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Procès de Luigi Mangione: l’Amérique est une société malade

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Le gauchiste Luigi Mangione, soupçonné d’avoir tué Brian Thomson, abattu au cœur de Manhattan il y a un an, a comparu hier lors d’une audience préliminaire. Il encourt une peine de réclusion à perpétuité.


Seul Dieu peut offrir une assurance contre la maladie.
Maurice Duplessis, ancien Premier ministre québécois.


Aux États-Unis, les compagnies d’assurance de santé privées ne gagnent pas un concours de popularité. On les accuse de pratiquer l’obstruction et le culte du seul profit.

C’est dans ce contexte que, le 4 décembre 2024, à Manhattan, Luigi Mangione est censé avoir abattu de sang-froid, dans une embuscade bien planifiée, Brian Thompson, PDG de la United Healthcare, le plus gros groupe d’assurance de santé privé aux Etats-Unis. Aux termes de la loi new-yorkaise, il fait face à neuf chefs d’accusation, dont l’assassinat.

(Les procureurs résistent mal à la tentation de ratisser large, mais a été écarté par le juge le ridicule chef d’accusation de « terrorisme »; c’est déjà ça de pris pour M. Mangione).

Passible de la perpétuité

Il est passible de l’emprisonnement à perpétuité, l’État de New York ayant aboli la peine de mort. Par ailleurs, il fait face à des accusations prévues par la loi fédérale pour les mêmes faits. Le président Trump, qui, naguère se vantait de pouvoir assassiner n’importe qui sur le 5e Avenue sans perdre un seul vote, réclame d’ores et déjà le châtiment suprême.

De prime abord, les faits semblent parler d’eux-mêmes de manière écrasante en faveur de la culpabilité.

Les séries policières américaines sont friandes du mythe du vice de forme (on ne compte plus les mandats de perquisition invalidés pour une virgule mal placée…). En l’espèce cependant, dans une affaire médiatique aussi retentissante, les procureurs devront aller « by the book » (en v.o.), (« selon la lettre du code de procédure » (en v.f.)).

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A eu lieu hier 1er décembre une première comparution dans le cadre d’une audience préliminaire portant sur la (non) recevabilité d’éléments de preuve cruciaux. La défense demande l’exclusion des déclarations incriminantes de l’accusé lors de son arrestation puisque les policiers ne lui avaient pas communiqué son droit au silence (cf. la légendaire jurisprudence Miranda[1]). En outre, les agents saisirent alors son sac à dos et en retirèrent notamment des pièces à conviction censées le rattacher à l’homicide : un révolver (l’arme du crime?), un magasin chargé et un cahier contenant des observations manuscrites dénonçant les compagnies privées d’assurance de santé, mais… sans mandat de perquisition.

En matière pénale, la procédurite est toujours de bonne guerre, encore que M. Magione ne peut raisonnablement espérer ressortir de quelque tribunal que ce soit en faisant un doigt d’honneur. Au mieux, il peut rêver d’un répit sur les accusations les plus graves.

Semble étrange et critiquable la coexistence de procédures étatiques et fédérales pour les mêmes faits. D’emblée, il semble y avoir atteinte à la règle « non bis in idem », à savoir le droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction. Lorsque viendra leur tour, les procureurs fédéraux seront tentés d’invoquer la jurisprudence Rodney King : en 1991, quatre policiers avaient été filmés pendant qu’ils tabassaient sauvagement M. King, mais ils furent acquittés par les jurés californiens. Cependant, deux d’entre eux furent ultérieurement condamnés par une juridiction fédérale au titre de la violation des droits civiques de M. King, les avocats de la défense ayant en vain invoqué ladite règle (« double jeopardy » en v.o.) puisque le moyen de droit fédéral était distinct. En l’espèce, on admettra volontiers que la cavale de M. Mangione hors de l’État du crime principal (l’arrestation eut lieu en Pennsylvanie) donne lieu à des infractions supplémentaires, distinctes, de nature fédérale, mais la compétence relative à l’homicide lui-même ne tombe pas sous le sens. Mais peu importe, les procureurs fédéraux sont bel et bien déterminés à avoir leur part du gâteau.

À suivre donc.  Pour l’instant aucun calendrier n’est fixé. L’audience préliminaire en cours devrait durer une semaine; seront entendus plusieurs témoins au sujet du déroulement de l’arrestation.

Sinistre justicier

Sur le plan social, aux yeux d’une certaine gauche, M. Mangione fait figure de Robin des Bois. On peut supposer qu’y appartiennent de nombreux donateurs qui ont généreusement versé leur obole à sa cagnotte de défense (est évoqué le chiffre de 1 million de dollars); c’est de bonne guerre (il serait également intéressant de savoir quelle est l’enveloppe budgétaire dont dispose(ront) le(s) ministère(s) public(s)).

Pour autant, les supporteurs de M. Mangione oublient que si le maître archer prônait et pratiquait une forme de redistribution des richesses au profit des démunis, au grand dam du shérif de Nottingham, il ne semblait pas avoir l’habitude de trucider sommairement les nantis.

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L’assurance santé, qui laisse en effet beaucoup à désirer aux Etats-Unis, est sans conteste un immense problème de justice sociale. Que l’on exprime son opposition à la peine de mort est légitime (même les tyrans condamnés pour crimes contre l’humanité ne sont plus exécutés); il en va de même si l’on insiste sur cette évidence que tout accusé, même (par exemple) filmé par 24 caméras de surveillance, a toujours droit à la présomption d’innocence et à une défense pleine et entière.

Mais cela ne justifie pas la violence qui est contreproductive, la potion qui tue le patient. Rappelons que M. Magione fut arrêté dans un McDo. La honte. Quand on veut jouer les chevaliers blancs combattant les entreprises qui font primer le profit sur la santé, on opte plutôt, par exemple, pour des campagnes pacifiques dénonçant les fastefoudes dont la tambouille vomissant le cholestérol constitue la plus grande menace à la santé publique jamais vue…

Faire de Luigi Mangione une star est de très mauvais goût. Un autre spectacle à grand déploiement vient de commencer. En vedette américaine, Luigi Mangione. On s’arrache les billets pour la salle d’audience. Il était temps, 30 ans après l’acquittement de OJ Simpson. « Only in America ».


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Miranda_v._Arizona

« La morue? Oui, chef! »

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Chez José Dantas, au restaurant « Albufera », à Boulogne-Billancourt (92)


Heureux habitants de Boulogne-Billancourt… Il y a un peu plus de trois mois, en août 2025 donc, « Albufera, la table de Jose Dantas », a ouvert ses portes au 38, rue de Meudon (à cinq minutes à pied du métro Marcel Sembat). Comme au Ritz, un voiturier à la carrure de garde du corps s’occupera même de garer votre voiture (et de veiller sur elle) si d’aventure vous décidiez de faire le voyage à Boulogne depuis une destination lointaine, par exemple pour le réveillon du 31 décembre…

Meilleur restaurant portugais de France?

Car, en définitive, « Albufera » (qui désigne à la fois une région du Portugal, une rivière et un riz rond assez semblable au riz bomba espagnol – celui utilisé pour la paella) est probablement le meilleur restaurant de cuisine portugaise de France. En entrant dans ce petit paradis (niché dans un quartier calme et « pépère » d’une ville qui n’a pourtant rien de très sexy), c’est tout un univers poétique qui vient d’abord vous titiller les narines et l’imagination, à travers la voix d’Amalia Rodriguez (la reine du « fado »), la soie des vieux portos millésimés, la gentillesse de la serveuse (venue de Rome) et, bien sûr, la cuisine du chef !

Toujours étrangement méconnue, la cuisine portugaise n’est pas seulement une très ancienne cuisine populaire de la terre et de la mer où l’oreille de cochon côtoie l’oursin et les coquillages, elle est aussi une cuisine du grand-large portée par le vent des océans et le souffle de l’Histoire…

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La morue de Terre-Neuve y est ainsi préparée de plus de mille façons différentes. L’omniprésence des épices nous rappelle qu’il fut un temps où le Portugal dominait le monde grâce à ses grands explorateurs, Vasco de Gama et Magellan notamment, à qui l’on doit le curcuma, la noix de muscade, le clou de girofle, la cannelle et les innombrables poivres d’Indonésie… Le maïs venu d’Amérique est employé depuis des siècles pour faire un pain tendre et délicieux de couleur safran, tout comme les haricots secs qui ont inspiré aux Portugais un plat très proche de « notre » cassoulet, sans parler du chocolat, de la vanille et du sucre de canne dont ils sont friands.

Bref… Une cuisine-monde.


Né en 1995 dans le nord du Portugal, Jose Dantas a été formé en France vingt ans durant après des plus grands chefs : à la Chèvre d’Or, chez Taillevent, chez Drouant, à l’Apicius et chez Jean-François Piège. Son mentor est Emile Cotte, un pilier de rugby corrézien qui était son supérieur chez Taillevent et qui continue à le conseiller aujourd’hui. Je vous avais parlé de ce gaillard généreux en juin 2023 en présentant son merveilleux bistrot « Baca’v », qu’Emile a récemment transplanté à Boulogne (33, avenue du Général Leclerc, à cinq cent mètres de chez son copain, raison pour laquelle je dis que les habitants de cette ville ont vraiment de la chance d’avoir ces deux tables d’exception !).

Voyage en caravelle

Jose Dantas, donc, est un vrai technicien « à la française », maître des cuissons et des sauces (les siennes, faites à partir de carcasses de volailles entières, mijotent et réduisent pendant trois jours ! c’est ce qui distingue aujourd’hui un « grand restaurant » d’un « boui-boui » pour touristes). Dès les entrées, on est impressionné par la finesse de ses acras de morue, qu’il faut prendre avec les doigts pour les tremper dans une aïoli aux piquillos (petits poivrons). Avec un verre de « Verdelho original », le blanc des Açores vinifié par Antonio Maçanita, on est déjà parti en caravelle, les cheveux au vent… Ce vin volcanique issu de vignes jamais greffées offre de beaux amers profonds. L’harmonie d’ensemble évoque la délicatesse des plus beaux azulejos.

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Parmi les plats, que choisir ? Tout est délicieux et sans lourdeur. Le sauté de cochon fermier aux coques et à la fricassée de champignons est accompagné d’une purée soyeuse comme une caresse. « Incontournable », la spécialité de Jose est le riz albufera (cuit dans un bouillon très corsé) au canard rôti et aux noisettes… Cuit rosé, ce canard vient des Dombes, il est plein de tendresse… La sauce apporte une séduction intense. Je pourrais ainsi passer en revue toute la carte. Au dessert, impossible de passer à côté de l’une des meilleures mousses au chocolat qu’il m’ait été donné de goûter ces dernières années : à partir d’un cacao grand cru du Surinam ou du Brésil, Jose élabore sa mousse en lui adjoignant un petit filet d’huile d’olive de sa région, très verte et fruitée, et de la fleur de sel… Avec un petit verre de Porto servi à la pipette, « c’est extra » comme chantait Léo Ferré.

Tout cela bien sûr est très gentil, me direz-vous, mais qu’en est-il des prix ?

Hé bien, chère lectrice et cher lecteur, les prix sont proprement stupéfiants, eu égard à la qualité sensationnelle de ce restaurant : 29 euros le menu déjeuner (entrée-plat ou plat-dessert), ou 39 euros (entrée-plat-dessert) ; 59 euros le menu-dégustation en cinq services… (le prix d’un plat dans un restaurant étoilé !). Pour le réveillon du 31 décembre, le chef prépare une soirée traditionnelle avec menu de fête à 95 euros (quatre plats) en présence d’une grande chanteuse de « fado » accompagnée par ses musiciens. Alors moi, je dis à ma femme : « Chérie, et si on allait s’encanailler à Boulogne-Billancourt pour changer ? Paris est tellement triste en ce moment…»


ALBUFERA 38, rue de Meudon 92100 Boulogne-Billancourt Tél : 01 46 21 75 90 Informations utiles : www.albufera-boulogne.fr

«Mère empoisonneuse» de Dax: ce témoignage qui ébranle l’accusation

Au terme de la première semaine du procès de la mère, Maylis Daubon, 53 ans, présumée empoisonneuse de ses deux filles, qui s’est ouvert lundi dernier devant la cour d’assises Landes, à Mont-de-Marsan, un sérieux doute s’est installé sur son éventuelle culpabilité sans pour autant convaincre de son innocence.


Dès lors, pour les six membres du jury, qui doivent rendre en principe leur verdict mercredi prochain, se faire une intime conviction se complique sérieusement au point de leur poser très probablement un cas de conscience digne de Corneille… C’est qu’au quatrième jour d’audience, vendredi, un témoignage est venu sérieusement ébranler l’accusation.

La cadette convaincue de l’innocence de sa mère

Appelée à déposer en qualité de témoin et non de victime, la propre fille de l’accusée, la cadette, Lau, la survivante des deux, aujourd’hui une jeune de femme de 23 ans, étudiante en 3ème année de biologie, élégante, maître de soi, lunettes à grosses montures, abondante chevelure brune frisée lui tombant sur les épaules, l’a innocentée avec conviction.

