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Attentats de Bruxelles : trois ans après, rien n’a changé

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Trois ans après les attentats de Bruxelles, la Belgique poursuit sa politique de l’autruche face à l’islamisme. Au grand dam des rescapés.


Le 22 mars 2016, un épais manteau de brume enveloppait Bruxelles au lever du jour. Une fois dissipé, le soleil a repris ses droits. Les seules préoccupations du jour auraient dû se limiter au registre vestimentaire. Laisser sa grosse veste au porte-manteau? Oser les sandales (non sans avoir pris le temps de poser du vernis) ?

Au chaos succède l’oubli

En cette journée marquée du sceau de l’insouciance printanière, bien peu de choses étaient là pour rappeler à la population que des vies et des membres ont été arrachés par des bombes de l’Etat islamique et qu’il y a trois ans, l’aéroport de Zaventem et la station de métro de Malbeek située en plein cœur du quartier européen se sont subitement transformés en théâtre de guerre.

Hier, 22 mars, on aurait pu imaginer toutes les sirènes de Bruxelles retentir pour célébrer le dévouement des services de secours et associer l’ensemble de la population à la douleur de ceux qui ont péri ou survécu aux attentats. Rien de cela !

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Par la grâce du déni, au chaos succède l’oubli. Il y a bien eu une minute de silence et quelques discours de victimes. Mais comme son nom l’indique, la minute de silence ne fait pas de bruit ; elle ne fait pas de vague. Elle offre à ceux qui souffrent l’occasion de continuer à souffrir en silence alors qu’ils seraient nombreux à vouloir hurler leur douleur.

On parle de commémorations. Mais sur quoi devraient-elles porter ? Sur l’énième acte d’une guerre que l’on n’en finit pas de déclarer à l’Occident depuis le 11 septembre 2001 ? Au lendemain de chaque attentat, les autorités se fendent d’un discours au ton martial avec du « war on terror » en guise de refrain. Et puis rien. Tout s’évanouit faute d’un Churchill et d’un Patton pour donner un peu de consistance à ces postures guerrières.

32 morts et des centaines de blessés

En Belgique, l’incompétence des ministres qui se sont succédé durant de trop longues années à la tête de la Justice et de l’Intérieur a eu un terrible coût : 32 morts et des centaines de blessés, sans compter les victimes de Nemmouche, un autre soldat de l’EI dont la condamnation a perpétuité est tombée la semaine dernière.

Ironie du sort, l’ex-ministre de l’intérieur, Joëlle Milquet, qui ne refusait pas un selfie avec un djihadiste, avait démissionné en 2014 après avoir été inquiétée par la justice pour de possibles emplois fictifs destinés à « sensibiliser » des électorats de niches ethniques. Recasée à la Commission auprès de Jean-Claude Junker qui l’avait mandatée pour remettre un rapport portant sur les victimes du terrorisme, elle a finalement accouché le 11 mars dernier d’un document ponctué de yakas, véritable un manuel d’enfonçage de portes ouvertes.

De leur côté, les victimes des attentats attendent beaucoup plus des autorités qu’elles jugent défaillantes tant sur l’action préventive par rapport à cette vague d’attentats que sur la prise en charge et la réparation des dommages.

Assumons la guerre

Parmi les voix qui parviennent à déchirer le silence de bon aloi, celle de Karen Northshield, vent debout. Ancienne nageuse de haut-niveau, elle doit son salut à une condition physique hors du commun et à un mental à l’épreuve des balles. Polytraumatisée et toujours hospitalisée pour une durée encore indéterminée elle demande aux autorités de reconnaître le statut d’invalide de guerre aux victimes d’actes terroristes. Une telle reconnaissance serait de nature à faciliter les démarches des victimes. Mais ce serait aussi une grande avancée sur le plan symbolique. A l’heure où de nombreux Etats s’ouvrent sérieusement à la perspective d’un retour des familles de combattants djihadistes, pas sûr qu’ils choisissent de se ranger du côté des victimes en édictant des dispositions qui conduiraient à coucher le mot « guerre » dans une disposition légale.

A Zaventem, la statue emblématique qui habitait le hall des départs de l’aéroport, « flight in mind », endommagée lors des attentats a été restaurée pour être pudiquement exfiltrée et reléguée dès 2017 à l’extérieur du bâtiment dans un « Memorial Garden » qu’aucun voyageur ne visitera. Planquez cet attentat que je ne saurais voir ! In memoriam, oui, mais a minima ! Ceci n’est pas une guerre…

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Benalla: quand la Macronie reproche au Sénat de respecter la loi…


Edouard Philippe, Richard Ferrand, Benjamin Griveaux… Les hommes du président se livrent à une drôle de guerre contre le Sénat à qui ils reprochent – sans le savoir ? – d’avoir fait son devoir. L’affaire Benalla perturbe la Macronie de façon bien surprenante…


C’est une banalité que de constater l’impéritie et l’amateurisme qui caractérisent le gouvernement d’Édouard Philippe et l’entourage d’Emmanuel Macron. On y rencontre des personnages accablants chez lesquels se mélangent médiocrité, inculture, cupidité et absence du sens du ridicule.

Le coq et les perroquets

Mais finalement, le pire est atteint lorsque l’Élysée sollicite les parlementaires, leur fournissant un kit d’éléments de langage absurdes et antirépublicains. La principale qualité exigée par LREM pour ses candidats devait être le psittacisme. Spectacle inquiétant que celui de ces petits télégraphistes mandatés pour aller faire le tour des plateaux multipliant les énormités. C’est ce qui vient de se produire avec le nouvel épisode sénatorial du feuilleton Benalla.

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On rappelle brièvement qu’utilisant ses prérogatives prévues par la Constitution, la commission des lois de la Haute assemblée s’est constituée en commission d’enquête. Elle a réalisé son travail, notamment par de nombreuses auditions, rédigé et publié son rapport, avant de respecter ses obligations et de saisir le parquet du tribunal de Paris pour des faits susceptibles de recevoir des qualifications pénales, dont elle avait eu connaissance. Respecter la Constitution et la loi française, manifestement, dès qu’il s’agit d’Alexandre Benalla, à l’Élysée on n’aime pas. Donc, pendant les travaux, multiplication des obstructions, des rodomontades et déploiement d’une propagande passablement scandaleuse.

Séparer Benjamin Griveaux du pouvoir

On ne reviendra pas sur tous les épisodes. On peut simplement rappeler l’offensive élyséenne relayée par les perroquets habituels au moment de la publication du rapport. Avec, sortant du bec, la dénonciation du crime abject soi-disant commis par le Sénat : « L’atteinte à la séparation des pouvoirs ». Avec Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, on possède un exemplaire de ce que le macronisme peut produire de pire. On prendra donc ses propos comme emblème de l’inanité des arguments invoqués pour tenter de désamorcer le caractère accablant du rapport sénatorial. Que nous dit l’homme qui coche toutes les cases : « L’Elysée aura l’occasion d’apporter des réponses factuelles sur manifestement beaucoup de contre-vérités qui se trouvent présentes dans le rapport ». Première observation : un mois plus tard, l’Élysée n’a apporté absolument aucune réponse factuelle malgré cette promesse…

Notre virtuose du droit constitutionnel poursuit : « Nous sommes très attachés à la séparation stricte des pouvoirs dans notre pays […] Mais je trouve curieux que les assemblées aient à se prononcer sur l’organisation du pouvoir exécutif. Si le pouvoir exécutif se prononçait sur l’organisation du travail des assemblées, on crierait à la fin de la séparation des pouvoirs. » On se pince pour être sûr que l’on n’est pas dans un cauchemar, celui qui nous fait constater que le porte-parole du gouvernement de la République française se permet de proférer de pareilles énormités. Comme on va le voir, la séparation des pouvoirs a bon dos quand il s’agit de dire absolument n’importe quoi.

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Il serait donc curieux que les assemblées aient à se prononcer sur l’organisation du pouvoir exécutif. C’est pourtant ce que dit explicitement la Constitution dans son article 24 : « Le Parlement vote la loi. Il CONTRÔLE l’action du Gouvernement. Il ÉVALUE les politiques publiques. » L’article 51–2 indique explicitement que pour exercer ses missions les assemblées peuvent constituer en leur sein des commissions d’enquête. Qui dit mieux Monsieur Griveaux ? Mais comme pour vous la vérité ne semble pas être quelque chose d’important, vous ne vous arrêtez pas en si bon chemin et enfilez une deuxième perle avec cette sidérante affirmation qu’on va répéter pour être bien sûr de l’avoir entendue : « Si le pouvoir exécutif se prononçait sur l’organisation du travail des assemblées, on crierait à la fin de la séparation des pouvoirs » Heu… Monsieur le porte-parole, c’est exactement ce que prévoit la Constitution. Jusqu’à la réforme de 2008, dans le parlementarisme « rationalisé » initialement instauré en 1958, c’était le gouvernement qui fixait par priorité l’ordre du jour des assemblées. La réforme de juillet 2008 en a fait une compétence partagée, et la simple lecture de l’article 48 démontre bien que l’exécutif dispose encore et toujours de prérogatives très fortes et essentielles concernant « l’organisation du travail des assemblées ». Alors Monsieur Griveaux, soit vous vous moquez du monde – ce qui compte tenu de votre arrogance habituelle est l’hypothèse la plus probable -, soit vous devez lire la Constitution. Ce que tout cela démontre en tout cas c’est que vous n’avez pas grand-chose à faire à la place que vous a offerte Emmanuel Macron.

On ne touche pas à Benalla

Dernier épisode en date du feuilleton Benalla, la transmission au parquet par le bureau du Sénat d’un « signalement » au parquet de Paris. Immédiate levée de boucliers au sein de la Macronie en panique : on ne touche pas à Alexandre Benalla ! Face à l’abominable affront, le Premier ministre Édouard Philippe, entre deux déplacements au Havre pour faire démissionner son successeur à la mairie, a trouvé intelligent d’insulter le Sénat en refusant de s’y présenter pour la séance des questions au gouvernement. Richard Ferrand des mutuelles de Bretagne a, quant à lui, refusé d’apparaître sur une tribune aux côtés du président du Sénat. Bravades ridicules et déshonorantes, qui font peu de cas du fonctionnement de la République et du cadre juridique dans lequel tout ceci se déroule.

Une fois de plus, il faut revenir aux règles qui s’appliquent et dont l’examen démontre l’absence totale de culture républicaine des deux hauts personnages de l’État qui se livrent à ces pantalonnades.

Le Sénat n’a fait que son devoir

Le bureau du Sénat n’a fait que son devoir. On rappellera que les auditions devant les commissions d’enquête sont organisées par la loi et en application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, tout mensonge y est considéré comme un faux témoignage lourdement sanctionné par l’article 434–13 du Code pénal. Par conséquent, si la commission d’enquête a relevé des faits susceptibles de recevoir les qualifications prévues par le Code pénal, elle devait en informer le parquet, en application du texte de l’ordonnance qui stipule : « Les poursuites prévues au présent article sont exercées à la requête du président de la commission ou, lorsque le rapport de la commission a été publié, à la requête du bureau de l’assemblée intéressée. » Dès lors que les faits étaient apparus suffisamment caractérisés, le bureau de la haute assemblée avait compétence liée et était tenu d’en saisir le parquet.

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Comment peut-on donc affirmer, comme le font Premier ministre et autres chevau-légers de la Macronie, que l’application et le respect de la Constitution et de la loi puissent constituer des « opérations politiciennes » et des « atteintes à la séparation des pouvoirs ». Cette obligation de signalement pèse sur tous les agents publics. Et les sénateurs en seraient dispensés ? C’est d’autant plus inadmissible que c’est l’autorité de poursuite, c’est-à-dire le parquet soumis au pouvoir exécutif qui pourra donner suite ou non à ce signalement. De ce point de vue, compte tenu de l’attitude du parquet de Paris depuis l’arrivée de son nouveau « patron », l’entourage d’Emmanuel Macron n’a pas grand-chose à craindre.

La République des « factieux »

Dûment chapitrés, des petits soldats LREM sont montés au front. Munis de leurs éléments de langage concoctés en haut lieu et proférant force contrevérités, ils sont venus se déshonorer à leur tour. Une prime pour Florian Bachelier, avocat de son état, et donc juriste, qui n’a pas hésité à tweeter : « La justice est un sujet suffisamment complexe et sensible pour ne la laisser qu’à des professionnels dont c’est le métier et la formation. Je pense que les parlementaires ne savent pas rendre justice ».

Culot d’acier que de prétendre que les sénateurs ont rendu justice ou voulu le faire alors qu’ils n’ont que saisi l’autorité de la République compétente pour le faire. Monsieur Bachelier n’a même pas l’excuse de l’ignorance.

Les réseaux sont pleins de ces agressions politiques et mensongères contre le Sénat proférées par des députés qui ne voient aucun inconvénient à affaiblir les institutions républicaines. La palme cependant à un récidiviste : Sacha Houlié, avocat également et issu du Mouvement des Jeunes socialistes (MJS) que Mitterrand qualifiait d’école du crime. Il ajoute la menace au mensonge: « Coup de force du Sénat qui s’érige accusateur public. La confusion des genres est totale. Sa méprise sur son rôle est une forme de déconnexion. Celle-ci devra être traitée ». Traitée comment Monsieur Houlié ? En supprimant le Sénat ? Ou mieux, en provoquant sa dissolution avec vos petits bras musclés ?

Décidément, qui sont ces gens, qui sont ces ministres, ces présidents d’Assemblée, ces parlementaires, ces collaborateurs, ces hauts fonctionnaires qui passent leur temps à brutaliser les institutions et à applaudir les violations de la loi ? Qui sont ces gens qui se précipitent pour défendre bec et ongles des dévoyés qui ont entouré et probablement entourent encore le président de la République. La réponse est simple : des factieux. Dont il est urgent que la République se débarrasse.

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Si Cinecittà nous était conté

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Le célèbre critique de cinéma Philippe d’Hugues publie Viva Cinecittà !, un panorama du cinéma italien d’après-guerre à travers l’étude de ses douze cinéastes les plus représentatifs.


