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Robert Bresson: un joyau oublié restauré

"Quatre nuits d'un rêveur" de retour dans les salles le 19 février


Robert Bresson: un joyau oublié restauré
Guillaume Des Forêts dans "Quatre nuits d'un rêveur" © Carlotta Films

Une perle du cinéma français, une histoire passionnelle dans un Paris méconnaissable…


Quatre nuits d’un rêveur, 1971 © Carlotta Films

« J’habite 6 rue Antoine Dubois, une espèce d’atelier au deuxième étage ». Ainsi Jacques, jeune artiste-peintre bohème et solitaire, confie-t-il son adresse du Quartier latin à Marthe, au seuil de cette deuxième rencontre nocturne avec celle que le « rêveur » du film de Robert Bresson (1901-1999) a sauvé du suicide, la nuit précédente, au moment où la jeune femme au visage de madone, debout, capée de noir, déchaussée sur le parapet du Pont-Neuf, s’apprêtait à se jeter dans la Seine.
Dans ce premier rôle, Isabelle Weingarten, alors âgée de 21 ans, mannequin découverte par le cinéaste un peu par hasard, et qu’on retrouvera, deux ans plus tard, chez Jean Eustache dans La Maman et la Putain, – autre chef-d’œuvre. Sous les traits de Jacques, Guillaume Des Forêts (le fils de l’immense poète Louis-René Des Forêts), ici à peine sorti de l’adolescence : par sa discrète performance dans ces Quatre nuits d’un rêveur, le voilà définitivement immortalisé au firmament du Septième art. Après Une femme douce (1969), c’est le deuxième film en couleurs du génial janséniste Robert Bresson, réalisateur inspiré, comme l’on sait, des Dames du bois de Boulogne (1945), du Procès de Jeanne d’Arc (1962) ou du Diable probablement (1977), pour ne citer que ces titres parmi d’autres plus sûrement encore passés à la postérité.

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Qu’est-ce qui rend la redécouverte de ce film-ci, en 2025, tellement émouvante ? Paris a depuis longtemps largué les aussières qui, à l’aube des années soixante-dix, l’arrimaient encore à la félicité de l’indolence et du partage. Et c’est donc ce Paris disparu qu’exhume Quatre nuits d’un rêveur. Un Paris où le désir se lit dans les yeux, où l’on se lie sur un simple regard échangé et non par le vecteur numérique d’un site de rencontre, où piétons et voitures s’accommodent d’exister ensemble, sur fond de trafic klaxonnant, capricieux, désordonné, loin de la tyrannie des prétendues mobilités douces édilitaires, qui mettent aujourd’hui la capitale en état de siège… Où Pierre et Marthe, immobiles et silencieux côte-à-côte dans la nuit tiède, depuis le pont de leur rendez-vous rituel, peuvent voir glisser dans le clapot du fleuve la carapace vitrée, transparente, illuminée, presque onirique, d’un bateau-mouche, en contrebas, qui traîne après lui les effluves d’une merveilleuse musique de bossa-nova, jouée et chantée en live. Le temps n’est pas venu du topo patrimonial didactique, pré-enregistré en trois langues, à la diffusion duquel le touriste naviguant est obligatoirement soumis, en ce XXIème siècle tellement convivial.

Plutôt que de vous déflorer une intrigue résolument ascétique, disons que ces quatre étapes scandent, dans une douceur trompeuse, l’extrême vulnérabilité, l’extrême cruauté de la passion passant à côté de l’amour. Marthe, qui vit chez sa mère, croit n’aimer que le jeune voisin locataire (il n’a pas de prénom, dans le film), lequel, après avoir l’avoir séduite, part étudier en Amérique, non sans lui avoir fixé rendez-vous sur le lieu même de leur rencontre, dans un an jour pour jour, promettant d’être à elle si elle l’aime encore à son retour, et réciproquement. Au jour dit, il ne vient pas. Mis dans la confidence par Marthe, Pierre le sigisbée (pour son propre usage il enregistre inlassablement au magnétophone l’expression de son désarroi), offrira-t-il en vain son amour chevaleresque et désintéressé à celle qui l’a sacrifié à sa passion aveugle pour ce total inconnu ?
L’esthétique si particulière au cinéma de Bresson – avec cette diction neutre qu’il impose à ses « acteurs » – ne va pas sans humour, au demeurant. Comme dans la séquence de la visite impromptue qu’un camarade artiste fait à Pierre, un jour, pour lui tenir un monologue abscons sur la vocation de l’artiste contemporain à mettre désormais son art au seul service du concept ; ou encore dans cette scène macabre, si comiquement caricaturale, du thriller foireux qu’au cinéma regardent Jacques et Marthe, et dont la stupidité les décide de lever le camp sans attendre la fin de la séance.
Tiré, à l’instar de Nuits blanches, le film de Luchino Visconti réalisé en 1957, de la même nouvelle de Dostoïevski, Quatre nuits d’un rêveur est empreint d’une mélancolie frémissante, d’une sensualité printanière irisée par le chromatisme de ce chef opérateur mythique qui a nom Pierre Lhomme (1930-2019). Sa restauration en « 4K » sous les auspices de MK2 Films et du distributeur Carlotta ressuscite sur grand écran ce miracle de poésie après plus d’un demi-siècle.


Quatre nuits d’un rêveur. Film de Robert Bresson. Avec Isabelle Weingarten, Guillaume Des Forêts… France, couleur, 1971. Durée : 1h23.
En salles le 19 février




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