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Les Tuche à Albert

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Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Je n’avais pas envie de payer un bras au cinéma Pathé d’Amiens pour voir God Save the Tuche, de Jean-Paul Rouve, le cinquième volet de la série. Alors, ma Sauvageonne et moi, sommes allés au Casino d’Albert – qui pratique des prix raisonnables – pour prendre des nouvelles de la singulière famille du Nord de la France. Rassurez-vous : ses membres vont bien ; ils mènent une vie tranquille à Bouzolles. Cathy (Isabelle Nanty), la mère, a créé une baraque à frites ; Jeff (Jean-Paul Rouve), le père, a été élu président du club de football FC Bouzolles. Leur petit-fils, Jiji (Aristote Laios) se voit proposer une semaine de stage en Angleterre. La famille décide de l’accompagner. C’est à peu près là que débutent les nouvelles aventures. C’est du lourd ; du très lourd. Les Bouzolliens sont accueillis dans une charmante demeure par Gordon, un majordome. Puis, c’est le roi Charles III et son épouse Camilla qui les invitent à déjeuner. Les Nordistes accumulent les bourdes ; Jeff serre la paluche au roi comme s’il se fut agi de l’arrière droit du FC Bouzolles ; Cathy enseigne à Camilla une technique bien à elle et salivaire de nettoyer les vitres… Je regarde les gags ; je rigole.

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Les comédiens excellent ; Claire Nadeau, en Mamie Suze, est hilarante ; il en est de même pour Pierre Lottin (savoureux dans En Fanfare) qui incarne Wilfried Tuche. Et que dire de l’immense Bernard Ménez qui joue un Charles III plus vrai que nature ? Fabuleux ! Soudain, cet univers éminemment british me rappelle la bataille d’Albert au cours de laquelle nos alliés britanniques montrèrent un courage inouï, ce au prix de pertes humaines immenses. Les opérations se déroulèrent du 1er au 13 juillet 1916 ; c’était le début de la Bataille de la Somme… Mon grand-père paternel – qui fut blessé lors de l’attaque du bois de Maurepas à quelques dizaines de kilomètres de là – nous parlait souvent de la bravoure absolue de nos amis d’outre-Manche.

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Oui, je repensais à tout ça, à la Grande guerre, à mon grand-père, en sortant du Casino d’Albert. Il faisait une espèce de petit froid humide. Devant le musée local (Somme 1916), la statue du soldat anglais – casque plat et fusil d’assaut – brillait. Nous avancions vers la voiture ; je me sentais partagé entre la franche rigolade générée par God Save the Tuche, et l’admiration mélancolique que je n’ai jamais cessé de développer à l’endroit de nos alliés britanniques qui nous ont aidé à bouter de France les hordes d’outre-Rhin (enfin, pour être précis, les hordes prussiennes et les troupes bavaroises). Certains disent qu’à l’heure de l’Intelligence Artificielle, il faut oublier tout ça. Le Picard que je suis n’en fera rien. C’est dit.

Laxisme dégoupillé, capitale Grenoble

La France se transforme-t-elle en narco-État ? Hier, Bruno Retailleau a commenté l’attaque à la grenade survenue dans un bar de Grenoble mercredi 12: «Vous savez que la kalachnikov est une des armes privilégiées par les narcoracailles, mais là, on est passé au stade supérieur, puisque c’est une grenade» a déclaré le ministre. Il a écarté la piste terroriste, expliquant que l’affaire s’inscrivait dans un contexte de «trafic et de crime organisé», et précisant que le bar visé faisait l’objet d’une procédure de fermeture pour des soupçons de trafics. L’enquête et la traque de l’auteur de l’attaque, toujours en fuite, sont menées par une juridiction spécialisée qui mobilise 20 enquêteurs. Pendant ce temps, le Vert Eric Piolle donne l’impression que sa seule préoccupation est d’apprendre à transformer les grenades en compost bio…


À Grenoble, on attend désormais l’attaque de bar au missile sol-sol. Après le recours à la grenade, on ne pourra faire moins. « Technique de guerre » souligne à juste titre Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur lors de sa visite sur place ce vendredi. Du jamais vu, en effet. Ou en tout cas très rarement. Du moins dans nos contrées jusqu’alors relativement civilisées.

« Je m’en fous »

Deux choses étonnent, et même sidèrent. Tout d’abord, redisons-le, les moyens employés qui ressortissent, effectivement, à ceux qu’on emploie en temps de guerre ou de guérilla ouverte. Mais peut-être en sommes-nous là. Dans ce cas, il serait opportun et urgent de nous en informer, de nous associer aux décisions que cela ne manquerait pas d’impliquer… Puis, stupéfie également le fait en lui-même glaçant que, finalement, nous ne sommes pas autrement surpris. Je n’irai pas jusqu’à dire que nous y étions préparés, mais il y a de cela, comme si nous avions fini par comprendre – sinon accepter – que nous nous trouvons embarqués dans une escalade de violence, de sauvagerie aveugle que plus personne ne semble être en mesure d’endiguer.

Cette réalité-là, épouvantable, le maire de Grenoble la nie tout tranquillement. Pour lui, il n’y pas de « hausse de l’insécurité », déclare-t-il lors d’un entretien accordé à Libération, dégoupillant alors benoitement son laxisme, quelques heures seulement avant le moment où la grenade allait l’être.

Ce n’est pas tout : « Je m’en fous » ose-t-il lâcher face à ceux qui se permettent de contester, de condamner cet impardonnable aveuglement. Bref, nous avons-là en majesté l’abject mépris dont nous saoulent les doctrinaires en chambre de son espèce. Nos peurs, nos angoisses, nos inquiétudes ne sont pas les leurs.

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Chez M. Piolle le laxisme n’est pas l’effet d’une banale paresse mentale ou physique. C’est bien pire. Il s’agit d’un mode de fonctionnement intellectuel parfaitement assumé. L’abjection que lui inspirent les caméras de surveillance me semble aussi révélatrice que le sont, selon nos si estimés psychiatres, nos actes manqués ou nos lapsus révélateurs. Cette prévention contre ces caméras est l’expression en acte de son refus de « voir ». La manifestation bien concrète de son rejet – conscient ou inconscient – du réel. Cette dérobade relève d’une immaturité mentale qu’on pardonne volontiers à l’enfant qui se met les mains devant les yeux pour ne pas voir le croque-mitaine en carton, mais qu’on ne peut que condamner chez l’adulte investi de responsabilités publiques.

Grenoble, métropole apaisée

Même constat crypto psychanalytique lorsque, là encore, tout tranquillement, le maire de Grenoble ose affirmer qu’il serait opportun et urgent d’apprendre à vivre avec les dealers, les intégrer dans le quotidien des quartiers, des immeubles. Il est vrai, M. Piolle, on le sait, est un très ardent apôtre du vivre ensemble.

Malheureusement pour lui, à, entendre ce que les Grenoblois – nombreux- sont venus dire à M. le ministre de l’Intérieur, il est plus qu’évident qu’ils ne sont pas sur la même longueur d’ondes. Absolument pas ! Ce qu’ils ont exprimé, excédés mais dignes, est le cauchemar de l’insécurité qui plombe leur existence chaque jour, chaque nuit. Ils sont venus dire que, au vivre ensemble façon Piolle, ils préféreraient de beaucoup le vivre en paix. Ce bien commun, précieux entre tous que, en théorie du moins, les représentants du peuple – tous, à tous les niveaux – doivent – chacun à son poste et avec ses moyens – s’efforcer de leur apporter.

M. le ministre Retailleau n’est évidemment pas porteur du remède miracle. Mais il donne toutes les apparences d’être habité de la volonté de travailler dans ce sens. C’est déjà cela. Et puis, comme j’en étais au décryptage dans le genre psychologie de fin de banquet, alors qu’il s’avançait dans les rues de la ville, parka quasi militaire bien fermée jusqu’en haut, je me suis surpris à me dire que sa tenue me faisait davantage penser à celle, guerrière, d’un Zélensky qu’à ces costumes si joliment cintrés en vogue chez nos petits marquis de ministères… Un signe encourageant, peut-être ? On se raccroche à ce qu’on peut.

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Libertés du quotidien: le combat qui manque à la droite française

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Sans se révolter, les Français apprenaient récemment de l’Ademe qu’une culotte propre chaque matin était la seule concession à l’équilibre de la planète. Pour tous les autres vêtements, ils sont priés de les porter à plusieurs reprises avant de les passer dans la machine à laver… La droite française, engluée dans la paperasse et ses demi-mesures, devrait troquer ses calculettes pour une dose de populisme libéral façon Trump ou Milei, histoire de redonner aux Français le droit sacré de faire un barbecue sans l’aval de dix agences gouvernementales.


Pour les économistes, la vie économique marche sur deux jambes qu’on peut distinguer : 1) la production de biens portée par les entreprises et commandant le niveau de vie à long terme ; 2) la production d’utilité par les personnes dans leur vie privée. Ils les étudient respectivement dans la théorie de la croissance et la théorie du développement. En effet, le développement peut s’interpréter assez facilement comme une agrégation des utilités individuelles ou des « bonheurs » individuels, ce qui est quasiment un synonyme.

Malgré Fukuyama et sa « fin de l’Histoire», la bataille des systèmes économiques et politiques fait rage, opposant les socialistes, étatistes et progressistes de gauche aux libéraux de droite. Ces derniers doivent prendre à leur charge la défense des libertés sur les deux plans de l’orientation productive et de l’orientation populiste du bonheur.

Milei et Trump montrent la voie

La droite internationale nouvelle, celle de Javier Milei et de Donald Trump, réalise cette double tâche et remplit complètement son contrat intellectuel et moral. On la voit désormais combattre les dépenses publiques exagérées et relancer le secteur économique privé en baissant les impôts des entreprises mais aussi s’attaquer aux multiples pressions (wokisme, écologisme politique…) qui pourrissent la vie des gens au quotidien. Cette double démarche est celle du libertarianisme, mot savant pour désigner la droite véritable remplissant ses deux missions en faveur de la prospérité matérielle et des libertés au jour le jour. Observons en outre qu’ils conçoivent l’action au plan national, espace rêvé pour la liberté individuelle.

Ces perspectives soulèvent des espérances nouvelles. La question que tous les Français se posent est celle de savoir si ces coups de boutoirs libéraux du grand large ont quelque chance d’entraîner leur pays sur une même pente libérale. Leur « droite » est-elle et sera-t-elle à la hauteur de ce mouvement bien exotique ? On peut raisonnablement en douter. Par sa composition politique et sociale, la droite française a eu en effet pour vocation principale de tenir (mal) le front de la liberté des intérêts économiques privés et de leurs investissements tout en mettant en place une série de relais publics nationaux et internationaux qui se sont rapidement gauchis. Mais surtout, elle passe et passera sans doute complètement à côté du populisme libéral de la vie courante. Elle l’a toujours fait, à l’exception des « Patriotes », pour les gilets Jaunes et pendant le Covid, ainsi que « Reconquête ! » depuis. Comme par hasard, ce sont les grands amis de Donald Trump !

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En théorie économique, la production d’utilité-bonheur et son élaboration par les personnes privées elles-mêmes, selon le principe Beckerien élargi, implique plusieurs facteurs :

  • les flux de revenus rémunérant les éléments de capital possédés dans la sphère de production de biens : capital physique, temps de travail, culture professionnelle notamment ;
  • la consommation et les cultures humaines qu’ils permettent d’obtenir, en quantité et structure optimales ;
  • le patrimoine privé cumulant les épargnes et héritages du passé ;
  • beaucoup de cultures humaines diverses et de « mentalités-vertus » acquises ou transmises ;
  • le temps à répartir ; 
  • enfin, un facteur de protocoles juridiques et réglementaires et les pressions régissant la vie personnelle.

