depuis bientôt six ans par la droite et la gauche modérées. Pour d’autres, Syriza engagerait une rupture selon la définition qu’en donnait Mitterrand en 1971 : la révolution. Aujourd’hui, au sein de Syriza, ces deux options politiques – réformiste et révolutionnaire – se mélangent. Jusqu’ici, cette dualité sert de double aimant attirant vers ce mouvement  et son leader Alexis Tsipras – dont la contribution personnelle au succès du parti est loin d’être négligeable –  à la fois les partisans d’une rupture avec le capitalisme et les tenants d’une simple réforme de l’ordre établi. Concrètement, le parti envoie un message double. D’un côté, il dénonce l’austérité avec un discours et des slogans extrêmement durs ; de l’autre, il se garde d’ouvertement remettre en cause le cadre de l’Union européenne et de la zone euro.

Le programme économique présenté par Syriza, une véritable liste au Père Noël, accroît un peu plus le malaise : création de 300 000 emplois dans les secteurs privé, public et solidaire (l’équivalent de 2 millions d’emplois en France), salaire minimum à 751 euros, élargissement de la durée et du nombre de bénéficiaires de l’allocation chômage, etc. Ajoutez à cela la gratuité de l’électricité, des soins ou des transports publics pour les foyers vivant sous le seuil de pauvreté ainsi que la baisse de la TVA sur le fuel de chauffage. Même ceux qui jugent ces mesures justes et judicieuses ont bien du mal à expliquer comment un gouvernement grec dirigé par Syriza pourrait les financer sans effacer la dette, faire marcher la planche à billets et nationaliser les banques…

Dans l’état actuel des choses, Alexis Tsipras propose donc de mettre fin à l’austérité – ce qui, fait espérer du boulot aux chômeurs grecs et des augmentations de salaire aux fonctionnaires – avec l’accord de l’Union européenne et de la BCE. Cette proposition n’est sans rappeler la démarche qu’avait engagée François Hollande en 2012 : lui président fraîchement élu, revêtu d’une  légitimité sortie toute chaude des urnes,  il comptait convaincre Angela Merkel de faire un virage à 180 degrés en lui accordant ce qu’elle avait refusé à Sarkozy. Hollande prétendait que l’arrivée au pouvoir de la gauche française aurait un effet domino en Europe et déclencherait la victoire des gauches voisines, à commencer par les sociaux-démocrates allemands. Rétrospectivement, ce scénario s’est révélé un chouïa plus compliqué que prévu…

En Grèce, Syriza, comme d’autres formations de la gauche radicale en Europe, est piégée par la contradiction entre son analyse et son projet politique. Comme l’a montré le référendum écossais de septembre dernier, la peur des incertitudes liées à une sortie de l’Euro reste un facteur politique déterminant aux yeux des électeurs. Ces derniers préfèrent menacer de quitter l’euro,  plutôt que de mettre cette menace à exécution !

Pour le moment, Syriza navigue entre ces contradictions, au point que Tsipras se fait le chantre de l’ambiguïté : devra-t-il réformer d’une manière révolutionnaire ou révolutionner la réforme, sachant que ces deux options risquent d’entraîner des lendemains qui déchantent ; traduisez, en grec moderne, une « aube dorée ».

S’il arrivait aux responsabilités, Syriza aura une décision déchirante à prendre : soit renégocier, autrement dit accepter le principe de la politique actuelle moyennant quelques aménagements, soit assumer une franche rupture, y compris avec la frange de son électorat qui ne souhaite pas sortir de l’euro. Or, si Syriza opte pour la réforme – ce qui semble le plus probable –, il se mettra à dos toute la partie révolutionnaire de sa base. Pire encore, imaginez la réaction des Podemos, Front de Gauche, Occupy Wall Street et autres Indignés, si Tsipras se hollandise avant l’été.

Bref, les prochaines élections grecques clarifieront les positions idéologiques des uns et des autres. De ce point de vue, il serait salutaire pour toute l’Europe, hexagone compris, de voir un cousin idéologique de Jean-Luc Mélenchon accéder au pouvoir, avec tous les risques que cela comporte…

 *Photo : Nicolas Messyasz/SIPA/SIPA. 00681433_000013.

ONU : Ô nanisme!

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onu onanisme traduction

Le travail des traducteurs onusiens est un labeur minutieux et colossal. Des milliers de pages sont traduites chaque jour entre les centaines de langues utilisées par les pays membres. Une erreur de traduction dans un document officiel peut entraîner des malentendus graves, voire conduire à une crise politique.

Ona Koyamé est bien consciente de la responsabilité qu’implique son métier. Elle intervient souvent sur la liste de discussion des traducteurs brevetés ou affiliés de l’ONU où la communauté mondiale des truchements s’épaule, se renseigne, s’entretient et bat le tam-tam vingt-quatre heures sur vingt-quatre, couvrant tous les fuseaux horaires de la planète.

Dans ce cercle d’érudits et de Bons Samaritains, Ona est parmi les intervenants les plus actifs, avec plus de 3 200 posts publiés en 147 jours de travail effectif au sein du bureau des NU de Nairobi. Aujourd’hui, pourtant, est un jour particulier. Suite à un attentat-suicide devant le bureau du CICR, à deux immeubles du sien, le quartier administratif a été bouclé et le courant est resté coupé quelques heures durant. Les oreilles encore engourdies par la détonation, Ona venait de ramasser les bris de vitres et d’épousseter son poste de travail lorsque sa bécane a redémarré avec un couinement familier. Elle n’a pas envie de se remettre au clavier à moins d’une demi-heure de la fin du travail, mais serait-elle bien avisée de sortir trop tôt dans la rue, encombrée de policiers et de secouristes ? Et puis – surtout – elle n’a pas consulté l’actualité du groupe depuis la pause de midi.

Le seul post qui soit parvenu à retenir son attention en un moment pareil est laconiquement intitulé « Nanisme » (“Dwarfism”). Il émane d’un de ses correspondants préférés, le très scrupuleux Michael Komarek, de Fribourg-en-Brisgau, par ailleurs docteur ès sciences sociales.

« Quelqu’un a-t-il connaissance d’une recommandation spécifique visant à désigner les groupes ou individus caractérisés par cette condition physique particulière ? », demande Michael dans l’anglais à la fois impeccable et aphone des gens qui n’utilisent une langue qu’à l’écrit. [access capability= »lire_inedits »] Méticuleux, il précise : « Je me suis livré à quelques recherches d’arrière-plan et me suis fait une idée de la manière dont le problème est traité dans les divers pays. En l’occurrence, je m’intéresse spécifiquement aux usages en vigueur aux Nations unies. Si l’un(e) ou l’autre d’entre vous l’a rencontré dans un contexte UN, je recueillerais volontiers vos suggestions. » Et il termine avec l’offre rituelle de mise en commun : « Si d’aucuns sont intéressés par mes conclusions, faites-le-moi savoir et je les partagerai avec vous. »

Le message n’est pas ancien – moins d’une heure – mais il a déjà suscité une réplique de l’omniprésente Serena, de Cork, qui a des avis sur tout :

« Cher Mitch,
On m’a recommandé à l’UNOG d’utiliser le terme “gens de très petite stature”. Mais je crois que Pilar a quelques idées sur le sujet. Peut-être ferais-tu bien de la consulter ? Best, Serena. »

« C’est bien elle », se dit Ona : « Si tu penses que Pilar est plus futée que toi, pourquoi ne la laisses-tu pas répondre elle-même ? Hein ? » Un peu pincée de s’être fait devancer, Ona google rapidement le terme en ciblant les sites des principales organisations internationales et compose en toute hâte une réplique en profitant de son avance horaire sur Pilar, de l’Unesco à Lima, qui dort encore.

« Cher Michael,
J’ai consulté les collègues et identifié en particulier les pratiques au sein de l’OMS. On y suit les directives sur l’expression non discriminatoire qui sont assez larges : tu peux par exemple dire “gens vivant avec le nanisme” (“people living with dwarfism”) ou “personnes atteintes de nanisme”. Un collègue suggère la formule “personnes à croissance restreinte” (“people with restricted growth”). J’espère que ceci te sera utile. »

L’Irlandaise fait feu dans la minute, comme on pouvait s’y attendre :

« Chère Ona,
C’est intéressant, mais cela n’élimine pas tout à fait le concept qu’on veut justement éviter. Kisses ! Serena. »

Michael tranche sans pitié pour couper court à l’escalade :

« Serena, Ona,
Merci à toutes les deux. J’aime bien “personnes atteintes de nanisme”. Cela sonne neutre, et en même temps c’est suffisamment spécifique pour éviter la confusion avec les “personnes de petite taille” ou les “personnes affectées de nanisme”. Il s’agit là de variantes assez répandues, sans compter les “nains” et “nabots” que j’ai eu la surprise de découvrir jusque dans la correspondance institutionnelle ! »

Savourant sa victoire sur la pie anglo-saxonne, Ona éteint son ordinateur pour finir sa journée sur une note positive et sort dîner en évitant les rues encore bouclées. Elle ne consultera ses messages que très tard dans la soirée. Ulcérée et vaguement culpabilisée par son retard, elle lancera une contre-attaque rageuse et décisive contre le troll qui, entre-temps, aura mis le groupe en ébullition.

« Si je me souviens de ce que j’ai écrit ? Tu me prends pour un gâteux ?, me demandait Fred Hissim, un peu irrité, en finissant son demi au comptoir d’un bar genevois. Et pourquoi n’appellerait-on pas un nain un nain ? Voilà, c’est tout. C’était peut-être un peu raide, mais pas malveillant. Pas discriminatoire, comme ils disent. D’ailleurs, tu as ça sur papier, avec tout le reste de la conversation. Et maintenant, avec ta permission, je vais aller pisser. Ou plutôt : délivrer mes mictions. Je sais plus comment faut parler, moi… »

Il dégringola de son tabouret et fila aux toilettes. Pendant ce temps, je feuilletai la liasse d’échanges imprimés qu’il m’avait laissée. Hissim avait saisi le premier avocat du travail venu – moi, justement – pour essayer de retrouver son job au Bureau international du travail, qui venait de le priver du sien au terme d’une campagne de dénonciation initiée sur le Net. Il n’y avait aucune base légale à sa rupture de contrat. Le traducteur aurait dû utiliser son adresse e-mail privée plutôt que celle du bureau, argumentait le RH. Il invoquait aussi l’atteinte à l’image de l’Organisation, la rupture de confiance. Or il n’avait jamais rencontré son employé, c’était évident. On tenait là un point…

Lorsque Hissim revint s’asseoir, je lui tendis la main, qu’il déclina. De fait, il se débrouillait très bien tout seul.