« Je sais que ma mère n’est pas coupable de ce qu’on lui reproche », a-t-elle déclaré d’une voix sûre en s’adressant à la présidente Emmanuelle Adoul. Juste avant de réitérer devant le tribunal ce qu’elle n’a jamais cessé d’affirmer tout au long de l’instruction, elle avait souligné avec une pointe d’émotion retenue : « Cela fait six ans que j’ai perdu ma sœur, quatre que je n’ai pas vu ma mère ».

À l’allégation formulée à la barre et à maintes reprises dans la presse par son père, Yannick Reverdy, 49ans, un colosse ancien international de handball, présent sur le banc de la partie civile, selon laquelle elle serait sous l’emprise de celle-ci, et qu’il espérait que ce procès lui ouvre les yeux, sa réponse a été cinglante : « Ça me rend triste et en même temps ça me fait rire. »

En outre, visiblement, la médiatisation dont a bénéficié son père (qui, en effet, pose une vraie question de déontologie journalistique NDLA) lui est restée en travers la gorge. Il s’est porté partie civile alors qu’elle s’y est farouchement refusée bien qu’elle aurait pu. Un examen toxicologique, au moment du décès de sa sœur Enéa, de deux ans son ainée, le 19 novembre 2019, avait décelé la présence d’une mixture médicamenteuse, pas létale, dans ses flux et cheveux.

Menteuse pathologique 

Dans ses déclarations à la presse, le père a toujours pris la posture de victime. Il s’est séparé de son épouse il y a 16 ans, lorsque Lau avait 7 ans. Les deux filles avaient choisi de rester vivre avec la mère. Dans un récent entretien à Sud Ouest, le quotidien de Bordeaux, il a dit être un « homme abîmé » par l’empoisonnement de ses filles et aussi avoir été la cible d’un « assassinat moral » de la part de son épouse qu’il a accusée de « menteuse pathologique ». Elle comparait en outre pour avoir commandité son exécution auprès de codétenues libérables de la prison de Pau où elle est détenue depuis 2022. L’accusation repose sur les dires de ces dernières. Du procès en cours, M. Reverdy attend enfin « une reconnaissance de sa culpabilité ». Et si sa seconde fille a choisi le parti de la mère, c’est qu’elle sa subi « un lavage de cerveau pendant des années ».

A relire: Suicide ou assassinat? Le dilemme du procès de «la mère empoisonneuse»

À une question de la présidente sur son enfance, celle-ci a répondu : « J’ai eu une enfance très heureuse, au final… surtout quand j’ai arrêté d’aller voir mon père. (…) J’ai vu mon père casser la gueule à ma mère. (…) Mon père était quelqu’un de très violent, soit physiquement, soit mentalement. »

Pour elle, il ne fait aucun doute qu’Enéa, dépressive chronique, s’est suicidée. Il est inconcevable que leur mère les ait empoisonnées. « Enéa, c’est l’amour de ma vie. J’ai perdu mon double, » a-t-elle conclu sa déposition. Quand elle s’est retirée de la salle d’audience, pleine à craquer comme les jours précédents, sa mère s’est levée alors que jusque-là elle restait assise, prostrée sur le banc du box des accusés, et lui a lancé : « Il faut que tu avances. Je t’aime. Tu es une belle femme. »

Êtes-vous libre de parler ou gardez-vous un secret par solidarité ? 

Avant elle, avait été appelé à déposer par visioconférence, depuis la cour d’appel d’Orléans, son petit-ami de l’époque, Mayveen, un moustachu de 25 ans. Ils étaient les deux seuls présents dans le modeste pavillon de la périphérie de Dax quand Enéa a eu, ce matin du 13 novembre 2019, sa crise de convulsions et son arrêt cardiovasculaire qui lui a coûté la vie six jours plus tard. A l’ouverture de l’instruction, les deux avaient été mis en examen pour complicité d’empoisonnement puis rapidement mis hors de cause. C’est lui qui, étant monté à l’étage avait découvert dans sa chambre la future défunte en pleine crise, bave à la bouche. Il était arrivé un peu plus tôt en début de matinée, l’avait vu boire son café au lait puis retourner se coucher… La mère était absente du domicile. C’est Lau qui l’alertera, elle accourut et appela les pompiers qui a leur tour alerteront le SAMU vu la gravité de l’état de l’assistée. A 8h30, l’infirmier était venu prodiguer à Enéa son traitement quotidien et n’avait rien remarqué d’anormal chez elle.

Mayveen a commencé sa succincte déposition en disant qu’il « ne (savait) pas quoi dire ». Sauf que « c’était un peu sa meilleure amie ; ma petite sœur ». La présidente lui demande alors : « Êtes-vous libre de parler ou gardez-vous un secret par solidarité ? ». Sa réponse est laconique : « Vous savez, ça date, je n’ai pas trop de souvenirs. »

La veille, deux amies d’Enéa, toutes les deux prénommées Juliette, toutes les deux vêtues de noir, avaient, elles aussi, déjà déposé en faveur de l’accusée. D’après elles, la victime avait des « idées noires » qui l’ont conduite à se suicider. D’ailleurs, elle aurait fait plusieurs tentatives, leur avait-elle confié. À l’ouverture de l’enquête, elles avaient écarté cette éventualité. Mais avec le temps, elles s’en sont convaincues.

La similitude dans la teneur de leurs propos qui laisse supposer qu’elles se sont concertées a irrité la défense du père.  « Pourquoi vous organisez-vous tous pour nous faire gober cette théorie du suicide ? », les interpelle-t-il en donnant de la voix, son avocat Me Victor Font suggérant qu’elles aussi seraient sous l’emprise de l’accusée. L’une d’elle lui réplique, avant de pleurer : « Je suis vraiment choquée par ce que vous venez de dire ». Sa camarade ajoute, elle aussi en larmes : « je suis là pour livrer ma vérité, qui est la vérité. »

En revanche, de son côté un pompier avait affirmé auparavant que lorsqu’ils sont arrivés, ils avaient ressenti comme une atmosphère étrange. Dans les cas de suicides, a-t-il expliqué en substance, on trouve toujours quelque chose, une boite de médicaments, un message laissé, là rien, comme si un ménage avait été fait préalablement, ce qui les a amenés à saisir la police qui dès les premières constations a ouvert une procédure pour soupçon d’empoisonnement.

Intime conviction

Quoi qu’il en soit, lundi matin, à la reprise des audiences, une seule certitude était acquise : Enéa a bien succombé à une surdose de propranolol, un bêtabloquant cardiaque. D’après l’experte en toxicomanie, au moins deux heures avant sa crise, elle en a ingurgité entre 50 et 75 cachets. Mais aucun indice tangible ne permet de déterminer si c’est elle qui les a ingérés ou si c’est la mère qui les lui a fait absorber.

Dès lors, on se demande sur quoi l’avocat général pourra se fonder pour requérir une éventuelle condamnation de Maylis Daubon, si ce n’est sur des déductions.

Quant à elle, elle va avoir à s’expliquer lors de son audition sur les raisons pour lesquelles elle détenait un stock impressionnant de boites de propranolol alors qu’elle avait dans un premier temps nié en posséder, sur le recours à des ordonnances truquées et sur ses 83 passages en pharmacie pour se les procurer. Si ce n’est, comme l’ont déduit les enquêteurs, pour empoisonner méthodiquement ses deux filles.

Mètres carrés fantômes, impôts bien réels: bienvenue dans la fiscalité-fiction!

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Le gouvernement Lecornu a suspendu en catastrophe la hausse prévue de la taxe foncière jusqu’au printemps 2026 afin de définir une nouvelle méthode de calcul plus locale et adaptée aux réalités des départements et des communes. Cette décision intervient après un tollé politique. Rien ne garantit qu’une version remaniée, potentiellement plus complexe et toujours avec les fameux « m² fictifs » pour les éléments «de confort» comme la baignoire, ne reviendra pas dès le printemps, redoute Alexis Sémanne de l’Institut pour la Propriété Privée.


Le gouvernement a annoncé la suspension de la revalorisation automatique de la taxe foncière pour 7,4 millions de logements. À première vue, la nouvelle a tout d’une respiration bienvenue après plusieurs années de flambée fiscale.

Pourtant, cette décision ne représente qu’une pause apparente. Une suspension n’est pas une annulation. Elle ne concerne d’ailleurs qu’une partie marginale du dispositif qui avait provoqué l’explosion politique de ces dernières semaines. Car dans les faits, et quelle que soit la communication officielle, tous les propriétaires subiront une hausse de leur taxe foncière en 2026. Et certains verront même leur situation s’aggraver, non en raison d’une amélioration de leur patrimoine, mais en raison d’une invention administrative: celle des mètres carrés fictifs.

Une hausse mécanique inévitable et déjà entérinée

La première hausse, discrète mais certaine, provient de la revalorisation annuelle des bases cadastrales. Cet ajustement automatique suit l’inflation harmonisée, dont la dernière estimation tourne autour de +0,8 %. Ce mécanisme s’appliquera à l’intégralité des contribuables. Il ne dépend pas des communes, ni d’un vote local, ni même d’une réforme. Il s’impose de lui-même, année après année. Le propriétaire moyen d’une maison verra ainsi son avis passer d’environ 1 090 euros à 1 100 euros, et celui d’un appartement de 865 euros à 872 euros. Peu importe la suspension annoncée, cette revalorisation suivra son cours en 2026.

Cette hausse paraît modeste. Elle l’est en apparence seulement. Car elle s’ajoute à deux années de rattrapage historique qui ont vu la taxe foncière bondir de 7,1% un an, puis de 3,8 % l’année suivante. Dans un pays où la charge fiscale atteint déjà des sommets, la multiplication de ces ajustements mécaniques finit par produire un effet cumulatif redoutable. Le propriétaire ne peut plus anticiper, ne peut plus budgétiser, ne peut plus planifier. Il subit, chaque année, une augmentation automatique dont il n’est jamais responsable.

La réforme réellement explosive: l’invention de mètres carrés invisibles

Mais le cœur du problème ne se limite pas à cette mécanique inflationniste. Ce qui a suscité l’indignation, c’est une réforme plus profonde, momentanément suspendue mais parfaitement intacte. À partir d’une grille de calcul datant de 1970, l’administration prévoit d’ajouter à la surface fiscale des logements des mètres carrés totalement fictifs. Cette grille attribue une valeur surfacique à chaque équipement du quotidien: une douche, un WC, un lavabo, l’électricité, le chauffage, une baignoire, l’eau courante. À chaque élément correspond un nombre de mètres carrés inventés.

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Ainsi, un raccordement à l’eau courante vaut 4 m². L’électricité équivaut à 2 m². Une douche ou des WC valent 3 m² chacun. Une baignoire, 5 m². Un lavabo ou un radiateur, 2 m². L’intégration systématique de ces éléments dans la valeur locative entraîne une hausse imposable dont la moyenne nationale est estimée à environ 63 euros par an et par logement, ce qui représente près de 466 millions d’euros de recettes supplémentaires.

Le caractère ubuesque de cette méthode apparaît clairement lorsqu’on observe les cas les plus petits. Un studio de 13 m², équipé de l’essentiel, peut voir sa surface fiscale doubler pour atteindre 26 m². Le logement ne change pas. Les murs ne bougent pas. Le confort n’a pas été amélioré. Mais l’administration lui attribue une surface fantôme équivalente à celle de son bien réel. Ce simple calcul suffit à augmenter sa valeur locative et, par ricochet, sa taxe foncière.

Dans les grandes villes, cette méthode devient particulièrement pénalisante. Les logements anciens rénovés, souvent modestes en surface, comportent plusieurs équipements ajoutés au fil du temps. Chaque ajout, pourtant nécessaire à la salubrité et au confort minimal, se transforme en alourdissement fiscal. L’incitation rationnelle est alors perverse. Le propriétaire a investi pour rendre son logement habitable. Il est sanctionné comme s’il avait agrandi la surface.

Une vieille tradition française: taxer l’invisible

Cette créativité fiscale rappelle des épisodes bien connus de l’histoire de France. Pendant plus d’un siècle, de 1798 à 1926, l’impôt sur les portes et fenêtres a poussé des générations de Français à murer leurs ouvertures pour payer moins. Les façades anciennes portent encore les cicatrices de ces fermetures volontaires. La logique était la même: taxer les signes visibles d’un confort jugé suspect.

Nous nous trouvons aujourd’hui face à une version moderne de cet ancien impôt. On ne taxe plus les fenêtres, mais l’eau courante, l’électricité, la présence d’un simple lavabo. Autrement dit, l’administration reproduit l’erreur du passé. Elle confond la nécessité avec le luxe, la salubrité avec le privilège, et l’équipement minimal avec un avantage taxable. Dans un pays où l’on encourage les rénovations énergétiques, l’hygiène et le confort, participer à cette modernisation domestique devient paradoxalement un motif d’alourdissement fiscal.

