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La France a-t-elle besoin d’une droite cow-boy?


La France a-t-elle besoin d’une droite cow-boy?
Donald Trump lors du sommet de Charm el-Cheikh sur la paix à Gaza, 13 octobre 2025 © AP Photo/Evan Vucci/SIPA$

La méthode Trump commence à porter ses fruits aux États-Unis et sur certains dossiers internationaux. Malgré ses outrances, le président américain inspire d’autres chefs d’États et de partis, notamment en Europe. Mais en France, la droite n’ose jamais avouer qu’elle prend exemple sur l’Oncle Sam…


Le soir tombe sur Paris ce 5 octobre. À la télévision, la composition du gouvernement Lecornu vient d’être annoncée. Devant son écran, Bruno Retailleau est furieux. Si, comme promis, il a bien été reconduit à l’Intérieur, il a découvert, stupéfait, que le « traître » Bruno Le Maire a hérité, quant à lui, des Armées. Alors que ni le chef de l’État ni le Premier ministre n’ont jugé utile de le prévenir de cette nomination détonnante. Le Vendéen se sent trahi.

Rupture

À 21 h 22, il riposte en publiant un message sur X: « La composition du gouvernement ne reflète pas la rupture promise. Devant la situation politique créée par cette annonce, je convoque demain matin le comité stratégique des Républicains. » Le style a beau être policé, la transgression n’en demeure pas moins absolue. Jamais dans notre histoire, un ministre de haut rang n’avait critiqué, de façon si lapidaire et publique, l’exécutif auquel il était pourtant censé participer.

Dès le lendemain, Sébastien Lecornu en tire les conséquences d’abord en présentant la démission de son gouvernement, puis en acceptant quelques jours plus tard, « par devoir », d’être renommé à Matignon… mais cette fois sans Retailleau à Beauvau. Depuis, chez les Républicains, la sidération s’est muée en consternation. Comment leur président, pourtant si madré et réfléchi, a-t-il pu croire judicieux de tenter un coup de pression sur les réseaux sociaux, qui plus est dans la précipitation ? A-t-il sérieusement imaginé qu’il se ferait ainsi respecter du « socle commun » ? Gardons-nous de psychanalyser un homme si complexe et allons à l’essentiel : avec son offensive à ciel ouvert et à l’emporte-pièce, Retailleau a, rien qu’un instant et à rebours de toutes ses habitudes, tout simplement fait du Trump.

Prendre de court l’adversaire, faire des déclarations choc, passer en force. Depuis son retour à la Maison-Blanche il y a neuf mois, le président américain gouverne avec encore plus d’impétuosité que lors de son premier mandat. Pas un jour ne passe sans qu’il lâche une bombe. Quand il ne signe pas, en mai, un contrat record – dans lequel il n’oublie pas ses intérêts personnels – avec les pétromonarchies du Golfe, il prie, en septembre, pour Charlie Kirk sur écran géant en Arizona. Quand il ne rabroue pas, en février, Volodimir Zelensky dans le bureau ovale, il y contraint, en octobre, Benyamin Netanyahou de prendre son téléphone pour s’excuser auprès du Qatar afin d’obtenir un accord sur Gaza. S’il était français, on pourrait dire en parodiant la théorie des trois droites de René Rémond, que Trump est orléaniste à Riyad, légitimiste à Glendale et constamment bonapartiste dans la West Wing, où il a d’ailleurs fait rajouter quantité de dorures sur les murs et les meubles.

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On pourrait aussi remarquer qu’avec ses idées fantasques d’annexer Panama et le Groenland, ou de bombarder avec du lisier les militants du mouvement « No Kings » qui manifestent contre lui, le président américain se montre plus brutal et provocateur, voire insultant, que jamais. À sa décharge, Trump s’est retrouvé, depuis sa réélection, dans un contexte international encore plus féroce que celui qu’il avait laissé en 2020, sans qu’on puisse l’en tenir responsable. Guerre en Ukraine et 7-Octobre obligent, tous les dirigeants de la planète dignes de ce nom sont aujourd’hui condamnés à adopter le genre grand fauve.

Mais c’est aussi à l’intérieur de son pays que le président américain a vu ses méthodes énergiques et ses manières culottées encouragées. Et pas seulement par sa base MAGA. La bourgeoisie républicaine semble à présent moins se boucher le nez devant sa vulgarité à tous crins. Si l’establishment de Washington (le « blob ») et les campus restent résolument hostiles à Trump, les milieux économiques, eux, commencent à l’apprécier, voire à s’en inspirer. Il faut dire qu’en ignorant systématiquement les mises en garde des juristes, en se moquant souverainement du politiquement correct et en affichant sa libido dominandi de façon décomplexée, le président populiste arrive parfois à déplacer des montagnes. À l’heure où ChatGPT est devenu presque aussi intelligent que les meilleurs consultants de McKinsey, ne montre-t-il pas la voie aux patrons du monde à venir en concentrant ses efforts sur ce que la machine ne saura jamais faire : prendre des risques et imposer sa puissance ?

Distances

Parmi les leaders de droite en Europe, le trumpisme fait aussi école. Le brexiteur Nigel Farage au Royaume-Uni, la Première ministre Giorgia Meloni en Italie, la chef de l’AfD Alice Weidel en Allemagne : nombreux sont ceux qui admettent une parenté, aussi bien sur le fond que sur la forme, avec le président américain. Sauf qu’en France, pas question de concéder le moindre attrait pour lui. Non pas tant que le « cercle de la raison » pro-européen et pro-mondialisation règne encore dans les esprits. Mais la peur de passer pour le valet de l’Oncle Sam empêche tout le monde ou presque parmi nos élites d’avouer que l’homme à la mèche blonde et à la cravate rouge donne de l’espoir à beaucoup de nos concitoyens qui, comme lui, croient dans le retour des États-nations.

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Déjà entre 1986 et 1988, Jacques Chirac, qui privatisait à tour de bras à Matignon, était un libéral honteux qui ne reconnaissait pas prendre exemple sur Ronald Reagan. Et Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse au cours de son quinquennat de faire oublier notre retour dans le commandement intégré de l’OTAN et ses vacances à Wolfeboro dans le New Hampshire durant l’été 2007. Quant à Marine Le Pen, ne comptez pas sur elle pour remercier Trump d’avoir écrit en mai sur sa plateforme Truth Social, alors qu’elle venait d’être condamnée en première instance dans l’affaire des assistants parlementaires du FN, « Free Marine Le Pen ». Sans doute garde-t-elle un souvenir amer de sa visite en 2017 dans le lobby de la Trump Tower de New York, où le maître des lieux n’avait pas daigné descendre la saluer. En France, parmi les têtes d’affiche à droite, seul Éric Zemmour revendique une proximité idéologique avec le milliardaire peroxydé, dont il a fêté la réélection en se déplaçant à Washington pour l’occasion.

Et les électeurs français dans cette histoire ? D’après l’IFOP, 59 % d’entre eux pensent qu’il est carrément un « dictateur ». Raison de plus pour notre personnel politique de garder ses distances. Même si, pour certains sondés, le qualificatif « dictateur » est sans doute un compliment.

Novembre 2025 – #139

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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