« C’est vrai que j’aurais dû baster tout de suite au lieu de me disputer avec ces rombières. Tu comprends, c’était le dernier boulot qu’il me restait. Avec ma moitié de sang arabe, et la langue qui va avec, j’ai pas eu trop de peine à décrocher le brevet de traducteur. Mon vrai prénom, c’est Farid. Fred, ça fait moins bougnoule. Si on me prive même de ça, maintenant…

– Et avant, Fred, tu faisais quoi ?

– Bah ? T’as jamais entendu parler du Sublime Hissim, le nain volant ? Mais ça aussi, ils me l’ont sucré. Lutte contre la discrimination, paraît-il. Déjà… »[/access]

*Photo : wikicommons.

Plug anal, Nabilla, Conchita Wurst, etc.

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conchita nabilla sydney

Comme en 2011, 2012 et 2013 revenons sur les temps forts de l’année écoulée, de A à Z…

Plug anal. En 2014 – grâce à l’érection (on dit comme ça) d’une statue gonflable géante sur la place Vendôme à Paris – la plupart des français ont découvert l’existence du  » plug anal « , sex toy condamné à entrer par la porte de service. Le sapin géant équivoque de l’artiste plasticien américain Paul McCarthy (à ne pas confondre avec Paul McCartney et Joseph McCarthy, qui avaient, eux, du talent dans leurs spécialités respectives) a fait couler beaucoup d’encre… On s’est indigné, on a gloussé… Puis des vandales ont crevé la baudruche. D’autres personnes se sont indignées. Des ministres sont montés au créneau pour dénoncer l’art menacé par la bête immonde. Mais, curieusement, les chenapans n’ont pas été arrêtés… alors que le forfait a eu lieu sur une place ultra-surveillée, adresse historique du Ministère de la Justice et d’une demi-douzaine de joailliers de prestige. L’affaire a franchi les frontières et l’on a parlé du plug/sapin français à travers le monde entier… J’ai fait un rêve… l’Arabie Saoudite, sur la base d’un malentendu, commandait 10.000 unités de son sapin à McCarthy et annonçait la prochaine inauguration d’une forêt artificielle géante dans le désert…

Poignard. Nabilla 1ère (de son nom complet Nabilla Benattia) est né en 1992 ; l’année où Renault a fermé son usine de l’île Seguin à Boulogne-Billancourt, et où le grand Jean Poiret a été rappelé à Dieu. C’est sans rapport me direz-vous ? Peut-être. Il n’empêche que l’on a beaucoup parlé de Nabilla Ière cette année. La starlette de téléréalité, connue pour sa grande taille, sa capacité pulmonaire hors-norme et son immense distinction, est mise en examen en novembre pour tentative de meurtre et violences volontaires aggravées sur son compagnon. On la soupçonne d’avoir poignardé Thomas, lui-même ancien candidat de l’émission Secret Story. Universellement connue pour une vidéo dans laquelle on l’entend dire : « Allô ! Non, mais allô quoi ! T’es une fille, t’as pas d’shampooing ? Allô, allô ! J’sais pas, vous m’recevez ? T’es une fille, t’as pas d’shampooing ! » la jeune-femme avait fait part au Parisien, il y a quelques mois, de son amour de Romain Gary. J’avais failli être touché. (Loana Ière se foutait de Gary comme d’une guigne…) La starlette, libérée sous contrôle judiciaire a fait savoir qu’elle souhaitait se « retirer momentanément » de la scène médiatique. Tout est dans le « momentanément »… Le procès aura lieu dans le courant de l’année 2015. On ne sait pas encore si « Nabilla-purge-sa-peine-à-la-prison-de-la-santé » fera l’objet d’un nouveau show de téléréalité…

Poisse (Conte de Noël) Certains individus se caractérisent par une poisse colossale, qui entraîne dans leur vie toute une série de catastrophes…Dans certaines cultures on parle de scoumoune (Du latin excommunicare, excommunier, par l’intermédiaire de l’italien ou du corse) ou encore du « mauvais œil ». Et d’ailleurs si un mec qui a le mauvais œil a en plus des problèmes oculaires, cela peut tendre au sublime… On apprend qu’à Saint-Vaast d’Equiqueville (ne cherchez pas sur une carte…) en Seine-Maritime, un adolescent pourrait remporter la palme du pire poissard de l’année 2014… en effet, le jeune-homme a involontairement mis le feu à sa maison, et à celle de ses voisins, après avoir entrepris de brûler les emballages de ses cadeaux de Noël. « Il a brûlé des cartons et le feu s’est propagé à un appentis où il y avait du bois de chauffage » précise à l’AFP un porte-parole de la gendarmerie. Nul doute qu’il fait partie de cette race – si poétiquement incarnée au cinéma par Pierre Richard – de ceux qui ne manquent pas de se casser la jambe aux sports d’hiver, de s’asseoir sur le seul strapontin cassé quand il vont au cinéma, de se trouver systématiquement là où tombe la foudre… Souhaitons-lui bon courage. Il en aura besoin.

Saucisse. Il se passe souvent des choses interlopes en mai… En 1968 les étudiants petits bourgeois jetaient des pavés sur les CRS prolo, en 1981 les français envoyaient à l’Elysée un président socialiste… et en 2014, c’est Conchita Wurtz – travesti autrichien barbu portant robe et escarpins – qui a gagné le concours de l’Eurovision, grand-messe ringarde, et summum du mauvais goût musical contemporain… Un travesti ! En pleine année de débat furieux sur le mariage pour tous ! Le succès au sein de la presse alignée a été immédiat, et il est arrivé à Conchita ce qui arrive aux intellectuels à la mode et aux phénomènes sociétaux, il/elle a fait l’objet d’un portrait de deux pages, outrageusement premier degré, dans Libé. L’auteur, au comble de l’excitation, se félicitait qu’ainsi, « le ‘peuple’ célèbre, en mondiovision, une femme à barbe, un homosexuel travesti. » Le journaliste prévient : « Conchita Wurst ne veut pas sauver le monde, elle veut devenir célèbre, et c’est déjà beaucoup de travail. » Dans la foulée de sa victoire Conchita a été invitée par des eurodéputés (dont la vice-présidente écologiste autrichienne Ulrike Lunacek) à venir chanter sur l’esplanade du Parlement contre l’homophobie… On voit par là que l’Europe va bien. (C’était ironique).

(Voir aussi « Plug anal ».)

Sydney. Un réfugié iranien de confession musulmane dénommé Man Haron Monis, résident en Australie depuis 1996, prend en otage les clients d’un café de Sydney… Le terroriste, connu des services de police, poète raté et numérologue sur le retour se fait appeler Cheick Haron et aurait prêté allégeance à l’organisation de l’Etat Islamique. L’opération calamiteuse se solde, dans un bain de sang, par trois morts et une demi-douzaine de blessés graves (le bilan définitif n’est pas encore connu). Il ne fait absolument aucun doute, dès à présent, que les motivations du preneur d’otages étaient religieuses, et inspirées par le Djihad… Pourtant les vigilants médiatiques professionnels et les apôtres du Padamalgam (entendez : « pas d’amalgame ») ont riposté immédiatement, sans délai, pour dire d’abord que l’on avait affaire à un « déséquilibré », à un « loup solitaire » (mais plusieurs loups solitaires finissent par former une meute…) et, mieux…qu’il était urgent, toutes affaires cessantes, de proclamer à cette occasion une empathie universelle avec les musulmans… Ainsi, les médias et les éditorialistes qui vont dans le bon sens nous ont exhorté d’utiliser sur les réseaux sociaux le hashtag #Illridewithyou (je voyagerai avec vous), en forme de message de solidarité. Pour les messages en mémoire des victimes on repassera.

à suivre…

*Photo : wikicommons.

En manque d’espace

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conquete spatiale rosetta

conquete spatiale rosetta

Rosetta, Philae, Tchouri : dans une actualité mortifère, ces trois noms ont apporté un peu de joie prométhéenne dans les gazettes. Une sonde spatiale avait réussi à déposer un petit robot sur une comète, pour la première fois. L’exploit fut célébré universellement et le chef de l’État, tout heureux d’un projet franco-européen qui, pour une fois, avait parfaitement fonctionné, s’est exclamé : « Vous avez gagné, c’est une avancée considérable de la conquête spatiale. » Alors, d’où est venue la manière de mélancolie qui s’est emparée de votre serviteur ? La vision des premières photos qui renvoyaient, dans leur nudité glacée, au célèbre fragment de Pascal, « le silence de ces espaces infinis m’effraie » ? Non, répétons-le, nous ne ressentions pas de la frayeur, mais de la mélancolie.[access capability= »lire_inedits »] Sans doute est-elle celle de ma génération, qui a tellement rêvé à l’espace, à sa conquête, aux voyages qu’elle nous annonçait pour un futur proche qu’elle est secrètement déçue que cette épopée se réduise à un bout de ferraille téléguidé sur un caillou en perdition, sans un être humain à bord.

C’est que nous avions vu, vers l’âge de 5 ans, par la grâce de l’unique télé du quartier qui se trouvait au bistrot du coin, juché sur des épaules paternelles, les premiers pas de l’homme sur la Lune, une nuit de juillet 1969. C’est qu’ensuite nous avions lu Jules Verne dans De la Terre à la Lune et Ray Bradbury dans les Chroniques martiennes, le premier annonçant à propos de ses cosmonautes : « D’ailleurs, je les connais, ce sont des hommes ingénieux. À eux trois ils emportent dans l’espace toutes les ressources de l’art, de la science et de l’industrie », et le second : « Les hommes de la Terre vinrent sur Mars, ils venaient parce qu’ils avaient peur ou ignoraient la peur, parce qu’ils étaient heureux ou malheureux, parce qu’ils se sentaient ou ne se sentaient pas des âmes de pèlerins ». Et cela a continué, plus tard, en lisant notre cher Cyrano dans les États et Empires de la Lune, qui indiquait bien que ce désir avait toujours été une rêverie éminemment poétique : « Je m’étais attaché autour de moi quantité de fioles pleines de rosée, et la chaleur du soleil qui les attirait m’éleva si haut, qu’à la fin je me trouvais au-dessus des plus hautes nuées. »

On comprendra donc que Philae, nous invitant à résumer tout cela à un mauvais jeu vidéo qui nous force à rester sur le plancher des vaches, ne pouvait que nous rendre, au bout du compte, d’une tristesse infinie. Comme cet espace où nous n’irons jamais.[/access]

*Photo : wikicommons.

