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Comment l’antisionisme radical s’ancre-t-il entre gauche et monde arabo-musulman?

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En effet, pourquoi un antisionisme radical et obsessionnel prospère-t-il aujourd’hui, à la croisée de la gauche occidentale et du monde arabo-musulman ?


Le rejet en bloc d’Israël, sa délégitimation systématique, sa diabolisation obsessionnelle n’ont plus grand-chose à voir avec une critique politique ordinaire. Ils relèvent d’un phénomène idéologique profond, émotionnel, passionnel, qui s’est installé dans une partie croissante des élites intellectuelles d’Europe, des Amériques, et bien sûr dans le monde arabo-musulman, où il est devenu une vérité d’évidence, un réflexe identitaire.

Ce rejet ne peut pas être honnêtement expliqué par les seules politiques des gouvernements israéliens. À ce compte, il faudrait haïr bien d’autres régimes — infiniment plus répressifs, autoritaires, ou génocidaires — avec une intensité égale, voire supérieure. Or, cette indignation sélective, presque hystérique, qui s’abat exclusivement sur Israël, trahit autre chose : un déplacement, une obsession, un besoin de diaboliser, de purger, de simplifier. Et cela, historiquement, a toujours une cible préférée : le Juif.

L’antisionisme radical n’est pas une simple critique d’État. C’est une posture idéologique, rigide, sourde aux faits, imperméable à la raison. C’est une passion haineuse, construite sur une image mythifiée du « Palestinien-victime » et du « Juif-bourreau », où toute nuance est abolie, toute complexité balayée. Il ne s’agit pas de pointer les erreurs, parfois graves, d’un gouvernement israélien. Il s’agit de nier le droit d’un peuple à disposer de lui-même. Il s’agit de contester la légitimité même de l’existence d’Israël. Cette haine est totale, systémique, déconnectée de la réalité, comme toutes les grandes passions politiques qui ont ensanglanté l’histoire moderne.

La logique de l’exorcisme : Israël comme entité démoniaque

On ne débat pas avec un démon. On ne dialogue pas avec une entité maléfique. On l’exorcise. On le détruit. C’est exactement la logique qui gouverne aujourd’hui le discours dominant sur Israël dans de nombreux cercles militants, universitaires, médiatiques : une volonté de délégitimation absolue, un refus d’entendre, de contextualiser, de penser.

Le mécanisme est ancien. Il répond à un besoin psychologique fondamental : faire porter à un autre la responsabilité de notre impuissance, de nos échecs, de notre confusion. Dans l’Europe chrétienne du Moyen Âge, c’était le diable — et très souvent sous les traits du Juif — qui incarnait ce mal diffus. Aujourd’hui, c’est Israël qui endosse cette fonction. L’histoire bégaie, et les déguisements changent peu.

Les théories du complot ne sont pas des lubies marginales : elles structurent l’inconscient collectif. Elles apportent un réconfort empoisonné. Elles donnent une cohérence à un monde devenu trop complexe. Et dans cette mise en scène, les Juifs — aujourd’hui les Israéliens — sont encore une fois placés au centre du dispositif accusatoire.

Le rapprochement entre les Juifs et le diable n’est pas un fantasme moderne. Il est enraciné dans la tradition chrétienne la plus ancienne : des évangiles à Luther, en passant par les conciles et les légendes populaires. L’image du Juif traître, corrupteur, déicide, a modelé des siècles d’imaginaire occidental. Elle s’est ensuite sécularisée, recyclée dans les grandes idéologies modernes, du nationalisme au communisme, jusqu’à l’antisionisme contemporain.

Le monde musulman et l’antisémitisme structurant

Le monde musulman, quant à lui, n’a pas été épargné. Certains versets du Coran, certains hadiths, ont été interprétés et instrumentalisés pour faire des Juifs des ennemis ontologiques, perfides, éternels. Si tous les musulmans ne haïssent pas les Juifs, il est difficile d’ignorer que l’antisémitisme — politique, religieux, culturel — est profondément enraciné dans de nombreuses sociétés musulmanes, où il s’enseigne souvent dès l’enfance, dans les familles, dans les manuels scolaires comme dans les prêches.

Il est d’ailleurs significatif que cette haine, obsessionnelle, ne soit pas présente dans les religions de l’Asie, comme le bouddhisme ou l’hindouisme. C’est donc bien un produit d’une histoire spécifique : celle des monothéismes abrahamiques qui se disputent la légitimité spirituelle.

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Le conflit israélo-palestinien est devenu, dans de vastes pans du monde musulman, une scène de théâtre symbolique. On y joue une pièce millénaire : celle du Bien contre le Mal. Hamed Abdel-Samad l’a dit avec force : « Ce n’est pas Israël que nous détestons. Ce sont les Juifs. » Et si Israël cédait Jérusalem, Haïfa, Tel-Aviv ? L’inimitié cesserait-elle ? Non. Car le combat n’est pas territorial, il est existentiel. Tant que les Juifs existeront librement, avec une terre, une armée, une culture, un État, ce combat ne cessera pas.

Ce que l’inconscient collectif musulman — et parfois chrétien — ne pardonne pas aux Juifs, ce n’est pas la domination. C’est d’avoir survécu. D’avoir refusé la conversion. D’avoir reconstruit une souveraineté. D’avoir échappé au statut de minorité humiliée. Leur renaissance est une offense. Leur résilience, une menace. Leur victoire, une insulte.

Une partie des élites progressistes occidentales, héritières à la fois du christianisme et du marxisme, ont trouvé dans l’antisionisme un exutoire à leur propre culpabilité. Elles expient la Shoah, la colonisation, l’esclavage en dénonçant Israël comme un État raciste, colonial, ségrégationniste. C’est une perversion de la morale, une inversion symbolique majeure : les victimes millénaires deviennent des bourreaux ; les agresseurs, des martyrs.

Une morale inversée, complice de la haine

Ces élites, prisonnières de ce que Chesterton appelait des « vertus chrétiennes devenues folles », refusent de voir que leur indignation sélective est un déni de justice. Elles cautionnent l’hostilité la plus brutale tant qu’elle est dirigée contre Israël. Elles ferment les yeux sur les appels au meurtre, les incitations à la haine, les idéologies théocratiques, les crimes commis au nom d’un antisionisme qui n’est qu’un masque.

Un monstre a été recréé. Israël, aujourd’hui, est accusé des mêmes crimes qu’on imputait aux Juifs au cours des siècles : tuer des enfants, détester l’humanité, vouloir dominer le monde. Rien de nouveau. La haine se recycle. Le vocabulaire change, l’accusation reste. On accuse Israël d’ambitions impérialistes démesurées : du Nil à l’Euphrate, demain peut-être jusqu’à Tombouctou ou Paris. Cette folie est une pure projection, au sens freudien du terme. Ceux qui rêvent de domination religieuse, ethnique ou idéologique, imputent à Israël leurs propres fantasmes de puissance. Ceux qui n’ont pas digéré leurs fautes historiques rejettent sur Israël le fardeau de leur culpabilité.

C’est l’alliance du refoulé et du délire. D’un côté, les héritiers des empires arabes, ottomans, islamiques, humiliés par l’histoire, qui voient en Israël une offense vivante à leur déclin. De l’autre, les Occidentaux rongés par la honte, paralysés par le souvenir de leurs crimes, qui cherchent un nouveau bouc émissaire. Et ils l’ont trouvé.

Israël n’est pas haï parce qu’il est fort. Il est haï parce qu’il existe. Parce qu’il est juif. Parce qu’il a refusé de disparaître. Voilà l’impensé fondamental. Voilà le scandale. Et tant que ce mensonge ne sera pas arraché à la racine, l’antisionisme radical restera, comme l’antisémitisme dont il procède, un poison toujours prêt à tuer.

Affaire Julian Foulkes: gardé à vue pour un tweet

Au Royaume-Uni, le maintien de l’ordre à deux vitesses (ou two-tier policing), en pleine lumière depuis l’attaque au couteau de Southport, en juillet 2024, continue de faire parler de lui. Après que certains officiers se sont agenouillés en soutien à des manifestants Black Lives Matter ou ont repeint leurs véhicules aux couleurs du mouvement LGBT +[1], d’autres ont même précipité en garde à vue un special constable, que l’on pourrait comparer à un gardien de la paix, qui jouissait paisiblement de sa retraite. Son crime? Avoir répondu à un post propalestinien, comme l’a révélé le Daily Telegraph, dans un article publié le 10 mai[2]. Même si la police a depuis présenté ses excuses, les critiques contre cette tendance à s’ériger en police de la pensée s’accumulent.


Remontons à la fin du mois d’octobre 2023. Alors que la ministre de l’Intérieur de l’époque, Suella Braverman, vient de décrire les manifestations propalestiniennes comme des « marches de la haine »[3], un quidam participant à ces manifestations s’insurge de se voir qualifié d’antisémite et dans un tweet menace d’intenter un procès fantaisiste à la ministre.

À la lecture de cette menace judicaire aux chances de succès douteuses en date du 30 octobre 2023, Julian Foulkes, 71 ans, inquiet pour ses amis de confession juive et scandalisé par les manifestations en question, se fend d’une réponse laissant entendre que les manifestants seraient à deux doigts d’envahir l’aéroport d’Heathrow pour attendre des passagers juifs : « One step away from storming Heathrow looking for Jewish arrivals… »[4] manifestant ainsi sa crainte de revivre un 29 octobre 2023, date à laquelle une foule de militants propalestiniens avait envahi l’aéroport de Makhatchkala, la capitale du Daghestan, pour s’en prendre à un avion en provenance de Tel Aviv. Pas bien attentive, la police a considéré le tweet du retraité comme antisémite.

Police de la pensée

Le lendemain, Mr Foulkes a la mauvaise surprise de voir six officiers de police frapper à sa porte. Le retraité, accusé d’être l’auteur d’un post de « nature extrémiste », se retrouve menotté pendant que son logement est passé au peigne fin… La scène prend alors une tournure orwellienne quand les officiers tombent sur trois ouvrages du journaliste et écrivain Douglas Murray dont The War on the West ainsi qu’un livre qui fait état du scepticisme de son auteur quant à l’intégration du Royaume-Uni dans le marché commun qu’ils qualifieront de « très étrange ». La vidéo de l’arrestation :


Jugeant ces différentes lectures un peu trop « Brexity » à leur goût, comme si oser soutenir le Brexit suffisait à rendre quiconque suspect, les policiers découvrent ensuite que le pauvre homme est un lecteur du magazine conservateur hebdomadaire The Spectator. Poussant leur enquête plus loin, les officiers découvriront que le dangereux retraité est en possession de gants, de papier d’aluminium mais aussi d’eau de Javel…

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Fausse alerte : Madame Foulkes étant coiffeuse, la présence des produits se justifie. Mais, le retraité n’en demeure pas moins conservateur ! Mr Foulkes devra même en passer par une procédure de reconnaissance de culpabilité (caution) afin de pouvoir recouvrer la liberté et de ne pas se voir priver de la possibilité de rendre visite à sa fille vivant en Australie. Cette procédure n’entraîne pas de peine, mais reste tout de même inscrite au casier judiciaire de la personne concernée.

La police britannique, qui a depuis reconnu son erreur, a effacé la caution du casier judiciaire de Julian Foulkes. Mais, il lui reste à rembourser à Monsieur Foulkes le coût de cette procédure.

Enquêtes farfelues

La police britannique n’en est pas à son coup d’essai quand il s’agit d’entraver la liberté d’expression. Alors que son incapacité à endiguer la réelle criminalité lui est reprochée avec insistance par ailleurs, elle ne lésine pas sur les « délits d’opinion ». Allison Pearson, chroniqueuse pour The Telegraph, avait, elle aussi, reçu la visite de la police pour un tweet considéré alors comme une « incitation à la haine raciale ». Le bureau du procureur avait ensuite clos l’enquête, estimant qu’il n’y avait « pas matière à inculpation »[5]. Le National Police Chiefs’ Council a toutefois récemment considéré que la police n’avait commis aucune faute lors de cette affaire[6].

Dans le même registre, les « non-crime hate incidents » symbolisent la mise en place d’une véritable police de la pensée. En vertu de cette infraction destinée à prévenir les tensions entre communautés, la police peut procéder à l’enregistrement d’une plainte pour tout propos considéré comme haineux : il suffit que la personne qui se plaint se dise blessée par les propos en question sans démontrer une intention agressive de la part de leur auteur[7].