Une petite anecdote personnelle pour commencer : au mitan des années 90, on m’offrit un ouvrage qui combla le jeune cinéphile que j’étais alors. Il s’agissait d’un Almanach du cinéma confectionné au moment du centenaire du septième art. Cet ouvrage de Philippe d’Hugues, synthétique et richement illustré, fut une mine pour moi à une époque où il n’était pas forcément facile d’avoir des informations sur l’histoire du cinéma, mis à part les traditionnels dictionnaires et autres guides des films. En revanche, j’ignorais tout de l’auteur de cette « bible » qui a pourtant beaucoup écrit sur le cinéma et qui collabora aussi bien à Positif qu’aux Cahiers du cinéma.

Viva Cinecittà ! qui vient de sortir est un panorama du cinéma italien d’après-guerre à travers l’étude des douze cinéastes les plus représentatifs selon l’auteur : Blasetti, Soldati, De Sica, Rossellini, Visconti, Fellini, Antonioni, Pasolini, Cottavafi, Comencini, Rosi et Olmi. D’Hugues justifie ce choix en annonçant que son ambition n’était pas de faire un nouveau dictionnaire.

Cette subjectivité avait tout pour nous réjouir mais l’auteur n’évite malheureusement pas l’écueil de la notice encyclopédique. En revenant sur ces douze cinéastes, d’Hugues se contente généralement de passer en revue leurs carrières respectives de manière très factuelle, s’appuyant notamment sur les avis d’autres critiques (essentiellement Tulard, Gili, Bardèche et Brasillach voire Rebatet) pour étayer son tableau. En 1995, le jeune cinéphile que j’étais aurait sans doute trouvé l’ouvrage passionnant et enrichissant. En 2018, à l’heure où toutes les informations données dans le livre se trouvent en un clic sur Internet, on aurait aimé quelque chose de plus personnel, de plus tranchant, de plus « intime ».

Philippe d’Hugues est, bien évidemment, quelqu’un de très cultivé et son livre, bien écrit, se lit très agréablement. On est même plutôt surpris par ses goûts que l’on aurait pu penser plus « classiques » : s’il défend avec ferveur L’Evangile selon saint Mathieu de Pasolini, il ne crache pas pour autant sur la « trilogie de la vie ». De la même manière, s’il estime que Zabriskie Point est le plus raté des films d’Antonioni (à mon humble avis, c’est le meilleur !), il fait un bel éloge du pourtant très « moderne » Profession : Reporter du même cinéaste. Mais il faut reconnaitre qu’on ne trouvera pas dans ce livre des informations qui n’aient déjà été écrites mille fois ailleurs. Même le seul point où d’Hugues se veut un peu original (le néoréalisme n’est pas né avec Rome, ville ouverte mais existait déjà, par certains aspects, durant la période fasciste du cinéma italien) est déjà suffisamment connu.

Ce qui manque cruellement à cet ouvrage, c’est un angle d’attaque plus percutant. Quitte à lire quelqu’un ayant des goûts différents, on aurait préféré la verve provocatrice et rigolarde d’un Alain Paucard ou les lectures très analytiques, stylistiques et esthétiques d’un Jacques Lourcelles. Mais les portraits que nous proposent d’Hugues ne sont pas inintéressants car l’auteur a du style. Les amateurs et les curieux liront néanmoins sans déplaisir ce panorama concis de l’âge d’or du cinéma italien et auront envie de (re)voir tous les films dont il a été question… N’est-ce pas l’essentiel

Viva Cinecittà ! Les douze rois du cinéma italien (2019) de Philippe d’Hugues (Editions de Fallois, 2019)


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Expo: Sécheret, le ciel vu de la terre


Le Salon du dessin consacre une exposition au peintre paysagiste Jean-Baptiste Sécheret. La terre, le ciel, les mortels et les dieux s’unissent dans ses oeuvres qui témoignent du temps où l’industrie et la nature coexistaient en paix. 


C’est un nom que vous n’avez jamais entendu, et qu’un petit groupe de connaisseurs et d’amateurs se repasse clandestinement, sous le manteau. Celui d’un peintre d’une cinquantaine d’années, vivant à Paris, qui est déjà étudié et imité par de nombreux disciples dans les écoles des beaux-arts ; que Marc Fumaroli et Jean Clair se désolèrent de n’avoir pu embarquer dans leur exposition sur la peinture française de 2017 ; et que moi-même, après ces grandes autorités, je tiens pour le plus grand peintre de sa génération.

Il s’appelle Sécheret, Jean-Baptiste. Ancien élève des Beaux-Arts, ayant longuement étudié Velázquez et Goya à Madrid, il fut aimé de James Lord, le biographe et le modèle de Giacometti ; et de Raymond Mason, le grand sculpteur sur lequel Bonnefoy a écrit. Ainsi s’inscrit-il dans l’histoire véritable, qui reste encore à écrire, de l’art en France depuis les années 1960, un art qui a pris le maquis, et dont un Sam Szafran est, sachez-le, le bien involontaire général clandestin.

À vous qui ne connaissez pas Sécheret, l’occasion est donnée de vous rattraper à la fin du mois de mars, au Salon du dessin, palais Brongniart, où son galeriste Jacques Elbaz organise une exposition à lui seul consacrée.

Qu’y verra-t-on, à cette exposition one-man-show ?

Sécheret est principalement peintre de paysages. La plage de Trouville, les campagnes du Loir-et-Cher ou de Normandie, les villes et les montagnes italiennes, mais aussi la ligne des toits de New York, lui inspirent désormais la plupart de ses motifs. Il n’y a pas de mise en scène, pas d’histoire, pas de narration.

Sécheret appartient à une école, très française, et dont le point culminant fut sans doute Cézanne, pour qui l’étude du motif, du rapport qu’entretiennent entre elles les formes géométriques des bâtiments et des arbres, ou les couleurs du ciel et de la terre, ou l’étude des innombrables variations de la lumière selon l’heure et les saisons, constitue à soi seul l’objet du travail du peintre. Le peintre est à l’école du motif, c’est ce dernier qui donne sa dignité au tableau, il n’a pas besoin de mettre en scène un « sujet », car l’observation de la simple réalité peut être le travail d’une vie.

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Partout dans ce travail apparaît le souvenir prégnant du xixe siècle, d’un xixe qui précéda immédiatement l’impressionnisme et le rendit possible, celui des paysages de Corot et de Courbet. L’histoire de la peinture hante Sécheret, qui n’hésite pas à remettre ses pas à l’endroit exact où Corot, Cézanne, Seurat ont peint certaines de leurs œuvres les plus célèbres.

Mais Sécheret n’est pas resté figé au xixe siècle et, s’il en reprend les principes esthétiques, il les utilise pour peindre un monde nouveau, ou plutôt un monde que Corot et Courbet n’ont pas vu, mais qui est déjà en train de mourir pour nous, celui de la révolution industrielle. Les gratte-ciel de New York, les cheminées d’usine du Havre au loin de ses vues des Roches noires, et surtout la vieille usine désaffectée de Mondeville lui fournissent l’occasion de certaines de ces études de formes et de tons qu’il aime tant, en même temps que le témoignage précieux d’une époque où l’industrie et la nature ont su coexister en paix.

Il n’y a pas d’êtres humains dans les paysages de Sécheret, lors même que ce dernier a, dans ses tiroirs secrets, des portraits, dessinés ou peints, de toute beauté. Mais partout il y a la terre et le ciel, et sur la terre les beautés de la nature (forêts, montagnes) et celles des constructions humaines (immeubles, fabriques). Cette œuvre retrouve sans même avoir besoin de le savoir (car ici c’est la pensée qui apprend auprès des artistes, et non l’inverse) les quatre éléments du Quadriparti (Geviert) heideggérien, l’union de la terre et du ciel, des mortels et des dieux. Pour l’auguste Teuton, en effet, si l’œuvre d’art avait un sens quelconque, c’était bien de nous faire reconnaître que, comme mortels, nous sommes parties d’un tout, d’une alliance, et partant de nous apprendre à habiter la Terre en regardant vers le haut. « Le regard vers le haut [du poète] parcourt tout l’entre-deux du ciel et de la Terre. Cet entre-deux est la mesure assignée à l’habitation de l’homme », écrivait-il dans L’homme habite en poète.

Si le lecteur m’autorise à rester chez Heidegger, c’est finalement cette chose mystérieuse qu’on pourrait appeler la « présence », après laquelle semble courir notre peintre. Le fait qu’il y ait quelque chose plutôt que rien, l’éternel miracle que représente une habitation ou un arbre qui se dresse devant nous, dans leur solidité, au milieu d’un ciel et d’une lumière que nous ne pouvons toucher, la surprise du « il y a », voilà cet invisible que la peinture de Sécheret nous donne à voir. Voilà ce qui me touche tant dans la façon qu’il a de peindre une ruine romaine qui se détache dans le ciel.

Le résultat est, pour utiliser un mot devenu aujourd’hui tabou dans le monde de l’art, d’une immense beauté. Il faut dire que Sécheret a un don pour la couleur, et peint notamment des ciels extraordinaires, des « beautés météorologiques » analogues à celles que Baudelaire voyait chez Boudin.

Mais prenez garde, même si un penseur allemand m’aide à comprendre cette peinture, celle-ci n’a rien de romantique. Sa tranquille beauté peut décontenancer notre époque habituée, depuis Picasso, les Stones, Scorsese ou Tarantino, à une esthétique du choc, du coup de poing dans la gueule.

La peinture de Sécheret est classique, c’est-à-dire française. Fille de Poussin et de Chardin, elle nous bouleverse en silence, sans roulement de tambour. Elle demande de l’attention, de la lenteur, de la rumination. La lumière qu’il y avait dans le ciel ce soir-là et que le peintre a saisie n’a duré qu’un instant ; mais le fait qu’il y a une terre et un ciel, un matin et un soir, un printemps et un automne, ce fait-là est éternel.

Salon du dessin, palais Brongniart, 75002 Paris, du 27 mars au 1er avril 2019. 

Bégaudeau, le révolutionnaire « prolo » du XIe arrondissement

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Dans Histoire de ta bêtise, François Bégaudeau s’attaque aux électeurs bourgeois de Macron. Lui est différent d’eux: il vit comme un bourgeois mais ne pense pas comme tel, alors ça va. 


François Bégaudeau vient de commettre un libelle intitulé Histoire de ta bêtise dans lequel il s’adresse, en le tutoyant tout au long de deux cents et quelques pages, à l’électeur de Macron pour lui faire honte, tout à la fois, de sa sottise, de son inculture et de son appartenance à la bourgeoisie. Etant donné que lui-même vit fort bourgeoisement dans Paris intramuros, il pressent l’objection qu’on pourrait lui adresser et il la prévient. Certes, il appartient à la bourgeoisie mais il en « envisage » la destitution.

Je ne suis pas bourgeois, la preuve: je ne fais pas le ménage

Il précisera les choses dans une interview accordée à Ouest France le 21 février 2019 : « J’ai accédé à un patrimoine bourgeois sans en emprunter le cadre de pensée. » Comprenons bien : il est bourgeois matériellement, mais pas spirituellement. N’est-ce pas l’essentiel ? L’esprit ne l’emporte-t-il pas sur la matière ? Il possède un appartement dans le XIe arrondissement de Paris. Cependant, nous dit-il, « je suis propriétaire, et je délégitime la propriété ». Mais attention, délégitimer la propriété, ce n’est pas y renoncer (par exemple pour y installer des SDF ou des migrants), c’est la condamner par la pensée tout en la conservant dans la réalité. Pour comprendre cela, il faut, là encore, croire à la force de l’esprit et à sa supériorité sur les conditions matérielles d’existence.

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Bégaudeau est un bourgeois, mais avec un « habitus non bourgeois ». Et il le prouve ! Pour ne pas risquer d’être confondu avec un bourgeois, il ne fait pas le ménage chez lui : « Ici, la règle est le sale ». N’est-il pas bien connu que le peuple est crade et qu’un vrai communiste ne se lave pas ?

« Les morts passés et futurs du communisme n’invalident pas les livres qui dessinent l’hypothèse communiste »

« Le propre du bourgeois, écrit Bégaudeau, c’est de ne jamais se reconnaître comme tel ». Zarathoustra lui répondrait sans doute, comme à l’écumant bouffon : « Si tu me fis avertissement, qu’à toi-même ne le fis-tu ? », mais on le lui accordera volontiers car les choses ont sans doute changé depuis Goblot[tooltips content= »En 1925 Edmond Goblot écrivait : « La bourgeoisie a la prétention d’être une élite et d’être reconnue pour telle »La barrière et le niveau PUF, 1967, p. 9″]1[/tooltips].

Cependant, Bégaudeau dispose d’un autre argument de poids pour prouver qu’il n’est pas vraiment le bourgeois dont il a l’apparence et qu’on peut trouver en lui la présence réelle du prolétariat souffrant sous les Saintes espèces de son appartement parisien : c’est qu’il est marxiste et qu’il ne tient pas pour réfutée « l’hypothèse communiste ». La façon dont il l’expose vaut la peine qu’on s’y arrête : « Les morts passés et futurs du communisme n’invalident pas les livres qui dessinent l’hypothèse communiste, parce qu’un fait est un citron et une pensée une orange. Un citron n’invalide pas une orange ».

Bégaudeau le rouge et la planète Marx

Qu’un fait ne puisse invalider une pensée surprendra évidemment tous ceux qui, ayant fréquenté un lycée jusqu’à la classe terminale, ont suivi un cours de philosophie sur Théorie et expérience. Si le 19 septembre 1648, Florin Périer, s’étant élevé au sommet du Puy-de-Dôme, n’avait pas constaté que la hauteur du vif-argent dans son tuyau était moindre qu’elle ne l’était dans le jardin des pères Minimes, cela n’aurait-il pas invalidé l’hypothèse de Torricelli que Pascal se proposait de vérifier ? Et, s’agissant du communisme, ceux que leur professeur de philosophie aura initiés à la lecture de Marx s’étonneront qu’on puisse tenir pour marxiste l’idée que la théorie est aussi hétérogène à la pratique que l’orange au citron, du moins s’ils ont lu L’idéologie allemande jusqu’à la fin de la première partie. Y figure en effet une certaine deuxième thèse sur Feuerbach où Marx écrit : « C’est dans la pratique qu’il faut que l’homme prouve la vérité, c’est-à-dire la réalité, et la puissance de sa pensée, dans ce monde et pour notre temps. » Autrement dit, c’est le citron qui prouve la vérité de l’orange, ce dont Lénine se souviendra en disant que « la théorie de Marx est toute-puissante parce qu’elle est vraie ».

