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La France a besoin d’un nouveau projet collectif

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Après le temps de la colère doit venir celui de la réconciliation. La révolte des gilets jaunes en est témoin: il faut rebâtir une démocratie fondée sur la raison, qui tienne compte de la parole du peuple.


Certains ont ironisé sur la prise de parole des gilets jaunes. Ces ploucs ne sauraient pas dire ce qu’ils veulent. Ils ne sauraient pas davantage dire où ils prétendent aller et n’auraient, en tronc commun, que ce cri répété à l’envi : « Macron démission ».

D’autres se méfient désormais d’une parole politiquement incorrecte et mal pensante, qui serait relayée et manipulée par des groupuscules extrémistes. Ceux-là illustrent les mots de Jules Romains, lequel, dans Retrouver la foi, écrivait en 1944 : « Il ne suffira pas que le peuple fasse indéfiniment ce qui lui passe par la tête, ou ce que des malins lui mettent dans la tête, pour que la cité soit sauvée. »

« La démocratie, c’est le régime de la souveraineté de la raison »

Faisons appel à la raison pour repenser la question de la vie démocratique, véritable urgence du moment présent. Et écoutons encore l’académicien dans Pour raison garder : « La démocratie, dans son principe, ce n’est pas le régime de la souveraineté populaire, c’est le régime de la souveraineté de la raison, dans les conditions où les sociétés humaines le rendent possible. » N’en référait-il pas aux fondateurs de la première révolution française, eux-mêmes inspirés par les philosophes, lesquels proposèrent de mettre fin à l’arbitraire dans le gouvernement des hommes et d’y substituer la raison et la justice.

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Ne devons-nous pas reconnaître que cette noble intention est la seule qui vaille aujourd’hui, alors que nombre de citoyens se sentent dépossédés de tout pouvoir sur leur vie et livrés à l’arbitraire de technocraties lointaines. Cette parole inspirée par la raison et tenant en respect les passions collectives les plus ténébreuses, voilà ce que nous devons rechercher urgemment. Pour créer une vie démocratique renouvelée dans laquelle des personnes issues de milieux très divers s’exprimeront librement sur leur expérience de vie, partageront leurs réflexions et seront écoutés par ceux qui ont la charge d’un gouvernement et qui devront faire l’expertise de la situation. S’agit-il là d’une utopie ? Les gouvernements démocratiques étant soumis en permanence à des pressions intérieures et extérieures, il peut en effet sembler fou de prendre, voire perdre ce temps précieux dévolu à écouter les gueux. Pourtant, l’heure ne semble plus à l’évitement.

Tenir compte de la parole du peuple

Les experts qui conseillent nos dirigeants doivent impérativement tenir compte de cette parole populaire surgie du tréfonds et déterminée à se faire entendre. Il est impératif de construire avec eux cette éducation à la vie démocratique où la raison serait maîtresse. Ne le ferions-nous pas ? Nous encourrions le risque d’un futur dangereux et incertain, menacé qu’il serait par des révoltes haineuses et manichéennes. Il est impératif que la parole démocratique réunisse certaines conditions pour livrer son expertise et sa sagesse.

Pour baisser les masques inspirés par la peur, la haine et une relation aux autres et à l’autorité, fragilisées par les aléas de la vie et parler avec authenticité. Pour mettre en relation les paroles les plus diverses et parfois contradictoires, dans la confrontation et le conflit. Pour arriver à une confiance en soi restaurée qui aboutirait à une parole juste et forte, ressourcée par une expérience de vie concrète et documentée. C’est en effet ce manque de confiance envers les nouvelles aristocraties qui nous gouvernent que nous avons tous confondu, à tort, avec un désintérêt pour la politique. Les gilets jaunes, ces abstentionnistes, s’expriment aujourd’hui hors cadre électoral.

Bâtissons ce projet collectif qui réunirait une majorité de Français. Inventons les conditions d’apprentissage de la vie démocratique. Balayons ce grand péril que serait le déficit démocratique, accompagné d’un vide spirituel et culturel, car il pourrait laisser nos concitoyens sans protection face aux tentations sectaires, communautaires ou mafieuses.

Laissez les barbus tranquilles!

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Espèce en voie de réapparition, le barbu n’est pas l’homme viril qu’il croit être. Le barbu se ment, le barbu se cache, mais ne mérite pas d’être emmerdé. Foutez lui donc la paix !


Le barbu ne s’offre pas un surplus de virilité mais bien de maniérisme. Demandez aux coureurs des bois québécois si leurs barbes de cinq mois étaient taillées tous les quinze jours par le coiffeur-artisan-barbier-pilosophe de l’arrondissement. Le poil, s’il fut un jour réellement viril, le fut au prix d’un manque d’hygiène et de propreté, manque de temps ou de matériel. Aujourd’hui, la barbe se fait plus propre, nous pouvons nous en réjouir. Il est cependant difficile de considérer ce nouvel accessoire masculin comme autre chose qu’un masque derrière lequel on cherche à dissimuler ce que nous croyons savoir de nous.

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Dans l’ère de progrès permanent et obligatoire que nous traversons, personne ne s’émeut qu’une femme de quarante-cinq ans commence à se teindre les cheveux pour en cacher la blancheur que certains hommes ne veulent pas voir. S’émouvoir de ceux qui se forcent à ne pas se raser, c’est aussi accorder trop d’émotions et trop d’attention à ces garçons qui n’attendent que cela. En effet, le porteur de barbe n’a pas l’élégance du moustachu. Mais il parvient à son but au prix d’une grande patience et d’une petite résistance, deux qualités qui font cruellement défaut à notre temps. Le hipster barbu d’aujourd’hui c’est l’avorton né d’une GPA de parents soixante-huitards qui, eux, cessaient de se raser pour embêter le bourgeois. Les nouveaux barbus portent la barbe hirsute, mais ils y font attention et la préserve comme on protège sa manucure. C’est ce qui les rend triste.

Ça grattouille, ça chatouille, mais ça vous prouve quelque chose

Le père de Marcel Pagnol est en train de se raser en chantonnant. Cette image du film d’Yves Robert est dans toutes les têtes. Celle où Joseph et l’oncle Jules se rasent en extérieur, au blaireau, face au miroir de barbier. Le barbu feint de l’ignorer pour montrer que lui, il est vrai, il est nature, il n’a pas besoin de la propreté. La barbe c’est la prétention du vrai. Qui sont les barbus d’aujourd’hui ? Des cuisiniers de la télé-réalité, des barmans en quête de personnalité, des banquiers en reconversion. Pire encore, des graphistes sans doute ! Tous sont des hommes dont la quête de vérité se place mal, au mauvais endroit, au mauvais moment.

Que se passe-t-il dans la tête de l’apprenti barbu ? Il se dit que, tiens, il aimerait bien voir sa tête changer. Quand certains pensent à la présidence de la République en se rasant, lui pense que peut-être il fera petit garçon s’il coupe trop ras, que ça ne plaira pas aux dames. Alors il attend, il voit que ça fait son effet, il garde ses poils. Au prix d’un effort terrible : ça le gratte, ça le pique, mais il tient, il veut se le prouver, puis il veut faire américain. La prochaine étape de sa rébellion aux codes sera de refuser de mettre sa chemise dans son pantalon.

Ne désespérons pas. L’élégance reviendra avec la propreté. L’homme montre ses chevilles dans des pantalons trop courts qu’on appelle des 7/8ème et cache la peau de son menton. Mentons donc avec lui et laissons le croire à sa virilité. Lisons, peignons, dessinons, écrivons, plutôt que de vouloir faire vieil artisan. Intéressons-nous aux textes des philosophes plutôt qu’à leur barbe.

Sus aux barbus et à ceux qui les emmerdent

L’ère festive que nous traversons est formidable. L’homo festivus de Philippe M. est partout : dans les apparences des hommes, dans leurs relations amoureuses, dans leurs passe-temps favoris. La barbe n’est que l’un de ses nouveaux plaisirs qui transforment la ville en une parade permanente du ridicule. Mais pire encore que les barbus inutiles qui cachent leur jeunesse derrière leurs poils, il y a ceux qui s’y intéressent ; moi le premier. À quoi bon chercher à critiquer ces hommes qui, hélas, semblent davantage chercher à se connaître qu’à faire de l’effet ?

La barbe ne vous confessera pas, Messieurs, pas plus qu’elle ne vous psychanalysera. Elle fait un effet bœuf : l’homme sous la barbe se rapproche de son animalité. Enfin c’est ce qu’il croit. Il oublie ainsi son humanité, se ridiculisant dans sa volonté de se comporter en mâle alpha d’une meute de petits marquis. S’intéresser trop à l’apparence, la sienne ou celle des autres, c’est perdre son temps.

D’ailleurs, si vous voulez du barbu, pensez plutôt Hemingway, Hugo, ou Zola, bref du barbu qui se limite, qui ne se laisse pas aller, du barbu qui assume l’homme qui est derrière. Ce n’est pas le vélo qui fait le champion, comme ce n’est pas la barbe qui fait l’homme debout. Garder la barbe, ce n’est pas être hirsute. Quitte à être barbu, pensez aussi Gypaète Barbu, rapace pyrénéen amené à disparaître un jour.

Cet oiseau-là n’a pas besoin de barbier.

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Il faut sauver le Grand Palais


Sortant à peine d’une longue phase de travaux de 1993 à 2005, le Grand Palais va à nouveau fermer ses portes de 2021 à 2024, pour un coûteux chantier de restauration et de réaménagement. Ira-t-on au bout des rénovations nécessaires, cette fois-ci ? Les missions de cette institution seront-elles suffisamment réexaminées pour lui apporter un nouveau souffle ? Ce monument d’une qualité architecturale et artistique exceptionnelle constitue une chance pour Paris et pour la France !


Verrières exceptionnelles, immenses espaces, circulation aisée, lumière omniprésente : construit pour éblouir le monde entier lors de l’Exposition universelle de 1900, le Grand Palais est une prouesse architecturale. Au plan artistique, c’est un joyau de l’art néobaroque. La plupart des grands sculpteurs français de l’époque y contribuent. En faisant le tour de l’édifice, avec près d’une cinquantaine d’artistes, on a un aperçu assez complet de la statuaire de cette période, exception faite de Rodin. Se détachent quelques chefs-d’œuvre absolus comme L’Harmonie triomphant de la discorde, de Georges Récipon, ou La Seine et ses affluents, de Raoul Larche. S’il ne fallait citer qu’un aspect pour convaincre les récalcitrants de la subtilité du néobaroque, on pourrait pointer son traitement des corps et, tout particulièrement, des nus féminins. Aucun autre temps n’a plus finement compris le corps humain et ne l’a interprété avec plus de fluidité. Certains parlent encore d’art « académique » ou « pompier », mais ces qualificatifs méprisants relèvent d’une inculture pure et simple.

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Les sculpteurs concernés sont presque tous d’origine modeste. C’est le cas d’Alfred Boucher, fils d’ouvrier agricole, d’Auguste Suchetet, fils de maçon, de Félix Charpentier, fils d’ouvrier de briqueterie, de Corneille Theunissen, fils de cordonnier, etc. Ils sont remarqués durant leur enfance. On les encourage. Ils suivent les voies méritocratiques alors mises en place depuis peu. Ils acceptent des formations très exigeantes. Ardemment républicains, ils œuvrent de toute leur force à ce palais. La IIIe République leur en sait gré. Le monument arbore l’inscription : « Ce monument a été consacré par la République à la gloire de l’art français. »

Un palais vite rétrogradé au statut de simple hangar

L’histoire de l’art, comme l’évolution des espèces, est cependant sujette à de grandes disparitions. C’est ainsi qu’après la Première Guerre mondiale, le changement de goût est total. L’heure est à la géométrisation, à l’Art déco, au cubisme, à la modernité et au classicisme fascisant. Le néobaroque (qui ne porte pas encore son nom) est brutalement dévalué. Le Grand Palais est désormais considéré comme un vaste hangar à l’aspect passé de mode. Pour les manifestations de prestige, on camoufle les décors d’origine. Toutes sortes d’organismes s’y installent. Un véritable dépeçage des lieux intervient. On cloisonne, on entresole, on saccage. Une exposition scientifique est pérennisée au Palais de la découverte. L’espace se réduit, la lumière est obturée, la circulation est barrée, rien n’est entretenu. On enlève des statues au nom du bon goût. La menace la plus grave se profile avec André Malraux. Le pompeux ministre d’État n’aime pas les « pompiers ». Il prévoit, avec Le Corbusier, de raser le Grand Palais pour construire à la place un vaste musée Picasso. Cela ne se fera pas. Parfois, les lenteurs administratives ont du bon.

Cependant, à la fin du siècle, le bâtiment s’avère très fatigué. En 1993, un premier rivet tombe des voûtes, puis un autre. Il s’ensuit la fermeture et une campagne de travaux sur les fondations et la verrière. Le monument ne rouvre qu’en 2005. Cependant, il apparaît vite que ces travaux engagés sans vision d’ensemble ne suffisent pas. Il faut se remettre à la tâche. C’est l’objet du projet actuel de restauration et d’aménagement, prévu pour un coût de 466 millions d’euros. Un quart environ correspond à la partie patrimoniale. Le reste est consacré aux aménagements apportant les fonctionnalités attendues à notre époque : plate-forme logistique, régulation thermique, accès handicapés, circulation optimisée du public, etc.

Non seulement le Grand Palais doit être restauré, mais il devrait l’être plus complètement…

Un grand nombre de personnes s’interroge sur ces sommes. On les compare aux modiques recettes du « loto du patrimoine » (20 millions d’euros environ). On redoute un retour de bâton sur le budget du ministère de la Culture. On oublie les grands chantiers de la période Mitterrand, beaucoup plus onéreux. Mais le fond du problème est ailleurs. Beaucoup ne verraient pas d’objection à ce que l’on dépense sans compter pour une grange du XIIIe siècle, mais restent perplexes lorsqu’il s’agit d’un style éloigné de leur culture patrimoniale.

Non seulement il faut rénover le Grand Palais compte tenu de sa valeur artistique, de sa place centrale à Paris et des nombreuses opportunités qu’il offrira, mais, tant qu’à faire, il faudrait le faire complètement. En effet, l’attractivité d’un bâtiment dépend en grande partie de sa capacité à créer un choc positif dans la ville. Beaubourg, après sa construction, a attiré énormément de visiteurs. On peut faire la même remarque sur la fondation Vuitton ou le Grand Louvre. Or, en l’état du projet, l’aspect extérieur du Grand Palais restera inchangé après les travaux. Il sera même un peu terni, car aucun ravalement n’est programmé alors que vingt-cinq ans se seront écoulés depuis le précédent. Pire, il n’est pas prévu de rechercher et de remettre en place les statues manquantes. Ainsi, sur le porche ouest (Palais de la découverte), un grand groupe en bronze doré de Tony Noël (de la taille des quadriges de Récipon) a été déposé au milieu du XXe siècle. C’est sans aucun doute un des fleurons du bâtiment d’origine. Pourquoi ne pas le réinstaller ? De même, côté est (en face du Petit Palais), le portique paraît un peu austère. C’est parce que quatre grandes statues ont été ôtées devant les colonnes, ainsi qu’une grande agrafe en haut de voûte. Pourquoi ne pas les réimplanter ? Le projet actuel, en ne restituant pas toute sa splendeur extérieure au bâtiment, se prive inopportunément d’un signal fort à la réouverture.

Le Grand Palais n’est pas seulement un bâtiment. C’est aussi un établissement public ayant un rôle artistique de première importance. Si l’on veut qu’il trouve un nouveau souffle en 2025, il est indispensable de réfléchir à ses missions. Deux domaines méritent en priorité un examen approfondi : les expositions artistiques des Galeries nationales et la place des artistes vivants.

Les grandes expositions, avec des thèmes parfois trop prévisibles, laissent de côté des écoles et des périodes passionnantes

Créées en 1964, les Galeries nationales du Grand Palais sont le principal lieu parisien dont dispose la Réunion des musées nationaux (RMN). Depuis plus d’un demi-siècle, quatre à cinq grandes expositions s’y tiennent chaque année, chaque événement attirant en moyenne 200 000 visiteurs, parfois près d’un million. Cette institution est donc le navire amiral de la transmission de l’art des siècles passés en France. La programmation a parfois été l’expression de choix politiques, comme durant la période Malraux ou en 1972 avec Pompidou. Cependant, la plupart du temps, elle reflète l’histoire de l’art telle qu’elle est admise à une époque donnée. Elle cache donc un non-dit, ou un impensé qui est tout sauf neutre. Raison de plus pour s’y attarder.

En observant l’historique des expositions, on peut distinguer trois registres principaux. D’abord un tiers d’archéologie, antiquité et cultures non européennes, jouant souvent avec l’idée de trésor et hanté par le succès indépassable de l’exposition « Toutankhamon ». Ensuite, un tiers de grands artistes appartenant à la période allant de la Renaissance au début du XIXe, avec des titres comme Watteau, Vermeer, Velásquez, etc. Enfin, comme dirait Pagnol, un grand tiers de célébrités impressionnistes, postimpressionnistes et modernes. C’est dans ce grand tiers que les scores de fréquentation sont les plus importants, avec des têtes d’affiche comme Picasso, Monet, Manet, Renoir, Gauguin, etc. Il faudrait ajouter quelques expositions atypiques, mais mémorables, comme « Mélancolie », organisée par Jean Clair en 2005 (ou « L’âme au corps », du même et de Jean-Pierre Changeux, interrompue par la menace d’effondrement de la grande verrière en 1993).

On aurait tort de se plaindre, car la RMN nous a offert durant toute cette période des expositions magnifiques. Cependant, les trois registres évoqués ci-dessus reviennent indiscutablement de façon un peu trop cyclique depuis cinquante ans. De larges pans de l’histoire de l’art sont peu explorés. Par exemple, la plus grande part du XIXe siècle reste occultée par la polarisation sur l’impressionnisme et la justification de la modernité. Il faudrait, certes, mentionner l’exposition de sculptures d’Anne Pingeot en 1986, mais c’est l’exception qui confirme la règle. Beaucoup d’écoles étrangères passionnantes sont quasiment inconnues en France. Un aggiornamento des conceptions en matière d’histoire de l’art est donc souhaitable.

Des signes de lassitude du public

La fréquentation des grandes expositions qui se maintient à peu près peut faire illusion. Cependant, l’intérêt pour l’histoire de l’art semble s’effriter. On peut aisément observer cette désaffection dans les rayons beaux-arts des librairies. Ces rayons décroissent à vue d’œil, au bénéfice d’autres catégories d’ouvrages telles que la BD, les livres sur le cinéma, etc. Ce dont il est question, soulignons-le, n’est pas l’évolution préoccupante du livre en général, mais la part relative des livres d’art, en déclin accéléré. Il se trouve que le rayon beaux-arts est, en réalité, presque exclusivement alimenté par des catalogues d’expositions et des publications muséales. Le financement de ces beaux et gros ouvrages est en grande partie pris en charge par les budgets des institutions, revenant quasiment à des ventes à perte et limitant les initiatives indépendantes. Le choix proposé fait ainsi directement écho aux programmes des grandes expositions. Il reflète la culture et les goûts des conservateurs. L’effondrement de ce rayon est un signe fort à ne pas négliger. Évidemment, la RMN n’est pas seule responsable, mais elle joue un rôle de premier plan.

L’art est soumis à ce que les économistes appellent des « rendements croissants d’adoption ». Cela veut dire que quand on a du mal à apprécier par soi-même la valeur d’un produit, on calque son attitude sur celle des autres. Par exemple, lorsqu’on cherche un restaurant et que le premier est vide, on se dit que c’est mauvais signe. Si le suivant est bien rempli, on entre. Le phénomène se multiplie facilement en « cascades informationnelles ». C’est souvent ce qui se passe en art. Quand un artiste est désigné par sa célébrité, la fréquentation augmente de façon exponentielle. Les expositions qui battent des records ont été, en réalité, préparées par d’autres, plus discrètes, des décennies auparavant. C’est au moment où la connaissance de nombreux artistes historiques est parvenue à maturité qu’il faut penser à faire des expositions plus petites, mais plus innovantes, qui préparent les grandes rétrospectives de demain.