[1] https://www.spectator.co.uk/article/the-police-have-lost-it/

[2] https://www.telegraph.co.uk/news/2025/05/10/retired-police-officer-arrested-over-thought-crime-tweet/

[3] https://www.theguardian.com/politics/2023/oct/30/uk-ministers-cobra-meeting-terrorism-threat-israel-hamas-conflict-suella-braverman

[4] https://www.telegraph.co.uk/news/2025/05/10/retired-police-officer-arrested-over-thought-crime-tweet/

[5] https://fr.timesofisrael.com/royaume-uni-cloture-de-lenquete-sur-une-journaliste-qui-avait-tourne-a-la-polemique/

[6] https://www.telegraph.co.uk/news/2025/03/06/allison-pearson-says-police-marking-their-own-homework/

[7] https://thecritic.co.uk/the-return-of-non-crime-hate-incidents/

Aïna Alegre, puissante et grave comme un dessin de Goya

Danse. Aïna Alegre, c’est toute l’Espagne !


La danseuse Aïna Alegre a-t-elle conscience de ce qu’elle incarne ?

Dans le spectaculaire solo R-A-U-X-A  qu’elle a composé et qu’elle a interprété en novembre dernier au Carreau du Temple, à Paris, un solo qu’elle reprend aujourd’hui au Théâtre de Chaillot, elle paraît représenter à elle seule toute l’Espagne.

Danse âpre, sans artifice

Hiératisme, rigueur, puissance, énergie virile, poésie, souplesse, déhanchement naturellement sensuel : son solo incendiaire, d’une écriture éminemment contemporaine, aurait sans doute enthousiasmé les Romantiques français. On y découvre ce qu’on lit des Espagnols sous la plume de Mérimée, de Gautier ou de Dumas. Et en la voyant s’incarner dans sa danse âpre, sans artifice, portée par une sombre énergie, on croit fugitivement déceler en elle quelque chose des peintures noires de Goya.

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« Cette pièce composée comme un trio entre la danse, le son et la lumière porte une recherche archéologique et sonore du mouvement, écrit Aïna Alegre. Si différents que soient les spectacles que je crée, je poursuis une obsession pour les corps qui martèlent, qui se mettent en rythme et qui cherchent à révéler la part intime du mouvement ». Ce qui est sûr, c’est que ce rythme, cet élan, ce martèlement qu’évoque la chorégraphe la révèlent profondément hispanique. Et il y a dans sa danse énergique et sévère (dont les prémices un peu longs et fastidieux mériteraient d’être mieux structurés) quelque chose d’intimement, de profondément andalou, mais allié à l’âpreté castillane… toute catalane qu’en soit l’autrice.  

Du 22 au 24 mai

Aïna Alegre co-dirige aujourd’hui le Centre chorégraphique national de Grenoble fondé jadis par le chorégraphe Jean-Claude Gallotta. Elle représente sans doute l’un des rares choix pertinents parmi ceux effectués depuis longtemps par les pouvoirs publics  pour ce genre de structure. En contemplant son ouvrage plein de caractère, on se dit en outre qu’il pourrait constituer une chorégraphie tout aussi fascinante si elle était déployée pour huit ou dix danseurs.  Encore faudrait-il que ces multiples interprètes possèdent autant de charisme et de force de conviction que ce que dégage à elle seule Aïna Alegre !


Aïna Alegre.  R-A-U X-A
Au Théâtre de Chaillot, théâtre national de la danse, du 22 au 24 mai 2025.
01 53 65 30 00.

Photo : Guillaume Fraysse

«Bonne justice est prompte !»

L’audition de François Bayrou devant la Commission parlementaire consacrée à l’affaire Bétharram a fait jaser. Elle a fourni au président de la commission, le député LFI Paul Vannier, l’occasion de reprocher au Premier ministre la réaction qu’il avait eue jadis en giflant une petite canaille qui tentait de lui faire les poches. Pourtant, une certaine forme de violence, savamment dosée, peut être éducative, affirme notre chroniqueur. Une idée qui a consterné notre rédaction, où personne n’a, bien entendu, donné ni reçu de gifle ni de fessée, pas même par plaisir.


Rappelez-vous. C’était en 2002, lors de la campagne présidentielle. Bayrou était en déplacement à la Meinau, un quartier réputé difficile de Strasbourg. Un adolescent prénommé Yacine a voulu profiter de la foule pour faire les poches du candidat du Modem, qui l’a corrigé dans l’instant. Un geste qui, loin de menacer sa carrière politique, lui a valu près de 600 mails de félicitations, et une remontée significative dans les sondages. Un geste qui ne passe pas auprès de Paul Vannier : chez LFI, quand on gifle, on le fait derrière des portes closes, demandez donc à Adrien Quatennens… « Je voudrais vous interroger sur votre rapport à la violence faite aux enfants », lance Vannier, qui évoque la « conception éducative de la gifle » de Bayrou, rappelle Boulevard Voltaire. L’amalgame entre ce geste, vieux de 23 ans, et l’affaire de violences scolaires en cours est de mauvaise guerre, mais qu’importe à LFI ?

Three Strikes Law

Pourtant, à l’époque, les parents du jeune voyou, à les en croire, avaient relayé la gifle du candidat à la maison : « « La gifle, dit sa mère, Yacine l’a méritée. Et il en a une de moi et une de son père en rentrant à l’appartement. » Mais de préciser immédiatement : « Il a fait une bêtise, d’accord. Mais que M. Bayrou s’en serve pour faire sa campagne, c’est dégueulasse… »

Sommé de se justifier, le Premier ministre a relativisé la violence de son geste. S’il l’a défendu, il l’a minoré, précisant qu’il s’agissait d’une « simple tape ».

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Mais les journalistes font parfois leur travail, et ont retrouvé le charmant bambin, désormais plus proche de la quarantaine que du vert paradis des amours enfantines. On l’a longtemps appelé « Bayrou » dans son quartier, ce qui sans doute l’a incité à mieux faire. Comme disait Henri IV, dont la statue fait face au bureau du maire à Pau, « bonne justice est prompte. »

Comme le rappelle BFM-TV, « en 2012 (il a alors une vingtaine d’années), le jeune homme compte déjà six condamnations à son casier judiciaire lorsqu’il écope d’une peine de quatre mois de prison ferme pour des faits d’outrage et de violences à l’encontre de policiers. » Et en 2021 il a été condamné à dix ans de prison pour trafic de stupéfiants — héroïne et cocaïne. Il purge actuellement sa peine. Rassurons-nous, il finira bien par sortir. Sûr que la prison l’aura amendé…

Que pouvons-nous en déduire, sinon que Bayrou n’a pas frappé assez fort, à l’époque ? Ou que nous devrions introduire en France la Three Strikes Law de certains Etats américains — la Californie, entre autres —, qui au troisième délit, quel qu’il soit, condamne automatiquement le coupable à 25 ans de prison. La Californie a modifié sa loi, mais d’autres Etats la maintiennent : au Texas, en Virginie-Occidentale ou dans l’État de Washington, à la seconde récidive, le condamné reçoit une peine plancher à vie (le juge est obligé de condamner à perpétuité). En Illinois, une double récidive d’un crime violent en l’espace de 25 ans conduit à la prison à vie.

La confession du prof

Et en France, pendant ce temps, le délinquant récidiviste est condamné à un stage poney…

Je n’ai balancé de mandale à un élève qu’une fois en 45 ans — vers le début de ma carrière. Je passais dans la cour du collège, pendant une récréation, et un élève a insulté un surveillant maghrébin : « Toi, le bougnoule… » J’étais tout à côté, la gifle est partie. J’ai le bras assez lourd, et je faisais du handball en Nationale 2, à l’époque. Il a giclé à trois mètres de là. Je l’ai ramassé en lui expliquant que la prochaine fois, je lui cassais la mâchoire — et je n’en ai plus entendu parler.

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Aujourd’hui, je serais probablement radié de l’Education nationale, et vilipendé par LFI, qui défend les « petits anges »…

Qu’un parti qui prêche la cause du Hamas profite d’une commission parlementaire pour insinuer que Bayrou est favorable à la violence et à la répression des enfants a fait bondir Pascal Praud, qui a bien senti l’amalgame entre une enquête nécessaire sur des dysfonctionnements graves dans une institution scolaire privée et une violence très relative vieille de 23 ans.

Il s’agissait surtout d’énerver le Premier ministre, pour l’amener à tenir des propos maximalistes — ce qu’il s’est bien gardé de faire. L’Opinion a traité assez justement Paul Vannier de « Fouquier-Tinville d’opérette » : le député du Val-d’Oise (ils n’ont pas honte, dans ce département, d’élire un pareil guignol ? Ils devraient lui mettre une bonne fessée à la prochaine échéance électorale…) devrait demander à son patron, grand admirateur de Robespierre, comment a fini l’accusateur public de la Convention. 

L'école sous emprise

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Doisneau, le photographe des périphéries

Jusqu’au 12 octobre, le Musée Maillol présente plus de 350 photographies de Robert Doisneau (1912-1994), le chantre discret d’une banlieue disparue et d’un Paris bistrotier, dans l’exposition «Instants Donnés» …


On connait par cœur sa rengaine, cet air d’accordéon qui sort exsangue d’un bistrot patibulaire, entre chien et loup, dans le noir et blanc de l’après-guerre, son filon des existences simples. Des gueules pas possibles accoudées au comptoir, l’écrin des jeunesses dévastées, champs de ruine et épidémie de coqueluche, baraquements de fortune et TSF en berne ; c’était le temps où la misère et l’ouvriérisme militant faisaient gonfler le nombre d’adhérents dans les cellules de quartier, toute la lyre, le chromo célinien, le Front Pop’ et les grèves, les congés payés et l’île Seguin, apéritif vinique et siphons, lutte des classes et petites gens qui peinent à joindre les deux bouts comme dans un livre d’Henri Calet. Cette fois-ci, le photographe humaniste ne nous aura pas ! Promis. Juré. On tiendra bon. C’est trop facile de jouer sur la corde des sentiments d’une France sépia.

Plus de 350 photographies

Le style émotif, c’était bon pour les générations passées, celles de nos grands-parents qui crurent au miracle économique et à l’espoir d’un monde nouveau après la Débâcle. Tino à la radio et l’Huma à la criée, c’est fini ! Nous, rejetons des mondialisations malheureuses, surnuméraires des eighties, on ne nous reprendra plus dans ce grand catalogue des illusions. Nous sommes las des images frelatées. Alors, on se rend au Musée Maillol avec l’envie d’en découdre. Les statues girondes n’apaiseront pas notre courroux contre cette falsification d’identité. La banlieue, elle ne court plus depuis bientôt cinquante ans, elle s’enlise. Et Paris, cette vieille ganache a beau ripoliner son joli minois, elle ne séduit plus que les tour-operators.


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Mais on craque, une fois de plus. Car on est faible et nostalgique et que Doisneau vise toujours juste. Il y a d’abord ses appareils de labeur sous verre, son Rolleiflex et son Leica M3. Et, au mur, plus de 350 photographies, infime fragment d’une collection qui comprend 450 000 images. Tout notre décor mental décline alors sa frise chronologique. Les clichés dansent devant nos yeux. On retrouve nos marques, nos bornes temporelles. Les écrivains de caractère, les peintres et les sculpteurs qui furent les voisins de palier de Doisneau avant d’entrer dans les livres d’Histoire de l’Art, les forts des Halles, les rupins en bamboche et les gamins des rues. C’est con mais notre France des toilettes à l’étage et des coups de grisou demeure notre inébranlable socle mémoriel. Tiens-là, on reconnaît Bob Giraud pensif, Blondin barbu, Jeanne Moreau, Sabine Azéma, Roger Vailland et Maurice Baquet, le copain violoncelliste qu’il rejoignit à New-York pour une série loufoque et enneigée. Comme le professait le Pape François, Doisneau a fait des périphéries son grand œuvre. L’exposition se déploie sur deux étages, elle commence au rez-de-chaussée, puis on grimpe au 2ème voir comment par le plus grand des hasards en traversant à pied les Tuileries pour un rendez-vous professionnel, Doisneau assista à l’installation des statues de Maillol sous la supervision de Dina Vierny et la bénédiction de Malraux, puis on termine par le 1er. Les montagnes russes, quoi. On suit la vie de l’artiste, son regard sur l’enfance, son embauche chez Renault, son licenciement, ses piges alimentaires qui durèrent des années notamment pour la publicité, son intrusion dans les mondanités chez Vogue, puis, peu à peu, le succès par les livres, Cavanna et Pennac en doublette, et la consécration d’une empreinte majeure reconnue par ses pairs et le public.

