Rien ne prédestinait Claire Fox, alias Baroness Fox of Buckley, à siéger à la Chambre des lords. Brexiteuse convaincue, elle se dit «populiste de gauche» et appelle à débattre de tout avec tout le monde. Démocratie, liberté d’expression et responsabilité individuelle sont au cœur de son combat. Portrait.
Ne comptez pas sur Claire Fox pour éviter les sujets qui fâchent, elle qui aime tant ferrailler avec son époque. À Londres en octobre, elle ouvrait la 20e édition de la « Bataille des idées », un forum géant qui réunit chaque année deux jours durant 400 conférenciers et attire un public de 3 000 personnes, lequel sélectionne avec appétit, parmi la centaine de discussions proposées, les thèmes qui l’intriguent. Par tranche d’une heure et demie, simultanément dans les douze salles de Church House, on gamberge sur les controverses du moment : « Peut-on réparer un État dysfonctionnel ? », « Les deepfakes, nouveau défi médiatique ? », « Qui a peur de la révolte populiste ? », « Gatsby le Magnifique a 100 ans : que raconte le roman sur l’Amérique d’aujourd’hui ? », « Entendons-nous sur le mot “génocide” ». Trois à cinq intervenants proposent un exposé succinct, après quoi l’auditoire est invité à interroger, contredire, argumenter. Ça se passe dans le quartier de Westminster, le cœur politique de Londres.
Magnétisme et humour
Cette année, pour la première fois, on touchait au sujet de la guerre civile – qui eût paru extravagant il n’y a pas si longtemps. L’objectif n’est pas de souffler sur les braises. Mais, au contraire, de dézoomer. Intitulé de la séance : « Why is civil war a talking point ? » La question n’est pas « Sommes-nous à l’aube d’une guerre civile ? », mais « Pourquoi parle-t-on de guerre civile ? » Nuance. Claire Fox, rencontrée quelques jours plus tôt à Paris explique : « Des travaux universitaires sur ce thème déclenchent des controverses médiatiques et puis les gens ordinaires s’en emparent. Un de mes collègues à la Chambre des lords m’a dit qu’il trouvait irresponsable d’aborder ce sujet. S’il pense que c’est dangereux d’en parler, ça prouve qu’il y a un sujet. Il serait donc irresponsable de ne pas en débattre ! » Et c’est ainsi que Claire Fox accueille, dans ce barnum animé, des gens de tous milieux et tous âges, qui apportent leur écot à la conversation nationale. Le temps d’un week-end, elle est secondée par 170 bénévoles emportés par son enthousiasme, son magnétisme et son humour. Ils accueillent le public, lui tendent le micro, filment les débats.
Claire Fox, alias Baroness Fox of Buckley, 65 ans, porte de longs gilets sur de longues jupes hippies (réminiscence d’une jeunesse à l’extrême gauche) qu’elle marie avec des colliers de perles (unique signe extérieur de noblesse de cette figure issue de la plèbe irlandaise). Son allure reflète son parcours intellectuel, dont elle ne renie rien. Le Parti communiste révolutionnaire, qu’elle a fréquenté jusqu’à sa dissolution en 1997, a forgé sa culture politique. Vers la fin, cet organe trotskyste a délaissé la lutte anticapitaliste et les vieux schémas oppresseurs/opprimés pour se recentrer sur la défense des libertés civiles. Dans les années 2000, Fox poursuit sa mue, se convertissant au libéralisme économique et la responsabilité individuelle. Le cauchemar de Fox, c’est l’État nounou qui décide ce qui est bon pour ses administrés et met le peuple sous tutelle « pour son bien ».
L’Académie des idées, l’organisme qui orchestre la Bataille des idées, n’est pas un think tank. Cette association, qui emploie cinq personnes et demie, a juste vocation à générer des espaces de débats. « J’ai commencé ma carrière comme prof. Ce qui m’anime, c’est l’envie de créer des outils qui permettent aux gens de penser par eux-mêmes et de prendre part à l’histoire. » Tout sauf une société apathique ! Pas de safe space dans l’univers de Fox. Sans surprise, elle a été parmi les premiers et les plus vaillants opposants au wokisme et autres politiques victimaires. Cette femme-là n’a pas peur des bien-pensants.
Malgré elle, Fox va entrer en politique. Juin 2016, coup de tonnerre au Royaume-Uni : le Brexit l’emporte à 52 %. Mais pendant trois ans, rien ne bouge. Le pays demeure dans l’UE. Nigel Farage lance alors le Brexit Party dont l’unique objectif est de faire respecter et appliquer le vote populaire de 2016. Fox est une pro-Brexit de gauche. À l’approche des européennes de 2019, on lui propose d’être candidate pour le Brexit Party de Farage. Fox rigole. « Je n’ai jamais, ô grand jamais, souhaité occuper un poste politique. Mais quand j’ai réalisé que le gouvernement allait tout faire pour annuler le Brexit, j’ai pensé que ce serait nuisible à la démocratie. Ils allaient saper la confiance dans les institutions. Je me suis présentée. Et j’ai été élue. » De juillet 2019 à janvier 2020, Claire Fox, qui a milité pour quitter l’UE, occupe consciencieusement sa nouvelle fonction de députée européenne.