Chaque personne, seule ou en famille, a sa propre fonction de bonheur à maximiser, dépendant de tous les éléments précédents. Quand en janvier on souhaite la bonne année à un parent ou un ami, on se place par l’esprit en observateur de sa fonction d’utilité-bonheur et si on le connaît vraiment bien, on sait ce qui compte pour lui : santé, voyage, sport, argent, belle voiture, réussite des enfants… Dans tous les cas on lui souhaite au préalable d’être libre d’œuvrer librement pour y parvenir. Mais on est parfois loin du compte…

La France étouffe

La montée du socialisme et l’amenuisement des libertés concrètes roulent en flot ininterrompu en France sous la forme de pressions et de protocoles juridiques et réglementaires de plus en plus étouffants : faire ceci ou cela, respecter des limitations de vitesse ridicules, faire contrôler sa maison, obtenir un certificat pour louer, ne plus pouvoir louer, se numériser à l’extrême, subir la fausse complaisance de ses fournisseurs ou de sa banque pour faciliter leur gestion à eux, créer un espace obligatoire, saborder sa voiture diesel dans la rade de Toulon… sans parler de tout ce qui attend dans la coulisse : suppression des espèces, reconnaissance faciale, carte des voyages en avion autorisés, « pass sanitaire » généralisé, puce sous la peau, jours où il fera trop mauvais pour avoir le droit de sortir, interdictions des préfets pour la pêche à pied, la chasse, le barbecue… On ne fait plus ce que l’on veut de son temps, de son patrimoine, ni même pour éduquer ses enfants. Les communes obéissent aux fonctionnaires des intercommunalités obligatoires sous prétexte d’économies de gestion jamais réalisées ; les agences (ADEME, ARCOM, OFB…) vous conseillent, vous surveillent et des sanctions pleuvent, tant sur les professionnels que sur les personnes.

Les moteurs de cette évolution sont certes l’action délibérée des hommes de pouvoir mais aussi et peut-être surtout, l’absence de réaction de la majorité soumise et fatiguée du peuple. On l’a vu de façon consternante au moment du Covid. Leur contexte est celui d’une réduction dramatique du tissu affectif national où les individus se regardent en chiens de faïence.

Notre siècle voit la disparition progressive du droit fondamental des individus et des familles à définir librement leurs fonctions d’utilité et à agir en conséquence. Sur ce point que nous signalons, les partis de droite, s’éloignant du peuple, ont été muets depuis fort longtemps, pour tout dire depuis Georges Pompidou, manquant ainsi gravement à ce combat existentiel.

« Bonne et heureuse vie » serait donc certainement le meilleur slogan des partis de droite s’ils prenaient enfin conscience de l’exaspération populaire sur l’utilité et la vie courante. Mais ils vont au contraire se contenter d’un vague combat pour le pouvoir d’achat, certes important mais besogneux et à effet trop lointain. À noter pourtant l’opération récente contre les ZFE (Crit’ Air Libre) où le RN vient de s’engager avec les automobilistes.

Pour réussir vraiment et rejoindre le mouvement d’émancipation international des peuples occidentaux, la droite devrait entreprendre une politique plus nettement populiste en faveur des libertés du quotidien.

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Nathalie Azoulai : l’autre et moi

Nathalie Azoulai publie en ce début d’année Toutes les vies de Théo qui met en scène ce qu’on appelle communément des «couples mixtes» ; c’est-à-dire des couples aux origines et aux identités très différentes. L’altérité étant devenue le mantra de notre époque, la romancière s’en empare pour nous en raconter les déboires…


Couverture de Toutes les vies de Théo © Editions P.O.L

Qui ne se ressemble pas s’assemble

« Théo aimait jeter dans la conversation que, dans une vie, on ne prenait que quatre ou cinq décisions cruciales. Il précisait toujours, vraiment cruciales. Le reste relevait non pas du hasard, mais de l’histoire, la matière du réel, grumeleuse, contrariante, trop épaisse pour être passée au tamis de la volonté. »

Ainsi commence le roman qui, paradoxalement, va contredire pareille affirmation. Car Théo, fils d’un Français breton catholique et d’une mère Allemande qui n’en finit pas de ressasser la culpabilité de son pays, obligeant son fils à regarder, le 27 janvier, la cérémonie du Bundestag à la télévision ; cérémonie durant laquelle on célèbre la libération du camp d’Auschwitz autant qu’on enfonce un peu plus le peuple allemand, part dans l’existence surdéterminé à réparer la faute dans les grandes largeurs. De fait, il fait la connaissance de Léa, juive mais heureuse d’épouser un goy qui la délivrera d’une fidélité obligée à ses origines. Rose, la sœur quasi jumelle de Léa, fera de même, au grand dam des parents un peu dépassés.

Bon anniversaire !

Tout se passe très bien jusqu’au 7-Octobre qui tombe le même jour que l’anniversaire de Théo pour lequel une grande fête est prévue. Et c’est là que tout bascule, et que la douleur ravivée va prendre des proportions telles qu’il n’y aura plus de place pour autre chose, et que Léa au sérieux incomparable va revenir à sa judaïté et ressasser le malheur à la manière de sa belle-mère. Au « plus jamais ça » succède un « ça recommence » et pire « cette fois-ci, c’est foutu ». Le lecteur est aussi éprouvé que Théo, tant la pesanteur est grande et toute discussion impossible.

Et le problème est bien qu’à cette névrose obsessionnelle correspond une réalité. D’où la patience d’un mari qui doit affronter au même moment la conversion de leur fille… au christianisme. Il faut croire que Noémie/Marie sature elle aussi avec le« malheur juif » et que la grâce lui offre un peu d’air.

Je me rends compte que racontée ainsi cette histoire a des accents comiques alors que sa lecture m’en avait privée. Mais à y réfléchir, je me dis que Nathalie Azoulai a peut-être voulu une certaine caricature pour accéder à ce rire, par-delà la tragédie réelle. Caricature, car entre Rose aux yeux de porcelaine et qui semble à dix mètres au-dessus du sol et Léa qui fait preuve d’une fidélité au malheur irrespirable, il y avait sans doute une troisième voie/voix possible ; celle d’une benjamine qui aurait pris, par-delà les circonstances effroyables, le parti d’un judaïsme tourné vers la vie.

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Toujours est-il que les maris goy n’en peuvent plus et s’en vont. Et c’est vers Maya, une artiste libanaise que Théo va se tourner : « Aux côtés de Maya, la nuit devint douce, onctueuse. Entre ses cuisses, cette douceur se fit fondante. Ses deux genoux d’un coup d’un seul s’abattirent bien à plat sur le drap. Théo se sentit accueilli par une souplesse providentielle. » Mais Maya qui, dans un premier temps, danse, peint et s’amuse, n’est pas seulement le contraire de Léa, elle en est aussi l’autre versant. Et c’est reparti pour un tour, mais de l’autre côté ; côté arabe cette fois-ci avec son malheur à lui ! Bref, Théo change de cause mais pas de mission ; il lui faut toujours soutenir la désespérance d’autrui.

Une fable

La délivrance passera par un retour au pays natal ; la Bretagne, où Théo en finira peut-être avec les missions qu’on se donne et trouvera, qui sait, sa voie.

Nathalie Azoulai, au sujet de son livre, parle « d’une comédie légère sur un sujet grave ». Certains critiques disent avoir beaucoup ri. Moi pas. Quant aux personnages, ils semblent incarner des thèses plutôt que des vies, à l’image de la troisième femme rencontrée sur une plage bretonne et qui conclura le livre en avouant éviter dorénavant l’altérité ! Cela sonne un peu trop théorique et pas si crédible tant tout être humain est un autre pour moi, par-delà les appartenances identitaires très marquées. Alors, sans doute, faut-il lire ce livre moins comme un roman que comme une fable, voire une satire pour pouvoir en rire. Pour ma part, je relirai plutôt Titus n’aimait pas Bérénice que j’avais profondément aimé.


Toutes les vies de Théo, de Nathalie Azoulai, aux Éditions P.O.L, 2025, 272 pages.

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Titus n’aimait pas Bérénice, de Nathalie Azoulai, aux Éditions P.O.L, 2015 (prix Médicis), 416 pages.

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Robert Bresson: un joyau oublié restauré

Une perle du cinéma français, une histoire passionnelle dans un Paris méconnaissable…


Quatre nuits d’un rêveur, 1971 © Carlotta Films

« J’habite 6 rue Antoine Dubois, une espèce d’atelier au deuxième étage ». Ainsi Jacques, jeune artiste-peintre bohème et solitaire, confie-t-il son adresse du Quartier latin à Marthe, au seuil de cette deuxième rencontre nocturne avec celle que le « rêveur » du film de Robert Bresson (1901-1999) a sauvé du suicide, la nuit précédente, au moment où la jeune femme au visage de madone, debout, capée de noir, déchaussée sur le parapet du Pont-Neuf, s’apprêtait à se jeter dans la Seine.
Dans ce premier rôle, Isabelle Weingarten, alors âgée de 21 ans, mannequin découverte par le cinéaste un peu par hasard, et qu’on retrouvera, deux ans plus tard, chez Jean Eustache dans La Maman et la Putain, – autre chef-d’œuvre. Sous les traits de Jacques, Guillaume Des Forêts (le fils de l’immense poète Louis-René Des Forêts), ici à peine sorti de l’adolescence : par sa discrète performance dans ces Quatre nuits d’un rêveur, le voilà définitivement immortalisé au firmament du Septième art. Après Une femme douce (1969), c’est le deuxième film en couleurs du génial janséniste Robert Bresson, réalisateur inspiré, comme l’on sait, des Dames du bois de Boulogne (1945), du Procès de Jeanne d’Arc (1962) ou du Diable probablement (1977), pour ne citer que ces titres parmi d’autres plus sûrement encore passés à la postérité.

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Qu’est-ce qui rend la redécouverte de ce film-ci, en 2025, tellement émouvante ? Paris a depuis longtemps largué les aussières qui, à l’aube des années soixante-dix, l’arrimaient encore à la félicité de l’indolence et du partage. Et c’est donc ce Paris disparu qu’exhume Quatre nuits d’un rêveur. Un Paris où le désir se lit dans les yeux, où l’on se lie sur un simple regard échangé et non par le vecteur numérique d’un site de rencontre, où piétons et voitures s’accommodent d’exister ensemble, sur fond de trafic klaxonnant, capricieux, désordonné, loin de la tyrannie des prétendues mobilités douces édilitaires, qui mettent aujourd’hui la capitale en état de siège… Où Pierre et Marthe, immobiles et silencieux côte-à-côte dans la nuit tiède, depuis le pont de leur rendez-vous rituel, peuvent voir glisser dans le clapot du fleuve la carapace vitrée, transparente, illuminée, presque onirique, d’un bateau-mouche, en contrebas, qui traîne après lui les effluves d’une merveilleuse musique de bossa-nova, jouée et chantée en live. Le temps n’est pas venu du topo patrimonial didactique, pré-enregistré en trois langues, à la diffusion duquel le touriste naviguant est obligatoirement soumis, en ce XXIème siècle tellement convivial.

Plutôt que de vous déflorer une intrigue résolument ascétique, disons que ces quatre étapes scandent, dans une douceur trompeuse, l’extrême vulnérabilité, l’extrême cruauté de la passion passant à côté de l’amour. Marthe, qui vit chez sa mère, croit n’aimer que le jeune voisin locataire (il n’a pas de prénom, dans le film), lequel, après avoir l’avoir séduite, part étudier en Amérique, non sans lui avoir fixé rendez-vous sur le lieu même de leur rencontre, dans un an jour pour jour, promettant d’être à elle si elle l’aime encore à son retour, et réciproquement. Au jour dit, il ne vient pas. Mis dans la confidence par Marthe, Pierre le sigisbée (pour son propre usage il enregistre inlassablement au magnétophone l’expression de son désarroi), offrira-t-il en vain son amour chevaleresque et désintéressé à celle qui l’a sacrifié à sa passion aveugle pour ce total inconnu ?
L’esthétique si particulière au cinéma de Bresson – avec cette diction neutre qu’il impose à ses « acteurs » – ne va pas sans humour, au demeurant. Comme dans la séquence de la visite impromptue qu’un camarade artiste fait à Pierre, un jour, pour lui tenir un monologue abscons sur la vocation de l’artiste contemporain à mettre désormais son art au seul service du concept ; ou encore dans cette scène macabre, si comiquement caricaturale, du thriller foireux qu’au cinéma regardent Jacques et Marthe, et dont la stupidité les décide de lever le camp sans attendre la fin de la séance.
Tiré, à l’instar de Nuits blanches, le film de Luchino Visconti réalisé en 1957, de la même nouvelle de Dostoïevski, Quatre nuits d’un rêveur est empreint d’une mélancolie frémissante, d’une sensualité printanière irisée par le chromatisme de ce chef opérateur mythique qui a nom Pierre Lhomme (1930-2019). Sa restauration en « 4K » sous les auspices de MK2 Films et du distributeur Carlotta ressuscite sur grand écran ce miracle de poésie après plus d’un demi-siècle.