Émotion

Tout ça, avouons-le, ce qui est rafraîchissant à notre époque des égos boursouflés, dans une forme de sincérité, loin de la fausse modestie des médiocres. Qu’on le veuille ou non, Doisneau a été l’artisan de notre imaginaire. De Simca aux mineurs de fond, de la chenille du Comte et de la Comtesse de Beaumont à « La monnaie des commissions » (1953) où un écolier en blouse rapporte un pain aussi grand que lui – et comment rester de marbre devant « Les tabliers de Rivoli », des petits se tiennent la main en 1978 en barrant la circulation. Je vous donne ma préférée, elle est intitulée « Timide à lunettes » et date de 1956 : un garçonnet peu assuré en culottes courtes tient son sac d’école alors qu’autour de lui ça chahute et ça crie, cette tendresse-là nous émeut aux larmes.

16,5 € 59-61 rue de Grenelle, Paris 7e

Béziers: un olivier, et pas n’importe lequel

Narcotrafic, bordel à l’Assemblée, inéligibilité, résurrection… on ne peut pas dire que l’actualité du mois ait été très calme. Qui sait, peut-être que le nouveau pape élu à Rome saura apaiser les esprits, au niveau mondial comme au sein de la classe politique française ! On peut prier…


Bras cassé

Vous vous souvenez de Nyx, le « chien stup » dont je vous ai parlé il y a quelque temps ? Je voudrais cette fois-ci vous parler de son maître, policier municipal à Béziers. Il est en convalescence pour plusieurs semaines. Pourquoi ? Alors que son équipage poursuivait un scooter qui avait refusé de s’arrêter dans le quartier « difficile » de La Devèze, à Béziers, il a été, avec ses coéquipiers, victime d’un guet-apens. Concrètement, ils ont été encerclés et caillassés par une bande de jeunes qui venaient aider leurs copains en difficulté. Dans un salutaire réflexe, le maître de Nyx a levé le bras pour protéger son visage. Bien lui en a pris puisque le pavé qu’il a reçu lui a cassé net le bras. Les risques du métier ? Je ne crois pas que les policiers signent pour cela. Le climat se dégrade. Toujours plus de violence commise par des toujours plus jeunes. Depuis, l’auteur du jet de pavé a été retrouvé et interpellé. Nous attendons sa condamnation. Nyx attend le retour de son maître…

Bonne nouvelle

Selon une étude publiée fin mars, le vin est devenu la boisson alcoolisée préférée des 18-25 ans. Devant les cocktails et la bière ! De quoi redonner un peu le moral à nos vignerons ? Seul petit bémol, on apprend aussi que près de la moitié des vins (47 %) sont bus par des Français de plus 55 ans. Et seulement 7 % par des 18-24 ans. On ne devrait pas toujours poursuivre ses lectures jusqu’au bout…

Bordel

Les députés du MoDem ont annoncé leur volonté de créer un groupe de travail pour lutter contre « le bordel » à l’Assemblée. Auraient-ils décidé d’interdire LFI ? Trop simple… Les parlementaires de François Bayrou penchent plutôt pour supprimer les séances de nuit. En cause, la fatigue et les repas alcoolisés qui pourraient échauffer les députés. Et si on fournissait plutôt des éthylotests à la buvette ?

À lire aussi : Où il sera beaucoup question de l’Algérie mais pas que…

Oseront, oseront pas ?

Nous sommes au matin de la décision de justice concernant le procès des attachés parlementaires du RN. Inéligibilité immédiate ou non ? Nous le saurons dans quelques heures. En attendant, j’écoute les micros-trottoirs des adhérents du RN qui s’expriment sur le sujet. Et je suis sidérée de la facilité avec laquelle les « sympathisants » semblent passer au plan B (comme Bardella, bien sûr !) et jeter Marine aux oubliettes. Ça n’a pas l’air de les déranger plus que ça. De l’ingratitude en politique…

Inéligibilité (suite)

Ça y est, la décision est tombée. Un véritable coup de tonnerre. Franchement, je ne croyais pas que les juges prendraient cette décision d’inéligibilité immédiate. Qui me gêne. D’abord parce qu’elle s’apparente à un sacré coup de canif à la présomption d’innocence. On a déjà vu par le passé des élus condamnés à une peine d’inéligibilité provisoire (donc immédiate), perdre leur mandat dans l’heure et se voir réhabilités un an plus tard lors de l’appel. Pourquoi une peine de prison ou une amende seraient-elles systématiquement suspensives et pas une peine d’inéligibilité ? Autre source de questionnement : pourquoi une telle différence – je sais, c’est prévu par la loi, mais ça n’empêche pas de s’interroger – entre un élu local, contraint de démissionner immédiatement, et un député qui peut finir son mandat ? Cette question est tellement dérangeante que les juges eux-mêmes ont décidé que Louis Aliot, maire de Perpignan, devait pouvoir rester en poste jusqu’à ce que l’appel soit rendu. Qu’on le veuille ou non, qu’on soit d’accord avec cette décision ou non, les juges qui ont condamné Marine Le Pen ont donné aux Français le sentiment de priver des millions de personnes de leur vote. Vertigineux…

Groenland

« Toutes les options sont sur la table. (…) Nous aurons le Groenland. Oui, sûr à 100 %. » Donald Trump a encore frappé. Ce n’est pas nouveau. L’intérêt du président américain pour le Groenland date de son premier mandat. L’île est en effet riche en fer, nickel et or, mais aussi en métaux rares (lithium, niobium…) utilisés dans l’industrie de défense ou la transition énergétique. Et qui deviennent plus faciles d’accès avec la fonte des glaces. Et puis, acquérir le Groenland serait aussi « stratégiquement sympa pour les États-Unis ». Quelque chose à voir avec l’objectif affiché de la Chine de devenir une « grande puissance polaire » d’ici 2030 ? Pourvu que l’Empire céleste ne s’intéresse pas à la Méditerranée. Trump pourrait décider de débarquer en Corse…

Yellowstone

Vous aimez le western ? Vous allez aimer Yellowstone. C’est l’histoire de la famille Dutton, au Montana – le patriarche est incarné par Kevin Costner, rien que ça –, qui possède le plus grand ranch des États-Unis, et qui se bat pour que l’on n’empiète pas sur ses terres. La série (diffusée en France sur Netflix) est l’une des plus regardées aux États-Unis ces dernières années. Longtemps passée inaperçue en France, elle cartonne depuis quelques mois. Records d’audience donc, mais aussi polémiques à répétition à cause de son idéologie… un tantinet « conservatrice ». Alors que le cinéma américain continue de régulièrement nous abreuver de sa bien-pensance, la réhabilitation de la figure virile du cow-boy, dans la droite ligne de John Wayne dans La Prisonnière du désert, est assez courageuse. Même si elle est depuis défendue par une bonne partie de l’électorat de Donald Trump. Fans de Sandrine Rousseau s’abstenir !

Olivier

Nous avons planté un olivier devant l’hôtel de ville de Béziers. Mais pas n’importe lequel. Le nôtre vient d’une oliveraie abandonnée du sud de l’Espagne et a… deux mille ans ! Un contemporain du Christ. Il a été béni par l’archiprêtre de Béziers le lundi de Pâques. Alors que nous avions appris la mort du pape deux heures plus tôt. Tout un symbole. L’olivier, signe de paix et de réconciliation. De sagesse et d’éternité également. « L’olivier de Pâques », comme l’ont rapidement surnommé les Biterrois, a trouvé sa place dans notre vieille cité. Dernière satisfaction, il avait un temps failli partir pour… Dubaï !

La boîte du bouquiniste

«Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres», dixit Blaise Cendrars. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


Clément Vautel © D.R.

Certains le sont naturellement, d’autres se donnent du mal pour l’être et il en est qui, malgré leurs efforts, ne le seront jamais. N’est pas snob qui veut. Peut-être faudrait-il conjuguer ces verbes au passé tant le XXIe siècle semble avoir eu raison de ce trait de caractère, de cette posture intellectuelle qui a fait partie du paysage culturel et social depuis le milieu du xixe siècle – mais il y a des résistants. Les jeunes lecteurs de Causeur apprécieront donc d’apprendre qu’un snob est une « personne qui admire et qui imite sans discernement les manières, les goûts, les modes en usage dans les milieux dits distingués ». Pour illustrer sa définition, le Petit Robert cite Valéry : « Le vrai “snob” est celui qui craint d’avouer qu’il s’ennuie quand il s’ennuie ; et qu’il s’amuse quand il s’amuse. » Allez expliquer ces subtilités dans un monde où l’on ne roule plus qu’en bulldozer…

Clément Vautel (1876-1954) sait de quoi il parle ; en 1928, il vit en plein dedans. Ce littérateur graphomane, journaliste, romancier, dramaturge – auteur de dizaines d’ouvrages et de quelque 30 000 articles – ferraille quotidiennement avec les snobs qui peuplent le monde et le demi-monde dit culturel. Voyage au pays des snobs est un règlement de comptes, un texte qui dézingue à tout va, avec cette légèreté française qui, sur un ton badin, un humour parfois potache, porte le fer dans la plaie, cloue sa proie à sa place. Vautel se pose en homme libre. « Je préfère vivre en dehors de toutes ces combinaisons, équipes, cabales, chapelles et organisations où il faut suivre les consignes, admirer ou éreinter, aimer ou haïr par esprit de secte, voire par ordre supérieur. Je choisis mes idoles ou mes fétiches moi-même au bazar du coin ; j’en change quand cela me plaît et je regarde avec le sourire passer les processions de dévots, parmi lesquels ne manquent d’ailleurs pas les Tartuffes. »

À lire aussi, Jonathan Siksou : La boîte du bouquiniste Sacha Guitry intime (souvenirs de sa secrétaire)

Dans son viseur défilent les femmes auteurs de « romans féminins qui pourraient être tous intitulés Moi et Moi » ; les écrivains qui ne jurent que par Gide ou Stendhal ; les collectionneurs d’art africain ; la Comédie-Française, cette « administration où la faveur et l’ancienneté l’emportent sur les droits que devraient conférer le talent et la jeunesse » ; les poètes de coin de table portés aux nues par la presse ; et, bien sûr, les critiques. Ainsi découpe-t-il le public un soir de générale : « Critiques influents : 6. Critiques sans influence : 34. Critiques sans journaux : 40. » Dans la même salle se trouvent des « auteurs joués : 12. Auteurs non joués : 150. Acteurs : 20. Actrices : 40. Fausses actrices : 210. » Jusqu’aux « homosexuels amateurs ou professionnels : 33. Boxeurs : 12. Sud-Américains : 31. » La liste s’étale sur deux pages.

Voyage au pays des snobs commence par une nouvelle – l’histoire d’un brave bourgeois qui prend des cours bidon pour tenter de devenir une figure prisée de la vie parisienne – et se poursuit avec une série de portraits et de situations cocasses. Il y est notamment question de postérité littéraire et Vautel s’insurge contre ceux qui désignent ce qui est ou non un chef-d’œuvre immortel. « En 2028, il suffira sans doute d’un rayon pour loger les “rescapés” provisoires de notre déluge de papier imprimé. Qui pourrait les désigner dès aujourd’hui ? » En 2028, un rayon sera peut-être même trop vaste.

Clément Vautel, Voyage au pays des snobs, Montaigne, 1928, 296 pages.

Voyage Au Pays Des Snobs

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La réderie du marquis

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Je te préviens tout de suite, lectrice adorée : il y aura deux « d’abord » dans cette chronique. Je sais, ce n’est ni élégant, ni correct mais bon… On ne peut pas toujours être parfait. (Parfois, ça me fatigue.) D’abord, oui, disais-je ; commençons par un rectificatif, une précision plutôt relative à mon dernier prône dominical. Dans celui-ci, j’indiquais que le peintre Marc Deudon allait exposer une cinquantaine de toiles dans les locaux de la Société d’Horticulture d’Amiens, 58/60, rue Le Nôtre, à Amiens, les 7, 8 et 9 juin ; j’indiquais aussi que le vernissage de l’événement était prévu le vendredi 6 juin, de 18 heures à 21 heures. Or, la formulation employée pouvait laisser entendre que le vernissage était ouvert à tous ; il n’en est rien. Il faudra disposer d’une invitation pour accéder au champagne, aux petits fours et autres délicieux plaisirs. Dont acte.