Une tendance plus profonde: la culture de l’expropriation

Cette affaire ne relève pas seulement de la technique fiscale. Elle révèle une évolution culturelle bien plus large. Dans une note récente de l’Institut pour la Propriété Privée, j’analyse ce que j’appelle la culture d’expropriation. Il s’agit d’un ensemble de pratiques administratives et fiscales qui transforment la propriété en concession précaire, susceptible d’être redéfinie, requalifiée ou surtaxée à tout moment.

Cette culture se manifeste dans le logement de mille manières. Le propriétaire n’est plus pleinement chez lui. Chaque décision, chaque amélioration, chaque mise en location est conditionnée à de multiples déclarations, vérifications, autorisations et prélèvements. La réglementation énergétique, les normes de décence, les obligations de rénovation, les restrictions locatives, les dispositifs anti-vacance, les limites imposées aux meublés touristiques, tout cela traduit une défiance structurelle envers la propriété privée et une volonté persistante de la contrôler.

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Dans ce contexte, la taxe foncière joue un rôle central. Elle est devenue la variable d’ajustement d’un système public dont les dépenses atteignent plus de 55% du PIB. Depuis la disparition de la taxe d’habitation sur les résidences principales, la taxe foncière est devenue la principale ressource locale. Les communes n’hésitent plus à augmenter leurs taux. En 2024, près d’un territoire sur sept l’a fait. Dans un système déjà saturé de prélèvements obligatoires, l’édifice fiscal se renforce en frappant toujours les mêmes: les propriétaires.

Une incohérence totale dans un pays en crise du logement

Cette tendance apparaît d’autant plus incohérente que la France traverse une crise du logement d’une intensité inédite. Le nombre de logements neufs s’effondre, les permis de construire chutent de manière historique, la rénovation énergétique devient inabordable pour une majorité de ménages, et l’offre locative privée diminue. Dans un tel contexte, alourdir la fiscalité foncière revient à aggraver tous les problèmes existants. Le propriétaire qui souhaitait rénover reporte ou annule. Celui qui envisageait d’investir renonce. Celui qui pensait louer hésite. Celui qui détient déjà un bien voit sa rentabilité s’affaisser et finit par quitter le marché.

Cela revient à dire que l’État, en prétendant moderniser le cadastre ou renforcer l’équité fiscale, affaiblit les incitations économiques fondamentales sans lesquelles aucune politique du logement n’est viable. On ne peut pas vouloir plus de logements décents, plus de rénovations, plus d’investissements privés, tout en multipliant les charges qui pénalisent précisément ceux qui rendent ces objectifs possibles.

Conclusion: un sursis, pas une victoire

La suspension annoncée n’est donc pas une correction mais un ajournement. Rien ne garantit que le gouvernement renoncera à cette méthode des mètres carrés fictifs. Rien ne garantit non plus qu’une version remaniée, potentiellement plus complexe, ne reviendra pas dès le printemps. La pause ne signifie pas le recul. Elle signifie une prudence politique, le temps de redéfinir la présentation d’un dispositif que l’on souhaite toujours appliquer.

Dans une démocratie mature, l’impôt doit reposer sur des bases réelles et compréhensibles. Il ne peut se fonder sur des inventions bureaucratiques. La propriété ne peut être traitée comme une ressource inépuisable que l’on presse sans discernement. Si l’on souhaite réconcilier les Français avec l’impôt, il faut d’abord cesser de taxer ce qui n’existe pas. Les mètres carrés fantômes n’appartiennent à personne. Les impôts qui les frappent, eux, sont bien réels.

Érosion de la théocratie canadienne au Québec…

 «La laïcité fait partie de notre identité collective. Nous ne ferons aucun compromis sur nos valeurs, dont l’égalité entre les hommes et les femmes » a déclaré le Ministre québecois de l’Immigration Jean-François Roberge avant de déposer son projet de « Loi sur le renforcement de la laïcité au Québec ». Pendant ce temps, en Australie, la sénatrice Pauline Hanson ne parvient pas encore à imposer l’interdiction de la burqa.


Une image vaut mille mots.
Confucius.

Ralliez-vous à mon panache blanc.
Henri IV.


« Le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit. » Cette proclamation figure en tête de la Charte des droits et… libertés! Quelle ironie. Au Canada, les athées savent donc qu’ils sont en liberté surveillée.

Cela dit, malgré ce carcan, en matière de laïcité, le Québec, une province vraiment pas comme les autres, continue de rattraper son retard. Il n’en est pas encore au niveau de la loi française du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État et de la loi de 1924 instaurant la laïcité et limitant la religion à la sphère strictement privée dans la Turquie de Kémal Atatürk. Cependant, lentement, mais sûrement, il progresse.

Glapissements d’indignation

Des mesures de simple bon sens, quoique encore trop timides, touchant la fonction publique et l’éducation, furent adoptées en 2019. Vient d’être déposée à l’Assemblée nationale du Québec une nouvelle loi destinée à renforcer la laïcité : interdiction des prières dans la rue (qui bénéficient pourtant de la bénédiction inconditionnelle de l’autorité catholique : entre vendeurs de mythes, on se tient les coudes de manière œcuménique), suppression de salles de prière et interdiction du port du voile intégral dans les lycées et universités, obligation des enseignants d’avoir le visage découvert, interdiction des signes religieux dans les communications et publicités institutionnelles (on se démarque ainsi du gouvernement fédéral, soumis à son entriste clientèle religieuse, qui en raffole), interdiction des menus scolaires exclusivement halal… Mesures avant-gardistes au XXIème siècle.

Là encore, inutile de dire que les Tartuffes poussent des glapissements d’indignation et on va même jusqu’à crier au totalitarisme; ils manient aussi habilement les techniques linguistiques orwelliennes: l’exclusion, c’est l’inclusion; la fermeture devient l’ouverture; l’inégalité homme-femme, c’est l’égalité. On brandit le lacrymal épouvantail de l’exode des persécutées, notamment chez les enseignantes, complaisamment véhiculé par la télévision d’État, Radio-Canada, qui, comme par hasard, vient d’obtenir une fort belle enveloppe dans le cadre du récent budget déposé par le gouvernement Carney.

(Note historique : les religieux de toutes tendances, qui ont été des bourreaux pendant des siècles, ont souvent l’effronterie de jouer les crucifiés dès qu’ils perdent un gramme de pouvoir dans la société civile. Rappelons que, en France, on s’insurgea contre « l’école sans Dieu » instaurée par Jules Ferry en 1882; même si l’Église catholique s’était ralliée à contrecœur à la République en 1892, le pape Pie X rejeta violemment la loi de 1905).

La semaine de travail hebdomadaire légale est de 37,5 heures, mais, comme en 2019, on feint d’ignorer que les croyants disposent, quand même, de 130,5 heures (moins le temps consacré au sommeil évidemment) pour déambuler avec tous les signes religieux imaginables (hommage aux Hare Krishna) et fréquenter les innombrables lieux de culte de leur choix.

(Sauf erreur, n’est répertorié nul cas de fonctionnaire croyant(e) en tenue de ville frappé(e) par les foudres divines pendant son quart de travail; semble donc discutable l’efficacité des talismans, textiles ou autres).

Le hijab, toujours volontaire, cela va de soi

Là encore, les controverses portent surtout sur la signification du hijjab. Pour la femme (de plus de neuf  ans d’âge) qui est affublée (toujours volontairement, cela va de soi) de ce tissu, il n’aurait qu’une banale connotation « identitaire » (apparemment plus légitime que les revendications « identitaires » des civilisations occidentales, mais passons).

Au Québec, les trudeauesques multiculturalistes scandent sournoisement ce mantra : « N’est-ce pas ce qu’il y a dans la tête et non sur la tête qui compte ? ».

(Incidemment, la formule est piquante au regard d’un récent scandale scolaire à Montréal : des enseignants (si l’on peut dire), et parfois… délégués syndicaux… mus par d’étranges pulsions cérébrales, se sont permis d’escamoter certaines matières scientifiques, d’instaurer un climat de terreur passé de mode dans la pédagogie occidentale moderne et de faire de leurs écoles un mini-califat. [cf. « l’affaire Bedford[1] »]. Que l’on se rassure, à ce stade, ils sont bien protégés par leur syndicat et leur convention collective. Mais revenons aux dessus de tête).

Tant au Québec qu’en France, ainsi que le rappellent inlassablement des combattantes québécoises et françaises issues de milieux islamiques et ayant recouvré leur liberté, un accoutrement n’est pas toujours « neutre », ainsi que feignent de le croire les affidés du lobby religieux. Il peut constituer l’équivalent d’un étendard, d’un drapeau, donc le vecteur d’un message, par conséquent un instrument de prosélytisme, sans même être assorti d’un discours audible. La sympathique et douce professeure de mathématiques qui explique à ses élèves les cabalistiques mystères des équations du second degré et les postulats d’Euclide, affublée du hijjab, proclame simultanément, haut et fort, qu’« il n’y a qu’un seul Dieu et Mahomet est son Prophète » et affirme comme vérité historique la chevauchée du prophète sur son bourak à destination de la place du temple de Jérusalem, d’où il a fait son ascension vers le paradis; jadis, il en allait d’ailleurs de même des bonnes sœurs, dont les cornettes et la croix informaient leurs élèves de cette vérité historique incontestable, à savoir que le fils du charpentier a guéri des lépreux, a multiplié les pains et les poissons, a marché sur les eaux, etc., et surtout, est mort pour l’humanité, puis est ressuscité.

Bref, des vêtements peuvent synthétiser de riches doctrines.

D’ailleurs, nul fonctionnaire ne peut afficher des signes politiques, même s’il lui attribue une signification identitaire. Pour mémoire, est sanctionné par la loi pénale le port d’un uniforme policier ou militaire par un civil, tout muet fût-il.

(Note : pour mieux comprendre les modes de communication non-verbale, on consultera avec profit les traités de sémiotique, discipline scientifique qui étudie des processus de signes et de la fabrication du sens).

Qu’elles le sachent ou non, qu’elles le veuillent ou non, les têtes voilées sont les petites mains d’un projet politique : les aspirations conquérantes de l’oumma.

Pour un éclairage sur cette délicate question, allons aux antipodes, au pays de « Crocodile Dundee ».

Australie : Pauline Hanson fait scandale

Il y a quelques jours, la sénatrice Pauline Hanson a adopté une intéressante initiative pédagogique dans la haute assemblée. Comme il lui a été refusé de présenter une proposition de loi portant interdiction du port de la burqa en public dans le pays, en guise de protestation, elle est pacifiquement revenue siéger revêtue d’une burqa noire. Il ne s’agit pas ici de porter un quelconque jugement général sur le programme de son parti « One Nation » en matière d’immigration, mais simplement de tirer l’enseignement de ce seul incident.

Ō surprise, ce geste fut accueilli par d’intenses et aigus cris d’orfraie. Un geste odieusement islamophobe, raciste; il y aurait eu de sa part un manque de respect envers la foi musulmane; on parle même de doigt d’honneur. Qui vaut à Mme Hanson, réduite au silence, une censure et une suspension de sept jours. Pourtant, elle n’a violé aucune règle : il est constant que nul code vestimentaire ne s’impose aux législateurs et la vociférante sénatrice Fatima Payman, bien emmitouflée dans son hijab, qui s’exprime avec l’accent de Paul Hogan (même si elle est née en… Afghanistan), le sait pourtant mieux que personne. Au contraire, Mme Hanson renouvelait son invitation à l’assemblée à voter en faveur de sa proposition.

En 2017, elle avait fait la même démarche, qui lui valut la réprimande suivante du sénateur George Brandis, reprise à son compte il y a quelques jours par la sénatrice Penny Wong :

I am not going to pretend to ignore the stunt that you have tried to pull today by arriving in the chamber dressed in a burqa when we all know that you are not an adherent of the Islamic faith; I will caution and counsel you with respect to be very very careful of the offense you may do to the religious sensibilities of other Australians. (En v.o.)

Je ne feindrai pas d’ignorer le coup de pub que vous avez tenté en arrivant à la chambre revêtue d’une burqa alors que nous savons tous que vous n’adhérez pas à la foi islamique; je vous mets respectueusement en garde et vous conseille d’être très très prudente car vous risquez de blesser la sensibilité religieuse d’autres Australiens. (En v.f.)

Un exposé on ne peut plus correct de la situation.

Cela dit, il faut en assumer la conclusion logique : la burqa devient alors un habit liturgique sacré, dont le port est interdit aux kafirs (comme les uniformes militaires dont sont exclus les civils), sous peine de sacrilège.

Il faut donc féliciter M. Brandis et Mme Wong d’avoir ainsi fait la preuve éclatante qu’un vêtement peut bel et bien avoir une signification contextuelle. QED.

Et, sous le soleil austral, la lumière fut. Espérons qu’il éclairera aussi l’autre hémisphère.


[1] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2111640/ecole-bedford-intimidation-clan-enseignants

La parole libérée, victorieuse de la gauche cloueuse de bec?