Quatre nuits d’un rêveur. Film de Robert Bresson. Avec Isabelle Weingarten, Guillaume Des Forêts… France, couleur, 1971. Durée : 1h23.
En salles le 19 février

Cradoque

September et July explore une adolescence à vif et une relation fusionnelle déroutante. Premier long-métrage d’Ariane Labed, ce film produit par la BBC intrigue autant qu’il dérange.


Affiche du film © D.R.

Elles ont du poil aux aisselles et sont vêtues comme l’as-de-pique. September et July ne sont pas deux mois de l’année, comme le laissait subodorer le titre. Mais un couple sororal de british teenage girls créchant sous le toit de leur génitrice célibataire, d’origine indienne semble-t-il, laquelle les fait poser telles des jumelles sur des photos dont on verra, au cours du film, que plus déjantée encore que sa progéniture, elle en fait des tirages grand format pour les exposer dans une galerie médiocre du bled.

En attendant, les deux sœurs lycéennes sont un peu le souffre-douleur des garçons du collège mixte, particulièrement notre September, rétive à la vie en commun, et dont au fil des séquences on décèle chez elle un psychisme perturbé. Le film enchaîne ainsi les épisodes, sans que le spectateur sache trop où ça nous mène, ni qu’on parvienne à s’attacher à ces têtes–à-claque. À force de dérèglements, September finit par être virée de l’école. Soudées à la vie à la mort par des rituels mystérieux (elles élèvent des vers de terre, par exemple), nos adolescentes mûrissent sous la protection attentive de leur mère…

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Tiré de Sœurs, un roman gothique de Daisy Johnson, le scénario procède par ellipses. Dans la seconde partie, le trio féminin s’échappe en voiture dans la campagne irlandaise, en bord de mer, dans une maison vide, d’aspect assez plouc ; on croit comprendre que c’est celle du beau-père « toxique ». Maman s’offre une passade avec un type du cru qui l’a draguée dans un pub local : la séquence est assez cradoque, un cunnilingus (laissé hors cadre pour notre soulagement) fait orgasmer madame dans une grimace, puis c’est au tour du partenaire qui, adroitement manipulé (toujours hors champ), fait sa flaque sur son tricot. Un peu plus tard, July perdra son pucelage, une nuit, sur la plage autour d’un feu de bois, tringlée par un des jeunes de la bande de péquenots à qui les filles devaient l’invitation. Par la suite, le blondinet décidément conquis sonne à la porte, cake au chocolat en guise de bouquet. Mais comme il tente la galipette sur le canapé du living (September est restée à l’étage), tout part en vrille avant consommation, et le gus s’enfuit sans demander son reste.   

Faut-il reconnaître là, dans la dimension sociale ethnico-prolétarienne mâtinée de fantastique, la patte particulière à la bibissie (BBC), producteur de ce long métrage ? Il est signé d’une française, Ariane Labed, qui est avant tout actrice : on se souvient de l’avoir vue devant la caméra dans Alps et The Lobster (Yorgos Lanthimos).  Heureusement que son premier film ne s’éternise pas trop.   

September & July. Film d’Ariane labed. Avec Mia Thiara, Pascale Kann, Rakhee Thakrar. Islande, Angleterre, Allemagne, couleur, 2024.

Durée: 1h40.
En salles le 19 février

Tout le monde aime David Foenkinos?

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Tout le monde aime Clara, dernier roman de David Foenkinos est l’histoire d’une double renaissance. Celle d’une jeune fille qui se découvre des dons de voyance, et celle d’un écrivain qui renoue avec son art.


Le succès repose souvent sur un malentendu. David Foenkinos en est la preuve. De son premier roman Inversion de l’idiotie jusqu’à La vie heureuse en passant par Le mystère d’Henri Pick, l’auteur du Potentiel érotique de ma femme nous a habitué à des comédies dans lesquelles l’humour le dispute à la fantaisie.

Pourtant, à y regarder de plus près, cette apparente légèreté, soulignée par le choix de ses titres, n’est que l’envers d’une gravité sciemment tenue à distance. Il suffit de relire Charlotte, roman consacré à Charlotte Salomon, peintre allemande morte à Auschwitz, récompensé par le Goncourt des lycéens et le Renaudot, pour en être persuadé. David Foenkinos n’est pas l’auteur de « Feel good books » que l’on croit et son dernier roman, Tout le monde aime Clara, en donne une nouvelle fois la preuve. Résumer ce livre tient de la gageure. L’auteur a une imagination prodigieuse et en fait ici la démonstration éclatante.

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Tout commence par un atelier d’écriture. Un homme d’une cinquantaine d’années, suite à un drame personnel, l’accident de sa fille Clara, décide de « réveiller sa part artistique ». Son maître dans cette aventure : un certain Eric Ruprez, auteur d’un seul et unique livre La peur des secondes publié en 1982 aux Éditions de Minuit, dont il est peu de dire qu’il connut un succès modéré. Depuis, cet homme aussi taciturne que mystérieux n’a plus écrit. Un incipit d’autant plus fascinant qu’il faudra attendre près de 200 pages pour en connaître la suite. Entre temps nous aurons fait la connaissance des parents de Clara, Alexis, banquier et Marie, passionnée par le cinéma. « Ils étaient différents, et leur attirance venait précisément de cette différence (viendrait un temps où ce serait le contraire) ». Puis celle de leur fille, espérée longtemps et qui de fait « fut élevée comme l’unique citoyenne d’un royaume qui lui était consacré », « une enfant chétive, sorte de divinité du bac à sable ». Puis de l’amant de Marie, rencontré sur un plateau de tournage. Jusqu’au drame : l’accident de voiture à la suite duquel Clara tombe dans le coma. Pendant huit mois ses parents resteront à son chevet. Les épreuves rapprochent on le sait. Marie et Alexis retrouveront leur complicité. Et puis un jour Clara se réveillera. On ne ressort jamais indemne de ce genre d’expérience. David Foenkinos qui a lui-même été hospitalisé pendant plusieurs mois à l’âge de 16 ans en sait quelque chose et ne cache pas que sa vocation littéraire date de là. Son héroïne, elle, se découvrira un autre don que celui des mots : celui de la voyance.

Grâce à elle, l’écrivain malheureux renouera avec l’écriture et publiera son second roman quarante ans après le premier. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Il faudra lire le livre pour le découvrir… Roman subtil et délicat sur l’ésotérisme, Tout le monde aime Clara se double d’une réflexion sur les mystères de la création. Jubilatoire.


Tout le monde aime Clara, David Foenkinos, Gallimard, 2025, 208 pages.

Tout le monde aime Clara

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Giorgia on my mind

Dans sa volonté à peine cachée de changer le cours de la politique européenne, Elon Musk semble trouver un véritable ange gardien en la personne de la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni. Analyse.


C’est, peut-être, l’œuvre de l’intelligence artificielle, ce nouveau Golem de l’humanité, et la plus amusante de nos jours dans la sphère politico-médiatique : « Muskloni »1. Au mois de décembre dernier, une vidéo montrant un baiser passionné entre Giorgia Meloni et Elon Musk a fait le tour de la planète web. La scène s’est passée à Notre-Dame de Paris, lors de la cérémonie de réouverture de la célèbre cathédrale après l’incendie de 2019, qui a réuni pour l’occasion de nombreux dirigeants politiques et des personnalités influentes de l’Occident.  Alors que les photographes ont capté un moment d’échange entre la présidente du Conseil des ministres d’Italie et le patron de Tesla, les pirates du contenu numérique se sont chargés de fabriquer à partir de cette image une vidéo romantique d’un couple rapidement baptisé par la Toile « Muskloni ». Ce terme, qui mélange les syllabes des noms de deux protagonistes, s’inscrit dans la tradition des appellations données par les tabloïds aux couples de célébrités tels que Brangelina (pour Brad Pitt et Angela Jolie) ou encore Bennifer (Ben Affleck et Jennifer Lopez)… 

[ndlr : évidemment, cette vidéo est truquée et générée par de l’intelligence artificielle]

L’intelligence artificielle, souvent présentée comme une révolution majeure, n’a sans doute pas attiré l’attention mondiale uniquement par la qualité de ses performances techniques. L’alliance entre la femme politique italienne et l’homme d’affaires sud-africain est bien réelle et s’est déjà concrétisée par d’importants contrats entre l’Italie et les entreprises du milliardaire. Elle incarne un symbole fort du pouvoir émergent qui, depuis l’élection de Donald Trump, semble vouloir façonner un nouvel ordre mondial, et peut-être même un nouvel ordre moral en Occident. Cette alliance associe la puissance financière et la modernité technologique d’un côté, et de l’autre, un conservatisme largement soutenu par la population occidentale. Plus encore, elle favorise l’action à la parole, une qualité qui distingue ces deux figures d’autres personnalités du paysage médiatique actuel.

L’audace de Musk -le premier représentant de la surpuissante Big Tech américaine à avoir apporté son soutien au candidat-républicain Trump – lui a valu la réputation de « fou »  et de « dérangé »2, tant ses opinions exprimées sur le réseau social X sur la vie politique européenne sont peu appréciées par les élites au pouvoir sur le Vieux Continent. Le courage de Mme Meloni s’est lui manifesté dans ses prises de position sur la question migratoire ou encore au sujet des dérives du wokisme et a fait d’elle la femme politique la plus en vue actuellement sur la scène internationale… Et sans doute, n’en déplaise à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, la nouvelle reine de l’Europe.

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Une féministe contre les progressistes

« Je suis Giorgia, je suis une femme, je suis une mère, je suis italienne, je suis chrétienne ».3 C’est ainsi que ce petit bout de femme aux yeux revolver et aux discours enflammés a défini, il y a quelques années, son identité politique lors d’un meeting de son parti Fratelli d’Italia. C’est avec un discours insistant sur les valeurs traditionnelles que la cheffe du gouvernement italien de 48 ans, élevée dans une famille monoparentale et elle-même mère célibataire, a réussi à ringardiser les postures des milliers de néo-féministes obsédées par la déconstruction de l’histoire millénaire de leurs pays, et qui, au passage, leur a permis de bénéficier de ses immenses acquis politiques, sociaux et culturels… Arrivée au pouvoir en 2022, Mme Meloni a rapidement fait preuve d’un sens politique et diplomatique assez incroyable et les résultats ne se sont pas fait attendre. Les chiffres de l’immigration irrégulière en Italie en 2024 ont été en baisse de 60% par rapport à l’année précédente et de 38 % par rapport à 2022.4 Pour y arriver, le gouvernement du pays a soigné ses relations avec la Libye et la Tunisie, en signant avec ces derniers des accords qui ont déjà permis le rapatriement de 9 000 migrants. Le pays a durci les lois sur les regroupements familiaux, a renforcé les peines pour les passeurs et a mis en place un contrôle drastique des activités des ONG.

Alors que ses alliés politiques les plus proches comme Silvio Berlusconi ou Matteo Salvini ne cachaient pas leur sympathie pour le président de la Russie Vladimir Poutine, à son arrivée au pouvoir Mme Meloni a apporté un soutien appuyé à l’Ukraine. Cette position purement atlantiste lui a permis de gagner la confiance du président américain Joe Biden sans pour autant s’aligner politiquement avec le parti démocrate américain. Georgia Meloni a décidé d’arracher des mains de la gauche italienne le contrôle sur la culture et de créer un « nouvel imaginaire Italien ». Son camp politique a alors poussé dehors les étrangers à la tête d’établissements culturels prestigieux. Les Français Stéphane Lissner, directeur de Teatro San Carlo de Naples et Dominique Meyer, qui gérait la mythique La Scala, en ont fait les frais.