La « gloire de l’art français » n’est pas au sommet de sa forme

Le Grand Palais a aussi un rôle particulier et très important en ce qui concerne les artistes vivants. La préoccupation de beaucoup d’entre eux, notamment des jeunes, est que leurs œuvres soient vues. Pour cela, grosso modo, trois circuits sont envisageables : 1) le marché  – galeries, maisons de ventes, foires telles que la FIAC, également hébergée au Grand Palais et qui nécessiterait un développement spécifique… 2) les institutions – musées, centres d’art et fonds d’acquisition publics, et 3) les salons gérés par les artistes eux-mêmes. Marché et institutions dominent le paysage. Cependant, ils présentent certaines limites souvent pointées : une tendance à la concentration sur des vedettes, un certain formatage des « émergents ». La diversité des créateurs peine à y trouver place. Les associations d’artistes sont donc un complément indispensable et presque un contre-pouvoir.

Au nombre d’une dizaine au Grand Palais, ces salons (associations ou sociétés) ont joué un grand rôle historique. C’est le cas du premier d’entre eux, le Salon des artistes français, appelé « Le Salon », fondé sous Louis XIV. Le Salon des refusés ou encore Salon des indépendants ouvre sous le Second Empire. Le salon d’Automne est créé en 1903. Dans la seconde partie du XXe siècle, divers salons sont lancés par des collectifs d’artistes aux sensibilités variées. Citons les excellents MacParis, Comparaisons et Figuration critique. Il pourrait, il devrait y en avoir d’autres.

Ce sont les membres des salons qui ont conçu et orné le Grand Palais destiné à devenir leur lieu d’exposition privilégié. Leurs successeurs ont le sentiment légitime d’être chez eux. Toutefois, l’occupation, initialement gratuite, devient payante en 2005. Les artistes doivent faire face à des coûts croissants de location et de services, souvent dissuasifs, notamment pour les jeunes. Le ministère de la Culture exige en outre que ces salons se compressent en une manifestation unique, très courte et très chargée, dénommée « Art Capital ». Certains salons se sentent humiliés et préfèrent alors quitter le Grand Palais. Mais à Paris, les espaces disponibles sont rares et chers. La ville, jadis capitale des arts, met à présent plus volontiers l’accent sur sa vocation de métropole des sports. Elle néglige ses artistes, confrontés à une absence de visibilité et à une paupérisation souvent dramatiques. Les salons se sentent abandonnés des pouvoirs publics. Ils ont du mal à intégrer des jeunes et à évoluer. À peine peuvent-ils survivre.

Le ministère fait cavalier seul

Plutôt que faciliter la tâche des associations d’artistes et, peut-être, les aider à s’adapter, à se diversifier, à évoluer, le ministère fait le choix de monter lui-même, en 2007, une manifestation digne de son propre soutien. Le nom retenu, « Monumenta », révèle dès l’origine l’hubris du projet. Il s’agit d’offrir le Grand Palais à un seul artiste, pour une longue durée (un mois et demi). Le ministère, peu soucieux de la promotion des plasticiens de son ressort, invite de préférence de grands artistes internationaux étrangers (cinq sur sept). La plupart des éditions présentent de titanesques animations entourées d’immenses vides. À l’heure où le prestige des appartements se mesure en mètres carrés, l’énorme vacuité de Monumenta fait figure de luxe absolu contrastant avec l’entassement prolétarien imposé à Art Capital. La première Monumenta est portée par la très belle exposition « Anselm Kiefer ». Néanmoins, à la septième édition, l’intérêt du public est retombé. Monumenta est ajournée. Il paraît que le ministère de la Culture réfléchit à une autre formule.

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Gilets jaunes: la France reprend des couleurs

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Les Gaulois, décidément, ne font rien comme les autres. Le printemps de la France, ils ont réussi à le coller en décembre. Je ne sais sur quoi il débouchera, je sais seulement que dans ce pays, l’on se sent moins seul. Voici donc en vrac quelques tableaux d’une révolution qui n’ose pas encore afficher son nom.


«I was a free man in Paris,
I felt unfettered and alive
There was nobody calling me up for favors
And no one’s future to decide… 
» (Joni Mitchell)

Presque malgré moi, j’ai passé mon temps à humer l’air parisien en cette semaine de veillée d’armes. Mardi, j’avais manqué mon train du retour vers la Suisse. Plutôt que de prendre le suivant, j’ai étiré le séjour jusqu’au dernier moment possible, au vendredi. Il m’est arrivé trop souvent de manquer des événements historiques pour des futilités. Cette fois-ci, quelque chose me disait de rester là et d’écouter sans rien attendre.

En liberté dans Paris

Étrange position ! A certains moments, j’étais un étranger libre et curieux, un diplomate persan écrivant ses lettres ironiques pour des lecteurs lointains. A d’autres, j’éprouvais des frémissements d’entrailles comme si c’était mon propre pays qui secouait ses chaînes. Je l’ai dit mille fois, mais il faut bien le rappeler ici : je suis Serbe de naissance, Suisse d’adoption, mais Français d’expression. Pour un écrivain, c’est souvent la composante la plus déterminante de son identité. Les choses que je peux écrire en français, je ne peux les exprimer dans ma langue maternelle sans de laborieuses périphrases. Et la manière peu accentuée dont je le parle me rend suspect dans le terreau helvétique. Bref, je ne me suis jamais senti aussi français sans passeport que ces derniers jours.

Pourquoi ces derniers jours ? Parce que j’ai senti la France se réveiller en ravivant sa vieille religion des barricades. Or les révolutions françaises ne sont pas que des remises à zéro sociopolitiques. Elles ravivent toutes les questions de fond que cette nation trop sociable aime à enterrer sous les frivolités. Elle-même, très souvent, continue à se boucher les oreilles face à la rumeur qu’elle soulève. C’est pourquoi l’historien le plus lucide de la Révolution française fut un Écossais, Thomas Carlyle. Et son romancier le plus mémorable ? Le Dickens de A Tale of Two Cities, ce va-et-vient Paris-Londres où l’on saisit de tout son être le gouffre de mentalité et de destin qui sépare ces deux peuples si voisins.

La fin de l’hypernormalisation

Voici donc, enfin, que quelque chose se passe. Voulez-vous dire (me répondra-t-on) qu’il ne s’est rien passé après Charlie et le Bataclan ? Que la Manif pour tous ne fut qu’une promenade digestive ? Eh bien… oui. C’est ce que je veux dire. Charlie, Bataclan et même la Manif pour tous furent des mouvements immobiles qui n’ont pas déplacé d’un centimètre l’axe de l’hologramme servant de réalité sédative pour la population française. Indignez-vous ! ordonnait le gérontoidéaliste Stéphane Hessel. On l’a acheté à des millions d’exemplaires. On s’est indigné de toute la noire misère du monde. Et l’on est retourné à ses occupations en enjambant les gueux qui encombraient nos portes cochères.

Car l’indignation est un sport de ventres pleins, et les gouvernants le savent. Ils adorent entretenir l’indignation, cette eau toujours frémissante qui n’atteint jamais son point d’ébullition — idéale, donc, pour faire du thé. Car il est rare que le malheur des autres nous fasse bouillir. L’ébullition survient quand notre propre peau est en jeu. Or les gilets jaunes qui font trembler « l’ordre républicain » devenu synonyme d’oligarchie sont justement l’uniforme des ventres vides.

Quand l’indignation fait place à la colère, un ordre fondé sur la moralisation culpabilisante perd d’un seul coup toutes ses armes… sauf les vraies, celles qui tuent.

C’est pourquoi la France des semaines de veillée d’armes succède à des décennies de paix factice, cette troisième mi-temps des régimes effondrés que, dans l’URSS des années 1970, on a appelée l’hypernormalisation. Comme toute illusion, l’hypernormalisation française nécessitait d’une part l’artifice, de l’autre la connivence du public. Or soudain, en quelques jours, le montage s’est effondré comme dans l’URSS de 1989. L’inutilité soudain révélée au grand jour de la caste des bavards parisiens — et plus encore leur hystérie panique — est la meilleure preuve que l’illusion se déchire. Qu’on arrive dans le vif du sujet. Lorsque j’ai vu le plus placide des porte-parole du Système, Jean-Michel Aphatie, s’affoler (avec son faux-bonasse accent du Midi) de la mollesse des CRS face à la foule et crier « mais que fait la police ? », j’ai acquis la certitude qu’on ne plaisantait plus. La gauche d’idées devenue la gauche de bien être ne jure plus que par la force publique.

Le bestiaire de Faustine

Le mot n’est pas de moi. « Il ne reste plus rien de la gauche intellectuelle dans ce pays, qu’une gauche de bien-être », m’avait dit mon amie Faustine, rédactrice dans un journal de grand chemin français. « Leur seul souci ? Savoir que leurs petites habitudes et leurs grands privilèges seront préservés. Le moyen n’importe pas. » A la cafétéria de la rédaction, elle ne pourrait pas prononcer le début de cette phrase. De toute façon, on la soupçonne de dissidence, elle ne sait même pas pourquoi : ses goûts littéraires ? Ses fréquentations ? Sa marque de maroquinerie ? Du coup, avec moi, l’étranger bienveillant, elle se lâche. Combien sont-ils/elles, dans les couloirs des grands médias et des administrations d’État, qui aimeraient se trouver un confident d’outre-frontière qui publierait leurs doléances sans révéler leurs noms ?

Faustine a sympathisé d’emblée avec les gilets jaunes. Elle s’est mêlée samedi dernier à la manif, entourée de quelques copines. Et les hommes du journal ? Des journalistes qui n’ont pas voulu assister à l’histoire qui se fait sous leurs yeux ?

« L’un avait un concert, l’autre devait aller chercher ses enfants… Bref, ils ont la trouille. Les types en veste de baroudeur, ça pleure jamais. Donc ça évite les lacrymogènes. »

Il n’y a pas d’hommes à proprement parler dans le milieu de Faustine. Son bestiaire quotidien est composé d’onagres et d’hermaphrodites. « Crevettes » lettreuses : hanches étroites, lunettes rondes, fuseaux trop courts sur chaussettes fuchsia. « Loufiats » du business au regard blasé et hautain de la haute domesticité : « les Nestors de l’hyperclasse ». Cette caste servile et qui se croit régnante d’où est issu le président lui-même. Tout ce petit monde est nerveux et sue la trouille. Dans un ultime et imprudent réflexe d’impunité, ils continuent d’insulter le peuple en se cachant derrière les forces de l’ordre.

« Le soulagement que c’était de voir des bonnes bouilles de provinciaux à l’Alma ! Des gens ordinaires, rieurs, roses de froid. Face à ces masques de cendre renfrognés, les Parisiens… » Au coin d’une rue, elle a vu passer Alain Minc, minuscule. Un furet en exploration au crépuscule du soir. Pour prendre la température ? Décider s’il fallait préparer les bases arrière outre-Atlantique ?

La sociabilité des ronds-points

« Les Français sont les plus gros consommateurs de tranquillisants au monde, me dit Faustine. Je nous croyais tous sous neuroleptiques. Je pensais la classe ouvrière euthanasiée. »

Et la voilà qui ressort, comme une armée des ombres. Sauf que cette classe ouvrière 2.0 dont me parle Faustine comporte des médecins, des entrepreneurs… et même un châtelain normand de mes connaissances. Sous le gilet jaune, la France « qui pue la clope et le diesel » est blanche, noire et arabe, homme et femme, riche et pauvre… quoique rarement parisienne. Elle réalise concrètement ce concept du « vivre ensemble » que le système s’est désespérément efforcé d’imposer à coups de lavage de cerveau.

« Dans les zones commerciales où il ne subsiste plus un seul bistrot, le rond-point est devenu le lieu de la sociabilité. On a tout le temps. On apporte des petits gâteaux, on se verse du café et l’on en donne aux passants. » Et la parole se libère soudain. Et l’on découvre en écoutant que ce « populo » est moins idiot qu’on ne le dépeint dans les bandes dessinées. Que son inarticulation et sa maladresse elles-mêmes lui ont été imposées d’en haut, comme un tatouage de serfs. «Depuis des décennies, la parole saine même si maladroite, l’expression du malaise ou du chagrin, de la crainte ou de l’enthousiasme est perçue comme nauséabonde. » Tout ce potentiel d’expression comprimé comme un ressort, je l’avais perçu dès 2014, lorsque mon roman Le Miel m’avait emmené en un tour de France des bibliothèques et des librairies. Dans les provinces les plus reculées, j’ai rencontré des cercles de lecture pétillants de culture et de curiosité (j’en ai du reste parlé ailleurs). A une écrasante majorité, ils étaient composés d’hommes — et surtout de femmes — de cette classe moyenne dévalisée qui se réveille aujourd’hui.

Le « mal fini »

Je m’attendais à évoquer en quelques lignes les actes du pouvoir, l’abandon délibéré des belles avenues à la racaille, les provocations, l’ineptie du président de synthèse. Cela ne me semble plus d’intérêt. Le protégé de Brigitte, je l’ai orthographié Macron® comme un produit industriel dès avant son élection et j’ai relevé son inquiétant manque d’intelligence au moment même où l’on nous matraquait avec sa brillance et sa maîtrise. La haine personnelle contre ce personnage immature et arrogant est le ciment même de cette vague jaune si décentrée et d’autant plus dangereuse. « Il n’est pas fini »: le mot d’un officier humilié m’est revenu aux oreilles à plusieurs reprises ces derniers ours. Mais il n’y a pas que lui. En quelques jours seulement, la classe politique française dans son ensemble est devenue du passé, en particulier les calamiteux députés de cette « République en marche » rassemblée de bric et de broc au lendemain de la présidentielle. Quant à la classe médiatique, en particulier du côté des porte-voix de milliardaires comme BFMTV, elle a perdu le peu de crédibilité qu’il lui restait.

« Si quelqu’un n’avait pas encore compris que Macron était le produit d’un coup d’État médiatico-financier, il n’a plus d’excuse maintenant », conclut Faustine. Étant le produit d’une conjuration, il entraîne dans sa chute tout le cercle des conjurés.

Furia francese

Dans mon train du retour, ce vendredi, alors que je rassemblais justement mes notes, un agent des douanes françaises me reconnaît. Il hésite un peu, laisse son collègue poursuivre les contrôles et entame la conversation. La quarantaine juvénile, il est vif et bien renseigné. Choqué par le dénigrement systématique de la Russie en France, il a lu avec soulagement mon « Syndrome Tolstoïevsky ». De fil en aiguille, le douanier en uniforme et l’écrivain finissent par prendre un café au bar. C’est la semaine de la convivialité dans toute la France, pourquoi pas dans le TGV ? Je ne me serais jamais attendu à ce qu’un agent en uniforme me parle de L’Idiot de Dostoïevski. Au bout de quelques minutes, nous sommes rejoints par un passager qui avait entendu (malgré lui !) le début de notre conversation à propos de géopolitique.

Jean-Claude est homme de spectacle, engagé à l’UPR chez Asselineau, l’homme qu’il ne faut surtout pas laisser parler (parce qu’on ne sait quoi lui répondre). Il est doux et raisonnable comme la plupart des gens que j’ai rencontrés dans cette mouvance. On parle d’histoire, de désinformation, des guerres coloniales auxquelles la France a été mêlée ces dernières années, toujours dans le mauvais camp et sans jamais avoir été consultée. « On se sent soudain moins seul », me dit-il.

« Pourquoi ?

— Parce que ce que je comprenais était si loin des idées admises que j’ai fini par me croire marginal ou stupide. Je suis rassuré de voir que nous sommes au moins quatre. »

Quatre avec le douanier, l’écrivain et le chef de train, qui s’était joint au cénacle. Quatre millions, peut-être, avec tous ces Français qui se découvrent éveillés et lucides au forum des ronds-points. « Les mots ne trompent pas, conclut Hervé le douanier. Tout ce peuple est en révolte, et les télés appellent cela de la grogne. C’est le bétail qui grogne. Les humains, eux, ils parlent. Mais, manifestement, il y a des gens dans ce pays qui n’arrivent pas encore à l’admettre. »

La « grogne » contre la nouvelle dîme masquait bel et bien une rébellion populaire contre toute une caste dont le malheureux Macron n’est que le représentant le plus caricatural et le bouc émissaire.

(Article paru dans le Drone de l’Antipresse n° 48 du 9.12.2018)

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Londres: deux musées pour le prix d’un Eurostar!

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Las du musée de Madame Tussaud et de Big Ben ? Oubliez les clichés londoniens et entrez dans l’antre de deux musées injustement méconnus : le Design museum et le le petit cabinet de curiosités de Sir John Soanes. 


On peut être passionnément matérialiste en se désintéressant totalement des objets. Dans le sens inverse, le fait de reconnaître la matérialité des objets ne fait pas nécessairement de vous un matérialiste forcené : reste tout de même à trouver le sens des objets, c’est-à-dire à justifier leur existence. Ce devrait être le rôle d’un musée consacré au design. Voyons celui de Londres, situé sur la Kensington High Street.

De William Morris à Henry Ford

Le visiteur est accueilli par un vaste historique passant en revue, entre autres, l’exposition au Crystal Palace (1851), l’oeuvre de William Morris, le Bauhaus, Henry Ford, les maisons préfabriquées (1949), les minijupes (1966), les Punks, le High-tech et les imprimantes 3D. Il y a un tel fouillis dans cet inventaire que cela sent la récupération, dans tous les sens du terme. Dès lors, il n’est pas surprenant d’arriver, en guise de conclusion, à un court texte intitulé Design and Business. Surtout que l’on s’emploie bien à mêler dans les salles suivantes, à cet égard, le chaud et le froid. D’un côté : l’apologie de la valeur pécuniaire des brands bien gérées. De l’autre : un slogan selon lequel il faut mesurer le succès d’une entreprise à la réalisation de ses objectifs (humains) et non de ses profits (financiers). Introduisez-les tous en bourse, l’investisseur reconnaîtra les siens !

Priez saint Crépin !

Dans les vitrines : des objets morts, dûment étiquetés. Dès la première salle, on remarque une tentative de redonner de la vie au moyen de la confrontation : en l’occurrence, il s’agit d’une Kalachnikov posée à côté d’un brancard de fortune. Il est précisé que la mitraillette a été « désactivée ». Au-delà du simulacre, la vraie question est posée : existe-t-il de bons et de mauvais objets ? On cherche en vain la réponse. Si ce n’est, peut-être, un peu plus loin : la description du grand projet d’électrification de l’Afrique (une réponse en courant alternatif). Et aussi plusieurs fauteuils roulants. Comme si le design était à la philosophie ce que la béquille est à la course à pied. Dans la vitrine d’une troisième salle, des photos d’une chaîne de montage de l’usine Ford punaisées au-dessus d’une collection de vieux outils de cordonnier. Confusion : tout va bien, surtout ne réfléchissez pas, attendez la prochaine innovation technologique en priant saint Crépin et saint Crépinien (patrons communs des cordonniers).

Curieusement, les rayons de la boutique du musée sont pratiquement vides. Notons le contraste avec les musées des beaux-arts à travers le monde, qui ont tous été transformés en grands magasins. Au Design Museum, le discours est tout puissant. Dans les salles d’exposition, les objets sont bien étiquetés, dûment domestiqués. On craint peut-être que sur les rayons d’une boutique, ils se mettent à parler librement.

Les curiosités de Sir John Soanes

À Londres encore, non loin du British Museum, sur les Lincoln’s Ins Fields, se trouve le petit cabinet de curiosités de Sir John Soanes. Tout a été, paraît-il, laissé en l’état depuis la mort du propriétaire (en 1837). On ne dénombre pas une seule pancarte : les objets peuvent parler librement. Ce qui permet à ces derniers de proférer quelques mensonges, puisque les moulages en plâtre sont allègrement mêlés aux pièces originales rapportées de Grèce ou d’Egypte. Tous ces objets permettaient à Sir John d’enseigner à ses élèves les principes de l’architecture. Soanes fut aussi l’un des fondateurs du British Museum. Il fait parti de ces aventuriers qui fixèrent, en raison de leur intérêt purement particulier, la valeur universelle des vieilles pierres jusqu’alors abandonnées au bord des chemins. De vieilles pierres dont nul ne se souciait. D’ailleurs, les frontières entre leur patrimoine personnel et celui de la nation (du musée) n’étaient pas toujours clairement définies, au gré des rétentions et des donations.