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Ivan Rioufol remis en liberté. Dans sa chronique, notre collaborateur s’inquiète du fameux label préconisé par Emmanuel Macron afin de distinguer le vrai du faux dans les gazettes et sur internet…


« Qu’ils se taisent ! » : la pensée mondaine s’horripile du réveil des Français silencieux. L’élite ne voit que des ploucs dans ce peuple qui relève la tête. Les salonnards s’indignent, par exemple, du succès des banquets populaires du Canon français, où bourgeois et prolos franchouillards chantent, dansent et boivent autour de cochons à la broche. Le Monde (8 novembre) y a vu « un repli identitaire » et la marque du « milliardaire réactionnaire Pierre-Édouard Stérin » supposé être derrière ces fêtes « idéologiques et politiques ». Une même indignation a répondu à la nouvelle politique de l’enseignement catholique consistant – quel toupet ! – à vouloir affirmer son caractère religieux. Guillaume Prévost, le patron, est décidé à « redonner clairement le droit à une enseignante de faire une prière le matin avec ses élèves, parce que c’est le cœur du projet éducatif ». Les évêques semblent décidés, cette fois, à tenir bon dans leur soutien à celui qui veut « parler du Christ » dans les écoles cathos.

Dans le même temps, des apparatchiks du journalisme se joignent à Emmanuel Macron dans leur commune obsession d’un contrôle du récit médiatique. Le 6 novembre, dans un café parisien, Laurent Joffrin a invité à débattre, dans l’entre-soi de la corporation, sur les « menaces sur l’info » que ferait peser la nouvelle presse d’opposition. Le Figaro y a rendu compte des propos de l’éditorialiste modèle, Thomas Legrand, suggérant d’interdire CNews et d’arrêter Vincent Bolloré. Le 12 novembre, le chef de l’État, participant à son tour à un débat organisé par La Dépêche du Midi sur « la démocratie à l’épreuve des réseaux sociaux », est reparti à l’assaut du numérique et de ses libertés, en envisageant de quitter X afin de « sonner le tocsin ». Le 19, avec La Voix du Nord, Macron a remis ça à Arras, en parlant du « far west » de l’internet. Les accusations en « complotisme » et en « extrémisme » unissent les censeurs.

A lire aussi, Didier Desrimais: France Inter: ce que le militantisme fait à l’humour…

Cependant, ces menaces sont vaines. Les nostalgiques de la gauche impériale prennent des airs de fantômes. France Inter, havre de la pensée conforme, a perdu 460 000 auditeurs (source Médiamétrie de novembre) sans avoir rien vu venir. Plus les médias alternatifs sont hués par le pouvoir et ses toutous, plus ces indésirables s’imposent comme l’authentique quatrième pouvoir. L’internet, où tout se dit, déverrouille la démocratie. Les Oubliés n’ont pas fini de faire hurler les oligarques. Lors du dixième anniversaire des attentats islamistes du 13-Novembre, il a été loisible de lire davantage de messages qui invitaient, comme celui-ci vu place de la République, à « écraser l’infâme hydre islamiste ». Naguère, il était convenable de reprendre: « Vous n’aurez pas ma haine. » Désormais, des vérités veulent être dites. La glasnost, la parole libérée, a fait tomber l’URSS…

La gauche cloueuse de bec a perdu. Son rejet de la parole dissidente l’entraîne vers les régimes obtus. Parce qu’il a refusé de se plier aux interdits des dogmes et des tyrannies, Boualem Sansal a été emprisonné par l’Algérie et abandonné à son sort, un an durant, par une grande partie de l’intelligentsia française. La libération, le 12 novembre, de l’écrivain franco-algérien, est celle d’un homme qui ne cessera de répéter que l’islam importé, qu’il ne différencie pas de l’islamisme, est une menace pour la nation: propos « d’extrême droite », récitera encore la pensée pavlovienne. Mais qui la prend encore au sérieux ?


Cette chronique est à retrouver dans le numéro de décembre du magazine Causeur, en vente mercredi 3.

Quand le théâtre se fait ballet et le ballet comédie

Une scène comme un tableau de Degas ! Des ovations ! Mieux, un triomphe pour saluer les comédiens du Théâtre Français quand le rideau tombe sur L’Ecole de danse de Goldoni, mise en scène de Clément Hervieu-Léger.


Un triomphe qui sans doute comble les acteurs, autant qu’il réjouit des spectateurs heureux de manifester leur enthousiasme à l’issue d’un spectacle si remarquablement mis en scène, si bien interprété, si parfaitement réussi.

Créée en 1759, à Venise, cette comédie fut un échec cinglant, humiliant pour Carlo Goldoni qui bientôt ira s’établir à Paris où il mourra dans l’indigence trente ans plus tard, en 1793, parce que la pension que lui versait le Roi avait été stupidement suspendue par la République.

Oubliée depuis, L’Ecole de danse n’est peut-être pas la plus éclatante de ses œuvres, mais une pièce secondaire de Goldoni demeure toujours du Goldoni. Et cette tumultueuse tranche de vie saisie au vol dans une école de danse entre un maître de ballet cupide et tyrannique et ses élèves ivres d’espérances et de vitalité, entre ces jeunes femmes désireuses de s’affranchir et de vivre libres et ces jeunes hommes qui sont pour elles le passage obligé pour accéder à une (précaire) émancipation par la voie du mariage, est comme une fenêtre ouverte sur un passé certes lointain, mais qui à certains égards demeure furieusement actuel.

Plongée dans l’univers de ballet

Clément Hervieu-Léger qui donne des cours d’art dramatique aux futurs membres du Ballet de l’Opéra de Paris a hérité en retour pour sa mise en scène de l’aide précieuse d’une Première danseuse de l’Académie de Musique et de Danse, Muriel Zusperreguy.  Elle a familiarisé les jeunes comédiens du Théâtre Français avec le quotidien des danseurs, de telle sorte que tout apparaît sur scène d’un naturel confondant et qu’on y évite les singeries qui surgissent d’ordinaire quand le monde du ballet est évoqué par des individus qui lui sont étrangers. La plongée dans l’univers du ballet est donc parfaitement réussie. Elle bénéficie de surcroît du concours d’un pianiste-répétiteur, Philippe Cavagnat, l’une de ces encyclopédies musicales qui soutiennent au clavier les cours matinaux ou les répétitions de toutes les compagnies de ballet, ce qui nous vaut ici d’entendre à bon escient des fragments de Carmen ou du Lac des cygnes aussi bien que de La Bayadère.

Avec cela L’Ecole de danse se déroule dans un cadre très remarquablement conçu par Eric Ruf, mais qui ne rappelle pas tant celui des anciennes salles de danse nichées sous la coupole de l’Opéra de Napoléon III que celles où s’ébrouaient jadis des troupes de province comme le Ballet de l’Opéra de Nice.

L’odieux sieur Rigadon

Cinq jeunes femmes, cinq jeunes hommes : ils sont, dans L’Ecole de danse, dix comédiens métamorphosés en danseurs. Et tous, en formant un groupe d’une remarquable homogénéité derrière laquelle on sent la griffe de leur conseillère, tous sont d’un naturel désarmant, d’une insolence et d’une rouerie infiniment séduisantes.

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Sur eux règne en tyran le sieur Rigadon qui est une mordante caricature de ces maîtres de ballet sans doute perfectionnistes, mais mesquins, mais rigides, sinon quelque peu sadiques, tels qu’on les voyait récemment encore dans les théâtres et les écoles de danse. Dans ce rôle, Denis Podalydès est étourdissant jusque dans les moindres de ses mimiques et de ses gestes. Et le contempler est un régal… même s’il court fugitivement le risque de forcer un peu trop le trait dans les ultimes instants du spectacle.

© Agathe Poupeney

Vivacité, humour, élégance

Incarnant des personnages venus de l’extérieur de l’école, les autres rôles masculins, pour être moins hauts en couleur, n’en sont pas moins servis par d’excellents comédiens, éperonnés par une exceptionnelle direction d’acteurs. On s’est trop souvent morfondu à la Comédie Française devant des interprètes fades, inodores, inaudibles, mal distribués et mal dirigés, pour ne pas jouir sans réserve du travail intelligent que Clément Hervieu-Léger a déployé avec le Don Fabrizio d’Eric Genovèse, le Ridolfo de Stéphane Varupenne, l’Anselmo comtal de Loïc Corbery, et même avec le notaire que joue Noam Morgensztern ou le Tognino d’Adrien Simion. Vivacité, humour, dégaine, élégance : une approche enlevée et subtile vise à un parfait naturel chez chacun des interprètes, lesquels ne sont plus des acteurs du Français, mais de ces artistes à qui Molière soufflait simplement: « Tâchez d’être ce que vous représentez ».    

Des compositions ébouriffantes 

Et l’on n’a encore rien dit des compositions ébouriffantes de Florence Viala et de Clotilde de Bayser. L’une en sœur du maître de ballet, vieille fille assez vaine pour se croire désirable, jouant aux grandes dames, mais au fond plus touchante qu’irritante dans ses vanités d’amoureuse défraîchie; l’autre, la crinière en bataille, la tenue tapageuse, en mère abusive, envahissante, amère, de ces mères qui réapparaissent à toutes époques, pensant réaliser leurs rêves par l’entremise de leur enfant qu’elles étouffent: ici la Rosina de la délicieuse Léa Lopez.  

Dans les costumes remarquables de Julie Scobeltzine qui font écho au beau décor d’Eric Ruf, sous les éclairages savants de Bertrand Couderc, Claire de La Rue du Can (farouche, impertinente et par la même attachante Felicita), Pauline Clément (rusée, habile Giuseppina), Marie Oppert  (mignonne Rosalba), Jean Chevalier (Filippino), Charlie Fabert (Carlino), mais encore Lila Pélissier, Diego Andres et Alessandro Sanna: tous, incarnant les danseurs avec une aisance qui n’exclut pas une imperceptible gaucherie de néophytes. Ils nous font glisser dans des tableaux vivants à la Degas dont les filles surtout évoquent à merveille le climat. Ce n’est pas là le moindre des plaisirs de ce spectacle irréprochable qui n’a d’autre prétention que de servir avec intelligence, efficacité, ironie et sensibilité le théâtre et Goldoni, à l’aide d’artistes qui ne refusent pas d’être les serviteurs de deux maîtres: l’humilité et le talent.


Toutes les prochaines représentations affichent complet rue de Richelieu et place Colette. Et il faudra patienter jusqu’à la reprise du spectacle à la prochaine saison. Mais il est des attentes, toutes cruelles soient-elles, qui rendent encore plus vif le plaisir de la découverte.

Toutes les  prochaines représentations affichent complet rue de Richelieu et place Colette. Mais, assure le théâtre, il est chaque soir possible de trouver les places à l’entrée de la Comédie Française.

Royaume Uni: l’insécurité culturelle en VO

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Comme en France, le malaise identitaire britannique plonge ses racines dans une immigration mal maîtrisée et un profond vide culturel, voire civilisationnel. Mais, il a en plus trouvé dans le modèle politique du Royaume-Uni un terreau idéal pour prospérer. Analyse.


Les trois mandats de Tony Blair, Premier ministre du Royaume-Uni de 1997 à 2007, avaient popularisé l’idée de la « Cool Britannia » – un clin d’œil à la chanson patriotique de 1740 « Rule Britannia ». Pour schématiser, le Royaume-Uni serait une nation tolérante et multiculturelle, confortable avec une identité certes affirmée mais non exclusive – à l’opposé d’une France crispée sur son identité républicaine et assimilationniste, mal à l’aise avec l’ouverture des frontières induites par la mondialisation.

Shabana Mahmood contre la submersion migratoire

Sauf que, outre le vote en faveur du Brexit en 2016, deux évènements récents sont venus remettre en cause cette belle image : la tenue d’une manifestation ouvertement anti-immigration dans le centre de Londres le samedi 13 septembre (la barre des 100.000 manifestants a été dépassée, dans un pays peu enclin à descendre dans la rue) et l’annonce en novembre d’un durcissement sans précèdent des règles régissant l’asile. Ironiquement, la ministre de l’Intérieur qui adopta une position aussi intransigeante s’appelle Shabana Mahmood et est elle-même descendante d’immigrés pakistanais. Elle met ainsi ses pas dans ceux de ses prédécesseurs conservatrices, Priti Patel et Suella Braverman, toutes deux issues de familles d’origine indienne. En fait, rien de très étonnant quand on connait la façon dont s’est construit le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.