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Giorgia – Elon , l’impossibilité d’une île 

Et puis Giorgia a les yeux qui brillent de mille feux pour Elon.5 En décembre 2023, la dirigeante italienne organise une réception royale pour l’homme le plus riche du monde aux abords du château Saint-Ange à Rome, érigé sur le mausolée de l’empereur Hadrien.  Elle engage avec le businessman les pourparlers autour d’un grand projet entre sa société SpaceX et le gouvernent italien pour l’accès sécurisé à Internet du ministère italien de la Défense, ou encore pour les situations d’urgence telles que les attaques terroristes.6

Et quand Elon Musk a rédigé sur X des critiques acerbes envers le chancelier allemand Olaf Scholz et le Premier ministre britannique Keir Starmer, l’amie Giorgia a volé à son secours avec ces mots : « À ce que je sache, Elon Musk ne finance pas de partis, d’associations ou de politiciens à travers le monde. C’est ce que fait par exemple George Soros. Et oui, je considère cela comme une dangereuse interférence dans les affaires des États et leur souveraineté ».7

Combien de temps la femme forte de l’Italie saura-t-elle pratiquer le grand écart entre son amitié outre-Atlantique et ses partenaires européens, qui, pour la plupart, ne sont pas du goût du milliardaire ? L’avenir nous le dira, ou, peut-être, ChatGPT ? La nouvelle coqueluche de la tech californienne sans laquelle, à en croire ses 300 millions d’utilisateurs hebdomadaires, notre existence sur Terre semble ne plus être possible.8 En attendant le verdict de la sainte IA, il est toujours possible de fredonner la sublime chanson de Ray Charles. Un simple plaisir qui semble nous échapper de plus en plus…

« Georgia, douce Georgia, je ne trouve aucune paix
Juste une vieille chanson douce
fait que je garde Georgia en moi
d’autres bras se tendent vers moi
»9


  1. « Muskloni » : l’IA invente une romance entre Giorgia Meloni et Elon Musk | Euronews ↩︎
  2.  Musk  » fou » et  » dérangé » ↩︎
  3. « Je suis Giorgia, femme, Italienne, et chrétienne » ↩︎
  4. Italie : la politique de Giorgia Meloni a fait chuter l’immigration irrégulière de 60 % en 2024  ↩︎
  5. Giorgia Meloni cultive sa relation avec Elon Musk ↩︎
  6. Italie SpaceX contrat ↩︎
  7. Italie: Giorgia Meloni prend la défense d’Elon Musk ↩︎
  8. ChatGPT-300-millions-d-utilisateurs-hebdomadaires ↩︎
  9. Traduction Georgia On My Mind par Ray Charles ↩︎

Trouble allégeance

En pleine crise entre la France et l’Algérie, ils sont nombreux, en France, à prendre le parti d’Alger. « Influenceurs », imams, élus, militants… forment une cinquième colonne idéologique dont la nouvelle figure de proue est Rima Hassan. Mais s’il y a des influenceurs, il y a des influencés qui se recrutent d’abord parmi les Franco-Algériens. Reste à savoir combien.


Rima Hassan restera dans l’Histoire. Comme l’un des 24 parlementaires européens – et des quatre Français – à avoir voté contre la résolution exigeant la libération immédiate de Boualem Sansal, ce qui revient à proclamer que les Algériens ont le droit, et même bien raison, d’embastiller un écrivain français. On a abondamment et légitimement commenté l’abjection humaine de ce vote, beaucoup moins le fait qu’il constitue une spectaculaire proclamation d’allégeance au régime d’Alger, alors que la France est en crise ouverte avec l’Algérie.

Rima Hassan a de la chance d’être une citoyenne française (la réciproque est moins vraie). Elle a le droit de défendre les intérêts de l’Algérie contre ceux de son pays. Arrogance, fanatisme et sottise en moins, c’est pour avoir, comme elle le fait aujourd’hui, pris le parti d’un pays étranger, le Maroc, contre le sien, que Boualem Sansal est incarcéré (et aussi comme otage pour emmerder les Français). Dans un pays libre, le patriotisme n’est pas une obligation. Même si nous étions en guerre avec l’Algérie, Madame Hassan pourrait déclarer « je souhaite la victoire de l’Algérie ». En Algérie, elle n’essaierait même pas.

Bien sûr, nous ne sommes pas en guerre. Les services français ont tenu à faire savoir que, derrière l’agitation politique et diplomatique, les affaires sérieuses continuent, particulièrement la coopération antiterroriste : ils ont donné une publicité inhabituelle au déplacement du patron de la DGSE. Côté français, on n’en finit pas de promettre qu’on va voir ce qu’on va voir, mais à part des protestations énergiques – et semble-t-il, quelques tracasseries à Roissy, c’est le minimum syndical – on n’a pas vu grand-chose. Avec les Algériens, on devrait peut-être essayer la méthode Trump. Mais je m’égare.

Une cinquième colonne idéologique dont Rima Hassan est le porte-étendard ?

Les Français ont récemment découvert une bande d’abrutis de compétition qui vocifèrent sur les réseaux sociaux, dégurgitant une bouillie de mensonges historiques, de ressentiment et de menaces explicites à l’égard de la France où ils appellent à commettre divers crimes – ce qui a permis d’en arrêter plusieurs qui seront jugés. Ces « influenceurs » sont en quelque sorte la piétaille numérique d’une cinquième colonne idéologique dont Rima Hassan est le porte-étendard. D’autres grenouillent dans l’entourage de la Mosquée de Paris, courroie de transmission essentielle du pouvoir algérien en France (voir l’article de Jean-Baptiste Roques dans notre dossier). Sans compter les multiples professionnels de la combine capables de monnayer là-bas un pouvoir, réel ou imaginaire, sur le cours des choses ici. Peu importe qu’ils soient stipendiés ou se contentent de la gloire d’être « un soldat dormant de l’Algérie » comme un certain Onizatrek. Comme tous les pays d’origine de doubles-nationaux, l’Algérie prétend exercer une surveillance idéologique de sa diaspora, particulièrement de ses opposants. Cependant, il n’est pas prouvé qu’elle tire les ficelles des « influenceurs ».

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Précisons pour les partisans du premier degré qu’il n’y a pas en France de groupes organisés et téléguidés qui s’apprêtent à prendre les armes le jour J, d’ailleurs il n’y a pas de jour J. Le succès de ces primates tiktokeurs ne signifie pas que des milliers de nos compatriotes soient prêts à commettre des viols et tueries de masse en France, même si on ne peut plus exclure un fanatique plus zélé que les autres.

N’empêche, s’il y a des influenceurs, il y a des influencés : tous ces Français qui prennent pour parole d’évangile les imprécations de Rima Hassan et Imad Tintin (également appelé « Bledar de luxe »). À quoi s’ajoutent les ravages de décennies de câlinage victimaire : à force d’entendre du matin au soir qu’ils étaient maltraités par une France raciste, colonialiste et esclavagiste, des Français de troisième génération nés cinquante ans après les accords d’Évian se targuent obsessionnellement de niquer le pays d’accueil de leurs grands-parents, tandis qu’une partie heureusement minoritaire de la jeunesse des quartiers (qu’on désigne pudiquement par « les jeunes ») se sent autorisée à casser du flic ou brûler les médiathèques (qu’elle fréquente moins que les magasins Nike).

Dans « les quartiers », « Français » est une insulte

C’est, logiquement, parmi les Franco-Algériens que recrutent les relais de l’islamo-nationalisme algérien. Reste à savoir dans quelle proportion. La question, qui taraude pas mal de Français, semble particulièrement sensible à l’intérieur de nos services de sécurité. Place Beauvau, la consigne, c’est silence radio. Et preuve qu’il y a un enjeu de taille, la consigne est suivie, aucun de nos auteurs n’ayant réussi à faire parler ses contacts habituels. Faute d’études et même de sondages indiquant l’état d’esprit de cette population spécifique, on ne peut que s’appuyer sur des témoignages et impressions. Qui aboutissent nécessairement à un tableau impressionniste. Ce n’est pas parce qu’une réalité échappe à la mesure statistique qu’elle n’existe pas.

Il serait injuste et désastreux de faire porter le soupçon sur l’ensemble des Franco-Algériens dont la majorité (on le suppose et on l’espère) aspirent seulement à être des Français comme les autres, même s’ils passent leurs vacances au bled (comme nombre de juifs). Beaucoup, et pas seulement les Kabyles, sont horrifiés par la vindicte antifrançaise du régime, autant que par le comportement de certains de leurs compatriotes. La pression du groupe est telle que peu osent afficher leurs convictions, de peur d’apparaître comme des traîtres à l’Algérie et à l’islam (voir les articles de Driss Ghali et Charles Rojzman dans notre dossier). Dans « les quartiers », « Français » est une insulte.

Que les Français d’origine algérienne aiment le pays de leurs parents est parfaitement légitime. L’ennui, c’est que dans la bulle cognitive (un bien grand mot) où vivent nombre d’entre eux, la France a commis un génocide en Algérie, les Français sont racistes, et les « sionistes » dirigent le monde. On en conviendra, pour le vivre-ensemble, ce n’est pas idéal.

Eric Neuhoff : retour sur le drame de sa vie 

Avec son récit Pentothal, Eric Neuhoff revient sur l’accident qui emporta l’un de ses meilleurs amis et le clouera des mois sur un lit d’hôpital. Intime, sincère, bouleversant.


© Albin Michel

On connaît le redoutable Éric Neuhoff, hussard, brillant, fustigeur de la pensée unique, provocateur, cinéphile imparable au Masque et la Plume sur France Inter ou dans le Fig Mag, élégant dandy détaché de tout, romancier exquis des histoires d’amour qui n’en finissent pas, des hanches de Laëtitia, des fêtes au champagne et de cette France qu’on aime. C’est, finalement, peu le connaître. Pentothal, son dernier récit, nous surprend, nous émeut par sa sincérité brute, sa fragilité diaphane qui laisse voir, à l’intérieur, un cœur écorché. On le serait moins car ce qu’il nous raconte est terrible.

Amputation ?

En 1978, sur une route départementale de Catalogne, il est victime un accident de voiture qui coûtera la vie à Olivier, l’un de ses meilleurs amis. Il se retrouve à l’hôpital, une jambe broyée. Il souffre terriblement, abruti par le pentothal. Certains médecins et chirurgiens peu éclairés, songent même à l’amputer. Sa jambe devra son salut à une équipe d’aides-soignantes qui, en douce, lui fournissent une liste d’établissements où, disent-elles, il sera mieux traité et soigné que dans le leur… Et au fameux professeur Judet, de la clinique Jouvenet, dans le XVIe arrondissement. « Mousquetaire en blouse bleue, il défiait la fatalité sabre au clair. »

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Après douze mois cloué sur un lit de souffrance et dix-huit anesthésies générales, peu à peu, la sacrée jambe se remit à fonctionner. C’est ce martyre que nous conte Éric Neuhoff ; pas un martyre de fiction mais bien le sien. Et la mort d’Olivier, que ses parents lui annoncèrent bien plus tard, afin qu’il fût en mesure de supporter l’épouvantable nouvelle…

Littérature acide

Mais bien plus que le récit d’abominables souffrances, ce livre, tissé d’une mélancolie acidulée, est celui de l’adieu à la jeunesse ; l’adieu aussi au monde d’avant. On y voit passer Bernard Frank, Henri-François Rey (sosie d’Alain Pacadis), Jean-Jacques Brochier, Jean-François Bizot et ses Déclassés (quel beau roman !), Michel Déon, Jacques Higelin. Les amis sont là : Patrick Besson, Frédéric Vitoux et son épouse, François Cérésa, Anthony Palou…

La bande son est constituée de Chicago (message pour Éric : le musicien flingué accidentellement à la roulette russe, c’était Terry Kath), Bijou, Dutronc, Téléphone, Gainsbourg. Rôdent les ombres de Pascal Jardin, de Drieu la Rochelle, de Claude Sautet, de Louis Malle, de Geneviève Dormann. Et quel joli clin d’œil à Kléber Haedens lorsqu’il raconte, qu’avec le temps, ses yeux bleus sont devenus gris. Oui, ce Pentothal, détient la puissance nostalgique et mélancolique du Adios de Kléber. Pentothal : un grand livre, profond, sensible et si intime qu’il en devient universel.

Pentothal, Éric Neuhoff ; Albin Michel ; 212 p

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Les Tuche à Albert

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DR.

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Je n’avais pas envie de payer un bras au cinéma Pathé d’Amiens pour voir God Save the Tuche, de Jean-Paul Rouve, le cinquième volet de la série. Alors, ma Sauvageonne et moi, sommes allés au Casino d’Albert – qui pratique des prix raisonnables – pour prendre des nouvelles de la singulière famille du Nord de la France. Rassurez-vous : ses membres vont bien ; ils mènent une vie tranquille à Bouzolles. Cathy (Isabelle Nanty), la mère, a créé une baraque à frites ; Jeff (Jean-Paul Rouve), le père, a été élu président du club de football FC Bouzolles. Leur petit-fils, Jiji (Aristote Laios) se voit proposer une semaine de stage en Angleterre. La famille décide de l’accompagner. C’est à peu près là que débutent les nouvelles aventures. C’est du lourd ; du très lourd. Les Bouzolliens sont accueillis dans une charmante demeure par Gordon, un majordome. Puis, c’est le roi Charles III et son épouse Camilla qui les invitent à déjeuner. Les Nordistes accumulent les bourdes ; Jeff serre la paluche au roi comme s’il se fut agi de l’arrière droit du FC Bouzolles ; Cathy enseigne à Camilla une technique bien à elle et salivaire de nettoyer les vitres… Je regarde les gags ; je rigole.