Jacques & Cecil

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jacques cecil laurent

jacques cecil laurent

En qualifiant de « hussards » quelques écrivains turbulents des années 50, Bernard Frank a mis le feu à la Grande histoire de la littérature. D’un quarteron disparate de chevau-légers (Nimier, Blondin, Laurent et Déon), le journaliste a créé, de toutes pièces, une armée de réactionnaires, pis une école de pensée contre le sartrisme ambiant. Pour l’éternité, ce seront, au choix, selon son camp, des écrivains de Droite, frivoles, inconséquents, fin de race, dangereux agitateurs ou des stylistes inspirés, professeurs d’irrévérence, nostalgiques des combats perdus, romanesques à outrance. Frank imaginait-il qu’une estocade lancée dans Les Temps Modernes en 1952 continuerait à toujours définir, un demi-siècle plus tard, l’anti-intellectualisme d’après-guerre ? Les Hussards sont pourtant une vue de l’esprit. Ils n’ont jamais existé. La preuve, il suffit de les lire. Ces quatre garçons dans le vent glacial de la Guerre Froide arpentent leurs propres terres. Ils ne chassent pas en meute. Ce sont d’incorrigibles vagabonds qui ne répondent à aucun diktat et à aucun oukase. En les (dis)qualifiant, Frank les aura poussés dans les ornières de la littérature, à l’ombre des autoroutes de la postérité. Quelle chance (inestimable) de recueillir le silence de l’intelligentsia !

La garantie d’un talent intact aucunement entaché par l’obscurantisme des élites culturelles qui tranchent entre ce qui doit ou ne doit pas être lu par les masses forcément ignorantes. L’infantilisation des lecteurs est une vieille manœuvre politique. La Pléiade les a donc mis à distance, l’Université ne leur pardonne pas leur liberté de ton et le grand public n’a connaissance d’eux que par ricochet. Nimier, le général en chef de ce mouvement factice, doit sa légende à son tragique accident de voiture en 1962 au volant d’une Aston Martin. Blondin à ses virées alcoolisées au Bar-Bac et à l’air de la Grande Boucle. Déon, l’unique survivant, à ses Poneys sauvages et à son épée d’académicien. Quant à Jacques Laurent (1919-2000) ? Mystère, il a disparu des radars et…des librairies. Alain Cresciucci, expert en désenchantés, ausculte l’Itinéraire d’un enfant du siècle aux Editions Pierre Guillaume de Roux. Cette radiographie précise, argumentée, implacable, du moins connu des Hussards est un magistral travail d’érudition et de réhabilitation. « Jacques Laurent ne prenait pas du tout son œuvre à la légère » martèle Cresciucci qui contredit, en l’espèce, le dilettantisme de ce second couteau des lettres françaises, indéboulonnable figure de la Brasserie Lipp, cigarette pendante et paupières lourdes.

Le mérite de ce livre/cette somme tient justement à la complexité de Jacques Laurent et à sa bibliographie ahurissante, foisonnante, inimaginable (!). De Vichy à Alger, de la Croisette au Quai de Conti, de Martine Carol à Mitterrand, Laurent et son double Cecil Saint-Laurent auront été les témoins, les diaristes, les pourfendeurs de l’histoire officielle de notre pays. Cette œuvre maousse est inatteignable tant elle revêt de multiples couches : des romans populaires (Caroline Chérie ou Hortense 14-18), des essais (Paul & Jean-Paul, Mauriac sous de Gaulle, Le français en cage, etc..), des classiques (Les Corps tranquilles, Les Bêtises – Goncourt 1971, Le Petit Canard, etc…) et une riche filmographie en tant que scénariste et dialoguiste. Il faut près de 400 pages à Alain Cresciucci pour aborder cet intellectuel victime du succès commercial de la série Caroline Chérie. Laurent est déroutant à plus d’un titre, car sa plume a baigné dans toutes les encres : érotique, historique, journalistique, autobiographique, etc…Il est amusant de constater que ce virulent opposant au Nouveau Roman, défenseur acharné du roman qui n’endoctrine pas, a été le hussard le plus novateur sur la forme. Il a osé, au contraire d’un Blondin à l’écriture limpide, chimiquement pure, à marier les genres, bousculer la chronologie, fondre le narrateur et ses personnages dans une identité trouble à la manière d’un Dr. Jekyll & Mr. Hyde.

Jacques Laurent à l’œuvre – Itinéraire d’un enfant du siècle – Alain Cresciucci – Editions Pierre-Guillaume de Roux .

*Photo : DALMAS/SIPA. 00416198_000002

Jacques Laurent à l’œuvre : Itinéraire d’un enfant du siècle

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Sparks, Barjot, zoophilie…

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ragondin bardot sparks

ragondin bardot sparks

 

MON ROYAUME POUR UN EUROSTAR !

Rude saison pour les bûcherons, vous ne trouvez pas ? Ces dernières semaines encore, le sort s’est acharné sur moi. Non seulement j’ai passé mon temps à chercher des aiguilles dans ma botte de foin d’expulsé, mais il m’a fallu aussi batailler… contre des hommophobes en folie, et même pour défendre l’honneur zoophile de ma femme, injustement accusée cette fois-ci de non-assistance à lapins en danger.

Mais les mauvais jours finiront, et avant même le Paradis, j’aurai ma récompense ce mois-ci avec le concert de Sparks à Londres, en présence de la reine Élisabeth !

LECTURES SPIRITUELLES

Jeudi 30 octobre-Lundi 24 novembre/Comme l’explique Simon Leys en avant-propos à son recueil de citations Les Idées des autres[1. Magnifiquement commenté par Jean-Baptiste Baronian, ici-même, en septembre dernier], ce genre d’exercice nous en apprend plus sur le compilateur que sur les compilés. À titre d’exemple, ceux qui voudraient mieux me connaître liront avec profit les trois phrases qui suivent ; elles ont égayé, au hasard de mes lectures, ces quatre dernières semaines qui en avaient bien besoin.

– L’ennui selon Billy Wilder : « L’opéra, c’est un truc qui commence à 8 heures. Au bout de deux heures vous regardez votre montre, et il est 8 heures et demie ! »

– Le progrès selon Einstein : « Une hache entre les mains d’un psychopathe. »

– Les vertus théologales selon Chesterton (dans ma traduction) : « La foi, c’est croire en l’incroyable. L’espérance, c’est espérer quand il n’y a plus d’espoir. La charité, c’est aimer ceux qu’on n’aime pas. »

Vous me direz : « Va pour les deux premières citations, mais la troisième n’est pas super drôle ! » Relisez-la calmement, vous verrez : pour être profonde, la formule chestertonienne n’en est pas moins spirituelle.

HOMOPHOBE + CHATTOPHOBE + LAPINOPHOBE = FRIGIDE !

 Mercredi 5 novembre Après l’expulsion, l’acharnement continue ! Huit jours déjà qu’on a vidé les lieux, et voilà que Le Parisien titre : « Frigide Barjot avait laissé ses lapins dans son duplex. » Allons bon ! Mais les truffes du Huff Post ont reniflé encore mieux : « Dans son déménagement, Frigide Barjot oublie ses lapins et son chat ! » Ces gens-là n’ont vraiment rien à branler, pour inventer de pareilles fichaises.[access capability= »lire_inedits »]

« Au moment de la remise de clés, fantasme le Huff Puff, l’huissier a eu la surprise de découvrir deux lapins, Nicolas et François, et un chat, Connardeau »[1. À l’origine, je l’avais baptisé Vianney, du nom du saint du jour où Barjot l’a adopté. Et puis j’ai appris à le connaître…]. Les malheureux, peut-on lire, auraient passé toute la nuit seuls dans l’appartement désert, avec à peine de quoi se sustenter et pas la moindre distraction !

En vérité, cette nuit-là, toute la famille escroque dormait encore dans notre futur-ex-logement, et les pauvres bêtes n’auront été « livrées à elles-mêmes » que de 8 h 30 à 9 h 45 du matin – pendant que Madame était au commissariat.

Et voilà comment, le cas échéant, on monte de toutes (petites) pièces une lilliputienne « affaire », juste pour le plaisir d’en remettre une couche à la Barjot, cible décidément fastoche…

Je suis bien placé pourtant pour témoigner de la zoophilie active de ma femme. C’est elle qui m’impose, depuis dix ans déjà, ces bêtes à poils auxquelles elle semble ontologiquement attachée, pour des raisons qui m’échappent mais qu’une simple expulsion n’aura hélas pas suffi à ébranler. François, Nicolas et Connardeau sont toujours là ! Et même avant eux et moi, me suis-je laissé dire, Frigide a toujours eu une chatte[2. Ursule, Ursule II, Ursule III – toutes canonisées par la Grande Prêtresse. Vivement qu’on embaume Connardeau !]. 

ET LES RAGONDINS, DANS TOUT ÇA ?

Jeudi 6 novembre/Saisie de cette fausse nouvelle, la vraie Bardot va-t-elle donc porter plainte contre la fausse pour « maltraitance envers des animaux », comme le lui enjoignent déjà des dizaines de trolls zoophiles ? Non, finalement, elle préfère s’en prendre aux agriculteurs nantais qui ont « jeté sans ménagement » contre la Préfecture « des ragondins vivants ! » À coup sûr, s’ils les avaient tuées avant, les pauvres bêtes eussent moins souffert de ce mauvais traitement.

GROS CAMION ET PETIT VÉLO

Jeudi 13 novembre/Suite à une innocente blague sur Facebook, qui ne chahutait que la pauvre Barjot (voir copie d’écran ci-jointe), voilà-t-il pas que le groupe auto-intitulé Gouines Comme Un Camion se soulève contre moi comme un seul capot !

La semaine précédente, la presse noiseuse et le tout-à-l’égout Internet avaient fait des gorges chaudes à propos d’une nouvelle « gaffe » de Frigide, enrôlée contre son gré dans l’aile catho du parti sarko-fillo-juppéiste… D’un seul clavier, ils avaient recopié une dépêche AFP au titre imperceptiblement ironique : « Par inadvertance, Frigide Barjot adhère à l’UMP ». Bref, ça m’a inspiré sur Facebook un prolongement aberrant comme je les aime, et sans trace d’anticamionnisme primaire.