À lire aussi : Fame, je vous aime !

Second « d’abord » ; je voudrais vous entretenir, dans la présente chronique, du fait que j’ai moi aussi, exposé, dimanche dernier, à la réderie du faubourg de Hem, mon quartier à Amiens. « D’abord… », me diras-tu, lectrice de Perpignan, de Montauban (on ne devrait jamais quitter Montauban), de Viry-Noureuil (dans l’Aisne, où mes parents se sont mariés en sortir de la Deuxième guerre, les Fritz venaient de partir, etc., etc.), « … marquis (N.D.A. : c’est ainsi que me surnomment les lectrices et lecteurs de mon prône), qu’est-ce qu’une réderie ? » Sache, lectrice maintenant édifiée, qu’il s’agit, en langue picarde, d’une brocante, un marché aux puces, un vide-grenier. (Le terme est surtout utilisé dans la Somme.) À mon grand désespoir, je me suis donc levé à cinq heures du matin, moi qui répugne à me lever tôt, et voue une sainte horreur à l’aube et tout le toutim. (« Un matin, ça ne sert à rien… », chantait, je crois, Jean-Jacques Goldman. Comme il a raison.) Mon amour, ma Sauvageonne, elle, m’a battu ; elle est sortie du lit à 4h45. (Mais elle n’a aucun mérite ; fille de gendarme et petite-fille de commandant de gendarmerie, elle est pimpante dès les premières heures du jour, comme si le clairon militaire venait de sonner.) Ainsi, dès 7 heures, nous étions à notre stand à attendre le client.

De chaque côté, nos charmants voisins : à droite, Béa et Tio Guy ; à gauche, Aurore et Stéphane. La sauvageonne proposait des vêtements et des tableaux-cadeaux, hymnes aux prénoms, qu’elle réalise (en plus de ses belles toiles) au fil des années ; moi, des livres, des vêtements et quelques menus objets parfois encombrants. Vers midi, une petite faim s’est pointée ; j’ai couru au kébab situé à l’angle de la rue Robert-Lecoq et de l’avenue Louis-Blanc, établissement récent que je ne connaissais point. J’ai commandé des sandwiches américains, merguez, sauce samouraï. Il y avait la queue. (L’homme des réderies, c’est connu, a un bon coup de fourchette !) Beaucoup de monde, trop de monde ? Peut-être. Le personnel semblait très occupé. Revenu à notre stand, nous nous sommes rendu compte que nos dits-sandwiches possédaient le pain, les frites et la sauce mais pas les merguez. J’y suis retourné ; j’ai expliqué mon cas. La dame, très sympathique, n’a fait aucune difficulté pour me refaire nos américains, cette fois lestés des très attendues merguez. Le temps était splendide ; j’ai discuté avec de nombreux lecteurs-acheteurs de ma connaissance. J’ai eu le plaisir de donner un essai sur la franc-maçonnerie à un monsieur qui ne savait ni lire, ni écrire, mais qui pouvait épeler. J’ai même sorti une bouteille d’un rosé gris, frais et délicieux qui nous régala. Tio Guy m’offrit une bière. La journée fila comme le collant couleur chair d’une dame mûre non épilée. Vers la fin, de gros nuages couleur perle firent leur apparition ; ils eurent l’élégance de ne point éclater afin de ne pas gâcher la jolie réderie du marquis. Que demander de plus ?

Pierre Michon en immersion dans la Grèce antique

Avec J’écris l’Iliade, véritable tour de force littéraire, Pierre Michon revient sur ses convictions profondes en matière de religion et de littérature.


Dans la littérature française actuelle, Pierre Michon (né en 1945) jouit incontestablement d’une certaine notoriété. Très lue par les universitaires, son œuvre est appréciée aussi du public cultivé. Des livres distillés autrefois au compte-gouttes, une exigence littéraire appuyée, mais de bon aloi, des apparitions rarissimes dans les médias, Pierre Michon porte l’étendard du grand style des époques révolues. Ses références vont, entre autres, de Flaubert à Faulkner, en passant par Rimbaud ou Artaud jusqu’à Joyce. Avec de tels noms mis en avant, il est difficile de se tromper. D’autant que Pierre Michon a l’intelligence de traiter, dans ses romans, de ce qu’il appelle « les vies minuscules ». Il faut entendre par là le destin souvent obscur, mais authentique, des petites gens, dont lui-même assure faire partie. Pierre Michon, grâce à son lyrisme naturel, redonne une vraie place à ceux qui étaient cantonnés dans les marges de la société.

Souvenirs personnels et mythologie

Avec J’écris l’Iliade, récit paru il y a peu, Michon tente de se focaliser plus particulièrement sur lui-même. Il met ici en avant sa fascination pour la Grèce antique et son paganisme virevoltant auquel il adhère en partie. Le livre est composé de souvenirs personnels de Michon, entrecoupés de textes « à la manière de », qui décrivent des scènes de mythologie grecque. Ainsi, Michon se réinvente sous le signe d’Homère, ou peut-être d’Hésiode, le poète des Travaux et les Jours. Disons que cette « ambiance » grecque est parfaitement réussie, même si la prose de Michon y perd en précision, par excès d’abstraction.

Un homme grec

Le tour de force de Michon est d’avoir, dans les chapitres autobiographiques, réussi à développer un univers conforme à cet homme grec qu’il voudrait incarner. D’abord, dans la manière dont il se décrit lui-même, comme une sorte de satyre pris de boisson et obsédé par le sexe. Sous la lumière du Sud, Michon peine à exorciser ses mauvais démons. En ce sens, J’écris l’Iliade est un document précieux pour mieux cerner la personnalité complexe de l’écrivain. Je parlais de satyre, il n’emploie pas le mot, mais le revendiquerait certainement ; on pourrait évoquer aussi les compagnons de Dionysos, les fameux silènes, ces petits bonshommes très laids, affairés aux voluptés. Dans Le Banquet de Platon, n’est-ce pas Socrate qui est comparé, par Alcibiade, d’abord à un silène, puis ensuite à un satyre ? Nous lisons, dans la traduction de Philippe Jaccottet : « je déclare, dit Alcibiade parlant de Socrate, qu’il ressemble comme un frère à ces silènes exposés dans les ateliers des sculpteurs… » ; il ressemble aussi, ajoute Alcibiade, au « satyre Marsyas ». Faisant ensuite allusion au talent de Socrate pour captiver son auditoire, Alcibiade précise : « si c’est toi qui parles […] nous voilà tous […] étonnés et ensorcelés ». Bref, il me semble que tous ces termes employés par Alcibiade pourraient caractériser à son tour Pierre Michon, satyre et silène qui séduit, comme Socrate, par son art de la parole.

À lire aussi, Pierre des Esseintes : « Pour les Grecs, homosexualité et virilité allaient de pair »

La littérature comme passion

L’un des grands mérites de ce livre de Michon est qu’il nous permet de comprendre les effets de la littérature sur l’être humain, lorsqu’elle devient une passion. Grâce à quoi, la vie en est transformée au plus profond, et pour le meilleur. C’est en tout cas le bilan qu’en dresse avec fougue Michon.

Dans le texte intitulé « J’invente un dieu », Michon se livre ainsi : « Depuis des années le goût de noircir du papier m’avait abandonné. Fini, le temps où je faisais des surenchères d’arabesques autour d’un mot. Je n’écrivais pas et je n’écrirais plus. J’avais plus de soixante ans, il était grand temps que je fasse quelque chose de ma vie : la rencontre d’un dieu me parut un bon plan. » On appréciera l’humour de ce passage, qui en gomme l’amertume. Avec la conclusion suivante, plus sereine : « L’art d’écrire, de faire de chaque mot un nom propre ou un totem, voilà la route où s’avançait le dieu. » Ce qui donne, pour résumer : « J’étais de nouveau littérateur. »

Un écrivain pour écrivains

Il ne faut donc pas s’étonner si Pierre Michon est d’abord un écrivain pour écrivains, comme on dit. Si la forme de J’écris l’Iliade peut étonner, comme je l’ai remarqué, en revanche les questions de fond qui se posent à sa lecture sont essentielles. Celles-ci, par exemple : faut-il encore écrire comme Flaubert ? Qu’est-ce que la littérature aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’écrire ? Ou encore : qu’est-ce qu’une vie bonne ? Michon constate, à un moment : « Je n’avais plus personne à qui faire croire que la littérature peut servir à quoi que ce soit. » Et pourtant, malgré tout, il continue cette lutte absurde, ou plutôt qui paraît absurde.

Dans J’écris l’Iliade, il y a donc une dimension morale. À plusieurs reprises, Michon précise, oubliant son polythéisme, qu’il est chrétien. Il raconte en détail ses visites, en Grèce, dans quelques-uns des hauts lieux de l’orthodoxie, et sa déception à la suite d’un mauvais accueil. J’écris l’Iliade est aussi, bien sûr, un dialogue avec Dieu, à base d’incommunicabilité et d’errements, mais avec une sorte de foi sincère. Et le moment vient, finalement, où l’on sent que l’enjeu littéraire rejoint pleinement l’enjeu spirituel.


Pierre Michon, J’écris l’Iliade. Éd. Gallimard, 271 pages.

Platon, Le Banquet. Traduction de Philippe Jaccottet. Éd. « Le Livre de Poche », 114 pages.

J'écris l'Iliade

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Féminisme sidéral

Présenté comme une célébration de l’émancipation féminine, le fameux vol spatial 100% féminin de Blue Origin s’est révélé un concentré de stéréotypes, une mise en scène ridicule en plus d’un spectacle mondain glamour.


C’était présenté comme le summum de l’autonomisation des femmes, « female empowerment ». Le 14 avril, une fusée de Blue Origin, l’entreprise aérospatiale fondée par le patron d’Amazon, Jeff Bezos, a emporté dans l’espace six femmes, dont la fiancée de Bezos, Lauren Sánchez, qui se décrit comme journaliste et philanthrope, ainsi que la pop star Katy Perry, une animatrice télé, une productrice de cinéma, une militante des droits de victimes de viol et chercheuse en bioastronautique, et une ancienne ingénieure en aéronautique de la Nasa.

Les six ont été qualifiées par les médias d’« équipage » (crew) et même de « premier équipage exclusivement féminin ». Pourtant, le vol – qui a duré moins de onze minutes et frôlé à peine l’espace extérieur – a été dirigé depuis la Terre. Les passagères n’étaient pas plus un équipage que des enfants sur un manège forain.

Certains ont cité le précédent de la cosmonaute russe, Valentina Terechkova, qui a fait un vol spatial en solo en 1963, mais elle était un vrai pilote. Le voyage des six, censé encourager « la prochaine génération d’exploratrices », a surtout charrié des stéréotypes féminins les plus « girlie ». Dans un entretien préalable avec Elle, les « astronautes » ont souligné la nécessité d’être chic ou « glam » (de glamour) dans l’espace. Elles ont porté des combinaisons identiques à pattes d’éph dessinées par Sánchez et la marque Monse. La seule ingénieure, voulant être sûre que sa coiffure résisterait au décollage, a testé le même style au cours d’une séance de parachutisme à Dubaï. La chercheuse en bioastronautique, insistant sur l’absence d’opposition entre science et mode, a déclaré qu’elle porterait du rouge à lèvres. Seule concession à l’esprit scientifique, elle aurait conduit une petite expérience dans l’apesanteur en vue du développement de tampons adaptés à l’espace. Le média interne de Blue Origin a déclaré qu’un vol spatial de femmes serait surtout une affaire d’« émotions ». Après le vol, en descendant de la capsule, Perry brandit une pâquerette, tombe à genou, baise la terre et se déclare « super-connectée à l’amour » avant d’évoquer « le divin féminin ».

L’événement, qui a surtout ressemblé à un enterrement de vie de jeune fille, prouve que le vide n’existe pas que dans l’espace.

Comment l’antisionisme radical s’ancre-t-il entre gauche et monde arabo-musulman?

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Lors du défilé de présentation du Concours Eurovision à Bâle, un groupe de manifestants pro-palestiniens a activement manifesté contre les organisateurs de l'événement, exigeant l'exclusion d'Israël de la compétition le 11 mai 2025 en Suisse © Matteo Placucci/ZUMA/SIPA

En effet, pourquoi un antisionisme radical et obsessionnel prospère-t-il aujourd’hui, à la croisée de la gauche occidentale et du monde arabo-musulman ?