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Louis Althusser, qui avait manifestement lu Marx un peu plus attentivement que François Bégaudeau, faisait observer qu’un marxiste, dès lors qu’il professait le primat de la pratique sur la théorie, ne pouvait pas ne pas reconnaître « que la théorie marxiste est bel et bien engagée dans la pratique politique qu’elle inspire ou qui se réclame d’elle »[tooltips content= »Althusser Enfin la crise du marxisme ! in Solitude de Machiavel PUF, 1998, p. 267-279″]2[/tooltips]. Et il précisait : « En tant que marxistes, nous ne pouvons pas nous satisfaire de l’idée que la théorie marxiste existerait quelque part dans sa pureté, sans être engagée et compromise dans l’épreuve des luttes et des résultats historiques où elle est partie prenante comme « guide » pour l’action ».

Bégaudeau se satisfait, pour sa part, de cette idée qui lui permet de justifier le matérialisme historique avec les moyens de l’idéalisme. Il y a là un coup de force théorique qui mérite d’être salué.

La culture, c’est 500 euros le pass!


Chaque citoyen français de 18 ans pourra bientôt bénéficier d’un « pass culture »: un crédit de 500 euros prélevé sur nos impôts « pour qu’il affirme ses goûts et développe sa curiosité culturelle ». En clair, qu’il joue aux jeux vidéo. Parce que tout est culture et que la culture est partout.


En plus de ses centaines de fromages, de ses ponts qui semblent avoir été construits pour que d’heureux jeunes mariés chinois viennent s’y faire photographier et de ses Gaulois réfractaires qui font cauchemarder leurs gouvernants, la France possède un inépuisable réservoir de bureaucrates progressistes dont l’imagination ne s’arrête jamais de turbiner. Pendant qu’on râlait sur les ronds-points contre un État qui se mêle de tout et ne comprend rien, les têtes d’œuf du ministère de la Culture phosphoraient en bande organisée sur la meilleure façon d’emplir de ce qu’ils appellent « culture » les cervelles de la jeunesse connectée. Ils ont évidemment pondu une allocation, appelée « pass culture » parce qu’ils croient que « pass », ça fait jeune, grâce à laquelle 10 000 heureux bénéficiaires de l’expérimentation peuvent déjà se gaver de mangas et de jeux vidéo aux frais du contribuable.

La crétinisation par les bons sentiments

Le pass culture semble avoir été confectionné sur mesure pour les cyber-Gédéons annoncés par Gilles Châtelet, « tout ce cyber-bétail de “jeunes à baladeur nomades et libres dans leur tête”, un peu râleurs mais au fond malléables, facilement segmentables en tranches d’âge et en générations, et donc gibier sociologique idéal pour les modes ». Il se présente (forcément) sous la forme d’une « appli », car « en donnant accès à la totalité des propositions culturelles disponibles sur le territoire et en ligne (…) le pass Culture se veut l’utilisation la plus intelligente du téléphone intelligent », peut-on lire dans la très distrayante documentation du ministère. Vu que l’intelligence humaine semble être inversement proportionnelle à celle des objets dont elle peuple le monde, si on voulait les rendre cons, ces jeunes, on ne ferait pas autrement.

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« La crétinisation postmoderne par la communication remplace avantageusement la caporalisation perpétrée par les conservatismes d’autrefois, décrits par Ernest Renan », écrit Châtelet. Sauf que les agents de cette crétinisation ne sont pas inspirés par le cynisme, mais par d’excellents sentiments. Et de nobles ambitions, tambourinées dans l’édito du ministre, Frank Riester : « La transmission de notre culture est ce qui fait de nos enfants des citoyens français. » Suggère-t-il que l’on reconstruise autour des salles de classe des murs aussi hauts que possible, ou que l’on s’abstienne de demander aux jeunes ce qu’ils voudraient ou ce qu’ils accepteraient qu’on leur transmette ? Que nenni. « L’accès aux arts et à la culture partout et pour tous est la mission première de mon ministère. »

La preuve de la culture, c’est la consommation

Dans le lexique (et l’imaginaire) postmoderne des saccageurs de la Rue de Valois, la preuve de la culture, c’est la consommation. Cependant, ils refusent que la culture soit un truc de riches. Comme chacun sait, la lente dégringolade de la lecture évoquée par Livres Hebdo récemment s’explique par le prix faramineux des livres – combien de poches pour un iPhone ? Le ministre n’a donc pas annoncé un grand plan bibliothèque ou un tarif jeunes pour les théâtres subventionnés, mais le versement à chaque jeune de 18 ans de 500 euros à dépenser à sa guise ou presque : « Places de cinéma, de spectacle, d’exposition, livres, instruments de musique, œuvres d’art, abonnements à des services de vidéo à la demande, rencontres, pratique artistique, découverte de métiers… »

Attention, il y a des règles : pas plus de 200 euros en « produits numériques », c’est-à-dire en jeux vidéo et autres séries. Cher jeune, tu n’es pas là pour rigoler, mais pour te cultiver. Et devenir meilleur que tes parents : « Les arts et la culture, écrit encore le ministre, doivent retrouver leur place dans la construction de la citoyenneté et de la sociabilité des jeunes Français, y compris pour les aider à s’émanciper des nouvelles formes d’obscurantisme et d’intolérance qui sévissent ici et là. »

Le jeune est une appli

On pourrait attendre du monde adulte, qui est supposé être celui de l’État, qu’il offre à la jeunesse ce qu’elle ne trouve pas spontanément, et qu’au lieu de l’encourager dans son addiction numérique, qu’il l’aide à se libérer de l’écran de son portable. Dans le monde d’avant, on appelait cela « éduquer ». Seulement, pour ceux qui sont chargés de la défendre, le mot « culture » ne désigne plus les grandes œuvres du passé, ces machins poussiéreux avec lesquels de vieux réacs ronchons découragent les jeunes, il se décline en « propositions », « parcours » et autres « explorations ». « Le pass Culture se veut une mosaïque, un juke-box, un carrousel, un grand bazar, avec de l’ordre et du désordre », s’emballe Éric Gérondeau, ancien conseiller de je ne sais plus quel président. Ouverture, flexibilité, choix, il permettra à chacun de « vivre des expériences au gré des envies et des localisations ». Le jeune naviguera à l’aide d’onglets : « applaudir », « jouer », « pratiquer », « regarder », « écouter », « rencontrer ». Avec, bien sûr, des trucs qui bougent et qui font du bruit. On remarque l’absence notable du terme « lire », on ne va pas effrayer ces bambins avec des gros mots. Ni avec des mots tout court d’ailleurs, cela pourrait freiner leur créativité. L’utilisateur pourra donc se repérer grâce à des images, est-il encore précisé dans la doc. Reste à espérer que YouPorn ne soit pas référencé comme un site culturel.

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L’écriture inclusive ne marchera pas (non plus) chez les chimpanzés


Il manquait une rubrique scientifique à Causeur. Peggy Sastre comble enfin cette lacune. A vous les labos !


Mesdames et messieurs les chimpanzé.e.s

Dans le langage, comme partout, il existe des lois universelles. Parmi celles-ci, la loi de Zipf et la loi de Menzerath. La première, dite aussi principe d’abréviation ou d’efficience, établit que l’amplitude d’un signal est inversement proportionnelle à sa fréquence – voilà pourquoi les mots les plus usités sont en général les plus courts. Selon la seconde, la taille d’une structure linguistique est inversement proportionnelle à celle des éléments qui la constituent. Exemple : plus un mot est long, plus ses syllabes sont brèves. Ce qu’il y a de cocasse avec ces formules, c’est qu’elles sont loin de se limiter au langage articulé. La loi de Zipf se retrouve ainsi chez les cris de macaques, de ouistitis, de chauves-souris ou encore dans les mouvements des dauphins lorsqu’ils remontent à la surface pour faire le plein d’oxygène. Plus fort encore, la loi de Menzerath a été dénichée en biologie moléculaire. Exemples : plus une espèce compte de chromosomes dans son caryotype, plus ils sont petits ; dans le génome humain, le nombre d’exons (des « briques » d’ADN codant) est inversement proportionnel à la taille des gènes qui les composent. Autant dire que le langage n’est visiblement pas une pure « construction sociale » arbitraire, mais semble bien relever de lois naturelles organisant déjà les tout premiers échelons de la vie.

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Plus près de notre arbre, une équipe interdisciplinaire et internationale de scientifiques vient de discerner leur présence dans la communication non verbale des chimpanzés – les positions des mains, du corps, les expressions du visage et autres cris dont les animaux se servent pour se transmettre une palanquée de messages. Conformément aux lois de Zipf et de Menzerath, chez ces primates, les gestes les plus courants sont aussi les plus brefs, et plus une séquence est longue et complexe, plus elle est constituée de gestes courts. Des résultats obtenus grâce à l’analyse de près de 2 000 occurrences de 58 gestuelles filmées chez les chimpanzés de la réserve forestière de Budongo (Ouganda). Il semblerait bien que, malgré leurs énormes différences, un langage de chimpanzé et celui d’un humain reposent sur des principes mathématiques identiques. Des principes constituant le lien évolutionnaire entre gestuelle animale et langage articulé et dévoilant le goût de la nature pour la compression, la parcimonie et l’économie de moyens. Soit la direction à peu près radicalement opposée à celle de l’écriture inclusive. Bienheureuses et bienheureux mesdames et messieurs les chimpanzé.e.s, il leur reste encore un peu de temps avant de tous et toutes devoir s’y faire.

Référence 

Tomber amoureux, c’est aussi se préparer à tomber malade

Parmi les manifestations les plus courantes d’un amour naissant, il y a cette impression diffuse de péter le feu, de pouvoir résister à tout, de déborder d’énergie pulsée par un cœur battant. Pardon pour les romantiques, mais l’origine de ce sentiment d’invincibilité semble se nicher non pas dans l’union des âmes, mais au fin fond de nos cellules immunitaires. Selon une étude menée sur 47 étudiantes (moyenne d’âge 20,5 ans) surveillées pendant deux ans avant, pendant et après une relation hétérosexuelle et monogame, l’amour s’accompagne de modifications dans l’expression des gènes associés à l’immunité, indépendamment de l’état de santé ou de l’activité sexuelle des individus concernés. De fait, ces changements peuvent s’avérer très utiles lorsqu’on entre en contact avec une flore bactérienne jusqu’ici étrangère, comme pour plusieurs processus immunitaires bénéfiques à la reproduction. En particulier, les modifications observées sont impliquées dans l’atténuation des réactions immunitaires inflammatoires, un mécanisme qui permet d’éviter que le fœtus, porteur pour moitié de l’ADN du géniteur, ne soit considéré comme un corps étranger, histoire de garantir une grossesse menée jusqu’à son terme. Le signe des histoires d’amour qui se terminent bien selon le carnet de bal de l’évolution.

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De la loi de la jungle en milieu vaginal

Depuis les années 1970 (grosso modo), l’idée que la reproduction sexuée en passerait par un mâle conquérant venant planter de force sa graine dans une femelle purement et passivement réceptacle a volé en éclats grâce aux avancées de la biologie moléculaire. Ces dernières décennies, la recherche a ainsi complété et complexifié le tableau de la compétition spermatique – la guéguerre que se livrent 60 à 100 millions de spermatozoïdes avant qu’un seul ne gagne les faveurs de l’ovule – et souligne notamment le rôle primordial que joue la physiologie femelle dans tout ce bordel. Publiée la veille de la Saint-Valentin (c’est ce qu’on appelle du timing), une étude analysant de la semence d’homme et de taureau détaille les principaux obstacles que les gamètes mâles doivent surmonter pour rendre une éjaculation féconde. Conduite par Meisam Zaferani, Gianpiero D. Palermo et Alireza Abbaspourrad, chercheurs à l’université Cornell, elle montre en particulier comment les variations de largeur du tube utérin menant à l’ovule forment de véritables goulets d’étranglement qui ne laissent passer que les spermatozoïdes les plus vaillants (en vrai, on dit « motiles »). En outre, la nage caractéristique des spermatozoïdes (par ailleurs super pour leur faire économiser un maximum d’énergie à contre-courant) fait que si, par un coup de bol, les gamètes les plus flagadas arrivent les premiers devant un rétrécissement, ils seront repoussés à l’arrière et verront les plus véloces reprendre la pôle position. Où l’on comprend que l’appareil reproducteur féminin fait tout ce qu’il peut pour garantir la victoire du meilleur spermatozoïde, et ce dans un mépris flagrant pour l’égalité des chances.

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Comment le système a récupéré les gilets jaunes


Pendant quelques semaines, le mouvement des gilets jaunes était un soulèvement populaire. Et puis la gauche est arrivée, l’a transformé en mouvement social et l’a rallié au système, le détournant de son but et le décrédibilisant aux yeux de l’opinion à coups de « casseurs » et de « peste brune ».


Le mouvement des gilets jaunes s’inscrit dans la longue tradition des soulèvements populaires. Il a plus à voir avec les jacqueries d’autrefois qu’avec les manifs des syndicats officiels qui, chaque 1er mai, viennent d’abord rappeler au pouvoir qu’il doit financer les comités d’entreprise et recaser les chefs au Conseil économique et social. Durant un mois merveilleux, il aura joué avec le feu ; les 1er et 8 décembre, l’oligarchie aura eu peur comme jamais. Hélas, cent fois hélas, force est de constater que le système libéral-libertaire est encore plus fort qu’on ne l’imaginait. Il est en train d’avaler les gilets jaunes. Aujourd’hui, c’est évident : ce mouvement politique de type insurrectionnel se transforme en simple mouvement social.