Gouines Comme Un Camion : si j’avais retenu le nom de ce mouvement, c’est justement pour ce qu’il laissait supposer d’humour, voire de distanciation brechtienne. Autant dire que j’étais à mille bornes d’imaginer que le glissement camion-déménagement pût leur paraître discriminant. J’avais oublié que l’humour militant est un oxymort. Un humour subordonné à la Cause, c’est-à-dire asservi, c’est-à-dire inexistant.

Ainsi ai-je découvert avec surprise, un matin vers 15 heures, l’invasion de ma « page » et de mon « profil » par des pelletées de commentaires fielleux, venimeux ou tout simplement orduriers.

Pourquoi tant de haine, surtout à propos de rien ? Au nom de leur intelligence et de ma charité chrétienne, je me refuse à croire que tous les GCC & Friends sans exception se soient senti-E-s agressé-E-s par cette innocente pique à Barjot. Je tiens plutôt que ces filles-là rongent leur frein en rond dans leur groupuscule – jalousant à mort le succès de ces salopes réformistes de Femen, démagos, sexy, et même pas gouines !

Il faut bien lâcher la vapeur de temps en temps, n’est-ce pas ? Alors, dès que leur nom apparaît sur la Toile, c’est la fête au dépôt central ! L’occasion, plutôt rare semble-t-il, de se faire une mini-flashmob 2.0…

Si ça se trouve, ces messieurs-dames auront peut-être même recruté au passage une ou deux routières sympas ! C’est tout le bonheur que je leur souhaite.

TOUCHE PAS À MA PUTE, LOLO !

Lundi 17 novembre/Invité de C à vous juste après Barjot, Baffie fait une entrée fracassante sur le plateau en s’exclamant : « Elle est partie, la pute ? » « Vous lui direz en face ! » rétorque Anne-Élisabeth Lemoine, l’animatrice du jour. De fait, Lolo et Frifri s’étaient croisés au (dé)maquillage, et n’avaient échangé qu’un aimable pia-pia. Notre « provocateur » gardait sa saillie pour l’antenne, en l’absence de l’insultée…

Au-delà du mépris qui s’impose, je reste un peu triste pour Baffie, parce que ce con aurait pu choisir de l’être moins. Mais là, ça va faire tard.

VIENS CHEZ MOI, J’HABITE DANS UN KIMONO

Jeudi 20 novembre/Dans un mois pile, si Dieu le veult, on sera à Londres en formation élargie pour applaudir une fois encore Sparks, parce qu’ils le valent bien. Même qu’Élisabeth sera de la party ! La saison passée déjà, elle avait adoré leur concert à l’Alhambra. Mais de là à traverser la Manche, c’est une autre paire de, euh.

À noter quand même, pour les connoisseurs : hormis les deux frères, rien à voir entre ces deux prestations. L’an dernier, les Sparks Brothers étaient seuls en scène, comme l’indiquait le titre de leur tournée, Two Hands, One Mouth (en français : « un clavier, une voix »).

Le 20 décembre au contraire, et pour la première fois de sa carrière, le duo revisitera toute son œuvre depuis Kimono my House (1974) en compagnie d’un orchestre symphonique ! Lourde infrastructure pour un si « petit » groupe, qui exclut a priori toute perspective de tournée. Ce sera Londres ou rien – et pour nous les gens courageux, comme d’habitude ce sera Londres !

En tant que sparksiste néophyte, Élisabeth a sur moi un avantage que je lui envie : elle découvre d’un coup un répertoire de quarante ans, toujours renouvelé au fil de vingt-deux albums.

Par comparaison, nos amis les Stones, c’est à dire Mick et Keith, n’auront vraiment roulé leur bosse d’auteurs-compositeurs de génie que pendant dix ans, et surtout d’Out of Our Heads (1965) à Sticky Fingers (1971). Depuis lors ils se contentent d’amasser la mousse et, contrairement au dicton, ils n’ont jamais autant bougé, enchaînant les tournées mondiales de plus en plus géantes, lucratives et vaines…

Seule la musique live semble apte à raviver encore la flamme d’une inspiration depuis longtemps éteinte. « Tu dis ça parce que Satisfaction te rappelle ton premier slow ! » objecteront les glands. Mais le répertoire du groupe sur scène en 2014 reste essentiellement composé de morceaux d’avant 1980 – alors même qu’on voit dans les salles des gens toujours plus jeunes que moi !

Mettons les choses au point, pour éviter un courrier inutilement agressif : non seulement je ne leur jette pas la pierre mais, dans les mêmes circonstances, je ferais pareil. L’inspiration est un papillon posé sur l’épaule, n’est-ce pas ? Qui sait combien de temps avant qu’il ne reprenne son vol, et s’il reviendra jamais ? Alors autant faire le selfie tout de suite, quitte à le revendre ensuite en sérigraphie à des milliards d’exemplaires…

Ainsi font les Stones, qui engrangent encore le blé produit par des semailles cinquantenaires – et ils ont bien raison ! Après tout, comme disaient les Rouleaux Sacrés, il y a un temps pour tout, un temps pour semer et un temps pour moissonner… 

GOD SAVE THE SPARKS !

Lundi 24 novembre/Un mot à la hâte, en relisant le précédent. Les Stones, vous et moi, c’est une chose ; mais Sparks, c’est différent ! « There’s no such thing as aliens », comme ils disent. Bien sûr les frangins vieillissent, mais pas leur inspiration, toujours aussi imprévisible et rafraîchissante. À chaque nouvel album, on dirait un jeune groupe soucieux de « faire ses preuves » – à ceci près que Ron et Russell n’ont plus rien à prouver qu’à eux-mêmes, sans souci du « qu’en-vendra-t’on ».

Trois succès internationaux en quarante ans, ça fait peu. Si c’était ça l’objet, croyez-moi que Ron et Russell, pas plus cons que d’autres, auraient lâché l’affaire depuis belle lurette… Par exemple pour en revenir à leurs premières amours respectives, le graphisme et le cinéma. Mais c’est la musique qui les a réunis, alors va pour la musique – et advienne que pourra !

Que dire de deux frères qui bossent ainsi ensemble pendant si longtemps sans jamais se fâcher, sinon que j’admire ? Leur secret partagé, c’est une échelle de valeurs plutôt rare de nos jours. Tout en haut, l’inaccessible perfection de leur art ; et d’un barreau l’autre, autant que possible, la fidélité de leur public, aussi petit soit-il. (À ce propos, si vous saviez comme on se sent plus important en tant que membre du fan club de Sparks que de celui, au hasard, des Stones…)

En tant que « loyal fan », j’ai même eu à traverser les basses eaux de l’inspiration sparksienne (1983-1993). Dix ans quand même, quatre albums laborieux – et même pas de quoi faire un single digne de leur nom… Je me suis consolé en réécoutant en boucle leur magnifique trilogie britannique des années 1974-1975 : Kimono My House/Propaganda/Indiscreet. Pourquoi diable ces Californiens sont-ils retournés aux États-Unis ? Et à quoi bon revenir ensuite à la civilisation, si c’était pour s’égarer aussitôt dans l’impasse pailletée du disco à la Moroder ?

Enfin 2002 vint – et son miracle, auquel sur le moment, bien entendu, je n’ai pas cru. Finis soudain la pop aérienne et le rock Castafiore qui avaient été mon absinthe, et dont je sniffais la bouteille vide… Finis, ou plutôt sublimés dans l’extravagant Lil’Beethoven. Imaginez un album où chaque chanson serait un mini-opéra, et dont l’ambiance marierait minimalisme hypnotique et symphonie baroque, avec quelques accès bienvenus d’art rock. Eh bien, Lil’Beethoven, c’est ça – même s’il m’a fallu plus de temps pour le comprendre que pour vous l’expliquer.

À l’âge où les autres groupes des 70’s se reforment entre survivants, après trente ans de brouille, pour payer leurs impôts à coups de tubes rouillés, Ron et Russell résurrectent ! Ils font une entrée fraîche et joyeuse, remarquable et même remarquée, dans le XXIe siècle.

À première écoute, donc, je suis tombé de cheval. « C’est quoi cette bouse ? », grondai-je le nez dans la galette de polycarbonate. Il a bien dû s’écouler un mois avant que je ne tente à nouveau l’expérience…

Subtilement dilué dans mon répertoire iPodique de l’époque, j’ai fini par aimer ce « Petit Beethoven », et même par convenir qu’ils n’avaient jamais fait mieux. Simplement, ils auraient pu prévenir.[/access]

*Photo : wikicommons.

Zemmour, Houellebecq, Truffaut, etc.

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houellebecq zemmour zad truffaut

houellebecq zemmour zad truffaut

Comme en 2011, 2012 et 2013 revenons sur les temps forts de l’année écoulée, de A à Z…

Trains. La mission première de la SNCF n’est pas de faire rouler des trains (ça se saurait !), mais de nous faire rêver. Ainsi, les gares, les aiguillages, les wagons eux-mêmes sont les lieux de mille enchantements, et d’autant de retards liés à des accidents graves de voyageurs… En 2014 la France a fait la connaissance de Jean-Pierre, un jeune-homme de 26 ans, faux contrôleur, qui écumait les trains depuis des années en uniforme SNCF réglementaire gris et violet, sans être salarié de la société publique. « C’est plus qu’une passion. Il a le vocabulaire technique des contrôleurs, ce n’est pas pour ne pas payer son billet. Il raconte spontanément qu’il a effectué 1000 trajets en train déguisé de la sorte, n’hésitant pas à aider les voyageurs » explique l’avocate du fétichiste. Originaire de Tahiti, ancien militaire, Jean-Pierre a été démasqué par un vrai contrôleur, à bord d’un Narbonne-Bordeaux, et interpellé en gare de Toulouse-Matabiau. Il a été placé sous contrôle judiciaire. L’histoire ne manque pas de faire songer à celle que raconte Spielberg dans Catch Me If You Can… On pourrait très bien entendre parler de lui, en tant que faux pilote de ligne, faux médecin, voire faux député… encore qu’il serait peut-être difficile, en ce cas, de faire la différence…

