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Malaise dans la République

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Dans son livre, Sonya Zadig donne la parole à 15 femmes et 17 hommes ayant rompu avec un islam injuste et superstitieux.


Le tout récent livre de Sonya Zadig, clinicienne psychanalyste, Les enfants perdus de la république (Éditions Fayard, octobre 2025) est consacré aux apostats de l’islam. A travers un groupe web intitulé « les Apostats » Sonya Zadig a recueilli les témoignages poignants de 243 femmes et hommes (et la préséance n’est pas ici de pure forme car les femmes sont à la fois les premières cibles et les principales transmetteuses de la religion-culture qu’est l’islam).

Apostasie : un déchirement

Ce sont des « enfants de la République », des Français, nés en France pour la plupart, ou qui y sont arrivés très jeunes, venant du Maghreb pour la grande majorité d’entre eux. Ils ont été maltraités sous le joug d’une culture religieuse violente, rétive aux mœurs libérales respectant l’individu, puis déchirés par l’arrachement à cette socialisation de soumission à la fois terrifiante et rassurante. Leurs souffrances font écho à celles que Sonya Zadig a elle-même connues et qu’elle accueille dans son cabinet depuis plusieurs années. Des souffrances et des difficultés en grande part ignorées en France par les responsables politiques, par l’école, la justice, l’État garant de la sécurité des citoyens.

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L’ouvrage croise ainsi deux références précieuses : Malaise dans la culture de Sigmund Freud et Les territoires perdus de la République, publié en 2002 et remarquablement postfacé par Georges Bensoussan dans la réédition de 2015. Les récits emblématiques de 15 femmes puis de 17 hommes, retenus parmi ces nombreux cas étudiés par Sonya Zadig, dessinent pas à pas, l’un après l’autre, une réalité méconnue voire niée, de ces espaces où la violence peut se déchainer sur les enfants d’abord, sur les épouses, les filles, les sœurs, et sur les hommes entre eux. Or ces personnes issues d’un monde islamique archaïque dont elles se sont extirpées souvent au péril de leur vie, ne rendent pas seulement compte d’une contre-société qui se développe au cœur d’une France censée respecter les libertés individuelles de chacun. Les apostats de l’islam nous renvoient aux défis communs de l’époque, aux questions de l’identité, de la cohésion sociale, de la démocratie, et in fine de la nation.

Huis-clos familiaux

Tout commence dans la famille bien sûr. Le rôle des mères est primordial dans la transmission culturelle aux enfants, mais traditionnellement, sous la suprématie masculine. Réduites à la fonction reproductrice à tous les sens du terme, les femmes tendent à répercuter sur les enfants et particulièrement sur les filles, les violences qu’elles ont elles-mêmes subies en paroles et en actes. Les pères aussi sont violents, avec leur femme et avec leurs enfants, mais désormais en France, ils sont souvent absents et l’image paternelle est abîmée. Certains récits « décrivent un père inconsistant oscillant entre les beuveries et la fréquentation erratique des mosquées » tandis que les mères, investies d’une toute puissance inégalée sont souvent décrites comme « dépressives ou anxieuses, et psychiquement absentes ou, en colère contre leur sort -et contre leurs enfants. »

C’est dans le huis-clos familial en tous les cas, que se transmettent les contes terrifiants, la hantise des tourments de l’enfer, l’obsession de la virginité des filles, la haine des Juifs. Chacun vit sous l’œil omniprésent de dieu et sous le regard des autres. Le maintien de la réputation familiale est une préoccupation aussi constante que la crainte du châtiment divin. De même que les enfants sont liés à la famille par la mère, la Oum, la famille relie à la vaste « communauté des croyants », la Oumma. Le cheminement pour sortir de ce monde est alors difficile et douloureux. Péril mortel, l’apostasie est pourtant le gage d’une véritable naissance de l’individu libre.

Désorientés

« Les apostats avancent des raisons précises pour leur mouvement de sortie : le statut des femmes, les injustices et les violences dont ils ont été témoins oculaires ou victimes au sein de leur famille, les traumatismes nombreux dus aux djinns, au Sheitan, aux superstitions, et la certitude de savoir que, quoi qu’ils fassent hormis « se faire sauter avec une ceinture d’explosif », le Paradis d’Allah leur demeurera aussi inatteignable que la liberté qu’ils convoitent. » Et, parce que l’analyste n’est pas neutre ni désincarnée, Sonya Zadig nous dit qu’elle aussi a eu ce courage de rompre avec cet univers clos, le courage qui commence par « s’autoriser la liberté de pouvoir affirmer un « non », un non qui ne serait plus uniquement de refus mais de désir et d’assertion ».  

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Mais si leurs souffrances les mènent souvent au divan du psychanalyste, tant la rupture est culpabilisante et désorientante, les apostats de l’islam sont des enfants de notre époque : en quête d’identité, de repères, de sens. « Les apostats nous confrontent aux glissements symboliques de notre modernité et nous exhortent à faire preuve chacun à notre manière d’inventivité et de courage pour comprendre ce qui constitue notre identité (…) Leurs traumas et les violences qu’ils ont subies et continuent de subir nous concernent tous puisqu’il s’agit d’une question de santé publique. Pour moi, [conclut Sonya Zadig] la question qu’ils posent est éminemment éthique. » Et politique, pouvons-nous ajouter.

256 pages

Les Juifs de l’Occident et la tentation de la bonne conscience: une lecture politico-sociale

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Dans la diaspora juive, beaucoup ont désormais honte d’Israël, cet État juif qui se défend, qui porte les armes, qui assume la brutalité du réel. Ne souhaitant pas y être assimilés, ils peuvent verser dans l’antisionisme le plus dur. Analyse sociologique.


Il n’est pas du tout étonnant – et il serait même naïf de s’en étonner – que tant de Juifs en Occident, en Europe comme aux États-Unis, et même en Israël, ne se contentent pas de critiquer Israël, mais relayent comme des évidences les mensonges produits par la propagande islamiste ou relayés par l’activisme anti-israélien.

On peut bien sûr convoquer les explications habituelles : les analyses religieuses, les interprétations psychanalytiques, la vieille catégorie de la haine de soi, le tropisme vers les dominés, l’idéalisation de la figure de l’opprimé… Ces modèles d’intelligibilité existent, ils ont leur part de vérité, mais ils ne suffisent pas.

Ils laissent dans l’ombre l’essentiel.

Une clef de lecture souvent négligée : la position sociale

En réalité, il s’agit selon moi beaucoup moins de psychologie culturelle ou de survivances théologiques que d’une chose plus prosaïque : une logique de classe sociale.

La plupart de ces Juifs occidentaux appartiennent à une bourgeoisie cultivée, insérée dans les professions intellectuelles, universitaires, artistiques ou médico-sociales. Une bourgeoisie aisée mais inquiète, libérale mais fragile, progressiste mais saturée de culpabilité historique. Elle ne vit ni la menace physique, ni la proximité du conflit, ni l’expérience de l’insécurité quotidienne que connaissent les Israéliens. Elle vit dans ce monde protégé où le réel n’entre presque jamais sans avoir été filtré, médiatisé, interprété.

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Ce n’est pas un hasard si ces Juifs occidentaux s’informent beaucoup — mais dans des sources qu’ils choisissent soigneusement. Ils lisent, ils comparent, ils se sentent éclairés, mais leur éclairage repose souvent sur un écosystème médiatique homogène, produit par leur propre milieu. Ils rejettent instinctivement tout ce qui serait perçu comme « extrême », à commencer par les droites traditionnelles israélienne ou française — droites qu’ils réduisent souvent à des caricatures commodes afin de préserver la tranquillité morale de leur positionnement.

Honte sociale et quête d’innocence

Car c’est ici que se niche le ressort déterminant : une honte sociale, diffuse mais structurante.
Dans un Occident où la misère a acquis une dimension quasi sacrée, où la souffrance est devenue un critère moral, ces bourgeois cultivés portent en eux une gêne profonde d’appartenir au camp des privilégiés. Ils rêvent d’être du côté des humiliés et des offensés, comme si la misère seule ouvrait à la vérité du monde. Ils veulent participer symboliquement au drame humain, non pas depuis la place que leur confère leur histoire, mais depuis une place imaginaire qui les absout de leurs propres avantages.

Dans cette logique, les Palestiniens deviennent la figure parfaite : les « plus misérables des misérables », incarnation de la victime absolue. Face à eux, Israël — l’État juif, fort, armé, souverain — représente tout ce qu’il leur répugne d’être. Le Juif occidental ne veut pas être associé à la force ; il veut être associé à la souffrance, comme si sa propre légitimité morale dépendait de sa capacité à s’identifier aux plus vulnérables.

Ainsi s’opère un mécanisme paradoxal : en soutenant la cause palestinienne, ces Juifs occidentaux ne prennent pas tant position dans un conflit géopolitique qu’ils tentent de résoudre une tension interne à leur identité de classe.

Le refus d’être assimilé à la puissance

Il faut comprendre ce qui se joue ici : Israël représente l’inverse exact de l’image de soi que beaucoup de Juifs occidentaux veulent donner au monde.

Israël incarne :

• la souveraineté assumée,

• la force militaire,

• la détermination stratégique,

• l’affirmation identitaire,

• la décision politique en situation de danger.

Autant de réalités vécues par ces Juifs occidentaux comme des formes choquantes d’excès, comme si l’existence même d’un État juif combattant menaçait l’image morale qu’ils veulent projeter : celle d’un Juif universaliste, pacifique, généreux, appartenant aux forces douces du bien social.

Beaucoup d’entre eux ressentent presque une honte de cet État juif qui se défend, qui porte les armes, qui assume la brutalité du réel. Ils ne veulent pas être assimilés à cette puissance. Ils préfèrent l’image du Juif diasporique, discret, moral, souffrant — figure d’ailleurs infiniment plus confortable dans la culture occidentale contemporaine.

L’expression politique d’une classe

Il n’est donc pas surprenant que ces Juifs, en Amérique, aient voté pour l’actuel maire de New York, selon une orientation politique qui traduit moins un programme qu’un ethos : un désir de respectabilité progressiste, un rejet viscéral de toute figure associée à la fermeté ou à la défense identitaire.

A lire aussi, du même auteur: New-York: qui sont ces juifs progressistes qui ont voté pour M. Zohran Mamdani?

De même, en France, les intellectuels parisiens qui critiquent systématiquement Israël, qui ironisent sur Netanyahou, qui s’indignent de la guerre à Gaza sans jamais analyser la logique militaire du Hamas, sont les représentants fidèles de ce milieu. Ils ne parlent pas en tant que Juifs. Ils parlent en tant que bourgeois cultivés occidentaux, façonnés par un imaginaire de la tolérance illimitée, de la compassion sélective et de la bonne conscience morale.

Une contradiction fondamentale

Au fond, leur position repose sur une contradiction que la pensée contemporaine a du mal à affronter : ils se sentent obligés de défendre des victimes imaginaires pour ne pas avoir à regarder en face la réalité des victimes réelles. Ils préfèrent l’abstraction réconfortante – le Palestinien déshistoricisé, réduit à une pure souffrance – à la complexité du réel : les choix stratégiques d’Israël, les logiques de guerre asymétrique, la responsabilité du Hamas, la réalité des sociétés du Moyen-Orient.

La critique d’Israël, chez eux, n’est pas un geste politique : c’est un rituel social, un signe d’appartenance à un monde où la vertu s’exhibe et s’atteste par la dénonciation des puissants – quitte à transformer les faits pour que la morale ne soit jamais en défaut.

Ce mécanisme d’auto-distanciation morale explique aussi les profondes dissensions actuelles au sein de la communauté juive mondiale, fracturée entre ceux qui assument la souveraineté israélienne et ceux qui s’en protègent. Il éclaire également le déchirement de la société israélienne elle-même, où une partie de l’élite culturelle et urbaine rejette la posture de puissance nécessaire à la survie du pays, au nom du même imaginaire universaliste qui façonne les Juifs occidentaux.

L’aveuglement comme confort

Ainsi s’explique la facilité avec laquelle ces Juifs occidentaux relaient, parfois sans s’en rendre compte, les narratifs islamistes ou les accusations infondées de génocide : non par adhésion idéologique, mais par fidélité à un imaginaire social qui les rassure sur leur propre innocence.

Le ressort n’est ni religieux, ni psychologique avant tout. Il est social, moral et symbolique. Ils ont besoin que le monde se simplifie pour pouvoir s’y sentir bons.
Dans un monde où le réel devient complexe, conflictuel, tragique, Israël leur renvoie une image du Juif fort, politique, affrontant le danger — image qu’ils ne veulent pas assumer. Alors ils se défendent de cette image en attaquant Israël, et en se rangeant du côté des victimes imaginaires qui leur permettent de sauver leur place dans l’ordre moral des sociétés occidentales. Ce n’est pas Israël qu’ils accusent : c’est leur propre difficulté à affronter le réel.

La société malade

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🎙️ Podcast: BBC, France TV… comment les médias essaient de façonner la réalité

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Avec Nicolas de Pape, auteur de Médiacratie, et Jeremy Stubbs.


Nicolas de Pape, journaliste et contributeur de longue date à Causeur, nous parle de son nouveau livre, Médiacratie, qui, citations et dates à l’appui, montre comment les médias dominants ou « mainstream » ne cherchent plus à refléter la réalité avec plus ou moins de fidélité, mais à la façonner. Autrefois, les médias constituaient le quatrième pouvoir de la démocratie, ou du moins un contre-pouvoir. Aujourd’hui, ils veulent prendre le pouvoir, en montrant le monde tel que les élites progressistes voudraient qu’on le voie, et en disqualifiant toutes les autres approches.

Qu’il s’agisse du 7-Octobre, des manifestations propalestiniennes, de l’immigration, de l' »apocalypse » écologique, du Brexit, des origines du Covid-19… ou de personnalités comme Trump, Meloni, Musk ou Zemmour… les médias ont renoncé à l’impartialité en prétendant incarner toutes les vertus de l’objectivité, de l’équilibre et de l’ouverture au débat. Symbole suprême de leur arrogance, les services de vérification ou « fact checking » par lesquels ils prétendent corriger les erreurs des autres en ignorant les leurs. Le scandale de la BBC à propos du montage du discours de Donald Trump du 6 janvier 2021 représente le nec plus ultra du mensonge médiatique en démocratie.

Face aux réseaux sociaux, le pouvoir des médias dominants s’effrite, mais il n’est pas encore mort.

Nicolas de Pape, Médiacratie. Comment les médias façonnent notre réalité, Editions Perspectives libres, 2025.

