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Gilets jaunes: un bouc émissaire nommé Macron

On lui reproche tout, y compris les erreurs de ses prédécesseurs


Gilets jaunes: un bouc émissaire nommé Macron
"Macron démission" tagué sur l'Arc de Triomphe à Paris, 2 décembre 2018. SIPA. AP22277548_000004

Emmanuel Macron a bon dos. Le président est l’ennemi public numéro un du mouvement des gilets jaunes. On lui reproche tout, y compris les erreurs de ses prédécesseurs.


Le gilet jaune se porte bien en ce moment : tout le monde est gilet jaune. Et tout est prétexte pour accabler Bibi. La fixette de la taxe est tombée pile poil. Pourtant, est-ce la faute à Bibi si tout va mal ? Jusque-là, il s’était prêté à des rôles avantageux. Il lui manquait celui de bouc émissaire. C’est chose faite. On l’a, le bouc émissaire de ces quarante dernières années, grâce au détonateur de la taxe énergétique, en attendant le fusible qui tarde à partir. Il ne reste qu’à envoyer l’émissaire disruptif dans l’enfer politico-médiatique, histoire de lui faire payer son côté premier de cordée, surdoué, technocratique et « méprisant ». Rien ne lui est  épargné. Ce qu’on veut, c’est comme dans la fable : sa peau. Et on ne fait pas dans la dentelle. Les mêmes qui lui léchaient la main sont ceux-là qui sortent le plus les dents. Les mêmes qui avaient eu le pouvoir, et se le sont laissé prendre.

Macron est légitime

Pourtant, il n’est pas venu illégalement. Personne ne forçait l’homme qui aimait les costumes à se tirer une balle dans le pied le jour de son élection. Rien n’empêchait le même de se désister au profit de Bordeaux. Personne n’a empêché le tribun de la cité phocéenne d’être au premier tour de la présidentielle. Ni Marine de faire un tabac historique. Reconnaissons-le : Macron a été élu, pas idéalement mais démocratiquement. Il faudrait plutôt interroger ceux qui l’ont porté sur le trône, à qui il déplaît, à présent, souverainement et qui entendent bien le lui faire sentir. Il y a surtout ceux qui n’ont pas voté. Or, rien ne justifie le slogan « tous pourris » pour s’abstenir de voter. L’abstention suscite le râle après le vote et la reconnaissance de l’abstention comme un vote. Ce mécanisme ne crée donc pas les conditions d’une vie démocratique normale avec le jeu des forces d’opposition nécessaires.

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De la gauche, est sorti du bois, récemment, un grand méchant loup pour dire son soutien aux gilets jaunes, bientôt suivi par les journalistes accrédités dont la mine et les propos de circonstance lancent l’alerte : la patrie est en danger. Le tout suivi de la menace de nos louveteaux sortis de leurs tanières écolières. Puis il y a eu la droite ultramarine et l’hallali de sa cheftaine. La droite bien pensante y est allée de sa mise en garde. Puis chacun de ses lubies : Hamon, une république nouvelle, Wauquiez, un référendum (sur quoi, et pour quoi, on se le demande). Le Prince a le genou en terre : certains demandent sa démission.

Macron n’est pas plus méprisant qu’Hollande

Pour créer cette insurrection des gilets jaunes, il aura donc suffi d’une taxe de trop. Un sentiment d’inégalité et d’injustice incontestables. Une incompréhension devant une mesure hexagonale qui touche le travail déjà surtaxé quand les avions internationaux ne le sont pas. Pour le coup, Macron aura atterri durement, en retrouvant le vieux monde : l’opposition entre la rue et le palais, avec ses manœuvres politiciennes ; le peuple qui n’est pas l’élite ; les grands qui ne sont pas les petits. Mais prenons garde à faire croire au peuple des ronds-points qu’il va y avoir un grand soir. Que la hausse du SMIG est automatique. Qu’on peut parler au chef en venant au Château au débotté. Et qu’on peut en partir aussi sec. Certains ressortent avec gourmandise, de derrière les fagots, « la convergence des luttes ». Tout le monde profite de ce climat sauf Bibi à qui on règle son compte. Mais soyons honnête : Macron n’est pas plus « méprisant » envers le peuple que Hollande qui faisait les 400 coups rue du Cirque et dont le règne ne fut guère flamboyant.

N’en jetez plus !

Le procès du Roi Lion est donc vite fait. On lui met tout sur le dos : les taxes, les impôts, les charges ; la crise de confiance dans les politiciens, ses paroles malheureuses ; l’absence de ténors dans sa majorité, des élus locaux qui ne lui sont pas favorables, des députés pas ancrés dans le pays ; de grosses ficelles électoralistes ; un peuple affamé comme en 48, un climat insurrectionnel comme en 68. N’en jetez plus ! Tombe alors la sentence rassurante : on a un pouvoir faible mais des institutions fortes. Mais on est à bout d’un système politique. Enfin on avance à charge le départ du charismatique Hulot. Quant à celui du Lyonnais, était-ce l’annonce prémonitoire des violences à venir ? On a eu le précédent des black blocks, le 1er mai dernier. C’est cette violence qui n’est pas due aux gilets jaunes qu’il faut anticiper d’un pied plus que ferme.

C’est la France qui est à bout de souffle

La vérité c’est que la France, comme l’Europe, est un moteur à bout de souffle. Depuis des mois, Macron lui met trop vite et trop… d’essence, pour le faire repartir, le faire pétarader à défaut de caracoler. Les pays ne veulent plus d’un gouvernement par le haut de Bruxelles et « des élites ». On veut vivre normalement chez soi, à l’ancienne. Et cela semble impossible. Il n’y a pas de travail ; quand il y en a, les conditions sont difficiles. Le peuple n’est pas une intelligence artificielle. Il a un corps tout comme le roi. Les députés de LaRem, dépourvus d’expérience, nous saoulent de paroles, de chiffres, de clichés sur la politique de leur chef. Leur discours est inaudible et lassant. Ça, c’est une réalité. S’il y a trois choses à incriminer, c’est le climat hystérique des élections françaises, à l’américaine, où l’on drogue le peuple de promesses fallacieuses et de shows. C’est la suppression, hautement symbolique, de l’ISF. C’est le chômage, et des créations d’emploi peu visibles. La taxe est la goutte d’huile de trop sur le feu. On le comprend. Macron aurait dû anticiper ce ras-la-taxe : on peut encore éteindre l’incendie. Mais si la colère est un levier politique fort, il ne faut pas non plus faire miroiter des alouettes aux Gaulois. Où est le programme opposable des autres partis ?

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Le président a demandé un moratoire. La République en a connu d’autres, des crises, sans qu’on ait besoin de déposer des motions de censure, de dissoudre l’Assemblée, de faire sauter le fusible et de faire péter les plombs partout. La situation n’est pas nouvelle ni inédite. Mais gare aux artificiers pour tout enflammer. En attendant, prenons garde que les gilets jaunes ne soient des pigeons.

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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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