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La boîte du bouquiniste

"Voyage au pays des snobs", de Clément Vautel, Montaigne, 1928


La boîte du bouquiniste
Couverture du livre "Voyage au pays des snobs" D.R.

«Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres», dixit Blaise Cendrars. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


Clément Vautel © D.R.

Certains le sont naturellement, d’autres se donnent du mal pour l’être et il en est qui, malgré leurs efforts, ne le seront jamais. N’est pas snob qui veut. Peut-être faudrait-il conjuguer ces verbes au passé tant le XXIe siècle semble avoir eu raison de ce trait de caractère, de cette posture intellectuelle qui a fait partie du paysage culturel et social depuis le milieu du xixe siècle – mais il y a des résistants. Les jeunes lecteurs de Causeur apprécieront donc d’apprendre qu’un snob est une « personne qui admire et qui imite sans discernement les manières, les goûts, les modes en usage dans les milieux dits distingués ». Pour illustrer sa définition, le Petit Robert cite Valéry : « Le vrai “snob” est celui qui craint d’avouer qu’il s’ennuie quand il s’ennuie ; et qu’il s’amuse quand il s’amuse. » Allez expliquer ces subtilités dans un monde où l’on ne roule plus qu’en bulldozer…

Clément Vautel (1876-1954) sait de quoi il parle ; en 1928, il vit en plein dedans. Ce littérateur graphomane, journaliste, romancier, dramaturge – auteur de dizaines d’ouvrages et de quelque 30 000 articles – ferraille quotidiennement avec les snobs qui peuplent le monde et le demi-monde dit culturel. Voyage au pays des snobs est un règlement de comptes, un texte qui dézingue à tout va, avec cette légèreté française qui, sur un ton badin, un humour parfois potache, porte le fer dans la plaie, cloue sa proie à sa place. Vautel se pose en homme libre. « Je préfère vivre en dehors de toutes ces combinaisons, équipes, cabales, chapelles et organisations où il faut suivre les consignes, admirer ou éreinter, aimer ou haïr par esprit de secte, voire par ordre supérieur. Je choisis mes idoles ou mes fétiches moi-même au bazar du coin ; j’en change quand cela me plaît et je regarde avec le sourire passer les processions de dévots, parmi lesquels ne manquent d’ailleurs pas les Tartuffes. »

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Dans son viseur défilent les femmes auteurs de « romans féminins qui pourraient être tous intitulés Moi et Moi » ; les écrivains qui ne jurent que par Gide ou Stendhal ; les collectionneurs d’art africain ; la Comédie-Française, cette « administration où la faveur et l’ancienneté l’emportent sur les droits que devraient conférer le talent et la jeunesse » ; les poètes de coin de table portés aux nues par la presse ; et, bien sûr, les critiques. Ainsi découpe-t-il le public un soir de générale : « Critiques influents : 6. Critiques sans influence : 34. Critiques sans journaux : 40. » Dans la même salle se trouvent des « auteurs joués : 12. Auteurs non joués : 150. Acteurs : 20. Actrices : 40. Fausses actrices : 210. » Jusqu’aux « homosexuels amateurs ou professionnels : 33. Boxeurs : 12. Sud-Américains : 31. » La liste s’étale sur deux pages.

Voyage au pays des snobs commence par une nouvelle – l’histoire d’un brave bourgeois qui prend des cours bidon pour tenter de devenir une figure prisée de la vie parisienne – et se poursuit avec une série de portraits et de situations cocasses. Il y est notamment question de postérité littéraire et Vautel s’insurge contre ceux qui désignent ce qui est ou non un chef-d’œuvre immortel. « En 2028, il suffira sans doute d’un rayon pour loger les “rescapés” provisoires de notre déluge de papier imprimé. Qui pourrait les désigner dès aujourd’hui ? » En 2028, un rayon sera peut-être même trop vaste.

Clément Vautel, Voyage au pays des snobs, Montaigne, 1928, 296 pages.

Voyage Au Pays Des Snobs

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Mai 2025 - #134

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste. Dernière publication "Vivre en ville" (Les éditions du Cerf, 2023)

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