La France a-t-elle besoin d’une droite cow-boy?

La méthode Trump commence à porter ses fruits aux États-Unis et sur certains dossiers internationaux. Malgré ses outrances, le président américain inspire d’autres chefs d’États et de partis, notamment en Europe. Mais en France, la droite n’ose jamais avouer qu’elle prend exemple sur l’Oncle Sam…


Le soir tombe sur Paris ce 5 octobre. À la télévision, la composition du gouvernement Lecornu vient d’être annoncée. Devant son écran, Bruno Retailleau est furieux. Si, comme promis, il a bien été reconduit à l’Intérieur, il a découvert, stupéfait, que le « traître » Bruno Le Maire a hérité, quant à lui, des Armées. Alors que ni le chef de l’État ni le Premier ministre n’ont jugé utile de le prévenir de cette nomination détonnante. Le Vendéen se sent trahi.

Rupture

À 21 h 22, il riposte en publiant un message sur X: « La composition du gouvernement ne reflète pas la rupture promise. Devant la situation politique créée par cette annonce, je convoque demain matin le comité stratégique des Républicains. » Le style a beau être policé, la transgression n’en demeure pas moins absolue. Jamais dans notre histoire, un ministre de haut rang n’avait critiqué, de façon si lapidaire et publique, l’exécutif auquel il était pourtant censé participer.

Dès le lendemain, Sébastien Lecornu en tire les conséquences d’abord en présentant la démission de son gouvernement, puis en acceptant quelques jours plus tard, « par devoir », d’être renommé à Matignon… mais cette fois sans Retailleau à Beauvau. Depuis, chez les Républicains, la sidération s’est muée en consternation. Comment leur président, pourtant si madré et réfléchi, a-t-il pu croire judicieux de tenter un coup de pression sur les réseaux sociaux, qui plus est dans la précipitation ? A-t-il sérieusement imaginé qu’il se ferait ainsi respecter du « socle commun » ? Gardons-nous de psychanalyser un homme si complexe et allons à l’essentiel : avec son offensive à ciel ouvert et à l’emporte-pièce, Retailleau a, rien qu’un instant et à rebours de toutes ses habitudes, tout simplement fait du Trump.

Prendre de court l’adversaire, faire des déclarations choc, passer en force. Depuis son retour à la Maison-Blanche il y a neuf mois, le président américain gouverne avec encore plus d’impétuosité que lors de son premier mandat. Pas un jour ne passe sans qu’il lâche une bombe. Quand il ne signe pas, en mai, un contrat record – dans lequel il n’oublie pas ses intérêts personnels – avec les pétromonarchies du Golfe, il prie, en septembre, pour Charlie Kirk sur écran géant en Arizona. Quand il ne rabroue pas, en février, Volodimir Zelensky dans le bureau ovale, il y contraint, en octobre, Benyamin Netanyahou de prendre son téléphone pour s’excuser auprès du Qatar afin d’obtenir un accord sur Gaza. S’il était français, on pourrait dire en parodiant la théorie des trois droites de René Rémond, que Trump est orléaniste à Riyad, légitimiste à Glendale et constamment bonapartiste dans la West Wing, où il a d’ailleurs fait rajouter quantité de dorures sur les murs et les meubles.

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On pourrait aussi remarquer qu’avec ses idées fantasques d’annexer Panama et le Groenland, ou de bombarder avec du lisier les militants du mouvement « No Kings » qui manifestent contre lui, le président américain se montre plus brutal et provocateur, voire insultant, que jamais. À sa décharge, Trump s’est retrouvé, depuis sa réélection, dans un contexte international encore plus féroce que celui qu’il avait laissé en 2020, sans qu’on puisse l’en tenir responsable. Guerre en Ukraine et 7-Octobre obligent, tous les dirigeants de la planète dignes de ce nom sont aujourd’hui condamnés à adopter le genre grand fauve.

Mais c’est aussi à l’intérieur de son pays que le président américain a vu ses méthodes énergiques et ses manières culottées encouragées. Et pas seulement par sa base MAGA. La bourgeoisie républicaine semble à présent moins se boucher le nez devant sa vulgarité à tous crins. Si l’establishment de Washington (le « blob ») et les campus restent résolument hostiles à Trump, les milieux économiques, eux, commencent à l’apprécier, voire à s’en inspirer. Il faut dire qu’en ignorant systématiquement les mises en garde des juristes, en se moquant souverainement du politiquement correct et en affichant sa libido dominandi de façon décomplexée, le président populiste arrive parfois à déplacer des montagnes. À l’heure où ChatGPT est devenu presque aussi intelligent que les meilleurs consultants de McKinsey, ne montre-t-il pas la voie aux patrons du monde à venir en concentrant ses efforts sur ce que la machine ne saura jamais faire : prendre des risques et imposer sa puissance ?

Distances

Parmi les leaders de droite en Europe, le trumpisme fait aussi école. Le brexiteur Nigel Farage au Royaume-Uni, la Première ministre Giorgia Meloni en Italie, la chef de l’AfD Alice Weidel en Allemagne : nombreux sont ceux qui admettent une parenté, aussi bien sur le fond que sur la forme, avec le président américain. Sauf qu’en France, pas question de concéder le moindre attrait pour lui. Non pas tant que le « cercle de la raison » pro-européen et pro-mondialisation règne encore dans les esprits. Mais la peur de passer pour le valet de l’Oncle Sam empêche tout le monde ou presque parmi nos élites d’avouer que l’homme à la mèche blonde et à la cravate rouge donne de l’espoir à beaucoup de nos concitoyens qui, comme lui, croient dans le retour des États-nations.

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Déjà entre 1986 et 1988, Jacques Chirac, qui privatisait à tour de bras à Matignon, était un libéral honteux qui ne reconnaissait pas prendre exemple sur Ronald Reagan. Et Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse au cours de son quinquennat de faire oublier notre retour dans le commandement intégré de l’OTAN et ses vacances à Wolfeboro dans le New Hampshire durant l’été 2007. Quant à Marine Le Pen, ne comptez pas sur elle pour remercier Trump d’avoir écrit en mai sur sa plateforme Truth Social, alors qu’elle venait d’être condamnée en première instance dans l’affaire des assistants parlementaires du FN, « Free Marine Le Pen ». Sans doute garde-t-elle un souvenir amer de sa visite en 2017 dans le lobby de la Trump Tower de New York, où le maître des lieux n’avait pas daigné descendre la saluer. En France, parmi les têtes d’affiche à droite, seul Éric Zemmour revendique une proximité idéologique avec le milliardaire peroxydé, dont il a fêté la réélection en se déplaçant à Washington pour l’occasion.

Et les électeurs français dans cette histoire ? D’après l’IFOP, 59 % d’entre eux pensent qu’il est carrément un « dictateur ». Raison de plus pour notre personnel politique de garder ses distances. Même si, pour certains sondés, le qualificatif « dictateur » est sans doute un compliment.

Haro sur le JAP!

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Trop souvent, le juge de l’application des peines tourne le dos aux victimes. Les syndicats d’agents pénitenciers sont outrés en ce lundi: un narcotrafiquant détenu au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (62), déjà connu pour s’être évadé par le passé, a obtenu une permission de sortie ce lundi 24 novembre afin de se rendre à un entretien professionnel.


« JAP » est l’acronyme désignant le juge de l’application des peines, magistrat exerçant auprès du tribunal judiciaire. Son rôle consiste principalement à superviser la manière dont la peine prononcée sera mise en œuvre pour une personne condamnée. Il est notamment chargé de déterminer les modalités du traitement pénitentiaire applicable à chaque condamné.

L’incompréhension d’une mère

Deux récentes affaires (parmi tant d’autres) permettent de démontrer que ce magistrat peut jouer un rôle néfaste dans l’administration de la justice et donc pour la société.

D’abord, l’affaire du jeune Adrien Perez, poignardé par un groupe de trois hommes lors d’une rixe, en juillet 2018, sur le parking de la boîte de nuit Le Phoenix, à Meylan près de Grenoble, alors qu’il fêtait son vingt-sixième anniversaire. Un de ses amis est gravement blessé. En juillet 2021, les deux suspects principaux, les frères Yanis et Younès El Habib, sont condamnés à quinze ans de réclusion criminelle, le troisième homme, Liam Djadouri, étant condamné pour violences aggravées. Au-delà du fait que Grenoble soit devenue depuis longtemps — comme tant d’autres villes françaises, mais aussi en raison d’une véritable tradition criminelle dans la capitale iséroise — une zone insécure, il existe réellement un problème de bonne justice dans cette affaire. Déjà, le 23 juillet 2020, un juge des libertés et de la détention décida de refuser la prolongation de la détention provisoire de Yanis El Habib, principal mis en examen pour meurtre et tentative de meurtre. Heureusement, sur appel du Parquet, il fut remis en prison par la Cour d’Appel de Grenoble.

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Récemment, sur CNews, la mère d’Adrien Perez a fait part de sa vive émotion après la remise de peine dont a bénéficié le meurtrier, incarcéré depuis 2021. Le condamné vient en effet d’être libéré sous condition pour bonne conduite par le JAP. Cela fait à peine cinq d’emprisonnement ! En plus de cette remise de peine, Patricia Perez ne comprend pas non plus comment l’individu a pu bénéficier d’aménagements durant sa peine. « J’ai dû supporter que le meurtrier de mon fils accumule 18 permissions de sortie depuis octobre 2024, pour aller faire du sport, qu’il se marie, qu’il attende un enfant. Il faut bien comprendre que mon fils, lui, n’aura jamais cette chance », déplorait-elle également[1]. Il est évident que pas un seul « bon comportement » ne peut justifier qu’un criminel ne fasse pas au moins dix ans sur les quinze prononcés. C’est intolérable. C’est même un accessit donné à ce type d’individus. S’il y a une récidive, le JAP aura une lourde responsabilité.

Précisons qu’afin d’apprécier la demande d’aménagement de peine, le JAP prend en considération les éléments factuels que sont la nature, la gravité et la durée des faits, le lieu de commission par référence (lieu de résidence de la victime) et la date de la commission des faits. Un pseudo débat contradictoire a alors lieu. Pseudo car le JAP rend ses décisions en présence du procureur, du condamné et de son avocat. Il est aussi assisté du service pénitentiaire d’insertion et de probation (le SPIP, la voix de son maitre le plus souvent). Il n’y pas de représentant des victimes… Ce qui prouve sans conteste que le droit pénal français privilégie toujours et encore les droits de la défense sur ceux des victimes. Qui s’est soucié de la famille du jeune Adrien, en l’espèce ? Personne. Avec le décès de leur enfant, elle a pris perpétuité morale. La pire…

Vendin-le-Vieil: une permission délirante

La seconde affaire se situe dans la récente prison de Vendin-le-Vieil dans le Pas-de-Calais. En effet, un détenu du nouveau quartier de lutte contre la criminalité organisée (QLCO) a obtenu une permission de sortie de quelques heures suscitant l’incompréhension. « Le chef d’établissement et le parquet ont rendu un avis défavorable, mais le juge d’application des peines a donné un avis favorable » à cette permission de sortie « travail » prévue lundi, indique une source judiciaire. « Le parquet a fait appel » mais la chambre d’application des peines a confirmé la décision en première instance, ajoute cette même source.

Il est avéré que ce détenu, dangereux, a un rendez-vous avec un potentiel employeur, bien que sa sortie de prison ne soit prévue qu’en… 2029. Selon une source syndicale, il s’agirait d’Ouaihid Ben Faiza, 52 ans, membre important d’un vaste réseau de trafic de drogue de Seine-Saint-Denis, qui s’était par ailleurs évadé de la prison de Villepinte en 2014. Sa cavale avait alors duré deux semaines[2]. Il est issu d’une fratrie qui a longuement régné sur le trafic de cannabis à la Courneuve. Il a, entre autres, été impliqué dans une fusillade qui a coûté la vie à un petit garçon de 11 ans, touché par une balle perdue, en 2005[3]. Là encore, les familles des victimes apprécieront…

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Ces détenus « sont censés être dangereux pour la société, on les met sous bulle, on met tout ce qu’il faut en termes de sécurité pour les couper de l’extérieur, et là il va sortir tout seul à l’extérieur et rentrer tranquillement le soir à 21 heures, on a du mal à comprendre », a réagi un syndicaliste d’UFAP UNSa Justice à Vendin-le-Vieil. Ce même syndicat a parlé à très juste titre d’ « une décision totalement déconnectée des exigences, des réalités et des contraintes imposées chaque jour aux personnels pénitentiaires ». Une nouvelle fois, un JAP, validé par la chambre d’application des peines, qui sait peut-être membre du très idéologique Syndicat de la Magistrature, dans un élan rousseauiste d’un autre temps, s’est mis en tête que c’est la société (et pourquoi pas la prison ?) qui avait perverti cet individu !  Cette décision insensée contrevient à tous les principes qui ont amené à la mise en place de telles prisons. Les extractions de ces quartiers spéciaux sont censées être extrêmement limitées, pour éviter au maximum les transports et donc les risques d’évasion. On se serait attendu à une réaction du ministère de la Justice. Rien à ce jour[4]

L’avocate du prisonnier précise : « ça ne se fait pas comme ça, une permission de sortir, il faut montrer patte blanche ». Et de rajouter que « les gens ne sortent pas de prison comme ça, du jour au lendemain, on fait en sorte qu’ils soient accompagnés (NDLR : il n’était même pas sûr que son client le soit…). Si on en arrive là aujourd’hui, ça veut dire que notre système fonctionne. Bien sûr que c’est pour la réinsertion ». Elle évoque par ailleurs le « comportement exemplaire » de son client, qui ferait preuve de « rédemption qui a été examinée, vérifiée ». Elle est dans son rôle. Et s’il arrive quelque chose, il est clair que tant le JAP que la chambre d’application des peines seront, au premier chef, responsables. Et que des sanctions implacables devront s’abattre sur eux. « La prison, c’est la privation de la liberté d’aller et venir, et rien d’autre » (V. Giscard d’Estaing)


[1] CNews 3/11/25

[2] https://www.20minutes.fr, 23/11/25

[3] https://www.rtl.fr, 23/11/25

[4] Gérald Darmanin a réagi sur Twitter après la rédaction de cet article NDLR : « La décision d’accorder une permission de sortir relève de l’autorité judiciaire, qui statue de façon indépendante. En tant que garde des Sceaux, je ne commente jamais une décision individuelle d’un juge, malgré l’opposition du procureur de la République et du chef d’établissement de la prison, qui s’impose à tous dans un État de droit. L’épisode concernant le détenu de la prison de haute sécurité de Vendin-le-Vieil met en lumière un enjeu plus large : notre cadre législatif d’application des peines doit être pleinement revu face aux réalités de la grande criminalité organisée. Ces profils particulièrement structurés et dangereux exigent des outils juridiques différents et une vigilance toute particulière. C’est pourquoi, dans le prolongement de la loi narcotrafic, des prisons de haute sécurité et de la création du Parquet national anti criminalité organisée (PNACO), je souhaite moderniser et consolider les règles encadrant l’exécution des peines pour les criminels les plus dangereux, dans le strict respect des principes fondamentaux du droit. Nous avons su le faire pour le terrorisme, nous le ferons contre la criminalité organisée : un droit spécifique et un juge d’application spécialisé qui connaît parfaitement les profils dangereux. Ce sera le cas dans le prochain texte de loi que je présenterai en début d’année prochaine. La sécurité des Français et la protection de l’ordre public resteront au cœur de mon action et de celle du ministère de la Justice »

Une cartographie de la connerie

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Le titre du livre fait évidemment référence à l’archipel du Goulag, mais peut-être aussi à la France archipelisée de Jérôme Fourquet. Dans L’archipel des cons (éditions de l’Onde), l’auteur de plusieurs livres drôles (J’irai cracher sur vos jobs, Les fausses lettres au Père Noël de vos stars préférées) et patron d’un podcast sur le football David Garnier se propose en véritable entomologiste de la connerie. Des petits, des gros, des grands, des jeunes, des vieux : en matière de cons, il y en a pour tous les goûts, tous les âges, tous les calibres.