Rencontrer un vieil ami excentrique

On remarque, par exemple, le splendide tombeau de Seti Ier, dont la surface est entièrement gravée de hiéroglyphes, qui pourrait être une pièce maîtresse dans un bon musée public. Et des pierres diverses de toutes les époques. On se promène dans ce bric-à-brac en essayant de distinguer le vrai du faux, le petit détail de la grande aventure. Sir John figure lui-même en bonne place et en plusieurs exemplaires, dont un imposant buste à la manière des sénateurs romains ; à ses côtés, deux statuettes riquiqui représentent Michel Ange et Raphaël. Un peu plus haut, de nouveau Sir John, mais à la manière du XVIIIe siècle. On peut penser ce que l’on veut du goût antiquisant, de cette étonnante obsession pour la Renaissance qui s’est emparée des adeptes du Grand tour, il y a chez eux une fantaisie éminemment personnelle qui donne à leur aventure quelque chose de vivant. En tout cas, c’est ce que l’on ressent dans ce petit musée. Éparpillés dans les différentes pièces, les guides sont pleins d’entrain. L’ambiance est étrangement familiale. Ils parlent de Sir John comme d’un vieil oncle excentrique. Voire comme s’il était toujours parmi nous. Comme d’un ami qu’ils admirent. Un rien original : un humain. Faut-il comparer aux jeunes gens au teint pâle, uniformément vêtus de noir, du Design Museum ?

Retour dans la vraie vie : en cette fin d’après-midi pluvieuse, dans le quartier de Knightsbridge, quatre longues limousines aux fenêtres sombres et luisantes font demi-tour en pleine rue pour aller se garer devant la vitrine d’un grand bijoutier, bloquant la circulation pendant quelques minutes. Les beaux objets ont encore de beaux jours devant eux.

Luc Chomarat et la motocyclette d’Henri Michaux

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Un petit chef d’oeuvre de littérature, le dernier roman de Luc Chomarat, a tout de la prophétie autoréalisatrice. 


« A la gare, ils constatèrent que les romans de gare avaient disparu. On ne trouvait plus que des livres de développement personnel et la biographie de la plupart des hommes politiques en vue. Et des Tic-Tac.

– Bon, il était mal en point et maintenant, il est mort, conclut le libraire. Comme ça au moins, c’est clair. »

On peut trouver ce passage dans Un petit chef d’oeuvre de littérature, le dernier roman de Luc Chomarat. Un petit chef d’œuvre de littérature est finalement un titre qui a tout de la prophétie autoréalisatrice. Nous avons bien à faire à un petit chef d’oeuvre de littérature. On n’est même pas sûr que cela ait été l’intention de l’auteur. L’intention de l’auteur, c’était de faire un roman sur la littérature et de se moquer de ce qu’on ose encore appeler littérature aujourd’hui mais aussi de la critique littéraire qui consiste le plus souvent à rendre compte d’un livre avec un vocabulaire de vingt cinq mots et une demi-douzaine d’expressions toutes faites. Par exemple « un petit chef d’oeuvre de littérature », mais aussi « un bijou jubilatoire » ou plus emphatique, « un livre majeur », « une lecture bouleversante » et ainsi de suite.

Nous avons dit qu’Un petit chef d’œuvre de littérature était un roman. Oui, dans la mesure où il y a des personnages. Notamment celui d’un écrivain qui monte à Paris, comme on dit, pour écrire son petit chef d’œuvre. Là où ça se complique, c’est que dans le TGV à destination de la gare de Lyon, il rencontre Rastignac. Non, en fait ça ne se complique pas : il est normal de rencontrer Rastignac dans un TGV, quand on monte à Paris, puisque Rastignac passe son temps à ça : monter à Paris. Il monte à Paris pour l’éternité et quand l’éternité est terminée, il vit dans une chambre sous les toits à côté de l’écrivain. Ils s’entendent bien même si nous précise Luc Chomarat : « Rastignac avait un très gros sexe qui ne pouvait pas entrer dans un petit chef d’œuvre de littérature. C’est pourquoi il était toujours en marge de l’histoire. »

L’écrivain va croiser beaucoup de monde, à Paris, sauf des lecteurs. C’est bien le problème avec la littérature, tout le monde en vit sauf l’écrivain. Les éditeurs, les libraires, les critiques qui sont des personnages de Chomarat vivent de la littérature. Il n’y a que l’écrivain qui n’en vit pas. Parfois, il arrive au contraire il en meure. C’est fragile un écrivain, l’air de rien, même s’il écrit un petit-chef d’œuvre de littérature dont parle le président de la République lui-même dans un entretien décontracté mais en oubliant le titre du petit chef d’œuvre de littérature alors que le titre du petit chef d’oeuvre de littérature, c’est Un petit chef d’œuvre de littérature : c’est ballot, vous avouerez.

Oui, il faut suivre. D’autant plus que  petit chef d’œuvre ou pas, il suffit de pas grand chose pour que la littérature ne passionne plus personne : « Quand l’automne arriva il y eut une nouvelle guerre dans une république bananière, ou pétrolière, un pays où les hommes maltraitaient les femmes. Il fut question de bombarder indifféremment les hommes et les femmes, et aussi leurs enfants. C’étaient des nouvelles importantes et les médias se désintéressèrent de lui assez rapidement. »

Sinon, on rencontrera aussi des filles délurées et des extra-terrestres cools, Henri Michaux et sa motocyclette, Proust qui donne des leçons de savoir vivre et des experts en marketing qui donnent envie à l’écrivain de se suicider. Sauf que: « Il voulut se tirer une balle, mais où trouver une arme ? Il était si désarmé de nature. »

En ce qui concerne Luc Chomarat, nous avions eu nos premiers soupçons avec Le polar de l’été, et puis le faisceau de présomptions s’était accentué avec Les dix meilleurs films de tous les temps. Et maintenant, c’est une certitude: ceux qui comme nous ne se sont jamais tout à fait remis de la lecture du regretté Frédéric Berthet ou de Richard Brautigan (on est tout de même quelques uns) doivent lire Luc Chomarat. Les autres aussi parce qu’il est rare d’arriver à être aussi subversif, aussi léger et aussi drôle en même temps aujourd’hui. Dandysme du nonsense, élégance de l’ellipse, technique du sourire crispé et érudition zen. Vous allez aimer Un petit chef d’oeuvre de littérature. Beaucoup.

Un petit chef d’œuvre de littérature, Luc Chomarat (Marest éditeur)

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Strasbourg: et si on luttait (vraiment) contre l’islamisme?

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Après Strasbourg, le même constat s’impose qu’après Toulouse, Nice, Paris ou Saint-Etienne-du-Rouvray: un ennemi intérieur se livre à une lutte à mort contre la France et la France refuse de se donner les moyens de l’éliminer. 


Une nouvelle fois, un marché de Noël a été frappé par le bras armé de l’islamisme théocratique. Des familles et des amis sont endeuillés par l’assassinat abject d’êtres aimés à l’approche de cette fête où les chrétiens célèbrent le Prince de la Paix, l’Enfant de Lumière.

Ce n’est pourtant pas l’heure des deuils et des larmes, ni hélas de la réconciliation et de la paix, mais du combat. Chérif Chekatt a été abattu mais il n’est pas seul, et d’autres viendront après lui. Ne baissons pas la garde.

Et ça continue encore et encore…

Il est tragique de devoir écrire toujours la même chose, attentat après attentat. Mais hélas ! La désinformation et le déni nous y contraignent, alors même que certains se permettent de proférer sans cesse les mêmes mensonges, sans pudeur, sans souci de la vérité ni respect des morts.

Bien sûr, Chérif Chekatt a pu rentrer armé dans le Christkindelsmärik, le marché de Noël, malgré la sécurité. Inutile d’y voir un hypothétique complot. Ceux qui connaissent Strasbourg savent d’expérience que les vigiles, malgré leur professionnalisme, ne peuvent pas fouiller soigneusement tout le monde, en tout cas pas au point de remarquer une arme de poing et un couteau sous des vêtements épais ou dans un sac bien rempli. Pour le faire, il faudrait des dispositifs comparables à ceux des aéroports, avec les conséquences que l’on imagine en termes de files d’attente et des coûts prohibitifs. Ou encore employer la vidéosurveillance couplée à des logiciels de reconnaissance faciale et des bases de données dignes de ce nom. Ils ne filtreront pas les inconnus, mais la plupart des terroristes qui ont agi sur notre sol étaient connus et théoriquement surveillés. Seulement nous avons la CNIL, qui fait concrètement très peu pour nous protéger des GAFAM, et beaucoup pour limiter les moyens des forces de sécurité…

Tirer les enseignements de nos échecs

Bien sûr, l’enfermement préventif est contraire aux principes de l’Etat de droit. Les services spécialisés n’ont pas les moyens de surveiller en permanence tous les fichés S, ni même tous les inscrits au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). La situation est complexe, juridiquement et techniquement. Mais face aux drames qui se répètent, se réfugier derrière l’exigence des principes et la complexité du réel pour ne rien faire n’est que de la lâcheté, si ce n’est de la trahison.

Que l’on commence déjà par considérer sérieusement que nous sommes en guerre et par désigner clairement l’ennemi, c’est-à-dire l’islam littéraliste théocratique. La notion d’intelligence avec l’ennemi et l’emploi déterminé des moyens juridiques de lutte contre les dérives sectaires ne suffiraient évidemment pas à tout éviter, mais seraient un excellent début.

A lire aussi: Fichés S: on arrête bien les gilets jaunes…

Bien sûr, les militaires de Sentinelle, les policiers, les gendarmes et les agents des services de renseignements font un travail difficile et exigeant, et pour la plupart le font avec un dévouement et un courage admirables. Ils méritent la gratitude de tous. Mais cela ne doit pas interdire de réfléchir très sérieusement aux « trous dans la raquette » du dispositif, non pour accuser les personnes mais pour améliorer les systèmes. Le retour d’expérience et l’exigence de vérité sont à la fois une nécessité et un devoir.

On ne fait pas la guerre au terrorisme

Bien sûr, Chérif Chekatt n’avait rien à faire en liberté. Même si le « mur des cons » n’était pas nécessairement illégal, il fut révélateur de l’emprise d’une certaine idéologie au sein de la magistrature, qui a montré, une fois de plus, à Strasbourg ses conséquences concrètes et sanglantes. Alors comment s’étonner ? Il y a longtemps que certains, qui restent eux-mêmes bien à l’abri des conséquences de leurs décisions et de leurs belles théories, s’achètent une conscience faussement humaniste au prix de la sécurité des autres, et notamment des plus vulnérables. Ce n’est pas l’indépendance de la justice qui est en cause, c’est la manière dont des magistrats instrumentalisent cette indépendance pour s’affranchir de leur devoir d’impartialité et s’opposer à la volonté générale.

Bien sûr, les djihadistes sont des terroristes. Mais on ne fait pas la guerre au terrorisme. Le terrorisme est un mode d’action, certes particulièrement problématique sur le plan éthique, mais uniquement un mode d’action. Tout comme les embuscades, les manœuvres d’encerclement et les diversions. On ne fait pas la guerre aux embuscades, on ne fait pas la guerre aux manœuvres d’encerclement, on ne fait pas la guerre aux diversions. On ne fait pas la guerre au terrorisme. On fait la guerre à des groupes qui utilisent les embuscades, les manœuvres d’encerclement, les diversions, ou le terrorisme.

Au royaume des aveugles, les djihadistes sont rois

De plus, l’idéologie de ces groupes n’est pas neutre. Les djihadistes sont le bras armé de ce que l’on appelle couramment l’islam politique, mais que l’on pourrait plus précisément appeler l’islam théocratique, puisqu’il ne conçoit pas la religion comme la justification d’un projet politique mais la politique comme un moyen d’imposer les normes voulues par la religion. A Strasbourg, Chérif Chekatt a crié « Allah akbar ! » Ce n’est pas un slogan politique, c’est une invocation religieuse.

Lors d’une matinale de C8, l’ancien député LR, Georges Fenech, a prétendu qu’il ne serait pas possible d’interdire le salafisme en France, puisqu’il existerait des salafistes quiétistes qui ne prendraient pas part au terrorisme. Un tel degré d’aveuglement laisse pantois, qui oublie ou feint d’oublier l’importance de l’idéologie et du soutien moral pour inspirer, encourager ou justifier les passages à l’acte violent. Pardon pour le point Godwin, mais imaginerait-on tolérer des néo-nazis « quiétistes », qui exalteraient le Troisième Reich dans leurs doctrines et enseigneraient le mépris des non-aryens et la haine des Juifs, sous prétexte qu’ils se contenteraient d’idéologie sans essayer de passer eux-mêmes à l’acte ?

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J’ajoute qu’à moins de renoncer à l’idée même de droits de l’Homme, à la pleine citoyenneté des femmes et à leur liberté, ainsi qu’aux libertés d’expression, de pensée et de conscience, et à toute éthique digne de ce nom, on ne peut que condamner le projet des salafistes en tant que tel, peu importent les moyens par lesquels ses thuriféraires comptent l’imposer : violence, influence culturelle, médiatique ou financière, artifices juridiques, emprise sur l’éducation, etc.

Contre-société et contre-vérité

Bien sûr, Chérif Chekatt avait un profil de type dit « hybride », bien identifié depuis Khaled Kelkal puis Mohammed Merah. Que certains l’utilisent pour essayer de nous faire croire que l’islamisme ne serait qu’un habillage de la délinquance est néanmoins d’une malhonnêteté sans borne. D’abord, un aspirant djihadiste sans liens préalables avec la délinquance aura plus de difficultés pour se procurer des armes et obtenir les complicités nécessaires, et donc une probabilité moindre de passer à l’acte. Mais l’essentiel n’est pas là.

Beaucoup de djihadistes comme beaucoup de délinquants sont issus de la même contre-société, que nous avons laissé prospérer sur notre sol. Une contre-société unie par des références culturelles et religieuses partagées, des liens familiaux, des solidarités ethniques, et un mépris affiché pour les lois de la République accompagné de la fierté de les transgresser le plus ouvertement possible. Une contre-société au sein de laquelle l’islam est la norme, et de plus en plus cette branche particulière de l’islam qu’est l’islam littéraliste théocratique.

Ce à quoi nous sommes confrontés, avec ces terroristes « hybrides », repose sur des mécanismes très bien décrits par Ibn Khaldoun[tooltips content= »Voir les remarquables ouvrages Gabriel Martinez-Gros, notamment Brève histoire des empires, comment ils surgissent, comment ils s’effondrent et Fascination du djihad, fureurs islamistes et défaite de la paix« ]1[/tooltips] dès le 14ème siècle, mécanismes qui ne se limitent d’ailleurs pas à l’Europe et au monde arabo-musulman. L’histoire de la Chine des Song face aux Jurchen, Khitans et Tangoutes en fournit une excellente illustration.

« L’empire » et les « barbares »

Pour employer les termes du père de la sociologie, notre société est « l’empire », policé et plutôt prospère, dont les citoyens sont déshabitués de la violence et la condamnent intellectuellement. Il existe, aux marges de « l’empire » (marges intérieures dans notre cas) une contre-société d’un type semi-tribal qu’Ibn Khaldoun appelle les « bédouins ». Habitués à la violence, ces « bédouins » habitent dans des territoires où la loi de « l’empire » ne s’applique pas, et vivent de prédation au détriment de « l’empire » : trafics, vols, pillages (aujourd’hui la délinquance, notamment la plus brutale, dont Chérif Chekatt était un adepte), mais aussi le « tribu versé aux barbares », autrement dit de nos jours tout ce qui consiste à « acheter la paix sociale dans les banlieues ». J’ajoute que le clientélisme électoral de certains élus est très proche de ce que faisaient jadis des notables de provinces frontalières, en s’associant à des mercenaires « bédouins », « barbares », pour imposer leur autorité face à leurs rivaux politiques.

Dans le cas qui nous occupe, les membres de cette contre-société de « bédouins » sont heureusement divisés en de multiples « tribus », parfois alliées mais souvent rivales. Du moins jusqu’au moment où « quelqu’un », chef charismatique ou groupe influent (pensons aux agents de l’Arabie saoudite ou du Qatar, aux Frères Musulmans…), tente d’unir ces « bédouins » autour d’un projet commun, généralement la conquête de « l’empire » à laquelle s’ajoute ici l’instauration d’une théocratie. Dès lors, sans cesser les pillages dont ils vivent, les pillards se font aussi conquérants et militants, ici soldats d’un dieu. Chérif Chekatt est typiquement dans cette situation. Aux activités habituelles de prédation s’ajoutent donc des opérations visant à imposer par l’influence et par la brutalité l’autorité de cet « empire bédouin » naissant aux habitants de « l’empire », lequel ne pourra survivre que s’il accepte la nécessité du recours à la force pour s’opposer à la violence, et valorise à nouveau les vertus héroïques dont il s’était détourné à force de « s’embourgeoiser ».

Nos dirigeants feraient bien de méditer les conséquences du choix de l’empereur Gaozong, qui décida de trahir le meilleur de ses généraux, Yue Fei, parce qu’il voyait dans ce héros un rival potentiel et craignait d’avantage de perdre son trône que de livrer son empire aux barbares….

Au régal des « mécréants »…

Dans le cas précis du djihadisme et de l’islam théocratique, n’oublions pas non plus la référence permanente aux salafs, c’est-à-dire les compagnons du prophète et les deux générations suivantes. Ceux-ci étaient à la fois des islamistes au sens moderne, imposant leur religion par la force, et issus de tribus habituées à la pratique des razzias et des pillages. La sourate n°8 s’appelle « le Butin », et outre un appel clair au djihad armé (« Et combattez-les jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus d’association [c’est-à-dire de polythéisme, y compris le christianisme trinitaire], et que la religion soit entièrement à Allah » – verset 39), elle réglemente le partage du butin, dont une part doit être versée au prophète et à sa famille et une autre aux pauvres et aux orphelins de la tribu. Ainsi, les liens de solidarité au sein de la tribu, et donc sa cohésion et sa force, sont renforcés en même temps qu’est valorisée la prédation au détriment des « incroyants », prédation mise au service de la conquête. On s’en doute, l’histoire des salafs contribua grandement à inspirer les travaux d’Ibn Khaldoun…

En résumé l’islam théocratique conquérant, lecture littérale des textes sacrés de l’islam et imitation de la vie du prophète et de ses compagnons telle que la relate la tradition, ne cesse hélas de gagner du terrain au sein même du monde musulman.

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Or, en France, ce monde musulman a en partie formé une contre-société valorisant les activités de prédation, évidemment pour les raisons sociologiques habituelles conduisant à la délinquance, mais aussi et peut-être surtout parce que cette prédation est glorifiée dans ses références culturelles lorsqu’elle se fait au détriment des « mécréants », la stricte séparation entre « croyants » survalorisés et « mécréants » dévalorisés étant l’un des principes fondamentaux de sa vision du monde.

Bien que tous les musulmans ne fassent pas partie de cette contre-société, loin de là, la religion musulmane est l’un de ses marqueurs identitaires forts, tout comme le sont l’habitude de la brutalité et la ségrégation entre hommes et femmes, les trois s’associant d’autant mieux que les textes sacrés de l’islam enseignent l’infériorité légale des femmes et exaltent la violence à l’encontre des « incroyants ». Rien d’étonnant à ce que cette contre-société soit un vivier de recrutement parfait pour les bras armés de l’islam théocratique, d’autant plus que son idéologie a largement contribué à la constituer.

Ils détestent Noël comme ils détestent la France

Nos ennemis abhorrent ce que Noël représente. Cette fête est celle de la naissance d’un enfant divin, célébré par une grande joie sur la Terre et dans le Ciel, signe que contrairement au dieu des islamistes son Père n’est pas jalousement avide d’être seul digne de vénération. Fête d’un dieu qui se donne et non pas qui s’impose, antithèse absolue de la soif de conquête et de pouvoir théocratique. Fête de l’humanité de ce dieu, d’un dieu qui ne se prétend pas au-dessus de l’exigence éthique mais s’attache lui-même au Bien, et dont la grandeur se manifeste aussi dans l’infini respect qu’il a de la dignité intrinsèque des mortels, et donc de leur liberté et de leur responsabilité.