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Les comédiens excellent ; Claire Nadeau, en Mamie Suze, est hilarante ; il en est de même pour Pierre Lottin (savoureux dans En Fanfare) qui incarne Wilfried Tuche. Et que dire de l’immense Bernard Ménez qui joue un Charles III plus vrai que nature ? Fabuleux ! Soudain, cet univers éminemment british me rappelle la bataille d’Albert au cours de laquelle nos alliés britanniques montrèrent un courage inouï, ce au prix de pertes humaines immenses. Les opérations se déroulèrent du 1er au 13 juillet 1916 ; c’était le début de la Bataille de la Somme… Mon grand-père paternel – qui fut blessé lors de l’attaque du bois de Maurepas à quelques dizaines de kilomètres de là – nous parlait souvent de la bravoure absolue de nos amis d’outre-Manche.

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Oui, je repensais à tout ça, à la Grande guerre, à mon grand-père, en sortant du Casino d’Albert. Il faisait une espèce de petit froid humide. Devant le musée local (Somme 1916), la statue du soldat anglais – casque plat et fusil d’assaut – brillait. Nous avancions vers la voiture ; je me sentais partagé entre la franche rigolade générée par God Save the Tuche, et l’admiration mélancolique que je n’ai jamais cessé de développer à l’endroit de nos alliés britanniques qui nous ont aidé à bouter de France les hordes d’outre-Rhin (enfin, pour être précis, les hordes prussiennes et les troupes bavaroises). Certains disent qu’à l’heure de l’Intelligence Artificielle, il faut oublier tout ça. Le Picard que je suis n’en fera rien. C’est dit.

Laxisme dégoupillé, capitale Grenoble

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Eric Piolle et Bruno Retailleau répondent à la presse à Grenoble, 14 février 2025 © MOURAD ALLILI/SIPA

La France se transforme-t-elle en narco-État ? Hier, Bruno Retailleau a commenté l’attaque à la grenade survenue dans un bar de Grenoble mercredi 12: «Vous savez que la kalachnikov est une des armes privilégiées par les narcoracailles, mais là, on est passé au stade supérieur, puisque c’est une grenade» a déclaré le ministre. Il a écarté la piste terroriste, expliquant que l’affaire s’inscrivait dans un contexte de «trafic et de crime organisé», et précisant que le bar visé faisait l’objet d’une procédure de fermeture pour des soupçons de trafics. L’enquête et la traque de l’auteur de l’attaque, toujours en fuite, sont menées par une juridiction spécialisée qui mobilise 20 enquêteurs. Pendant ce temps, le Vert Eric Piolle donne l’impression que sa seule préoccupation est d’apprendre à transformer les grenades en compost bio…


À Grenoble, on attend désormais l’attaque de bar au missile sol-sol. Après le recours à la grenade, on ne pourra faire moins. « Technique de guerre » souligne à juste titre Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur lors de sa visite sur place ce vendredi. Du jamais vu, en effet. Ou en tout cas très rarement. Du moins dans nos contrées jusqu’alors relativement civilisées.

« Je m’en fous »

Deux choses étonnent, et même sidèrent. Tout d’abord, redisons-le, les moyens employés qui ressortissent, effectivement, à ceux qu’on emploie en temps de guerre ou de guérilla ouverte. Mais peut-être en sommes-nous là. Dans ce cas, il serait opportun et urgent de nous en informer, de nous associer aux décisions que cela ne manquerait pas d’impliquer… Puis, stupéfie également le fait en lui-même glaçant que, finalement, nous ne sommes pas autrement surpris. Je n’irai pas jusqu’à dire que nous y étions préparés, mais il y a de cela, comme si nous avions fini par comprendre – sinon accepter – que nous nous trouvons embarqués dans une escalade de violence, de sauvagerie aveugle que plus personne ne semble être en mesure d’endiguer.

Cette réalité-là, épouvantable, le maire de Grenoble la nie tout tranquillement. Pour lui, il n’y pas de « hausse de l’insécurité », déclare-t-il lors d’un entretien accordé à Libération, dégoupillant alors benoitement son laxisme, quelques heures seulement avant le moment où la grenade allait l’être.

Ce n’est pas tout : « Je m’en fous » ose-t-il lâcher face à ceux qui se permettent de contester, de condamner cet impardonnable aveuglement. Bref, nous avons-là en majesté l’abject mépris dont nous saoulent les doctrinaires en chambre de son espèce. Nos peurs, nos angoisses, nos inquiétudes ne sont pas les leurs.

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Chez M. Piolle le laxisme n’est pas l’effet d’une banale paresse mentale ou physique. C’est bien pire. Il s’agit d’un mode de fonctionnement intellectuel parfaitement assumé. L’abjection que lui inspirent les caméras de surveillance me semble aussi révélatrice que le sont, selon nos si estimés psychiatres, nos actes manqués ou nos lapsus révélateurs. Cette prévention contre ces caméras est l’expression en acte de son refus de « voir ». La manifestation bien concrète de son rejet – conscient ou inconscient – du réel. Cette dérobade relève d’une immaturité mentale qu’on pardonne volontiers à l’enfant qui se met les mains devant les yeux pour ne pas voir le croque-mitaine en carton, mais qu’on ne peut que condamner chez l’adulte investi de responsabilités publiques.

Grenoble, métropole apaisée

Même constat crypto psychanalytique lorsque, là encore, tout tranquillement, le maire de Grenoble ose affirmer qu’il serait opportun et urgent d’apprendre à vivre avec les dealers, les intégrer dans le quotidien des quartiers, des immeubles. Il est vrai, M. Piolle, on le sait, est un très ardent apôtre du vivre ensemble.

Malheureusement pour lui, à, entendre ce que les Grenoblois – nombreux- sont venus dire à M. le ministre de l’Intérieur, il est plus qu’évident qu’ils ne sont pas sur la même longueur d’ondes. Absolument pas ! Ce qu’ils ont exprimé, excédés mais dignes, est le cauchemar de l’insécurité qui plombe leur existence chaque jour, chaque nuit. Ils sont venus dire que, au vivre ensemble façon Piolle, ils préféreraient de beaucoup le vivre en paix. Ce bien commun, précieux entre tous que, en théorie du moins, les représentants du peuple – tous, à tous les niveaux – doivent – chacun à son poste et avec ses moyens – s’efforcer de leur apporter.

M. le ministre Retailleau n’est évidemment pas porteur du remède miracle. Mais il donne toutes les apparences d’être habité de la volonté de travailler dans ce sens. C’est déjà cela. Et puis, comme j’en étais au décryptage dans le genre psychologie de fin de banquet, alors qu’il s’avançait dans les rues de la ville, parka quasi militaire bien fermée jusqu’en haut, je me suis surpris à me dire que sa tenue me faisait davantage penser à celle, guerrière, d’un Zélensky qu’à ces costumes si joliment cintrés en vogue chez nos petits marquis de ministères… Un signe encourageant, peut-être ? On se raccroche à ce qu’on peut.

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Libertés du quotidien: le combat qui manque à la droite française

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Mobilisation des gilets jaunes pour protester contre les taxes, Bourgoin-Jallieu, 5 janvier 2019 © Allili Mourad/SIPA

Sans se révolter, les Français apprenaient récemment de l’Ademe qu’une culotte propre chaque matin était la seule concession à l’équilibre de la planète. Pour tous les autres vêtements, ils sont priés de les porter à plusieurs reprises avant de les passer dans la machine à laver… La droite française, engluée dans la paperasse et ses demi-mesures, devrait troquer ses calculettes pour une dose de populisme libéral façon Trump ou Milei, histoire de redonner aux Français le droit sacré de faire un barbecue sans l’aval de dix agences gouvernementales.


Pour les économistes, la vie économique marche sur deux jambes qu’on peut distinguer : 1) la production de biens portée par les entreprises et commandant le niveau de vie à long terme ; 2) la production d’utilité par les personnes dans leur vie privée. Ils les étudient respectivement dans la théorie de la croissance et la théorie du développement. En effet, le développement peut s’interpréter assez facilement comme une agrégation des utilités individuelles ou des « bonheurs » individuels, ce qui est quasiment un synonyme.

Malgré Fukuyama et sa « fin de l’Histoire», la bataille des systèmes économiques et politiques fait rage, opposant les socialistes, étatistes et progressistes de gauche aux libéraux de droite. Ces derniers doivent prendre à leur charge la défense des libertés sur les deux plans de l’orientation productive et de l’orientation populiste du bonheur.

Milei et Trump montrent la voie

La droite internationale nouvelle, celle de Javier Milei et de Donald Trump, réalise cette double tâche et remplit complètement son contrat intellectuel et moral. On la voit désormais combattre les dépenses publiques exagérées et relancer le secteur économique privé en baissant les impôts des entreprises mais aussi s’attaquer aux multiples pressions (wokisme, écologisme politique…) qui pourrissent la vie des gens au quotidien. Cette double démarche est celle du libertarianisme, mot savant pour désigner la droite véritable remplissant ses deux missions en faveur de la prospérité matérielle et des libertés au jour le jour. Observons en outre qu’ils conçoivent l’action au plan national, espace rêvé pour la liberté individuelle.

Ces perspectives soulèvent des espérances nouvelles. La question que tous les Français se posent est celle de savoir si ces coups de boutoirs libéraux du grand large ont quelque chance d’entraîner leur pays sur une même pente libérale. Leur « droite » est-elle et sera-t-elle à la hauteur de ce mouvement bien exotique ? On peut raisonnablement en douter. Par sa composition politique et sociale, la droite française a eu en effet pour vocation principale de tenir (mal) le front de la liberté des intérêts économiques privés et de leurs investissements tout en mettant en place une série de relais publics nationaux et internationaux qui se sont rapidement gauchis. Mais surtout, elle passe et passera sans doute complètement à côté du populisme libéral de la vie courante. Elle l’a toujours fait, à l’exception des « Patriotes », pour les gilets Jaunes et pendant le Covid, ainsi que « Reconquête ! » depuis. Comme par hasard, ce sont les grands amis de Donald Trump !

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En théorie économique, la production d’utilité-bonheur et son élaboration par les personnes privées elles-mêmes, selon le principe Beckerien élargi, implique plusieurs facteurs :

  • les flux de revenus rémunérant les éléments de capital possédés dans la sphère de production de biens : capital physique, temps de travail, culture professionnelle notamment ;
  • la consommation et les cultures humaines qu’ils permettent d’obtenir, en quantité et structure optimales ;
  • le patrimoine privé cumulant les épargnes et héritages du passé ;
  • beaucoup de cultures humaines diverses et de « mentalités-vertus » acquises ou transmises ;
  • le temps à répartir ; 
  • enfin, un facteur de protocoles juridiques et réglementaires et les pressions régissant la vie personnelle.

Chaque personne, seule ou en famille, a sa propre fonction de bonheur à maximiser, dépendant de tous les éléments précédents. Quand en janvier on souhaite la bonne année à un parent ou un ami, on se place par l’esprit en observateur de sa fonction d’utilité-bonheur et si on le connaît vraiment bien, on sait ce qui compte pour lui : santé, voyage, sport, argent, belle voiture, réussite des enfants… Dans tous les cas on lui souhaite au préalable d’être libre d’œuvrer librement pour y parvenir. Mais on est parfois loin du compte…

La France étouffe

La montée du socialisme et l’amenuisement des libertés concrètes roulent en flot ininterrompu en France sous la forme de pressions et de protocoles juridiques et réglementaires de plus en plus étouffants : faire ceci ou cela, respecter des limitations de vitesse ridicules, faire contrôler sa maison, obtenir un certificat pour louer, ne plus pouvoir louer, se numériser à l’extrême, subir la fausse complaisance de ses fournisseurs ou de sa banque pour faciliter leur gestion à eux, créer un espace obligatoire, saborder sa voiture diesel dans la rade de Toulon… sans parler de tout ce qui attend dans la coulisse : suppression des espèces, reconnaissance faciale, carte des voyages en avion autorisés, « pass sanitaire » généralisé, puce sous la peau, jours où il fera trop mauvais pour avoir le droit de sortir, interdictions des préfets pour la pêche à pied, la chasse, le barbecue… On ne fait plus ce que l’on veut de son temps, de son patrimoine, ni même pour éduquer ses enfants. Les communes obéissent aux fonctionnaires des intercommunalités obligatoires sous prétexte d’économies de gestion jamais réalisées ; les agences (ADEME, ARCOM, OFB…) vous conseillent, vous surveillent et des sanctions pleuvent, tant sur les professionnels que sur les personnes.