La gauche est étrangère aux gilets jaunes

En démocratie d’opinion, le réel est fabriqué par le complexe économico-médiatique. C’est lui, Bien incarné, qui décide ce qui « fait sens » et ce qui ne le « fait » pas, ce qui est noble et ce qui est sordide. Une procession de cinquante féministes et autant de « people », par exemple, est rien moins qu’ « historique ». En revanche, cent mille ouvriers, artisans, employés qui défilent pour réclamer de mieux vivre de leur travail et d’exercer effectivement le pouvoir, c’est au mieux étrange, au pire fascisant.

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Il fallait voir les duplex, en novembre, en direct des ronds-points ; tels des explorateurs, les journalistes se demandaient sérieusement : qui sont ces gens ? que veulent-ils ? pourquoi ne sont-ils pas contents ? Très vite, pouvoir et médias ont tenté de nazifier la révolte de la France périphérique. Mais la manœuvre ne fonctionnait pas, l’opinion continuait de soutenir très largement les gilets jaunes. Alors, malins au sens propre, plutôt que d’affronter frontalement ce mouvement, ils l’ont réduit à un problème de « fins de mois ». Pour ce faire, sur les plateaux de télé, on a vu défiler les leaders obsédés en premier lieu voire uniquement par le pouvoir d’achat. Des « experts », des associatifs, des personnalités, tous progressistes, venaient défendre dans une certaine mesure les marcheurs du samedi. Le Système a sélectionné ses opposants et leurs soutiens. Qui est allé sur les Champs en novembre et début décembre sait que la gauche y était infiniment minoritaire – d’ailleurs, durant trois semaines, ses leaders liaient les gilets jaunes au 6 février 1934. Oui, en ce temps-là, les seuls drapeaux que l’on voyait, c’étaient le tricolore et ceux de nos vieilles provinces. Mais face aux journalistes, il n’y avait ni patriote, ni identitaire, ni monarchiste, ni péguyste, ni droitard.

Détournement de bien social

La gauche, parfaitement étrangère au mouvement, put ainsi l’infiltrer et le corrompre. Semaine après semaine, bénéficiant sur le terrain de l’appui des antifas – ses enfants turbulents – qui ont, eux, le droit de tabasser en toute impunité quand un ouvrier ligérien qui lance un pot de rillettes sur les CRS écope de trois mois ferme, elle a modifié la trajectoire des gilets jaunes. Il s’agissait à l’origine de prendre l’Elysée ; à présent, on marche sans but dans les rues de Paris et d’ailleurs, sous les gémissements des assis, des rentiers, des cocus volontaires, des retraités, des fatalistes qui n’en peuvent plus de ne pas pouvoir faire tranquillement les boutiques le week-end et sont au bord du malaise vagal lorsqu’une jardinière brûle.

L’incontestable baisse du nombre de manifestants s’explique, outre la peur légitime de perdre un œil ou une main, par le changement de nature du mouvement, dans lequel les « petits blancs » de province ne se reconnaissent plus – quand ils n’en ont pas été chassés manu militari. Aucune de leurs revendications n’a été satisfaite. Le président de la République continue de jouer la montre et du gourdin ; grâce à son grand débat que les journalistes commentent avec l’enthousiasme de collégiennes à un concert de Justin Bieber et dans lequel, comme eût dit Muray, le réel se dissout, il reforme les rangs de la bourgeoisie trouillarde qui l’a élu et dont il est, plus encore face aux gueux-analphabètes-ratés, le héros de classe.

Il était une fois l’a-révolution

Peut-on encore faire la révolution, c’est-à-dire renverser l’ordre établi, au temps de MeToo et alors que le salut de l’humanité – excusez du peu – dépendrait d’une adolescente suédoise qui donne envie à toute personne sensée de manger une vache vivante en s’aspergeant d’huile de palme ? Les formes de la lutte conditionnent son résultat. L’oligarchie ne fera pas seppuku ; elle est persuadée qu’elle a le droit de gouverner à la place des peuples ; en France, elle prouve depuis quatre mois qu’elle est prête à devenir martiale afin de se défendre. N’en déplaise aux sociaux-démocrates pour qui elle est un séminaire de travail, la politique est un rapport de force. Et un changement radical implique forcément de recourir à une violence proportionnée à la résistance du pouvoir en place. Le syndrome Malik Oussekine hante constamment l’Etat, à qui un peuple dévirilisé – du moins dans les métropoles – réclame de maintenir l’ordre sans faire de victime.

Les milliers de blessés, les dizaines de mutilés, les matraqués parfois par sadisme auraient dû à tout le moins faire tomber le gouvernement et nous ramener aux urnes. Mais qui décide de cela ? Le système. Or, pour ce dernier, jamais la violence monopolisée par l’Etat n’a été plus légitime que contre, au début, « la peste brune », aujourd’hui, « les casseurs ». Il n’entend pas négocier avec ceux qui, supposément agis par la « haine », ressembleraient aux djihadistes. Pour les enfants du pays réel qui continuent de manifester le samedi, le courage physique n’est pas, contrairement à ce que nous ont répété nos institutrices socialistes, un reste de barbarie ; ils ont l’habitude, y compris les filles, de monter au carton à la sortie des bars. Du reste, le flashball et une justice aux ordres calment – et c’est bien normal – l’ardeur de nombre d’entre eux. L’Acte 18, du moins à Paris, ne doit pas faire illusion : comme les semaines précédentes, la violence qui s’y est déployée est surtout celle de ces black blocs dont l’idéologie est fort éloignée des revendications fixées en décembre par les gilets jaunes dans leurs 42 Doléances. Cette brutalité-là se manifeste d’autant plus qu’elle est tolérée par le pouvoir : les gauchistes, éternels idiots utiles du capital, ne font peur qu’aux lectrices de Madame Figaro.

L’école des drames

Le mouvement des gilets jaunes est condamné à moyen terme. Il meurt d’avoir été trop poli, de n’avoir pas assumé son caractère réactionnaire face à un système qui le lui a d’ailleurs interdit, prophétisant les récupérations les plus torves pour mieux le récupérer lui-même. N’empêche, un temps très court, dans la rue, souverainistes de gauche et de droite, jacobins et gaullistes, vrais anars et scouts d’Europe, ont manifesté ensemble. Seule cette alliance est politiquement en mesure de redonner le pouvoir au peuple. L’oligarchie le sait et c’est pourquoi, dans le pays européen où le système électoral est par ailleurs le moins démocratique, elle réprime avec une férocité inédite. Elle va gagner une bataille. Mais pour des milliers de jeunes gens sans formation politique, ces longs samedis sous les bombes lacrymogènes auront été une formidable école.

La bassesse morale de soutiens du pouvoir capables de dire « bien fait ! » en voyant une personne en fauteuil roulant se faire renverser par des gendarmes, les interpellés « préventivement », les filles traînées par les cheveux, les dames âgées molestées par des CRS rigolards ; les jérémiades des Griveaux, Schiappa, des éditocrates « fatigués », le racisme social assumé des Gantzer, Berléand, Bernard-Henri Lévy, le cynisme de Castaner ne seront pas oubliés de sitôt. Et dans six mois, deux ans, quand tout recommencera, nourris de cette expérience, peut-être les gilets jaunes iront-ils au bout, cette fois. Car la peur décroît, et ça, c’est immense.

Ce wikinaute obsessionnel qui recense les personnalités juives

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Le Journal du dimanche a révélé qu’un internaute recensait des personnalités d’origines juives sur l’encyclopédie en ligne. Il n’a tenu aucun propos antisémite, mais des indices sérieux rendent néanmoins sa démarche préoccupante.


Dans son édition du 16 mars, le Journal du dimanche révélait qu’un internaute était intervenu sur les fiches Wikipedia d’une soixantaine de personnalités pour mentionner leurs origines juives. Reprise par Le Point, Europe 1 puis l’édition en français du Times of Israel, l’information a semé le trouble. Agissant sous le pseudonyme de « Kouassijp », l’intéressé n’a pas tenu de propos antisémites. Les origines juives des personnalités sur lesquelles il s’est penché sont en général inscrites dans leur patronyme (la cinéaste Josée Dayan, le violoniste Isaac Stern, la journaliste Judith Silberfeld, etc.).

Concernant des célébrités basques ou aveyronnaises, l’entreprise serait anodine. Envers des personnalités d’origines juives, elle peut être ambiguë et suscite immédiatement un débat sur le « Bistro » de Wikipedia, le forum où les contributeurs expérimentés débattent du fonctionnement de l’encyclopédie en ligne.

« La majorité des contributions de l’utilisateur porte là-dessus »

D’emblée, « Epsilon0 » souligne que le Wikipedia anglophone comprend des « Lists of Jews » et des « Lists of people by belief » (liste de juifs et liste de gens par croyance) « qui ne posent pas de problème ». « C’est plus insidieux », lui répond Christophe Benoit. « Ce qui est douteux, c’est que la majorité des contributions de l’utilisateur porte là-dessus », abonde Jules. S’ensuit un débat un peu abstrait sur le sourçage et la pertinence des informations. « Quoi qu’on pense des contributions de @Kouassijp« , finit par relever Guise, « je constate que l’intéressé ne prend pas la peine d’expliquer sa démarche ».

Il suit pourtant la polémique de très près. Dès le 18 mars, en effet, Kouassijp enclenche la marche arrière. Il efface ses contributions à toute vitesse, remaniant 78 fiches entre 17h05 et 17h46, soit deux à la minute ! La manœuvre ne saute pas aux yeux, car Kouassijp a un autre pseudonyme sur Wikipedia, Junisso12.

Des nouvelles de Léon Degrelle

Et c’est ce second pseudonyme qui éclaire son comportement. Junisso12 est actif sur Wikipedia depuis janvier 2017. De prime abord, la liste de ses interventions est déconcertante. Il écrit sur des auteurs très confidentiels. Il faut peu de temps, néanmoins, pour vérifier que ces auteurs, vivants ou décédés, sont presque tous des traditionalistes catholiques de droite ou d’extrême droite. La première contribution de Junisso12 concernait Léon Degrelle (1906-1994), homme de presse belge catholique, qui a fini la Seconde Guerre mondiale sous l’uniforme SS. Peut-on vraiment s’intéresser à Léon Degrelle et recenser des origines juives en toute innocence ?

Autre constat facile à établir, un grand nombre des auteurs sur lesquels a d’abord écrit Junisso12 (Marion SigautJean-Pierre DickesBernard Tissier de MalleraixFrançois-Marie AlgoudJacques d’ArnouxEtienne CouvertJean-Claude Lozac’hmeur, Jacques Ploncard d’AssacJean VaquiéLouis JugnetJean-Pierre Dickès...) ont étés édités ou sont distribués par la même maison, les éditions de Chiré. Egalement connues sous l’intitulé Diffusion de la pensée française, il s’agit d’une petite structure basée dans le village de Chiré-en-Montreuil (Vienne). Contacté, l’éditeur ne voit pas du tout qui, dans ses rangs ou parmi ses très fidèles lecteurs, pourrait être Junisso12. La sphère catholique traditionaliste d’extrême droitn’est pourtant pas si large. 

Da Vinci code

Causeur est en mesure de donner un indice supplémentaire. Junisso12 a au minimum quelques rudiments de japonais. « Ju-ni » veut dire douze dans cette langue, et « So » signifie moines, ou apôtres. Le pseudonyme choisi est une référence transparente aux 12 apôtres. Jamais de pseudonyme à clé, ils sont trop faciles à percer ! Les résistants anti-nazis le savaient, mais Junisso12 n’a peut-être pas eu le temps ou l’envie de lire leurs mémoires.

« L’Arche russe », le grand film « réactionnaire » ressort au cinéma


Le très beau film d’Alexandre Sokourov, L’Arche russe, ressort au cinéma. Ce qui ne doit pas ravir la critique qui en avait fait en 2002 un film « réactionnaire ».


On ne saurait trop féliciter les responsables de cette nouvelle sortie du sublime film L’Arche russe, que le cinéaste Alexandre Sokourov réalisa en 2002. Un joli pied-de-nez tout d’abord à une certaine critique bien-pensante qui a toujours détesté cette œuvre immédiatement classée « réactionnaire ». Et une belle occasion de la découvrir ou de la redécouvrir sous son meilleur jour, c’est-à-dire sur le grand écran d’une salle de cinéma.

Un monde perdu

L’arche du titre, c’est le coffre qui au XVIe siècle contenait des trésors et des archives. Soit une véritable plongée dans les salles du musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg. Naviguant de pièce et pièce, Sokourov filme le temps de l’Histoire en marche, embrassant dans un même mouvement des siècles disparates et des destins divers.

A lire aussi: « Nos vies formidables »: le cinéma français dépendant de la compassion

Une insondable nostalgie mélancolique préside aux destinées de ce voyage ininterrompu. Les époques, les artistes et les œuvres revivent sous nos yeux émerveillés. C’est un monde disparu que filme le cinéaste, à la manière de Visconti dans Le Guépard. Les deux films ont d’ailleurs en commun une virtuose scène de bal, comme s’il s’agissait de filmer le deuil au travail à travers ces couples virevoltants.

Mais le propre du cinéma est alors de les fixer à jamais : si ni la mort ni le soleil ne se peuvent fixer en face, comme le disait La Rochefoucauld, le cinéma est capable, lui, d’accomplir ce prodige, tout en nous faisant demeurer vivants.

L’Arche russe, d’Alexandre Sokourov. Sortie le 20 mars 2019. 

Attentats de Bruxelles : trois ans après, rien n’a changé

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Rassemblement contre le terrorisme, Molenbeek, novembre 2015. Auteurs : Frederic Sierakowski/ISOP/SIPA. Numéro de reportage : 00731247_000025

Trois ans après les attentats de Bruxelles, la Belgique poursuit sa politique de l’autruche face à l’islamisme. Au grand dam des rescapés.