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Aux législatives de 2020, le parti Tory obtient une large majorité aux Communes ; Boris Johnson devient ainsi Premier ministre, largement grâce à sa fameuse promesse « Get Brexit done ! » Les Tories ont recueilli les suffrages des brexiteurs des régions post-industrielles traditionnellement travaillistes. Aussi, lorsque Johnson soumet à la reine d’Angleterre sa liste de nominations à la Chambre des lords, apparaît le nom de… Claire Fox. Comme un geste de gratitude envers les électeurs travaillistes. Fox rigole encore, elle qui milite pour la suppression de la chambre haute qu’elle tient pour antidémocratique. « Prêter serment chez les lords, on ne pouvait imaginer plus incongru. C’en était embarrassant… Tout bien réfléchi, j’ai pensé que j’avais une responsabilité. Plus d’un demi-million de personnes avaient voté pour ma liste aux européennes. C’était une façon de leur donner une voix. » Le 8 octobre 2020, Claire Fox prête serment à la Chambre des lords. Selon la tradition, elle est alors anoblie et reçoit le titre de Baroness Fox of Buckley (Buckley est la ville galloise où elle a passé son enfance), « non affiliée » (elle ne dépend d’aucun parti politique), nommée pairesse à vie.
Défense des libertés civiles
Depuis lors, elle prend à cœur son rôle de législatrice, scrute les propositions de loi qui arrivent de la Chambre des communes, met son poste au service de la défense des libertés civiles. « En ce moment, par exemple, on discute une loi sur la fraude dans les services sociaux, loi vertueuse, destinée à économiser l’argent des contribuables. Mais à y regarder de plus près, il y a une clause qui autoriserait l’État à surveiller votre compte bancaire. Il n’est pas rare que des mesures autoritaires se nichent au détour d’un alinéa. » Forte de cette expérience, reconsidère-t-elle son appel à supprimer la Chambre des lords ? Aucunement ! « Je suis pour un système monocaméral. Qui suis-je pour examiner les projets de loi ? Ce sont les élus, et seulement les élus, qui devraient s’en charger. » En attendant, ses interventions étant construites et argumentées, elle a gagné ses galons parmi les lords. « L’important, c’est de participer » : est-ce la phrase de Pierre de Coubertin (qui fut prononcée à Londres, justement…) ou plutôt le « Fight, fight, fight ! » de Trump qui résume le mieux le parcours de Claire Fox ? « Une sorte d’entre-deux », répond-elle. Elle participe, elle commente, elle défend ses convictions, courtoise mais combative, avec sa voix grasse de fumeuse et ce timbre à faire trembler les murs d’un pub anglais.
Claire Fox est née en Angleterre de parents irlandais et a grandi au Pays de Galles. « Culturellement, je suis une catholique d’Irlande ; mais ça ne veut pas dire grand-chose car je suis athée et pas irlandaise. » L’insécurité culturelle va-t-elle unir cet étrange pays constitué de quatre nations ? Cet automne, à la faveur du mouvement « Hisser les couleurs » on a pu voir les drapeaux des quatre régions (Écosse, Pays de Galles, Irlande du Nord, Angleterre) pavoiser ensemble. « En Irlande du Nord, les communautés catholique et protestante militent ensemble contre la réquisition d’hôtels pour l’accueil des migrants. Ils agitent leurs drapeaux côte à côte. Or je peux vous dire que les drapeaux, en Irlande du Nord, c’est sérieux. Mais les anciennes allégeances ne sont plus pertinentes pour comprendre les enjeux actuels. »
Claire Fox se dit populiste de gauche. On l’interroge sur Reform UK, le parti de Nigel Farage, au plus haut dans les sondages : « Ce que je peux vous dire, et c’est valable partout en Europe, aussi bien pour l’AfD ou le RN : ces partis sont des véhicules que le peuple utilise pour se faire entendre. Si l’immigration cristallise toutes les tensions, ce n’est pas une question de xénophobie. C’est que le contrôle des frontières est essentiel pour garantir la démocratie. L’État-nation est au fondement de la souveraineté populaire. Si vous ne savez plus qui entre dans le pays, si la citoyenneté devient une notion floue, c’est tout le système qui flanche. » Un peuple dessaisi de ses prérogatives, une démocratie qui perd pied, l’identité nationale qui se redéfinit : les mêmes enjeux s’imposent des deux côtés de la Manche. C’est pourquoi elle voudrait créer en France une réplique de la Bataille des idées. Most welcome, Lady Fox !