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Car outre-Manche, « uni » n’a jamais été synonyme d’« uniforme » : le cadre institutionnel du pays a toujours été plus proche d’un conglomérat de territoires qu’un Etat centralisé, sans pour autant adopter une forme fédérale. Un tel agencement est difficile à comprendre pour des Français dont la nation a été construite par l’Etat (incarné par la monarchie absolue puis par une République forte) dans une logique centralisatrice et autour d’une langue bien définie. Au contraire, la nation britannique se structura en agrégeant divers territoires sans jamais chercher à les « angliciser ». Même une fois réalisée la fusion de l’Ecosse et de l’Angleterre en 1707 par la dissolution du parlement d’Edimbourg (des députés écossais siégeront désormais au parlement de Westminster), les territoires écossais garderont un droit local (sur la propriété notamment) qui ne sera jamais remis en cause. De même, si l’Ecosse utilise la Livre sterling, les billets de banque écossais sont différents de ceux en circulation dans le reste de la Grande-Bretagne : les coupures sont de couleurs différentes et ornées de personnages de l’histoire écossaise. Il faudrait encore ajouter au tableau les « crown depencies » (Jersey, Guernesey et l’ile de Man), des territoires qui ne font pas partie du Royaume-Uni mais sont rattachés à la couronne britannique, et les « British Overseas Territories » (Gibraltar, les Bermudes et quelques autres archipels). Concrètement, ce statut spécifique leur permet de bénéficier d’un régime fiscal particulier (leur réputation de paradis fiscaux est bien établie), mais cela signifie également que leurs habitants, lorsqu’ils viennent étudier en Angleterre, sont considérés comme des étrangers (avec à la clef des frais de scolarité bien plus élevés). Une telle hétérogénéité et l’absence quasi-totale d’un projet politique unificateur à l’instar de celui porté par la IIIème République française explique par ailleurs l’incroyable variété d’accents que compte le Royaume-Uni: pour prendre un exemple extrême, l’anglais parlé à Liverpool sonne d’une toute autre manière que l’idiome en usage à Manchester, alors que les deux villes ne sont distantes que de 31 miles (environ 50km).

Tolérance britannique

Cette construction par ajouts successifs est illustrée par la façon dont fut créé le drapeau britannique, l’Union Jack, dont l’origine remonte à 1603 lorsque James VI d’Ecosse devient James I d’Angleterre, réunissant les deux pays sous une même couronne. Un étendard commun est alors composé en superposant la croix rouge sur fond blanc de saint Georges, saint patron de l’Angleterre avec la croix blanche en X sur fond bleu de saint Andrew, patron de l’Ecosse (saint André aurait par humilité envers le Christ refusé de subir le martyre sur une croix similaire). La croix de saint Patrick, patron de l’Irlande, un X rouge sur fond blanc, ne sera ajoutée que deux cents plus tard en 1801 et survivra à l’indépendance de l’Irlande en 1920. Quant au Pays de Galles, il n’est pas représenté pour la bonne et simple raison que les terres galloises étaient passées sous contrôle anglais depuis l’échec de la rébellion des princes gallois en 1402.

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L’Angleterre étant l’entité la plus riche et la plus puissante au sein du Royaume-Uni, il n’est pas étonnant que l’identité anglaise se confonde si souvent avec la britannique : les Ecossais peuvent se sentir écossais d’abord, britannique ensuite, de même pour les Gallois et les Irlandais. Pour les Anglais, la chose est un peu plus difficile, ainsi que le souligne le sociologue américain Krishan Kumar dans son ouvrage de 2003, The making of English national identity. Alors que certaines nations se définissent par ce qu’elles ne sont pas (les Français par rapport aux Allemands, et inversement), les Anglais ne se conçoivent « ni par l’exclusion ni par l’opposition, mais par l’inclusion et l’expansion non pas vers l’intérieur mais tournée vers l’extérieur. Les Anglais se voient dans le miroir des grandes entreprises dont ils furent les initiateurs durant la plus grande part de leur histoire. Ils ont fondé leur identité comme bâtisseurs de la Grande-Bretagne, créateurs de l’Empire britannique, pionniers de la toute première civilisation industrielle au monde. (…) Une telle conception diffère du nationalisme classique en ce qu’elle déplace la focale sur les créateurs à leur création ».

Cette tolérance des Anglais envers les différences culturelles à l’intérieur de la Grande-Bretagne se retrouve dans l’attitude des Britanniques envers leurs colonies. L’expansion coloniale étant d’abord motivée par la protection des routes maritimes et l’accès à des sources de matières premières (coton, bois…) et de produits de grande consommation tels que le thé, puis par l’ouverture de nouveaux débouchés commerciaux pour les productions de l’industrie manufacturière, la colonisation elle ne s’est jamais accompagnée du désir de faire des colonisés de bons petits Anglais (ou Ecossais). Sauf que, comme le souligne K. Kumar, « les problèmes surgissent quand ces projets [d’expansion vers l’extérieur] n’existent plus. Quand l’empire arrive à sa fin, quand la suprématie industrielle n’est plus, quand la création la plus ancienne et la plus pérenne, la Grande-Bretagne elle-même, menace de se dissoudre ».

Désintégration

Le vent d’optimisme des années Blair avait mis sous le boisseau la question identitaire. Un contrôle minimal de l’immigration (tant de travail que de regroupement familial) était assumée, autant par idéalisme (faire mentir la prédiction du député conservateur Enoch Powell que la hausse des immigrés dans la population britannique aboutirait à des « rivers of blood ») que par intérêt économique – les étrangers soutenaient la croissance et le marché immobilier, tout en maintenant des salaires bas, surtout dans les secteurs peu qualifiés de la construction ou des services. La décentralisation (devolution process) a permis de limiter les revendications d’indépendance : les Ecossais et les Gallois ont leurs propres parlements avec des prérogatives étendues mais limitées, et leur « First Minister » (par opposition au « Prime minister » britannique) – ce qui durant le Covid donna lieu à des différences de régimes de confinements qui apparaitraient insupportables a des Français. L’Union Jack était partout, du mug au caleçon en passant par la robe des Spice Girls, les Ecossais commençaient à faire de même avec la croix de Saint-André, sans qu’il y ait le moindre soupçon de chauvinisme. Vingt ans plus tard, afficher la croix de Saint-Georges, qui généralement n’apparaissait que sur les maillots des équipes de foot ou rugby, passe pour de la xénophobie.

Mouvement « Raise the colors », Hertford, 27 août 2025 © Lawrie/LNP/Shutterstock/SIPA

Le paradoxe est que contrairement à la France, parler d’identité n’a jamais été tabou en Grande-Bretagne. Au fond, le malaise identitaire que ressentent autant les Britanniques que les Français tire son origine de la fragmentation des sociétés contemporaines couplée à un grand vide culturel, voire civilisationnel – que l’immigration de masse met à nu. En effet, comment s’intégrer à un espace désintégré ? Mais il est outre-Manche exacerbé par des traits de caractère typiquement anglais – voire britanniques : une politesse légèrement hypocrite mêlée a une peur panique de la confrontation. Loin d’être une faveur faite aux étrangers afin qu’ils se sentent plus confortables sur le sol britannique, le multiculturalisme pourrait être interprété comme une indifférence gênée envers les « continentals and foreigners », et viserait avant tout à les mettre suffisamment à distance – avec politesse bien sûr, et bonne conscience, deux qualités somme toute très britanniques. Car s’il existe pléthore d’ouvrages sur « How to be British », consacres aux « Very English problems » ou encore proposant d’expliquer « the art of English humour », comme le fait remarquer le journaliste David Goodhart dans son essai de 2017 The road to somewhere : The Populist Revolt and the Future of Politics: « Nous demeurons réticents à donner aux nouveaux arrivants un plan clair de ce qu’il leur est demandé (et ce qu’ils sont en droit d’attendre de nous) ».

Champagne: la revanche des «petits»

Le monde du champagne est entré dans une nouvelle ère. À l’ombre des grandes maisons, une centaine de vignerons indépendants élaborent des vins peu gazeux et profonds qui ont leur identité propre, tels de grands Bourgogne. Les amateurs en raffolent, et ils sont de plus en plus nombreux.


« Avant, le champagne, c’était des bulles. Aujourd’hui, c’est du vin ! En tout cas, c’est ce que nous essayons de faire, nous autres petits vignerons… » Ces quelques mots prononcés par Didier Vergnon, au village du Mesnil-sur-Oger, montrent bien que le monde du champagne est entré dans une nouvelle ère ces dernières années. Oui, l’essentiel est dans le vin, et donc dans les raisins, dans la terre, cette terre bénie que les moines champenois goûtaient autrefois pour savoir quel goût aurait leur vin en fonction des parcelles, pas dans ces satanées bulles (certains vignerons, comme Cédric Bouchard, les détestent et s’en passeraient bien !), ces bulles qui servirent longtemps aux grandes maisons de « cache-misère » alors qu’elles ne sont en réalité que les messagères des secrets du vin.

Pionniers

L’idée selon laquelle on pourrait faire en Champagne des vins authentiques et profonds, ayant une identité, à la manière des grands vins de Bourgogne, est (ré)apparue au début des années 2000 essentiellement chez trois vignerons de génie : Anselme Selosse, Pascal Agrapart (tous deux implantés au village d’Avize) et Francis Egly-Ouriet (à Ambonnay). Peut-être y en a-t-il eu d’autres (la maison Philipponnat passe pour avoir été la première à produire un champagne de parcelle, le Clos des Goisses). En tout cas, si la notion de « vin de Champagne » a un sens, c’est bien chez ces trois pionniers dont les champagnes peu dosés, issus de petits rendements et élevés en fûts de chêne, se vendent aujourd’hui à prix d’or et au compte-gouttes (inutile donc d’aller les voir).

Historiquement, la révolution a germé dans les années 1970 quand une poignée de vignerons s’est révoltée contre le productivisme chimique qui était en train de détruire la nature (les poubelles de Paris étaient alors acheminées pour servir d’engrais, et à certains endroits, les plastiques jonchent les sols cinquante ans après !). Rendons hommage à ces pionniers : Jacques Beaufort (Ambonnay), Jean Bliard (Hautvillers), Serge Faust (Vandières), Roger Fransoret (Mancy), Georges Laval (Cumières), Yves Ruffin (Avenay-Val-d’Or), Pierre Thomas (Oger).

Si vous voulez donc découvrir le goût que peut avoir un vrai champagne de vigneron, voici une liste de gens que j’aime et chez qui on peut encore acheter des bouteilles sur place, sachant que sur les 16 000 vignerons champenois, la plupart vendent toujours leurs raisins aux grandes maisons, 400 seulement sont répertoriés comme « indépendants » et une centaine, à mon avis, élaborent des vins remarquables : Benoît Déhu à Fossoy, Benoît Lahaye à Bouzy, Benoît Bernard à Dizy, Pierre Larmandier-Bernier à Vertu, Julien Launois au Mesnil-sur-Oger, Anthony et Clémence Toullec à Rilly-la-Montagne, Davy Dosnon à Avirey-Lingey, Marianne et Jean-François Gamet à Mardeuil, Olivier Horiot aux Riceys. Allez-y les yeux fermés !

Escapade

J’ai toujours aimé l’idée d’escapade : on part tôt le matin et l’on s’en va explorer le vignoble champenois, façonné au lendemain du baptême de Clovis (le jour de Noël 496) par des générations d’évêques et de moines ! (Un peu trop catho tout cela, non ?)

Prenez donc la direction du village du Mesnil-sur-Oger, à 14 kilomètres d’Épernay. On est ici au sud de la côte des Blancs. Les vins y sont exclusivement à base de chardonnay. Ciselés et tendus, fins comme de la dentelle, ils possèdent un éclat unique. Construit à flanc de coteau, ce village marqué par la guerre de 14-18 est mondialement connu pour ses deux champagnes de légende : Clos du Mesnil de Krug et Salon.

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Né ici, Didier Vergnon est un vrai Champenois, têtu, fier et cabochard ; il se souvient du bruit des sabots des chevaux sur les pavés, de tous les commerces qui faisaient vivre son village: « Il y avait trois boucheries, deux boulangeries, une épicerie, un coiffeur, un bar-restaurant, un cordonnier… » Aujourd’hui il n’y a plus rien: « Il ne nous reste plus qu’à boire. »

Le père de Didier, Jean-Louis, a créé son domaine en 1950, un geste rare à l’époque, où tous les vignerons préféraient vendre leurs raisins à la coopérative du Mesnil, alors que cultiver la betterave rapportait plus. Quatre hectares situés exactement sur le même terroir que Krug et Salon, mais chez les Vergnon, la bouteille se vend à partir de 36 euros, un peu comme si on trouvait du Pomerol à ce prix-là sur le terroir de Pétrus ! « Mon père a été le pionnier du champagne peu dosé. Ce style tendu et minéral était une nouveauté à l’époque, aujourd’hui, c’est la marque des champagnes de gastronomie. Il est mort devant son pressoir en 1989. »

Didier a passé le relais à son fils Clément qui, à 36 ans, perpétue le savoir-faire familial: « Les raisins sont toujours récoltés manuellement et pressés lentement sur place. On bloque la fermentation malolactique par le froid afin de privilégier la vivacité et la fraîcheur », nous dit-il.

En buvant leurs champagnes, élevés dans de vieux fûts de chêne qui leur apportent élégance et complexité, on sent bien le vin, la craie, le citron, la pomme verte et les fleurs blanches ; en vieillissant, ils développent des senteurs de frangipane et de brioche. Ils se marient bien avec la cuisine asiatique. À Paris, Pierre Gagnaire et Yannick Alléno les ont inscrits sur leur carte, une belle reconnaissance pour de « petits » vignerons.