Le 22 mars 2016, un épais manteau de brume enveloppait Bruxelles au lever du jour. Une fois dissipé, le soleil a repris ses droits. Les seules préoccupations du jour auraient dû se limiter au registre vestimentaire. Laisser sa grosse veste au porte-manteau? Oser les sandales (non sans avoir pris le temps de poser du vernis) ?

Au chaos succède l’oubli

En cette journée marquée du sceau de l’insouciance printanière, bien peu de choses étaient là pour rappeler à la population que des vies et des membres ont été arrachés par des bombes de l’Etat islamique et qu’il y a trois ans, l’aéroport de Zaventem et la station de métro de Malbeek située en plein cœur du quartier européen se sont subitement transformés en théâtre de guerre.

Hier, 22 mars, on aurait pu imaginer toutes les sirènes de Bruxelles retentir pour célébrer le dévouement des services de secours et associer l’ensemble de la population à la douleur de ceux qui ont péri ou survécu aux attentats. Rien de cela !

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Par la grâce du déni, au chaos succède l’oubli. Il y a bien eu une minute de silence et quelques discours de victimes. Mais comme son nom l’indique, la minute de silence ne fait pas de bruit ; elle ne fait pas de vague. Elle offre à ceux qui souffrent l’occasion de continuer à souffrir en silence alors qu’ils seraient nombreux à vouloir hurler leur douleur.

On parle de commémorations. Mais sur quoi devraient-elles porter ? Sur l’énième acte d’une guerre que l’on n’en finit pas de déclarer à l’Occident depuis le 11 septembre 2001 ? Au lendemain de chaque attentat, les autorités se fendent d’un discours au ton martial avec du « war on terror » en guise de refrain. Et puis rien. Tout s’évanouit faute d’un Churchill et d’un Patton pour donner un peu de consistance à ces postures guerrières.

32 morts et des centaines de blessés

En Belgique, l’incompétence des ministres qui se sont succédé durant de trop longues années à la tête de la Justice et de l’Intérieur a eu un terrible coût : 32 morts et des centaines de blessés, sans compter les victimes de Nemmouche, un autre soldat de l’EI dont la condamnation a perpétuité est tombée la semaine dernière.

Ironie du sort, l’ex-ministre de l’intérieur, Joëlle Milquet, qui ne refusait pas un selfie avec un djihadiste, avait démissionné en 2014 après avoir été inquiétée par la justice pour de possibles emplois fictifs destinés à « sensibiliser » des électorats de niches ethniques. Recasée à la Commission auprès de Jean-Claude Junker qui l’avait mandatée pour remettre un rapport portant sur les victimes du terrorisme, elle a finalement accouché le 11 mars dernier d’un document ponctué de yakas, véritable un manuel d’enfonçage de portes ouvertes.

De leur côté, les victimes des attentats attendent beaucoup plus des autorités qu’elles jugent défaillantes tant sur l’action préventive par rapport à cette vague d’attentats que sur la prise en charge et la réparation des dommages.

Assumons la guerre

Parmi les voix qui parviennent à déchirer le silence de bon aloi, celle de Karen Northshield, vent debout. Ancienne nageuse de haut-niveau, elle doit son salut à une condition physique hors du commun et à un mental à l’épreuve des balles. Polytraumatisée et toujours hospitalisée pour une durée encore indéterminée elle demande aux autorités de reconnaître le statut d’invalide de guerre aux victimes d’actes terroristes. Une telle reconnaissance serait de nature à faciliter les démarches des victimes. Mais ce serait aussi une grande avancée sur le plan symbolique. A l’heure où de nombreux Etats s’ouvrent sérieusement à la perspective d’un retour des familles de combattants djihadistes, pas sûr qu’ils choisissent de se ranger du côté des victimes en édictant des dispositions qui conduiraient à coucher le mot « guerre » dans une disposition légale.

A Zaventem, la statue emblématique qui habitait le hall des départs de l’aéroport, « flight in mind », endommagée lors des attentats a été restaurée pour être pudiquement exfiltrée et reléguée dès 2017 à l’extérieur du bâtiment dans un « Memorial Garden » qu’aucun voyageur ne visitera. Planquez cet attentat que je ne saurais voir ! In memoriam, oui, mais a minima ! Ceci n’est pas une guerre…

Immigration et intégration: avant qu'il ne soit trop tard...

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Benalla: quand la Macronie reproche au Sénat de respecter la loi…

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Richard Ferrand et Edouard Philippe à l'Assemblée nationale. ©WITT/SIPA - CHAMUSSY/SIPA / 00882388_000043 -00882388_000043

Edouard Philippe, Richard Ferrand, Benjamin Griveaux… Les hommes du président se livrent à une drôle de guerre contre le Sénat à qui ils reprochent – sans le savoir ? – d’avoir fait son devoir. L’affaire Benalla perturbe la Macronie de façon bien surprenante…


C’est une banalité que de constater l’impéritie et l’amateurisme qui caractérisent le gouvernement d’Édouard Philippe et l’entourage d’Emmanuel Macron. On y rencontre des personnages accablants chez lesquels se mélangent médiocrité, inculture, cupidité et absence du sens du ridicule.

Le coq et les perroquets

Mais finalement, le pire est atteint lorsque l’Élysée sollicite les parlementaires, leur fournissant un kit d’éléments de langage absurdes et antirépublicains. La principale qualité exigée par LREM pour ses candidats devait être le psittacisme. Spectacle inquiétant que celui de ces petits télégraphistes mandatés pour aller faire le tour des plateaux multipliant les énormités. C’est ce qui vient de se produire avec le nouvel épisode sénatorial du feuilleton Benalla.

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On rappelle brièvement qu’utilisant ses prérogatives prévues par la Constitution, la commission des lois de la Haute assemblée s’est constituée en commission d’enquête. Elle a réalisé son travail, notamment par de nombreuses auditions, rédigé et publié son rapport, avant de respecter ses obligations et de saisir le parquet du tribunal de Paris pour des faits susceptibles de recevoir des qualifications pénales, dont elle avait eu connaissance. Respecter la Constitution et la loi française, manifestement, dès qu’il s’agit d’Alexandre Benalla, à l’Élysée on n’aime pas. Donc, pendant les travaux, multiplication des obstructions, des rodomontades et déploiement d’une propagande passablement scandaleuse.

Séparer Benjamin Griveaux du pouvoir

On ne reviendra pas sur tous les épisodes. On peut simplement rappeler l’offensive élyséenne relayée par les perroquets habituels au moment de la publication du rapport. Avec, sortant du bec, la dénonciation du crime abject soi-disant commis par le Sénat : « L’atteinte à la séparation des pouvoirs ». Avec Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, on possède un exemplaire de ce que le macronisme peut produire de pire. On prendra donc ses propos comme emblème de l’inanité des arguments invoqués pour tenter de désamorcer le caractère accablant du rapport sénatorial. Que nous dit l’homme qui coche toutes les cases : « L’Elysée aura l’occasion d’apporter des réponses factuelles sur manifestement beaucoup de contre-vérités qui se trouvent présentes dans le rapport ». Première observation : un mois plus tard, l’Élysée n’a apporté absolument aucune réponse factuelle malgré cette promesse…

Notre virtuose du droit constitutionnel poursuit : « Nous sommes très attachés à la séparation stricte des pouvoirs dans notre pays […] Mais je trouve curieux que les assemblées aient à se prononcer sur l’organisation du pouvoir exécutif. Si le pouvoir exécutif se prononçait sur l’organisation du travail des assemblées, on crierait à la fin de la séparation des pouvoirs. » On se pince pour être sûr que l’on n’est pas dans un cauchemar, celui qui nous fait constater que le porte-parole du gouvernement de la République française se permet de proférer de pareilles énormités. Comme on va le voir, la séparation des pouvoirs a bon dos quand il s’agit de dire absolument n’importe quoi.

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Il serait donc curieux que les assemblées aient à se prononcer sur l’organisation du pouvoir exécutif. C’est pourtant ce que dit explicitement la Constitution dans son article 24 : « Le Parlement vote la loi. Il CONTRÔLE l’action du Gouvernement. Il ÉVALUE les politiques publiques. » L’article 51–2 indique explicitement que pour exercer ses missions les assemblées peuvent constituer en leur sein des commissions d’enquête. Qui dit mieux Monsieur Griveaux ? Mais comme pour vous la vérité ne semble pas être quelque chose d’important, vous ne vous arrêtez pas en si bon chemin et enfilez une deuxième perle avec cette sidérante affirmation qu’on va répéter pour être bien sûr de l’avoir entendue : « Si le pouvoir exécutif se prononçait sur l’organisation du travail des assemblées, on crierait à la fin de la séparation des pouvoirs » Heu… Monsieur le porte-parole, c’est exactement ce que prévoit la Constitution. Jusqu’à la réforme de 2008, dans le parlementarisme « rationalisé » initialement instauré en 1958, c’était le gouvernement qui fixait par priorité l’ordre du jour des assemblées. La réforme de juillet 2008 en a fait une compétence partagée, et la simple lecture de l’article 48 démontre bien que l’exécutif dispose encore et toujours de prérogatives très fortes et essentielles concernant « l’organisation du travail des assemblées ». Alors Monsieur Griveaux, soit vous vous moquez du monde – ce qui compte tenu de votre arrogance habituelle est l’hypothèse la plus probable -, soit vous devez lire la Constitution. Ce que tout cela démontre en tout cas c’est que vous n’avez pas grand-chose à faire à la place que vous a offerte Emmanuel Macron.

On ne touche pas à Benalla

Dernier épisode en date du feuilleton Benalla, la transmission au parquet par le bureau du Sénat d’un « signalement » au parquet de Paris. Immédiate levée de boucliers au sein de la Macronie en panique : on ne touche pas à Alexandre Benalla ! Face à l’abominable affront, le Premier ministre Édouard Philippe, entre deux déplacements au Havre pour faire démissionner son successeur à la mairie, a trouvé intelligent d’insulter le Sénat en refusant de s’y présenter pour la séance des questions au gouvernement. Richard Ferrand des mutuelles de Bretagne a, quant à lui, refusé d’apparaître sur une tribune aux côtés du président du Sénat. Bravades ridicules et déshonorantes, qui font peu de cas du fonctionnement de la République et du cadre juridique dans lequel tout ceci se déroule.

Une fois de plus, il faut revenir aux règles qui s’appliquent et dont l’examen démontre l’absence totale de culture républicaine des deux hauts personnages de l’État qui se livrent à ces pantalonnades.

Le Sénat n’a fait que son devoir

Le bureau du Sénat n’a fait que son devoir. On rappellera que les auditions devant les commissions d’enquête sont organisées par la loi et en application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, tout mensonge y est considéré comme un faux témoignage lourdement sanctionné par l’article 434–13 du Code pénal. Par conséquent, si la commission d’enquête a relevé des faits susceptibles de recevoir les qualifications prévues par le Code pénal, elle devait en informer le parquet, en application du texte de l’ordonnance qui stipule : « Les poursuites prévues au présent article sont exercées à la requête du président de la commission ou, lorsque le rapport de la commission a été publié, à la requête du bureau de l’assemblée intéressée. » Dès lors que les faits étaient apparus suffisamment caractérisés, le bureau de la haute assemblée avait compétence liée et était tenu d’en saisir le parquet.

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Comment peut-on donc affirmer, comme le font Premier ministre et autres chevau-légers de la Macronie, que l’application et le respect de la Constitution et de la loi puissent constituer des « opérations politiciennes » et des « atteintes à la séparation des pouvoirs ». Cette obligation de signalement pèse sur tous les agents publics. Et les sénateurs en seraient dispensés ? C’est d’autant plus inadmissible que c’est l’autorité de poursuite, c’est-à-dire le parquet soumis au pouvoir exécutif qui pourra donner suite ou non à ce signalement. De ce point de vue, compte tenu de l’attitude du parquet de Paris depuis l’arrivée de son nouveau « patron », l’entourage d’Emmanuel Macron n’a pas grand-chose à craindre.

La République des « factieux »

Dûment chapitrés, des petits soldats LREM sont montés au front. Munis de leurs éléments de langage concoctés en haut lieu et proférant force contrevérités, ils sont venus se déshonorer à leur tour. Une prime pour Florian Bachelier, avocat de son état, et donc juriste, qui n’a pas hésité à tweeter : « La justice est un sujet suffisamment complexe et sensible pour ne la laisser qu’à des professionnels dont c’est le métier et la formation. Je pense que les parlementaires ne savent pas rendre justice ».

Culot d’acier que de prétendre que les sénateurs ont rendu justice ou voulu le faire alors qu’ils n’ont que saisi l’autorité de la République compétente pour le faire. Monsieur Bachelier n’a même pas l’excuse de l’ignorance.

Les réseaux sont pleins de ces agressions politiques et mensongères contre le Sénat proférées par des députés qui ne voient aucun inconvénient à affaiblir les institutions républicaines. La palme cependant à un récidiviste : Sacha Houlié, avocat également et issu du Mouvement des Jeunes socialistes (MJS) que Mitterrand qualifiait d’école du crime. Il ajoute la menace au mensonge: « Coup de force du Sénat qui s’érige accusateur public. La confusion des genres est totale. Sa méprise sur son rôle est une forme de déconnexion. Celle-ci devra être traitée ». Traitée comment Monsieur Houlié ? En supprimant le Sénat ? Ou mieux, en provoquant sa dissolution avec vos petits bras musclés ?

Décidément, qui sont ces gens, qui sont ces ministres, ces présidents d’Assemblée, ces parlementaires, ces collaborateurs, ces hauts fonctionnaires qui passent leur temps à brutaliser les institutions et à applaudir les violations de la loi ? Qui sont ces gens qui se précipitent pour défendre bec et ongles des dévoyés qui ont entouré et probablement entourent encore le président de la République. La réponse est simple : des factieux. Dont il est urgent que la République se débarrasse.

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Si Cinecittà nous était conté

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Sophia Loren. Auteurs : Lennox McLendon/AP/SIPA. Numéro de reportage : AP22123627_000008

Le célèbre critique de cinéma Philippe d’Hugues publie Viva Cinecittà !, un panorama du cinéma italien d’après-guerre à travers l’étude de ses douze cinéastes les plus représentatifs.