Quand on est con…

D’après Georges Brassens, « quand on est con, on est con », et on ne peut pas y faire grand-chose. La connerie est partout, et pourtant, elle est peut-être le moteur de l’histoire le plus souvent négligé. Elle se rencontre souvent en voiture (ce qui laisse penser que les personnes qui n’ont pas le permis sont davantage épargnées). Ainsi, il y a le gros con, « par exemple celui qui gare son énorme 4×4 Mercedes à cent milles balles devant une pharmacie, en double file, avec ses gros warnings, entre, double une vieille dame en disant « Pardon mais je suis pressé » » ; le con en voiture : « Le con au volant est généreux, il expose sa connerie au monde et se produit en spectacle de manière théâtrale et bruyante. De grands gestes, des insultes imagées bien senties, des doigts, des bras d’honneur, des poings menaçants tendus, des grimaces, puis des affrontements physiques précédés d’insultes diverses […] » à distinguer de la conne en voiture. Le pauvre con cher à Nicolas Sarkozy et la pauvre conne chère à Alain Finkielkraut. Le sale con « qui à l’instar de Bernard Morin dans « Les Bronzés font du ski » lorsqu’il arrive dans son appartement et que les anciens locataires ont une petite heure de retard, […] vous expliquera que si tout le monde gagne une minute par-ci une minute par là le stationnement finira par être gratuit ». Bien sûr, le Splendid et Jacques Villeret ont beaucoup fait pour illustrer les cons en tout genre.

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Cons de gauche versus cons de droite

Et puis, et c’est là que ça va intéresser les lecteurs de Causeur, il y a la distinction entre les cons de gauche et les cons de droite. Pour l’auteur, « le con de droite est carabiné, mais le con de gauche est exaspérant. Quand il n’est pas dangereux ». Le con de gauche interprète tous les événements sous le prisme de sa lecture du bien et du mal, et les carnages cambodgiens, cubains, vietnamiens ne l’en détourneront pas. Le con de droite, lui, « n’en a rien à foutre. Il est autocentré, il pense à lui, à ses très proches, puis à ses semblables. Aucune vision transfrontalière ou transculturelle de sa connerie. Il se suffit à lui-même. C’est d’ailleurs son mantra ultime : « Moi, tant qu’on ne me fait pas chier »… » Tocqueville avait peut-être déjà cerné cette espèce comme « une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ».

Dans Mort aux cons (2007), Carl Aderhold avait imaginé un personnage qui s’était mis en tête de tuer les cons. Les tuer tous ? Pour de Gaulle, il s’agissait d’un trop vaste programme. L’entreprise de David Garnier est moins génocidaire. Parmi les catégories de cons, il se situe même parmi l’une d’entre elles : les vieux cons. Des vieux cons, il y en a toujours eu et même à l’époque des cavernes, on pouvait imaginer ce discours : « Et quoi le feu ? Ben quoi le feu ? On faisait comment nous quand on était jeunes ? On l’avait le feu ? Et alors ? On était malheureux ? On mangeait pas ? Eh ben si ! On mangeait froid, et ça faisait de nous des vrais hommes ! Oui il faisait froid dans la grotte, et alors ? On en est morts ? ». David Garnier, lui, n’aime pas les fêtards, l’arbitrage vidéo dans le foot, les enfants dans les avions et la télécommande de l’Apple TV. On s’y re-con-naîtra en partie.

146 pages

Lady Fox: elle flingue pas, elle cause

Rien ne prédestinait Claire Fox, alias Baroness Fox of Buckley, à siéger à la Chambre des lords. Brexiteuse convaincue, elle se dit «populiste de gauche» et appelle à débattre de tout avec tout le monde. Démocratie, liberté d’expression et responsabilité individuelle sont au cœur de son combat. Portrait.


Ne comptez pas sur Claire Fox pour éviter les sujets qui fâchent, elle qui aime tant ferrailler avec son époque. À Londres en octobre, elle ouvrait la 20e édition de la « Bataille des idées », un forum géant qui réunit chaque année deux jours durant 400 conférenciers et attire un public de 3 000 personnes, lequel sélectionne avec appétit, parmi la centaine de discussions proposées, les thèmes qui l’intriguent. Par tranche d’une heure et demie, simultanément dans les douze salles de Church House, on gamberge sur les controverses du moment : « Peut-on réparer un État dysfonctionnel ? », « Les deepfakes, nouveau défi médiatique ? », « Qui a peur de la révolte populiste ? », « Gatsby le Magnifique a 100 ans : que raconte le roman sur l’Amérique d’aujourd’hui ? », « Entendons-nous sur le mot “génocide” ». Trois à cinq intervenants proposent un exposé succinct, après quoi l’auditoire est invité à interroger, contredire, argumenter. Ça se passe dans le quartier de Westminster, le cœur politique de Londres.

Magnétisme et humour

Cette année, pour la première fois, on touchait au sujet de la guerre civile – qui eût paru extravagant il n’y a pas si longtemps. L’objectif n’est pas de souffler sur les braises. Mais, au contraire, de dézoomer. Intitulé de la séance : « Why is civil war a talking point ? » La question n’est pas « Sommes-nous à l’aube d’une guerre civile ? », mais « Pourquoi parle-t-on de guerre civile ? » Nuance. Claire Fox, rencontrée quelques jours plus tôt à Paris explique : « Des travaux universitaires sur ce thème déclenchent des controverses médiatiques et puis les gens ordinaires s’en emparent. Un de mes collègues à la Chambre des lords m’a dit qu’il trouvait irresponsable d’aborder ce sujet. S’il pense que c’est dangereux d’en parler, ça prouve qu’il y a un sujet. Il serait donc irresponsable de ne pas en débattre ! » Et c’est ainsi que Claire Fox accueille, dans ce barnum animé, des gens de tous milieux et tous âges, qui apportent leur écot à la conversation nationale. Le temps d’un week-end, elle est secondée par 170 bénévoles emportés par son enthousiasme, son magnétisme et son humour. Ils accueillent le public, lui tendent le micro, filment les débats.

Claire Fox, alias Baroness Fox of Buckley, 65 ans, porte de longs gilets sur de longues jupes hippies (réminiscence d’une jeunesse à l’extrême gauche) qu’elle marie avec des colliers de perles (unique signe extérieur de noblesse de cette figure issue de la plèbe irlandaise). Son allure reflète son parcours intellectuel, dont elle ne renie rien. Le Parti communiste révolutionnaire, qu’elle a fréquenté jusqu’à sa dissolution en 1997, a forgé sa culture politique. Vers la fin, cet organe trotskyste a délaissé la lutte anticapitaliste et les vieux schémas oppresseurs/opprimés pour se recentrer sur la défense des libertés civiles. Dans les années 2000, Fox poursuit sa mue, se convertissant au libéralisme économique et la responsabilité individuelle. Le cauchemar de Fox, c’est l’État nounou qui décide ce qui est bon pour ses administrés et met le peuple sous tutelle « pour son bien ».

L’Académie des idées, l’organisme qui orchestre la Bataille des idées, n’est pas un think tank. Cette association, qui emploie cinq personnes et demie, a juste vocation à générer des espaces de débats. « J’ai commencé ma carrière comme prof. Ce qui m’anime, c’est l’envie de créer des outils qui permettent aux gens de penser par eux-mêmes et de prendre part à l’histoire. » Tout sauf une société apathique ! Pas de safe space dans l’univers de Fox. Sans surprise, elle a été parmi les premiers et les plus vaillants opposants au wokisme et autres politiques victimaires. Cette femme-là n’a pas peur des bien-pensants.

Malgré elle, Fox va entrer en politique. Juin 2016, coup de tonnerre au Royaume-Uni : le Brexit l’emporte à 52 %. Mais pendant trois ans, rien ne bouge. Le pays demeure dans l’UE. Nigel Farage lance alors le Brexit Party dont l’unique objectif est de faire respecter et appliquer le vote populaire de 2016. Fox est une pro-Brexit de gauche. À l’approche des européennes de 2019, on lui propose d’être candidate pour le Brexit Party de Farage. Fox rigole. « Je n’ai jamais, ô grand jamais, souhaité occuper un poste politique. Mais quand j’ai réalisé que le gouvernement allait tout faire pour annuler le Brexit, j’ai pensé que ce serait nuisible à la démocratie. Ils allaient saper la confiance dans les institutions. Je me suis présentée. Et j’ai été élue. » De juillet 2019 à janvier 2020, Claire Fox, qui a milité pour quitter l’UE, occupe consciencieusement sa nouvelle fonction de députée européenne.

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Aux législatives de 2020, le parti Tory obtient une large majorité aux Communes ; Boris Johnson devient ainsi Premier ministre, largement grâce à sa fameuse promesse « Get Brexit done ! » Les Tories ont recueilli les suffrages des brexiteurs des régions post-industrielles traditionnellement travaillistes. Aussi, lorsque Johnson soumet à la reine d’Angleterre sa liste de nominations à la Chambre des lords, apparaît le nom de… Claire Fox. Comme un geste de gratitude envers les électeurs travaillistes. Fox rigole encore, elle qui milite pour la suppression de la chambre haute qu’elle tient pour antidémocratique. « Prêter serment chez les lords, on ne pouvait imaginer plus incongru. C’en était embarrassant… Tout bien réfléchi, j’ai pensé que j’avais une responsabilité. Plus d’un demi-million de personnes avaient voté pour ma liste aux européennes. C’était une façon de leur donner une voix. » Le 8 octobre 2020, Claire Fox prête serment à la Chambre des lords. Selon la tradition, elle est alors anoblie et reçoit le titre de Baroness Fox of Buckley (Buckley est la ville galloise où elle a passé son enfance), « non affiliée » (elle ne dépend d’aucun parti politique), nommée pairesse à vie.

Défense des libertés civiles

Depuis lors, elle prend à cœur son rôle de législatrice, scrute les propositions de loi qui arrivent de la Chambre des communes, met son poste au service de la défense des libertés civiles. « En ce moment, par exemple, on discute une loi sur la fraude dans les services sociaux, loi vertueuse, destinée à économiser l’argent des contribuables. Mais à y regarder de plus près, il y a une clause qui autoriserait l’État à surveiller votre compte bancaire. Il n’est pas rare que des mesures autoritaires se nichent au détour d’un alinéa. » Forte de cette expérience, reconsidère-t-elle son appel à supprimer la Chambre des lords ? Aucunement ! « Je suis pour un système monocaméral. Qui suis-je pour examiner les projets de loi ? Ce sont les élus, et seulement les élus, qui devraient s’en charger. » En attendant, ses interventions étant construites et argumentées, elle a gagné ses galons parmi les lords. « L’important, c’est de participer » : est-ce la phrase de Pierre de Coubertin (qui fut prononcée à Londres, justement…) ou plutôt le « Fight, fight, fight ! » de Trump qui résume le mieux le parcours de Claire Fox ? « Une sorte d’entre-deux », répond-elle. Elle participe, elle commente, elle défend ses convictions, courtoise mais combative, avec sa voix grasse de fumeuse et ce timbre à faire trembler les murs d’un pub anglais.

Claire Fox est née en Angleterre de parents irlandais et a grandi au Pays de Galles. « Culturellement, je suis une catholique d’Irlande ; mais ça ne veut pas dire grand-chose car je suis athée et pas irlandaise. » L’insécurité culturelle va-t-elle unir cet étrange pays constitué de quatre nations ? Cet automne, à la faveur du mouvement « Hisser les couleurs » on a pu voir les drapeaux des quatre régions (Écosse, Pays de Galles, Irlande du Nord, Angleterre) pavoiser ensemble. « En Irlande du Nord, les communautés catholique et protestante militent ensemble contre la réquisition d’hôtels pour l’accueil des migrants. Ils agitent leurs drapeaux côte à côte. Or je peux vous dire que les drapeaux, en Irlande du Nord, c’est sérieux. Mais les anciennes allégeances ne sont plus pertinentes pour comprendre les enjeux actuels. »

Claire Fox se dit populiste de gauche. On l’interroge sur Reform UK, le parti de Nigel Farage, au plus haut dans les sondages : « Ce que je peux vous dire, et c’est valable partout en Europe, aussi bien pour l’AfD ou le RN : ces partis sont des véhicules que le peuple utilise pour se faire entendre. Si l’immigration cristallise toutes les tensions, ce n’est pas une question de xénophobie. C’est que le contrôle des frontières est essentiel pour garantir la démocratie. L’État-nation est au fondement de la souveraineté populaire. Si vous ne savez plus qui entre dans le pays, si la citoyenneté devient une notion floue, c’est tout le système qui flanche. » Un peuple dessaisi de ses prérogatives, une démocratie qui perd pied, l’identité nationale qui se redéfinit : les mêmes enjeux s’imposent des deux côtés de la Manche. C’est pourquoi elle voudrait créer en France une réplique de la Bataille des idées. Most welcome, Lady Fox !