Domaine Jean-Louis Vergnon, 1, grande rue, 51190 Le Mesnil-sur-Oger, Tél. : 03 26 57 53 86, champagne-jl-vergnon.com.

À table !

Pour déjeuner, précipitez-vous à La Grillade Gourmande à Épernay.

Né à Lyon en 1967, Christophe Bernard a été formé chez Paul Bocuse qui lui a transmis le flambeau de la cuisine française généreuse avec des os, de la crème, de la sauce et des produits qui ont le goût de ce qu’ils sont. Sa force est la cuisson des viandes et des poissons au feu de bois qui les dégraisse et apporte des arômes subtils. Il faut découvrir ses rouelles de homard à l’escalope de foie gras chaud grillé sur la braise, son pigeonneau désossé au chou, cuit en feuilleté, avec une sauce parfumée à la truffe noire… Un régal avec un rosé de saignée bien vineux !

La Grillade Gourmande, 16, rue de Reims, 51200 Épernay, menus à 29, 47 et 69 euros, lagrilladegourmande.com.

Le philosophe Sénèque entre otium et suicide

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Une nouvelle traduction des « Lettres à Lucilius » est un événement important pour les admirateurs du philosophe stoïcien.


Le stoïcisme est une philosophie antique qui, de nos jours, connaît un certain regain d’intérêt. Peut-être parce que les temps sont durs, et que nos contemporains cherchent à affermir leur âme devant les vicissitudes de l’existence. La définition qu’en donne Alain Rey, dans son Dictionnaire historique, nous éclaire : pour le stoïcisme, « le bonheur est dans la vertu » et il prône avant tout « l’indifférence devant ce qui affecte la sensibilité ». Cette doctrine a été illustrée par des philosophes comme Marc Aurèle, Épictète, et bien d’autres encore, dont Sénèque, sans conteste l’un des meilleurs, et auteur notamment des Lettres à Lucilius. Celles-ci font justement l’objet d’une nouvelle traduction intégrale, proposée par l’écrivain-philosophe Maxime Rovere, connu pour ses travaux sur Spinoza. Il publie en parallèle un court essai, dans lequel il donne son point de vue sur cette somme essentielle de la philosophie stoïcienne. Le livre est intitulé Vivre debout et mourir libre, « Les dernières leçons de Sénèque » et paraît chez Flammarion. Il est prévu que ces Lettres reparaissent plus tard dans la collection de poche GF Flammarion. Ainsi, ni les étudiants, ni les honnêtes gens ne pourront plus prétexter : « Sénèque, connais pas ! »

Caractériser l’œuvre de Sénèque

D’abord quelques mots sur cet essai de Maxime Rovere, dont le titre Vivre debout est déjà tout un programme. Rovere cherche à voir dans l’œuvre de Sénèque une approche positive de la vie. Il pense qu’avec cet auteur, « la philosophie devient une voie royale orientée par des ambitions grandioses ». Le livre de Rovere, c’est peut-être son défaut, regorge de telles affirmations contestables, même si des références aux Lettres sontindiquées dans la marge, pour que le lecteur puisse aller en vérifier par lui-même le bien-fondé et se faire son opinion. Rovere lance ainsi des pistes variées qui, parfois, laissent perplexe. Il écrit par exemple que Sénèque réussit à « atteindre sans délai une immortalité si assurée, si vécue, qu’elle éradique définitivement toute crainte de la mort ». Je ne voyais pas les choses comme ça. Selon moi, l’enthousiasme n’était pas le fort de Sénèque, philosophe rassis. Il avait, comme on sait, médité sur la mort chaque jour de sa vie ; et le suicide, en particulier, lui semblait une échappatoire recommandable. Rovere, si j’ai bien compris, essaie de nous convaincre que le suicide, revu et corrigé par Sénèque, est seul porteur de liberté pour l’homme : « la mort volontaire et la philosophie, écrit-il, révèlent la liberté de l’individu à l’égard de sa propre existence… » Certes, peut-être, mais encore ? Comment peut-on expliquer ceci ?

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Le texte même de Sénèque

En fait, pour en avoir le cœur net, il faut revenir au texte même de Sénèque. C’est le moment, alors, de se plonger, ou de se replonger, dans ces Lettres à Lucilius, gros pavé de plus de 700 pages, dans lequel Sénèque offre un panorama passionnant du stoïcisme, avec au premier plan évidemment la question de la mort. La précédente traduction remontait à une cinquantaine d’années. C’était celle de Paul Veyne, que j’appréciais moins. On disposait aussi de l’édition bilingue aux Belles Lettres, une traduction universitaire non dénuée d’intérêt. Rovere, lui, a fait porter ses efforts sur l’accessibilité du texte, afin d’obtenir un résultat aisé à lire. Je dois dire que c’est une vraie réussite. La phrase est fluide, très contemporaine aussi. On reconnaît ce langage, le langage de Sénèque, comme nôtre. Cette version sera peut-être démodée dans x années, au gré de l’air du temps, mais c’est celle qu’il faut lire en 2025 pour sentir la modernité de Sénèque.

Mettre à profit l’oisiveté

La philosophie de Sénèque, nous dit Rovere, « ne se satisfait pas d’une adhésion intellectuelle ». Elle demande davantage : qu’on la vive vraiment. Avant toute chose, Sénèque préconise — lui aussi — l’otium, c’est-à-dire l’oisiveté, ces instants où l’homme est seul avec lui-même, près de ses livres, et où il peut s’occuper spécialement d’acquérir la sagesse, avant de l’appliquer dans la société. Chez les Romains, le désœuvrement devait être mis à profit. Ce n’était pas du temps perdu. Au reste, les Lettres à Lucilius ont été écrites justement alors que Sénèque s’était éloigné de la cour, et n’exerçait plus aucune fonction politique auprès de Néron. Il se doutait cependant que ce repos n’aurait qu’un temps, et que le tyran lui enverrait un centurion pour lui intimer l’ordre de se supprimer. Le prétexte en fut la conjuration de Pison, à laquelle Sénèque fut mêlé de très loin. Je n’ai pas la place ici de vous raconter en détail sa mort, mais elle se déroula dans la pure tradition du stoïcisme : son suicide fut l’accomplissement d’une sagesse. Le vieil historien de Rome, Pierre Grimal, la raconte comme un morceau d’anthologie, dans son livre sur Sénèque. Cette fin fut presque aussi grandiose que celle de Caton et contribua à la renommée posthume des livres du philosophe, comme le précisait Grimal. En effet, Sénèque avait acquis, ce faisant, la réputation de ne pas mentir. Il répondait de ce qu’il avait écrit. Il était évident qu’on pouvait faire confiance à un tel homme. On peut aussi faire confiance à la traduction de Maxime Rovere, ce qui est plutôt une bonne nouvelle.


Sénèque, Lettres à Lucilius. Traduction intégrale de Maxime Rovere. Éd. Flammarion. 832 pages.

Maxime Rovere, Vivre debout et mourir libre, « Les dernières leçons de Sénèque ». Éd. Flammarion. 224 pages.

Pierre Grimal, Sénèque ou la conscience de l’Empire. Paris, 1978.

Procès de Luigi Mangione: l’Amérique est une société malade

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Luigi Mangione (à droite) au tribunal à New York, hier © Yuki Iwamura/AP/SIPA

Le gauchiste Luigi Mangione, soupçonné d’avoir tué Brian Thomson, abattu au cœur de Manhattan il y a un an, a comparu hier lors d’une audience préliminaire. Il encourt une peine de réclusion à perpétuité.


Seul Dieu peut offrir une assurance contre la maladie.
Maurice Duplessis, ancien Premier ministre québécois.


Aux États-Unis, les compagnies d’assurance de santé privées ne gagnent pas un concours de popularité. On les accuse de pratiquer l’obstruction et le culte du seul profit.

C’est dans ce contexte que, le 4 décembre 2024, à Manhattan, Luigi Mangione est censé avoir abattu de sang-froid, dans une embuscade bien planifiée, Brian Thompson, PDG de la United Healthcare, le plus gros groupe d’assurance de santé privé aux Etats-Unis. Aux termes de la loi new-yorkaise, il fait face à neuf chefs d’accusation, dont l’assassinat.

(Les procureurs résistent mal à la tentation de ratisser large, mais a été écarté par le juge le ridicule chef d’accusation de « terrorisme »; c’est déjà ça de pris pour M. Mangione).

Passible de la perpétuité

Il est passible de l’emprisonnement à perpétuité, l’État de New York ayant aboli la peine de mort. Par ailleurs, il fait face à des accusations prévues par la loi fédérale pour les mêmes faits. Le président Trump, qui, naguère se vantait de pouvoir assassiner n’importe qui sur le 5e Avenue sans perdre un seul vote, réclame d’ores et déjà le châtiment suprême.

De prime abord, les faits semblent parler d’eux-mêmes de manière écrasante en faveur de la culpabilité.

Les séries policières américaines sont friandes du mythe du vice de forme (on ne compte plus les mandats de perquisition invalidés pour une virgule mal placée…). En l’espèce cependant, dans une affaire médiatique aussi retentissante, les procureurs devront aller « by the book » (en v.o.), (« selon la lettre du code de procédure » (en v.f.)).

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A eu lieu hier 1er décembre une première comparution dans le cadre d’une audience préliminaire portant sur la (non) recevabilité d’éléments de preuve cruciaux. La défense demande l’exclusion des déclarations incriminantes de l’accusé lors de son arrestation puisque les policiers ne lui avaient pas communiqué son droit au silence (cf. la légendaire jurisprudence Miranda[1]). En outre, les agents saisirent alors son sac à dos et en retirèrent notamment des pièces à conviction censées le rattacher à l’homicide : un révolver (l’arme du crime?), un magasin chargé et un cahier contenant des observations manuscrites dénonçant les compagnies privées d’assurance de santé, mais… sans mandat de perquisition.

En matière pénale, la procédurite est toujours de bonne guerre, encore que M. Magione ne peut raisonnablement espérer ressortir de quelque tribunal que ce soit en faisant un doigt d’honneur. Au mieux, il peut rêver d’un répit sur les accusations les plus graves.

Semble étrange et critiquable la coexistence de procédures étatiques et fédérales pour les mêmes faits. D’emblée, il semble y avoir atteinte à la règle « non bis in idem », à savoir le droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction. Lorsque viendra leur tour, les procureurs fédéraux seront tentés d’invoquer la jurisprudence Rodney King : en 1991, quatre policiers avaient été filmés pendant qu’ils tabassaient sauvagement M. King, mais ils furent acquittés par les jurés californiens. Cependant, deux d’entre eux furent ultérieurement condamnés par une juridiction fédérale au titre de la violation des droits civiques de M. King, les avocats de la défense ayant en vain invoqué ladite règle (« double jeopardy » en v.o.) puisque le moyen de droit fédéral était distinct. En l’espèce, on admettra volontiers que la cavale de M. Mangione hors de l’État du crime principal (l’arrestation eut lieu en Pennsylvanie) donne lieu à des infractions supplémentaires, distinctes, de nature fédérale, mais la compétence relative à l’homicide lui-même ne tombe pas sous le sens. Mais peu importe, les procureurs fédéraux sont bel et bien déterminés à avoir leur part du gâteau.

À suivre donc.  Pour l’instant aucun calendrier n’est fixé. L’audience préliminaire en cours devrait durer une semaine; seront entendus plusieurs témoins au sujet du déroulement de l’arrestation.

Sinistre justicier

Sur le plan social, aux yeux d’une certaine gauche, M. Mangione fait figure de Robin des Bois. On peut supposer qu’y appartiennent de nombreux donateurs qui ont généreusement versé leur obole à sa cagnotte de défense (est évoqué le chiffre de 1 million de dollars); c’est de bonne guerre (il serait également intéressant de savoir quelle est l’enveloppe budgétaire dont dispose(ront) le(s) ministère(s) public(s)).

Pour autant, les supporteurs de M. Mangione oublient que si le maître archer prônait et pratiquait une forme de redistribution des richesses au profit des démunis, au grand dam du shérif de Nottingham, il ne semblait pas avoir l’habitude de trucider sommairement les nantis.

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L’assurance santé, qui laisse en effet beaucoup à désirer aux Etats-Unis, est sans conteste un immense problème de justice sociale. Que l’on exprime son opposition à la peine de mort est légitime (même les tyrans condamnés pour crimes contre l’humanité ne sont plus exécutés); il en va de même si l’on insiste sur cette évidence que tout accusé, même (par exemple) filmé par 24 caméras de surveillance, a toujours droit à la présomption d’innocence et à une défense pleine et entière.

