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Affaire Julian Foulkes: gardé à vue pour un tweet

1984, édition 2025 - chronique d’une arrestation absurde


Affaire Julian Foulkes: gardé à vue pour un tweet
© D. R.

Au Royaume-Uni, le maintien de l’ordre à deux vitesses (ou two-tier policing), en pleine lumière depuis l’attaque au couteau de Southport, en juillet 2024, continue de faire parler de lui. Après que certains officiers se sont agenouillés en soutien à des manifestants Black Lives Matter ou ont repeint leurs véhicules aux couleurs du mouvement LGBT +[1], d’autres ont même précipité en garde à vue un special constable, que l’on pourrait comparer à un gardien de la paix, qui jouissait paisiblement de sa retraite. Son crime? Avoir répondu à un post propalestinien, comme l’a révélé le Daily Telegraph, dans un article publié le 10 mai[2]. Même si la police a depuis présenté ses excuses, les critiques contre cette tendance à s’ériger en police de la pensée s’accumulent.


Remontons à la fin du mois d’octobre 2023. Alors que la ministre de l’Intérieur de l’époque, Suella Braverman, vient de décrire les manifestations propalestiniennes comme des « marches de la haine »[3], un quidam participant à ces manifestations s’insurge de se voir qualifié d’antisémite et dans un tweet menace d’intenter un procès fantaisiste à la ministre.

À la lecture de cette menace judicaire aux chances de succès douteuses en date du 30 octobre 2023, Julian Foulkes, 71 ans, inquiet pour ses amis de confession juive et scandalisé par les manifestations en question, se fend d’une réponse laissant entendre que les manifestants seraient à deux doigts d’envahir l’aéroport d’Heathrow pour attendre des passagers juifs : « One step away from storming Heathrow looking for Jewish arrivals… »[4] manifestant ainsi sa crainte de revivre un 29 octobre 2023, date à laquelle une foule de militants propalestiniens avait envahi l’aéroport de Makhatchkala, la capitale du Daghestan, pour s’en prendre à un avion en provenance de Tel Aviv. Pas bien attentive, la police a considéré le tweet du retraité comme antisémite.

Police de la pensée

Le lendemain, Mr Foulkes a la mauvaise surprise de voir six officiers de police frapper à sa porte. Le retraité, accusé d’être l’auteur d’un post de « nature extrémiste », se retrouve menotté pendant que son logement est passé au peigne fin… La scène prend alors une tournure orwellienne quand les officiers tombent sur trois ouvrages du journaliste et écrivain Douglas Murray dont The War on the West ainsi qu’un livre qui fait état du scepticisme de son auteur quant à l’intégration du Royaume-Uni dans le marché commun qu’ils qualifieront de « très étrange ». La vidéo de l’arrestation :


Jugeant ces différentes lectures un peu trop « Brexity » à leur goût, comme si oser soutenir le Brexit suffisait à rendre quiconque suspect, les policiers découvrent ensuite que le pauvre homme est un lecteur du magazine conservateur hebdomadaire The Spectator. Poussant leur enquête plus loin, les officiers découvriront que le dangereux retraité est en possession de gants, de papier d’aluminium mais aussi d’eau de Javel…

À lire aussi, Jean Szlamowicz : Le narcissisme vertueux et l’antisionisme

Fausse alerte : Madame Foulkes étant coiffeuse, la présence des produits se justifie. Mais, le retraité n’en demeure pas moins conservateur ! Mr Foulkes devra même en passer par une procédure de reconnaissance de culpabilité (caution) afin de pouvoir recouvrer la liberté et de ne pas se voir priver de la possibilité de rendre visite à sa fille vivant en Australie. Cette procédure n’entraîne pas de peine, mais reste tout de même inscrite au casier judiciaire de la personne concernée.

La police britannique, qui a depuis reconnu son erreur, a effacé la caution du casier judiciaire de Julian Foulkes. Mais, il lui reste à rembourser à Monsieur Foulkes le coût de cette procédure.

Enquêtes farfelues

La police britannique n’en est pas à son coup d’essai quand il s’agit d’entraver la liberté d’expression. Alors que son incapacité à endiguer la réelle criminalité lui est reprochée avec insistance par ailleurs, elle ne lésine pas sur les « délits d’opinion ». Allison Pearson, chroniqueuse pour The Telegraph, avait, elle aussi, reçu la visite de la police pour un tweet considéré alors comme une « incitation à la haine raciale ». Le bureau du procureur avait ensuite clos l’enquête, estimant qu’il n’y avait « pas matière à inculpation »[5]. Le National Police Chiefs’ Council a toutefois récemment considéré que la police n’avait commis aucune faute lors de cette affaire[6].

Dans le même registre, les « non-crime hate incidents » symbolisent la mise en place d’une véritable police de la pensée. En vertu de cette infraction destinée à prévenir les tensions entre communautés, la police peut procéder à l’enregistrement d’une plainte pour tout propos considéré comme haineux : il suffit que la personne qui se plaint se dise blessée par les propos en question sans démontrer une intention agressive de la part de leur auteur[7].


[1] https://www.spectator.co.uk/article/the-police-have-lost-it/

[2] https://www.telegraph.co.uk/news/2025/05/10/retired-police-officer-arrested-over-thought-crime-tweet/

[3] https://www.theguardian.com/politics/2023/oct/30/uk-ministers-cobra-meeting-terrorism-threat-israel-hamas-conflict-suella-braverman

[4] https://www.telegraph.co.uk/news/2025/05/10/retired-police-officer-arrested-over-thought-crime-tweet/

[5] https://fr.timesofisrael.com/royaume-uni-cloture-de-lenquete-sur-une-journaliste-qui-avait-tourne-a-la-polemique/

[6] https://www.telegraph.co.uk/news/2025/03/06/allison-pearson-says-police-marking-their-own-homework/

[7] https://thecritic.co.uk/the-return-of-non-crime-hate-incidents/




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