Cinéma: dans Lisbonne enlaidie, Eugène Green sauve encore la beauté

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Cinéaste-poète génial, Eugène Green nous captive une fois encore avec L’Arbre de la connaissance


Faut-il encore présenter Eugène Green ? Natif des États-Unis (épicentre géographique de ce qu’il ne perd jamais une occasion de nommer la barbarie – et leurs habitants, comme de juste, les barbares) mais dès longtemps francophone de cœur, d’adoption et bien entendu naturalisé français, tout autant dramaturge, romancier, poète, que cinéaste sur le tard, ce fabuleux conteur, de bonne heure épris de musique baroque, est à sa manière en 2025, au Septième art ce que fut en son temps un Robert Bresson.

Cinéaste singulier

Né en 1947, le chef encadré d’une longue crinière chenue tel un preux chevalier du temps jadis, vieil amoureux de Lisbonne mais atterré par son enlaidissement ripoliné, est pourtant un moderne, au sens où son cinéma tellement singulier, si captivant, n’observe jamais le réel que d’un regard de sage souriant, pétri de cette ironie tout à la fois cruelle et bienveillante, pince-sans-rire et acide. Jamais en militant ou en donneur de leçons. Green est un moraliste, nullement un moralisateur, et encore moins un de ces procureurs bien-pensants dont l’époque est féconde.

Venons-en à son dernier film, en salles depuis déjà quelques jours, et dont votre serviteur (hélas victime d’un brutal ennui de santé), rend compte ici trop tardivement, toute honte bue. L’arbre de la connaissance a pour siège Lisbonne, tout comme en 2009 le film La Religieuse portugaise (on y retrouve d’ailleurs sous d’autres traits fictifs la merveilleuse actrice Ana Moreira). Dans La Sapienza (2014), un architecte d’âge mûr, méditant d’écrire une étude, devenait par le hasard d’une rencontre fortuite le cicérone d’un jeune et bel étudiant en architecture, le prenant sous son aile dans un « grand tour » transalpin, de Rome à Turin, pour lui faire découvrir les chefs d’œuvres de Borromini, devenant ainsi le mentor de son protégé dans sa carrière naissante.

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Ici, c’est un Ogre (dans le rôle, Diogo Doria, figure mythique de la scène et de l’écran lusitaniens, comme tel de longue date adoubé par un Raul Ruiz ou un Manoel de Oliveira) qui recueille Gaspar, chaste éphèbe aux boucles brunes (Rui Pedro Silva) en rupture de ban avec ses géniteurs, coincés dans le désert spirituel et esthétique de ces banlieues sans fin dont le siècle est fertile. Environnement capté d’ailleurs crument par l’objectif : escaliers mécaniques, immenses artères minérales, légions d’édifices réunis par une identique banalité – l’omniprésent, tentaculaire défi à tout beauté architecturale et urbanistique, désormais notre ordinaire hors centres villes au patrimoine rageusement lessivé. L’adolescent Gaspar sert d’appât pour attirer les meutes de touristes dans l’antre de l’Ogre.

Lisbonne: l’horreur touristique

Avec cette facétie mordante qui n’est qu’à lui, Green plante le décor d’une Ville aux sept collines désormais abâtardie, soumise à l’invasion diurne et nocturne de ces meutes polyglottes, ignares, ignoblement nippées, de ces troupeaux audioguidés, véhiculés en cyclopousses électriques ou en faux trains à vapeur miniatures :  Lisbonne ne s’appartient plus.  D’un geste de la main, Gaspar remet ces hordes de bipèdes transhumants sur leurs pattes, faisant s’évanouir, sous leurs culs interchangeables de touristes, leurs cohortes d’affreux tuk–tuks, pareils aux palanquins du diable. La multiplication des disparitions humaines, ragoût prisé de l’Ogre anthropophage, fait pendant ce temps la une des JT, autre trait d’un très haut comique. Gaspar ayant sauvé du chaudron un chien et une ânesse, le conte embarquera le spectateur médusé dans une fable sans borne assignée, conjuguant le saugrenu, la cocasserie, et la morsure musclée dans la chair même du temps présent.

Nul passéisme chez Green, mais la souffrance manifeste d’un poète qui, consterné, voit sous ses yeux se déliter de jour en jour, inexorablement, notre vieille, irremplaçable civilisation européenne et jusqu’à sa langue même, trésors d’autant plus chéris par lui que, de souche exogène, il a dû patiemment se les assimiler.

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Et si L’Arbre de la connaissance convoque, dans les rets d’un scénario foisonnant, stupéfiant d’allègre inventivité, la figure de la fille de Joseph 1er, Marie (1734-1816), laquelle, devenue folle, s’éteint au Brésil où elle s’était exilée dès l’annonce de l’invasion napoléonienne en 1808, ce n’est pas par pure nostalgie, non plus que l’apparition, au cœur du film, de Sebastiao Jose Carcalho e Melo, marquis de Pompal (1699-1782). Mais parce que la sapience – mariage de la sagesse et du savoir – appelle la rumeur de l’histoire et la puissance irrécusable du passé : double tresse de la connaissance à l’arbre duquel se fixera Helena, la femme-serpent du film, dans une séquence étrange et superbe… De même, les azulejos ne sont pas là pour faire joli. Ils sont la substance de Lisbonne. Et si Green privilégie les plans frontaux sur les visages, ce n’est pas davantage par pur esthétisme, mais parce qu’ils sont la face, la carnation même de la beauté humaine dans son âge idéal. Leur langage châtié n’a rien d’une coquetterie : c’est l’expression d’une perfection.

A quand une rétrospective Eugène Green, doublée d’une exposition, à la Cinémathèque française ?  


Maria Gomes et Rui Pedro Silva (C) JHR Films

L’arbre de la connaissance. Film d’Eugène Green. Avec Rui Pedro Silva, Maria Gomes, Diogo Doria, Ana Moreira, Leonor Silveira… France/ Portugal, couleur, 2025. Durée : 1h41 En salles.

Présidentielles à gauche: pourquoi pas la courte paille?

Réunie le 15 novembre dans les Yvelines chez Ali Rabeh, la «gauche unitaire» a annoncé qu’une grande primaire aurait lieu à l’automne 2026. Malheureusement, on ne trouve que des seconds couteaux parmi les postulants pour l’instant, les candidats naturels – Mélenchon pour la gauche dure et Glucksmann pour la gauche molle – souhaitant concourir séparément.


Eux au moins nous font bien rigoler. Eux, je veux dire la gauche façon puzzle qui se contorsionne en tout sens dans l’espoir de parvenir à s’afficher « unitaire » en vue des présidentielles de 2027. « Unitaire », vous l’aurez compris, face au danger suprême que représenterait l’extrême droite. C’est dire si l’heure est grave. Alors, aussi vrai que l’oignon fait la soupe, ils se sont dit, à gauche, que l’union devait faire la force. Ils ont même prêté serment là-dessus. C’était lors de la canicule estivale, en juillet dernier, à Bagneux. Présenter le moment venu un candidat commun, voilà l’objet du serment dont on ne sait s’il a été prononcé la main droite posée sur le dernier bouquin de Mélenchon ou la sainte bible du programme commun des années Mitterrand-Marchais.

Peut-être l’intense chaleur leur était-elle montée à la tête, ce qui expliquerait qu’ils se soient lancés dans cette lubie dont le préalable est tout de même l’harakiri consenti d’un certain nombre d’egos. Car il y a quelque peu embouteillage au portillon. Qu’on en juge !  Nous avons là Olivier Faure, le patron du PS, Marine Tondelier, la cheffe des écologistes, Benjamin Lucas, le coordinateur de Génération.s, les vrais-faux repentis du mélenchonisme pur et dur que sont Clémentine Autain, François Ruffin et surtout, en « guest star », celle qui se voyait Première ministre en 2024 et se voit manifestement encore tutoyant les sommets, la sémillante Lucie Castets. Tous individus dont, nul ne l’ignore, l’ambition n’est pas des plus tempérées ni l’ego particulièrement mince.

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Nonobstant, chose promise chose due, samedi dernier le serment de Bagneux a connu un semblant de mise en œuvre avec l’annonce de l’organisation d’une primaire de ladite gauche pour l’automne 2026. C’était en la bonne ville de Trappes. (Pour une initiative visant à élire un candidat destiné de toute évidence à passer, lui, à la trappe, le choix de cette ville paraît en effet des plus judicieux).

On sait déjà que MM. Mélenchon et Glucksman, entendant se la jouer perso, n’en seront pas. On ne se mélange pas, voyez-vous. Même à gauche. Quant au parti communiste, bien que tenant à rappeler sa puissante « culture antifasciste et une tradition d’union », il se tâte encore.

Pour le moment, nous avons trois candidats déclarés à cette joyeuse primaire : Clémentine Autain, Marine Tonnelier et François Ruffin. Olivier Faure, à l’instar des communistes, se tâte toujours. On sait qu’il n’a pas son pareil pour sortir du bois au dernier moment et couillonner son monde.

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Il est clair qu’il conviendra d’ajouter à ces candidatures annoncées celle de Lucie Castets. Sinon que serait-elle venue faire dans ce cirque ? C’est qu’elle croit ferme en son destin, au moins autant qu’elle y croyait en 2024 pour Matignon ! Qu’on se le dise ! Puisque Matignon lui est passé sous le nez, visons donc plus haut. L’Élysée, carrément. La chance sourit aux audacieux, n’est-ce pas. Le ridicule aussi, en l’occurrence. D’ailleurs, Dame Castets voit se profiler le plein succès pour ce tour de chauffe de la primaire : « Quand nous allons donner la date, se persuade-t-elle, cela va créer un effet d’entraînement, une dynamique ». Ce disant, elle se réfère à une enquête Elabe pour BFM TV révélant que 72% des électeurs du réjouissant Nouveau Front populaire souhaitent une candidature unique de la gauche. Autrement dit, un candidat ramasse miettes, puisque, à y regarder de près, celui-là – ou celle-là – aura à vendre à l’électeur l’illusion de représenter ne serait-ce qu’une once de cohérence programmatique. Pas gagné. D’autant, que le show de la primaire aura fait remonter à la surface, comme d’habitude, les oppositions, les contradictions, les détestations, bref tout ce qui apportera la démonstration éclatante que, à part une ambition démesurée, les comiques en lice n’ont à peu près rien en commun.

Aussi, pour éviter ce déballage si préjudiciable, ce naufrage annoncé, me permettrais-je de leur conseiller de recourir à la bonne vieille pratique de la courte paille. Évidemment, c’est beaucoup moins rigolo, surtout pour nous…

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Sur nos télés, les généraux ont remplacé les médecins

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De plus en plus de conservateurs inquiets craignent que le président français n’instrumentalise la menace russe pour ressouder l’opinion autour de lui, et afin de détourner l’attention sur les crises intérieures. Ivan Rioufol redoute ainsi dans sa chronique que la France s’entête à soutenir l’Ukraine jusqu’à provoquer une escalade militaire, alors même que les marges diplomatiques se referment.


Cette fois, ils évitent l’accusation en complotisme, craignant le ridicule. En effet, les batailleurs qui alertent, derrière Emmanuel Macron, sur Vladimir Poutine et sa « guerre hybride » voient partout la main de Moscou. Ceux qui accusent le chef de l’État de vouloir faire diversion, tandis que la France est la cible passive d’un djihad intérieur qui devrait mobiliser l’armée, sont plus banalement traités de « collabos », « munichois », « capitulards », etc.

Les lyncheurs sont les mêmes qui, durant la crise du Covid, conspuaient les résistants à l’hygiénisme d’État et à ses QR codes sanitaires, annonciateurs d’une société totalitaire soumise à la peur. Sur les télés, les généraux ont remplacé les médecins. Mais les mécanismes anxiogènes sont les mêmes. La déclaration du chef d’état-major des armées, le général Fabien Mandon, devant le congrès des maires de France, mardi soir, appelant le pays à préserver sa « force d’âme » et à « accepter de perdre ses enfants » dans un affrontement futur avec la Russie, a dévoilé l’état d’esprit d’un président esseulé et rejeté, en quête d’union nationale autour de sa personne. Le 11 juillet, le général Thierry Burkhard, prédécesseur de Mandon, avait attribué à la Russie une déclaration, en réalité introuvable, censée faire de la France « son premier adversaire en Europe ». En fait, tout est bon pour le pouvoir. Il attise les braises sur une poudrière, quitte à user de mensonges et de sanctions contre des opposants. Le général Paul Pellizzari a été radié de son grade pour avoir osé demander au gouvernement de saisir le Parlement en préalable aux livraisons d’armes à l’Ukraine, en regard des articles 35 et 53 de la constitution.

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« La crainte de la guerre est souvent la chance des tyrannies », expliquait Raymond Aron. Ce regard est utile pour comprendre les postures bellicistes de Macron face à Poutine, alors que le chef de l’Etat baisse les armes face à l’Algérien Abdelmadjd Tebboune et ses provocations. Le refus du débat et la disqualification de l’esprit critique sont les marques de la macronie et de ses médias. Pour avoir répété, avec le noyau dur de l’Union européenne, que la « Russie ne pouvait, ne devait, gagner la guerre », Macron a renoncé à son rôle de médiateur. Or le président est en passe de perdre la face. Cela fait plus de deux ans que la vaillante Ukraine recule, après l’échec de sa contre-offensive de juin 2023. Le lâchage des Etats-Unis risque de précipiter sa défaite. Une guerre généralisée serait dès lors envisageable si la France et les boutefeux européistes décidaient, pour imposer une Europe supranationale, de relancer le meurtrier conflit entre slaves.

Le dernier plan de paix concocté entre Américains et Russes n’est certes pas acceptable en l’état par l’Ukraine. Il serait pire, dans ses 28 points, que celui qui avait été élaboré à Istanbul en mars-avril 2022 avant d’être rejeté sous la pression britannique. « Je ne trahirai jamais l’Ukraine », a déclaré samedi Volodymyr Zelensky. Ce patriotisme l’honore. Reste que la corruption de son entourage a aggravé sa propre faiblesse. Dans les négociations, ouvertes hier à Genève, une paix est envisageable pour un esprit rationnel. Mais Macron pense-t-il à autre chose qu’à lui-même ?

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Malaise dans la République

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La psychologue et essayiste Sonia Zadig. DR.

Dans son livre, Sonya Zadig donne la parole à 15 femmes et 17 hommes ayant rompu avec un islam injuste et superstitieux.


Le tout récent livre de Sonya Zadig, clinicienne psychanalyste, Les enfants perdus de la république (Éditions Fayard, octobre 2025) est consacré aux apostats de l’islam. A travers un groupe web intitulé « les Apostats » Sonya Zadig a recueilli les témoignages poignants de 243 femmes et hommes (et la préséance n’est pas ici de pure forme car les femmes sont à la fois les premières cibles et les principales transmetteuses de la religion-culture qu’est l’islam).