Truffaut. En 2014, nous avons célébré les trente ans de la disparition du cinéaste François Truffaut, fauché cruellement dans la fleur de l’âge (52 ans !) alors qu’il n’avait rien demandé au cancer et qu’il avait en plus des projets de films. La Cinémathèque a consacré une exposition (fétichiste à souhait !) au réalisateur de L’homme qui aimait les femmes, dans laquelle on a pu  voir une reconstitution de son bureau, sa correspondance avec Hitchcock, des trésors issus des collections des Cahiers du cinéma, etc. On a découvert, à cette occasion, une lettre pleine d’ironie que Truffaut adressait à Jean-Luc Godard au début des années 80 (le réalisateur du Mépris – après des années d’invectives – proposait aux cinéastes de la « Nouvelle vague » de grandes retrouvailles) : « Ton invitation en Suisse est extraordinairement flatteuse quand on sait à quel point ton temps est précieux. Ainsi donc à présent tu as remis les Tchèques, les Vietnamiens, les Cubains, les Palestiniens, les Mozambicains sur les bons rails et tu vas désormais te pencher avec sollicitude sur la rééducation du dernier carré de la Nouvelle vague. J’espère que ce projet de bouquin hâtif à fourguer chez Gallimard ne signifie pas que tu te fiches du tiers monde comme du quart. (…) J’attends ta réponse sans impatience (…) et il n’est pas question de bâcler la préparation de ton prochain film autobiographique dont je crois  connaître le titre : Une merde est une merde« . On regrette que la vie ne lui ai pas laissé le temps d’écrire ses mémoires… outre la très belle galerie de femmes qu’il aurait pu brosser, on se serait bien amusé…François Hollande – habitué à les… prendre, les 400 coups, a visité l’exposition et l’a jugé « magnifique » (selon un indiscret du Figaro). Il a fait le choix de venir un jour après moi. Il est évident qu’il cherche à m’éviter…

ZAD© =  » Zones à défendre « ©. Grand succès marketing de l’année. Les  » ZAD « ©, essentiellement composées de punks à chiens, de gugusses à keffieh, de dreadeux blancs et de tentes Quechua©… Le terme a émergé dans les médias à l’occasion du fiasco retentissant du projet de barrage de Sivens (dans le Tarn)… La retenue d’eau, destinée aux agriculteurs, devait dynamiser tout un territoire. Un campement écolo-libertaire, occupant sauvagement le chantier, a mis le projet au point mort. Tout cela à grands coups tapageurs de décroissance, et d’appels à la désobéissance civique… Touché par une grenade offensive lancée par les forces de l’ordre, un militant écolo, nommé Remi Fraisse, a perdu la vie. En pareilles circonstances c’est Mourir pour des idées de Brassens qui retentit en nous… « Mourrons pour des idées, d’accord, mais de mort lente » (bis).

Zaz/Zemmour. Année difficile pour les Historiens. Non seulement la chanteuse Zaz a créé le chaos total et la désolation en déclarant en pleine promo de son album de chansons rétro sur Paris, qu’il existait  » une forme de légèreté  » en France sous l’Occupation… Déchaînement furieux de commentaires acerbes sur Twitter, réactions courroucées d’Historiens professionnels dans les colonnes des journaux autorisés. Libé a « dénoncé » les propos de la chanteuse ! On a frôlé le « J’accuse ! ». Dans un registre légèrement différent le polémiste Eric Zemmour, connu pour ses énervements réacs et ses provocs incessantes, a créé l’émoi à cause d’un passage de son ouvrage « Le suicide français » qui a pu apparaître comme une tentative de « réhabilitation » du régime de Vichy. Tout le monde a donné son avis sur la question, sauf Zaz, curieusement… D’ailleurs, à ce propos, avez-vous remarqué qu’en lisant « Zemmour » à l’envers, et en changeant toutes les lettres cela donne : « Satanas ». Coïncidence ? Je ne crois pas…

2015. On apprend la publication début janvier du prochain roman de Michel Houellebecq chez Flammarion. L’opus, qui promet de faire couler beaucoup d’encre, proposera le portrait d’une France troublante aux prises avec l’islamisme. En 2022, au terme du second quinquennat de François Hollande (pitié, non…) un inquiétant parti « Fraternité musulmane » arrive au pouvoir, avec l’appui du PS et de l’UMP. François Bayrou est à Matignon. On instaure une « islamisation » de l’Education nationale, et la polygamie est autorisée. On connaît déjà le titre de ce sulfureux roman : Soumission.

Dans cette interview il dit quelques mots au sujet de son roman…

On va bien s’amuser…

*Photo : AGF/SIPA. 00691389_000009. 

Piketty, le revers du revers de la médaille

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thomas piketty legion honneur

thomas piketty legion honneur

Le 1er janvier 2015 vient de nous offrir pour étrennes une de ces petites polémiques dérisoires dont le mainstream parisien raffole. Thomas Piketty, économiste désormais notoire, figurant sur les décrets de promotion de la Légion d’Honneur du nouvel an, a refusé la distinction. Avec hauteur nous dit-on. Bigre.

Il n’est certes pas le premier, toute la journée les médias qui en ont fait des gorges chaudes nous ont communiqué la liste des prédécesseurs en refus. Je disais dans ces colonnes il y a déjà quelque temps que le refus de la médaille avait toujours son revers.

Regardons d’un peu plus près la petite comédie que l’on vient de nous présenter. Au préalable, à propos de ce que certains qualifient de hochet, afin que les choses soient claires et tout en restant dans le théâtre, rapportons-nous à Louis Jouvet, professeur d’art dramatique dans le film « Entrée des artistes ». C’est l’inoubliable séquence de la blanchisserie où ledit Jouvet s’afflige de constater « qu’on y lave en famille le linge sale des autres… »

« Je suis officier de la Légion d’honneur, je n’en tire pas de vanité. Je vous dis ces choses parce qu’aux yeux de certaines personnes cet accessoire vestimentaire confère à ceux qui le portent un certain prestige. Cet attribut me donne le privilège d’être écouté respectueusement par les imbéciles. Les autres ne me prêtant quelque attention qu’à cause de mon talent, de ma carrière et de mon passé. »

Quittons les sommets pour une première question. Comment Thomas Piketty pourrait-il prétendre ne pas avoir été au courant de la proposition de se voir nommé à ce grade ? La procédure menée sous la direction de la Grande Chancellerie est à la fois longue et minutieuse.  Le dossier de proposition doit être extrêmement complet et en partie rempli par le pressenti. CV détaillé, mémoire de soutien, casier judiciaire, parrainages etc. La liste des membres de la promotion, une fois établie par la Grande Chancellerie est approuvée en Conseil des Ministres. Thomas Piketty savait qu’il y figurerait. Il a donc monté une petite opération. Personne ne peut le croire lorsqu’il dit au matin du 1er janvier : «je viens d’apprendre que j’étais proposé pour la Légion d’honneur ».

Donnant l’occasion au Grand Chancelier, le général Georgelin,  de lui donner une petite leçon de savoir-vivre républicain : « La plupart de ceux qui font connaître leur refus publiquement agissent ainsi pour attirer l’attention sur eux ou sur le combat qu’ils mènent. Ceux qui la refusent pour de bonnes raisons – un souci d’indépendance, un excès d’humilité – , des raisons que je comprends parfaitement, s’arrangent toujours pour nous le faire savoir discrètement, avant la publication de leur nom au Journal Officiel. »

« Discrètement » ce n’est pas le registre choisi par Thomas Piketty. Et quelles sont donc les raisons avancées de ce refus dont il a voulu qu’il soit porté à la connaissance du bon peuple ?

«Je refuse cette nomination car je ne pense pas que ce soit le rôle d’un gouvernement de décider qui est honorable ». Là, on est quand même dans le culot d’acier. Mais dites-moi cher Monsieur ne faites-vous pas partie de cette particularité française (comme Jean Tirole d’ailleurs) de ce que l’on appelle « les économistes d’État » ? C’est cet État, c’est-à-dire nous les contribuables, qui depuis toujours vous paye. Vous permettant ainsi, de faire vos recherches et de publier vos livres. J’aurais tendance à penser que non seulement l’État légitimement représenté par ce gouvernement, a le droit d’apprécier ce que vous faites mais qu’il en a même le devoir.  On ajoutera à l’attention du libertarien de fraîche date que vous semblez devenu,  que dans une démocratie représentative républicaine c’est effectivement aussi le boulot du gouvernement.

Vous avez ajouté : «Il ferait bien de se consacrer à la relance de la croissance en France et en Europe.» Accrochons-nous pour ne pas tomber à la renverse. Vous avez fait partie avec d’autres de ces économistes qui ont préparé l’arrivée de François Hollande à la Présidence. Vous avez clairement et à plusieurs reprises appelé à voter pour lui. Appartenant à ces petits cercles, vous saviez pertinemment ce qui nous attendait et quelle serait la politique menée.

Ah oui, mais là ce n’est pas pareil. La catastrophe s’approche, elle est inéluctable. Alors il faut quitter le navire. En essayant par le refus de la médaille de donner du panache à la sortie. Et par la démagogie des motifs faire croire qu’elle se fait par bâbord.

La Rochefoucauld nous avait dit il y a déjà longtemps : « le refus des louanges, c’est vouloir être loué deux fois ». Thomas Piketty a essayé la passe de trois. Laisser passer la nomination au J.O., refuser à grand son de trompe, et sortir à gauche.

Le Diable a toujours reconnu que le défaut qu’il préfère chez les hommes, c’est la vanité.

 *Photo :  WITT/SIPA. 00700904_000006. 

Casseurs : la loi du petit nombre

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sivens insecurite fraisse

sivens insecurite fraisse

Sommes-nous encore en démocratie ? Quand nos gouvernants semblent de plus en plus soumis au chantage de minorités agissantes qui imposent leurs funestes idées à la majorité silencieuse, la question n’est nullement rhétorique. Et les événements de Sivens ne rassurent guère sur la santé de notre République. Quand des lobbies font la loi, il n’y a plus de chose commune.

De quoi parle-t-on ? D’une centaine d’extrémistes armés de barres de fer, de cocktails Molotov, et d’une rage qui leur fait mépriser le risque que chaque dérapage émeutier leur fait courir, à eux ou à la police. Seulement, bien sûr, derrière les « enragés » – dénomination curieusement flatteuse en langage médiatique –, il y a des romantiques, des idéalistes, des suiveurs emportés par la vague, comme ce jeune homme qui a eu la vie arrachée. On imagine la peine de la famille. Tout ça pour ça, tout ça pour quoi ? À quoi s’opposaient-t-ils ? Un barrage dans des marécages… un projet monté par des élus, des représentants du peuple, des dépositaires de l’État de droit. Dans n’importe quel pays démocratique, on déplorerait le terrible accident qui a tué un manifestant sans pour autant remettre en cause les décisions prises par la représentation populaire. « Un flic, une balle, justice sociale », hurlaient-ils à l’adresse de l’État. Et l’État, prêt à se déjuger sous le diktat de l’émotion, semble leur donner raison. Au prétexte de rendre justice à la victime, on donne une prime à la violence.