Au voisinage du solstice d’hiver, Noël est la fête de la lumière qui naît alors même que les ténèbres semblent les plus épaisses, de l’espérance qui demeure, se régénère et jaillit. Ce n’est pas seulement la naissance du Prince de la Paix, mais aussi l’encouragement à poursuivre le combat même lorsque l’obscurité semble devoir l’emporter. Ainsi, les romains célébraient la joie fraternelle des Saturnales, mais aussi la lumière invaincue du soleil, Sol Invictus, et la naissance de Mithra, dieu particulièrement populaire parmi les soldats.

Si nous voulons que la paix de Noël soit celle de la liberté et non celle de la soumission honteuse à l’arbitraire, il nous faudra nous battre. L’enfant de la crèche nous rappelle toutes ces générations à venir que les islamistes voudraient faire ployer sous le joug de leur idéologie totalitaire. Nous avons le devoir de les protéger, et de leur transmettre la lumière que nous avons reçue en leur enseignant à espérer et désirer sans cesse la paix, mais aussi à toujours être prêts à combattre lorsque c’est nécessaire. Ainsi, et ainsi seulement, la lumière triomphera.

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Non, la crise des gilets jaunes n’est pas identitaire

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On croit déjà tout savoir sur les gilets jaunes. Mais les premières recherches menées par des scientifiques démentent parfois les préjugés médiatiques. Déconstruction des idées reçues sur la révolte de la « France d’en bas ». 


Alors que le mouvement des gilets jaunes est entré dans une phase d’incertitude à la suite des annonces d’Emmanuel Macron et du drame de Strasbourg, les nouveaux experts en gilets continuent à se succéder sur les plateaux pour analyser la contestation à l’aune de quelques notions caricaturales, entre « jacquerie » et révolte des « plouc-émissaires », entre fronde de la « France périphérique » (ou « France d’en bas ») et revanche des « citoyens de base ».

Au-delà de leur violence symbolique, ces propos répétés ad nauseam urbi et orbi disent sans aucun doute moins de choses sur les gilets jaunes que sur les lubies de leurs auteurs. S’il faudra des enquêtes approfondies pour comprendre plus précisément le mouvement, il semble donc utile de déconstruire dès maintenant ces clichés simplistes qui polluent le débat public depuis trop longtemps. 

La mondialisation est inégalitaire : bienvenue au XXIème siècle !

Il y a encore un an, la majorité des commentateurs politiques, ainsi qu’une large partie de la presse nationale se félicitaient des premières mesures économiques et fiscales du gouvernement[tooltips content= »Entre autres : suppression de l’exit tax, destinée à juguler l’évasion fiscale de chefs d’entreprise ; transformation de l’impôt sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière ; instauration d’un prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital à 30%. »]1[/tooltips], au service des nouveaux totems de l’action publique néo-libérale : compétitivité, attractivité, excellence. Les mêmes réclament aujourd’hui une « inflexion notable », sinon un « revirement » des politiques mises en œuvre depuis 18 mois. Ainsi, sans sourciller, Edouard Tétreau, ancien conseiller d’Emmanuel Macron, analyste financier et éditorialiste au Figaro, appelait, lundi 3 décembre sur France 24, le président à un véritable « u-turn » (demi-tour) susceptible de le placer dans le sillage de Bill Clinton (sic). On en est encore loin…

Pourtant, de nombreux chercheurs avaient annoncé, dès la fin 2017, les risques de déstabilisation sociale liés à ces mesures (voir, par exemple, cette note de l’Observatoire français des conjonctures économiques ou le blog de Thomas Piketty« ). Plusieurs travaux d’économistes et de sociologues montraient, en effet, que seuls les 5% des Français les plus riches sortiraient gagnants de l’année 2018. Inversement, la plupart des ménages des classes moyennes verraient leur pouvoir d’achat stagner, tandis que le niveau de vie des 5% de familles les plus pauvres diminuerait en raison de la hausse de la fiscalité écologique et du coup de rabot sur les APL.

Plus généralement, alors que les responsables politiques, à commencer par le président de la République, semblent abasourdis par le mouvement des gilets jaunes, on a l’impression presque surréaliste qu’ils découvrent en 2018 que la globalisation est sélective et inégalitaire, socialement et spatialement ! Si la croissance se poursuit, quoique lentement, tous les individus et tous les territoires n’en profitent pas de la même façon, bien au contraire. A rebours des mythologies sur les « premiers de cordée » ou sur le « ruissellement », elles-aussi largement déconstruites par les chercheurs, les richesses économiques créées ne sont pas redistribuées de manière équitable comme par magie – ou par la grâce d’une quelconque « main invisible » (Adam Smith). Seuls de puissants mécanismes de redistribution permettent, partiellement, de filtrer les effets de la mondialisation et d’organiser les transferts de ceux qui en tirent profit vers ceux qui en sont exclus. Ce n’est pas un hasard si, partout en France, les gilets jaunes en appellent à l’aide de l’Etat.

Ici se trouve le véritable « u-turn » : le déploiement d’une économie mondialisée, libérale et concurrentielle conduit, partout dans le monde, à une aspiration plus forte à la régulation – bien au-delà d’un simple retour au protectionnisme. Ce qui était encore un gros mot en 2008 est désormais le socle commun sur lequel les démocraties à économie de marché reconstruisent leurs bases après les crises.

L’exercice du pouvoir est élitaire et vertical : bienvenue en France !

Comment expliquer ce degré d’aveuglement ? Voici, de manière non exhaustive, trois pistes d’interprétation :

1/ La première s’inscrit dans une tendance mondiale de transformation profonde des modalités de l’information : d’une part, on assiste à une forme de dissolution de la parole dans l’instantanéité, qui entrave fortement la capacité à formuler – et à entendre – des analyses distanciées et nuancées ; d’autre part, l’émergence des nouveaux médias conduit à mettre sur un pied d’égalité l’ensemble des sources et des supports (réseaux sociaux, presse, enquêtes, blogs, etc.), brouillant ainsi les frontières entre expertise, information, interprétation et dans certains cas purement et simplement fake news.

2/ La deuxième, plus spécifique à la France, est la discréditation de l’expertise académique. Les nouveaux apôtres de l’anti-intellectualisme et autres théoriciens du « primat de l’expérience sur l’expertise » considèrent, en effet, que les travaux scientifiques n’ont guère de valeur et qu’ils sont en tout état de cause plombés par les biais idéologiques de leurs auteurs. Plus largement, pour plusieurs raisons, notamment le monopole du pouvoir exercé par les hauts-fonctionnaires et la dévalorisation sociale et économique, tant des diplômes académiques que du statut d’enseignant-chercheur[tooltips content= »Après un doctorat et a minima huit années d’études supérieures, le traitement net d’un maitre de conférences en début de carrière est d’environ 1750 euros. Pas étonnant que plusieurs d’entre eux aient enfilé leur gilet jaune ! »]2[/tooltips], les scientifiques français sont marginalisés dans le débat médiatique et politique – ce qui range au rayon des fumisteries leur assimilation aux « élites » par quelques grincheux qui ont visiblement quelques comptes à régler.

3/ La troisième est placée plus directement au cœur des protestations des gilets jaunes. Elle prend la forme d’une double crise du système politico-institutionnel français : crise de la représentation démocratique, d’une part, illustrée par l’asséchement des corps intermédiaires et la montée en puissance des initiatives « par le bas » ; crise du pouvoir politique d’autre part, incarnée par la défiance généralisée envers les partis et la colère, sinon le dégoût, qu’inspire la connivence entre élites politiques et économiques, issues des mêmes milieux et des mêmes écoles (Sciences Po, ENA, Polytechnique, HEC…). Cette crise a été exacerbée par le décalage entre les promesses de renouvellement du candidat Macron et sa pratique effective du pouvoir : hyper-concentration de la prise de décision dans les cabinets ; soumission des élus à l’exécutif ; gestion purement managériale des réformes ; prises de parole surplombantes. Tout indique que les Français ne supportent plus cette culture à la fois monarchique et technocratique.

L’insécurité est d’abord économique : bienvenue chez « le peuple »!

Il y a un mois encore, les deux apôtres de la réécriture de l’histoire (Éric Zemmour) et de la géographie (Christophe Guilluy) françaises ne cachaient pas leur enthousiasme face à l’irruption des gilets jaunes.

En effet, le mouvement semblait consacrer de manière éclatante le succès d’une représentation déjà bien établie dans les champs politique et médiatique : celle d’une France coupée en deux entre métropoles dynamiques mondialisées et territoires « périphériques » laissés pour compte (et rassemblant le gros du « peuple »). La contestation en cours ne serait finalement que l’expression de la revanche des seconds à l’égard des premières. Les aberrations auxquelles conduit cette thèse ont été maintes fois documentées. Ainsi, les classes créatives d’Angers, les chercheurs de la Rochelle et les cadres supérieurs d’Annecy seraient « périphériques », tandis que les dockers de la Seyne-sur-Mer ou les mineurs retraités de Lens seraient « métropolitains ». Les habitants et les élus seront heureux de l’apprendre ! Loin de conforter cette vision, le mouvement des gilets jaunes montre ses impasses et ses impensés au gré des premiers résultats des enquêtes de terrain réalisées par des chercheurs sur la base d’échantillons significatifs.

1/ Les premiers gilets jaunes, ainsi que plusieurs coordinateurs nationaux, sont originaires de l’agglomération parisienne, métropole mondiale située au sommet de la « France d’en haut ». Et pour cause : si les Franciliens utilisent un peu moins leur voiture et réalisent des trajets un peu plus courts que le reste des Français, ils passent en moyenne 75 minutes par jour dans leur véhicule, contre 45 minutes pour les habitants de l’espace rural ! En somme, dans le Grand Paris, le budget-temps compense largement les moindres coûts liés aux déplacements.

2/ Les figures charismatiques des gilets jaunes sont marquées par une grande diversité sociale et résidentielle : ce sont aussi bien des chefs d’entreprises alsaciens que des ouvriers de La Seyne-sur-Mer, des petits commerçants du périurbain toulousain que des fonctionnaires du centre de Moulins, des retraités bretons que des jeunes cadres franciliens à la recherche d’un logement ; en somme, une véritable mosaïque socio-professionnelle imperméable aux représentations binaires.

3/ La cartographie des lieux de blocage tenus par les gilets jaunes montre que l’immense majorité des communes concernées est située au sein des grandes aires urbaines. Bien sûr, on ne manifeste pas toujours là où l’on habite. Mais précisément : le mouvement reflète moins des frontières infranchissables que le rôle central des interdépendances territoriales dans les pratiques sociales des Français. Ainsi, les gilets jaunes dits de la « périphérie » se retrouvent bien souvent là où ils ont fait leurs études, où ils vont faire leurs courses le week-end, où ils emmènent un proche à l’hôpital ou leur famille au cinéma. Ils pratiquent quotidiennement une forme de zapping territorial, certes couteux en temps, en argent et en énergie, mais qui contredit frontalement les analyses en termes de « sédentarisation » ou de « nouvelle autochtonie ».

4/ Bien qu’étant plurielles et encore peu stabilisées, les revendications des gilets jaunes convergent vers des enjeux de justice fiscale, sociale et spatiale : augmentation des bas salaires, revalorisation du pouvoir d’achat, égalité face à l’impôt, maintien des services publics sont les seuls mots d’ordre partagés par l’ensemble des manifestants. Or la fragilité sociale traverse les territoires autant que les origines ou les générations : bien qu’étant enracinée au cœur du monde urbain et non de la « France périphérique » (deux tiers des résidents français sous le seuil de pauvreté vivent dans le centre d’une grande ville ou dans sa banlieue), elle concerne aussi bien des familles du Pas-de-Calais frappées par le déclin industriel que des agriculteurs du Berry lourdement endettés ou des travailleurs précaires de la banlieue lyonnaise. Le mélange des uns et des autres au sein du mouvement, ainsi que l’absence de revendication de type identitaire (malgré quelques tentatives de manipulation grossières), montrent que les visions binaires et/ou ethnicisées des divisions des classes populaires relèvent avant tout de la récupération idéologique. En effet, l’opposition entre « bons pauvres » et « mauvais pauvres » permet de faire un tri pour réduire le nombre de ceux qui « méritent » d’être aidés. Mais cela n’a jamais réglé leurs problèmes.

Du « pays des aveugles »[tooltips content= »En référence au titre d’un article de L’Express qui discréditait de manière outrancière les interventions des chercheurs en sciences sociales dans le débat public « ]3[/tooltips] à la fin des rois borgnes

Le primat de l’insécurité économique sur la supposée « insécurité culturelle » est sans aucun doute l’une des grandes leçons du mouvement. Dans ces conditions, il faut un certain art du funambulisme intellectuel pour continuer à interpréter les gilets jaunes à l’aune de quelques obsessions géographiques et/ou culturalistes qui saturent le débat public – mais dont les promoteurs, dans un classique du retournement de stigmates, se présentent comme des victimes de la « censure » (sic).

Ces postures s’effritent à mesure que la fragilité de leurs fondements est mise en lumière. Ainsi, de très nombreux experts, élus, techniciens des collectivités ou simples citoyens font part de leur lassitude face aux grilles de lecture simplistes et n’offrant aucune perspective en matière de développement territorial. Ils aspirent à autre chose que La mondialisation pour les nuls ou Le Tour de la France par deux enfants ! Ils demandent des données empiriques identifiées et des analyses robustes qui permettent de regarder la réalité en face, dans sa complexité !

Dans le même temps, des dizaines de travaux de sciences sociales, menés sur le terrain par des chercheurs issus de multiples disciplines et affranchis de toute affiliation idéologique, sont largement diffusés sur les réseaux sociaux, dans la presse nationale et régionale, dans les mairies et jusqu’au Sénat. Leurs auteurs font parfois l’objet d’insultes et de menaces, ce qui en dit long sur le degré de « brutalisation » du débat public. Toutefois, les retours positifs sont massifs et témoignent d’un changement profond des attentes et des mentalités.

Finalement, personne n’a le monopole des gilets jaunes, de la représentation du « peuple » ou de la défense des « territoires ». Et surtout pas quelques intellectuels médiatiques soufflant sur les braises de la contestation. Après la dissolution de la « gauche caviar », la crise des gilets jaunes consacre l’impasse des réacs foie gras, qui prétendent glorifier les racines « gauloises » et l’identité terrienne du pays, tout en contemplant depuis les quartiers huppés de la capitale et avec une superbe condescendance ce qu’ils appellent la « France d’en bas ». On ne s’en plaindra pas.

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Pourquoi j’aime l’odieux Donald Trump


Comme Marilyn Monroe et John Wayne, Donald Trump appartient au panthéon de la pop culture américaine. Sa vulgarité et ses mauvaises manières n’empêchent pas le président américain de répondre efficacement aux grands défis d’un monde de plus en plus instable.


Certains s’étonnent qu’un intellectuel raffiné, nihiliste de surcroît, puisse afficher ouvertement son soutien à un personnage aussi peu raffiné et intempestif que Donald Trump. Je les comprends. Mais ils me semblent aveugles à tout ce qu’il incarne : une Amérique conquérante, primitive, avec un colt dans une main et une Bible dans l’autre. L’Amérique d’Elvis et de Clint Eastwood, l’Amérique d’Andy Warhol et de Marilyn, l’Amérique dont Johnny Hallyday ou Eddie Mitchell rêvait. Une Amérique populaire où le meilleur et le pire se côtoyaient sans que l’on sache précisément où se trouvait la frontière entre eux, sinon dans les affaires. Et pour les affaires, reconnaissons que Donald Trump n’a rien à apprendre.

Mieux vaut John Wayne que Macron

On me rétorquera que c’est l’Amérique des années 1950 que j’évoque, celle de ma jeunesse, dont j’aurais la nostalgie. Et que j’aime Donald Trump parce qu’il y revient. Sans doute. Ce fulgurant flash-back serait donc, me dit-on, à contre-courant de l’Histoire. Le progrès, incarné hier en Amérique par Barack Obama, le serait aujourd’hui en France par Emmanuel Macron. L’avenir serait au multiculturalisme et à un monde pacifié et pacifique où chaque pays n’aurait qu’un ennemi : le changement climatique et les menaces qu’il fait peser sur nos enfants. Nous avons été si abjects dans notre rapport à la Nature – et incidemment aux femmes – qu’il faut mettre un terme à notre irresponsabilité. Le vieil homme blanc a commis trop de dégâts sur toute la planète : il doit disparaître des écrans.

Ce genre de fables pour midinettes aurait fait sourire Raymond Aron. En effet, qu’on s’en réjouisse ou non, chaque homme a pour ennemi un autre homme, quand ce n’est pas lui-même. Et la guerre, sous quelque forme que ce soit, permet d’évacuer cette pulsion de mort qui nous ronge. Ne pas en tenir compte, c’est se rendre coupable d’un idéalisme mortifère, ce que tout le monde voit, sauf les aveugles, dans l’Union européenne en pleine dislocation.

Il était une fois dans l’Ouest

Donald Trump veut des frontières. Donald Trump veut des relations bilatérales. Donald Trump veut rendre les Américains fiers de leur pays. Donald Trump a conscience que l’islam est aujourd’hui aussi dangereux que le fut le communisme avant la chute du mur de Berlin. Donald Trump admire Poutine. Et ne redoute pas de s’opposer à la Chine. Qui pourrait le lui reprocher ? Mais le fond du débat oppose ceux qui ont une vision progressiste de l’Histoire et ceux qui en ont une vision cyclique. Pour les premiers, Donald Trump est non seulement odieux, mais anachronique. Pour les seconds, il signifie que le jeu planétaire est régi par l’éternel retour – ou l’énantiodromie pour revenir à Héraclite. John Wayne est à nouveau à l’affiche. Une aubaine pour les amateurs de westerns dont je suis.

Supprimons Noël, il y aura moins d’attentats!

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Avertissement: ce texte est déconseillé à ceux dont l’esprit de sérieux serait trop développé et le second degré pas assez…


Il faut sans plus attendre tirer les enseignements de la tragédie de Strasbourg. Il n’a échappé à personne que le tueur n’a pas tiré au hasard. Il s’est rendu sur le marché de Noël, une fête impie qui insulte la foi qui est la sienne.

Prenons des dispositions pour que cela n’arrive plus ! Interdisons les marchés de Noël dont l’aspect provocateur est plus qu’évident. Allons plus loin, et interdisons Noël tout court : cette fête n’a pas droit de cité dans le Coran. En effet, trop nombreux sont ceux qui sont persuadés que lors des messes de minuit se trament de sombres complots contre leur religion.

Mais il n’est pas sûr que ça suffise à garantir la paix civile. Il faut proclamer un état d’urgence religieux et détruire les églises dont la vue est susceptible d’attiser des passions vengeresses. Les synagogues, antres encore plus diaboliques, doivent être brûlées !

A lire aussi: Mantes ou Strasbourg: panique à Libé!

Ainsi, il y aura certainement moins d’attentats en France. Ainsi, des hommes, que nous avons rendus violents et colériques, redeviendront paisibles et pratiqueront pieusement  une religion qui ne demande qu’à être de paix et d’amour.

Demeurent deux problèmes : celui de Béziers où un affreux pyromane a installé une crèche dans sa mairie. Un acte de nature à déclencher une sanglante guerre religieuse en France. Il doit être sanctionné, poursuivi et emprisonné ! Sinon…

Il faut aussi évoquer Paris. Cette ville, toujours pour que règne la paix chez nous, ne peut rester la capitale de la France. En effet, les vrais croyants y sont très mal représentés. La seule ville qui mérite d’être notre capitale, c’est Saint-Denis ! Il est vrai qu’il y a là-bas une basilique catholique où sont enterrés les rois de France. Que faire de leurs dépouilles ? Peut-être les transporter à Abou Dhabi où il y a déjà une antenne du Louvre…

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La France a besoin d’un nouveau projet collectif

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Un gilet jaune à Saint-Quentin-Fallavier (Isère), 8 décembre 2018. SIPA. 00887475_000008

Après le temps de la colère doit venir celui de la réconciliation. La révolte des gilets jaunes en est témoin: il faut rebâtir une démocratie fondée sur la raison, qui tienne compte de la parole du peuple.


Certains ont ironisé sur la prise de parole des gilets jaunes. Ces ploucs ne sauraient pas dire ce qu’ils veulent. Ils ne sauraient pas davantage dire où ils prétendent aller et n’auraient, en tronc commun, que ce cri répété à l’envi : « Macron démission ».