Apostasie : un déchirement

Ce sont des « enfants de la République », des Français, nés en France pour la plupart, ou qui y sont arrivés très jeunes, venant du Maghreb pour la grande majorité d’entre eux. Ils ont été maltraités sous le joug d’une culture religieuse violente, rétive aux mœurs libérales respectant l’individu, puis déchirés par l’arrachement à cette socialisation de soumission à la fois terrifiante et rassurante. Leurs souffrances font écho à celles que Sonya Zadig a elle-même connues et qu’elle accueille dans son cabinet depuis plusieurs années. Des souffrances et des difficultés en grande part ignorées en France par les responsables politiques, par l’école, la justice, l’État garant de la sécurité des citoyens.

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L’ouvrage croise ainsi deux références précieuses : Malaise dans la culture de Sigmund Freud et Les territoires perdus de la République, publié en 2002 et remarquablement postfacé par Georges Bensoussan dans la réédition de 2015. Les récits emblématiques de 15 femmes puis de 17 hommes, retenus parmi ces nombreux cas étudiés par Sonya Zadig, dessinent pas à pas, l’un après l’autre, une réalité méconnue voire niée, de ces espaces où la violence peut se déchainer sur les enfants d’abord, sur les épouses, les filles, les sœurs, et sur les hommes entre eux. Or ces personnes issues d’un monde islamique archaïque dont elles se sont extirpées souvent au péril de leur vie, ne rendent pas seulement compte d’une contre-société qui se développe au cœur d’une France censée respecter les libertés individuelles de chacun. Les apostats de l’islam nous renvoient aux défis communs de l’époque, aux questions de l’identité, de la cohésion sociale, de la démocratie, et in fine de la nation.

Huis-clos familiaux

Tout commence dans la famille bien sûr. Le rôle des mères est primordial dans la transmission culturelle aux enfants, mais traditionnellement, sous la suprématie masculine. Réduites à la fonction reproductrice à tous les sens du terme, les femmes tendent à répercuter sur les enfants et particulièrement sur les filles, les violences qu’elles ont elles-mêmes subies en paroles et en actes. Les pères aussi sont violents, avec leur femme et avec leurs enfants, mais désormais en France, ils sont souvent absents et l’image paternelle est abîmée. Certains récits « décrivent un père inconsistant oscillant entre les beuveries et la fréquentation erratique des mosquées » tandis que les mères, investies d’une toute puissance inégalée sont souvent décrites comme « dépressives ou anxieuses, et psychiquement absentes ou, en colère contre leur sort -et contre leurs enfants. »

C’est dans le huis-clos familial en tous les cas, que se transmettent les contes terrifiants, la hantise des tourments de l’enfer, l’obsession de la virginité des filles, la haine des Juifs. Chacun vit sous l’œil omniprésent de dieu et sous le regard des autres. Le maintien de la réputation familiale est une préoccupation aussi constante que la crainte du châtiment divin. De même que les enfants sont liés à la famille par la mère, la Oum, la famille relie à la vaste « communauté des croyants », la Oumma. Le cheminement pour sortir de ce monde est alors difficile et douloureux. Péril mortel, l’apostasie est pourtant le gage d’une véritable naissance de l’individu libre.

Désorientés

« Les apostats avancent des raisons précises pour leur mouvement de sortie : le statut des femmes, les injustices et les violences dont ils ont été témoins oculaires ou victimes au sein de leur famille, les traumatismes nombreux dus aux djinns, au Sheitan, aux superstitions, et la certitude de savoir que, quoi qu’ils fassent hormis « se faire sauter avec une ceinture d’explosif », le Paradis d’Allah leur demeurera aussi inatteignable que la liberté qu’ils convoitent. » Et, parce que l’analyste n’est pas neutre ni désincarnée, Sonya Zadig nous dit qu’elle aussi a eu ce courage de rompre avec cet univers clos, le courage qui commence par « s’autoriser la liberté de pouvoir affirmer un « non », un non qui ne serait plus uniquement de refus mais de désir et d’assertion ».  

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Mais si leurs souffrances les mènent souvent au divan du psychanalyste, tant la rupture est culpabilisante et désorientante, les apostats de l’islam sont des enfants de notre époque : en quête d’identité, de repères, de sens. « Les apostats nous confrontent aux glissements symboliques de notre modernité et nous exhortent à faire preuve chacun à notre manière d’inventivité et de courage pour comprendre ce qui constitue notre identité (…) Leurs traumas et les violences qu’ils ont subies et continuent de subir nous concernent tous puisqu’il s’agit d’une question de santé publique. Pour moi, [conclut Sonya Zadig] la question qu’ils posent est éminemment éthique. » Et politique, pouvons-nous ajouter.

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Les Juifs de l’Occident et la tentation de la bonne conscience: une lecture politico-sociale

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Rassemblement contre la venue de Netanyahou à l'ONU, New York, 26 septembre 2025 © Robyn Stevens Brody/Sipa USA/SIPA

Dans la diaspora juive, beaucoup ont désormais honte d’Israël, cet État juif qui se défend, qui porte les armes, qui assume la brutalité du réel. Ne souhaitant pas y être assimilés, ils peuvent verser dans l’antisionisme le plus dur. Analyse sociologique.


Il n’est pas du tout étonnant – et il serait même naïf de s’en étonner – que tant de Juifs en Occident, en Europe comme aux États-Unis, et même en Israël, ne se contentent pas de critiquer Israël, mais relayent comme des évidences les mensonges produits par la propagande islamiste ou relayés par l’activisme anti-israélien.

On peut bien sûr convoquer les explications habituelles : les analyses religieuses, les interprétations psychanalytiques, la vieille catégorie de la haine de soi, le tropisme vers les dominés, l’idéalisation de la figure de l’opprimé… Ces modèles d’intelligibilité existent, ils ont leur part de vérité, mais ils ne suffisent pas.

Ils laissent dans l’ombre l’essentiel.

Une clef de lecture souvent négligée : la position sociale

En réalité, il s’agit selon moi beaucoup moins de psychologie culturelle ou de survivances théologiques que d’une chose plus prosaïque : une logique de classe sociale.

La plupart de ces Juifs occidentaux appartiennent à une bourgeoisie cultivée, insérée dans les professions intellectuelles, universitaires, artistiques ou médico-sociales. Une bourgeoisie aisée mais inquiète, libérale mais fragile, progressiste mais saturée de culpabilité historique. Elle ne vit ni la menace physique, ni la proximité du conflit, ni l’expérience de l’insécurité quotidienne que connaissent les Israéliens. Elle vit dans ce monde protégé où le réel n’entre presque jamais sans avoir été filtré, médiatisé, interprété.

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Ce n’est pas un hasard si ces Juifs occidentaux s’informent beaucoup — mais dans des sources qu’ils choisissent soigneusement. Ils lisent, ils comparent, ils se sentent éclairés, mais leur éclairage repose souvent sur un écosystème médiatique homogène, produit par leur propre milieu. Ils rejettent instinctivement tout ce qui serait perçu comme « extrême », à commencer par les droites traditionnelles israélienne ou française — droites qu’ils réduisent souvent à des caricatures commodes afin de préserver la tranquillité morale de leur positionnement.

Honte sociale et quête d’innocence

Car c’est ici que se niche le ressort déterminant : une honte sociale, diffuse mais structurante.
Dans un Occident où la misère a acquis une dimension quasi sacrée, où la souffrance est devenue un critère moral, ces bourgeois cultivés portent en eux une gêne profonde d’appartenir au camp des privilégiés. Ils rêvent d’être du côté des humiliés et des offensés, comme si la misère seule ouvrait à la vérité du monde. Ils veulent participer symboliquement au drame humain, non pas depuis la place que leur confère leur histoire, mais depuis une place imaginaire qui les absout de leurs propres avantages.

Dans cette logique, les Palestiniens deviennent la figure parfaite : les « plus misérables des misérables », incarnation de la victime absolue. Face à eux, Israël — l’État juif, fort, armé, souverain — représente tout ce qu’il leur répugne d’être. Le Juif occidental ne veut pas être associé à la force ; il veut être associé à la souffrance, comme si sa propre légitimité morale dépendait de sa capacité à s’identifier aux plus vulnérables.

Ainsi s’opère un mécanisme paradoxal : en soutenant la cause palestinienne, ces Juifs occidentaux ne prennent pas tant position dans un conflit géopolitique qu’ils tentent de résoudre une tension interne à leur identité de classe.

Le refus d’être assimilé à la puissance

Il faut comprendre ce qui se joue ici : Israël représente l’inverse exact de l’image de soi que beaucoup de Juifs occidentaux veulent donner au monde.

Israël incarne :

• la souveraineté assumée,

• la force militaire,

• la détermination stratégique,

• l’affirmation identitaire,

• la décision politique en situation de danger.

Autant de réalités vécues par ces Juifs occidentaux comme des formes choquantes d’excès, comme si l’existence même d’un État juif combattant menaçait l’image morale qu’ils veulent projeter : celle d’un Juif universaliste, pacifique, généreux, appartenant aux forces douces du bien social.

Beaucoup d’entre eux ressentent presque une honte de cet État juif qui se défend, qui porte les armes, qui assume la brutalité du réel. Ils ne veulent pas être assimilés à cette puissance. Ils préfèrent l’image du Juif diasporique, discret, moral, souffrant — figure d’ailleurs infiniment plus confortable dans la culture occidentale contemporaine.

L’expression politique d’une classe

Il n’est donc pas surprenant que ces Juifs, en Amérique, aient voté pour l’actuel maire de New York, selon une orientation politique qui traduit moins un programme qu’un ethos : un désir de respectabilité progressiste, un rejet viscéral de toute figure associée à la fermeté ou à la défense identitaire.

A lire aussi, du même auteur: New-York: qui sont ces juifs progressistes qui ont voté pour M. Zohran Mamdani?

De même, en France, les intellectuels parisiens qui critiquent systématiquement Israël, qui ironisent sur Netanyahou, qui s’indignent de la guerre à Gaza sans jamais analyser la logique militaire du Hamas, sont les représentants fidèles de ce milieu. Ils ne parlent pas en tant que Juifs. Ils parlent en tant que bourgeois cultivés occidentaux, façonnés par un imaginaire de la tolérance illimitée, de la compassion sélective et de la bonne conscience morale.

Une contradiction fondamentale

Au fond, leur position repose sur une contradiction que la pensée contemporaine a du mal à affronter : ils se sentent obligés de défendre des victimes imaginaires pour ne pas avoir à regarder en face la réalité des victimes réelles. Ils préfèrent l’abstraction réconfortante – le Palestinien déshistoricisé, réduit à une pure souffrance – à la complexité du réel : les choix stratégiques d’Israël, les logiques de guerre asymétrique, la responsabilité du Hamas, la réalité des sociétés du Moyen-Orient.

La critique d’Israël, chez eux, n’est pas un geste politique : c’est un rituel social, un signe d’appartenance à un monde où la vertu s’exhibe et s’atteste par la dénonciation des puissants – quitte à transformer les faits pour que la morale ne soit jamais en défaut.

Ce mécanisme d’auto-distanciation morale explique aussi les profondes dissensions actuelles au sein de la communauté juive mondiale, fracturée entre ceux qui assument la souveraineté israélienne et ceux qui s’en protègent. Il éclaire également le déchirement de la société israélienne elle-même, où une partie de l’élite culturelle et urbaine rejette la posture de puissance nécessaire à la survie du pays, au nom du même imaginaire universaliste qui façonne les Juifs occidentaux.

L’aveuglement comme confort

Ainsi s’explique la facilité avec laquelle ces Juifs occidentaux relaient, parfois sans s’en rendre compte, les narratifs islamistes ou les accusations infondées de génocide : non par adhésion idéologique, mais par fidélité à un imaginaire social qui les rassure sur leur propre innocence.

Le ressort n’est ni religieux, ni psychologique avant tout. Il est social, moral et symbolique. Ils ont besoin que le monde se simplifie pour pouvoir s’y sentir bons.
Dans un monde où le réel devient complexe, conflictuel, tragique, Israël leur renvoie une image du Juif fort, politique, affrontant le danger — image qu’ils ne veulent pas assumer. Alors ils se défendent de cette image en attaquant Israël, et en se rangeant du côté des victimes imaginaires qui leur permettent de sauver leur place dans l’ordre moral des sociétés occidentales. Ce n’est pas Israël qu’ils accusent : c’est leur propre difficulté à affronter le réel.

La société malade

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🎙️ Podcast: BBC, France TV… comment les médias essaient de façonner la réalité

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Broadcasting House, le siège social de la BBC, Londres, le 14 novembre 2025. Vuk Valcic/ZUMA/SIPA

Avec Nicolas de Pape, auteur de Médiacratie, et Jeremy Stubbs.


Nicolas de Pape, journaliste et contributeur de longue date à Causeur, nous parle de son nouveau livre, Médiacratie, qui, citations et dates à l’appui, montre comment les médias dominants ou « mainstream » ne cherchent plus à refléter la réalité avec plus ou moins de fidélité, mais à la façonner. Autrefois, les médias constituaient le quatrième pouvoir de la démocratie, ou du moins un contre-pouvoir. Aujourd’hui, ils veulent prendre le pouvoir, en montrant le monde tel que les élites progressistes voudraient qu’on le voie, et en disqualifiant toutes les autres approches.

Qu’il s’agisse du 7-Octobre, des manifestations propalestiniennes, de l’immigration, de l' »apocalypse » écologique, du Brexit, des origines du Covid-19… ou de personnalités comme Trump, Meloni, Musk ou Zemmour… les médias ont renoncé à l’impartialité en prétendant incarner toutes les vertus de l’objectivité, de l’équilibre et de l’ouverture au débat. Symbole suprême de leur arrogance, les services de vérification ou « fact checking » par lesquels ils prétendent corriger les erreurs des autres en ignorant les leurs. Le scandale de la BBC à propos du montage du discours de Donald Trump du 6 janvier 2021 représente le nec plus ultra du mensonge médiatique en démocratie.

Face aux réseaux sociaux, le pouvoir des médias dominants s’effrite, mais il n’est pas encore mort.

Nicolas de Pape, Médiacratie. Comment les médias façonnent notre réalité, Editions Perspectives libres, 2025.

La France a-t-elle besoin d’une droite cow-boy?