Il y a bien une victime. Reste à savoir ce qui l’a tuée. Une terrible erreur policière, sans doute. Le spectacle télévisuel pitoyable de Cécile Duflot, s’affichant toute pudeur bue, les larmes aux yeux, en pleine Assemblée nationale, suggère qu’il a aussi été victime de l’irresponsabilité et du cynisme politiciens. Et nous voilà conviés au bal des hypocrites, où ceux qui, la veille, encourageaient des gamins à se battre à 2 heures du matin, s’affligent bruyamment de la mort d’un jeune qu’ils prétendent, pour finir, enrôler comme martyr.[access capability= »lire_inedits »]

Au lendemain du drame, des politiques se bousculent devant les caméras pour exprimer leur « émotion », « exiger des mesures » pour que « cela n’arrive plus jamais ». Au sommet de l’État, on cherche à « calmer le jeu ». On mènera une enquête, on envisage d’ôter leurs armes aux gendarmes. Le citoyen lambda est le témoin affligé et impuissant de tant lâcheté. L’État est-il devenu si faible, si peu sûr de son bon droit, qu’il n’imagine d’autre réaction aux cris d’indignation amplifiés sur tous les écrans que la reculade et l’effacement de ses propres principes ?

Comment des minorités peuvent-elles faire ainsi plier la loi et ceux qui sont chargés de la défendre ? La première explication est des plus prosaïques. Une armée d’oisifs, de marginaux et autres étudiants en sociologie jouit d’un avantage comparatif sur le « boloss » qui s’obstine à aller au boulot : elle dispose d’un temps considérable. L’idéologie fait le reste : compassionnalisme à tous les étages, culte du mythe révolutionnaire, mépris du peuple qui vote mal et à qui on prétend enseigner les bonnes manières de penser.

De reculade en reculade, l’exemple s’est imposé : pour écrire ou modifier l’histoire de France, pas besoin d’être nombreux, il suffit de caillasser, de briser des vitres, de brûler des voitures et d’insulter des flics. À la mi-novembre, alors que la mobilisation lycéenne contre les « violences policières » prétendument responsables de la mort de Rémi Fraisse s’était rapidement essoufflée – on se lasse vite de jouer à la guérilla, surtout en période de vacances –, quelques centaines d’irréductibles parvenaient encore à bloquer ou à perturber des dizaines de lycées, tandis que l’université de Rennes se voyait contrainte de bloquer ses accès par peur des violences. Que dire d’un État incapable de garantir à ses citoyens le droit élémentaire d’aller à l’école ou à la fac ?

Le plus inquiétant, c’est qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé que l’on pourrait mettre au compte d’une émotion somme toute compréhensible. Céder aux caprices et aux oukases de lobbys aussi vindicatifs qu’ils sont numériquement faibles est devenu un principe de gouvernement. Ainsi l’activisme débridé, parfois violent, et parfois juste ridicule, de « collectifs », associations et coteries diverses, épaulés par d’impayables experts et sociologues appointés (comme l’insubmersible Mucchielli), qui grenouillent autour ou à l’intérieur du pouvoir, prend-il le pas sur l’expression démocratique.

Plus ces nouvelles avant-gardes sont minoritaires, plus elles se croient autorisées à imposer au peuple leurs idées farfelues, démentes ou dangereuses. Arrêtons-nous sur le cas des Verts, qui sont en train de tuer la belle idée d’écologie en la coloriant de rouge. Que le PS leur ait offert leurs électeurs sur un plateau, dans le cadre d’une combinazione préélectorale, ne les a pas empêchés de mettre leur grain de sel dans d’innombrables dossiers : loi Alur, fiscalité des entreprises, du capital ou des particuliers, normes de construction, centres de shoot. Voilà un parti qui a su rentabiliser ses 2,31 % à la présidentielle. Difficile d’avoir un meilleur ratio représentativité/influence.

Dans de nombreux domaines de la vie publique, des groupes de pression plus ou moins visibles et organisés influencent directement l’action publique dans un sens conforme à leurs intérêts catégoriels. De ce point de vue, l’insécurité est un cas d’école. Qu’ils soient de gauche ou de droite, les Français, dans leur immense majorité – 70 à 80 % à en croire certains sondages – aspirent à un retour de la tranquillité, du civisme, de l’ordre, en un mot de la justice – qui passe par la punition du coupable. Et les lois s’empilent en sens inverse, tout simplement parce que les lois sont écrites sous la dictée du Syndicat de la magistrature, minoritaire chez les magistrats eux-mêmes. Quelques « juges rouges » peuvent donc ériger en dogme la culture de l’excuse, en contradiction totale avec ce que veut le peuple français, au nom duquel la justice est rendue.

En matière d’éducation, le même renversement des valeurs est à l’œuvre. Là aussi, des minorités surpuissantes mènent depuis des décennies une guerre contre le bon sens, ordonnant les déconstructions successives qui ont ruiné la qualité de l’instruction, infligeant aux élèves et aux professeurs leurs lubies pédagogistes et modernistes, il suffit de lire un manuel scolaire pour s’en rendre compte. Là encore quelques idéologues prétendent piloter le formatage des cerveaux des enfants contre l’avis des parents – « s’appuyer sur la jeunesse pour changer les mentalités », disait Benoît Hamon. Alors que le mérite, l’effort, l’exigence sont plébiscités par la majorité, on envisage la suppression des notes et la fin des internats d’excellence et on prépare en douce la mise au pas des prépas, dernier bastion de la méritocratie – trop bourgeoise, sans doute.

Si l’éducation n’est pas venue à bout de toute singularité, l’aristocratie de la culture s’y emploiera. Le népotisme, les réseaux subventionnés, les connivences politiques et le conformisme de l’anticonformisme se coalisent pour dicter au peuple ignorant ce qu’il convient d’aimer. Une étroite caste se partage les places et les honneurs, condamne à l’oubli et à la précarité d’authentiques créateurs et se gausse des ploucs horrifiés par le plug anal géant, tellement rebelle, de Paul McCarthy place Vendôme.

Curieuse époque, tout de même, qui célèbre la démocratie citoyenne et ignore les aspirations fondamentales des citoyens. La génération 68 a perdu la bataille idéologique : de plus en plus de Français veulent en finir avec l’héritage de sa révolution d’enfants gâtés. Mais elle entend toujours régenter les esprits. Et quand elle échoue à convaincre, elle n’hésite pas à châtier, comme en témoignent les innombrables procès en sorcellerie et les mises en quarantaine prononcées à l’encontre de tous ceux qui ne pensent pas droit.

Le plus grave, c’est que ces minorités agissantes (dont la puissance est à la mesure de la faiblesse de l’État) contribuent à soulever les Français les uns contre les autres. On l’a vu lors du débat pipé d’avance sur le « mariage pour tous ». Le lobby LGBT (dépourvu de toute représentativité) voulait un affrontement frontal : les insultes proférées contre les opposants, les manipulations, les amalgames honteux, le refus de toute discussion – les mots « droits » et « égalité » suffisant à réduire l’adversaire au silence –, ont abouti à ternir l’image d’une communauté qui auparavant avait la sympathie de tous ou presque. La majorité des homosexuels aurait sûrement préféré un débat plus serein.

On pourrait encore évoquer le jusqu’au-boutisme de certaines associations féministes qui ont déclaré la guerre au « vieux mâle blanc hétérosexuel », la cécité que tentent d’imposer les « antiracistes », ou encore certains syndicats capables de bloquer le pays ou de conduire des entreprises au cimetière sans que personne n’y puisse rien. Mais on n’en finirait pas.

Reste à s’interroger sur la curieuse complaisance des médias pour ces opinions minoritaires et ceux qui les portent, quand ces mêmes médias ne cachent pas leur mépris pour les idées partagées par un grand nombre de leurs concitoyens. En effet, cette tyrannie du petit nombre ne peut s’exercer que grâce à d’efficaces porte-voix médiatiques. Faisant en quelque sorte office de lobby des lobbies, les médias deviennent ainsi les adversaires du pluralisme qu’ils prétendent incarner.

Chaque jour, la loi de la République doit ainsi s’incliner devant la loi de la minorité. Et on ne voit nul homme d’État se dresser contre ce festival de revendications catégorielles auxquelles s’ajoutent désormais des exigences religieuses et culturelles. Au contraire, les élus auxquels le peuple a confié la défense de l’intérêt général somment sans cesse ce peuple de « s’adapter », de « respecter les différences » et, finalement, d’effacer la sienne pour ne pas « stigmatiser ». Face à cette forme larvée de dictature, on songe à ce que penserait de Gaulle s’il revenait nous visiter. « La chienlit au pouvoir ? » Il n’y croirait pas un instant.[/access]

*Photo : SALOM GOMIS SEBASTIEN/SIPA. 00699456_000003.

La liberté de Zemmour, c’est notre liberté à tous

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zemmour itele petition

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Un Premier ministre appelle ses concitoyens à boycotter le livre d’un opposant ; son ministre de l’Intérieur demande sa mise au ban, sur la base d’un truquage éhonté de ses propos ; des médias, des associations, des intellectuels dénoncent en boucle l’ennemi du peuple ; des journalistes réclament que l’on fasse taire cette voix dissidente – et se réjouissent bruyamment d’avoir en partie gagné.

Ça ne se passe pas dans la Russie des années 1950, mais dans la France de 2014.

Qu’ils soient de gauche ou de droite, « mariage pour tous » ou « manif pour tous », adversaires ou partisans d’Eric Zemmour, ceux qui chérissent la liberté d’expression doivent savoir, après son limogeage par iTélé, qu’elle est aujourd’hui menacée.

On peut être en désaccord partiel ou radical avec Eric Zemmour, on peut critiquer et réfuter ses thèses. Elles ne sortent pas du cadre de l’acceptable, tel qu’il est défini par la loi et la décence commune. Si on pense que ses idées sont dangereuses, il faut les combattre, argument contre argument, conformément à l’héritage des Lumières et à l’art français de la polémique. Mais sur ce champ de bataille, une arme devrait être proscrite : celle qui consiste à faire taire l’adversaire.