Mais cela ne justifie pas la violence qui est contreproductive, la potion qui tue le patient. Rappelons que M. Magione fut arrêté dans un McDo. La honte. Quand on veut jouer les chevaliers blancs combattant les entreprises qui font primer le profit sur la santé, on opte plutôt, par exemple, pour des campagnes pacifiques dénonçant les fastefoudes dont la tambouille vomissant le cholestérol constitue la plus grande menace à la santé publique jamais vue…

Faire de Luigi Mangione une star est de très mauvais goût. Un autre spectacle à grand déploiement vient de commencer. En vedette américaine, Luigi Mangione. On s’arrache les billets pour la salle d’audience. Il était temps, 30 ans après l’acquittement de OJ Simpson. « Only in America ».


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Miranda_v._Arizona

« La morue? Oui, chef! »

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Le chef José Dantas © Pierre Aslan

Chez José Dantas, au restaurant « Albufera », à Boulogne-Billancourt (92)


Heureux habitants de Boulogne-Billancourt… Il y a un peu plus de trois mois, en août 2025 donc, « Albufera, la table de Jose Dantas », a ouvert ses portes au 38, rue de Meudon (à cinq minutes à pied du métro Marcel Sembat). Comme au Ritz, un voiturier à la carrure de garde du corps s’occupera même de garer votre voiture (et de veiller sur elle) si d’aventure vous décidiez de faire le voyage à Boulogne depuis une destination lointaine, par exemple pour le réveillon du 31 décembre…

Meilleur restaurant portugais de France?

Car, en définitive, « Albufera » (qui désigne à la fois une région du Portugal, une rivière et un riz rond assez semblable au riz bomba espagnol – celui utilisé pour la paella) est probablement le meilleur restaurant de cuisine portugaise de France. En entrant dans ce petit paradis (niché dans un quartier calme et « pépère » d’une ville qui n’a pourtant rien de très sexy), c’est tout un univers poétique qui vient d’abord vous titiller les narines et l’imagination, à travers la voix d’Amalia Rodriguez (la reine du « fado »), la soie des vieux portos millésimés, la gentillesse de la serveuse (venue de Rome) et, bien sûr, la cuisine du chef !

Toujours étrangement méconnue, la cuisine portugaise n’est pas seulement une très ancienne cuisine populaire de la terre et de la mer où l’oreille de cochon côtoie l’oursin et les coquillages, elle est aussi une cuisine du grand-large portée par le vent des océans et le souffle de l’Histoire…

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La morue de Terre-Neuve y est ainsi préparée de plus de mille façons différentes. L’omniprésence des épices nous rappelle qu’il fut un temps où le Portugal dominait le monde grâce à ses grands explorateurs, Vasco de Gama et Magellan notamment, à qui l’on doit le curcuma, la noix de muscade, le clou de girofle, la cannelle et les innombrables poivres d’Indonésie… Le maïs venu d’Amérique est employé depuis des siècles pour faire un pain tendre et délicieux de couleur safran, tout comme les haricots secs qui ont inspiré aux Portugais un plat très proche de « notre » cassoulet, sans parler du chocolat, de la vanille et du sucre de canne dont ils sont friands.

Bref… Une cuisine-monde.


Né en 1995 dans le nord du Portugal, Jose Dantas a été formé en France vingt ans durant après des plus grands chefs : à la Chèvre d’Or, chez Taillevent, chez Drouant, à l’Apicius et chez Jean-François Piège. Son mentor est Emile Cotte, un pilier de rugby corrézien qui était son supérieur chez Taillevent et qui continue à le conseiller aujourd’hui. Je vous avais parlé de ce gaillard généreux en juin 2023 en présentant son merveilleux bistrot « Baca’v », qu’Emile a récemment transplanté à Boulogne (33, avenue du Général Leclerc, à cinq cent mètres de chez son copain, raison pour laquelle je dis que les habitants de cette ville ont vraiment de la chance d’avoir ces deux tables d’exception !).

Voyage en caravelle

Jose Dantas, donc, est un vrai technicien « à la française », maître des cuissons et des sauces (les siennes, faites à partir de carcasses de volailles entières, mijotent et réduisent pendant trois jours ! c’est ce qui distingue aujourd’hui un « grand restaurant » d’un « boui-boui » pour touristes). Dès les entrées, on est impressionné par la finesse de ses acras de morue, qu’il faut prendre avec les doigts pour les tremper dans une aïoli aux piquillos (petits poivrons). Avec un verre de « Verdelho original », le blanc des Açores vinifié par Antonio Maçanita, on est déjà parti en caravelle, les cheveux au vent… Ce vin volcanique issu de vignes jamais greffées offre de beaux amers profonds. L’harmonie d’ensemble évoque la délicatesse des plus beaux azulejos.

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Parmi les plats, que choisir ? Tout est délicieux et sans lourdeur. Le sauté de cochon fermier aux coques et à la fricassée de champignons est accompagné d’une purée soyeuse comme une caresse. « Incontournable », la spécialité de Jose est le riz albufera (cuit dans un bouillon très corsé) au canard rôti et aux noisettes… Cuit rosé, ce canard vient des Dombes, il est plein de tendresse… La sauce apporte une séduction intense. Je pourrais ainsi passer en revue toute la carte. Au dessert, impossible de passer à côté de l’une des meilleures mousses au chocolat qu’il m’ait été donné de goûter ces dernières années : à partir d’un cacao grand cru du Surinam ou du Brésil, Jose élabore sa mousse en lui adjoignant un petit filet d’huile d’olive de sa région, très verte et fruitée, et de la fleur de sel… Avec un petit verre de Porto servi à la pipette, « c’est extra » comme chantait Léo Ferré.

Tout cela bien sûr est très gentil, me direz-vous, mais qu’en est-il des prix ?

Hé bien, chère lectrice et cher lecteur, les prix sont proprement stupéfiants, eu égard à la qualité sensationnelle de ce restaurant : 29 euros le menu déjeuner (entrée-plat ou plat-dessert), ou 39 euros (entrée-plat-dessert) ; 59 euros le menu-dégustation en cinq services… (le prix d’un plat dans un restaurant étoilé !). Pour le réveillon du 31 décembre, le chef prépare une soirée traditionnelle avec menu de fête à 95 euros (quatre plats) en présence d’une grande chanteuse de « fado » accompagnée par ses musiciens. Alors moi, je dis à ma femme : « Chérie, et si on allait s’encanailler à Boulogne-Billancourt pour changer ? Paris est tellement triste en ce moment…»


ALBUFERA 38, rue de Meudon 92100 Boulogne-Billancourt Tél : 01 46 21 75 90 Informations utiles : www.albufera-boulogne.fr

«Mère empoisonneuse» de Dax: ce témoignage qui ébranle l’accusation

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Forêt landaise. Image d'illustration. DR.

Au terme de la première semaine du procès de la mère, Maylis Daubon, 53 ans, présumée empoisonneuse de ses deux filles, qui s’est ouvert lundi dernier devant la cour d’assises Landes, à Mont-de-Marsan, un sérieux doute s’est installé sur son éventuelle culpabilité sans pour autant convaincre de son innocence.


Dès lors, pour les six membres du jury, qui doivent rendre en principe leur verdict mercredi prochain, se faire une intime conviction se complique sérieusement au point de leur poser très probablement un cas de conscience digne de Corneille… C’est qu’au quatrième jour d’audience, vendredi, un témoignage est venu sérieusement ébranler l’accusation.

La cadette convaincue de l’innocence de sa mère

Appelée à déposer en qualité de témoin et non de victime, la propre fille de l’accusée, la cadette, Lau, la survivante des deux, aujourd’hui une jeune de femme de 23 ans, étudiante en 3ème année de biologie, élégante, maître de soi, lunettes à grosses montures, abondante chevelure brune frisée lui tombant sur les épaules, l’a innocentée avec conviction.

« Je sais que ma mère n’est pas coupable de ce qu’on lui reproche », a-t-elle déclaré d’une voix sûre en s’adressant à la présidente Emmanuelle Adoul. Juste avant de réitérer devant le tribunal ce qu’elle n’a jamais cessé d’affirmer tout au long de l’instruction, elle avait souligné avec une pointe d’émotion retenue : « Cela fait six ans que j’ai perdu ma sœur, quatre que je n’ai pas vu ma mère ».

À l’allégation formulée à la barre et à maintes reprises dans la presse par son père, Yannick Reverdy, 49ans, un colosse ancien international de handball, présent sur le banc de la partie civile, selon laquelle elle serait sous l’emprise de celle-ci, et qu’il espérait que ce procès lui ouvre les yeux, sa réponse a été cinglante : « Ça me rend triste et en même temps ça me fait rire. »

En outre, visiblement, la médiatisation dont a bénéficié son père (qui, en effet, pose une vraie question de déontologie journalistique NDLA) lui est restée en travers la gorge. Il s’est porté partie civile alors qu’elle s’y est farouchement refusée bien qu’elle aurait pu. Un examen toxicologique, au moment du décès de sa sœur Enéa, de deux ans son ainée, le 19 novembre 2019, avait décelé la présence d’une mixture médicamenteuse, pas létale, dans ses flux et cheveux.

Menteuse pathologique 

Dans ses déclarations à la presse, le père a toujours pris la posture de victime. Il s’est séparé de son épouse il y a 16 ans, lorsque Lau avait 7 ans. Les deux filles avaient choisi de rester vivre avec la mère. Dans un récent entretien à Sud Ouest, le quotidien de Bordeaux, il a dit être un « homme abîmé » par l’empoisonnement de ses filles et aussi avoir été la cible d’un « assassinat moral » de la part de son épouse qu’il a accusée de « menteuse pathologique ». Elle comparait en outre pour avoir commandité son exécution auprès de codétenues libérables de la prison de Pau où elle est détenue depuis 2022. L’accusation repose sur les dires de ces dernières. Du procès en cours, M. Reverdy attend enfin « une reconnaissance de sa culpabilité ». Et si sa seconde fille a choisi le parti de la mère, c’est qu’elle sa subi « un lavage de cerveau pendant des années ».

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À une question de la présidente sur son enfance, celle-ci a répondu : « J’ai eu une enfance très heureuse, au final… surtout quand j’ai arrêté d’aller voir mon père. (…) J’ai vu mon père casser la gueule à ma mère. (…) Mon père était quelqu’un de très violent, soit physiquement, soit mentalement. »

Pour elle, il ne fait aucun doute qu’Enéa, dépressive chronique, s’est suicidée. Il est inconcevable que leur mère les ait empoisonnées. « Enéa, c’est l’amour de ma vie. J’ai perdu mon double, » a-t-elle conclu sa déposition. Quand elle s’est retirée de la salle d’audience, pleine à craquer comme les jours précédents, sa mère s’est levée alors que jusque-là elle restait assise, prostrée sur le banc du box des accusés, et lui a lancé : « Il faut que tu avances. Je t’aime. Tu es une belle femme. »

Êtes-vous libre de parler ou gardez-vous un secret par solidarité ? 

Avant elle, avait été appelé à déposer par visioconférence, depuis la cour d’appel d’Orléans, son petit-ami de l’époque, Mayveen, un moustachu de 25 ans. Ils étaient les deux seuls présents dans le modeste pavillon de la périphérie de Dax quand Enéa a eu, ce matin du 13 novembre 2019, sa crise de convulsions et son arrêt cardiovasculaire qui lui a coûté la vie six jours plus tard. A l’ouverture de l’instruction, les deux avaient été mis en examen pour complicité d’empoisonnement puis rapidement mis hors de cause. C’est lui qui, étant monté à l’étage avait découvert dans sa chambre la future défunte en pleine crise, bave à la bouche. Il était arrivé un peu plus tôt en début de matinée, l’avait vu boire son café au lait puis retourner se coucher… La mère était absente du domicile. C’est Lau qui l’alertera, elle accourut et appela les pompiers qui a leur tour alerteront le SAMU vu la gravité de l’état de l’assistée. A 8h30, l’infirmier était venu prodiguer à Enéa son traitement quotidien et n’avait rien remarqué d’anormal chez elle.

Mayveen a commencé sa succincte déposition en disant qu’il « ne (savait) pas quoi dire ». Sauf que « c’était un peu sa meilleure amie ; ma petite sœur ». La présidente lui demande alors : « Êtes-vous libre de parler ou gardez-vous un secret par solidarité ? ». Sa réponse est laconique : « Vous savez, ça date, je n’ai pas trop de souvenirs. »

La veille, deux amies d’Enéa, toutes les deux prénommées Juliette, toutes les deux vêtues de noir, avaient, elles aussi, déjà déposé en faveur de l’accusée. D’après elles, la victime avait des « idées noires » qui l’ont conduite à se suicider. D’ailleurs, elle aurait fait plusieurs tentatives, leur avait-elle confié. À l’ouverture de l’enquête, elles avaient écarté cette éventualité. Mais avec le temps, elles s’en sont convaincues.