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Donald Trump lors du sommet de Charm el-Cheikh sur la paix à Gaza, 13 octobre 2025 © AP Photo/Evan Vucci/SIPA$

La méthode Trump commence à porter ses fruits aux États-Unis et sur certains dossiers internationaux. Malgré ses outrances, le président américain inspire d’autres chefs d’États et de partis, notamment en Europe. Mais en France, la droite n’ose jamais avouer qu’elle prend exemple sur l’Oncle Sam…


Le soir tombe sur Paris ce 5 octobre. À la télévision, la composition du gouvernement Lecornu vient d’être annoncée. Devant son écran, Bruno Retailleau est furieux. Si, comme promis, il a bien été reconduit à l’Intérieur, il a découvert, stupéfait, que le « traître » Bruno Le Maire a hérité, quant à lui, des Armées. Alors que ni le chef de l’État ni le Premier ministre n’ont jugé utile de le prévenir de cette nomination détonnante. Le Vendéen se sent trahi.

Rupture

À 21 h 22, il riposte en publiant un message sur X: « La composition du gouvernement ne reflète pas la rupture promise. Devant la situation politique créée par cette annonce, je convoque demain matin le comité stratégique des Républicains. » Le style a beau être policé, la transgression n’en demeure pas moins absolue. Jamais dans notre histoire, un ministre de haut rang n’avait critiqué, de façon si lapidaire et publique, l’exécutif auquel il était pourtant censé participer.

Dès le lendemain, Sébastien Lecornu en tire les conséquences d’abord en présentant la démission de son gouvernement, puis en acceptant quelques jours plus tard, « par devoir », d’être renommé à Matignon… mais cette fois sans Retailleau à Beauvau. Depuis, chez les Républicains, la sidération s’est muée en consternation. Comment leur président, pourtant si madré et réfléchi, a-t-il pu croire judicieux de tenter un coup de pression sur les réseaux sociaux, qui plus est dans la précipitation ? A-t-il sérieusement imaginé qu’il se ferait ainsi respecter du « socle commun » ? Gardons-nous de psychanalyser un homme si complexe et allons à l’essentiel : avec son offensive à ciel ouvert et à l’emporte-pièce, Retailleau a, rien qu’un instant et à rebours de toutes ses habitudes, tout simplement fait du Trump.

Prendre de court l’adversaire, faire des déclarations choc, passer en force. Depuis son retour à la Maison-Blanche il y a neuf mois, le président américain gouverne avec encore plus d’impétuosité que lors de son premier mandat. Pas un jour ne passe sans qu’il lâche une bombe. Quand il ne signe pas, en mai, un contrat record – dans lequel il n’oublie pas ses intérêts personnels – avec les pétromonarchies du Golfe, il prie, en septembre, pour Charlie Kirk sur écran géant en Arizona. Quand il ne rabroue pas, en février, Volodimir Zelensky dans le bureau ovale, il y contraint, en octobre, Benyamin Netanyahou de prendre son téléphone pour s’excuser auprès du Qatar afin d’obtenir un accord sur Gaza. S’il était français, on pourrait dire en parodiant la théorie des trois droites de René Rémond, que Trump est orléaniste à Riyad, légitimiste à Glendale et constamment bonapartiste dans la West Wing, où il a d’ailleurs fait rajouter quantité de dorures sur les murs et les meubles.

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On pourrait aussi remarquer qu’avec ses idées fantasques d’annexer Panama et le Groenland, ou de bombarder avec du lisier les militants du mouvement « No Kings » qui manifestent contre lui, le président américain se montre plus brutal et provocateur, voire insultant, que jamais. À sa décharge, Trump s’est retrouvé, depuis sa réélection, dans un contexte international encore plus féroce que celui qu’il avait laissé en 2020, sans qu’on puisse l’en tenir responsable. Guerre en Ukraine et 7-Octobre obligent, tous les dirigeants de la planète dignes de ce nom sont aujourd’hui condamnés à adopter le genre grand fauve.

Mais c’est aussi à l’intérieur de son pays que le président américain a vu ses méthodes énergiques et ses manières culottées encouragées. Et pas seulement par sa base MAGA. La bourgeoisie républicaine semble à présent moins se boucher le nez devant sa vulgarité à tous crins. Si l’establishment de Washington (le « blob ») et les campus restent résolument hostiles à Trump, les milieux économiques, eux, commencent à l’apprécier, voire à s’en inspirer. Il faut dire qu’en ignorant systématiquement les mises en garde des juristes, en se moquant souverainement du politiquement correct et en affichant sa libido dominandi de façon décomplexée, le président populiste arrive parfois à déplacer des montagnes. À l’heure où ChatGPT est devenu presque aussi intelligent que les meilleurs consultants de McKinsey, ne montre-t-il pas la voie aux patrons du monde à venir en concentrant ses efforts sur ce que la machine ne saura jamais faire : prendre des risques et imposer sa puissance ?

Distances

Parmi les leaders de droite en Europe, le trumpisme fait aussi école. Le brexiteur Nigel Farage au Royaume-Uni, la Première ministre Giorgia Meloni en Italie, la chef de l’AfD Alice Weidel en Allemagne : nombreux sont ceux qui admettent une parenté, aussi bien sur le fond que sur la forme, avec le président américain. Sauf qu’en France, pas question de concéder le moindre attrait pour lui. Non pas tant que le « cercle de la raison » pro-européen et pro-mondialisation règne encore dans les esprits. Mais la peur de passer pour le valet de l’Oncle Sam empêche tout le monde ou presque parmi nos élites d’avouer que l’homme à la mèche blonde et à la cravate rouge donne de l’espoir à beaucoup de nos concitoyens qui, comme lui, croient dans le retour des États-nations.

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Déjà entre 1986 et 1988, Jacques Chirac, qui privatisait à tour de bras à Matignon, était un libéral honteux qui ne reconnaissait pas prendre exemple sur Ronald Reagan. Et Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse au cours de son quinquennat de faire oublier notre retour dans le commandement intégré de l’OTAN et ses vacances à Wolfeboro dans le New Hampshire durant l’été 2007. Quant à Marine Le Pen, ne comptez pas sur elle pour remercier Trump d’avoir écrit en mai sur sa plateforme Truth Social, alors qu’elle venait d’être condamnée en première instance dans l’affaire des assistants parlementaires du FN, « Free Marine Le Pen ». Sans doute garde-t-elle un souvenir amer de sa visite en 2017 dans le lobby de la Trump Tower de New York, où le maître des lieux n’avait pas daigné descendre la saluer. En France, parmi les têtes d’affiche à droite, seul Éric Zemmour revendique une proximité idéologique avec le milliardaire peroxydé, dont il a fêté la réélection en se déplaçant à Washington pour l’occasion.

Et les électeurs français dans cette histoire ? D’après l’IFOP, 59 % d’entre eux pensent qu’il est carrément un « dictateur ». Raison de plus pour notre personnel politique de garder ses distances. Même si, pour certains sondés, le qualificatif « dictateur » est sans doute un compliment.

Haro sur le JAP!

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Vendin-le-Vieil, 14 mai 2025 © Christian Liewig-pool/SIPA

Trop souvent, le juge de l’application des peines tourne le dos aux victimes. Les syndicats d’agents pénitenciers sont outrés en ce lundi: un narcotrafiquant détenu au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (62), déjà connu pour s’être évadé par le passé, a obtenu une permission de sortie ce lundi 24 novembre afin de se rendre à un entretien professionnel.


« JAP » est l’acronyme désignant le juge de l’application des peines, magistrat exerçant auprès du tribunal judiciaire. Son rôle consiste principalement à superviser la manière dont la peine prononcée sera mise en œuvre pour une personne condamnée. Il est notamment chargé de déterminer les modalités du traitement pénitentiaire applicable à chaque condamné.

L’incompréhension d’une mère

Deux récentes affaires (parmi tant d’autres) permettent de démontrer que ce magistrat peut jouer un rôle néfaste dans l’administration de la justice et donc pour la société.

D’abord, l’affaire du jeune Adrien Perez, poignardé par un groupe de trois hommes lors d’une rixe, en juillet 2018, sur le parking de la boîte de nuit Le Phoenix, à Meylan près de Grenoble, alors qu’il fêtait son vingt-sixième anniversaire. Un de ses amis est gravement blessé. En juillet 2021, les deux suspects principaux, les frères Yanis et Younès El Habib, sont condamnés à quinze ans de réclusion criminelle, le troisième homme, Liam Djadouri, étant condamné pour violences aggravées. Au-delà du fait que Grenoble soit devenue depuis longtemps — comme tant d’autres villes françaises, mais aussi en raison d’une véritable tradition criminelle dans la capitale iséroise — une zone insécure, il existe réellement un problème de bonne justice dans cette affaire. Déjà, le 23 juillet 2020, un juge des libertés et de la détention décida de refuser la prolongation de la détention provisoire de Yanis El Habib, principal mis en examen pour meurtre et tentative de meurtre. Heureusement, sur appel du Parquet, il fut remis en prison par la Cour d’Appel de Grenoble.

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Récemment, sur CNews, la mère d’Adrien Perez a fait part de sa vive émotion après la remise de peine dont a bénéficié le meurtrier, incarcéré depuis 2021. Le condamné vient en effet d’être libéré sous condition pour bonne conduite par le JAP. Cela fait à peine cinq d’emprisonnement ! En plus de cette remise de peine, Patricia Perez ne comprend pas non plus comment l’individu a pu bénéficier d’aménagements durant sa peine. « J’ai dû supporter que le meurtrier de mon fils accumule 18 permissions de sortie depuis octobre 2024, pour aller faire du sport, qu’il se marie, qu’il attende un enfant. Il faut bien comprendre que mon fils, lui, n’aura jamais cette chance », déplorait-elle également[1]. Il est évident que pas un seul « bon comportement » ne peut justifier qu’un criminel ne fasse pas au moins dix ans sur les quinze prononcés. C’est intolérable. C’est même un accessit donné à ce type d’individus. S’il y a une récidive, le JAP aura une lourde responsabilité.

Précisons qu’afin d’apprécier la demande d’aménagement de peine, le JAP prend en considération les éléments factuels que sont la nature, la gravité et la durée des faits, le lieu de commission par référence (lieu de résidence de la victime) et la date de la commission des faits. Un pseudo débat contradictoire a alors lieu. Pseudo car le JAP rend ses décisions en présence du procureur, du condamné et de son avocat. Il est aussi assisté du service pénitentiaire d’insertion et de probation (le SPIP, la voix de son maitre le plus souvent). Il n’y pas de représentant des victimes… Ce qui prouve sans conteste que le droit pénal français privilégie toujours et encore les droits de la défense sur ceux des victimes. Qui s’est soucié de la famille du jeune Adrien, en l’espèce ? Personne. Avec le décès de leur enfant, elle a pris perpétuité morale. La pire…

Vendin-le-Vieil: une permission délirante

La seconde affaire se situe dans la récente prison de Vendin-le-Vieil dans le Pas-de-Calais. En effet, un détenu du nouveau quartier de lutte contre la criminalité organisée (QLCO) a obtenu une permission de sortie de quelques heures suscitant l’incompréhension. « Le chef d’établissement et le parquet ont rendu un avis défavorable, mais le juge d’application des peines a donné un avis favorable » à cette permission de sortie « travail » prévue lundi, indique une source judiciaire. « Le parquet a fait appel » mais la chambre d’application des peines a confirmé la décision en première instance, ajoute cette même source.

Il est avéré que ce détenu, dangereux, a un rendez-vous avec un potentiel employeur, bien que sa sortie de prison ne soit prévue qu’en… 2029. Selon une source syndicale, il s’agirait d’Ouaihid Ben Faiza, 52 ans, membre important d’un vaste réseau de trafic de drogue de Seine-Saint-Denis, qui s’était par ailleurs évadé de la prison de Villepinte en 2014. Sa cavale avait alors duré deux semaines[2]. Il est issu d’une fratrie qui a longuement régné sur le trafic de cannabis à la Courneuve. Il a, entre autres, été impliqué dans une fusillade qui a coûté la vie à un petit garçon de 11 ans, touché par une balle perdue, en 2005[3]. Là encore, les familles des victimes apprécieront…

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Ces détenus « sont censés être dangereux pour la société, on les met sous bulle, on met tout ce qu’il faut en termes de sécurité pour les couper de l’extérieur, et là il va sortir tout seul à l’extérieur et rentrer tranquillement le soir à 21 heures, on a du mal à comprendre », a réagi un syndicaliste d’UFAP UNSa Justice à Vendin-le-Vieil. Ce même syndicat a parlé à très juste titre d’ « une décision totalement déconnectée des exigences, des réalités et des contraintes imposées chaque jour aux personnels pénitentiaires ». Une nouvelle fois, un JAP, validé par la chambre d’application des peines, qui sait peut-être membre du très idéologique Syndicat de la Magistrature, dans un élan rousseauiste d’un autre temps, s’est mis en tête que c’est la société (et pourquoi pas la prison ?) qui avait perverti cet individu !  Cette décision insensée contrevient à tous les principes qui ont amené à la mise en place de telles prisons. Les extractions de ces quartiers spéciaux sont censées être extrêmement limitées, pour éviter au maximum les transports et donc les risques d’évasion. On se serait attendu à une réaction du ministère de la Justice. Rien à ce jour[4]

L’avocate du prisonnier précise : « ça ne se fait pas comme ça, une permission de sortir, il faut montrer patte blanche ». Et de rajouter que « les gens ne sortent pas de prison comme ça, du jour au lendemain, on fait en sorte qu’ils soient accompagnés (NDLR : il n’était même pas sûr que son client le soit…). Si on en arrive là aujourd’hui, ça veut dire que notre système fonctionne. Bien sûr que c’est pour la réinsertion ». Elle évoque par ailleurs le « comportement exemplaire » de son client, qui ferait preuve de « rédemption qui a été examinée, vérifiée ». Elle est dans son rôle. Et s’il arrive quelque chose, il est clair que tant le JAP que la chambre d’application des peines seront, au premier chef, responsables. Et que des sanctions implacables devront s’abattre sur eux. « La prison, c’est la privation de la liberté d’aller et venir, et rien d’autre » (V. Giscard d’Estaing)


[1] CNews 3/11/25

[2] https://www.20minutes.fr, 23/11/25

[3] https://www.rtl.fr, 23/11/25

[4] Gérald Darmanin a réagi sur Twitter après la rédaction de cet article NDLR : « La décision d’accorder une permission de sortir relève de l’autorité judiciaire, qui statue de façon indépendante. En tant que garde des Sceaux, je ne commente jamais une décision individuelle d’un juge, malgré l’opposition du procureur de la République et du chef d’établissement de la prison, qui s’impose à tous dans un État de droit. L’épisode concernant le détenu de la prison de haute sécurité de Vendin-le-Vieil met en lumière un enjeu plus large : notre cadre législatif d’application des peines doit être pleinement revu face aux réalités de la grande criminalité organisée. Ces profils particulièrement structurés et dangereux exigent des outils juridiques différents et une vigilance toute particulière. C’est pourquoi, dans le prolongement de la loi narcotrafic, des prisons de haute sécurité et de la création du Parquet national anti criminalité organisée (PNACO), je souhaite moderniser et consolider les règles encadrant l’exécution des peines pour les criminels les plus dangereux, dans le strict respect des principes fondamentaux du droit. Nous avons su le faire pour le terrorisme, nous le ferons contre la criminalité organisée : un droit spécifique et un juge d’application spécialisé qui connaît parfaitement les profils dangereux. Ce sera le cas dans le prochain texte de loi que je présenterai en début d’année prochaine. La sécurité des Français et la protection de l’ordre public resteront au cœur de mon action et de celle du ministère de la Justice »

Une cartographie de la connerie

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Gérard Jugnot, "Les Bronzés font du ski" (1979). DR.