C’est pourtant celle qu’a choisie iTélé, en supprimant « Ça se dispute » son émission la plus populaire, donc la plus rentable. Cette décision, qui sacrifie ses profits à ses « valeurs », peut sembler noble et vertueuse. On aimerait cependant savoir comment le groupe Canal +, propriétaire de iTélé, a pu, des années durant, oublier ces « valeurs » qui lui sont si chères et contribuer à la diffusion d’idées si détestables. On aimerait aussi comprendre ce qui l’autorise à faire si peu de cas du public d’Eric Zemmour.

Rappelons que c’est sur la base d’un dossier mensonger concocté (involontairement ou pas) par un journaliste italien et ficelé par Jean-Luc Mélenchon qu’a été lancée une campagne demandant explicitement aux médias employant Zemmour de le licencier. Autrement dit, ce n’est pas pour ce qu’il a dit ou écrit qu’on veut le bâillonner, mais pour ce qu’on lui fait dire.

Rappelons que de trop nombreux journalistes, et pas seulement à iTélé, se sont joints avec ardeur à ces campagnes maccarthystes.

Rappelons que des millions de Français se reconnaissent dans les thèses exprimées par Eric Zemmour et que des millions d’autres, sans être d’accord avec lui, souhaitent qu’il puisse s’exprimer librement.

Quand des puissances politiques, médiatiques et économiques se coalisent pour exclure du débat public une partie des électeurs/téléspectateurs, c’est la démocratie qui est en jeu.

Nous ne laisserons pas faire. Montaigne dit qu’il faut « frotter sa cervelle contre celle d’austruy ». Nous continuerons à débattre de tous les sujets, y compris les plus sensibles – et surtout ceux-là –, même avec ceux dont les idées nous déplaisent – et surtout avec eux. Les censeurs peuvent gagner des batailles. C’est la liberté de penser (et de se disputer) qui gagnera la guerre.

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Grèce : Syriza au pied du mur

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grece syriza tsipras

grece syriza tsipras

Les élections démocratiques sont souvent affaires de malentendus. Pour rassembler plus large que son camp, il est fréquent d’employer des formules d’équilibriste, quitte à prendre quelque liberté avec la vérité. La Grèce serait-elle une exception ? Les sondages attribuant environ 30% d’intentions de vote à Syriza, la coalition de la gauche radicale hellène, posent la question.

Dans l’imaginaire collectif, ce parti incarne une véritable alternative. Pour certains, il s’agit d’une rupture avec l’« austérité », c’est-à-dire la politique économique et sociale menée depuis bientôt six ans par la droite et la gauche modérées. Pour d’autres, Syriza engagerait une rupture selon la définition qu’en donnait Mitterrand en 1971 : la révolution. Aujourd’hui, au sein de Syriza, ces deux options politiques – réformiste et révolutionnaire – se mélangent. Jusqu’ici, cette dualité sert de double aimant attirant vers ce mouvement  et son leader Alexis Tsipras – dont la contribution personnelle au succès du parti est loin d’être négligeable –  à la fois les partisans d’une rupture avec le capitalisme et les tenants d’une simple réforme de l’ordre établi. Concrètement, le parti envoie un message double. D’un côté, il dénonce l’austérité avec un discours et des slogans extrêmement durs ; de l’autre, il se garde d’ouvertement remettre en cause le cadre de l’Union européenne et de la zone euro.

Le programme économique présenté par Syriza, une véritable liste au Père Noël, accroît un peu plus le malaise : création de 300 000 emplois dans les secteurs privé, public et solidaire (l’équivalent de 2 millions d’emplois en France), salaire minimum à 751 euros, élargissement de la durée et du nombre de bénéficiaires de l’allocation chômage, etc. Ajoutez à cela la gratuité de l’électricité, des soins ou des transports publics pour les foyers vivant sous le seuil de pauvreté ainsi que la baisse de la TVA sur le fuel de chauffage. Même ceux qui jugent ces mesures justes et judicieuses ont bien du mal à expliquer comment un gouvernement grec dirigé par Syriza pourrait les financer sans effacer la dette, faire marcher la planche à billets et nationaliser les banques…

Dans l’état actuel des choses, Alexis Tsipras propose donc de mettre fin à l’austérité – ce qui, fait espérer du boulot aux chômeurs grecs et des augmentations de salaire aux fonctionnaires – avec l’accord de l’Union européenne et de la BCE. Cette proposition n’est sans rappeler la démarche qu’avait engagée François Hollande en 2012 : lui président fraîchement élu, revêtu d’une  légitimité sortie toute chaude des urnes,  il comptait convaincre Angela Merkel de faire un virage à 180 degrés en lui accordant ce qu’elle avait refusé à Sarkozy. Hollande prétendait que l’arrivée au pouvoir de la gauche française aurait un effet domino en Europe et déclencherait la victoire des gauches voisines, à commencer par les sociaux-démocrates allemands. Rétrospectivement, ce scénario s’est révélé un chouïa plus compliqué que prévu…

En Grèce, Syriza, comme d’autres formations de la gauche radicale en Europe, est piégée par la contradiction entre son analyse et son projet politique. Comme l’a montré le référendum écossais de septembre dernier, la peur des incertitudes liées à une sortie de l’Euro reste un facteur politique déterminant aux yeux des électeurs. Ces derniers préfèrent menacer de quitter l’euro,  plutôt que de mettre cette menace à exécution !

Pour le moment, Syriza navigue entre ces contradictions, au point que Tsipras se fait le chantre de l’ambiguïté : devra-t-il réformer d’une manière révolutionnaire ou révolutionner la réforme, sachant que ces deux options risquent d’entraîner des lendemains qui déchantent ; traduisez, en grec moderne, une « aube dorée ».

S’il arrivait aux responsabilités, Syriza aura une décision déchirante à prendre : soit renégocier, autrement dit accepter le principe de la politique actuelle moyennant quelques aménagements, soit assumer une franche rupture, y compris avec la frange de son électorat qui ne souhaite pas sortir de l’euro. Or, si Syriza opte pour la réforme – ce qui semble le plus probable –, il se mettra à dos toute la partie révolutionnaire de sa base. Pire encore, imaginez la réaction des Podemos, Front de Gauche, Occupy Wall Street et autres Indignés, si Tsipras se hollandise avant l’été.

Bref, les prochaines élections grecques clarifieront les positions idéologiques des uns et des autres. De ce point de vue, il serait salutaire pour toute l’Europe, hexagone compris, de voir un cousin idéologique de Jean-Luc Mélenchon accéder au pouvoir, avec tous les risques que cela comporte…

 *Photo : Nicolas Messyasz/SIPA/SIPA. 00681433_000013.

ONU : Ô nanisme!

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onu onanisme traduction

onu onanisme traduction

Le travail des traducteurs onusiens est un labeur minutieux et colossal. Des milliers de pages sont traduites chaque jour entre les centaines de langues utilisées par les pays membres. Une erreur de traduction dans un document officiel peut entraîner des malentendus graves, voire conduire à une crise politique.

Ona Koyamé est bien consciente de la responsabilité qu’implique son métier. Elle intervient souvent sur la liste de discussion des traducteurs brevetés ou affiliés de l’ONU où la communauté mondiale des truchements s’épaule, se renseigne, s’entretient et bat le tam-tam vingt-quatre heures sur vingt-quatre, couvrant tous les fuseaux horaires de la planète.

Dans ce cercle d’érudits et de Bons Samaritains, Ona est parmi les intervenants les plus actifs, avec plus de 3 200 posts publiés en 147 jours de travail effectif au sein du bureau des NU de Nairobi. Aujourd’hui, pourtant, est un jour particulier. Suite à un attentat-suicide devant le bureau du CICR, à deux immeubles du sien, le quartier administratif a été bouclé et le courant est resté coupé quelques heures durant. Les oreilles encore engourdies par la détonation, Ona venait de ramasser les bris de vitres et d’épousseter son poste de travail lorsque sa bécane a redémarré avec un couinement familier. Elle n’a pas envie de se remettre au clavier à moins d’une demi-heure de la fin du travail, mais serait-elle bien avisée de sortir trop tôt dans la rue, encombrée de policiers et de secouristes ? Et puis – surtout – elle n’a pas consulté l’actualité du groupe depuis la pause de midi.

Le seul post qui soit parvenu à retenir son attention en un moment pareil est laconiquement intitulé « Nanisme » (“Dwarfism”). Il émane d’un de ses correspondants préférés, le très scrupuleux Michael Komarek, de Fribourg-en-Brisgau, par ailleurs docteur ès sciences sociales.

« Quelqu’un a-t-il connaissance d’une recommandation spécifique visant à désigner les groupes ou individus caractérisés par cette condition physique particulière ? », demande Michael dans l’anglais à la fois impeccable et aphone des gens qui n’utilisent une langue qu’à l’écrit. [access capability= »lire_inedits »] Méticuleux, il précise : « Je me suis livré à quelques recherches d’arrière-plan et me suis fait une idée de la manière dont le problème est traité dans les divers pays. En l’occurrence, je m’intéresse spécifiquement aux usages en vigueur aux Nations unies. Si l’un(e) ou l’autre d’entre vous l’a rencontré dans un contexte UN, je recueillerais volontiers vos suggestions. » Et il termine avec l’offre rituelle de mise en commun : « Si d’aucuns sont intéressés par mes conclusions, faites-le-moi savoir et je les partagerai avec vous. »

Le message n’est pas ancien – moins d’une heure – mais il a déjà suscité une réplique de l’omniprésente Serena, de Cork, qui a des avis sur tout :

« Cher Mitch,
On m’a recommandé à l’UNOG d’utiliser le terme “gens de très petite stature”. Mais je crois que Pilar a quelques idées sur le sujet. Peut-être ferais-tu bien de la consulter ? Best, Serena. »

« C’est bien elle », se dit Ona : « Si tu penses que Pilar est plus futée que toi, pourquoi ne la laisses-tu pas répondre elle-même ? Hein ? » Un peu pincée de s’être fait devancer, Ona google rapidement le terme en ciblant les sites des principales organisations internationales et compose en toute hâte une réplique en profitant de son avance horaire sur Pilar, de l’Unesco à Lima, qui dort encore.