Les moteurs de cette évolution sont certes l’action délibérée des hommes de pouvoir mais aussi et peut-être surtout, l’absence de réaction de la majorité soumise et fatiguée du peuple. On l’a vu de façon consternante au moment du Covid. Leur contexte est celui d’une réduction dramatique du tissu affectif national où les individus se regardent en chiens de faïence.

Notre siècle voit la disparition progressive du droit fondamental des individus et des familles à définir librement leurs fonctions d’utilité et à agir en conséquence. Sur ce point que nous signalons, les partis de droite, s’éloignant du peuple, ont été muets depuis fort longtemps, pour tout dire depuis Georges Pompidou, manquant ainsi gravement à ce combat existentiel.

« Bonne et heureuse vie » serait donc certainement le meilleur slogan des partis de droite s’ils prenaient enfin conscience de l’exaspération populaire sur l’utilité et la vie courante. Mais ils vont au contraire se contenter d’un vague combat pour le pouvoir d’achat, certes important mais besogneux et à effet trop lointain. À noter pourtant l’opération récente contre les ZFE (Crit’ Air Libre) où le RN vient de s’engager avec les automobilistes.

Pour réussir vraiment et rejoindre le mouvement d’émancipation international des peuples occidentaux, la droite devrait entreprendre une politique plus nettement populiste en faveur des libertés du quotidien.

Réagir au déclin: Une économie politique pour la droite française

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Nathalie Azoulai : l’autre et moi

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Nathalie Azoulai © Hélène Bamberger/P.O.L

Nathalie Azoulai publie en ce début d’année Toutes les vies de Théo qui met en scène ce qu’on appelle communément des «couples mixtes» ; c’est-à-dire des couples aux origines et aux identités très différentes. L’altérité étant devenue le mantra de notre époque, la romancière s’en empare pour nous en raconter les déboires…


Couverture de Toutes les vies de Théo © Editions P.O.L

Qui ne se ressemble pas s’assemble

« Théo aimait jeter dans la conversation que, dans une vie, on ne prenait que quatre ou cinq décisions cruciales. Il précisait toujours, vraiment cruciales. Le reste relevait non pas du hasard, mais de l’histoire, la matière du réel, grumeleuse, contrariante, trop épaisse pour être passée au tamis de la volonté. »

Ainsi commence le roman qui, paradoxalement, va contredire pareille affirmation. Car Théo, fils d’un Français breton catholique et d’une mère Allemande qui n’en finit pas de ressasser la culpabilité de son pays, obligeant son fils à regarder, le 27 janvier, la cérémonie du Bundestag à la télévision ; cérémonie durant laquelle on célèbre la libération du camp d’Auschwitz autant qu’on enfonce un peu plus le peuple allemand, part dans l’existence surdéterminé à réparer la faute dans les grandes largeurs. De fait, il fait la connaissance de Léa, juive mais heureuse d’épouser un goy qui la délivrera d’une fidélité obligée à ses origines. Rose, la sœur quasi jumelle de Léa, fera de même, au grand dam des parents un peu dépassés.

Bon anniversaire !

Tout se passe très bien jusqu’au 7-Octobre qui tombe le même jour que l’anniversaire de Théo pour lequel une grande fête est prévue. Et c’est là que tout bascule, et que la douleur ravivée va prendre des proportions telles qu’il n’y aura plus de place pour autre chose, et que Léa au sérieux incomparable va revenir à sa judaïté et ressasser le malheur à la manière de sa belle-mère. Au « plus jamais ça » succède un « ça recommence » et pire « cette fois-ci, c’est foutu ». Le lecteur est aussi éprouvé que Théo, tant la pesanteur est grande et toute discussion impossible.

Et le problème est bien qu’à cette névrose obsessionnelle correspond une réalité. D’où la patience d’un mari qui doit affronter au même moment la conversion de leur fille… au christianisme. Il faut croire que Noémie/Marie sature elle aussi avec le« malheur juif » et que la grâce lui offre un peu d’air.

Je me rends compte que racontée ainsi cette histoire a des accents comiques alors que sa lecture m’en avait privée. Mais à y réfléchir, je me dis que Nathalie Azoulai a peut-être voulu une certaine caricature pour accéder à ce rire, par-delà la tragédie réelle. Caricature, car entre Rose aux yeux de porcelaine et qui semble à dix mètres au-dessus du sol et Léa qui fait preuve d’une fidélité au malheur irrespirable, il y avait sans doute une troisième voie/voix possible ; celle d’une benjamine qui aurait pris, par-delà les circonstances effroyables, le parti d’un judaïsme tourné vers la vie.

À lire aussi du même auteur : Souffle épique pour tragédie grecque

Toujours est-il que les maris goy n’en peuvent plus et s’en vont. Et c’est vers Maya, une artiste libanaise que Théo va se tourner : « Aux côtés de Maya, la nuit devint douce, onctueuse. Entre ses cuisses, cette douceur se fit fondante. Ses deux genoux d’un coup d’un seul s’abattirent bien à plat sur le drap. Théo se sentit accueilli par une souplesse providentielle. » Mais Maya qui, dans un premier temps, danse, peint et s’amuse, n’est pas seulement le contraire de Léa, elle en est aussi l’autre versant. Et c’est reparti pour un tour, mais de l’autre côté ; côté arabe cette fois-ci avec son malheur à lui ! Bref, Théo change de cause mais pas de mission ; il lui faut toujours soutenir la désespérance d’autrui.

Une fable

La délivrance passera par un retour au pays natal ; la Bretagne, où Théo en finira peut-être avec les missions qu’on se donne et trouvera, qui sait, sa voie.

Nathalie Azoulai, au sujet de son livre, parle « d’une comédie légère sur un sujet grave ». Certains critiques disent avoir beaucoup ri. Moi pas. Quant aux personnages, ils semblent incarner des thèses plutôt que des vies, à l’image de la troisième femme rencontrée sur une plage bretonne et qui conclura le livre en avouant éviter dorénavant l’altérité ! Cela sonne un peu trop théorique et pas si crédible tant tout être humain est un autre pour moi, par-delà les appartenances identitaires très marquées. Alors, sans doute, faut-il lire ce livre moins comme un roman que comme une fable, voire une satire pour pouvoir en rire. Pour ma part, je relirai plutôt Titus n’aimait pas Bérénice que j’avais profondément aimé.


Toutes les vies de Théo, de Nathalie Azoulai, aux Éditions P.O.L, 2025, 272 pages.

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Titus n’aimait pas Bérénice, de Nathalie Azoulai, aux Éditions P.O.L, 2015 (prix Médicis), 416 pages.

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Robert Bresson: un joyau oublié restauré

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Guillaume Des Forêts dans "Quatre nuits d'un rêveur" © Carlotta Films

Une perle du cinéma français, une histoire passionnelle dans un Paris méconnaissable…


Quatre nuits d’un rêveur, 1971 © Carlotta Films

« J’habite 6 rue Antoine Dubois, une espèce d’atelier au deuxième étage ». Ainsi Jacques, jeune artiste-peintre bohème et solitaire, confie-t-il son adresse du Quartier latin à Marthe, au seuil de cette deuxième rencontre nocturne avec celle que le « rêveur » du film de Robert Bresson (1901-1999) a sauvé du suicide, la nuit précédente, au moment où la jeune femme au visage de madone, debout, capée de noir, déchaussée sur le parapet du Pont-Neuf, s’apprêtait à se jeter dans la Seine.
Dans ce premier rôle, Isabelle Weingarten, alors âgée de 21 ans, mannequin découverte par le cinéaste un peu par hasard, et qu’on retrouvera, deux ans plus tard, chez Jean Eustache dans La Maman et la Putain, – autre chef-d’œuvre. Sous les traits de Jacques, Guillaume Des Forêts (le fils de l’immense poète Louis-René Des Forêts), ici à peine sorti de l’adolescence : par sa discrète performance dans ces Quatre nuits d’un rêveur, le voilà définitivement immortalisé au firmament du Septième art. Après Une femme douce (1969), c’est le deuxième film en couleurs du génial janséniste Robert Bresson, réalisateur inspiré, comme l’on sait, des Dames du bois de Boulogne (1945), du Procès de Jeanne d’Arc (1962) ou du Diable probablement (1977), pour ne citer que ces titres parmi d’autres plus sûrement encore passés à la postérité.

À lire aussi du même auteur : Tombeau de Callas

Qu’est-ce qui rend la redécouverte de ce film-ci, en 2025, tellement émouvante ? Paris a depuis longtemps largué les aussières qui, à l’aube des années soixante-dix, l’arrimaient encore à la félicité de l’indolence et du partage. Et c’est donc ce Paris disparu qu’exhume Quatre nuits d’un rêveur. Un Paris où le désir se lit dans les yeux, où l’on se lie sur un simple regard échangé et non par le vecteur numérique d’un site de rencontre, où piétons et voitures s’accommodent d’exister ensemble, sur fond de trafic klaxonnant, capricieux, désordonné, loin de la tyrannie des prétendues mobilités douces édilitaires, qui mettent aujourd’hui la capitale en état de siège… Où Pierre et Marthe, immobiles et silencieux côte-à-côte dans la nuit tiède, depuis le pont de leur rendez-vous rituel, peuvent voir glisser dans le clapot du fleuve la carapace vitrée, transparente, illuminée, presque onirique, d’un bateau-mouche, en contrebas, qui traîne après lui les effluves d’une merveilleuse musique de bossa-nova, jouée et chantée en live. Le temps n’est pas venu du topo patrimonial didactique, pré-enregistré en trois langues, à la diffusion duquel le touriste naviguant est obligatoirement soumis, en ce XXIème siècle tellement convivial.

Plutôt que de vous déflorer une intrigue résolument ascétique, disons que ces quatre étapes scandent, dans une douceur trompeuse, l’extrême vulnérabilité, l’extrême cruauté de la passion passant à côté de l’amour. Marthe, qui vit chez sa mère, croit n’aimer que le jeune voisin locataire (il n’a pas de prénom, dans le film), lequel, après avoir l’avoir séduite, part étudier en Amérique, non sans lui avoir fixé rendez-vous sur le lieu même de leur rencontre, dans un an jour pour jour, promettant d’être à elle si elle l’aime encore à son retour, et réciproquement. Au jour dit, il ne vient pas. Mis dans la confidence par Marthe, Pierre le sigisbée (pour son propre usage il enregistre inlassablement au magnétophone l’expression de son désarroi), offrira-t-il en vain son amour chevaleresque et désintéressé à celle qui l’a sacrifié à sa passion aveugle pour ce total inconnu ?
L’esthétique si particulière au cinéma de Bresson – avec cette diction neutre qu’il impose à ses « acteurs » – ne va pas sans humour, au demeurant. Comme dans la séquence de la visite impromptue qu’un camarade artiste fait à Pierre, un jour, pour lui tenir un monologue abscons sur la vocation de l’artiste contemporain à mettre désormais son art au seul service du concept ; ou encore dans cette scène macabre, si comiquement caricaturale, du thriller foireux qu’au cinéma regardent Jacques et Marthe, et dont la stupidité les décide de lever le camp sans attendre la fin de la séance.
Tiré, à l’instar de Nuits blanches, le film de Luchino Visconti réalisé en 1957, de la même nouvelle de Dostoïevski, Quatre nuits d’un rêveur est empreint d’une mélancolie frémissante, d’une sensualité printanière irisée par le chromatisme de ce chef opérateur mythique qui a nom Pierre Lhomme (1930-2019). Sa restauration en « 4K » sous les auspices de MK2 Films et du distributeur Carlotta ressuscite sur grand écran ce miracle de poésie après plus d’un demi-siècle.