Le titre du livre fait évidemment référence à l’archipel du Goulag, mais peut-être aussi à la France archipelisée de Jérôme Fourquet. Dans L’archipel des cons (éditions de l’Onde), l’auteur de plusieurs livres drôles (J’irai cracher sur vos jobs, Les fausses lettres au Père Noël de vos stars préférées) et patron d’un podcast sur le football David Garnier se propose en véritable entomologiste de la connerie. Des petits, des gros, des grands, des jeunes, des vieux : en matière de cons, il y en a pour tous les goûts, tous les âges, tous les calibres.

Quand on est con…

D’après Georges Brassens, « quand on est con, on est con », et on ne peut pas y faire grand-chose. La connerie est partout, et pourtant, elle est peut-être le moteur de l’histoire le plus souvent négligé. Elle se rencontre souvent en voiture (ce qui laisse penser que les personnes qui n’ont pas le permis sont davantage épargnées). Ainsi, il y a le gros con, « par exemple celui qui gare son énorme 4×4 Mercedes à cent milles balles devant une pharmacie, en double file, avec ses gros warnings, entre, double une vieille dame en disant « Pardon mais je suis pressé » » ; le con en voiture : « Le con au volant est généreux, il expose sa connerie au monde et se produit en spectacle de manière théâtrale et bruyante. De grands gestes, des insultes imagées bien senties, des doigts, des bras d’honneur, des poings menaçants tendus, des grimaces, puis des affrontements physiques précédés d’insultes diverses […] » à distinguer de la conne en voiture. Le pauvre con cher à Nicolas Sarkozy et la pauvre conne chère à Alain Finkielkraut. Le sale con « qui à l’instar de Bernard Morin dans « Les Bronzés font du ski » lorsqu’il arrive dans son appartement et que les anciens locataires ont une petite heure de retard, […] vous expliquera que si tout le monde gagne une minute par-ci une minute par là le stationnement finira par être gratuit ». Bien sûr, le Splendid et Jacques Villeret ont beaucoup fait pour illustrer les cons en tout genre.

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Cons de gauche versus cons de droite

Et puis, et c’est là que ça va intéresser les lecteurs de Causeur, il y a la distinction entre les cons de gauche et les cons de droite. Pour l’auteur, « le con de droite est carabiné, mais le con de gauche est exaspérant. Quand il n’est pas dangereux ». Le con de gauche interprète tous les événements sous le prisme de sa lecture du bien et du mal, et les carnages cambodgiens, cubains, vietnamiens ne l’en détourneront pas. Le con de droite, lui, « n’en a rien à foutre. Il est autocentré, il pense à lui, à ses très proches, puis à ses semblables. Aucune vision transfrontalière ou transculturelle de sa connerie. Il se suffit à lui-même. C’est d’ailleurs son mantra ultime : « Moi, tant qu’on ne me fait pas chier »… » Tocqueville avait peut-être déjà cerné cette espèce comme « une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ».

Dans Mort aux cons (2007), Carl Aderhold avait imaginé un personnage qui s’était mis en tête de tuer les cons. Les tuer tous ? Pour de Gaulle, il s’agissait d’un trop vaste programme. L’entreprise de David Garnier est moins génocidaire. Parmi les catégories de cons, il se situe même parmi l’une d’entre elles : les vieux cons. Des vieux cons, il y en a toujours eu et même à l’époque des cavernes, on pouvait imaginer ce discours : « Et quoi le feu ? Ben quoi le feu ? On faisait comment nous quand on était jeunes ? On l’avait le feu ? Et alors ? On était malheureux ? On mangeait pas ? Eh ben si ! On mangeait froid, et ça faisait de nous des vrais hommes ! Oui il faisait froid dans la grotte, et alors ? On en est morts ? ». David Garnier, lui, n’aime pas les fêtards, l’arbitrage vidéo dans le foot, les enfants dans les avions et la télécommande de l’Apple TV. On s’y re-con-naîtra en partie.

146 pages

Lady Fox: elle flingue pas, elle cause

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Claire Fox prête serment à la Chambre des lords, 8 octobre 2020. DR.

Rien ne prédestinait Claire Fox, alias Baroness Fox of Buckley, à siéger à la Chambre des lords. Brexiteuse convaincue, elle se dit «populiste de gauche» et appelle à débattre de tout avec tout le monde. Démocratie, liberté d’expression et responsabilité individuelle sont au cœur de son combat. Portrait.


Ne comptez pas sur Claire Fox pour éviter les sujets qui fâchent, elle qui aime tant ferrailler avec son époque. À Londres en octobre, elle ouvrait la 20e édition de la « Bataille des idées », un forum géant qui réunit chaque année deux jours durant 400 conférenciers et attire un public de 3 000 personnes, lequel sélectionne avec appétit, parmi la centaine de discussions proposées, les thèmes qui l’intriguent. Par tranche d’une heure et demie, simultanément dans les douze salles de Church House, on gamberge sur les controverses du moment : « Peut-on réparer un État dysfonctionnel ? », « Les deepfakes, nouveau défi médiatique ? », « Qui a peur de la révolte populiste ? », « Gatsby le Magnifique a 100 ans : que raconte le roman sur l’Amérique d’aujourd’hui ? », « Entendons-nous sur le mot “génocide” ». Trois à cinq intervenants proposent un exposé succinct, après quoi l’auditoire est invité à interroger, contredire, argumenter. Ça se passe dans le quartier de Westminster, le cœur politique de Londres.

Magnétisme et humour

Cette année, pour la première fois, on touchait au sujet de la guerre civile – qui eût paru extravagant il n’y a pas si longtemps. L’objectif n’est pas de souffler sur les braises. Mais, au contraire, de dézoomer. Intitulé de la séance : « Why is civil war a talking point ? » La question n’est pas « Sommes-nous à l’aube d’une guerre civile ? », mais « Pourquoi parle-t-on de guerre civile ? » Nuance. Claire Fox, rencontrée quelques jours plus tôt à Paris explique : « Des travaux universitaires sur ce thème déclenchent des controverses médiatiques et puis les gens ordinaires s’en emparent. Un de mes collègues à la Chambre des lords m’a dit qu’il trouvait irresponsable d’aborder ce sujet. S’il pense que c’est dangereux d’en parler, ça prouve qu’il y a un sujet. Il serait donc irresponsable de ne pas en débattre ! » Et c’est ainsi que Claire Fox accueille, dans ce barnum animé, des gens de tous milieux et tous âges, qui apportent leur écot à la conversation nationale. Le temps d’un week-end, elle est secondée par 170 bénévoles emportés par son enthousiasme, son magnétisme et son humour. Ils accueillent le public, lui tendent le micro, filment les débats.

Claire Fox, alias Baroness Fox of Buckley, 65 ans, porte de longs gilets sur de longues jupes hippies (réminiscence d’une jeunesse à l’extrême gauche) qu’elle marie avec des colliers de perles (unique signe extérieur de noblesse de cette figure issue de la plèbe irlandaise). Son allure reflète son parcours intellectuel, dont elle ne renie rien. Le Parti communiste révolutionnaire, qu’elle a fréquenté jusqu’à sa dissolution en 1997, a forgé sa culture politique. Vers la fin, cet organe trotskyste a délaissé la lutte anticapitaliste et les vieux schémas oppresseurs/opprimés pour se recentrer sur la défense des libertés civiles. Dans les années 2000, Fox poursuit sa mue, se convertissant au libéralisme économique et la responsabilité individuelle. Le cauchemar de Fox, c’est l’État nounou qui décide ce qui est bon pour ses administrés et met le peuple sous tutelle « pour son bien ».

L’Académie des idées, l’organisme qui orchestre la Bataille des idées, n’est pas un think tank. Cette association, qui emploie cinq personnes et demie, a juste vocation à générer des espaces de débats. « J’ai commencé ma carrière comme prof. Ce qui m’anime, c’est l’envie de créer des outils qui permettent aux gens de penser par eux-mêmes et de prendre part à l’histoire. » Tout sauf une société apathique ! Pas de safe space dans l’univers de Fox. Sans surprise, elle a été parmi les premiers et les plus vaillants opposants au wokisme et autres politiques victimaires. Cette femme-là n’a pas peur des bien-pensants.

Malgré elle, Fox va entrer en politique. Juin 2016, coup de tonnerre au Royaume-Uni : le Brexit l’emporte à 52 %. Mais pendant trois ans, rien ne bouge. Le pays demeure dans l’UE. Nigel Farage lance alors le Brexit Party dont l’unique objectif est de faire respecter et appliquer le vote populaire de 2016. Fox est une pro-Brexit de gauche. À l’approche des européennes de 2019, on lui propose d’être candidate pour le Brexit Party de Farage. Fox rigole. « Je n’ai jamais, ô grand jamais, souhaité occuper un poste politique. Mais quand j’ai réalisé que le gouvernement allait tout faire pour annuler le Brexit, j’ai pensé que ce serait nuisible à la démocratie. Ils allaient saper la confiance dans les institutions. Je me suis présentée. Et j’ai été élue. » De juillet 2019 à janvier 2020, Claire Fox, qui a milité pour quitter l’UE, occupe consciencieusement sa nouvelle fonction de députée européenne.

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Aux législatives de 2020, le parti Tory obtient une large majorité aux Communes ; Boris Johnson devient ainsi Premier ministre, largement grâce à sa fameuse promesse « Get Brexit done ! » Les Tories ont recueilli les suffrages des brexiteurs des régions post-industrielles traditionnellement travaillistes. Aussi, lorsque Johnson soumet à la reine d’Angleterre sa liste de nominations à la Chambre des lords, apparaît le nom de… Claire Fox. Comme un geste de gratitude envers les électeurs travaillistes. Fox rigole encore, elle qui milite pour la suppression de la chambre haute qu’elle tient pour antidémocratique. « Prêter serment chez les lords, on ne pouvait imaginer plus incongru. C’en était embarrassant… Tout bien réfléchi, j’ai pensé que j’avais une responsabilité. Plus d’un demi-million de personnes avaient voté pour ma liste aux européennes. C’était une façon de leur donner une voix. » Le 8 octobre 2020, Claire Fox prête serment à la Chambre des lords. Selon la tradition, elle est alors anoblie et reçoit le titre de Baroness Fox of Buckley (Buckley est la ville galloise où elle a passé son enfance), « non affiliée » (elle ne dépend d’aucun parti politique), nommée pairesse à vie.

Défense des libertés civiles

Depuis lors, elle prend à cœur son rôle de législatrice, scrute les propositions de loi qui arrivent de la Chambre des communes, met son poste au service de la défense des libertés civiles. « En ce moment, par exemple, on discute une loi sur la fraude dans les services sociaux, loi vertueuse, destinée à économiser l’argent des contribuables. Mais à y regarder de plus près, il y a une clause qui autoriserait l’État à surveiller votre compte bancaire. Il n’est pas rare que des mesures autoritaires se nichent au détour d’un alinéa. » Forte de cette expérience, reconsidère-t-elle son appel à supprimer la Chambre des lords ? Aucunement ! « Je suis pour un système monocaméral. Qui suis-je pour examiner les projets de loi ? Ce sont les élus, et seulement les élus, qui devraient s’en charger. » En attendant, ses interventions étant construites et argumentées, elle a gagné ses galons parmi les lords. « L’important, c’est de participer » : est-ce la phrase de Pierre de Coubertin (qui fut prononcée à Londres, justement…) ou plutôt le « Fight, fight, fight ! » de Trump qui résume le mieux le parcours de Claire Fox ? « Une sorte d’entre-deux », répond-elle. Elle participe, elle commente, elle défend ses convictions, courtoise mais combative, avec sa voix grasse de fumeuse et ce timbre à faire trembler les murs d’un pub anglais.

Claire Fox est née en Angleterre de parents irlandais et a grandi au Pays de Galles. « Culturellement, je suis une catholique d’Irlande ; mais ça ne veut pas dire grand-chose car je suis athée et pas irlandaise. » L’insécurité culturelle va-t-elle unir cet étrange pays constitué de quatre nations ? Cet automne, à la faveur du mouvement « Hisser les couleurs » on a pu voir les drapeaux des quatre régions (Écosse, Pays de Galles, Irlande du Nord, Angleterre) pavoiser ensemble. « En Irlande du Nord, les communautés catholique et protestante militent ensemble contre la réquisition d’hôtels pour l’accueil des migrants. Ils agitent leurs drapeaux côte à côte. Or je peux vous dire que les drapeaux, en Irlande du Nord, c’est sérieux. Mais les anciennes allégeances ne sont plus pertinentes pour comprendre les enjeux actuels. »

Claire Fox se dit populiste de gauche. On l’interroge sur Reform UK, le parti de Nigel Farage, au plus haut dans les sondages : « Ce que je peux vous dire, et c’est valable partout en Europe, aussi bien pour l’AfD ou le RN : ces partis sont des véhicules que le peuple utilise pour se faire entendre. Si l’immigration cristallise toutes les tensions, ce n’est pas une question de xénophobie. C’est que le contrôle des frontières est essentiel pour garantir la démocratie. L’État-nation est au fondement de la souveraineté populaire. Si vous ne savez plus qui entre dans le pays, si la citoyenneté devient une notion floue, c’est tout le système qui flanche. » Un peuple dessaisi de ses prérogatives, une démocratie qui perd pied, l’identité nationale qui se redéfinit : les mêmes enjeux s’imposent des deux côtés de la Manche. C’est pourquoi elle voudrait créer en France une réplique de la Bataille des idées. Most welcome, Lady Fox !