« Cher Michael,
J’ai consulté les collègues et identifié en particulier les pratiques au sein de l’OMS. On y suit les directives sur l’expression non discriminatoire qui sont assez larges : tu peux par exemple dire “gens vivant avec le nanisme” (“people living with dwarfism”) ou “personnes atteintes de nanisme”. Un collègue suggère la formule “personnes à croissance restreinte” (“people with restricted growth”). J’espère que ceci te sera utile. »

L’Irlandaise fait feu dans la minute, comme on pouvait s’y attendre :

« Chère Ona,
C’est intéressant, mais cela n’élimine pas tout à fait le concept qu’on veut justement éviter. Kisses ! Serena. »

Michael tranche sans pitié pour couper court à l’escalade :

« Serena, Ona,
Merci à toutes les deux. J’aime bien “personnes atteintes de nanisme”. Cela sonne neutre, et en même temps c’est suffisamment spécifique pour éviter la confusion avec les “personnes de petite taille” ou les “personnes affectées de nanisme”. Il s’agit là de variantes assez répandues, sans compter les “nains” et “nabots” que j’ai eu la surprise de découvrir jusque dans la correspondance institutionnelle ! »

Savourant sa victoire sur la pie anglo-saxonne, Ona éteint son ordinateur pour finir sa journée sur une note positive et sort dîner en évitant les rues encore bouclées. Elle ne consultera ses messages que très tard dans la soirée. Ulcérée et vaguement culpabilisée par son retard, elle lancera une contre-attaque rageuse et décisive contre le troll qui, entre-temps, aura mis le groupe en ébullition.

« Si je me souviens de ce que j’ai écrit ? Tu me prends pour un gâteux ?, me demandait Fred Hissim, un peu irrité, en finissant son demi au comptoir d’un bar genevois. Et pourquoi n’appellerait-on pas un nain un nain ? Voilà, c’est tout. C’était peut-être un peu raide, mais pas malveillant. Pas discriminatoire, comme ils disent. D’ailleurs, tu as ça sur papier, avec tout le reste de la conversation. Et maintenant, avec ta permission, je vais aller pisser. Ou plutôt : délivrer mes mictions. Je sais plus comment faut parler, moi… »

Il dégringola de son tabouret et fila aux toilettes. Pendant ce temps, je feuilletai la liasse d’échanges imprimés qu’il m’avait laissée. Hissim avait saisi le premier avocat du travail venu – moi, justement – pour essayer de retrouver son job au Bureau international du travail, qui venait de le priver du sien au terme d’une campagne de dénonciation initiée sur le Net. Il n’y avait aucune base légale à sa rupture de contrat. Le traducteur aurait dû utiliser son adresse e-mail privée plutôt que celle du bureau, argumentait le RH. Il invoquait aussi l’atteinte à l’image de l’Organisation, la rupture de confiance. Or il n’avait jamais rencontré son employé, c’était évident. On tenait là un point…

Lorsque Hissim revint s’asseoir, je lui tendis la main, qu’il déclina. De fait, il se débrouillait très bien tout seul.

« C’est vrai que j’aurais dû baster tout de suite au lieu de me disputer avec ces rombières. Tu comprends, c’était le dernier boulot qu’il me restait. Avec ma moitié de sang arabe, et la langue qui va avec, j’ai pas eu trop de peine à décrocher le brevet de traducteur. Mon vrai prénom, c’est Farid. Fred, ça fait moins bougnoule. Si on me prive même de ça, maintenant…

– Et avant, Fred, tu faisais quoi ?

– Bah ? T’as jamais entendu parler du Sublime Hissim, le nain volant ? Mais ça aussi, ils me l’ont sucré. Lutte contre la discrimination, paraît-il. Déjà… »[/access]

*Photo : wikicommons.

Plug anal, Nabilla, Conchita Wurst, etc.

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conchita nabilla sydney

conchita nabilla sydney

Comme en 2011, 2012 et 2013 revenons sur les temps forts de l’année écoulée, de A à Z…

Plug anal. En 2014 – grâce à l’érection (on dit comme ça) d’une statue gonflable géante sur la place Vendôme à Paris – la plupart des français ont découvert l’existence du  » plug anal « , sex toy condamné à entrer par la porte de service. Le sapin géant équivoque de l’artiste plasticien américain Paul McCarthy (à ne pas confondre avec Paul McCartney et Joseph McCarthy, qui avaient, eux, du talent dans leurs spécialités respectives) a fait couler beaucoup d’encre… On s’est indigné, on a gloussé… Puis des vandales ont crevé la baudruche. D’autres personnes se sont indignées. Des ministres sont montés au créneau pour dénoncer l’art menacé par la bête immonde. Mais, curieusement, les chenapans n’ont pas été arrêtés… alors que le forfait a eu lieu sur une place ultra-surveillée, adresse historique du Ministère de la Justice et d’une demi-douzaine de joailliers de prestige. L’affaire a franchi les frontières et l’on a parlé du plug/sapin français à travers le monde entier… J’ai fait un rêve… l’Arabie Saoudite, sur la base d’un malentendu, commandait 10.000 unités de son sapin à McCarthy et annonçait la prochaine inauguration d’une forêt artificielle géante dans le désert…

Poignard. Nabilla 1ère (de son nom complet Nabilla Benattia) est né en 1992 ; l’année où Renault a fermé son usine de l’île Seguin à Boulogne-Billancourt, et où le grand Jean Poiret a été rappelé à Dieu. C’est sans rapport me direz-vous ? Peut-être. Il n’empêche que l’on a beaucoup parlé de Nabilla Ière cette année. La starlette de téléréalité, connue pour sa grande taille, sa capacité pulmonaire hors-norme et son immense distinction, est mise en examen en novembre pour tentative de meurtre et violences volontaires aggravées sur son compagnon. On la soupçonne d’avoir poignardé Thomas, lui-même ancien candidat de l’émission Secret Story. Universellement connue pour une vidéo dans laquelle on l’entend dire : « Allô ! Non, mais allô quoi ! T’es une fille, t’as pas d’shampooing ? Allô, allô ! J’sais pas, vous m’recevez ? T’es une fille, t’as pas d’shampooing ! » la jeune-femme avait fait part au Parisien, il y a quelques mois, de son amour de Romain Gary. J’avais failli être touché. (Loana Ière se foutait de Gary comme d’une guigne…) La starlette, libérée sous contrôle judiciaire a fait savoir qu’elle souhaitait se « retirer momentanément » de la scène médiatique. Tout est dans le « momentanément »… Le procès aura lieu dans le courant de l’année 2015. On ne sait pas encore si « Nabilla-purge-sa-peine-à-la-prison-de-la-santé » fera l’objet d’un nouveau show de téléréalité…

Poisse (Conte de Noël) Certains individus se caractérisent par une poisse colossale, qui entraîne dans leur vie toute une série de catastrophes…Dans certaines cultures on parle de scoumoune (Du latin excommunicare, excommunier, par l’intermédiaire de l’italien ou du corse) ou encore du « mauvais œil ». Et d’ailleurs si un mec qui a le mauvais œil a en plus des problèmes oculaires, cela peut tendre au sublime… On apprend qu’à Saint-Vaast d’Equiqueville (ne cherchez pas sur une carte…) en Seine-Maritime, un adolescent pourrait remporter la palme du pire poissard de l’année 2014… en effet, le jeune-homme a involontairement mis le feu à sa maison, et à celle de ses voisins, après avoir entrepris de brûler les emballages de ses cadeaux de Noël. « Il a brûlé des cartons et le feu s’est propagé à un appentis où il y avait du bois de chauffage » précise à l’AFP un porte-parole de la gendarmerie. Nul doute qu’il fait partie de cette race – si poétiquement incarnée au cinéma par Pierre Richard – de ceux qui ne manquent pas de se casser la jambe aux sports d’hiver, de s’asseoir sur le seul strapontin cassé quand il vont au cinéma, de se trouver systématiquement là où tombe la foudre… Souhaitons-lui bon courage. Il en aura besoin.

Saucisse. Il se passe souvent des choses interlopes en mai… En 1968 les étudiants petits bourgeois jetaient des pavés sur les CRS prolo, en 1981 les français envoyaient à l’Elysée un président socialiste… et en 2014, c’est Conchita Wurtz – travesti autrichien barbu portant robe et escarpins – qui a gagné le concours de l’Eurovision, grand-messe ringarde, et summum du mauvais goût musical contemporain… Un travesti ! En pleine année de débat furieux sur le mariage pour tous ! Le succès au sein de la presse alignée a été immédiat, et il est arrivé à Conchita ce qui arrive aux intellectuels à la mode et aux phénomènes sociétaux, il/elle a fait l’objet d’un portrait de deux pages, outrageusement premier degré, dans Libé. L’auteur, au comble de l’excitation, se félicitait qu’ainsi, « le ‘peuple’ célèbre, en mondiovision, une femme à barbe, un homosexuel travesti. » Le journaliste prévient : « Conchita Wurst ne veut pas sauver le monde, elle veut devenir célèbre, et c’est déjà beaucoup de travail. » Dans la foulée de sa victoire Conchita a été invitée par des eurodéputés (dont la vice-présidente écologiste autrichienne Ulrike Lunacek) à venir chanter sur l’esplanade du Parlement contre l’homophobie… On voit par là que l’Europe va bien. (C’était ironique).

(Voir aussi « Plug anal ».)

Sydney. Un réfugié iranien de confession musulmane dénommé Man Haron Monis, résident en Australie depuis 1996, prend en otage les clients d’un café de Sydney… Le terroriste, connu des services de police, poète raté et numérologue sur le retour se fait appeler Cheick Haron et aurait prêté allégeance à l’organisation de l’Etat Islamique. L’opération calamiteuse se solde, dans un bain de sang, par trois morts et une demi-douzaine de blessés graves (le bilan définitif n’est pas encore connu). Il ne fait absolument aucun doute, dès à présent, que les motivations du preneur d’otages étaient religieuses, et inspirées par le Djihad… Pourtant les vigilants médiatiques professionnels et les apôtres du Padamalgam (entendez : « pas d’amalgame ») ont riposté immédiatement, sans délai, pour dire d’abord que l’on avait affaire à un « déséquilibré », à un « loup solitaire » (mais plusieurs loups solitaires finissent par former une meute…) et, mieux…qu’il était urgent, toutes affaires cessantes, de proclamer à cette occasion une empathie universelle avec les musulmans… Ainsi, les médias et les éditorialistes qui vont dans le bon sens nous ont exhorté d’utiliser sur les réseaux sociaux le hashtag #Illridewithyou (je voyagerai avec vous), en forme de message de solidarité. Pour les messages en mémoire des victimes on repassera.

à suivre…

*Photo : wikicommons.