Quatre nuits d’un rêveur. Film de Robert Bresson. Avec Isabelle Weingarten, Guillaume Des Forêts… France, couleur, 1971. Durée : 1h23.
En salles le 19 février

Cradoque

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September & July © BBC Film

September et July explore une adolescence à vif et une relation fusionnelle déroutante. Premier long-métrage d’Ariane Labed, ce film produit par la BBC intrigue autant qu’il dérange.


Affiche du film © D.R.

Elles ont du poil aux aisselles et sont vêtues comme l’as-de-pique. September et July ne sont pas deux mois de l’année, comme le laissait subodorer le titre. Mais un couple sororal de british teenage girls créchant sous le toit de leur génitrice célibataire, d’origine indienne semble-t-il, laquelle les fait poser telles des jumelles sur des photos dont on verra, au cours du film, que plus déjantée encore que sa progéniture, elle en fait des tirages grand format pour les exposer dans une galerie médiocre du bled.

En attendant, les deux sœurs lycéennes sont un peu le souffre-douleur des garçons du collège mixte, particulièrement notre September, rétive à la vie en commun, et dont au fil des séquences on décèle chez elle un psychisme perturbé. Le film enchaîne ainsi les épisodes, sans que le spectateur sache trop où ça nous mène, ni qu’on parvienne à s’attacher à ces têtes–à-claque. À force de dérèglements, September finit par être virée de l’école. Soudées à la vie à la mort par des rituels mystérieux (elles élèvent des vers de terre, par exemple), nos adolescentes mûrissent sous la protection attentive de leur mère…

A lire aussi: Architecte rescapé

Tiré de Sœurs, un roman gothique de Daisy Johnson, le scénario procède par ellipses. Dans la seconde partie, le trio féminin s’échappe en voiture dans la campagne irlandaise, en bord de mer, dans une maison vide, d’aspect assez plouc ; on croit comprendre que c’est celle du beau-père « toxique ». Maman s’offre une passade avec un type du cru qui l’a draguée dans un pub local : la séquence est assez cradoque, un cunnilingus (laissé hors cadre pour notre soulagement) fait orgasmer madame dans une grimace, puis c’est au tour du partenaire qui, adroitement manipulé (toujours hors champ), fait sa flaque sur son tricot. Un peu plus tard, July perdra son pucelage, une nuit, sur la plage autour d’un feu de bois, tringlée par un des jeunes de la bande de péquenots à qui les filles devaient l’invitation. Par la suite, le blondinet décidément conquis sonne à la porte, cake au chocolat en guise de bouquet. Mais comme il tente la galipette sur le canapé du living (September est restée à l’étage), tout part en vrille avant consommation, et le gus s’enfuit sans demander son reste.   

Faut-il reconnaître là, dans la dimension sociale ethnico-prolétarienne mâtinée de fantastique, la patte particulière à la bibissie (BBC), producteur de ce long métrage ? Il est signé d’une française, Ariane Labed, qui est avant tout actrice : on se souvient de l’avoir vue devant la caméra dans Alps et The Lobster (Yorgos Lanthimos).  Heureusement que son premier film ne s’éternise pas trop.   

September & July. Film d’Ariane labed. Avec Mia Thiara, Pascale Kann, Rakhee Thakrar. Islande, Angleterre, Allemagne, couleur, 2024.

Durée: 1h40.
En salles le 19 février

Tout le monde aime David Foenkinos?

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David Foenkinos © Francesca Mantovani – Editions Gallimard

Tout le monde aime Clara, dernier roman de David Foenkinos est l’histoire d’une double renaissance. Celle d’une jeune fille qui se découvre des dons de voyance, et celle d’un écrivain qui renoue avec son art.


Le succès repose souvent sur un malentendu. David Foenkinos en est la preuve. De son premier roman Inversion de l’idiotie jusqu’à La vie heureuse en passant par Le mystère d’Henri Pick, l’auteur du Potentiel érotique de ma femme nous a habitué à des comédies dans lesquelles l’humour le dispute à la fantaisie.

Pourtant, à y regarder de plus près, cette apparente légèreté, soulignée par le choix de ses titres, n’est que l’envers d’une gravité sciemment tenue à distance. Il suffit de relire Charlotte, roman consacré à Charlotte Salomon, peintre allemande morte à Auschwitz, récompensé par le Goncourt des lycéens et le Renaudot, pour en être persuadé. David Foenkinos n’est pas l’auteur de « Feel good books » que l’on croit et son dernier roman, Tout le monde aime Clara, en donne une nouvelle fois la preuve. Résumer ce livre tient de la gageure. L’auteur a une imagination prodigieuse et en fait ici la démonstration éclatante.

A lire aussi: Eric Neuhoff : retour sur le drame de sa vie 

Tout commence par un atelier d’écriture. Un homme d’une cinquantaine d’années, suite à un drame personnel, l’accident de sa fille Clara, décide de « réveiller sa part artistique ». Son maître dans cette aventure : un certain Eric Ruprez, auteur d’un seul et unique livre La peur des secondes publié en 1982 aux Éditions de Minuit, dont il est peu de dire qu’il connut un succès modéré. Depuis, cet homme aussi taciturne que mystérieux n’a plus écrit. Un incipit d’autant plus fascinant qu’il faudra attendre près de 200 pages pour en connaître la suite. Entre temps nous aurons fait la connaissance des parents de Clara, Alexis, banquier et Marie, passionnée par le cinéma. « Ils étaient différents, et leur attirance venait précisément de cette différence (viendrait un temps où ce serait le contraire) ». Puis celle de leur fille, espérée longtemps et qui de fait « fut élevée comme l’unique citoyenne d’un royaume qui lui était consacré », « une enfant chétive, sorte de divinité du bac à sable ». Puis de l’amant de Marie, rencontré sur un plateau de tournage. Jusqu’au drame : l’accident de voiture à la suite duquel Clara tombe dans le coma. Pendant huit mois ses parents resteront à son chevet. Les épreuves rapprochent on le sait. Marie et Alexis retrouveront leur complicité. Et puis un jour Clara se réveillera. On ne ressort jamais indemne de ce genre d’expérience. David Foenkinos qui a lui-même été hospitalisé pendant plusieurs mois à l’âge de 16 ans en sait quelque chose et ne cache pas que sa vocation littéraire date de là. Son héroïne, elle, se découvrira un autre don que celui des mots : celui de la voyance.

Grâce à elle, l’écrivain malheureux renouera avec l’écriture et publiera son second roman quarante ans après le premier. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Il faudra lire le livre pour le découvrir… Roman subtil et délicat sur l’ésotérisme, Tout le monde aime Clara se double d’une réflexion sur les mystères de la création. Jubilatoire.


Tout le monde aime Clara, David Foenkinos, Gallimard, 2025, 208 pages.

Tout le monde aime Clara

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Giorgia on my mind

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Elon Musk, PDG de Tesla, remet un prix à Giorgia Meloni, présidente du Conseil des ministres italien, lors du dîner des Global Citizen Awards, le lundi 23 septembre 2024, à New York © Michelle Farsi/AP/SIPA

Dans sa volonté à peine cachée de changer le cours de la politique européenne, Elon Musk semble trouver un véritable ange gardien en la personne de la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni. Analyse.


C’est, peut-être, l’œuvre de l’intelligence artificielle, ce nouveau Golem de l’humanité, et la plus amusante de nos jours dans la sphère politico-médiatique : « Muskloni »1. Au mois de décembre dernier, une vidéo montrant un baiser passionné entre Giorgia Meloni et Elon Musk a fait le tour de la planète web. La scène s’est passée à Notre-Dame de Paris, lors de la cérémonie de réouverture de la célèbre cathédrale après l’incendie de 2019, qui a réuni pour l’occasion de nombreux dirigeants politiques et des personnalités influentes de l’Occident.  Alors que les photographes ont capté un moment d’échange entre la présidente du Conseil des ministres d’Italie et le patron de Tesla, les pirates du contenu numérique se sont chargés de fabriquer à partir de cette image une vidéo romantique d’un couple rapidement baptisé par la Toile « Muskloni ». Ce terme, qui mélange les syllabes des noms de deux protagonistes, s’inscrit dans la tradition des appellations données par les tabloïds aux couples de célébrités tels que Brangelina (pour Brad Pitt et Angela Jolie) ou encore Bennifer (Ben Affleck et Jennifer Lopez)… 

[ndlr : évidemment, cette vidéo est truquée et générée par de l’intelligence artificielle]

L’intelligence artificielle, souvent présentée comme une révolution majeure, n’a sans doute pas attiré l’attention mondiale uniquement par la qualité de ses performances techniques. L’alliance entre la femme politique italienne et l’homme d’affaires sud-africain est bien réelle et s’est déjà concrétisée par d’importants contrats entre l’Italie et les entreprises du milliardaire. Elle incarne un symbole fort du pouvoir émergent qui, depuis l’élection de Donald Trump, semble vouloir façonner un nouvel ordre mondial, et peut-être même un nouvel ordre moral en Occident. Cette alliance associe la puissance financière et la modernité technologique d’un côté, et de l’autre, un conservatisme largement soutenu par la population occidentale. Plus encore, elle favorise l’action à la parole, une qualité qui distingue ces deux figures d’autres personnalités du paysage médiatique actuel.

L’audace de Musk -le premier représentant de la surpuissante Big Tech américaine à avoir apporté son soutien au candidat-républicain Trump – lui a valu la réputation de « fou »  et de « dérangé »2, tant ses opinions exprimées sur le réseau social X sur la vie politique européenne sont peu appréciées par les élites au pouvoir sur le Vieux Continent. Le courage de Mme Meloni s’est lui manifesté dans ses prises de position sur la question migratoire ou encore au sujet des dérives du wokisme et a fait d’elle la femme politique la plus en vue actuellement sur la scène internationale… Et sans doute, n’en déplaise à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, la nouvelle reine de l’Europe.

À lire aussi, Dominique Labarrière : X AE A-12, range ta chambre!

Une féministe contre les progressistes

« Je suis Giorgia, je suis une femme, je suis une mère, je suis italienne, je suis chrétienne ».3 C’est ainsi que ce petit bout de femme aux yeux revolver et aux discours enflammés a défini, il y a quelques années, son identité politique lors d’un meeting de son parti Fratelli d’Italia. C’est avec un discours insistant sur les valeurs traditionnelles que la cheffe du gouvernement italien de 48 ans, élevée dans une famille monoparentale et elle-même mère célibataire, a réussi à ringardiser les postures des milliers de néo-féministes obsédées par la déconstruction de l’histoire millénaire de leurs pays, et qui, au passage, leur a permis de bénéficier de ses immenses acquis politiques, sociaux et culturels… Arrivée au pouvoir en 2022, Mme Meloni a rapidement fait preuve d’un sens politique et diplomatique assez incroyable et les résultats ne se sont pas fait attendre. Les chiffres de l’immigration irrégulière en Italie en 2024 ont été en baisse de 60% par rapport à l’année précédente et de 38 % par rapport à 2022.4 Pour y arriver, le gouvernement du pays a soigné ses relations avec la Libye et la Tunisie, en signant avec ces derniers des accords qui ont déjà permis le rapatriement de 9 000 migrants. Le pays a durci les lois sur les regroupements familiaux, a renforcé les peines pour les passeurs et a mis en place un contrôle drastique des activités des ONG.

Alors que ses alliés politiques les plus proches comme Silvio Berlusconi ou Matteo Salvini ne cachaient pas leur sympathie pour le président de la Russie Vladimir Poutine, à son arrivée au pouvoir Mme Meloni a apporté un soutien appuyé à l’Ukraine. Cette position purement atlantiste lui a permis de gagner la confiance du président américain Joe Biden sans pour autant s’aligner politiquement avec le parti démocrate américain. Georgia Meloni a décidé d’arracher des mains de la gauche italienne le contrôle sur la culture et de créer un « nouvel imaginaire Italien ». Son camp politique a alors poussé dehors les étrangers à la tête d’établissements culturels prestigieux. Les Français Stéphane Lissner, directeur de Teatro San Carlo de Naples et Dominique Meyer, qui gérait la mythique La Scala, en ont fait les frais.