Le rejet en bloc d’Israël, sa délégitimation systématique, sa diabolisation obsessionnelle n’ont plus grand-chose à voir avec une critique politique ordinaire. Ils relèvent d’un phénomène idéologique profond, émotionnel, passionnel, qui s’est installé dans une partie croissante des élites intellectuelles d’Europe, des Amériques, et bien sûr dans le monde arabo-musulman, où il est devenu une vérité d’évidence, un réflexe identitaire.

Ce rejet ne peut pas être honnêtement expliqué par les seules politiques des gouvernements israéliens. À ce compte, il faudrait haïr bien d’autres régimes — infiniment plus répressifs, autoritaires, ou génocidaires — avec une intensité égale, voire supérieure. Or, cette indignation sélective, presque hystérique, qui s’abat exclusivement sur Israël, trahit autre chose : un déplacement, une obsession, un besoin de diaboliser, de purger, de simplifier. Et cela, historiquement, a toujours une cible préférée : le Juif.

L’antisionisme radical n’est pas une simple critique d’État. C’est une posture idéologique, rigide, sourde aux faits, imperméable à la raison. C’est une passion haineuse, construite sur une image mythifiée du « Palestinien-victime » et du « Juif-bourreau », où toute nuance est abolie, toute complexité balayée. Il ne s’agit pas de pointer les erreurs, parfois graves, d’un gouvernement israélien. Il s’agit de nier le droit d’un peuple à disposer de lui-même. Il s’agit de contester la légitimité même de l’existence d’Israël. Cette haine est totale, systémique, déconnectée de la réalité, comme toutes les grandes passions politiques qui ont ensanglanté l’histoire moderne.

La logique de l’exorcisme : Israël comme entité démoniaque

On ne débat pas avec un démon. On ne dialogue pas avec une entité maléfique. On l’exorcise. On le détruit. C’est exactement la logique qui gouverne aujourd’hui le discours dominant sur Israël dans de nombreux cercles militants, universitaires, médiatiques : une volonté de délégitimation absolue, un refus d’entendre, de contextualiser, de penser.

Le mécanisme est ancien. Il répond à un besoin psychologique fondamental : faire porter à un autre la responsabilité de notre impuissance, de nos échecs, de notre confusion. Dans l’Europe chrétienne du Moyen Âge, c’était le diable — et très souvent sous les traits du Juif — qui incarnait ce mal diffus. Aujourd’hui, c’est Israël qui endosse cette fonction. L’histoire bégaie, et les déguisements changent peu.

Les théories du complot ne sont pas des lubies marginales : elles structurent l’inconscient collectif. Elles apportent un réconfort empoisonné. Elles donnent une cohérence à un monde devenu trop complexe. Et dans cette mise en scène, les Juifs — aujourd’hui les Israéliens — sont encore une fois placés au centre du dispositif accusatoire.

Le rapprochement entre les Juifs et le diable n’est pas un fantasme moderne. Il est enraciné dans la tradition chrétienne la plus ancienne : des évangiles à Luther, en passant par les conciles et les légendes populaires. L’image du Juif traître, corrupteur, déicide, a modelé des siècles d’imaginaire occidental. Elle s’est ensuite sécularisée, recyclée dans les grandes idéologies modernes, du nationalisme au communisme, jusqu’à l’antisionisme contemporain.

Le monde musulman et l’antisémitisme structurant

Le monde musulman, quant à lui, n’a pas été épargné. Certains versets du Coran, certains hadiths, ont été interprétés et instrumentalisés pour faire des Juifs des ennemis ontologiques, perfides, éternels. Si tous les musulmans ne haïssent pas les Juifs, il est difficile d’ignorer que l’antisémitisme — politique, religieux, culturel — est profondément enraciné dans de nombreuses sociétés musulmanes, où il s’enseigne souvent dès l’enfance, dans les familles, dans les manuels scolaires comme dans les prêches.

Il est d’ailleurs significatif que cette haine, obsessionnelle, ne soit pas présente dans les religions de l’Asie, comme le bouddhisme ou l’hindouisme. C’est donc bien un produit d’une histoire spécifique : celle des monothéismes abrahamiques qui se disputent la légitimité spirituelle.

À lire aussi, Richard Prasquier : Gaza : le dilemme des voix juives

Le conflit israélo-palestinien est devenu, dans de vastes pans du monde musulman, une scène de théâtre symbolique. On y joue une pièce millénaire : celle du Bien contre le Mal. Hamed Abdel-Samad l’a dit avec force : « Ce n’est pas Israël que nous détestons. Ce sont les Juifs. » Et si Israël cédait Jérusalem, Haïfa, Tel-Aviv ? L’inimitié cesserait-elle ? Non. Car le combat n’est pas territorial, il est existentiel. Tant que les Juifs existeront librement, avec une terre, une armée, une culture, un État, ce combat ne cessera pas.

Ce que l’inconscient collectif musulman — et parfois chrétien — ne pardonne pas aux Juifs, ce n’est pas la domination. C’est d’avoir survécu. D’avoir refusé la conversion. D’avoir reconstruit une souveraineté. D’avoir échappé au statut de minorité humiliée. Leur renaissance est une offense. Leur résilience, une menace. Leur victoire, une insulte.

Une partie des élites progressistes occidentales, héritières à la fois du christianisme et du marxisme, ont trouvé dans l’antisionisme un exutoire à leur propre culpabilité. Elles expient la Shoah, la colonisation, l’esclavage en dénonçant Israël comme un État raciste, colonial, ségrégationniste. C’est une perversion de la morale, une inversion symbolique majeure : les victimes millénaires deviennent des bourreaux ; les agresseurs, des martyrs.

Une morale inversée, complice de la haine

Ces élites, prisonnières de ce que Chesterton appelait des « vertus chrétiennes devenues folles », refusent de voir que leur indignation sélective est un déni de justice. Elles cautionnent l’hostilité la plus brutale tant qu’elle est dirigée contre Israël. Elles ferment les yeux sur les appels au meurtre, les incitations à la haine, les idéologies théocratiques, les crimes commis au nom d’un antisionisme qui n’est qu’un masque.

Un monstre a été recréé. Israël, aujourd’hui, est accusé des mêmes crimes qu’on imputait aux Juifs au cours des siècles : tuer des enfants, détester l’humanité, vouloir dominer le monde. Rien de nouveau. La haine se recycle. Le vocabulaire change, l’accusation reste. On accuse Israël d’ambitions impérialistes démesurées : du Nil à l’Euphrate, demain peut-être jusqu’à Tombouctou ou Paris. Cette folie est une pure projection, au sens freudien du terme. Ceux qui rêvent de domination religieuse, ethnique ou idéologique, imputent à Israël leurs propres fantasmes de puissance. Ceux qui n’ont pas digéré leurs fautes historiques rejettent sur Israël le fardeau de leur culpabilité.

C’est l’alliance du refoulé et du délire. D’un côté, les héritiers des empires arabes, ottomans, islamiques, humiliés par l’histoire, qui voient en Israël une offense vivante à leur déclin. De l’autre, les Occidentaux rongés par la honte, paralysés par le souvenir de leurs crimes, qui cherchent un nouveau bouc émissaire. Et ils l’ont trouvé.

Israël n’est pas haï parce qu’il est fort. Il est haï parce qu’il existe. Parce qu’il est juif. Parce qu’il a refusé de disparaître. Voilà l’impensé fondamental. Voilà le scandale. Et tant que ce mensonge ne sera pas arraché à la racine, l’antisionisme radical restera, comme l’antisémitisme dont il procède, un poison toujours prêt à tuer.

Affaire Julian Foulkes: gardé à vue pour un tweet

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© D. R.

Au Royaume-Uni, le maintien de l’ordre à deux vitesses (ou two-tier policing), en pleine lumière depuis l’attaque au couteau de Southport, en juillet 2024, continue de faire parler de lui. Après que certains officiers se sont agenouillés en soutien à des manifestants Black Lives Matter ou ont repeint leurs véhicules aux couleurs du mouvement LGBT +[1], d’autres ont même précipité en garde à vue un special constable, que l’on pourrait comparer à un gardien de la paix, qui jouissait paisiblement de sa retraite. Son crime? Avoir répondu à un post propalestinien, comme l’a révélé le Daily Telegraph, dans un article publié le 10 mai[2]. Même si la police a depuis présenté ses excuses, les critiques contre cette tendance à s’ériger en police de la pensée s’accumulent.


Remontons à la fin du mois d’octobre 2023. Alors que la ministre de l’Intérieur de l’époque, Suella Braverman, vient de décrire les manifestations propalestiniennes comme des « marches de la haine »[3], un quidam participant à ces manifestations s’insurge de se voir qualifié d’antisémite et dans un tweet menace d’intenter un procès fantaisiste à la ministre.

À la lecture de cette menace judicaire aux chances de succès douteuses en date du 30 octobre 2023, Julian Foulkes, 71 ans, inquiet pour ses amis de confession juive et scandalisé par les manifestations en question, se fend d’une réponse laissant entendre que les manifestants seraient à deux doigts d’envahir l’aéroport d’Heathrow pour attendre des passagers juifs : « One step away from storming Heathrow looking for Jewish arrivals… »[4] manifestant ainsi sa crainte de revivre un 29 octobre 2023, date à laquelle une foule de militants propalestiniens avait envahi l’aéroport de Makhatchkala, la capitale du Daghestan, pour s’en prendre à un avion en provenance de Tel Aviv. Pas bien attentive, la police a considéré le tweet du retraité comme antisémite.

Police de la pensée

Le lendemain, Mr Foulkes a la mauvaise surprise de voir six officiers de police frapper à sa porte. Le retraité, accusé d’être l’auteur d’un post de « nature extrémiste », se retrouve menotté pendant que son logement est passé au peigne fin… La scène prend alors une tournure orwellienne quand les officiers tombent sur trois ouvrages du journaliste et écrivain Douglas Murray dont The War on the West ainsi qu’un livre qui fait état du scepticisme de son auteur quant à l’intégration du Royaume-Uni dans le marché commun qu’ils qualifieront de « très étrange ». La vidéo de l’arrestation :


Jugeant ces différentes lectures un peu trop « Brexity » à leur goût, comme si oser soutenir le Brexit suffisait à rendre quiconque suspect, les policiers découvrent ensuite que le pauvre homme est un lecteur du magazine conservateur hebdomadaire The Spectator. Poussant leur enquête plus loin, les officiers découvriront que le dangereux retraité est en possession de gants, de papier d’aluminium mais aussi d’eau de Javel…

À lire aussi, Jean Szlamowicz : Le narcissisme vertueux et l’antisionisme

Fausse alerte : Madame Foulkes étant coiffeuse, la présence des produits se justifie. Mais, le retraité n’en demeure pas moins conservateur ! Mr Foulkes devra même en passer par une procédure de reconnaissance de culpabilité (caution) afin de pouvoir recouvrer la liberté et de ne pas se voir priver de la possibilité de rendre visite à sa fille vivant en Australie. Cette procédure n’entraîne pas de peine, mais reste tout de même inscrite au casier judiciaire de la personne concernée.

La police britannique, qui a depuis reconnu son erreur, a effacé la caution du casier judiciaire de Julian Foulkes. Mais, il lui reste à rembourser à Monsieur Foulkes le coût de cette procédure.

Enquêtes farfelues

La police britannique n’en est pas à son coup d’essai quand il s’agit d’entraver la liberté d’expression. Alors que son incapacité à endiguer la réelle criminalité lui est reprochée avec insistance par ailleurs, elle ne lésine pas sur les « délits d’opinion ». Allison Pearson, chroniqueuse pour The Telegraph, avait, elle aussi, reçu la visite de la police pour un tweet considéré alors comme une « incitation à la haine raciale ». Le bureau du procureur avait ensuite clos l’enquête, estimant qu’il n’y avait « pas matière à inculpation »[5]. Le National Police Chiefs’ Council a toutefois récemment considéré que la police n’avait commis aucune faute lors de cette affaire[6].

Dans le même registre, les « non-crime hate incidents » symbolisent la mise en place d’une véritable police de la pensée. En vertu de cette infraction destinée à prévenir les tensions entre communautés, la police peut procéder à l’enregistrement d’une plainte pour tout propos considéré comme haineux : il suffit que la personne qui se plaint se dise blessée par les propos en question sans démontrer une intention agressive de la part de leur auteur[7].