Cinéma: dans Lisbonne enlaidie, Eugène Green sauve encore la beauté

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Rui Pedro Silva dans "L'arbre de la connaissance" (2025) © JHR Films

Cinéaste-poète génial, Eugène Green nous captive une fois encore avec L’Arbre de la connaissance


Faut-il encore présenter Eugène Green ? Natif des États-Unis (épicentre géographique de ce qu’il ne perd jamais une occasion de nommer la barbarie – et leurs habitants, comme de juste, les barbares) mais dès longtemps francophone de cœur, d’adoption et bien entendu naturalisé français, tout autant dramaturge, romancier, poète, que cinéaste sur le tard, ce fabuleux conteur, de bonne heure épris de musique baroque, est à sa manière en 2025, au Septième art ce que fut en son temps un Robert Bresson.

Cinéaste singulier

Né en 1947, le chef encadré d’une longue crinière chenue tel un preux chevalier du temps jadis, vieil amoureux de Lisbonne mais atterré par son enlaidissement ripoliné, est pourtant un moderne, au sens où son cinéma tellement singulier, si captivant, n’observe jamais le réel que d’un regard de sage souriant, pétri de cette ironie tout à la fois cruelle et bienveillante, pince-sans-rire et acide. Jamais en militant ou en donneur de leçons. Green est un moraliste, nullement un moralisateur, et encore moins un de ces procureurs bien-pensants dont l’époque est féconde.

Venons-en à son dernier film, en salles depuis déjà quelques jours, et dont votre serviteur (hélas victime d’un brutal ennui de santé), rend compte ici trop tardivement, toute honte bue. L’arbre de la connaissance a pour siège Lisbonne, tout comme en 2009 le film La Religieuse portugaise (on y retrouve d’ailleurs sous d’autres traits fictifs la merveilleuse actrice Ana Moreira). Dans La Sapienza (2014), un architecte d’âge mûr, méditant d’écrire une étude, devenait par le hasard d’une rencontre fortuite le cicérone d’un jeune et bel étudiant en architecture, le prenant sous son aile dans un « grand tour » transalpin, de Rome à Turin, pour lui faire découvrir les chefs d’œuvres de Borromini, devenant ainsi le mentor de son protégé dans sa carrière naissante.

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Ici, c’est un Ogre (dans le rôle, Diogo Doria, figure mythique de la scène et de l’écran lusitaniens, comme tel de longue date adoubé par un Raul Ruiz ou un Manoel de Oliveira) qui recueille Gaspar, chaste éphèbe aux boucles brunes (Rui Pedro Silva) en rupture de ban avec ses géniteurs, coincés dans le désert spirituel et esthétique de ces banlieues sans fin dont le siècle est fertile. Environnement capté d’ailleurs crument par l’objectif : escaliers mécaniques, immenses artères minérales, légions d’édifices réunis par une identique banalité – l’omniprésent, tentaculaire défi à tout beauté architecturale et urbanistique, désormais notre ordinaire hors centres villes au patrimoine rageusement lessivé. L’adolescent Gaspar sert d’appât pour attirer les meutes de touristes dans l’antre de l’Ogre.

Lisbonne: l’horreur touristique

Avec cette facétie mordante qui n’est qu’à lui, Green plante le décor d’une Ville aux sept collines désormais abâtardie, soumise à l’invasion diurne et nocturne de ces meutes polyglottes, ignares, ignoblement nippées, de ces troupeaux audioguidés, véhiculés en cyclopousses électriques ou en faux trains à vapeur miniatures :  Lisbonne ne s’appartient plus.  D’un geste de la main, Gaspar remet ces hordes de bipèdes transhumants sur leurs pattes, faisant s’évanouir, sous leurs culs interchangeables de touristes, leurs cohortes d’affreux tuk–tuks, pareils aux palanquins du diable. La multiplication des disparitions humaines, ragoût prisé de l’Ogre anthropophage, fait pendant ce temps la une des JT, autre trait d’un très haut comique. Gaspar ayant sauvé du chaudron un chien et une ânesse, le conte embarquera le spectateur médusé dans une fable sans borne assignée, conjuguant le saugrenu, la cocasserie, et la morsure musclée dans la chair même du temps présent.

Nul passéisme chez Green, mais la souffrance manifeste d’un poète qui, consterné, voit sous ses yeux se déliter de jour en jour, inexorablement, notre vieille, irremplaçable civilisation européenne et jusqu’à sa langue même, trésors d’autant plus chéris par lui que, de souche exogène, il a dû patiemment se les assimiler.

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Et si L’Arbre de la connaissance convoque, dans les rets d’un scénario foisonnant, stupéfiant d’allègre inventivité, la figure de la fille de Joseph 1er, Marie (1734-1816), laquelle, devenue folle, s’éteint au Brésil où elle s’était exilée dès l’annonce de l’invasion napoléonienne en 1808, ce n’est pas par pure nostalgie, non plus que l’apparition, au cœur du film, de Sebastiao Jose Carcalho e Melo, marquis de Pompal (1699-1782). Mais parce que la sapience – mariage de la sagesse et du savoir – appelle la rumeur de l’histoire et la puissance irrécusable du passé : double tresse de la connaissance à l’arbre duquel se fixera Helena, la femme-serpent du film, dans une séquence étrange et superbe… De même, les azulejos ne sont pas là pour faire joli. Ils sont la substance de Lisbonne. Et si Green privilégie les plans frontaux sur les visages, ce n’est pas davantage par pur esthétisme, mais parce qu’ils sont la face, la carnation même de la beauté humaine dans son âge idéal. Leur langage châtié n’a rien d’une coquetterie : c’est l’expression d’une perfection.

A quand une rétrospective Eugène Green, doublée d’une exposition, à la Cinémathèque française ?  


Maria Gomes et Rui Pedro Silva (C) JHR Films

L’arbre de la connaissance. Film d’Eugène Green. Avec Rui Pedro Silva, Maria Gomes, Diogo Doria, Ana Moreira, Leonor Silveira… France/ Portugal, couleur, 2025. Durée : 1h41 En salles.

Présidentielles à gauche: pourquoi pas la courte paille?

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L'histoire en marche. De gauche à droite : Marine Tondelier, Olivier Faure, Lucie Castets, Clémentine Autain et Francois Ruffin, Trappes, 15 novembre 2025 © Christophe SAIDI/SIPA

Réunie le 15 novembre dans les Yvelines chez Ali Rabeh, la «gauche unitaire» a annoncé qu’une grande primaire aurait lieu à l’automne 2026. Malheureusement, on ne trouve que des seconds couteaux parmi les postulants pour l’instant, les candidats naturels – Mélenchon pour la gauche dure et Glucksmann pour la gauche molle – souhaitant concourir séparément.


Eux au moins nous font bien rigoler. Eux, je veux dire la gauche façon puzzle qui se contorsionne en tout sens dans l’espoir de parvenir à s’afficher « unitaire » en vue des présidentielles de 2027. « Unitaire », vous l’aurez compris, face au danger suprême que représenterait l’extrême droite. C’est dire si l’heure est grave. Alors, aussi vrai que l’oignon fait la soupe, ils se sont dit, à gauche, que l’union devait faire la force. Ils ont même prêté serment là-dessus. C’était lors de la canicule estivale, en juillet dernier, à Bagneux. Présenter le moment venu un candidat commun, voilà l’objet du serment dont on ne sait s’il a été prononcé la main droite posée sur le dernier bouquin de Mélenchon ou la sainte bible du programme commun des années Mitterrand-Marchais.

Peut-être l’intense chaleur leur était-elle montée à la tête, ce qui expliquerait qu’ils se soient lancés dans cette lubie dont le préalable est tout de même l’harakiri consenti d’un certain nombre d’egos. Car il y a quelque peu embouteillage au portillon. Qu’on en juge !  Nous avons là Olivier Faure, le patron du PS, Marine Tondelier, la cheffe des écologistes, Benjamin Lucas, le coordinateur de Génération.s, les vrais-faux repentis du mélenchonisme pur et dur que sont Clémentine Autain, François Ruffin et surtout, en « guest star », celle qui se voyait Première ministre en 2024 et se voit manifestement encore tutoyant les sommets, la sémillante Lucie Castets. Tous individus dont, nul ne l’ignore, l’ambition n’est pas des plus tempérées ni l’ego particulièrement mince.

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Nonobstant, chose promise chose due, samedi dernier le serment de Bagneux a connu un semblant de mise en œuvre avec l’annonce de l’organisation d’une primaire de ladite gauche pour l’automne 2026. C’était en la bonne ville de Trappes. (Pour une initiative visant à élire un candidat destiné de toute évidence à passer, lui, à la trappe, le choix de cette ville paraît en effet des plus judicieux).

On sait déjà que MM. Mélenchon et Glucksman, entendant se la jouer perso, n’en seront pas. On ne se mélange pas, voyez-vous. Même à gauche. Quant au parti communiste, bien que tenant à rappeler sa puissante « culture antifasciste et une tradition d’union », il se tâte encore.

Pour le moment, nous avons trois candidats déclarés à cette joyeuse primaire : Clémentine Autain, Marine Tonnelier et François Ruffin. Olivier Faure, à l’instar des communistes, se tâte toujours. On sait qu’il n’a pas son pareil pour sortir du bois au dernier moment et couillonner son monde.

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Il est clair qu’il conviendra d’ajouter à ces candidatures annoncées celle de Lucie Castets. Sinon que serait-elle venue faire dans ce cirque ? C’est qu’elle croit ferme en son destin, au moins autant qu’elle y croyait en 2024 pour Matignon ! Qu’on se le dise ! Puisque Matignon lui est passé sous le nez, visons donc plus haut. L’Élysée, carrément. La chance sourit aux audacieux, n’est-ce pas. Le ridicule aussi, en l’occurrence. D’ailleurs, Dame Castets voit se profiler le plein succès pour ce tour de chauffe de la primaire : « Quand nous allons donner la date, se persuade-t-elle, cela va créer un effet d’entraînement, une dynamique ». Ce disant, elle se réfère à une enquête Elabe pour BFM TV révélant que 72% des électeurs du réjouissant Nouveau Front populaire souhaitent une candidature unique de la gauche. Autrement dit, un candidat ramasse miettes, puisque, à y regarder de près, celui-là – ou celle-là – aura à vendre à l’électeur l’illusion de représenter ne serait-ce qu’une once de cohérence programmatique. Pas gagné. D’autant, que le show de la primaire aura fait remonter à la surface, comme d’habitude, les oppositions, les contradictions, les détestations, bref tout ce qui apportera la démonstration éclatante que, à part une ambition démesurée, les comiques en lice n’ont à peu près rien en commun.

Aussi, pour éviter ce déballage si préjudiciable, ce naufrage annoncé, me permettrais-je de leur conseiller de recourir à la bonne vieille pratique de la courte paille. Évidemment, c’est beaucoup moins rigolo, surtout pour nous…

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Sur nos télés, les généraux ont remplacé les médecins

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Le chef d'état major des Armées Fabien Mandon à Paris, le 18 novembre 2025 © Franck Derouda/SIPA

De plus en plus de conservateurs inquiets craignent que le président français n’instrumentalise la menace russe pour ressouder l’opinion autour de lui, et afin de détourner l’attention sur les crises intérieures. Ivan Rioufol redoute ainsi dans sa chronique que la France s’entête à soutenir l’Ukraine jusqu’à provoquer une escalade militaire, alors même que les marges diplomatiques se referment.


Cette fois, ils évitent l’accusation en complotisme, craignant le ridicule. En effet, les batailleurs qui alertent, derrière Emmanuel Macron, sur Vladimir Poutine et sa « guerre hybride » voient partout la main de Moscou. Ceux qui accusent le chef de l’État de vouloir faire diversion, tandis que la France est la cible passive d’un djihad intérieur qui devrait mobiliser l’armée, sont plus banalement traités de « collabos », « munichois », « capitulards », etc.

Les lyncheurs sont les mêmes qui, durant la crise du Covid, conspuaient les résistants à l’hygiénisme d’État et à ses QR codes sanitaires, annonciateurs d’une société totalitaire soumise à la peur. Sur les télés, les généraux ont remplacé les médecins. Mais les mécanismes anxiogènes sont les mêmes. La déclaration du chef d’état-major des armées, le général Fabien Mandon, devant le congrès des maires de France, mardi soir, appelant le pays à préserver sa « force d’âme » et à « accepter de perdre ses enfants » dans un affrontement futur avec la Russie, a dévoilé l’état d’esprit d’un président esseulé et rejeté, en quête d’union nationale autour de sa personne. Le 11 juillet, le général Thierry Burkhard, prédécesseur de Mandon, avait attribué à la Russie une déclaration, en réalité introuvable, censée faire de la France « son premier adversaire en Europe ». En fait, tout est bon pour le pouvoir. Il attise les braises sur une poudrière, quitte à user de mensonges et de sanctions contre des opposants. Le général Paul Pellizzari a été radié de son grade pour avoir osé demander au gouvernement de saisir le Parlement en préalable aux livraisons d’armes à l’Ukraine, en regard des articles 35 et 53 de la constitution.

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« La crainte de la guerre est souvent la chance des tyrannies », expliquait Raymond Aron. Ce regard est utile pour comprendre les postures bellicistes de Macron face à Poutine, alors que le chef de l’Etat baisse les armes face à l’Algérien Abdelmadjd Tebboune et ses provocations. Le refus du débat et la disqualification de l’esprit critique sont les marques de la macronie et de ses médias. Pour avoir répété, avec le noyau dur de l’Union européenne, que la « Russie ne pouvait, ne devait, gagner la guerre », Macron a renoncé à son rôle de médiateur. Or le président est en passe de perdre la face. Cela fait plus de deux ans que la vaillante Ukraine recule, après l’échec de sa contre-offensive de juin 2023. Le lâchage des Etats-Unis risque de précipiter sa défaite. Une guerre généralisée serait dès lors envisageable si la France et les boutefeux européistes décidaient, pour imposer une Europe supranationale, de relancer le meurtrier conflit entre slaves.

Le dernier plan de paix concocté entre Américains et Russes n’est certes pas acceptable en l’état par l’Ukraine. Il serait pire, dans ses 28 points, que celui qui avait été élaboré à Istanbul en mars-avril 2022 avant d’être rejeté sous la pression britannique. « Je ne trahirai jamais l’Ukraine », a déclaré samedi Volodymyr Zelensky. Ce patriotisme l’honore. Reste que la corruption de son entourage a aggravé sa propre faiblesse. Dans les négociations, ouvertes hier à Genève, une paix est envisageable pour un esprit rationnel. Mais Macron pense-t-il à autre chose qu’à lui-même ?

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