À lire aussi, John Gizzi : La ruée vers l’âge d’or

Giorgia – Elon , l’impossibilité d’une île 

Et puis Giorgia a les yeux qui brillent de mille feux pour Elon.5 En décembre 2023, la dirigeante italienne organise une réception royale pour l’homme le plus riche du monde aux abords du château Saint-Ange à Rome, érigé sur le mausolée de l’empereur Hadrien.  Elle engage avec le businessman les pourparlers autour d’un grand projet entre sa société SpaceX et le gouvernent italien pour l’accès sécurisé à Internet du ministère italien de la Défense, ou encore pour les situations d’urgence telles que les attaques terroristes.6

Et quand Elon Musk a rédigé sur X des critiques acerbes envers le chancelier allemand Olaf Scholz et le Premier ministre britannique Keir Starmer, l’amie Giorgia a volé à son secours avec ces mots : « À ce que je sache, Elon Musk ne finance pas de partis, d’associations ou de politiciens à travers le monde. C’est ce que fait par exemple George Soros. Et oui, je considère cela comme une dangereuse interférence dans les affaires des États et leur souveraineté ».7

Combien de temps la femme forte de l’Italie saura-t-elle pratiquer le grand écart entre son amitié outre-Atlantique et ses partenaires européens, qui, pour la plupart, ne sont pas du goût du milliardaire ? L’avenir nous le dira, ou, peut-être, ChatGPT ? La nouvelle coqueluche de la tech californienne sans laquelle, à en croire ses 300 millions d’utilisateurs hebdomadaires, notre existence sur Terre semble ne plus être possible.8 En attendant le verdict de la sainte IA, il est toujours possible de fredonner la sublime chanson de Ray Charles. Un simple plaisir qui semble nous échapper de plus en plus…

« Georgia, douce Georgia, je ne trouve aucune paix
Juste une vieille chanson douce
fait que je garde Georgia en moi
d’autres bras se tendent vers moi
»9


  1. « Muskloni » : l’IA invente une romance entre Giorgia Meloni et Elon Musk | Euronews ↩︎
  2.  Musk  » fou » et  » dérangé » ↩︎
  3. « Je suis Giorgia, femme, Italienne, et chrétienne » ↩︎
  4. Italie : la politique de Giorgia Meloni a fait chuter l’immigration irrégulière de 60 % en 2024  ↩︎
  5. Giorgia Meloni cultive sa relation avec Elon Musk ↩︎
  6. Italie SpaceX contrat ↩︎
  7. Italie: Giorgia Meloni prend la défense d’Elon Musk ↩︎
  8. ChatGPT-300-millions-d-utilisateurs-hebdomadaires ↩︎
  9. Traduction Georgia On My Mind par Ray Charles ↩︎

Trouble allégeance

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Rima Hassan à une manifestation propalestinienne, Paris, 25 janvier 2025 © SEVGI/SIPA

En pleine crise entre la France et l’Algérie, ils sont nombreux, en France, à prendre le parti d’Alger. « Influenceurs », imams, élus, militants… forment une cinquième colonne idéologique dont la nouvelle figure de proue est Rima Hassan. Mais s’il y a des influenceurs, il y a des influencés qui se recrutent d’abord parmi les Franco-Algériens. Reste à savoir combien.


Rima Hassan restera dans l’Histoire. Comme l’un des 24 parlementaires européens – et des quatre Français – à avoir voté contre la résolution exigeant la libération immédiate de Boualem Sansal, ce qui revient à proclamer que les Algériens ont le droit, et même bien raison, d’embastiller un écrivain français. On a abondamment et légitimement commenté l’abjection humaine de ce vote, beaucoup moins le fait qu’il constitue une spectaculaire proclamation d’allégeance au régime d’Alger, alors que la France est en crise ouverte avec l’Algérie.

Rima Hassan a de la chance d’être une citoyenne française (la réciproque est moins vraie). Elle a le droit de défendre les intérêts de l’Algérie contre ceux de son pays. Arrogance, fanatisme et sottise en moins, c’est pour avoir, comme elle le fait aujourd’hui, pris le parti d’un pays étranger, le Maroc, contre le sien, que Boualem Sansal est incarcéré (et aussi comme otage pour emmerder les Français). Dans un pays libre, le patriotisme n’est pas une obligation. Même si nous étions en guerre avec l’Algérie, Madame Hassan pourrait déclarer « je souhaite la victoire de l’Algérie ». En Algérie, elle n’essaierait même pas.

Bien sûr, nous ne sommes pas en guerre. Les services français ont tenu à faire savoir que, derrière l’agitation politique et diplomatique, les affaires sérieuses continuent, particulièrement la coopération antiterroriste : ils ont donné une publicité inhabituelle au déplacement du patron de la DGSE. Côté français, on n’en finit pas de promettre qu’on va voir ce qu’on va voir, mais à part des protestations énergiques – et semble-t-il, quelques tracasseries à Roissy, c’est le minimum syndical – on n’a pas vu grand-chose. Avec les Algériens, on devrait peut-être essayer la méthode Trump. Mais je m’égare.

Une cinquième colonne idéologique dont Rima Hassan est le porte-étendard ?

Les Français ont récemment découvert une bande d’abrutis de compétition qui vocifèrent sur les réseaux sociaux, dégurgitant une bouillie de mensonges historiques, de ressentiment et de menaces explicites à l’égard de la France où ils appellent à commettre divers crimes – ce qui a permis d’en arrêter plusieurs qui seront jugés. Ces « influenceurs » sont en quelque sorte la piétaille numérique d’une cinquième colonne idéologique dont Rima Hassan est le porte-étendard. D’autres grenouillent dans l’entourage de la Mosquée de Paris, courroie de transmission essentielle du pouvoir algérien en France (voir l’article de Jean-Baptiste Roques dans notre dossier). Sans compter les multiples professionnels de la combine capables de monnayer là-bas un pouvoir, réel ou imaginaire, sur le cours des choses ici. Peu importe qu’ils soient stipendiés ou se contentent de la gloire d’être « un soldat dormant de l’Algérie » comme un certain Onizatrek. Comme tous les pays d’origine de doubles-nationaux, l’Algérie prétend exercer une surveillance idéologique de sa diaspora, particulièrement de ses opposants. Cependant, il n’est pas prouvé qu’elle tire les ficelles des « influenceurs ».

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Précisons pour les partisans du premier degré qu’il n’y a pas en France de groupes organisés et téléguidés qui s’apprêtent à prendre les armes le jour J, d’ailleurs il n’y a pas de jour J. Le succès de ces primates tiktokeurs ne signifie pas que des milliers de nos compatriotes soient prêts à commettre des viols et tueries de masse en France, même si on ne peut plus exclure un fanatique plus zélé que les autres.

N’empêche, s’il y a des influenceurs, il y a des influencés : tous ces Français qui prennent pour parole d’évangile les imprécations de Rima Hassan et Imad Tintin (également appelé « Bledar de luxe »). À quoi s’ajoutent les ravages de décennies de câlinage victimaire : à force d’entendre du matin au soir qu’ils étaient maltraités par une France raciste, colonialiste et esclavagiste, des Français de troisième génération nés cinquante ans après les accords d’Évian se targuent obsessionnellement de niquer le pays d’accueil de leurs grands-parents, tandis qu’une partie heureusement minoritaire de la jeunesse des quartiers (qu’on désigne pudiquement par « les jeunes ») se sent autorisée à casser du flic ou brûler les médiathèques (qu’elle fréquente moins que les magasins Nike).

Dans « les quartiers », « Français » est une insulte

C’est, logiquement, parmi les Franco-Algériens que recrutent les relais de l’islamo-nationalisme algérien. Reste à savoir dans quelle proportion. La question, qui taraude pas mal de Français, semble particulièrement sensible à l’intérieur de nos services de sécurité. Place Beauvau, la consigne, c’est silence radio. Et preuve qu’il y a un enjeu de taille, la consigne est suivie, aucun de nos auteurs n’ayant réussi à faire parler ses contacts habituels. Faute d’études et même de sondages indiquant l’état d’esprit de cette population spécifique, on ne peut que s’appuyer sur des témoignages et impressions. Qui aboutissent nécessairement à un tableau impressionniste. Ce n’est pas parce qu’une réalité échappe à la mesure statistique qu’elle n’existe pas.

Il serait injuste et désastreux de faire porter le soupçon sur l’ensemble des Franco-Algériens dont la majorité (on le suppose et on l’espère) aspirent seulement à être des Français comme les autres, même s’ils passent leurs vacances au bled (comme nombre de juifs). Beaucoup, et pas seulement les Kabyles, sont horrifiés par la vindicte antifrançaise du régime, autant que par le comportement de certains de leurs compatriotes. La pression du groupe est telle que peu osent afficher leurs convictions, de peur d’apparaître comme des traîtres à l’Algérie et à l’islam (voir les articles de Driss Ghali et Charles Rojzman dans notre dossier). Dans « les quartiers », « Français » est une insulte.

Que les Français d’origine algérienne aiment le pays de leurs parents est parfaitement légitime. L’ennui, c’est que dans la bulle cognitive (un bien grand mot) où vivent nombre d’entre eux, la France a commis un génocide en Algérie, les Français sont racistes, et les « sionistes » dirigent le monde. On en conviendra, pour le vivre-ensemble, ce n’est pas idéal.

Eric Neuhoff : retour sur le drame de sa vie 

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Eric Neuhoff © Denis Félix

Avec son récit Pentothal, Eric Neuhoff revient sur l’accident qui emporta l’un de ses meilleurs amis et le clouera des mois sur un lit d’hôpital. Intime, sincère, bouleversant.


© Albin Michel

On connaît le redoutable Éric Neuhoff, hussard, brillant, fustigeur de la pensée unique, provocateur, cinéphile imparable au Masque et la Plume sur France Inter ou dans le Fig Mag, élégant dandy détaché de tout, romancier exquis des histoires d’amour qui n’en finissent pas, des hanches de Laëtitia, des fêtes au champagne et de cette France qu’on aime. C’est, finalement, peu le connaître. Pentothal, son dernier récit, nous surprend, nous émeut par sa sincérité brute, sa fragilité diaphane qui laisse voir, à l’intérieur, un cœur écorché. On le serait moins car ce qu’il nous raconte est terrible.

Amputation ?

En 1978, sur une route départementale de Catalogne, il est victime un accident de voiture qui coûtera la vie à Olivier, l’un de ses meilleurs amis. Il se retrouve à l’hôpital, une jambe broyée. Il souffre terriblement, abruti par le pentothal. Certains médecins et chirurgiens peu éclairés, songent même à l’amputer. Sa jambe devra son salut à une équipe d’aides-soignantes qui, en douce, lui fournissent une liste d’établissements où, disent-elles, il sera mieux traité et soigné que dans le leur… Et au fameux professeur Judet, de la clinique Jouvenet, dans le XVIe arrondissement. « Mousquetaire en blouse bleue, il défiait la fatalité sabre au clair. »

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Après douze mois cloué sur un lit de souffrance et dix-huit anesthésies générales, peu à peu, la sacrée jambe se remit à fonctionner. C’est ce martyre que nous conte Éric Neuhoff ; pas un martyre de fiction mais bien le sien. Et la mort d’Olivier, que ses parents lui annoncèrent bien plus tard, afin qu’il fût en mesure de supporter l’épouvantable nouvelle…

Littérature acide

Mais bien plus que le récit d’abominables souffrances, ce livre, tissé d’une mélancolie acidulée, est celui de l’adieu à la jeunesse ; l’adieu aussi au monde d’avant. On y voit passer Bernard Frank, Henri-François Rey (sosie d’Alain Pacadis), Jean-Jacques Brochier, Jean-François Bizot et ses Déclassés (quel beau roman !), Michel Déon, Jacques Higelin. Les amis sont là : Patrick Besson, Frédéric Vitoux et son épouse, François Cérésa, Anthony Palou…

La bande son est constituée de Chicago (message pour Éric : le musicien flingué accidentellement à la roulette russe, c’était Terry Kath), Bijou, Dutronc, Téléphone, Gainsbourg. Rôdent les ombres de Pascal Jardin, de Drieu la Rochelle, de Claude Sautet, de Louis Malle, de Geneviève Dormann. Et quel joli clin d’œil à Kléber Haedens lorsqu’il raconte, qu’avec le temps, ses yeux bleus sont devenus gris. Oui, ce Pentothal, détient la puissance nostalgique et mélancolique du Adios de Kléber. Pentothal : un grand livre, profond, sensible et si intime qu’il en devient universel.

Pentothal, Éric Neuhoff ; Albin Michel ; 212 p

Pentothal

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