[1] https://www.spectator.co.uk/article/the-police-have-lost-it/

[2] https://www.telegraph.co.uk/news/2025/05/10/retired-police-officer-arrested-over-thought-crime-tweet/

[3] https://www.theguardian.com/politics/2023/oct/30/uk-ministers-cobra-meeting-terrorism-threat-israel-hamas-conflict-suella-braverman

[4] https://www.telegraph.co.uk/news/2025/05/10/retired-police-officer-arrested-over-thought-crime-tweet/

[5] https://fr.timesofisrael.com/royaume-uni-cloture-de-lenquete-sur-une-journaliste-qui-avait-tourne-a-la-polemique/

[6] https://www.telegraph.co.uk/news/2025/03/06/allison-pearson-says-police-marking-their-own-homework/

[7] https://thecritic.co.uk/the-return-of-non-crime-hate-incidents/

Aïna Alegre, puissante et grave comme un dessin de Goya

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La chorégraphe Aïna Alegre © Guillaume Fraysse

Danse. Aïna Alegre, c’est toute l’Espagne !


La danseuse Aïna Alegre a-t-elle conscience de ce qu’elle incarne ?

Dans le spectaculaire solo R-A-U-X-A  qu’elle a composé et qu’elle a interprété en novembre dernier au Carreau du Temple, à Paris, un solo qu’elle reprend aujourd’hui au Théâtre de Chaillot, elle paraît représenter à elle seule toute l’Espagne.

Danse âpre, sans artifice

Hiératisme, rigueur, puissance, énergie virile, poésie, souplesse, déhanchement naturellement sensuel : son solo incendiaire, d’une écriture éminemment contemporaine, aurait sans doute enthousiasmé les Romantiques français. On y découvre ce qu’on lit des Espagnols sous la plume de Mérimée, de Gautier ou de Dumas. Et en la voyant s’incarner dans sa danse âpre, sans artifice, portée par une sombre énergie, on croit fugitivement déceler en elle quelque chose des peintures noires de Goya.

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« Cette pièce composée comme un trio entre la danse, le son et la lumière porte une recherche archéologique et sonore du mouvement, écrit Aïna Alegre. Si différents que soient les spectacles que je crée, je poursuis une obsession pour les corps qui martèlent, qui se mettent en rythme et qui cherchent à révéler la part intime du mouvement ». Ce qui est sûr, c’est que ce rythme, cet élan, ce martèlement qu’évoque la chorégraphe la révèlent profondément hispanique. Et il y a dans sa danse énergique et sévère (dont les prémices un peu longs et fastidieux mériteraient d’être mieux structurés) quelque chose d’intimement, de profondément andalou, mais allié à l’âpreté castillane… toute catalane qu’en soit l’autrice.  

Du 22 au 24 mai

Aïna Alegre co-dirige aujourd’hui le Centre chorégraphique national de Grenoble fondé jadis par le chorégraphe Jean-Claude Gallotta. Elle représente sans doute l’un des rares choix pertinents parmi ceux effectués depuis longtemps par les pouvoirs publics  pour ce genre de structure. En contemplant son ouvrage plein de caractère, on se dit en outre qu’il pourrait constituer une chorégraphie tout aussi fascinante si elle était déployée pour huit ou dix danseurs.  Encore faudrait-il que ces multiples interprètes possèdent autant de charisme et de force de conviction que ce que dégage à elle seule Aïna Alegre !


Aïna Alegre.  R-A-U X-A
Au Théâtre de Chaillot, théâtre national de la danse, du 22 au 24 mai 2025.
01 53 65 30 00.

Photo : Guillaume Fraysse

«Bonne justice est prompte !»

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DR.

L’audition de François Bayrou devant la Commission parlementaire consacrée à l’affaire Bétharram a fait jaser. Elle a fourni au président de la commission, le député LFI Paul Vannier, l’occasion de reprocher au Premier ministre la réaction qu’il avait eue jadis en giflant une petite canaille qui tentait de lui faire les poches. Pourtant, une certaine forme de violence, savamment dosée, peut être éducative, affirme notre chroniqueur. Une idée qui a consterné notre rédaction, où personne n’a, bien entendu, donné ni reçu de gifle ni de fessée, pas même par plaisir.


Rappelez-vous. C’était en 2002, lors de la campagne présidentielle. Bayrou était en déplacement à la Meinau, un quartier réputé difficile de Strasbourg. Un adolescent prénommé Yacine a voulu profiter de la foule pour faire les poches du candidat du Modem, qui l’a corrigé dans l’instant. Un geste qui, loin de menacer sa carrière politique, lui a valu près de 600 mails de félicitations, et une remontée significative dans les sondages. Un geste qui ne passe pas auprès de Paul Vannier : chez LFI, quand on gifle, on le fait derrière des portes closes, demandez donc à Adrien Quatennens… « Je voudrais vous interroger sur votre rapport à la violence faite aux enfants », lance Vannier, qui évoque la « conception éducative de la gifle » de Bayrou, rappelle Boulevard Voltaire. L’amalgame entre ce geste, vieux de 23 ans, et l’affaire de violences scolaires en cours est de mauvaise guerre, mais qu’importe à LFI ?

Three Strikes Law

Pourtant, à l’époque, les parents du jeune voyou, à les en croire, avaient relayé la gifle du candidat à la maison : « « La gifle, dit sa mère, Yacine l’a méritée. Et il en a une de moi et une de son père en rentrant à l’appartement. » Mais de préciser immédiatement : « Il a fait une bêtise, d’accord. Mais que M. Bayrou s’en serve pour faire sa campagne, c’est dégueulasse… »

Sommé de se justifier, le Premier ministre a relativisé la violence de son geste. S’il l’a défendu, il l’a minoré, précisant qu’il s’agissait d’une « simple tape ».

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Mais les journalistes font parfois leur travail, et ont retrouvé le charmant bambin, désormais plus proche de la quarantaine que du vert paradis des amours enfantines. On l’a longtemps appelé « Bayrou » dans son quartier, ce qui sans doute l’a incité à mieux faire. Comme disait Henri IV, dont la statue fait face au bureau du maire à Pau, « bonne justice est prompte. »

Comme le rappelle BFM-TV, « en 2012 (il a alors une vingtaine d’années), le jeune homme compte déjà six condamnations à son casier judiciaire lorsqu’il écope d’une peine de quatre mois de prison ferme pour des faits d’outrage et de violences à l’encontre de policiers. » Et en 2021 il a été condamné à dix ans de prison pour trafic de stupéfiants — héroïne et cocaïne. Il purge actuellement sa peine. Rassurons-nous, il finira bien par sortir. Sûr que la prison l’aura amendé…

Que pouvons-nous en déduire, sinon que Bayrou n’a pas frappé assez fort, à l’époque ? Ou que nous devrions introduire en France la Three Strikes Law de certains Etats américains — la Californie, entre autres —, qui au troisième délit, quel qu’il soit, condamne automatiquement le coupable à 25 ans de prison. La Californie a modifié sa loi, mais d’autres Etats la maintiennent : au Texas, en Virginie-Occidentale ou dans l’État de Washington, à la seconde récidive, le condamné reçoit une peine plancher à vie (le juge est obligé de condamner à perpétuité). En Illinois, une double récidive d’un crime violent en l’espace de 25 ans conduit à la prison à vie.

La confession du prof

Et en France, pendant ce temps, le délinquant récidiviste est condamné à un stage poney…

Je n’ai balancé de mandale à un élève qu’une fois en 45 ans — vers le début de ma carrière. Je passais dans la cour du collège, pendant une récréation, et un élève a insulté un surveillant maghrébin : « Toi, le bougnoule… » J’étais tout à côté, la gifle est partie. J’ai le bras assez lourd, et je faisais du handball en Nationale 2, à l’époque. Il a giclé à trois mètres de là. Je l’ai ramassé en lui expliquant que la prochaine fois, je lui cassais la mâchoire — et je n’en ai plus entendu parler.

A lire aussi: Bayrou droit dans ses notes

Aujourd’hui, je serais probablement radié de l’Education nationale, et vilipendé par LFI, qui défend les « petits anges »…

Qu’un parti qui prêche la cause du Hamas profite d’une commission parlementaire pour insinuer que Bayrou est favorable à la violence et à la répression des enfants a fait bondir Pascal Praud, qui a bien senti l’amalgame entre une enquête nécessaire sur des dysfonctionnements graves dans une institution scolaire privée et une violence très relative vieille de 23 ans.

Il s’agissait surtout d’énerver le Premier ministre, pour l’amener à tenir des propos maximalistes — ce qu’il s’est bien gardé de faire. L’Opinion a traité assez justement Paul Vannier de « Fouquier-Tinville d’opérette » : le député du Val-d’Oise (ils n’ont pas honte, dans ce département, d’élire un pareil guignol ? Ils devraient lui mettre une bonne fessée à la prochaine échéance électorale…) devrait demander à son patron, grand admirateur de Robespierre, comment a fini l’accusateur public de la Convention. 

L'école sous emprise

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Doisneau, le photographe des périphéries

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Les frères rue du Docteur Lecene, Paris (1934) / détail © Atelier Robert Doisneau

Jusqu’au 12 octobre, le Musée Maillol présente plus de 350 photographies de Robert Doisneau (1912-1994), le chantre discret d’une banlieue disparue et d’un Paris bistrotier, dans l’exposition «Instants Donnés» …


On connait par cœur sa rengaine, cet air d’accordéon qui sort exsangue d’un bistrot patibulaire, entre chien et loup, dans le noir et blanc de l’après-guerre, son filon des existences simples. Des gueules pas possibles accoudées au comptoir, l’écrin des jeunesses dévastées, champs de ruine et épidémie de coqueluche, baraquements de fortune et TSF en berne ; c’était le temps où la misère et l’ouvriérisme militant faisaient gonfler le nombre d’adhérents dans les cellules de quartier, toute la lyre, le chromo célinien, le Front Pop’ et les grèves, les congés payés et l’île Seguin, apéritif vinique et siphons, lutte des classes et petites gens qui peinent à joindre les deux bouts comme dans un livre d’Henri Calet. Cette fois-ci, le photographe humaniste ne nous aura pas ! Promis. Juré. On tiendra bon. C’est trop facile de jouer sur la corde des sentiments d’une France sépia.

Plus de 350 photographies

Le style émotif, c’était bon pour les générations passées, celles de nos grands-parents qui crurent au miracle économique et à l’espoir d’un monde nouveau après la Débâcle. Tino à la radio et l’Huma à la criée, c’est fini ! Nous, rejetons des mondialisations malheureuses, surnuméraires des eighties, on ne nous reprendra plus dans ce grand catalogue des illusions. Nous sommes las des images frelatées. Alors, on se rend au Musée Maillol avec l’envie d’en découdre. Les statues girondes n’apaiseront pas notre courroux contre cette falsification d’identité. La banlieue, elle ne court plus depuis bientôt cinquante ans, elle s’enlise. Et Paris, cette vieille ganache a beau ripoliner son joli minois, elle ne séduit plus que les tour-operators.


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Mais on craque, une fois de plus. Car on est faible et nostalgique et que Doisneau vise toujours juste. Il y a d’abord ses appareils de labeur sous verre, son Rolleiflex et son Leica M3. Et, au mur, plus de 350 photographies, infime fragment d’une collection qui comprend 450 000 images. Tout notre décor mental décline alors sa frise chronologique. Les clichés dansent devant nos yeux. On retrouve nos marques, nos bornes temporelles. Les écrivains de caractère, les peintres et les sculpteurs qui furent les voisins de palier de Doisneau avant d’entrer dans les livres d’Histoire de l’Art, les forts des Halles, les rupins en bamboche et les gamins des rues. C’est con mais notre France des toilettes à l’étage et des coups de grisou demeure notre inébranlable socle mémoriel. Tiens-là, on reconnaît Bob Giraud pensif, Blondin barbu, Jeanne Moreau, Sabine Azéma, Roger Vailland et Maurice Baquet, le copain violoncelliste qu’il rejoignit à New-York pour une série loufoque et enneigée. Comme le professait le Pape François, Doisneau a fait des périphéries son grand œuvre. L’exposition se déploie sur deux étages, elle commence au rez-de-chaussée, puis on grimpe au 2ème voir comment par le plus grand des hasards en traversant à pied les Tuileries pour un rendez-vous professionnel, Doisneau assista à l’installation des statues de Maillol sous la supervision de Dina Vierny et la bénédiction de Malraux, puis on termine par le 1er. Les montagnes russes, quoi. On suit la vie de l’artiste, son regard sur l’enfance, son embauche chez Renault, son licenciement, ses piges alimentaires qui durèrent des années notamment pour la publicité, son intrusion dans les mondanités chez Vogue, puis, peu à peu, le succès par les livres, Cavanna et Pennac en doublette, et la consécration d’une empreinte majeure reconnue par ses pairs et le public.