D’autres se méfient désormais d’une parole politiquement incorrecte et mal pensante, qui serait relayée et manipulée par des groupuscules extrémistes. Ceux-là illustrent les mots de Jules Romains, lequel, dans Retrouver la foi, écrivait en 1944 : « Il ne suffira pas que le peuple fasse indéfiniment ce qui lui passe par la tête, ou ce que des malins lui mettent dans la tête, pour que la cité soit sauvée. »

« La démocratie, c’est le régime de la souveraineté de la raison »

Faisons appel à la raison pour repenser la question de la vie démocratique, véritable urgence du moment présent. Et écoutons encore l’académicien dans Pour raison garder : « La démocratie, dans son principe, ce n’est pas le régime de la souveraineté populaire, c’est le régime de la souveraineté de la raison, dans les conditions où les sociétés humaines le rendent possible. » N’en référait-il pas aux fondateurs de la première révolution française, eux-mêmes inspirés par les philosophes, lesquels proposèrent de mettre fin à l’arbitraire dans le gouvernement des hommes et d’y substituer la raison et la justice.

A lire aussi: Gilets jaunes: pour une nouvelle « nuit du 4 août »

Ne devons-nous pas reconnaître que cette noble intention est la seule qui vaille aujourd’hui, alors que nombre de citoyens se sentent dépossédés de tout pouvoir sur leur vie et livrés à l’arbitraire de technocraties lointaines. Cette parole inspirée par la raison et tenant en respect les passions collectives les plus ténébreuses, voilà ce que nous devons rechercher urgemment. Pour créer une vie démocratique renouvelée dans laquelle des personnes issues de milieux très divers s’exprimeront librement sur leur expérience de vie, partageront leurs réflexions et seront écoutés par ceux qui ont la charge d’un gouvernement et qui devront faire l’expertise de la situation. S’agit-il là d’une utopie ? Les gouvernements démocratiques étant soumis en permanence à des pressions intérieures et extérieures, il peut en effet sembler fou de prendre, voire perdre ce temps précieux dévolu à écouter les gueux. Pourtant, l’heure ne semble plus à l’évitement.

Tenir compte de la parole du peuple

Les experts qui conseillent nos dirigeants doivent impérativement tenir compte de cette parole populaire surgie du tréfonds et déterminée à se faire entendre. Il est impératif de construire avec eux cette éducation à la vie démocratique où la raison serait maîtresse. Ne le ferions-nous pas ? Nous encourrions le risque d’un futur dangereux et incertain, menacé qu’il serait par des révoltes haineuses et manichéennes. Il est impératif que la parole démocratique réunisse certaines conditions pour livrer son expertise et sa sagesse.

Pour baisser les masques inspirés par la peur, la haine et une relation aux autres et à l’autorité, fragilisées par les aléas de la vie et parler avec authenticité. Pour mettre en relation les paroles les plus diverses et parfois contradictoires, dans la confrontation et le conflit. Pour arriver à une confiance en soi restaurée qui aboutirait à une parole juste et forte, ressourcée par une expérience de vie concrète et documentée. C’est en effet ce manque de confiance envers les nouvelles aristocraties qui nous gouvernent que nous avons tous confondu, à tort, avec un désintérêt pour la politique. Les gilets jaunes, ces abstentionnistes, s’expriment aujourd’hui hors cadre électoral.

Bâtissons ce projet collectif qui réunirait une majorité de Français. Inventons les conditions d’apprentissage de la vie démocratique. Balayons ce grand péril que serait le déficit démocratique, accompagné d’un vide spirituel et culturel, car il pourrait laisser nos concitoyens sans protection face aux tentations sectaires, communautaires ou mafieuses.

Laissez les barbus tranquilles!

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L'ancien rugbyman, Sébastien Chabal, en 2015. SIPA. 00715724_000031

Espèce en voie de réapparition, le barbu n’est pas l’homme viril qu’il croit être. Le barbu se ment, le barbu se cache, mais ne mérite pas d’être emmerdé. Foutez lui donc la paix !


Le barbu ne s’offre pas un surplus de virilité mais bien de maniérisme. Demandez aux coureurs des bois québécois si leurs barbes de cinq mois étaient taillées tous les quinze jours par le coiffeur-artisan-barbier-pilosophe de l’arrondissement. Le poil, s’il fut un jour réellement viril, le fut au prix d’un manque d’hygiène et de propreté, manque de temps ou de matériel. Aujourd’hui, la barbe se fait plus propre, nous pouvons nous en réjouir. Il est cependant difficile de considérer ce nouvel accessoire masculin comme autre chose qu’un masque derrière lequel on cherche à dissimuler ce que nous croyons savoir de nous.

A lire aussi: Au secours, la barbe revient!

Dans l’ère de progrès permanent et obligatoire que nous traversons, personne ne s’émeut qu’une femme de quarante-cinq ans commence à se teindre les cheveux pour en cacher la blancheur que certains hommes ne veulent pas voir. S’émouvoir de ceux qui se forcent à ne pas se raser, c’est aussi accorder trop d’émotions et trop d’attention à ces garçons qui n’attendent que cela. En effet, le porteur de barbe n’a pas l’élégance du moustachu. Mais il parvient à son but au prix d’une grande patience et d’une petite résistance, deux qualités qui font cruellement défaut à notre temps. Le hipster barbu d’aujourd’hui c’est l’avorton né d’une GPA de parents soixante-huitards qui, eux, cessaient de se raser pour embêter le bourgeois. Les nouveaux barbus portent la barbe hirsute, mais ils y font attention et la préserve comme on protège sa manucure. C’est ce qui les rend triste.

Ça grattouille, ça chatouille, mais ça vous prouve quelque chose

Le père de Marcel Pagnol est en train de se raser en chantonnant. Cette image du film d’Yves Robert est dans toutes les têtes. Celle où Joseph et l’oncle Jules se rasent en extérieur, au blaireau, face au miroir de barbier. Le barbu feint de l’ignorer pour montrer que lui, il est vrai, il est nature, il n’a pas besoin de la propreté. La barbe c’est la prétention du vrai. Qui sont les barbus d’aujourd’hui ? Des cuisiniers de la télé-réalité, des barmans en quête de personnalité, des banquiers en reconversion. Pire encore, des graphistes sans doute ! Tous sont des hommes dont la quête de vérité se place mal, au mauvais endroit, au mauvais moment.

Que se passe-t-il dans la tête de l’apprenti barbu ? Il se dit que, tiens, il aimerait bien voir sa tête changer. Quand certains pensent à la présidence de la République en se rasant, lui pense que peut-être il fera petit garçon s’il coupe trop ras, que ça ne plaira pas aux dames. Alors il attend, il voit que ça fait son effet, il garde ses poils. Au prix d’un effort terrible : ça le gratte, ça le pique, mais il tient, il veut se le prouver, puis il veut faire américain. La prochaine étape de sa rébellion aux codes sera de refuser de mettre sa chemise dans son pantalon.

Ne désespérons pas. L’élégance reviendra avec la propreté. L’homme montre ses chevilles dans des pantalons trop courts qu’on appelle des 7/8ème et cache la peau de son menton. Mentons donc avec lui et laissons le croire à sa virilité. Lisons, peignons, dessinons, écrivons, plutôt que de vouloir faire vieil artisan. Intéressons-nous aux textes des philosophes plutôt qu’à leur barbe.

Sus aux barbus et à ceux qui les emmerdent

L’ère festive que nous traversons est formidable. L’homo festivus de Philippe M. est partout : dans les apparences des hommes, dans leurs relations amoureuses, dans leurs passe-temps favoris. La barbe n’est que l’un de ses nouveaux plaisirs qui transforment la ville en une parade permanente du ridicule. Mais pire encore que les barbus inutiles qui cachent leur jeunesse derrière leurs poils, il y a ceux qui s’y intéressent ; moi le premier. À quoi bon chercher à critiquer ces hommes qui, hélas, semblent davantage chercher à se connaître qu’à faire de l’effet ?

La barbe ne vous confessera pas, Messieurs, pas plus qu’elle ne vous psychanalysera. Elle fait un effet bœuf : l’homme sous la barbe se rapproche de son animalité. Enfin c’est ce qu’il croit. Il oublie ainsi son humanité, se ridiculisant dans sa volonté de se comporter en mâle alpha d’une meute de petits marquis. S’intéresser trop à l’apparence, la sienne ou celle des autres, c’est perdre son temps.

D’ailleurs, si vous voulez du barbu, pensez plutôt Hemingway, Hugo, ou Zola, bref du barbu qui se limite, qui ne se laisse pas aller, du barbu qui assume l’homme qui est derrière. Ce n’est pas le vélo qui fait le champion, comme ce n’est pas la barbe qui fait l’homme debout. Garder la barbe, ce n’est pas être hirsute. Quitte à être barbu, pensez aussi Gypaète Barbu, rapace pyrénéen amené à disparaître un jour.

Cet oiseau-là n’a pas besoin de barbier.

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Il faut sauver le Grand Palais

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Façade est du Grand Palais. ©Youngtae/Leemage

Sortant à peine d’une longue phase de travaux de 1993 à 2005, le Grand Palais va à nouveau fermer ses portes de 2021 à 2024, pour un coûteux chantier de restauration et de réaménagement. Ira-t-on au bout des rénovations nécessaires, cette fois-ci ? Les missions de cette institution seront-elles suffisamment réexaminées pour lui apporter un nouveau souffle ? Ce monument d’une qualité architecturale et artistique exceptionnelle constitue une chance pour Paris et pour la France !


Verrières exceptionnelles, immenses espaces, circulation aisée, lumière omniprésente : construit pour éblouir le monde entier lors de l’Exposition universelle de 1900, le Grand Palais est une prouesse architecturale. Au plan artistique, c’est un joyau de l’art néobaroque. La plupart des grands sculpteurs français de l’époque y contribuent. En faisant le tour de l’édifice, avec près d’une cinquantaine d’artistes, on a un aperçu assez complet de la statuaire de cette période, exception faite de Rodin. Se détachent quelques chefs-d’œuvre absolus comme L’Harmonie triomphant de la discorde, de Georges Récipon, ou La Seine et ses affluents, de Raoul Larche. S’il ne fallait citer qu’un aspect pour convaincre les récalcitrants de la subtilité du néobaroque, on pourrait pointer son traitement des corps et, tout particulièrement, des nus féminins. Aucun autre temps n’a plus finement compris le corps humain et ne l’a interprété avec plus de fluidité. Certains parlent encore d’art « académique » ou « pompier », mais ces qualificatifs méprisants relèvent d’une inculture pure et simple.

A lire aussi: Le Palais de Tokyo, joyau de l’Art déco en perdition

Les sculpteurs concernés sont presque tous d’origine modeste. C’est le cas d’Alfred Boucher, fils d’ouvrier agricole, d’Auguste Suchetet, fils de maçon, de Félix Charpentier, fils d’ouvrier de briqueterie, de Corneille Theunissen, fils de cordonnier, etc. Ils sont remarqués durant leur enfance. On les encourage. Ils suivent les voies méritocratiques alors mises en place depuis peu. Ils acceptent des formations très exigeantes. Ardemment républicains, ils œuvrent de toute leur force à ce palais. La IIIe République leur en sait gré. Le monument arbore l’inscription : « Ce monument a été consacré par la République à la gloire de l’art français. »

Un palais vite rétrogradé au statut de simple hangar

L’histoire de l’art, comme l’évolution des espèces, est cependant sujette à de grandes disparitions. C’est ainsi qu’après la Première Guerre mondiale, le changement de goût est total. L’heure est à la géométrisation, à l’Art déco, au cubisme, à la modernité et au classicisme fascisant. Le néobaroque (qui ne porte pas encore son nom) est brutalement dévalué. Le Grand Palais est désormais considéré comme un vaste hangar à l’aspect passé de mode. Pour les manifestations de prestige, on camoufle les décors d’origine. Toutes sortes d’organismes s’y installent. Un véritable dépeçage des lieux intervient. On cloisonne, on entresole, on saccage. Une exposition scientifique est pérennisée au Palais de la découverte. L’espace se réduit, la lumière est obturée, la circulation est barrée, rien n’est entretenu. On enlève des statues au nom du bon goût. La menace la plus grave se profile avec André Malraux. Le pompeux ministre d’État n’aime pas les « pompiers ». Il prévoit, avec Le Corbusier, de raser le Grand Palais pour construire à la place un vaste musée Picasso. Cela ne se fera pas. Parfois, les lenteurs administratives ont du bon.

Cependant, à la fin du siècle, le bâtiment s’avère très fatigué. En 1993, un premier rivet tombe des voûtes, puis un autre. Il s’ensuit la fermeture et une campagne de travaux sur les fondations et la verrière. Le monument ne rouvre qu’en 2005. Cependant, il apparaît vite que ces travaux engagés sans vision d’ensemble ne suffisent pas. Il faut se remettre à la tâche. C’est l’objet du projet actuel de restauration et d’aménagement, prévu pour un coût de 466 millions d’euros. Un quart environ correspond à la partie patrimoniale. Le reste est consacré aux aménagements apportant les fonctionnalités attendues à notre époque : plate-forme logistique, régulation thermique, accès handicapés, circulation optimisée du public, etc.

Non seulement le Grand Palais doit être restauré, mais il devrait l’être plus complètement…

Un grand nombre de personnes s’interroge sur ces sommes. On les compare aux modiques recettes du « loto du patrimoine » (20 millions d’euros environ). On redoute un retour de bâton sur le budget du ministère de la Culture. On oublie les grands chantiers de la période Mitterrand, beaucoup plus onéreux. Mais le fond du problème est ailleurs. Beaucoup ne verraient pas d’objection à ce que l’on dépense sans compter pour une grange du XIIIe siècle, mais restent perplexes lorsqu’il s’agit d’un style éloigné de leur culture patrimoniale.

Non seulement il faut rénover le Grand Palais compte tenu de sa valeur artistique, de sa place centrale à Paris et des nombreuses opportunités qu’il offrira, mais, tant qu’à faire, il faudrait le faire complètement. En effet, l’attractivité d’un bâtiment dépend en grande partie de sa capacité à créer un choc positif dans la ville. Beaubourg, après sa construction, a attiré énormément de visiteurs. On peut faire la même remarque sur la fondation Vuitton ou le Grand Louvre. Or, en l’état du projet, l’aspect extérieur du Grand Palais restera inchangé après les travaux. Il sera même un peu terni, car aucun ravalement n’est programmé alors que vingt-cinq ans se seront écoulés depuis le précédent. Pire, il n’est pas prévu de rechercher et de remettre en place les statues manquantes. Ainsi, sur le porche ouest (Palais de la découverte), un grand groupe en bronze doré de Tony Noël (de la taille des quadriges de Récipon) a été déposé au milieu du XXe siècle. C’est sans aucun doute un des fleurons du bâtiment d’origine. Pourquoi ne pas le réinstaller ? De même, côté est (en face du Petit Palais), le portique paraît un peu austère. C’est parce que quatre grandes statues ont été ôtées devant les colonnes, ainsi qu’une grande agrafe en haut de voûte. Pourquoi ne pas les réimplanter ? Le projet actuel, en ne restituant pas toute sa splendeur extérieure au bâtiment, se prive inopportunément d’un signal fort à la réouverture.

Le Grand Palais n’est pas seulement un bâtiment. C’est aussi un établissement public ayant un rôle artistique de première importance. Si l’on veut qu’il trouve un nouveau souffle en 2025, il est indispensable de réfléchir à ses missions. Deux domaines méritent en priorité un examen approfondi : les expositions artistiques des Galeries nationales et la place des artistes vivants.

Les grandes expositions, avec des thèmes parfois trop prévisibles, laissent de côté des écoles et des périodes passionnantes

Créées en 1964, les Galeries nationales du Grand Palais sont le principal lieu parisien dont dispose la Réunion des musées nationaux (RMN). Depuis plus d’un demi-siècle, quatre à cinq grandes expositions s’y tiennent chaque année, chaque événement attirant en moyenne 200 000 visiteurs, parfois près d’un million. Cette institution est donc le navire amiral de la transmission de l’art des siècles passés en France. La programmation a parfois été l’expression de choix politiques, comme durant la période Malraux ou en 1972 avec Pompidou. Cependant, la plupart du temps, elle reflète l’histoire de l’art telle qu’elle est admise à une époque donnée. Elle cache donc un non-dit, ou un impensé qui est tout sauf neutre. Raison de plus pour s’y attarder.

En observant l’historique des expositions, on peut distinguer trois registres principaux. D’abord un tiers d’archéologie, antiquité et cultures non européennes, jouant souvent avec l’idée de trésor et hanté par le succès indépassable de l’exposition « Toutankhamon ». Ensuite, un tiers de grands artistes appartenant à la période allant de la Renaissance au début du XIXe, avec des titres comme Watteau, Vermeer, Velásquez, etc. Enfin, comme dirait Pagnol, un grand tiers de célébrités impressionnistes, postimpressionnistes et modernes. C’est dans ce grand tiers que les scores de fréquentation sont les plus importants, avec des têtes d’affiche comme Picasso, Monet, Manet, Renoir, Gauguin, etc. Il faudrait ajouter quelques expositions atypiques, mais mémorables, comme « Mélancolie », organisée par Jean Clair en 2005 (ou « L’âme au corps », du même et de Jean-Pierre Changeux, interrompue par la menace d’effondrement de la grande verrière en 1993).

On aurait tort de se plaindre, car la RMN nous a offert durant toute cette période des expositions magnifiques. Cependant, les trois registres évoqués ci-dessus reviennent indiscutablement de façon un peu trop cyclique depuis cinquante ans. De larges pans de l’histoire de l’art sont peu explorés. Par exemple, la plus grande part du XIXe siècle reste occultée par la polarisation sur l’impressionnisme et la justification de la modernité. Il faudrait, certes, mentionner l’exposition de sculptures d’Anne Pingeot en 1986, mais c’est l’exception qui confirme la règle. Beaucoup d’écoles étrangères passionnantes sont quasiment inconnues en France. Un aggiornamento des conceptions en matière d’histoire de l’art est donc souhaitable.

Des signes de lassitude du public

La fréquentation des grandes expositions qui se maintient à peu près peut faire illusion. Cependant, l’intérêt pour l’histoire de l’art semble s’effriter. On peut aisément observer cette désaffection dans les rayons beaux-arts des librairies. Ces rayons décroissent à vue d’œil, au bénéfice d’autres catégories d’ouvrages telles que la BD, les livres sur le cinéma, etc. Ce dont il est question, soulignons-le, n’est pas l’évolution préoccupante du livre en général, mais la part relative des livres d’art, en déclin accéléré. Il se trouve que le rayon beaux-arts est, en réalité, presque exclusivement alimenté par des catalogues d’expositions et des publications muséales. Le financement de ces beaux et gros ouvrages est en grande partie pris en charge par les budgets des institutions, revenant quasiment à des ventes à perte et limitant les initiatives indépendantes. Le choix proposé fait ainsi directement écho aux programmes des grandes expositions. Il reflète la culture et les goûts des conservateurs. L’effondrement de ce rayon est un signe fort à ne pas négliger. Évidemment, la RMN n’est pas seule responsable, mais elle joue un rôle de premier plan.

L’art est soumis à ce que les économistes appellent des « rendements croissants d’adoption ». Cela veut dire que quand on a du mal à apprécier par soi-même la valeur d’un produit, on calque son attitude sur celle des autres. Par exemple, lorsqu’on cherche un restaurant et que le premier est vide, on se dit que c’est mauvais signe. Si le suivant est bien rempli, on entre. Le phénomène se multiplie facilement en « cascades informationnelles ». C’est souvent ce qui se passe en art. Quand un artiste est désigné par sa célébrité, la fréquentation augmente de façon exponentielle. Les expositions qui battent des records ont été, en réalité, préparées par d’autres, plus discrètes, des décennies auparavant. C’est au moment où la connaissance de nombreux artistes historiques est parvenue à maturité qu’il faut penser à faire des expositions plus petites, mais plus innovantes, qui préparent les grandes rétrospectives de demain.