Une petite anecdote personnelle pour commencer : au mitan des années 90, on m’offrit un ouvrage qui combla le jeune cinéphile que j’étais alors. Il s’agissait d’un Almanach du cinéma confectionné au moment du centenaire du septième art. Cet ouvrage de Philippe d’Hugues, synthétique et richement illustré, fut une mine pour moi à une époque où il n’était pas forcément facile d’avoir des informations sur l’histoire du cinéma, mis à part les traditionnels dictionnaires et autres guides des films. En revanche, j’ignorais tout de l’auteur de cette « bible » qui a pourtant beaucoup écrit sur le cinéma et qui collabora aussi bien à Positif qu’aux Cahiers du cinéma.

Viva Cinecittà ! qui vient de sortir est un panorama du cinéma italien d’après-guerre à travers l’étude des douze cinéastes les plus représentatifs selon l’auteur : Blasetti, Soldati, De Sica, Rossellini, Visconti, Fellini, Antonioni, Pasolini, Cottavafi, Comencini, Rosi et Olmi. D’Hugues justifie ce choix en annonçant que son ambition n’était pas de faire un nouveau dictionnaire.

Cette subjectivité avait tout pour nous réjouir mais l’auteur n’évite malheureusement pas l’écueil de la notice encyclopédique. En revenant sur ces douze cinéastes, d’Hugues se contente généralement de passer en revue leurs carrières respectives de manière très factuelle, s’appuyant notamment sur les avis d’autres critiques (essentiellement Tulard, Gili, Bardèche et Brasillach voire Rebatet) pour étayer son tableau. En 1995, le jeune cinéphile que j’étais aurait sans doute trouvé l’ouvrage passionnant et enrichissant. En 2018, à l’heure où toutes les informations données dans le livre se trouvent en un clic sur Internet, on aurait aimé quelque chose de plus personnel, de plus tranchant, de plus « intime ».

Philippe d’Hugues est, bien évidemment, quelqu’un de très cultivé et son livre, bien écrit, se lit très agréablement. On est même plutôt surpris par ses goûts que l’on aurait pu penser plus « classiques » : s’il défend avec ferveur L’Evangile selon saint Mathieu de Pasolini, il ne crache pas pour autant sur la « trilogie de la vie ». De la même manière, s’il estime que Zabriskie Point est le plus raté des films d’Antonioni (à mon humble avis, c’est le meilleur !), il fait un bel éloge du pourtant très « moderne » Profession : Reporter du même cinéaste. Mais il faut reconnaitre qu’on ne trouvera pas dans ce livre des informations qui n’aient déjà été écrites mille fois ailleurs. Même le seul point où d’Hugues se veut un peu original (le néoréalisme n’est pas né avec Rome, ville ouverte mais existait déjà, par certains aspects, durant la période fasciste du cinéma italien) est déjà suffisamment connu.

Ce qui manque cruellement à cet ouvrage, c’est un angle d’attaque plus percutant. Quitte à lire quelqu’un ayant des goûts différents, on aurait préféré la verve provocatrice et rigolarde d’un Alain Paucard ou les lectures très analytiques, stylistiques et esthétiques d’un Jacques Lourcelles. Mais les portraits que nous proposent d’Hugues ne sont pas inintéressants car l’auteur a du style. Les amateurs et les curieux liront néanmoins sans déplaisir ce panorama concis de l’âge d’or du cinéma italien et auront envie de (re)voir tous les films dont il a été question… N’est-ce pas l’essentiel

Viva Cinecittà ! Les douze rois du cinéma italien (2019) de Philippe d’Hugues (Editions de Fallois, 2019)


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Expo: Sécheret, le ciel vu de la terre

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"Brouillard solaire à New-York", Jean-Baptiste Sécheret, 2011-2018. ©Galerie Jacques Elbaz

Le Salon du dessin consacre une exposition au peintre paysagiste Jean-Baptiste Sécheret. La terre, le ciel, les mortels et les dieux s’unissent dans ses oeuvres qui témoignent du temps où l’industrie et la nature coexistaient en paix. 


C’est un nom que vous n’avez jamais entendu, et qu’un petit groupe de connaisseurs et d’amateurs se repasse clandestinement, sous le manteau. Celui d’un peintre d’une cinquantaine d’années, vivant à Paris, qui est déjà étudié et imité par de nombreux disciples dans les écoles des beaux-arts ; que Marc Fumaroli et Jean Clair se désolèrent de n’avoir pu embarquer dans leur exposition sur la peinture française de 2017 ; et que moi-même, après ces grandes autorités, je tiens pour le plus grand peintre de sa génération.

Il s’appelle Sécheret, Jean-Baptiste. Ancien élève des Beaux-Arts, ayant longuement étudié Velázquez et Goya à Madrid, il fut aimé de James Lord, le biographe et le modèle de Giacometti ; et de Raymond Mason, le grand sculpteur sur lequel Bonnefoy a écrit. Ainsi s’inscrit-il dans l’histoire véritable, qui reste encore à écrire, de l’art en France depuis les années 1960, un art qui a pris le maquis, et dont un Sam Szafran est, sachez-le, le bien involontaire général clandestin.

À vous qui ne connaissez pas Sécheret, l’occasion est donnée de vous rattraper à la fin du mois de mars, au Salon du dessin, palais Brongniart, où son galeriste Jacques Elbaz organise une exposition à lui seul consacrée.

Qu’y verra-t-on, à cette exposition one-man-show ?

Sécheret est principalement peintre de paysages. La plage de Trouville, les campagnes du Loir-et-Cher ou de Normandie, les villes et les montagnes italiennes, mais aussi la ligne des toits de New York, lui inspirent désormais la plupart de ses motifs. Il n’y a pas de mise en scène, pas d’histoire, pas de narration.

Sécheret appartient à une école, très française, et dont le point culminant fut sans doute Cézanne, pour qui l’étude du motif, du rapport qu’entretiennent entre elles les formes géométriques des bâtiments et des arbres, ou les couleurs du ciel et de la terre, ou l’étude des innombrables variations de la lumière selon l’heure et les saisons, constitue à soi seul l’objet du travail du peintre. Le peintre est à l’école du motif, c’est ce dernier qui donne sa dignité au tableau, il n’a pas besoin de mettre en scène un « sujet », car l’observation de la simple réalité peut être le travail d’une vie.

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Partout dans ce travail apparaît le souvenir prégnant du xixe siècle, d’un xixe qui précéda immédiatement l’impressionnisme et le rendit possible, celui des paysages de Corot et de Courbet. L’histoire de la peinture hante Sécheret, qui n’hésite pas à remettre ses pas à l’endroit exact où Corot, Cézanne, Seurat ont peint certaines de leurs œuvres les plus célèbres.

Mais Sécheret n’est pas resté figé au xixe siècle et, s’il en reprend les principes esthétiques, il les utilise pour peindre un monde nouveau, ou plutôt un monde que Corot et Courbet n’ont pas vu, mais qui est déjà en train de mourir pour nous, celui de la révolution industrielle. Les gratte-ciel de New York, les cheminées d’usine du Havre au loin de ses vues des Roches noires, et surtout la vieille usine désaffectée de Mondeville lui fournissent l’occasion de certaines de ces études de formes et de tons qu’il aime tant, en même temps que le témoignage précieux d’une époque où l’industrie et la nature ont su coexister en paix.

Il n’y a pas d’êtres humains dans les paysages de Sécheret, lors même que ce dernier a, dans ses tiroirs secrets, des portraits, dessinés ou peints, de toute beauté. Mais partout il y a la terre et le ciel, et sur la terre les beautés de la nature (forêts, montagnes) et celles des constructions humaines (immeubles, fabriques). Cette œuvre retrouve sans même avoir besoin de le savoir (car ici c’est la pensée qui apprend auprès des artistes, et non l’inverse) les quatre éléments du Quadriparti (Geviert) heideggérien, l’union de la terre et du ciel, des mortels et des dieux. Pour l’auguste Teuton, en effet, si l’œuvre d’art avait un sens quelconque, c’était bien de nous faire reconnaître que, comme mortels, nous sommes parties d’un tout, d’une alliance, et partant de nous apprendre à habiter la Terre en regardant vers le haut. « Le regard vers le haut [du poète] parcourt tout l’entre-deux du ciel et de la Terre. Cet entre-deux est la mesure assignée à l’habitation de l’homme », écrivait-il dans L’homme habite en poète.

Si le lecteur m’autorise à rester chez Heidegger, c’est finalement cette chose mystérieuse qu’on pourrait appeler la « présence », après laquelle semble courir notre peintre. Le fait qu’il y ait quelque chose plutôt que rien, l’éternel miracle que représente une habitation ou un arbre qui se dresse devant nous, dans leur solidité, au milieu d’un ciel et d’une lumière que nous ne pouvons toucher, la surprise du « il y a », voilà cet invisible que la peinture de Sécheret nous donne à voir. Voilà ce qui me touche tant dans la façon qu’il a de peindre une ruine romaine qui se détache dans le ciel.

Le résultat est, pour utiliser un mot devenu aujourd’hui tabou dans le monde de l’art, d’une immense beauté. Il faut dire que Sécheret a un don pour la couleur, et peint notamment des ciels extraordinaires, des « beautés météorologiques » analogues à celles que Baudelaire voyait chez Boudin.

Mais prenez garde, même si un penseur allemand m’aide à comprendre cette peinture, celle-ci n’a rien de romantique. Sa tranquille beauté peut décontenancer notre époque habituée, depuis Picasso, les Stones, Scorsese ou Tarantino, à une esthétique du choc, du coup de poing dans la gueule.

La peinture de Sécheret est classique, c’est-à-dire française. Fille de Poussin et de Chardin, elle nous bouleverse en silence, sans roulement de tambour. Elle demande de l’attention, de la lenteur, de la rumination. La lumière qu’il y avait dans le ciel ce soir-là et que le peintre a saisie n’a duré qu’un instant ; mais le fait qu’il y a une terre et un ciel, un matin et un soir, un printemps et un automne, ce fait-là est éternel.

Salon du dessin, palais Brongniart, 75002 Paris, du 27 mars au 1er avril 2019. 

Bégaudeau, le révolutionnaire « prolo » du XIe arrondissement

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François Bégaudeau, 2016. ©Joël SAGET / AFP

Dans Histoire de ta bêtise, François Bégaudeau s’attaque aux électeurs bourgeois de Macron. Lui est différent d’eux: il vit comme un bourgeois mais ne pense pas comme tel, alors ça va. 


François Bégaudeau vient de commettre un libelle intitulé Histoire de ta bêtise dans lequel il s’adresse, en le tutoyant tout au long de deux cents et quelques pages, à l’électeur de Macron pour lui faire honte, tout à la fois, de sa sottise, de son inculture et de son appartenance à la bourgeoisie. Etant donné que lui-même vit fort bourgeoisement dans Paris intramuros, il pressent l’objection qu’on pourrait lui adresser et il la prévient. Certes, il appartient à la bourgeoisie mais il en « envisage » la destitution.

Je ne suis pas bourgeois, la preuve: je ne fais pas le ménage

Il précisera les choses dans une interview accordée à Ouest France le 21 février 2019 : « J’ai accédé à un patrimoine bourgeois sans en emprunter le cadre de pensée. » Comprenons bien : il est bourgeois matériellement, mais pas spirituellement. N’est-ce pas l’essentiel ? L’esprit ne l’emporte-t-il pas sur la matière ? Il possède un appartement dans le XIe arrondissement de Paris. Cependant, nous dit-il, « je suis propriétaire, et je délégitime la propriété ». Mais attention, délégitimer la propriété, ce n’est pas y renoncer (par exemple pour y installer des SDF ou des migrants), c’est la condamner par la pensée tout en la conservant dans la réalité. Pour comprendre cela, il faut, là encore, croire à la force de l’esprit et à sa supériorité sur les conditions matérielles d’existence.

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Bégaudeau est un bourgeois, mais avec un « habitus non bourgeois ». Et il le prouve ! Pour ne pas risquer d’être confondu avec un bourgeois, il ne fait pas le ménage chez lui : « Ici, la règle est le sale ». N’est-il pas bien connu que le peuple est crade et qu’un vrai communiste ne se lave pas ?

« Les morts passés et futurs du communisme n’invalident pas les livres qui dessinent l’hypothèse communiste »

« Le propre du bourgeois, écrit Bégaudeau, c’est de ne jamais se reconnaître comme tel ». Zarathoustra lui répondrait sans doute, comme à l’écumant bouffon : « Si tu me fis avertissement, qu’à toi-même ne le fis-tu ? », mais on le lui accordera volontiers car les choses ont sans doute changé depuis Goblot[tooltips content= »En 1925 Edmond Goblot écrivait : « La bourgeoisie a la prétention d’être une élite et d’être reconnue pour telle »La barrière et le niveau PUF, 1967, p. 9″]1[/tooltips].

Cependant, Bégaudeau dispose d’un autre argument de poids pour prouver qu’il n’est pas vraiment le bourgeois dont il a l’apparence et qu’on peut trouver en lui la présence réelle du prolétariat souffrant sous les Saintes espèces de son appartement parisien : c’est qu’il est marxiste et qu’il ne tient pas pour réfutée « l’hypothèse communiste ». La façon dont il l’expose vaut la peine qu’on s’y arrête : « Les morts passés et futurs du communisme n’invalident pas les livres qui dessinent l’hypothèse communiste, parce qu’un fait est un citron et une pensée une orange. Un citron n’invalide pas une orange ».

