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Londres: deux musées pour le prix d’un Eurostar!

Tous au Design Museum


Londres: deux musées pour le prix d’un Eurostar!
Design Museum, Londres. Numéro de reportage : Shutterstock40678687_000022

Las du musée de Madame Tussaud et de Big Ben ? Oubliez les clichés londoniens et entrez dans l’antre de deux musées injustement méconnus : le Design museum et le le petit cabinet de curiosités de Sir John Soanes. 


On peut être passionnément matérialiste en se désintéressant totalement des objets. Dans le sens inverse, le fait de reconnaître la matérialité des objets ne fait pas nécessairement de vous un matérialiste forcené : reste tout de même à trouver le sens des objets, c’est-à-dire à justifier leur existence. Ce devrait être le rôle d’un musée consacré au design. Voyons celui de Londres, situé sur la Kensington High Street.

De William Morris à Henry Ford

Le visiteur est accueilli par un vaste historique passant en revue, entre autres, l’exposition au Crystal Palace (1851), l’oeuvre de William Morris, le Bauhaus, Henry Ford, les maisons préfabriquées (1949), les minijupes (1966), les Punks, le High-tech et les imprimantes 3D. Il y a un tel fouillis dans cet inventaire que cela sent la récupération, dans tous les sens du terme. Dès lors, il n’est pas surprenant d’arriver, en guise de conclusion, à un court texte intitulé Design and Business. Surtout que l’on s’emploie bien à mêler dans les salles suivantes, à cet égard, le chaud et le froid. D’un côté : l’apologie de la valeur pécuniaire des brands bien gérées. De l’autre : un slogan selon lequel il faut mesurer le succès d’une entreprise à la réalisation de ses objectifs (humains) et non de ses profits (financiers). Introduisez-les tous en bourse, l’investisseur reconnaîtra les siens !

Priez saint Crépin !

Dans les vitrines : des objets morts, dûment étiquetés. Dès la première salle, on remarque une tentative de redonner de la vie au moyen de la confrontation : en l’occurrence, il s’agit d’une Kalachnikov posée à côté d’un brancard de fortune. Il est précisé que la mitraillette a été « désactivée ». Au-delà du simulacre, la vraie question est posée : existe-t-il de bons et de mauvais objets ? On cherche en vain la réponse. Si ce n’est, peut-être, un peu plus loin : la description du grand projet d’électrification de l’Afrique (une réponse en courant alternatif). Et aussi plusieurs fauteuils roulants. Comme si le design était à la philosophie ce que la béquille est à la course à pied. Dans la vitrine d’une troisième salle, des photos d’une chaîne de montage de l’usine Ford punaisées au-dessus d’une collection de vieux outils de cordonnier. Confusion : tout va bien, surtout ne réfléchissez pas, attendez la prochaine innovation technologique en priant saint Crépin et saint Crépinien (patrons communs des cordonniers).

Curieusement, les rayons de la boutique du musée sont pratiquement vides. Notons le contraste avec les musées des beaux-arts à travers le monde, qui ont tous été transformés en grands magasins. Au Design Museum, le discours est tout puissant. Dans les salles d’exposition, les objets sont bien étiquetés, dûment domestiqués. On craint peut-être que sur les rayons d’une boutique, ils se mettent à parler librement.

Les curiosités de Sir John Soanes

À Londres encore, non loin du British Museum, sur les Lincoln’s Ins Fields, se trouve le petit cabinet de curiosités de Sir John Soanes. Tout a été, paraît-il, laissé en l’état depuis la mort du propriétaire (en 1837). On ne dénombre pas une seule pancarte : les objets peuvent parler librement. Ce qui permet à ces derniers de proférer quelques mensonges, puisque les moulages en plâtre sont allègrement mêlés aux pièces originales rapportées de Grèce ou d’Egypte. Tous ces objets permettaient à Sir John d’enseigner à ses élèves les principes de l’architecture. Soanes fut aussi l’un des fondateurs du British Museum. Il fait parti de ces aventuriers qui fixèrent, en raison de leur intérêt purement particulier, la valeur universelle des vieilles pierres jusqu’alors abandonnées au bord des chemins. De vieilles pierres dont nul ne se souciait. D’ailleurs, les frontières entre leur patrimoine personnel et celui de la nation (du musée) n’étaient pas toujours clairement définies, au gré des rétentions et des donations.

Rencontrer un vieil ami excentrique

On remarque, par exemple, le splendide tombeau de Seti Ier, dont la surface est entièrement gravée de hiéroglyphes, qui pourrait être une pièce maîtresse dans un bon musée public. Et des pierres diverses de toutes les époques. On se promène dans ce bric-à-brac en essayant de distinguer le vrai du faux, le petit détail de la grande aventure. Sir John figure lui-même en bonne place et en plusieurs exemplaires, dont un imposant buste à la manière des sénateurs romains ; à ses côtés, deux statuettes riquiqui représentent Michel Ange et Raphaël. Un peu plus haut, de nouveau Sir John, mais à la manière du XVIIIe siècle. On peut penser ce que l’on veut du goût antiquisant, de cette étonnante obsession pour la Renaissance qui s’est emparée des adeptes du Grand tour, il y a chez eux une fantaisie éminemment personnelle qui donne à leur aventure quelque chose de vivant. En tout cas, c’est ce que l’on ressent dans ce petit musée. Éparpillés dans les différentes pièces, les guides sont pleins d’entrain. L’ambiance est étrangement familiale. Ils parlent de Sir John comme d’un vieil oncle excentrique. Voire comme s’il était toujours parmi nous. Comme d’un ami qu’ils admirent. Un rien original : un humain. Faut-il comparer aux jeunes gens au teint pâle, uniformément vêtus de noir, du Design Museum ?

Retour dans la vraie vie : en cette fin d’après-midi pluvieuse, dans le quartier de Knightsbridge, quatre longues limousines aux fenêtres sombres et luisantes font demi-tour en pleine rue pour aller se garer devant la vitrine d’un grand bijoutier, bloquant la circulation pendant quelques minutes. Les beaux objets ont encore de beaux jours devant eux.



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