Émotion

Tout ça, avouons-le, ce qui est rafraîchissant à notre époque des égos boursouflés, dans une forme de sincérité, loin de la fausse modestie des médiocres. Qu’on le veuille ou non, Doisneau a été l’artisan de notre imaginaire. De Simca aux mineurs de fond, de la chenille du Comte et de la Comtesse de Beaumont à « La monnaie des commissions » (1953) où un écolier en blouse rapporte un pain aussi grand que lui – et comment rester de marbre devant « Les tabliers de Rivoli », des petits se tiennent la main en 1978 en barrant la circulation. Je vous donne ma préférée, elle est intitulée « Timide à lunettes » et date de 1956 : un garçonnet peu assuré en culottes courtes tient son sac d’école alors qu’autour de lui ça chahute et ça crie, cette tendresse-là nous émeut aux larmes.

16,5 € 59-61 rue de Grenelle, Paris 7e

Béziers: un olivier, et pas n’importe lequel

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© Ville de Béziers

Narcotrafic, bordel à l’Assemblée, inéligibilité, résurrection… on ne peut pas dire que l’actualité du mois ait été très calme. Qui sait, peut-être que le nouveau pape élu à Rome saura apaiser les esprits, au niveau mondial comme au sein de la classe politique française ! On peut prier…


Bras cassé

Vous vous souvenez de Nyx, le « chien stup » dont je vous ai parlé il y a quelque temps ? Je voudrais cette fois-ci vous parler de son maître, policier municipal à Béziers. Il est en convalescence pour plusieurs semaines. Pourquoi ? Alors que son équipage poursuivait un scooter qui avait refusé de s’arrêter dans le quartier « difficile » de La Devèze, à Béziers, il a été, avec ses coéquipiers, victime d’un guet-apens. Concrètement, ils ont été encerclés et caillassés par une bande de jeunes qui venaient aider leurs copains en difficulté. Dans un salutaire réflexe, le maître de Nyx a levé le bras pour protéger son visage. Bien lui en a pris puisque le pavé qu’il a reçu lui a cassé net le bras. Les risques du métier ? Je ne crois pas que les policiers signent pour cela. Le climat se dégrade. Toujours plus de violence commise par des toujours plus jeunes. Depuis, l’auteur du jet de pavé a été retrouvé et interpellé. Nous attendons sa condamnation. Nyx attend le retour de son maître…

Bonne nouvelle

Selon une étude publiée fin mars, le vin est devenu la boisson alcoolisée préférée des 18-25 ans. Devant les cocktails et la bière ! De quoi redonner un peu le moral à nos vignerons ? Seul petit bémol, on apprend aussi que près de la moitié des vins (47 %) sont bus par des Français de plus 55 ans. Et seulement 7 % par des 18-24 ans. On ne devrait pas toujours poursuivre ses lectures jusqu’au bout…

Bordel

Les députés du MoDem ont annoncé leur volonté de créer un groupe de travail pour lutter contre « le bordel » à l’Assemblée. Auraient-ils décidé d’interdire LFI ? Trop simple… Les parlementaires de François Bayrou penchent plutôt pour supprimer les séances de nuit. En cause, la fatigue et les repas alcoolisés qui pourraient échauffer les députés. Et si on fournissait plutôt des éthylotests à la buvette ?

À lire aussi : Où il sera beaucoup question de l’Algérie mais pas que…

Oseront, oseront pas ?

Nous sommes au matin de la décision de justice concernant le procès des attachés parlementaires du RN. Inéligibilité immédiate ou non ? Nous le saurons dans quelques heures. En attendant, j’écoute les micros-trottoirs des adhérents du RN qui s’expriment sur le sujet. Et je suis sidérée de la facilité avec laquelle les « sympathisants » semblent passer au plan B (comme Bardella, bien sûr !) et jeter Marine aux oubliettes. Ça n’a pas l’air de les déranger plus que ça. De l’ingratitude en politique…

Inéligibilité (suite)

Ça y est, la décision est tombée. Un véritable coup de tonnerre. Franchement, je ne croyais pas que les juges prendraient cette décision d’inéligibilité immédiate. Qui me gêne. D’abord parce qu’elle s’apparente à un sacré coup de canif à la présomption d’innocence. On a déjà vu par le passé des élus condamnés à une peine d’inéligibilité provisoire (donc immédiate), perdre leur mandat dans l’heure et se voir réhabilités un an plus tard lors de l’appel. Pourquoi une peine de prison ou une amende seraient-elles systématiquement suspensives et pas une peine d’inéligibilité ? Autre source de questionnement : pourquoi une telle différence – je sais, c’est prévu par la loi, mais ça n’empêche pas de s’interroger – entre un élu local, contraint de démissionner immédiatement, et un député qui peut finir son mandat ? Cette question est tellement dérangeante que les juges eux-mêmes ont décidé que Louis Aliot, maire de Perpignan, devait pouvoir rester en poste jusqu’à ce que l’appel soit rendu. Qu’on le veuille ou non, qu’on soit d’accord avec cette décision ou non, les juges qui ont condamné Marine Le Pen ont donné aux Français le sentiment de priver des millions de personnes de leur vote. Vertigineux…

Groenland

« Toutes les options sont sur la table. (…) Nous aurons le Groenland. Oui, sûr à 100 %. » Donald Trump a encore frappé. Ce n’est pas nouveau. L’intérêt du président américain pour le Groenland date de son premier mandat. L’île est en effet riche en fer, nickel et or, mais aussi en métaux rares (lithium, niobium…) utilisés dans l’industrie de défense ou la transition énergétique. Et qui deviennent plus faciles d’accès avec la fonte des glaces. Et puis, acquérir le Groenland serait aussi « stratégiquement sympa pour les États-Unis ». Quelque chose à voir avec l’objectif affiché de la Chine de devenir une « grande puissance polaire » d’ici 2030 ? Pourvu que l’Empire céleste ne s’intéresse pas à la Méditerranée. Trump pourrait décider de débarquer en Corse…

Yellowstone

Vous aimez le western ? Vous allez aimer Yellowstone. C’est l’histoire de la famille Dutton, au Montana – le patriarche est incarné par Kevin Costner, rien que ça –, qui possède le plus grand ranch des États-Unis, et qui se bat pour que l’on n’empiète pas sur ses terres. La série (diffusée en France sur Netflix) est l’une des plus regardées aux États-Unis ces dernières années. Longtemps passée inaperçue en France, elle cartonne depuis quelques mois. Records d’audience donc, mais aussi polémiques à répétition à cause de son idéologie… un tantinet « conservatrice ». Alors que le cinéma américain continue de régulièrement nous abreuver de sa bien-pensance, la réhabilitation de la figure virile du cow-boy, dans la droite ligne de John Wayne dans La Prisonnière du désert, est assez courageuse. Même si elle est depuis défendue par une bonne partie de l’électorat de Donald Trump. Fans de Sandrine Rousseau s’abstenir !

Olivier

Nous avons planté un olivier devant l’hôtel de ville de Béziers. Mais pas n’importe lequel. Le nôtre vient d’une oliveraie abandonnée du sud de l’Espagne et a… deux mille ans ! Un contemporain du Christ. Il a été béni par l’archiprêtre de Béziers le lundi de Pâques. Alors que nous avions appris la mort du pape deux heures plus tôt. Tout un symbole. L’olivier, signe de paix et de réconciliation. De sagesse et d’éternité également. « L’olivier de Pâques », comme l’ont rapidement surnommé les Biterrois, a trouvé sa place dans notre vieille cité. Dernière satisfaction, il avait un temps failli partir pour… Dubaï !

La boîte du bouquiniste

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Couverture du livre "Voyage au pays des snobs" D.R.

«Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres», dixit Blaise Cendrars. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


Clément Vautel © D.R.

Certains le sont naturellement, d’autres se donnent du mal pour l’être et il en est qui, malgré leurs efforts, ne le seront jamais. N’est pas snob qui veut. Peut-être faudrait-il conjuguer ces verbes au passé tant le XXIe siècle semble avoir eu raison de ce trait de caractère, de cette posture intellectuelle qui a fait partie du paysage culturel et social depuis le milieu du xixe siècle – mais il y a des résistants. Les jeunes lecteurs de Causeur apprécieront donc d’apprendre qu’un snob est une « personne qui admire et qui imite sans discernement les manières, les goûts, les modes en usage dans les milieux dits distingués ». Pour illustrer sa définition, le Petit Robert cite Valéry : « Le vrai “snob” est celui qui craint d’avouer qu’il s’ennuie quand il s’ennuie ; et qu’il s’amuse quand il s’amuse. » Allez expliquer ces subtilités dans un monde où l’on ne roule plus qu’en bulldozer…

Clément Vautel (1876-1954) sait de quoi il parle ; en 1928, il vit en plein dedans. Ce littérateur graphomane, journaliste, romancier, dramaturge – auteur de dizaines d’ouvrages et de quelque 30 000 articles – ferraille quotidiennement avec les snobs qui peuplent le monde et le demi-monde dit culturel. Voyage au pays des snobs est un règlement de comptes, un texte qui dézingue à tout va, avec cette légèreté française qui, sur un ton badin, un humour parfois potache, porte le fer dans la plaie, cloue sa proie à sa place. Vautel se pose en homme libre. « Je préfère vivre en dehors de toutes ces combinaisons, équipes, cabales, chapelles et organisations où il faut suivre les consignes, admirer ou éreinter, aimer ou haïr par esprit de secte, voire par ordre supérieur. Je choisis mes idoles ou mes fétiches moi-même au bazar du coin ; j’en change quand cela me plaît et je regarde avec le sourire passer les processions de dévots, parmi lesquels ne manquent d’ailleurs pas les Tartuffes. »

À lire aussi, Jonathan Siksou : La boîte du bouquiniste Sacha Guitry intime (souvenirs de sa secrétaire)

Dans son viseur défilent les femmes auteurs de « romans féminins qui pourraient être tous intitulés Moi et Moi » ; les écrivains qui ne jurent que par Gide ou Stendhal ; les collectionneurs d’art africain ; la Comédie-Française, cette « administration où la faveur et l’ancienneté l’emportent sur les droits que devraient conférer le talent et la jeunesse » ; les poètes de coin de table portés aux nues par la presse ; et, bien sûr, les critiques. Ainsi découpe-t-il le public un soir de générale : « Critiques influents : 6. Critiques sans influence : 34. Critiques sans journaux : 40. » Dans la même salle se trouvent des « auteurs joués : 12. Auteurs non joués : 150. Acteurs : 20. Actrices : 40. Fausses actrices : 210. » Jusqu’aux « homosexuels amateurs ou professionnels : 33. Boxeurs : 12. Sud-Américains : 31. » La liste s’étale sur deux pages.

Voyage au pays des snobs commence par une nouvelle – l’histoire d’un brave bourgeois qui prend des cours bidon pour tenter de devenir une figure prisée de la vie parisienne – et se poursuit avec une série de portraits et de situations cocasses. Il y est notamment question de postérité littéraire et Vautel s’insurge contre ceux qui désignent ce qui est ou non un chef-d’œuvre immortel. « En 2028, il suffira sans doute d’un rayon pour loger les “rescapés” provisoires de notre déluge de papier imprimé. Qui pourrait les désigner dès aujourd’hui ? » En 2028, un rayon sera peut-être même trop vaste.

Clément Vautel, Voyage au pays des snobs, Montaigne, 1928, 296 pages.

Voyage Au Pays Des Snobs

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La réderie du marquis

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© D.R.