La « gloire de l’art français » n’est pas au sommet de sa forme

Le Grand Palais a aussi un rôle particulier et très important en ce qui concerne les artistes vivants. La préoccupation de beaucoup d’entre eux, notamment des jeunes, est que leurs œuvres soient vues. Pour cela, grosso modo, trois circuits sont envisageables : 1) le marché  – galeries, maisons de ventes, foires telles que la FIAC, également hébergée au Grand Palais et qui nécessiterait un développement spécifique… 2) les institutions – musées, centres d’art et fonds d’acquisition publics, et 3) les salons gérés par les artistes eux-mêmes. Marché et institutions dominent le paysage. Cependant, ils présentent certaines limites souvent pointées : une tendance à la concentration sur des vedettes, un certain formatage des « émergents ». La diversité des créateurs peine à y trouver place. Les associations d’artistes sont donc un complément indispensable et presque un contre-pouvoir.

Au nombre d’une dizaine au Grand Palais, ces salons (associations ou sociétés) ont joué un grand rôle historique. C’est le cas du premier d’entre eux, le Salon des artistes français, appelé « Le Salon », fondé sous Louis XIV. Le Salon des refusés ou encore Salon des indépendants ouvre sous le Second Empire. Le salon d’Automne est créé en 1903. Dans la seconde partie du XXe siècle, divers salons sont lancés par des collectifs d’artistes aux sensibilités variées. Citons les excellents MacParis, Comparaisons et Figuration critique. Il pourrait, il devrait y en avoir d’autres.

Ce sont les membres des salons qui ont conçu et orné le Grand Palais destiné à devenir leur lieu d’exposition privilégié. Leurs successeurs ont le sentiment légitime d’être chez eux. Toutefois, l’occupation, initialement gratuite, devient payante en 2005. Les artistes doivent faire face à des coûts croissants de location et de services, souvent dissuasifs, notamment pour les jeunes. Le ministère de la Culture exige en outre que ces salons se compressent en une manifestation unique, très courte et très chargée, dénommée « Art Capital ». Certains salons se sentent humiliés et préfèrent alors quitter le Grand Palais. Mais à Paris, les espaces disponibles sont rares et chers. La ville, jadis capitale des arts, met à présent plus volontiers l’accent sur sa vocation de métropole des sports. Elle néglige ses artistes, confrontés à une absence de visibilité et à une paupérisation souvent dramatiques. Les salons se sentent abandonnés des pouvoirs publics. Ils ont du mal à intégrer des jeunes et à évoluer. À peine peuvent-ils survivre.

Le ministère fait cavalier seul

Plutôt que faciliter la tâche des associations d’artistes et, peut-être, les aider à s’adapter, à se diversifier, à évoluer, le ministère fait le choix de monter lui-même, en 2007, une manifestation digne de son propre soutien. Le nom retenu, « Monumenta », révèle dès l’origine l’hubris du projet. Il s’agit d’offrir le Grand Palais à un seul artiste, pour une longue durée (un mois et demi). Le ministère, peu soucieux de la promotion des plasticiens de son ressort, invite de préférence de grands artistes internationaux étrangers (cinq sur sept). La plupart des éditions présentent de titanesques animations entourées d’immenses vides. À l’heure où le prestige des appartements se mesure en mètres carrés, l’énorme vacuité de Monumenta fait figure de luxe absolu contrastant avec l’entassement prolétarien imposé à Art Capital. La première Monumenta est portée par la très belle exposition « Anselm Kiefer ». Néanmoins, à la septième édition, l’intérêt du public est retombé. Monumenta est ajournée. Il paraît que le ministère de la Culture réfléchit à une autre formule.

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Gilets jaunes: la France reprend des couleurs

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Acte IV des Gilets jaunes, 8 décembre 2018, Paris. Sipa. Numéro de reportage : 00887472_000006

Les Gaulois, décidément, ne font rien comme les autres. Le printemps de la France, ils ont réussi à le coller en décembre. Je ne sais sur quoi il débouchera, je sais seulement que dans ce pays, l’on se sent moins seul. Voici donc en vrac quelques tableaux d’une révolution qui n’ose pas encore afficher son nom.


«I was a free man in Paris,
I felt unfettered and alive
There was nobody calling me up for favors
And no one’s future to decide… 
» (Joni Mitchell)

Presque malgré moi, j’ai passé mon temps à humer l’air parisien en cette semaine de veillée d’armes. Mardi, j’avais manqué mon train du retour vers la Suisse. Plutôt que de prendre le suivant, j’ai étiré le séjour jusqu’au dernier moment possible, au vendredi. Il m’est arrivé trop souvent de manquer des événements historiques pour des futilités. Cette fois-ci, quelque chose me disait de rester là et d’écouter sans rien attendre.

En liberté dans Paris

Étrange position ! A certains moments, j’étais un étranger libre et curieux, un diplomate persan écrivant ses lettres ironiques pour des lecteurs lointains. A d’autres, j’éprouvais des frémissements d’entrailles comme si c’était mon propre pays qui secouait ses chaînes. Je l’ai dit mille fois, mais il faut bien le rappeler ici : je suis Serbe de naissance, Suisse d’adoption, mais Français d’expression. Pour un écrivain, c’est souvent la composante la plus déterminante de son identité. Les choses que je peux écrire en français, je ne peux les exprimer dans ma langue maternelle sans de laborieuses périphrases. Et la manière peu accentuée dont je le parle me rend suspect dans le terreau helvétique. Bref, je ne me suis jamais senti aussi français sans passeport que ces derniers jours.

Pourquoi ces derniers jours ? Parce que j’ai senti la France se réveiller en ravivant sa vieille religion des barricades. Or les révolutions françaises ne sont pas que des remises à zéro sociopolitiques. Elles ravivent toutes les questions de fond que cette nation trop sociable aime à enterrer sous les frivolités. Elle-même, très souvent, continue à se boucher les oreilles face à la rumeur qu’elle soulève. C’est pourquoi l’historien le plus lucide de la Révolution française fut un Écossais, Thomas Carlyle. Et son romancier le plus mémorable ? Le Dickens de A Tale of Two Cities, ce va-et-vient Paris-Londres où l’on saisit de tout son être le gouffre de mentalité et de destin qui sépare ces deux peuples si voisins.

La fin de l’hypernormalisation

Voici donc, enfin, que quelque chose se passe. Voulez-vous dire (me répondra-t-on) qu’il ne s’est rien passé après Charlie et le Bataclan ? Que la Manif pour tous ne fut qu’une promenade digestive ? Eh bien… oui. C’est ce que je veux dire. Charlie, Bataclan et même la Manif pour tous furent des mouvements immobiles qui n’ont pas déplacé d’un centimètre l’axe de l’hologramme servant de réalité sédative pour la population française. Indignez-vous ! ordonnait le gérontoidéaliste Stéphane Hessel. On l’a acheté à des millions d’exemplaires. On s’est indigné de toute la noire misère du monde. Et l’on est retourné à ses occupations en enjambant les gueux qui encombraient nos portes cochères.

Car l’indignation est un sport de ventres pleins, et les gouvernants le savent. Ils adorent entretenir l’indignation, cette eau toujours frémissante qui n’atteint jamais son point d’ébullition — idéale, donc, pour faire du thé. Car il est rare que le malheur des autres nous fasse bouillir. L’ébullition survient quand notre propre peau est en jeu. Or les gilets jaunes qui font trembler « l’ordre républicain » devenu synonyme d’oligarchie sont justement l’uniforme des ventres vides.

Quand l’indignation fait place à la colère, un ordre fondé sur la moralisation culpabilisante perd d’un seul coup toutes ses armes… sauf les vraies, celles qui tuent.

C’est pourquoi la France des semaines de veillée d’armes succède à des décennies de paix factice, cette troisième mi-temps des régimes effondrés que, dans l’URSS des années 1970, on a appelée l’hypernormalisation. Comme toute illusion, l’hypernormalisation française nécessitait d’une part l’artifice, de l’autre la connivence du public. Or soudain, en quelques jours, le montage s’est effondré comme dans l’URSS de 1989. L’inutilité soudain révélée au grand jour de la caste des bavards parisiens — et plus encore leur hystérie panique — est la meilleure preuve que l’illusion se déchire. Qu’on arrive dans le vif du sujet. Lorsque j’ai vu le plus placide des porte-parole du Système, Jean-Michel Aphatie, s’affoler (avec son faux-bonasse accent du Midi) de la mollesse des CRS face à la foule et crier « mais que fait la police ? », j’ai acquis la certitude qu’on ne plaisantait plus. La gauche d’idées devenue la gauche de bien être ne jure plus que par la force publique.

Le bestiaire de Faustine

Le mot n’est pas de moi. « Il ne reste plus rien de la gauche intellectuelle dans ce pays, qu’une gauche de bien-être », m’avait dit mon amie Faustine, rédactrice dans un journal de grand chemin français. « Leur seul souci ? Savoir que leurs petites habitudes et leurs grands privilèges seront préservés. Le moyen n’importe pas. » A la cafétéria de la rédaction, elle ne pourrait pas prononcer le début de cette phrase. De toute façon, on la soupçonne de dissidence, elle ne sait même pas pourquoi : ses goûts littéraires ? Ses fréquentations ? Sa marque de maroquinerie ? Du coup, avec moi, l’étranger bienveillant, elle se lâche. Combien sont-ils/elles, dans les couloirs des grands médias et des administrations d’État, qui aimeraient se trouver un confident d’outre-frontière qui publierait leurs doléances sans révéler leurs noms ?

Faustine a sympathisé d’emblée avec les gilets jaunes. Elle s’est mêlée samedi dernier à la manif, entourée de quelques copines. Et les hommes du journal ? Des journalistes qui n’ont pas voulu assister à l’histoire qui se fait sous leurs yeux ?

« L’un avait un concert, l’autre devait aller chercher ses enfants… Bref, ils ont la trouille. Les types en veste de baroudeur, ça pleure jamais. Donc ça évite les lacrymogènes. »

Il n’y a pas d’hommes à proprement parler dans le milieu de Faustine. Son bestiaire quotidien est composé d’onagres et d’hermaphrodites. « Crevettes » lettreuses : hanches étroites, lunettes rondes, fuseaux trop courts sur chaussettes fuchsia. « Loufiats » du business au regard blasé et hautain de la haute domesticité : « les Nestors de l’hyperclasse ». Cette caste servile et qui se croit régnante d’où est issu le président lui-même. Tout ce petit monde est nerveux et sue la trouille. Dans un ultime et imprudent réflexe d’impunité, ils continuent d’insulter le peuple en se cachant derrière les forces de l’ordre.

« Le soulagement que c’était de voir des bonnes bouilles de provinciaux à l’Alma ! Des gens ordinaires, rieurs, roses de froid. Face à ces masques de cendre renfrognés, les Parisiens… » Au coin d’une rue, elle a vu passer Alain Minc, minuscule. Un furet en exploration au crépuscule du soir. Pour prendre la température ? Décider s’il fallait préparer les bases arrière outre-Atlantique ?

La sociabilité des ronds-points

« Les Français sont les plus gros consommateurs de tranquillisants au monde, me dit Faustine. Je nous croyais tous sous neuroleptiques. Je pensais la classe ouvrière euthanasiée. »

Et la voilà qui ressort, comme une armée des ombres. Sauf que cette classe ouvrière 2.0 dont me parle Faustine comporte des médecins, des entrepreneurs… et même un châtelain normand de mes connaissances. Sous le gilet jaune, la France « qui pue la clope et le diesel » est blanche, noire et arabe, homme et femme, riche et pauvre… quoique rarement parisienne. Elle réalise concrètement ce concept du « vivre ensemble » que le système s’est désespérément efforcé d’imposer à coups de lavage de cerveau.

« Dans les zones commerciales où il ne subsiste plus un seul bistrot, le rond-point est devenu le lieu de la sociabilité. On a tout le temps. On apporte des petits gâteaux, on se verse du café et l’on en donne aux passants. » Et la parole se libère soudain. Et l’on découvre en écoutant que ce « populo » est moins idiot qu’on ne le dépeint dans les bandes dessinées. Que son inarticulation et sa maladresse elles-mêmes lui ont été imposées d’en haut, comme un tatouage de serfs. «Depuis des décennies, la parole saine même si maladroite, l’expression du malaise ou du chagrin, de la crainte ou de l’enthousiasme est perçue comme nauséabonde. » Tout ce potentiel d’expression comprimé comme un ressort, je l’avais perçu dès 2014, lorsque mon roman Le Miel m’avait emmené en un tour de France des bibliothèques et des librairies. Dans les provinces les plus reculées, j’ai rencontré des cercles de lecture pétillants de culture et de curiosité (j’en ai du reste parlé ailleurs). A une écrasante majorité, ils étaient composés d’hommes — et surtout de femmes — de cette classe moyenne dévalisée qui se réveille aujourd’hui.

Le « mal fini »

Je m’attendais à évoquer en quelques lignes les actes du pouvoir, l’abandon délibéré des belles avenues à la racaille, les provocations, l’ineptie du président de synthèse. Cela ne me semble plus d’intérêt. Le protégé de Brigitte, je l’ai orthographié Macron® comme un produit industriel dès avant son élection et j’ai relevé son inquiétant manque d’intelligence au moment même où l’on nous matraquait avec sa brillance et sa maîtrise. La haine personnelle contre ce personnage immature et arrogant est le ciment même de cette vague jaune si décentrée et d’autant plus dangereuse. « Il n’est pas fini »: le mot d’un officier humilié m’est revenu aux oreilles à plusieurs reprises ces derniers ours. Mais il n’y a pas que lui. En quelques jours seulement, la classe politique française dans son ensemble est devenue du passé, en particulier les calamiteux députés de cette « République en marche » rassemblée de bric et de broc au lendemain de la présidentielle. Quant à la classe médiatique, en particulier du côté des porte-voix de milliardaires comme BFMTV, elle a perdu le peu de crédibilité qu’il lui restait.

« Si quelqu’un n’avait pas encore compris que Macron était le produit d’un coup d’État médiatico-financier, il n’a plus d’excuse maintenant », conclut Faustine. Étant le produit d’une conjuration, il entraîne dans sa chute tout le cercle des conjurés.

Furia francese

Dans mon train du retour, ce vendredi, alors que je rassemblais justement mes notes, un agent des douanes françaises me reconnaît. Il hésite un peu, laisse son collègue poursuivre les contrôles et entame la conversation. La quarantaine juvénile, il est vif et bien renseigné. Choqué par le dénigrement systématique de la Russie en France, il a lu avec soulagement mon « Syndrome Tolstoïevsky ». De fil en aiguille, le douanier en uniforme et l’écrivain finissent par prendre un café au bar. C’est la semaine de la convivialité dans toute la France, pourquoi pas dans le TGV ? Je ne me serais jamais attendu à ce qu’un agent en uniforme me parle de L’Idiot de Dostoïevski. Au bout de quelques minutes, nous sommes rejoints par un passager qui avait entendu (malgré lui !) le début de notre conversation à propos de géopolitique.

Jean-Claude est homme de spectacle, engagé à l’UPR chez Asselineau, l’homme qu’il ne faut surtout pas laisser parler (parce qu’on ne sait quoi lui répondre). Il est doux et raisonnable comme la plupart des gens que j’ai rencontrés dans cette mouvance. On parle d’histoire, de désinformation, des guerres coloniales auxquelles la France a été mêlée ces dernières années, toujours dans le mauvais camp et sans jamais avoir été consultée. « On se sent soudain moins seul », me dit-il.

« Pourquoi ?

— Parce que ce que je comprenais était si loin des idées admises que j’ai fini par me croire marginal ou stupide. Je suis rassuré de voir que nous sommes au moins quatre. »

Quatre avec le douanier, l’écrivain et le chef de train, qui s’était joint au cénacle. Quatre millions, peut-être, avec tous ces Français qui se découvrent éveillés et lucides au forum des ronds-points. « Les mots ne trompent pas, conclut Hervé le douanier. Tout ce peuple est en révolte, et les télés appellent cela de la grogne. C’est le bétail qui grogne. Les humains, eux, ils parlent. Mais, manifestement, il y a des gens dans ce pays qui n’arrivent pas encore à l’admettre. »

La « grogne » contre la nouvelle dîme masquait bel et bien une rébellion populaire contre toute une caste dont le malheureux Macron n’est que le représentant le plus caricatural et le bouc émissaire.

(Article paru dans le Drone de l’Antipresse n° 48 du 9.12.2018)

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Londres: deux musées pour le prix d’un Eurostar!

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Design Museum, Londres. Numéro de reportage : Shutterstock40678687_000022

Las du musée de Madame Tussaud et de Big Ben ? Oubliez les clichés londoniens et entrez dans l’antre de deux musées injustement méconnus : le Design museum et le le petit cabinet de curiosités de Sir John Soanes. 


On peut être passionnément matérialiste en se désintéressant totalement des objets. Dans le sens inverse, le fait de reconnaître la matérialité des objets ne fait pas nécessairement de vous un matérialiste forcené : reste tout de même à trouver le sens des objets, c’est-à-dire à justifier leur existence. Ce devrait être le rôle d’un musée consacré au design. Voyons celui de Londres, situé sur la Kensington High Street.

De William Morris à Henry Ford

Le visiteur est accueilli par un vaste historique passant en revue, entre autres, l’exposition au Crystal Palace (1851), l’oeuvre de William Morris, le Bauhaus, Henry Ford, les maisons préfabriquées (1949), les minijupes (1966), les Punks, le High-tech et les imprimantes 3D. Il y a un tel fouillis dans cet inventaire que cela sent la récupération, dans tous les sens du terme. Dès lors, il n’est pas surprenant d’arriver, en guise de conclusion, à un court texte intitulé Design and Business. Surtout que l’on s’emploie bien à mêler dans les salles suivantes, à cet égard, le chaud et le froid. D’un côté : l’apologie de la valeur pécuniaire des brands bien gérées. De l’autre : un slogan selon lequel il faut mesurer le succès d’une entreprise à la réalisation de ses objectifs (humains) et non de ses profits (financiers). Introduisez-les tous en bourse, l’investisseur reconnaîtra les siens !

Priez saint Crépin !

Dans les vitrines : des objets morts, dûment étiquetés. Dès la première salle, on remarque une tentative de redonner de la vie au moyen de la confrontation : en l’occurrence, il s’agit d’une Kalachnikov posée à côté d’un brancard de fortune. Il est précisé que la mitraillette a été « désactivée ». Au-delà du simulacre, la vraie question est posée : existe-t-il de bons et de mauvais objets ? On cherche en vain la réponse. Si ce n’est, peut-être, un peu plus loin : la description du grand projet d’électrification de l’Afrique (une réponse en courant alternatif). Et aussi plusieurs fauteuils roulants. Comme si le design était à la philosophie ce que la béquille est à la course à pied. Dans la vitrine d’une troisième salle, des photos d’une chaîne de montage de l’usine Ford punaisées au-dessus d’une collection de vieux outils de cordonnier. Confusion : tout va bien, surtout ne réfléchissez pas, attendez la prochaine innovation technologique en priant saint Crépin et saint Crépinien (patrons communs des cordonniers).

Curieusement, les rayons de la boutique du musée sont pratiquement vides. Notons le contraste avec les musées des beaux-arts à travers le monde, qui ont tous été transformés en grands magasins. Au Design Museum, le discours est tout puissant. Dans les salles d’exposition, les objets sont bien étiquetés, dûment domestiqués. On craint peut-être que sur les rayons d’une boutique, ils se mettent à parler librement.

Les curiosités de Sir John Soanes

À Londres encore, non loin du British Museum, sur les Lincoln’s Ins Fields, se trouve le petit cabinet de curiosités de Sir John Soanes. Tout a été, paraît-il, laissé en l’état depuis la mort du propriétaire (en 1837). On ne dénombre pas une seule pancarte : les objets peuvent parler librement. Ce qui permet à ces derniers de proférer quelques mensonges, puisque les moulages en plâtre sont allègrement mêlés aux pièces originales rapportées de Grèce ou d’Egypte. Tous ces objets permettaient à Sir John d’enseigner à ses élèves les principes de l’architecture. Soanes fut aussi l’un des fondateurs du British Museum. Il fait parti de ces aventuriers qui fixèrent, en raison de leur intérêt purement particulier, la valeur universelle des vieilles pierres jusqu’alors abandonnées au bord des chemins. De vieilles pierres dont nul ne se souciait. D’ailleurs, les frontières entre leur patrimoine personnel et celui de la nation (du musée) n’étaient pas toujours clairement définies, au gré des rétentions et des donations.