Bégaudeau le rouge et la planète Marx

Qu’un fait ne puisse invalider une pensée surprendra évidemment tous ceux qui, ayant fréquenté un lycée jusqu’à la classe terminale, ont suivi un cours de philosophie sur Théorie et expérience. Si le 19 septembre 1648, Florin Périer, s’étant élevé au sommet du Puy-de-Dôme, n’avait pas constaté que la hauteur du vif-argent dans son tuyau était moindre qu’elle ne l’était dans le jardin des pères Minimes, cela n’aurait-il pas invalidé l’hypothèse de Torricelli que Pascal se proposait de vérifier ? Et, s’agissant du communisme, ceux que leur professeur de philosophie aura initiés à la lecture de Marx s’étonneront qu’on puisse tenir pour marxiste l’idée que la théorie est aussi hétérogène à la pratique que l’orange au citron, du moins s’ils ont lu L’idéologie allemande jusqu’à la fin de la première partie. Y figure en effet une certaine deuxième thèse sur Feuerbach où Marx écrit : « C’est dans la pratique qu’il faut que l’homme prouve la vérité, c’est-à-dire la réalité, et la puissance de sa pensée, dans ce monde et pour notre temps. » Autrement dit, c’est le citron qui prouve la vérité de l’orange, ce dont Lénine se souviendra en disant que « la théorie de Marx est toute-puissante parce qu’elle est vraie ».

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Louis Althusser, qui avait manifestement lu Marx un peu plus attentivement que François Bégaudeau, faisait observer qu’un marxiste, dès lors qu’il professait le primat de la pratique sur la théorie, ne pouvait pas ne pas reconnaître « que la théorie marxiste est bel et bien engagée dans la pratique politique qu’elle inspire ou qui se réclame d’elle »[tooltips content= »Althusser Enfin la crise du marxisme ! in Solitude de Machiavel PUF, 1998, p. 267-279″]2[/tooltips]. Et il précisait : « En tant que marxistes, nous ne pouvons pas nous satisfaire de l’idée que la théorie marxiste existerait quelque part dans sa pureté, sans être engagée et compromise dans l’épreuve des luttes et des résultats historiques où elle est partie prenante comme « guide » pour l’action ».

Bégaudeau se satisfait, pour sa part, de cette idée qui lui permet de justifier le matérialisme historique avec les moyens de l’idéalisme. Il y a là un coup de force théorique qui mérite d’être salué.

La culture, c’est 500 euros le pass!

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Elisabeth Lévy ©Hannah Assouline

Chaque citoyen français de 18 ans pourra bientôt bénéficier d’un « pass culture »: un crédit de 500 euros prélevé sur nos impôts « pour qu’il affirme ses goûts et développe sa curiosité culturelle ». En clair, qu’il joue aux jeux vidéo. Parce que tout est culture et que la culture est partout.


En plus de ses centaines de fromages, de ses ponts qui semblent avoir été construits pour que d’heureux jeunes mariés chinois viennent s’y faire photographier et de ses Gaulois réfractaires qui font cauchemarder leurs gouvernants, la France possède un inépuisable réservoir de bureaucrates progressistes dont l’imagination ne s’arrête jamais de turbiner. Pendant qu’on râlait sur les ronds-points contre un État qui se mêle de tout et ne comprend rien, les têtes d’œuf du ministère de la Culture phosphoraient en bande organisée sur la meilleure façon d’emplir de ce qu’ils appellent « culture » les cervelles de la jeunesse connectée. Ils ont évidemment pondu une allocation, appelée « pass culture » parce qu’ils croient que « pass », ça fait jeune, grâce à laquelle 10 000 heureux bénéficiaires de l’expérimentation peuvent déjà se gaver de mangas et de jeux vidéo aux frais du contribuable.

La crétinisation par les bons sentiments

Le pass culture semble avoir été confectionné sur mesure pour les cyber-Gédéons annoncés par Gilles Châtelet, « tout ce cyber-bétail de “jeunes à baladeur nomades et libres dans leur tête”, un peu râleurs mais au fond malléables, facilement segmentables en tranches d’âge et en générations, et donc gibier sociologique idéal pour les modes ». Il se présente (forcément) sous la forme d’une « appli », car « en donnant accès à la totalité des propositions culturelles disponibles sur le territoire et en ligne (…) le pass Culture se veut l’utilisation la plus intelligente du téléphone intelligent », peut-on lire dans la très distrayante documentation du ministère. Vu que l’intelligence humaine semble être inversement proportionnelle à celle des objets dont elle peuple le monde, si on voulait les rendre cons, ces jeunes, on ne ferait pas autrement.

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« La crétinisation postmoderne par la communication remplace avantageusement la caporalisation perpétrée par les conservatismes d’autrefois, décrits par Ernest Renan », écrit Châtelet. Sauf que les agents de cette crétinisation ne sont pas inspirés par le cynisme, mais par d’excellents sentiments. Et de nobles ambitions, tambourinées dans l’édito du ministre, Frank Riester : « La transmission de notre culture est ce qui fait de nos enfants des citoyens français. » Suggère-t-il que l’on reconstruise autour des salles de classe des murs aussi hauts que possible, ou que l’on s’abstienne de demander aux jeunes ce qu’ils voudraient ou ce qu’ils accepteraient qu’on leur transmette ? Que nenni. « L’accès aux arts et à la culture partout et pour tous est la mission première de mon ministère. »

La preuve de la culture, c’est la consommation

Dans le lexique (et l’imaginaire) postmoderne des saccageurs de la Rue de Valois, la preuve de la culture, c’est la consommation. Cependant, ils refusent que la culture soit un truc de riches. Comme chacun sait, la lente dégringolade de la lecture évoquée par Livres Hebdo récemment s’explique par le prix faramineux des livres – combien de poches pour un iPhone ? Le ministre n’a donc pas annoncé un grand plan bibliothèque ou un tarif jeunes pour les théâtres subventionnés, mais le versement à chaque jeune de 18 ans de 500 euros à dépenser à sa guise ou presque : « Places de cinéma, de spectacle, d’exposition, livres, instruments de musique, œuvres d’art, abonnements à des services de vidéo à la demande, rencontres, pratique artistique, découverte de métiers… »

Attention, il y a des règles : pas plus de 200 euros en « produits numériques », c’est-à-dire en jeux vidéo et autres séries. Cher jeune, tu n’es pas là pour rigoler, mais pour te cultiver. Et devenir meilleur que tes parents : « Les arts et la culture, écrit encore le ministre, doivent retrouver leur place dans la construction de la citoyenneté et de la sociabilité des jeunes Français, y compris pour les aider à s’émanciper des nouvelles formes d’obscurantisme et d’intolérance qui sévissent ici et là. »

Le jeune est une appli

On pourrait attendre du monde adulte, qui est supposé être celui de l’État, qu’il offre à la jeunesse ce qu’elle ne trouve pas spontanément, et qu’au lieu de l’encourager dans son addiction numérique, qu’il l’aide à se libérer de l’écran de son portable. Dans le monde d’avant, on appelait cela « éduquer ». Seulement, pour ceux qui sont chargés de la défendre, le mot « culture » ne désigne plus les grandes œuvres du passé, ces machins poussiéreux avec lesquels de vieux réacs ronchons découragent les jeunes, il se décline en « propositions », « parcours » et autres « explorations ». « Le pass Culture se veut une mosaïque, un juke-box, un carrousel, un grand bazar, avec de l’ordre et du désordre », s’emballe Éric Gérondeau, ancien conseiller de je ne sais plus quel président. Ouverture, flexibilité, choix, il permettra à chacun de « vivre des expériences au gré des envies et des localisations ». Le jeune naviguera à l’aide d’onglets : « applaudir », « jouer », « pratiquer », « regarder », « écouter », « rencontrer ». Avec, bien sûr, des trucs qui bougent et qui font du bruit. On remarque l’absence notable du terme « lire », on ne va pas effrayer ces bambins avec des gros mots. Ni avec des mots tout court d’ailleurs, cela pourrait freiner leur créativité. L’utilisateur pourra donc se repérer grâce à des images, est-il encore précisé dans la doc. Reste à espérer que YouPorn ne soit pas référencé comme un site culturel.

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L’écriture inclusive ne marchera pas (non plus) chez les chimpanzés

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©Johan Ordonez / AFP

Il manquait une rubrique scientifique à Causeur. Peggy Sastre comble enfin cette lacune. A vous les labos !


Mesdames et messieurs les chimpanzé.e.s

Dans le langage, comme partout, il existe des lois universelles. Parmi celles-ci, la loi de Zipf et la loi de Menzerath. La première, dite aussi principe d’abréviation ou d’efficience, établit que l’amplitude d’un signal est inversement proportionnelle à sa fréquence – voilà pourquoi les mots les plus usités sont en général les plus courts. Selon la seconde, la taille d’une structure linguistique est inversement proportionnelle à celle des éléments qui la constituent. Exemple : plus un mot est long, plus ses syllabes sont brèves. Ce qu’il y a de cocasse avec ces formules, c’est qu’elles sont loin de se limiter au langage articulé. La loi de Zipf se retrouve ainsi chez les cris de macaques, de ouistitis, de chauves-souris ou encore dans les mouvements des dauphins lorsqu’ils remontent à la surface pour faire le plein d’oxygène. Plus fort encore, la loi de Menzerath a été dénichée en biologie moléculaire. Exemples : plus une espèce compte de chromosomes dans son caryotype, plus ils sont petits ; dans le génome humain, le nombre d’exons (des « briques » d’ADN codant) est inversement proportionnel à la taille des gènes qui les composent. Autant dire que le langage n’est visiblement pas une pure « construction sociale » arbitraire, mais semble bien relever de lois naturelles organisant déjà les tout premiers échelons de la vie.

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Plus près de notre arbre, une équipe interdisciplinaire et internationale de scientifiques vient de discerner leur présence dans la communication non verbale des chimpanzés – les positions des mains, du corps, les expressions du visage et autres cris dont les animaux se servent pour se transmettre une palanquée de messages. Conformément aux lois de Zipf et de Menzerath, chez ces primates, les gestes les plus courants sont aussi les plus brefs, et plus une séquence est longue et complexe, plus elle est constituée de gestes courts. Des résultats obtenus grâce à l’analyse de près de 2 000 occurrences de 58 gestuelles filmées chez les chimpanzés de la réserve forestière de Budongo (Ouganda). Il semblerait bien que, malgré leurs énormes différences, un langage de chimpanzé et celui d’un humain reposent sur des principes mathématiques identiques. Des principes constituant le lien évolutionnaire entre gestuelle animale et langage articulé et dévoilant le goût de la nature pour la compression, la parcimonie et l’économie de moyens. Soit la direction à peu près radicalement opposée à celle de l’écriture inclusive. Bienheureuses et bienheureux mesdames et messieurs les chimpanzé.e.s, il leur reste encore un peu de temps avant de tous et toutes devoir s’y faire.

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Tomber amoureux, c’est aussi se préparer à tomber malade

Parmi les manifestations les plus courantes d’un amour naissant, il y a cette impression diffuse de péter le feu, de pouvoir résister à tout, de déborder d’énergie pulsée par un cœur battant. Pardon pour les romantiques, mais l’origine de ce sentiment d’invincibilité semble se nicher non pas dans l’union des âmes, mais au fin fond de nos cellules immunitaires. Selon une étude menée sur 47 étudiantes (moyenne d’âge 20,5 ans) surveillées pendant deux ans avant, pendant et après une relation hétérosexuelle et monogame, l’amour s’accompagne de modifications dans l’expression des gènes associés à l’immunité, indépendamment de l’état de santé ou de l’activité sexuelle des individus concernés. De fait, ces changements peuvent s’avérer très utiles lorsqu’on entre en contact avec une flore bactérienne jusqu’ici étrangère, comme pour plusieurs processus immunitaires bénéfiques à la reproduction. En particulier, les modifications observées sont impliquées dans l’atténuation des réactions immunitaires inflammatoires, un mécanisme qui permet d’éviter que le fœtus, porteur pour moitié de l’ADN du géniteur, ne soit considéré comme un corps étranger, histoire de garantir une grossesse menée jusqu’à son terme. Le signe des histoires d’amour qui se terminent bien selon le carnet de bal de l’évolution.

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De la loi de la jungle en milieu vaginal

Depuis les années 1970 (grosso modo), l’idée que la reproduction sexuée en passerait par un mâle conquérant venant planter de force sa graine dans une femelle purement et passivement réceptacle a volé en éclats grâce aux avancées de la biologie moléculaire. Ces dernières décennies, la recherche a ainsi complété et complexifié le tableau de la compétition spermatique – la guéguerre que se livrent 60 à 100 millions de spermatozoïdes avant qu’un seul ne gagne les faveurs de l’ovule – et souligne notamment le rôle primordial que joue la physiologie femelle dans tout ce bordel. Publiée la veille de la Saint-Valentin (c’est ce qu’on appelle du timing), une étude analysant de la semence d’homme et de taureau détaille les principaux obstacles que les gamètes mâles doivent surmonter pour rendre une éjaculation féconde. Conduite par Meisam Zaferani, Gianpiero D. Palermo et Alireza Abbaspourrad, chercheurs à l’université Cornell, elle montre en particulier comment les variations de largeur du tube utérin menant à l’ovule forment de véritables goulets d’étranglement qui ne laissent passer que les spermatozoïdes les plus vaillants (en vrai, on dit « motiles »). En outre, la nage caractéristique des spermatozoïdes (par ailleurs super pour leur faire économiser un maximum d’énergie à contre-courant) fait que si, par un coup de bol, les gamètes les plus flagadas arrivent les premiers devant un rétrécissement, ils seront repoussés à l’arrière et verront les plus véloces reprendre la pôle position. Où l’on comprend que l’appareil reproducteur féminin fait tout ce qu’il peut pour garantir la victoire du meilleur spermatozoïde, et ce dans un mépris flagrant pour l’égalité des chances.

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La guerre au français

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Comment le système a récupéré les gilets jaunes

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La devanture du Fouquet's incendiée sur les Champs-Elysées, 16 mars 2019. ©Christophe Ena/AP/SIPA / AP22314003_000049

Pendant quelques semaines, le mouvement des gilets jaunes était un soulèvement populaire. Et puis la gauche est arrivée, l’a transformé en mouvement social et l’a rallié au système, le détournant de son but et le décrédibilisant aux yeux de l’opinion à coups de « casseurs » et de « peste brune ».