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Je te préviens tout de suite, lectrice adorée : il y aura deux « d’abord » dans cette chronique. Je sais, ce n’est ni élégant, ni correct mais bon… On ne peut pas toujours être parfait. (Parfois, ça me fatigue.) D’abord, oui, disais-je ; commençons par un rectificatif, une précision plutôt relative à mon dernier prône dominical. Dans celui-ci, j’indiquais que le peintre Marc Deudon allait exposer une cinquantaine de toiles dans les locaux de la Société d’Horticulture d’Amiens, 58/60, rue Le Nôtre, à Amiens, les 7, 8 et 9 juin ; j’indiquais aussi que le vernissage de l’événement était prévu le vendredi 6 juin, de 18 heures à 21 heures. Or, la formulation employée pouvait laisser entendre que le vernissage était ouvert à tous ; il n’en est rien. Il faudra disposer d’une invitation pour accéder au champagne, aux petits fours et autres délicieux plaisirs. Dont acte.

À lire aussi : Fame, je vous aime !

Second « d’abord » ; je voudrais vous entretenir, dans la présente chronique, du fait que j’ai moi aussi, exposé, dimanche dernier, à la réderie du faubourg de Hem, mon quartier à Amiens. « D’abord… », me diras-tu, lectrice de Perpignan, de Montauban (on ne devrait jamais quitter Montauban), de Viry-Noureuil (dans l’Aisne, où mes parents se sont mariés en sortir de la Deuxième guerre, les Fritz venaient de partir, etc., etc.), « … marquis (N.D.A. : c’est ainsi que me surnomment les lectrices et lecteurs de mon prône), qu’est-ce qu’une réderie ? » Sache, lectrice maintenant édifiée, qu’il s’agit, en langue picarde, d’une brocante, un marché aux puces, un vide-grenier. (Le terme est surtout utilisé dans la Somme.) À mon grand désespoir, je me suis donc levé à cinq heures du matin, moi qui répugne à me lever tôt, et voue une sainte horreur à l’aube et tout le toutim. (« Un matin, ça ne sert à rien… », chantait, je crois, Jean-Jacques Goldman. Comme il a raison.) Mon amour, ma Sauvageonne, elle, m’a battu ; elle est sortie du lit à 4h45. (Mais elle n’a aucun mérite ; fille de gendarme et petite-fille de commandant de gendarmerie, elle est pimpante dès les premières heures du jour, comme si le clairon militaire venait de sonner.) Ainsi, dès 7 heures, nous étions à notre stand à attendre le client.

De chaque côté, nos charmants voisins : à droite, Béa et Tio Guy ; à gauche, Aurore et Stéphane. La sauvageonne proposait des vêtements et des tableaux-cadeaux, hymnes aux prénoms, qu’elle réalise (en plus de ses belles toiles) au fil des années ; moi, des livres, des vêtements et quelques menus objets parfois encombrants. Vers midi, une petite faim s’est pointée ; j’ai couru au kébab situé à l’angle de la rue Robert-Lecoq et de l’avenue Louis-Blanc, établissement récent que je ne connaissais point. J’ai commandé des sandwiches américains, merguez, sauce samouraï. Il y avait la queue. (L’homme des réderies, c’est connu, a un bon coup de fourchette !) Beaucoup de monde, trop de monde ? Peut-être. Le personnel semblait très occupé. Revenu à notre stand, nous nous sommes rendu compte que nos dits-sandwiches possédaient le pain, les frites et la sauce mais pas les merguez. J’y suis retourné ; j’ai expliqué mon cas. La dame, très sympathique, n’a fait aucune difficulté pour me refaire nos américains, cette fois lestés des très attendues merguez. Le temps était splendide ; j’ai discuté avec de nombreux lecteurs-acheteurs de ma connaissance. J’ai eu le plaisir de donner un essai sur la franc-maçonnerie à un monsieur qui ne savait ni lire, ni écrire, mais qui pouvait épeler. J’ai même sorti une bouteille d’un rosé gris, frais et délicieux qui nous régala. Tio Guy m’offrit une bière. La journée fila comme le collant couleur chair d’une dame mûre non épilée. Vers la fin, de gros nuages couleur perle firent leur apparition ; ils eurent l’élégance de ne point éclater afin de ne pas gâcher la jolie réderie du marquis. Que demander de plus ?

Pierre Michon en immersion dans la Grèce antique

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Pierre Michon © Jean-Luc Bertini

Avec J’écris l’Iliade, véritable tour de force littéraire, Pierre Michon revient sur ses convictions profondes en matière de religion et de littérature.


Dans la littérature française actuelle, Pierre Michon (né en 1945) jouit incontestablement d’une certaine notoriété. Très lue par les universitaires, son œuvre est appréciée aussi du public cultivé. Des livres distillés autrefois au compte-gouttes, une exigence littéraire appuyée, mais de bon aloi, des apparitions rarissimes dans les médias, Pierre Michon porte l’étendard du grand style des époques révolues. Ses références vont, entre autres, de Flaubert à Faulkner, en passant par Rimbaud ou Artaud jusqu’à Joyce. Avec de tels noms mis en avant, il est difficile de se tromper. D’autant que Pierre Michon a l’intelligence de traiter, dans ses romans, de ce qu’il appelle « les vies minuscules ». Il faut entendre par là le destin souvent obscur, mais authentique, des petites gens, dont lui-même assure faire partie. Pierre Michon, grâce à son lyrisme naturel, redonne une vraie place à ceux qui étaient cantonnés dans les marges de la société.

Souvenirs personnels et mythologie

Avec J’écris l’Iliade, récit paru il y a peu, Michon tente de se focaliser plus particulièrement sur lui-même. Il met ici en avant sa fascination pour la Grèce antique et son paganisme virevoltant auquel il adhère en partie. Le livre est composé de souvenirs personnels de Michon, entrecoupés de textes « à la manière de », qui décrivent des scènes de mythologie grecque. Ainsi, Michon se réinvente sous le signe d’Homère, ou peut-être d’Hésiode, le poète des Travaux et les Jours. Disons que cette « ambiance » grecque est parfaitement réussie, même si la prose de Michon y perd en précision, par excès d’abstraction.

Un homme grec

Le tour de force de Michon est d’avoir, dans les chapitres autobiographiques, réussi à développer un univers conforme à cet homme grec qu’il voudrait incarner. D’abord, dans la manière dont il se décrit lui-même, comme une sorte de satyre pris de boisson et obsédé par le sexe. Sous la lumière du Sud, Michon peine à exorciser ses mauvais démons. En ce sens, J’écris l’Iliade est un document précieux pour mieux cerner la personnalité complexe de l’écrivain. Je parlais de satyre, il n’emploie pas le mot, mais le revendiquerait certainement ; on pourrait évoquer aussi les compagnons de Dionysos, les fameux silènes, ces petits bonshommes très laids, affairés aux voluptés. Dans Le Banquet de Platon, n’est-ce pas Socrate qui est comparé, par Alcibiade, d’abord à un silène, puis ensuite à un satyre ? Nous lisons, dans la traduction de Philippe Jaccottet : « je déclare, dit Alcibiade parlant de Socrate, qu’il ressemble comme un frère à ces silènes exposés dans les ateliers des sculpteurs… » ; il ressemble aussi, ajoute Alcibiade, au « satyre Marsyas ». Faisant ensuite allusion au talent de Socrate pour captiver son auditoire, Alcibiade précise : « si c’est toi qui parles […] nous voilà tous […] étonnés et ensorcelés ». Bref, il me semble que tous ces termes employés par Alcibiade pourraient caractériser à son tour Pierre Michon, satyre et silène qui séduit, comme Socrate, par son art de la parole.

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La littérature comme passion

L’un des grands mérites de ce livre de Michon est qu’il nous permet de comprendre les effets de la littérature sur l’être humain, lorsqu’elle devient une passion. Grâce à quoi, la vie en est transformée au plus profond, et pour le meilleur. C’est en tout cas le bilan qu’en dresse avec fougue Michon.

Dans le texte intitulé « J’invente un dieu », Michon se livre ainsi : « Depuis des années le goût de noircir du papier m’avait abandonné. Fini, le temps où je faisais des surenchères d’arabesques autour d’un mot. Je n’écrivais pas et je n’écrirais plus. J’avais plus de soixante ans, il était grand temps que je fasse quelque chose de ma vie : la rencontre d’un dieu me parut un bon plan. » On appréciera l’humour de ce passage, qui en gomme l’amertume. Avec la conclusion suivante, plus sereine : « L’art d’écrire, de faire de chaque mot un nom propre ou un totem, voilà la route où s’avançait le dieu. » Ce qui donne, pour résumer : « J’étais de nouveau littérateur. »

Un écrivain pour écrivains

Il ne faut donc pas s’étonner si Pierre Michon est d’abord un écrivain pour écrivains, comme on dit. Si la forme de J’écris l’Iliade peut étonner, comme je l’ai remarqué, en revanche les questions de fond qui se posent à sa lecture sont essentielles. Celles-ci, par exemple : faut-il encore écrire comme Flaubert ? Qu’est-ce que la littérature aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’écrire ? Ou encore : qu’est-ce qu’une vie bonne ? Michon constate, à un moment : « Je n’avais plus personne à qui faire croire que la littérature peut servir à quoi que ce soit. » Et pourtant, malgré tout, il continue cette lutte absurde, ou plutôt qui paraît absurde.

Dans J’écris l’Iliade, il y a donc une dimension morale. À plusieurs reprises, Michon précise, oubliant son polythéisme, qu’il est chrétien. Il raconte en détail ses visites, en Grèce, dans quelques-uns des hauts lieux de l’orthodoxie, et sa déception à la suite d’un mauvais accueil. J’écris l’Iliade est aussi, bien sûr, un dialogue avec Dieu, à base d’incommunicabilité et d’errements, mais avec une sorte de foi sincère. Et le moment vient, finalement, où l’on sent que l’enjeu littéraire rejoint pleinement l’enjeu spirituel.


Pierre Michon, J’écris l’Iliade. Éd. Gallimard, 271 pages.

Platon, Le Banquet. Traduction de Philippe Jaccottet. Éd. « Le Livre de Poche », 114 pages.

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Féminisme sidéral

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© Blue Origin/ZUMA Press Wire/SIPA

Présenté comme une célébration de l’émancipation féminine, le fameux vol spatial 100% féminin de Blue Origin s’est révélé un concentré de stéréotypes, une mise en scène ridicule en plus d’un spectacle mondain glamour.


C’était présenté comme le summum de l’autonomisation des femmes, « female empowerment ». Le 14 avril, une fusée de Blue Origin, l’entreprise aérospatiale fondée par le patron d’Amazon, Jeff Bezos, a emporté dans l’espace six femmes, dont la fiancée de Bezos, Lauren Sánchez, qui se décrit comme journaliste et philanthrope, ainsi que la pop star Katy Perry, une animatrice télé, une productrice de cinéma, une militante des droits de victimes de viol et chercheuse en bioastronautique, et une ancienne ingénieure en aéronautique de la Nasa.

Les six ont été qualifiées par les médias d’« équipage » (crew) et même de « premier équipage exclusivement féminin ». Pourtant, le vol – qui a duré moins de onze minutes et frôlé à peine l’espace extérieur – a été dirigé depuis la Terre. Les passagères n’étaient pas plus un équipage que des enfants sur un manège forain.

Certains ont cité le précédent de la cosmonaute russe, Valentina Terechkova, qui a fait un vol spatial en solo en 1963, mais elle était un vrai pilote. Le voyage des six, censé encourager « la prochaine génération d’exploratrices », a surtout charrié des stéréotypes féminins les plus « girlie ». Dans un entretien préalable avec Elle, les « astronautes » ont souligné la nécessité d’être chic ou « glam » (de glamour) dans l’espace. Elles ont porté des combinaisons identiques à pattes d’éph dessinées par Sánchez et la marque Monse. La seule ingénieure, voulant être sûre que sa coiffure résisterait au décollage, a testé le même style au cours d’une séance de parachutisme à Dubaï. La chercheuse en bioastronautique, insistant sur l’absence d’opposition entre science et mode, a déclaré qu’elle porterait du rouge à lèvres. Seule concession à l’esprit scientifique, elle aurait conduit une petite expérience dans l’apesanteur en vue du développement de tampons adaptés à l’espace. Le média interne de Blue Origin a déclaré qu’un vol spatial de femmes serait surtout une affaire d’« émotions ». Après le vol, en descendant de la capsule, Perry brandit une pâquerette, tombe à genou, baise la terre et se déclare « super-connectée à l’amour » avant d’évoquer « le divin féminin ».

L’événement, qui a surtout ressemblé à un enterrement de vie de jeune fille, prouve que le vide n’existe pas que dans l’espace.