Rencontrer un vieil ami excentrique

On remarque, par exemple, le splendide tombeau de Seti Ier, dont la surface est entièrement gravée de hiéroglyphes, qui pourrait être une pièce maîtresse dans un bon musée public. Et des pierres diverses de toutes les époques. On se promène dans ce bric-à-brac en essayant de distinguer le vrai du faux, le petit détail de la grande aventure. Sir John figure lui-même en bonne place et en plusieurs exemplaires, dont un imposant buste à la manière des sénateurs romains ; à ses côtés, deux statuettes riquiqui représentent Michel Ange et Raphaël. Un peu plus haut, de nouveau Sir John, mais à la manière du XVIIIe siècle. On peut penser ce que l’on veut du goût antiquisant, de cette étonnante obsession pour la Renaissance qui s’est emparée des adeptes du Grand tour, il y a chez eux une fantaisie éminemment personnelle qui donne à leur aventure quelque chose de vivant. En tout cas, c’est ce que l’on ressent dans ce petit musée. Éparpillés dans les différentes pièces, les guides sont pleins d’entrain. L’ambiance est étrangement familiale. Ils parlent de Sir John comme d’un vieil oncle excentrique. Voire comme s’il était toujours parmi nous. Comme d’un ami qu’ils admirent. Un rien original : un humain. Faut-il comparer aux jeunes gens au teint pâle, uniformément vêtus de noir, du Design Museum ?

Retour dans la vraie vie : en cette fin d’après-midi pluvieuse, dans le quartier de Knightsbridge, quatre longues limousines aux fenêtres sombres et luisantes font demi-tour en pleine rue pour aller se garer devant la vitrine d’un grand bijoutier, bloquant la circulation pendant quelques minutes. Les beaux objets ont encore de beaux jours devant eux.

Luc Chomarat et la motocyclette d’Henri Michaux

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luc chomarat michaux
Luc Chomarat. Photo : Marest éditeur.

Un petit chef d’oeuvre de littérature, le dernier roman de Luc Chomarat, a tout de la prophétie autoréalisatrice. 


« A la gare, ils constatèrent que les romans de gare avaient disparu. On ne trouvait plus que des livres de développement personnel et la biographie de la plupart des hommes politiques en vue. Et des Tic-Tac.

– Bon, il était mal en point et maintenant, il est mort, conclut le libraire. Comme ça au moins, c’est clair. »

On peut trouver ce passage dans Un petit chef d’oeuvre de littérature, le dernier roman de Luc Chomarat. Un petit chef d’œuvre de littérature est finalement un titre qui a tout de la prophétie autoréalisatrice. Nous avons bien à faire à un petit chef d’oeuvre de littérature. On n’est même pas sûr que cela ait été l’intention de l’auteur. L’intention de l’auteur, c’était de faire un roman sur la littérature et de se moquer de ce qu’on ose encore appeler littérature aujourd’hui mais aussi de la critique littéraire qui consiste le plus souvent à rendre compte d’un livre avec un vocabulaire de vingt cinq mots et une demi-douzaine d’expressions toutes faites. Par exemple « un petit chef d’oeuvre de littérature », mais aussi « un bijou jubilatoire » ou plus emphatique, « un livre majeur », « une lecture bouleversante » et ainsi de suite.

Nous avons dit qu’Un petit chef d’œuvre de littérature était un roman. Oui, dans la mesure où il y a des personnages. Notamment celui d’un écrivain qui monte à Paris, comme on dit, pour écrire son petit chef d’œuvre. Là où ça se complique, c’est que dans le TGV à destination de la gare de Lyon, il rencontre Rastignac. Non, en fait ça ne se complique pas : il est normal de rencontrer Rastignac dans un TGV, quand on monte à Paris, puisque Rastignac passe son temps à ça : monter à Paris. Il monte à Paris pour l’éternité et quand l’éternité est terminée, il vit dans une chambre sous les toits à côté de l’écrivain. Ils s’entendent bien même si nous précise Luc Chomarat : « Rastignac avait un très gros sexe qui ne pouvait pas entrer dans un petit chef d’œuvre de littérature. C’est pourquoi il était toujours en marge de l’histoire. »

L’écrivain va croiser beaucoup de monde, à Paris, sauf des lecteurs. C’est bien le problème avec la littérature, tout le monde en vit sauf l’écrivain. Les éditeurs, les libraires, les critiques qui sont des personnages de Chomarat vivent de la littérature. Il n’y a que l’écrivain qui n’en vit pas. Parfois, il arrive au contraire il en meure. C’est fragile un écrivain, l’air de rien, même s’il écrit un petit-chef d’œuvre de littérature dont parle le président de la République lui-même dans un entretien décontracté mais en oubliant le titre du petit chef d’œuvre de littérature alors que le titre du petit chef d’oeuvre de littérature, c’est Un petit chef d’œuvre de littérature : c’est ballot, vous avouerez.

Oui, il faut suivre. D’autant plus que  petit chef d’œuvre ou pas, il suffit de pas grand chose pour que la littérature ne passionne plus personne : « Quand l’automne arriva il y eut une nouvelle guerre dans une république bananière, ou pétrolière, un pays où les hommes maltraitaient les femmes. Il fut question de bombarder indifféremment les hommes et les femmes, et aussi leurs enfants. C’étaient des nouvelles importantes et les médias se désintéressèrent de lui assez rapidement. »

Sinon, on rencontrera aussi des filles délurées et des extra-terrestres cools, Henri Michaux et sa motocyclette, Proust qui donne des leçons de savoir vivre et des experts en marketing qui donnent envie à l’écrivain de se suicider. Sauf que: « Il voulut se tirer une balle, mais où trouver une arme ? Il était si désarmé de nature. »

En ce qui concerne Luc Chomarat, nous avions eu nos premiers soupçons avec Le polar de l’été, et puis le faisceau de présomptions s’était accentué avec Les dix meilleurs films de tous les temps. Et maintenant, c’est une certitude: ceux qui comme nous ne se sont jamais tout à fait remis de la lecture du regretté Frédéric Berthet ou de Richard Brautigan (on est tout de même quelques uns) doivent lire Luc Chomarat. Les autres aussi parce qu’il est rare d’arriver à être aussi subversif, aussi léger et aussi drôle en même temps aujourd’hui. Dandysme du nonsense, élégance de l’ellipse, technique du sourire crispé et érudition zen. Vous allez aimer Un petit chef d’oeuvre de littérature. Beaucoup.

Un petit chef d’œuvre de littérature, Luc Chomarat (Marest éditeur)

Un petit chef-d'oeuvre de littérature

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Strasbourg: et si on luttait (vraiment) contre l’islamisme?

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Des CRS en action à Strasbourg, décembre 2018. SIPA. 00887801_000006

Après Strasbourg, le même constat s’impose qu’après Toulouse, Nice, Paris ou Saint-Etienne-du-Rouvray: un ennemi intérieur se livre à une lutte à mort contre la France et la France refuse de se donner les moyens de l’éliminer. 


Une nouvelle fois, un marché de Noël a été frappé par le bras armé de l’islamisme théocratique. Des familles et des amis sont endeuillés par l’assassinat abject d’êtres aimés à l’approche de cette fête où les chrétiens célèbrent le Prince de la Paix, l’Enfant de Lumière.

Ce n’est pourtant pas l’heure des deuils et des larmes, ni hélas de la réconciliation et de la paix, mais du combat. Chérif Chekatt a été abattu mais il n’est pas seul, et d’autres viendront après lui. Ne baissons pas la garde.

Et ça continue encore et encore…

Il est tragique de devoir écrire toujours la même chose, attentat après attentat. Mais hélas ! La désinformation et le déni nous y contraignent, alors même que certains se permettent de proférer sans cesse les mêmes mensonges, sans pudeur, sans souci de la vérité ni respect des morts.

Bien sûr, Chérif Chekatt a pu rentrer armé dans le Christkindelsmärik, le marché de Noël, malgré la sécurité. Inutile d’y voir un hypothétique complot. Ceux qui connaissent Strasbourg savent d’expérience que les vigiles, malgré leur professionnalisme, ne peuvent pas fouiller soigneusement tout le monde, en tout cas pas au point de remarquer une arme de poing et un couteau sous des vêtements épais ou dans un sac bien rempli. Pour le faire, il faudrait des dispositifs comparables à ceux des aéroports, avec les conséquences que l’on imagine en termes de files d’attente et des coûts prohibitifs. Ou encore employer la vidéosurveillance couplée à des logiciels de reconnaissance faciale et des bases de données dignes de ce nom. Ils ne filtreront pas les inconnus, mais la plupart des terroristes qui ont agi sur notre sol étaient connus et théoriquement surveillés. Seulement nous avons la CNIL, qui fait concrètement très peu pour nous protéger des GAFAM, et beaucoup pour limiter les moyens des forces de sécurité…

Tirer les enseignements de nos échecs

Bien sûr, l’enfermement préventif est contraire aux principes de l’Etat de droit. Les services spécialisés n’ont pas les moyens de surveiller en permanence tous les fichés S, ni même tous les inscrits au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). La situation est complexe, juridiquement et techniquement. Mais face aux drames qui se répètent, se réfugier derrière l’exigence des principes et la complexité du réel pour ne rien faire n’est que de la lâcheté, si ce n’est de la trahison.

Que l’on commence déjà par considérer sérieusement que nous sommes en guerre et par désigner clairement l’ennemi, c’est-à-dire l’islam littéraliste théocratique. La notion d’intelligence avec l’ennemi et l’emploi déterminé des moyens juridiques de lutte contre les dérives sectaires ne suffiraient évidemment pas à tout éviter, mais seraient un excellent début.

A lire aussi: Fichés S: on arrête bien les gilets jaunes…

Bien sûr, les militaires de Sentinelle, les policiers, les gendarmes et les agents des services de renseignements font un travail difficile et exigeant, et pour la plupart le font avec un dévouement et un courage admirables. Ils méritent la gratitude de tous. Mais cela ne doit pas interdire de réfléchir très sérieusement aux « trous dans la raquette » du dispositif, non pour accuser les personnes mais pour améliorer les systèmes. Le retour d’expérience et l’exigence de vérité sont à la fois une nécessité et un devoir.

On ne fait pas la guerre au terrorisme

Bien sûr, Chérif Chekatt n’avait rien à faire en liberté. Même si le « mur des cons » n’était pas nécessairement illégal, il fut révélateur de l’emprise d’une certaine idéologie au sein de la magistrature, qui a montré, une fois de plus, à Strasbourg ses conséquences concrètes et sanglantes. Alors comment s’étonner ? Il y a longtemps que certains, qui restent eux-mêmes bien à l’abri des conséquences de leurs décisions et de leurs belles théories, s’achètent une conscience faussement humaniste au prix de la sécurité des autres, et notamment des plus vulnérables. Ce n’est pas l’indépendance de la justice qui est en cause, c’est la manière dont des magistrats instrumentalisent cette indépendance pour s’affranchir de leur devoir d’impartialité et s’opposer à la volonté générale.

Bien sûr, les djihadistes sont des terroristes. Mais on ne fait pas la guerre au terrorisme. Le terrorisme est un mode d’action, certes particulièrement problématique sur le plan éthique, mais uniquement un mode d’action. Tout comme les embuscades, les manœuvres d’encerclement et les diversions. On ne fait pas la guerre aux embuscades, on ne fait pas la guerre aux manœuvres d’encerclement, on ne fait pas la guerre aux diversions. On ne fait pas la guerre au terrorisme. On fait la guerre à des groupes qui utilisent les embuscades, les manœuvres d’encerclement, les diversions, ou le terrorisme.

Au royaume des aveugles, les djihadistes sont rois

De plus, l’idéologie de ces groupes n’est pas neutre. Les djihadistes sont le bras armé de ce que l’on appelle couramment l’islam politique, mais que l’on pourrait plus précisément appeler l’islam théocratique, puisqu’il ne conçoit pas la religion comme la justification d’un projet politique mais la politique comme un moyen d’imposer les normes voulues par la religion. A Strasbourg, Chérif Chekatt a crié « Allah akbar ! » Ce n’est pas un slogan politique, c’est une invocation religieuse.

Lors d’une matinale de C8, l’ancien député LR, Georges Fenech, a prétendu qu’il ne serait pas possible d’interdire le salafisme en France, puisqu’il existerait des salafistes quiétistes qui ne prendraient pas part au terrorisme. Un tel degré d’aveuglement laisse pantois, qui oublie ou feint d’oublier l’importance de l’idéologie et du soutien moral pour inspirer, encourager ou justifier les passages à l’acte violent. Pardon pour le point Godwin, mais imaginerait-on tolérer des néo-nazis « quiétistes », qui exalteraient le Troisième Reich dans leurs doctrines et enseigneraient le mépris des non-aryens et la haine des Juifs, sous prétexte qu’ils se contenteraient d’idéologie sans essayer de passer eux-mêmes à l’acte ?

A lire aussi: « Partout où l’islamisme a prospéré, la gauche a fini en sang »

J’ajoute qu’à moins de renoncer à l’idée même de droits de l’Homme, à la pleine citoyenneté des femmes et à leur liberté, ainsi qu’aux libertés d’expression, de pensée et de conscience, et à toute éthique digne de ce nom, on ne peut que condamner le projet des salafistes en tant que tel, peu importent les moyens par lesquels ses thuriféraires comptent l’imposer : violence, influence culturelle, médiatique ou financière, artifices juridiques, emprise sur l’éducation, etc.

Contre-société et contre-vérité

Bien sûr, Chérif Chekatt avait un profil de type dit « hybride », bien identifié depuis Khaled Kelkal puis Mohammed Merah. Que certains l’utilisent pour essayer de nous faire croire que l’islamisme ne serait qu’un habillage de la délinquance est néanmoins d’une malhonnêteté sans borne. D’abord, un aspirant djihadiste sans liens préalables avec la délinquance aura plus de difficultés pour se procurer des armes et obtenir les complicités nécessaires, et donc une probabilité moindre de passer à l’acte. Mais l’essentiel n’est pas là.

Beaucoup de djihadistes comme beaucoup de délinquants sont issus de la même contre-société, que nous avons laissé prospérer sur notre sol. Une contre-société unie par des références culturelles et religieuses partagées, des liens familiaux, des solidarités ethniques, et un mépris affiché pour les lois de la République accompagné de la fierté de les transgresser le plus ouvertement possible. Une contre-société au sein de laquelle l’islam est la norme, et de plus en plus cette branche particulière de l’islam qu’est l’islam littéraliste théocratique.

Ce à quoi nous sommes confrontés, avec ces terroristes « hybrides », repose sur des mécanismes très bien décrits par Ibn Khaldoun[tooltips content= »Voir les remarquables ouvrages Gabriel Martinez-Gros, notamment Brève histoire des empires, comment ils surgissent, comment ils s’effondrent et Fascination du djihad, fureurs islamistes et défaite de la paix« ]1[/tooltips] dès le 14ème siècle, mécanismes qui ne se limitent d’ailleurs pas à l’Europe et au monde arabo-musulman. L’histoire de la Chine des Song face aux Jurchen, Khitans et Tangoutes en fournit une excellente illustration.

« L’empire » et les « barbares »

Pour employer les termes du père de la sociologie, notre société est « l’empire », policé et plutôt prospère, dont les citoyens sont déshabitués de la violence et la condamnent intellectuellement. Il existe, aux marges de « l’empire » (marges intérieures dans notre cas) une contre-société d’un type semi-tribal qu’Ibn Khaldoun appelle les « bédouins ». Habitués à la violence, ces « bédouins » habitent dans des territoires où la loi de « l’empire » ne s’applique pas, et vivent de prédation au détriment de « l’empire » : trafics, vols, pillages (aujourd’hui la délinquance, notamment la plus brutale, dont Chérif Chekatt était un adepte), mais aussi le « tribu versé aux barbares », autrement dit de nos jours tout ce qui consiste à « acheter la paix sociale dans les banlieues ». J’ajoute que le clientélisme électoral de certains élus est très proche de ce que faisaient jadis des notables de provinces frontalières, en s’associant à des mercenaires « bédouins », « barbares », pour imposer leur autorité face à leurs rivaux politiques.

Dans le cas qui nous occupe, les membres de cette contre-société de « bédouins » sont heureusement divisés en de multiples « tribus », parfois alliées mais souvent rivales. Du moins jusqu’au moment où « quelqu’un », chef charismatique ou groupe influent (pensons aux agents de l’Arabie saoudite ou du Qatar, aux Frères Musulmans…), tente d’unir ces « bédouins » autour d’un projet commun, généralement la conquête de « l’empire » à laquelle s’ajoute ici l’instauration d’une théocratie. Dès lors, sans cesser les pillages dont ils vivent, les pillards se font aussi conquérants et militants, ici soldats d’un dieu. Chérif Chekatt est typiquement dans cette situation. Aux activités habituelles de prédation s’ajoutent donc des opérations visant à imposer par l’influence et par la brutalité l’autorité de cet « empire bédouin » naissant aux habitants de « l’empire », lequel ne pourra survivre que s’il accepte la nécessité du recours à la force pour s’opposer à la violence, et valorise à nouveau les vertus héroïques dont il s’était détourné à force de « s’embourgeoiser ».

Nos dirigeants feraient bien de méditer les conséquences du choix de l’empereur Gaozong, qui décida de trahir le meilleur de ses généraux, Yue Fei, parce qu’il voyait dans ce héros un rival potentiel et craignait d’avantage de perdre son trône que de livrer son empire aux barbares….

Au régal des « mécréants »…

Dans le cas précis du djihadisme et de l’islam théocratique, n’oublions pas non plus la référence permanente aux salafs, c’est-à-dire les compagnons du prophète et les deux générations suivantes. Ceux-ci étaient à la fois des islamistes au sens moderne, imposant leur religion par la force, et issus de tribus habituées à la pratique des razzias et des pillages. La sourate n°8 s’appelle « le Butin », et outre un appel clair au djihad armé (« Et combattez-les jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus d’association [c’est-à-dire de polythéisme, y compris le christianisme trinitaire], et que la religion soit entièrement à Allah » – verset 39), elle réglemente le partage du butin, dont une part doit être versée au prophète et à sa famille et une autre aux pauvres et aux orphelins de la tribu. Ainsi, les liens de solidarité au sein de la tribu, et donc sa cohésion et sa force, sont renforcés en même temps qu’est valorisée la prédation au détriment des « incroyants », prédation mise au service de la conquête. On s’en doute, l’histoire des salafs contribua grandement à inspirer les travaux d’Ibn Khaldoun…

En résumé l’islam théocratique conquérant, lecture littérale des textes sacrés de l’islam et imitation de la vie du prophète et de ses compagnons telle que la relate la tradition, ne cesse hélas de gagner du terrain au sein même du monde musulman.

A lire aussi: L’islam est malade, c’est aux musulmans de le soigner

Or, en France, ce monde musulman a en partie formé une contre-société valorisant les activités de prédation, évidemment pour les raisons sociologiques habituelles conduisant à la délinquance, mais aussi et peut-être surtout parce que cette prédation est glorifiée dans ses références culturelles lorsqu’elle se fait au détriment des « mécréants », la stricte séparation entre « croyants » survalorisés et « mécréants » dévalorisés étant l’un des principes fondamentaux de sa vision du monde.

Bien que tous les musulmans ne fassent pas partie de cette contre-société, loin de là, la religion musulmane est l’un de ses marqueurs identitaires forts, tout comme le sont l’habitude de la brutalité et la ségrégation entre hommes et femmes, les trois s’associant d’autant mieux que les textes sacrés de l’islam enseignent l’infériorité légale des femmes et exaltent la violence à l’encontre des « incroyants ». Rien d’étonnant à ce que cette contre-société soit un vivier de recrutement parfait pour les bras armés de l’islam théocratique, d’autant plus que son idéologie a largement contribué à la constituer.

Ils détestent Noël comme ils détestent la France

Nos ennemis abhorrent ce que Noël représente. Cette fête est celle de la naissance d’un enfant divin, célébré par une grande joie sur la Terre et dans le Ciel, signe que contrairement au dieu des islamistes son Père n’est pas jalousement avide d’être seul digne de vénération. Fête d’un dieu qui se donne et non pas qui s’impose, antithèse absolue de la soif de conquête et de pouvoir théocratique. Fête de l’humanité de ce dieu, d’un dieu qui ne se prétend pas au-dessus de l’exigence éthique mais s’attache lui-même au Bien, et dont la grandeur se manifeste aussi dans l’infini respect qu’il a de la dignité intrinsèque des mortels, et donc de leur liberté et de leur responsabilité.