Le mouvement des gilets jaunes s’inscrit dans la longue tradition des soulèvements populaires. Il a plus à voir avec les jacqueries d’autrefois qu’avec les manifs des syndicats officiels qui, chaque 1er mai, viennent d’abord rappeler au pouvoir qu’il doit financer les comités d’entreprise et recaser les chefs au Conseil économique et social. Durant un mois merveilleux, il aura joué avec le feu ; les 1er et 8 décembre, l’oligarchie aura eu peur comme jamais. Hélas, cent fois hélas, force est de constater que le système libéral-libertaire est encore plus fort qu’on ne l’imaginait. Il est en train d’avaler les gilets jaunes. Aujourd’hui, c’est évident : ce mouvement politique de type insurrectionnel se transforme en simple mouvement social.

La gauche est étrangère aux gilets jaunes

En démocratie d’opinion, le réel est fabriqué par le complexe économico-médiatique. C’est lui, Bien incarné, qui décide ce qui « fait sens » et ce qui ne le « fait » pas, ce qui est noble et ce qui est sordide. Une procession de cinquante féministes et autant de « people », par exemple, est rien moins qu’ « historique ». En revanche, cent mille ouvriers, artisans, employés qui défilent pour réclamer de mieux vivre de leur travail et d’exercer effectivement le pouvoir, c’est au mieux étrange, au pire fascisant.

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Il fallait voir les duplex, en novembre, en direct des ronds-points ; tels des explorateurs, les journalistes se demandaient sérieusement : qui sont ces gens ? que veulent-ils ? pourquoi ne sont-ils pas contents ? Très vite, pouvoir et médias ont tenté de nazifier la révolte de la France périphérique. Mais la manœuvre ne fonctionnait pas, l’opinion continuait de soutenir très largement les gilets jaunes. Alors, malins au sens propre, plutôt que d’affronter frontalement ce mouvement, ils l’ont réduit à un problème de « fins de mois ». Pour ce faire, sur les plateaux de télé, on a vu défiler les leaders obsédés en premier lieu voire uniquement par le pouvoir d’achat. Des « experts », des associatifs, des personnalités, tous progressistes, venaient défendre dans une certaine mesure les marcheurs du samedi. Le Système a sélectionné ses opposants et leurs soutiens. Qui est allé sur les Champs en novembre et début décembre sait que la gauche y était infiniment minoritaire – d’ailleurs, durant trois semaines, ses leaders liaient les gilets jaunes au 6 février 1934. Oui, en ce temps-là, les seuls drapeaux que l’on voyait, c’étaient le tricolore et ceux de nos vieilles provinces. Mais face aux journalistes, il n’y avait ni patriote, ni identitaire, ni monarchiste, ni péguyste, ni droitard.

Détournement de bien social

La gauche, parfaitement étrangère au mouvement, put ainsi l’infiltrer et le corrompre. Semaine après semaine, bénéficiant sur le terrain de l’appui des antifas – ses enfants turbulents – qui ont, eux, le droit de tabasser en toute impunité quand un ouvrier ligérien qui lance un pot de rillettes sur les CRS écope de trois mois ferme, elle a modifié la trajectoire des gilets jaunes. Il s’agissait à l’origine de prendre l’Elysée ; à présent, on marche sans but dans les rues de Paris et d’ailleurs, sous les gémissements des assis, des rentiers, des cocus volontaires, des retraités, des fatalistes qui n’en peuvent plus de ne pas pouvoir faire tranquillement les boutiques le week-end et sont au bord du malaise vagal lorsqu’une jardinière brûle.

L’incontestable baisse du nombre de manifestants s’explique, outre la peur légitime de perdre un œil ou une main, par le changement de nature du mouvement, dans lequel les « petits blancs » de province ne se reconnaissent plus – quand ils n’en ont pas été chassés manu militari. Aucune de leurs revendications n’a été satisfaite. Le président de la République continue de jouer la montre et du gourdin ; grâce à son grand débat que les journalistes commentent avec l’enthousiasme de collégiennes à un concert de Justin Bieber et dans lequel, comme eût dit Muray, le réel se dissout, il reforme les rangs de la bourgeoisie trouillarde qui l’a élu et dont il est, plus encore face aux gueux-analphabètes-ratés, le héros de classe.

Il était une fois l’a-révolution

Peut-on encore faire la révolution, c’est-à-dire renverser l’ordre établi, au temps de MeToo et alors que le salut de l’humanité – excusez du peu – dépendrait d’une adolescente suédoise qui donne envie à toute personne sensée de manger une vache vivante en s’aspergeant d’huile de palme ? Les formes de la lutte conditionnent son résultat. L’oligarchie ne fera pas seppuku ; elle est persuadée qu’elle a le droit de gouverner à la place des peuples ; en France, elle prouve depuis quatre mois qu’elle est prête à devenir martiale afin de se défendre. N’en déplaise aux sociaux-démocrates pour qui elle est un séminaire de travail, la politique est un rapport de force. Et un changement radical implique forcément de recourir à une violence proportionnée à la résistance du pouvoir en place. Le syndrome Malik Oussekine hante constamment l’Etat, à qui un peuple dévirilisé – du moins dans les métropoles – réclame de maintenir l’ordre sans faire de victime.

Les milliers de blessés, les dizaines de mutilés, les matraqués parfois par sadisme auraient dû à tout le moins faire tomber le gouvernement et nous ramener aux urnes. Mais qui décide de cela ? Le système. Or, pour ce dernier, jamais la violence monopolisée par l’Etat n’a été plus légitime que contre, au début, « la peste brune », aujourd’hui, « les casseurs ». Il n’entend pas négocier avec ceux qui, supposément agis par la « haine », ressembleraient aux djihadistes. Pour les enfants du pays réel qui continuent de manifester le samedi, le courage physique n’est pas, contrairement à ce que nous ont répété nos institutrices socialistes, un reste de barbarie ; ils ont l’habitude, y compris les filles, de monter au carton à la sortie des bars. Du reste, le flashball et une justice aux ordres calment – et c’est bien normal – l’ardeur de nombre d’entre eux. L’Acte 18, du moins à Paris, ne doit pas faire illusion : comme les semaines précédentes, la violence qui s’y est déployée est surtout celle de ces black blocs dont l’idéologie est fort éloignée des revendications fixées en décembre par les gilets jaunes dans leurs 42 Doléances. Cette brutalité-là se manifeste d’autant plus qu’elle est tolérée par le pouvoir : les gauchistes, éternels idiots utiles du capital, ne font peur qu’aux lectrices de Madame Figaro.

L’école des drames

Le mouvement des gilets jaunes est condamné à moyen terme. Il meurt d’avoir été trop poli, de n’avoir pas assumé son caractère réactionnaire face à un système qui le lui a d’ailleurs interdit, prophétisant les récupérations les plus torves pour mieux le récupérer lui-même. N’empêche, un temps très court, dans la rue, souverainistes de gauche et de droite, jacobins et gaullistes, vrais anars et scouts d’Europe, ont manifesté ensemble. Seule cette alliance est politiquement en mesure de redonner le pouvoir au peuple. L’oligarchie le sait et c’est pourquoi, dans le pays européen où le système électoral est par ailleurs le moins démocratique, elle réprime avec une férocité inédite. Elle va gagner une bataille. Mais pour des milliers de jeunes gens sans formation politique, ces longs samedis sous les bombes lacrymogènes auront été une formidable école.

La bassesse morale de soutiens du pouvoir capables de dire « bien fait ! » en voyant une personne en fauteuil roulant se faire renverser par des gendarmes, les interpellés « préventivement », les filles traînées par les cheveux, les dames âgées molestées par des CRS rigolards ; les jérémiades des Griveaux, Schiappa, des éditocrates « fatigués », le racisme social assumé des Gantzer, Berléand, Bernard-Henri Lévy, le cynisme de Castaner ne seront pas oubliés de sitôt. Et dans six mois, deux ans, quand tout recommencera, nourris de cette expérience, peut-être les gilets jaunes iront-ils au bout, cette fois. Car la peur décroît, et ça, c’est immense.

Ce wikinaute obsessionnel qui recense les personnalités juives

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wikipedia juifs antisemitisme chire
Louis de Funès dans "Rabbi Jacob".

Le Journal du dimanche a révélé qu’un internaute recensait des personnalités d’origines juives sur l’encyclopédie en ligne. Il n’a tenu aucun propos antisémite, mais des indices sérieux rendent néanmoins sa démarche préoccupante.


Dans son édition du 16 mars, le Journal du dimanche révélait qu’un internaute était intervenu sur les fiches Wikipedia d’une soixantaine de personnalités pour mentionner leurs origines juives. Reprise par Le Point, Europe 1 puis l’édition en français du Times of Israel, l’information a semé le trouble. Agissant sous le pseudonyme de « Kouassijp », l’intéressé n’a pas tenu de propos antisémites. Les origines juives des personnalités sur lesquelles il s’est penché sont en général inscrites dans leur patronyme (la cinéaste Josée Dayan, le violoniste Isaac Stern, la journaliste Judith Silberfeld, etc.).

Concernant des célébrités basques ou aveyronnaises, l’entreprise serait anodine. Envers des personnalités d’origines juives, elle peut être ambiguë et suscite immédiatement un débat sur le « Bistro » de Wikipedia, le forum où les contributeurs expérimentés débattent du fonctionnement de l’encyclopédie en ligne.

« La majorité des contributions de l’utilisateur porte là-dessus »

D’emblée, « Epsilon0 » souligne que le Wikipedia anglophone comprend des « Lists of Jews » et des « Lists of people by belief » (liste de juifs et liste de gens par croyance) « qui ne posent pas de problème ». « C’est plus insidieux », lui répond Christophe Benoit. « Ce qui est douteux, c’est que la majorité des contributions de l’utilisateur porte là-dessus », abonde Jules. S’ensuit un débat un peu abstrait sur le sourçage et la pertinence des informations. « Quoi qu’on pense des contributions de @Kouassijp« , finit par relever Guise, « je constate que l’intéressé ne prend pas la peine d’expliquer sa démarche ».

Il suit pourtant la polémique de très près. Dès le 18 mars, en effet, Kouassijp enclenche la marche arrière. Il efface ses contributions à toute vitesse, remaniant 78 fiches entre 17h05 et 17h46, soit deux à la minute ! La manœuvre ne saute pas aux yeux, car Kouassijp a un autre pseudonyme sur Wikipedia, Junisso12.

Des nouvelles de Léon Degrelle

Et c’est ce second pseudonyme qui éclaire son comportement. Junisso12 est actif sur Wikipedia depuis janvier 2017. De prime abord, la liste de ses interventions est déconcertante. Il écrit sur des auteurs très confidentiels. Il faut peu de temps, néanmoins, pour vérifier que ces auteurs, vivants ou décédés, sont presque tous des traditionalistes catholiques de droite ou d’extrême droite. La première contribution de Junisso12 concernait Léon Degrelle (1906-1994), homme de presse belge catholique, qui a fini la Seconde Guerre mondiale sous l’uniforme SS. Peut-on vraiment s’intéresser à Léon Degrelle et recenser des origines juives en toute innocence ?

Autre constat facile à établir, un grand nombre des auteurs sur lesquels a d’abord écrit Junisso12 (Marion SigautJean-Pierre DickesBernard Tissier de MalleraixFrançois-Marie AlgoudJacques d’ArnouxEtienne CouvertJean-Claude Lozac’hmeur, Jacques Ploncard d’AssacJean VaquiéLouis JugnetJean-Pierre Dickès...) ont étés édités ou sont distribués par la même maison, les éditions de Chiré. Egalement connues sous l’intitulé Diffusion de la pensée française, il s’agit d’une petite structure basée dans le village de Chiré-en-Montreuil (Vienne). Contacté, l’éditeur ne voit pas du tout qui, dans ses rangs ou parmi ses très fidèles lecteurs, pourrait être Junisso12. La sphère catholique traditionaliste d’extrême droitn’est pourtant pas si large. 

Da Vinci code

Causeur est en mesure de donner un indice supplémentaire. Junisso12 a au minimum quelques rudiments de japonais. « Ju-ni » veut dire douze dans cette langue, et « So » signifie moines, ou apôtres. Le pseudonyme choisi est une référence transparente aux 12 apôtres. Jamais de pseudonyme à clé, ils sont trop faciles à percer ! Les résistants anti-nazis le savaient, mais Junisso12 n’a peut-être pas eu le temps ou l’envie de lire leurs mémoires.

« L’Arche russe », le grand film « réactionnaire » ressort au cinéma

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L'Arche russe d'Alexandre Sokourov. ©Celluloïd Dreams

Le très beau film d’Alexandre Sokourov, L’Arche russe, ressort au cinéma. Ce qui ne doit pas ravir la critique qui en avait fait en 2002 un film « réactionnaire ».


On ne saurait trop féliciter les responsables de cette nouvelle sortie du sublime film L’Arche russe, que le cinéaste Alexandre Sokourov réalisa en 2002. Un joli pied-de-nez tout d’abord à une certaine critique bien-pensante qui a toujours détesté cette œuvre immédiatement classée « réactionnaire ». Et une belle occasion de la découvrir ou de la redécouvrir sous son meilleur jour, c’est-à-dire sur le grand écran d’une salle de cinéma.

Un monde perdu

L’arche du titre, c’est le coffre qui au XVIe siècle contenait des trésors et des archives. Soit une véritable plongée dans les salles du musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg. Naviguant de pièce et pièce, Sokourov filme le temps de l’Histoire en marche, embrassant dans un même mouvement des siècles disparates et des destins divers.

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Une insondable nostalgie mélancolique préside aux destinées de ce voyage ininterrompu. Les époques, les artistes et les œuvres revivent sous nos yeux émerveillés. C’est un monde disparu que filme le cinéaste, à la manière de Visconti dans Le Guépard. Les deux films ont d’ailleurs en commun une virtuose scène de bal, comme s’il s’agissait de filmer le deuil au travail à travers ces couples virevoltants.

Mais le propre du cinéma est alors de les fixer à jamais : si ni la mort ni le soleil ne se peuvent fixer en face, comme le disait La Rochefoucauld, le cinéma est capable, lui, d’accomplir ce prodige, tout en nous faisant demeurer vivants.

L’Arche russe, d’Alexandre Sokourov. Sortie le 20 mars 2019.