Au voisinage du solstice d’hiver, Noël est la fête de la lumière qui naît alors même que les ténèbres semblent les plus épaisses, de l’espérance qui demeure, se régénère et jaillit. Ce n’est pas seulement la naissance du Prince de la Paix, mais aussi l’encouragement à poursuivre le combat même lorsque l’obscurité semble devoir l’emporter. Ainsi, les romains célébraient la joie fraternelle des Saturnales, mais aussi la lumière invaincue du soleil, Sol Invictus, et la naissance de Mithra, dieu particulièrement populaire parmi les soldats.

Si nous voulons que la paix de Noël soit celle de la liberté et non celle de la soumission honteuse à l’arbitraire, il nous faudra nous battre. L’enfant de la crèche nous rappelle toutes ces générations à venir que les islamistes voudraient faire ployer sous le joug de leur idéologie totalitaire. Nous avons le devoir de les protéger, et de leur transmettre la lumière que nous avons reçue en leur enseignant à espérer et désirer sans cesse la paix, mais aussi à toujours être prêts à combattre lorsque c’est nécessaire. Ainsi, et ainsi seulement, la lumière triomphera.

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Non, la crise des gilets jaunes n’est pas identitaire

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Un gilet jaune à Dions, dans le sud de la France, 11 décembre 2018. SIPA. 00887998_000081

On croit déjà tout savoir sur les gilets jaunes. Mais les premières recherches menées par des scientifiques démentent parfois les préjugés médiatiques. Déconstruction des idées reçues sur la révolte de la « France d’en bas ». 


Alors que le mouvement des gilets jaunes est entré dans une phase d’incertitude à la suite des annonces d’Emmanuel Macron et du drame de Strasbourg, les nouveaux experts en gilets continuent à se succéder sur les plateaux pour analyser la contestation à l’aune de quelques notions caricaturales, entre « jacquerie » et révolte des « plouc-émissaires », entre fronde de la « France périphérique » (ou « France d’en bas ») et revanche des « citoyens de base ».

Au-delà de leur violence symbolique, ces propos répétés ad nauseam urbi et orbi disent sans aucun doute moins de choses sur les gilets jaunes que sur les lubies de leurs auteurs. S’il faudra des enquêtes approfondies pour comprendre plus précisément le mouvement, il semble donc utile de déconstruire dès maintenant ces clichés simplistes qui polluent le débat public depuis trop longtemps. 

La mondialisation est inégalitaire : bienvenue au XXIème siècle !

Il y a encore un an, la majorité des commentateurs politiques, ainsi qu’une large partie de la presse nationale se félicitaient des premières mesures économiques et fiscales du gouvernement[tooltips content= »Entre autres : suppression de l’exit tax, destinée à juguler l’évasion fiscale de chefs d’entreprise ; transformation de l’impôt sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière ; instauration d’un prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital à 30%. »]1[/tooltips], au service des nouveaux totems de l’action publique néo-libérale : compétitivité, attractivité, excellence. Les mêmes réclament aujourd’hui une « inflexion notable », sinon un « revirement » des politiques mises en œuvre depuis 18 mois. Ainsi, sans sourciller, Edouard Tétreau, ancien conseiller d’Emmanuel Macron, analyste financier et éditorialiste au Figaro, appelait, lundi 3 décembre sur France 24, le président à un véritable « u-turn » (demi-tour) susceptible de le placer dans le sillage de Bill Clinton (sic). On en est encore loin…

Pourtant, de nombreux chercheurs avaient annoncé, dès la fin 2017, les risques de déstabilisation sociale liés à ces mesures (voir, par exemple, cette note de l’Observatoire français des conjonctures économiques ou le blog de Thomas Piketty« ). Plusieurs travaux d’économistes et de sociologues montraient, en effet, que seuls les 5% des Français les plus riches sortiraient gagnants de l’année 2018. Inversement, la plupart des ménages des classes moyennes verraient leur pouvoir d’achat stagner, tandis que le niveau de vie des 5% de familles les plus pauvres diminuerait en raison de la hausse de la fiscalité écologique et du coup de rabot sur les APL.

Plus généralement, alors que les responsables politiques, à commencer par le président de la République, semblent abasourdis par le mouvement des gilets jaunes, on a l’impression presque surréaliste qu’ils découvrent en 2018 que la globalisation est sélective et inégalitaire, socialement et spatialement ! Si la croissance se poursuit, quoique lentement, tous les individus et tous les territoires n’en profitent pas de la même façon, bien au contraire. A rebours des mythologies sur les « premiers de cordée » ou sur le « ruissellement », elles-aussi largement déconstruites par les chercheurs, les richesses économiques créées ne sont pas redistribuées de manière équitable comme par magie – ou par la grâce d’une quelconque « main invisible » (Adam Smith). Seuls de puissants mécanismes de redistribution permettent, partiellement, de filtrer les effets de la mondialisation et d’organiser les transferts de ceux qui en tirent profit vers ceux qui en sont exclus. Ce n’est pas un hasard si, partout en France, les gilets jaunes en appellent à l’aide de l’Etat.

Ici se trouve le véritable « u-turn » : le déploiement d’une économie mondialisée, libérale et concurrentielle conduit, partout dans le monde, à une aspiration plus forte à la régulation – bien au-delà d’un simple retour au protectionnisme. Ce qui était encore un gros mot en 2008 est désormais le socle commun sur lequel les démocraties à économie de marché reconstruisent leurs bases après les crises.

L’exercice du pouvoir est élitaire et vertical : bienvenue en France !

Comment expliquer ce degré d’aveuglement ? Voici, de manière non exhaustive, trois pistes d’interprétation :

1/ La première s’inscrit dans une tendance mondiale de transformation profonde des modalités de l’information : d’une part, on assiste à une forme de dissolution de la parole dans l’instantanéité, qui entrave fortement la capacité à formuler – et à entendre – des analyses distanciées et nuancées ; d’autre part, l’émergence des nouveaux médias conduit à mettre sur un pied d’égalité l’ensemble des sources et des supports (réseaux sociaux, presse, enquêtes, blogs, etc.), brouillant ainsi les frontières entre expertise, information, interprétation et dans certains cas purement et simplement fake news.

2/ La deuxième, plus spécifique à la France, est la discréditation de l’expertise académique. Les nouveaux apôtres de l’anti-intellectualisme et autres théoriciens du « primat de l’expérience sur l’expertise » considèrent, en effet, que les travaux scientifiques n’ont guère de valeur et qu’ils sont en tout état de cause plombés par les biais idéologiques de leurs auteurs. Plus largement, pour plusieurs raisons, notamment le monopole du pouvoir exercé par les hauts-fonctionnaires et la dévalorisation sociale et économique, tant des diplômes académiques que du statut d’enseignant-chercheur[tooltips content= »Après un doctorat et a minima huit années d’études supérieures, le traitement net d’un maitre de conférences en début de carrière est d’environ 1750 euros. Pas étonnant que plusieurs d’entre eux aient enfilé leur gilet jaune ! »]2[/tooltips], les scientifiques français sont marginalisés dans le débat médiatique et politique – ce qui range au rayon des fumisteries leur assimilation aux « élites » par quelques grincheux qui ont visiblement quelques comptes à régler.

3/ La troisième est placée plus directement au cœur des protestations des gilets jaunes. Elle prend la forme d’une double crise du système politico-institutionnel français : crise de la représentation démocratique, d’une part, illustrée par l’asséchement des corps intermédiaires et la montée en puissance des initiatives « par le bas » ; crise du pouvoir politique d’autre part, incarnée par la défiance généralisée envers les partis et la colère, sinon le dégoût, qu’inspire la connivence entre élites politiques et économiques, issues des mêmes milieux et des mêmes écoles (Sciences Po, ENA, Polytechnique, HEC…). Cette crise a été exacerbée par le décalage entre les promesses de renouvellement du candidat Macron et sa pratique effective du pouvoir : hyper-concentration de la prise de décision dans les cabinets ; soumission des élus à l’exécutif ; gestion purement managériale des réformes ; prises de parole surplombantes. Tout indique que les Français ne supportent plus cette culture à la fois monarchique et technocratique.

L’insécurité est d’abord économique : bienvenue chez « le peuple »!

Il y a un mois encore, les deux apôtres de la réécriture de l’histoire (Éric Zemmour) et de la géographie (Christophe Guilluy) françaises ne cachaient pas leur enthousiasme face à l’irruption des gilets jaunes.

En effet, le mouvement semblait consacrer de manière éclatante le succès d’une représentation déjà bien établie dans les champs politique et médiatique : celle d’une France coupée en deux entre métropoles dynamiques mondialisées et territoires « périphériques » laissés pour compte (et rassemblant le gros du « peuple »). La contestation en cours ne serait finalement que l’expression de la revanche des seconds à l’égard des premières. Les aberrations auxquelles conduit cette thèse ont été maintes fois documentées. Ainsi, les classes créatives d’Angers, les chercheurs de la Rochelle et les cadres supérieurs d’Annecy seraient « périphériques », tandis que les dockers de la Seyne-sur-Mer ou les mineurs retraités de Lens seraient « métropolitains ». Les habitants et les élus seront heureux de l’apprendre ! Loin de conforter cette vision, le mouvement des gilets jaunes montre ses impasses et ses impensés au gré des premiers résultats des enquêtes de terrain réalisées par des chercheurs sur la base d’échantillons significatifs.

1/ Les premiers gilets jaunes, ainsi que plusieurs coordinateurs nationaux, sont originaires de l’agglomération parisienne, métropole mondiale située au sommet de la « France d’en haut ». Et pour cause : si les Franciliens utilisent un peu moins leur voiture et réalisent des trajets un peu plus courts que le reste des Français, ils passent en moyenne 75 minutes par jour dans leur véhicule, contre 45 minutes pour les habitants de l’espace rural ! En somme, dans le Grand Paris, le budget-temps compense largement les moindres coûts liés aux déplacements.

2/ Les figures charismatiques des gilets jaunes sont marquées par une grande diversité sociale et résidentielle : ce sont aussi bien des chefs d’entreprises alsaciens que des ouvriers de La Seyne-sur-Mer, des petits commerçants du périurbain toulousain que des fonctionnaires du centre de Moulins, des retraités bretons que des jeunes cadres franciliens à la recherche d’un logement ; en somme, une véritable mosaïque socio-professionnelle imperméable aux représentations binaires.

3/ La cartographie des lieux de blocage tenus par les gilets jaunes montre que l’immense majorité des communes concernées est située au sein des grandes aires urbaines. Bien sûr, on ne manifeste pas toujours là où l’on habite. Mais précisément : le mouvement reflète moins des frontières infranchissables que le rôle central des interdépendances territoriales dans les pratiques sociales des Français. Ainsi, les gilets jaunes dits de la « périphérie » se retrouvent bien souvent là où ils ont fait leurs études, où ils vont faire leurs courses le week-end, où ils emmènent un proche à l’hôpital ou leur famille au cinéma. Ils pratiquent quotidiennement une forme de zapping territorial, certes couteux en temps, en argent et en énergie, mais qui contredit frontalement les analyses en termes de « sédentarisation » ou de « nouvelle autochtonie ».

4/ Bien qu’étant plurielles et encore peu stabilisées, les revendications des gilets jaunes convergent vers des enjeux de justice fiscale, sociale et spatiale : augmentation des bas salaires, revalorisation du pouvoir d’achat, égalité face à l’impôt, maintien des services publics sont les seuls mots d’ordre partagés par l’ensemble des manifestants. Or la fragilité sociale traverse les territoires autant que les origines ou les générations : bien qu’étant enracinée au cœur du monde urbain et non de la « France périphérique » (deux tiers des résidents français sous le seuil de pauvreté vivent dans le centre d’une grande ville ou dans sa banlieue), elle concerne aussi bien des familles du Pas-de-Calais frappées par le déclin industriel que des agriculteurs du Berry lourdement endettés ou des travailleurs précaires de la banlieue lyonnaise. Le mélange des uns et des autres au sein du mouvement, ainsi que l’absence de revendication de type identitaire (malgré quelques tentatives de manipulation grossières), montrent que les visions binaires et/ou ethnicisées des divisions des classes populaires relèvent avant tout de la récupération idéologique. En effet, l’opposition entre « bons pauvres » et « mauvais pauvres » permet de faire un tri pour réduire le nombre de ceux qui « méritent » d’être aidés. Mais cela n’a jamais réglé leurs problèmes.

Du « pays des aveugles »[tooltips content= »En référence au titre d’un article de L’Express qui discréditait de manière outrancière les interventions des chercheurs en sciences sociales dans le débat public « ]3[/tooltips] à la fin des rois borgnes

Le primat de l’insécurité économique sur la supposée « insécurité culturelle » est sans aucun doute l’une des grandes leçons du mouvement. Dans ces conditions, il faut un certain art du funambulisme intellectuel pour continuer à interpréter les gilets jaunes à l’aune de quelques obsessions géographiques et/ou culturalistes qui saturent le débat public – mais dont les promoteurs, dans un classique du retournement de stigmates, se présentent comme des victimes de la « censure » (sic).

Ces postures s’effritent à mesure que la fragilité de leurs fondements est mise en lumière. Ainsi, de très nombreux experts, élus, techniciens des collectivités ou simples citoyens font part de leur lassitude face aux grilles de lecture simplistes et n’offrant aucune perspective en matière de développement territorial. Ils aspirent à autre chose que La mondialisation pour les nuls ou Le Tour de la France par deux enfants ! Ils demandent des données empiriques identifiées et des analyses robustes qui permettent de regarder la réalité en face, dans sa complexité !

Dans le même temps, des dizaines de travaux de sciences sociales, menés sur le terrain par des chercheurs issus de multiples disciplines et affranchis de toute affiliation idéologique, sont largement diffusés sur les réseaux sociaux, dans la presse nationale et régionale, dans les mairies et jusqu’au Sénat. Leurs auteurs font parfois l’objet d’insultes et de menaces, ce qui en dit long sur le degré de « brutalisation » du débat public. Toutefois, les retours positifs sont massifs et témoignent d’un changement profond des attentes et des mentalités.

Finalement, personne n’a le monopole des gilets jaunes, de la représentation du « peuple » ou de la défense des « territoires ». Et surtout pas quelques intellectuels médiatiques soufflant sur les braises de la contestation. Après la dissolution de la « gauche caviar », la crise des gilets jaunes consacre l’impasse des réacs foie gras, qui prétendent glorifier les racines « gauloises » et l’identité terrienne du pays, tout en contemplant depuis les quartiers huppés de la capitale et avec une superbe condescendance ce qu’ils appellent la « France d’en bas ». On ne s’en plaindra pas.

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Pourquoi j’aime l’odieux Donald Trump

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Coiffé d'un Stetson, Donald Trump lance la semaine du "Made in America" à la Maison-Blanche, 17 juillet 2017. ©Alex Brandon/AP/SIPA

Comme Marilyn Monroe et John Wayne, Donald Trump appartient au panthéon de la pop culture américaine. Sa vulgarité et ses mauvaises manières n’empêchent pas le président américain de répondre efficacement aux grands défis d’un monde de plus en plus instable.


Certains s’étonnent qu’un intellectuel raffiné, nihiliste de surcroît, puisse afficher ouvertement son soutien à un personnage aussi peu raffiné et intempestif que Donald Trump. Je les comprends. Mais ils me semblent aveugles à tout ce qu’il incarne : une Amérique conquérante, primitive, avec un colt dans une main et une Bible dans l’autre. L’Amérique d’Elvis et de Clint Eastwood, l’Amérique d’Andy Warhol et de Marilyn, l’Amérique dont Johnny Hallyday ou Eddie Mitchell rêvait. Une Amérique populaire où le meilleur et le pire se côtoyaient sans que l’on sache précisément où se trouvait la frontière entre eux, sinon dans les affaires. Et pour les affaires, reconnaissons que Donald Trump n’a rien à apprendre.

Mieux vaut John Wayne que Macron

On me rétorquera que c’est l’Amérique des années 1950 que j’évoque, celle de ma jeunesse, dont j’aurais la nostalgie. Et que j’aime Donald Trump parce qu’il y revient. Sans doute. Ce fulgurant flash-back serait donc, me dit-on, à contre-courant de l’Histoire. Le progrès, incarné hier en Amérique par Barack Obama, le serait aujourd’hui en France par Emmanuel Macron. L’avenir serait au multiculturalisme et à un monde pacifié et pacifique où chaque pays n’aurait qu’un ennemi : le changement climatique et les menaces qu’il fait peser sur nos enfants. Nous avons été si abjects dans notre rapport à la Nature – et incidemment aux femmes – qu’il faut mettre un terme à notre irresponsabilité. Le vieil homme blanc a commis trop de dégâts sur toute la planète : il doit disparaître des écrans.

Ce genre de fables pour midinettes aurait fait sourire Raymond Aron. En effet, qu’on s’en réjouisse ou non, chaque homme a pour ennemi un autre homme, quand ce n’est pas lui-même. Et la guerre, sous quelque forme que ce soit, permet d’évacuer cette pulsion de mort qui nous ronge. Ne pas en tenir compte, c’est se rendre coupable d’un idéalisme mortifère, ce que tout le monde voit, sauf les aveugles, dans l’Union européenne en pleine dislocation.

Il était une fois dans l’Ouest

Donald Trump veut des frontières. Donald Trump veut des relations bilatérales. Donald Trump veut rendre les Américains fiers de leur pays. Donald Trump a conscience que l’islam est aujourd’hui aussi dangereux que le fut le communisme avant la chute du mur de Berlin. Donald Trump admire Poutine. Et ne redoute pas de s’opposer à la Chine. Qui pourrait le lui reprocher ? Mais le fond du débat oppose ceux qui ont une vision progressiste de l’Histoire et ceux qui en ont une vision cyclique. Pour les premiers, Donald Trump est non seulement odieux, mais anachronique. Pour les seconds, il signifie que le jeu planétaire est régi par l’éternel retour – ou l’énantiodromie pour revenir à Héraclite. John Wayne est à nouveau à l’affiche. Une aubaine pour les amateurs de westerns dont je suis.

Supprimons Noël, il y aura moins d’attentats!

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Marché de Noël de Strasbourg, 2016. SIPA. 00785365_000002

Avertissement: ce texte est déconseillé à ceux dont l’esprit de sérieux serait trop développé et le second degré pas assez…


Il faut sans plus attendre tirer les enseignements de la tragédie de Strasbourg. Il n’a échappé à personne que le tueur n’a pas tiré au hasard. Il s’est rendu sur le marché de Noël, une fête impie qui insulte la foi qui est la sienne.

Prenons des dispositions pour que cela n’arrive plus ! Interdisons les marchés de Noël dont l’aspect provocateur est plus qu’évident. Allons plus loin, et interdisons Noël tout court : cette fête n’a pas droit de cité dans le Coran. En effet, trop nombreux sont ceux qui sont persuadés que lors des messes de minuit se trament de sombres complots contre leur religion.

Mais il n’est pas sûr que ça suffise à garantir la paix civile. Il faut proclamer un état d’urgence religieux et détruire les églises dont la vue est susceptible d’attiser des passions vengeresses. Les synagogues, antres encore plus diaboliques, doivent être brûlées !

A lire aussi: Mantes ou Strasbourg: panique à Libé!

Ainsi, il y aura certainement moins d’attentats en France. Ainsi, des hommes, que nous avons rendus violents et colériques, redeviendront paisibles et pratiqueront pieusement  une religion qui ne demande qu’à être de paix et d’amour.

Demeurent deux problèmes : celui de Béziers où un affreux pyromane a installé une crèche dans sa mairie. Un acte de nature à déclencher une sanglante guerre religieuse en France. Il doit être sanctionné, poursuivi et emprisonné ! Sinon…

Il faut aussi évoquer Paris. Cette ville, toujours pour que règne la paix chez nous, ne peut rester la capitale de la France. En effet, les vrais croyants y sont très mal représentés. La seule ville qui mérite d’être notre capitale, c’est Saint-Denis ! Il est vrai qu’il y a là-bas une basilique catholique où sont enterrés les rois de France. Que faire de leurs dépouilles ? Peut-être les transporter à Abou Dhabi où il y a déjà une antenne du Louvre…

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