La similitude dans la teneur de leurs propos qui laisse supposer qu’elles se sont concertées a irrité la défense du père.  « Pourquoi vous organisez-vous tous pour nous faire gober cette théorie du suicide ? », les interpelle-t-il en donnant de la voix, son avocat Me Victor Font suggérant qu’elles aussi seraient sous l’emprise de l’accusée. L’une d’elle lui réplique, avant de pleurer : « Je suis vraiment choquée par ce que vous venez de dire ». Sa camarade ajoute, elle aussi en larmes : « je suis là pour livrer ma vérité, qui est la vérité. »

En revanche, de son côté un pompier avait affirmé auparavant que lorsqu’ils sont arrivés, ils avaient ressenti comme une atmosphère étrange. Dans les cas de suicides, a-t-il expliqué en substance, on trouve toujours quelque chose, une boite de médicaments, un message laissé, là rien, comme si un ménage avait été fait préalablement, ce qui les a amenés à saisir la police qui dès les premières constations a ouvert une procédure pour soupçon d’empoisonnement.

Intime conviction

Quoi qu’il en soit, lundi matin, à la reprise des audiences, une seule certitude était acquise : Enéa a bien succombé à une surdose de propranolol, un bêtabloquant cardiaque. D’après l’experte en toxicomanie, au moins deux heures avant sa crise, elle en a ingurgité entre 50 et 75 cachets. Mais aucun indice tangible ne permet de déterminer si c’est elle qui les a ingérés ou si c’est la mère qui les lui a fait absorber.

Dès lors, on se demande sur quoi l’avocat général pourra se fonder pour requérir une éventuelle condamnation de Maylis Daubon, si ce n’est sur des déductions.

Quant à elle, elle va avoir à s’expliquer lors de son audition sur les raisons pour lesquelles elle détenait un stock impressionnant de boites de propranolol alors qu’elle avait dans un premier temps nié en posséder, sur le recours à des ordonnances truquées et sur ses 83 passages en pharmacie pour se les procurer. Si ce n’est, comme l’ont déduit les enquêteurs, pour empoisonner méthodiquement ses deux filles.

Mètres carrés fantômes, impôts bien réels: bienvenue dans la fiscalité-fiction!

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© GILE MICHEL/SIPA

Le gouvernement Lecornu a suspendu en catastrophe la hausse prévue de la taxe foncière jusqu’au printemps 2026 afin de définir une nouvelle méthode de calcul plus locale et adaptée aux réalités des départements et des communes. Cette décision intervient après un tollé politique. Rien ne garantit qu’une version remaniée, potentiellement plus complexe et toujours avec les fameux « m² fictifs » pour les éléments «de confort» comme la baignoire, ne reviendra pas dès le printemps, redoute Alexis Sémanne de l’Institut pour la Propriété Privée.


Le gouvernement a annoncé la suspension de la revalorisation automatique de la taxe foncière pour 7,4 millions de logements. À première vue, la nouvelle a tout d’une respiration bienvenue après plusieurs années de flambée fiscale.

Pourtant, cette décision ne représente qu’une pause apparente. Une suspension n’est pas une annulation. Elle ne concerne d’ailleurs qu’une partie marginale du dispositif qui avait provoqué l’explosion politique de ces dernières semaines. Car dans les faits, et quelle que soit la communication officielle, tous les propriétaires subiront une hausse de leur taxe foncière en 2026. Et certains verront même leur situation s’aggraver, non en raison d’une amélioration de leur patrimoine, mais en raison d’une invention administrative: celle des mètres carrés fictifs.

Une hausse mécanique inévitable et déjà entérinée

La première hausse, discrète mais certaine, provient de la revalorisation annuelle des bases cadastrales. Cet ajustement automatique suit l’inflation harmonisée, dont la dernière estimation tourne autour de +0,8 %. Ce mécanisme s’appliquera à l’intégralité des contribuables. Il ne dépend pas des communes, ni d’un vote local, ni même d’une réforme. Il s’impose de lui-même, année après année. Le propriétaire moyen d’une maison verra ainsi son avis passer d’environ 1 090 euros à 1 100 euros, et celui d’un appartement de 865 euros à 872 euros. Peu importe la suspension annoncée, cette revalorisation suivra son cours en 2026.

Cette hausse paraît modeste. Elle l’est en apparence seulement. Car elle s’ajoute à deux années de rattrapage historique qui ont vu la taxe foncière bondir de 7,1% un an, puis de 3,8 % l’année suivante. Dans un pays où la charge fiscale atteint déjà des sommets, la multiplication de ces ajustements mécaniques finit par produire un effet cumulatif redoutable. Le propriétaire ne peut plus anticiper, ne peut plus budgétiser, ne peut plus planifier. Il subit, chaque année, une augmentation automatique dont il n’est jamais responsable.

La réforme réellement explosive: l’invention de mètres carrés invisibles

Mais le cœur du problème ne se limite pas à cette mécanique inflationniste. Ce qui a suscité l’indignation, c’est une réforme plus profonde, momentanément suspendue mais parfaitement intacte. À partir d’une grille de calcul datant de 1970, l’administration prévoit d’ajouter à la surface fiscale des logements des mètres carrés totalement fictifs. Cette grille attribue une valeur surfacique à chaque équipement du quotidien: une douche, un WC, un lavabo, l’électricité, le chauffage, une baignoire, l’eau courante. À chaque élément correspond un nombre de mètres carrés inventés.

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Ainsi, un raccordement à l’eau courante vaut 4 m². L’électricité équivaut à 2 m². Une douche ou des WC valent 3 m² chacun. Une baignoire, 5 m². Un lavabo ou un radiateur, 2 m². L’intégration systématique de ces éléments dans la valeur locative entraîne une hausse imposable dont la moyenne nationale est estimée à environ 63 euros par an et par logement, ce qui représente près de 466 millions d’euros de recettes supplémentaires.

Le caractère ubuesque de cette méthode apparaît clairement lorsqu’on observe les cas les plus petits. Un studio de 13 m², équipé de l’essentiel, peut voir sa surface fiscale doubler pour atteindre 26 m². Le logement ne change pas. Les murs ne bougent pas. Le confort n’a pas été amélioré. Mais l’administration lui attribue une surface fantôme équivalente à celle de son bien réel. Ce simple calcul suffit à augmenter sa valeur locative et, par ricochet, sa taxe foncière.

Dans les grandes villes, cette méthode devient particulièrement pénalisante. Les logements anciens rénovés, souvent modestes en surface, comportent plusieurs équipements ajoutés au fil du temps. Chaque ajout, pourtant nécessaire à la salubrité et au confort minimal, se transforme en alourdissement fiscal. L’incitation rationnelle est alors perverse. Le propriétaire a investi pour rendre son logement habitable. Il est sanctionné comme s’il avait agrandi la surface.

Une vieille tradition française: taxer l’invisible

Cette créativité fiscale rappelle des épisodes bien connus de l’histoire de France. Pendant plus d’un siècle, de 1798 à 1926, l’impôt sur les portes et fenêtres a poussé des générations de Français à murer leurs ouvertures pour payer moins. Les façades anciennes portent encore les cicatrices de ces fermetures volontaires. La logique était la même: taxer les signes visibles d’un confort jugé suspect.

Nous nous trouvons aujourd’hui face à une version moderne de cet ancien impôt. On ne taxe plus les fenêtres, mais l’eau courante, l’électricité, la présence d’un simple lavabo. Autrement dit, l’administration reproduit l’erreur du passé. Elle confond la nécessité avec le luxe, la salubrité avec le privilège, et l’équipement minimal avec un avantage taxable. Dans un pays où l’on encourage les rénovations énergétiques, l’hygiène et le confort, participer à cette modernisation domestique devient paradoxalement un motif d’alourdissement fiscal.

Une tendance plus profonde: la culture de l’expropriation

Cette affaire ne relève pas seulement de la technique fiscale. Elle révèle une évolution culturelle bien plus large. Dans une note récente de l’Institut pour la Propriété Privée, j’analyse ce que j’appelle la culture d’expropriation. Il s’agit d’un ensemble de pratiques administratives et fiscales qui transforment la propriété en concession précaire, susceptible d’être redéfinie, requalifiée ou surtaxée à tout moment.

Cette culture se manifeste dans le logement de mille manières. Le propriétaire n’est plus pleinement chez lui. Chaque décision, chaque amélioration, chaque mise en location est conditionnée à de multiples déclarations, vérifications, autorisations et prélèvements. La réglementation énergétique, les normes de décence, les obligations de rénovation, les restrictions locatives, les dispositifs anti-vacance, les limites imposées aux meublés touristiques, tout cela traduit une défiance structurelle envers la propriété privée et une volonté persistante de la contrôler.

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Dans ce contexte, la taxe foncière joue un rôle central. Elle est devenue la variable d’ajustement d’un système public dont les dépenses atteignent plus de 55% du PIB. Depuis la disparition de la taxe d’habitation sur les résidences principales, la taxe foncière est devenue la principale ressource locale. Les communes n’hésitent plus à augmenter leurs taux. En 2024, près d’un territoire sur sept l’a fait. Dans un système déjà saturé de prélèvements obligatoires, l’édifice fiscal se renforce en frappant toujours les mêmes: les propriétaires.

Une incohérence totale dans un pays en crise du logement

Cette tendance apparaît d’autant plus incohérente que la France traverse une crise du logement d’une intensité inédite. Le nombre de logements neufs s’effondre, les permis de construire chutent de manière historique, la rénovation énergétique devient inabordable pour une majorité de ménages, et l’offre locative privée diminue. Dans un tel contexte, alourdir la fiscalité foncière revient à aggraver tous les problèmes existants. Le propriétaire qui souhaitait rénover reporte ou annule. Celui qui envisageait d’investir renonce. Celui qui pensait louer hésite. Celui qui détient déjà un bien voit sa rentabilité s’affaisser et finit par quitter le marché.

Cela revient à dire que l’État, en prétendant moderniser le cadastre ou renforcer l’équité fiscale, affaiblit les incitations économiques fondamentales sans lesquelles aucune politique du logement n’est viable. On ne peut pas vouloir plus de logements décents, plus de rénovations, plus d’investissements privés, tout en multipliant les charges qui pénalisent précisément ceux qui rendent ces objectifs possibles.

Conclusion: un sursis, pas une victoire

La suspension annoncée n’est donc pas une correction mais un ajournement. Rien ne garantit que le gouvernement renoncera à cette méthode des mètres carrés fictifs. Rien ne garantit non plus qu’une version remaniée, potentiellement plus complexe, ne reviendra pas dès le printemps. La pause ne signifie pas le recul. Elle signifie une prudence politique, le temps de redéfinir la présentation d’un dispositif que l’on souhaite toujours appliquer.

Dans une démocratie mature, l’impôt doit reposer sur des bases réelles et compréhensibles. Il ne peut se fonder sur des inventions bureaucratiques. La propriété ne peut être traitée comme une ressource inépuisable que l’on presse sans discernement. Si l’on souhaite réconcilier les Français avec l’impôt, il faut d’abord cesser de taxer ce qui n’existe pas. Les mètres carrés fantômes n’appartiennent à personne. Les impôts qui les frappent, eux, sont bien réels.

Érosion de la théocratie canadienne au Québec…

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Le coup d'éclat de Pauline Hanson au Sénat, Camberra, Australie, 24 novembre 2025 © MICK TSIKAS/AP/SIPA

 «La laïcité fait partie de notre identité collective. Nous ne ferons aucun compromis sur nos valeurs, dont l’égalité entre les hommes et les femmes » a déclaré le Ministre québecois de l’Immigration Jean-François Roberge avant de déposer son projet de « Loi sur le renforcement de la laïcité au Québec ». Pendant ce temps, en Australie, la sénatrice Pauline Hanson ne parvient pas encore à imposer l’interdiction de la burqa.


Une image vaut mille mots.
Confucius.

Ralliez-vous à mon panache blanc.
Henri IV.


« Le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit. » Cette proclamation figure en tête de la Charte des droits et… libertés! Quelle ironie. Au Canada, les athées savent donc qu’ils sont en liberté surveillée.

Cela dit, malgré ce carcan, en matière de laïcité, le Québec, une province vraiment pas comme les autres, continue de rattraper son retard. Il n’en est pas encore au niveau de la loi française du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État et de la loi de 1924 instaurant la laïcité et limitant la religion à la sphère strictement privée dans la Turquie de Kémal Atatürk. Cependant, lentement, mais sûrement, il progresse.

Glapissements d’indignation

Des mesures de simple bon sens, quoique encore trop timides, touchant la fonction publique et l’éducation, furent adoptées en 2019. Vient d’être déposée à l’Assemblée nationale du Québec une nouvelle loi destinée à renforcer la laïcité : interdiction des prières dans la rue (qui bénéficient pourtant de la bénédiction inconditionnelle de l’autorité catholique : entre vendeurs de mythes, on se tient les coudes de manière œcuménique), suppression de salles de prière et interdiction du port du voile intégral dans les lycées et universités, obligation des enseignants d’avoir le visage découvert, interdiction des signes religieux dans les communications et publicités institutionnelles (on se démarque ainsi du gouvernement fédéral, soumis à son entriste clientèle religieuse, qui en raffole), interdiction des menus scolaires exclusivement halal… Mesures avant-gardistes au XXIème siècle.

Là encore, inutile de dire que les Tartuffes poussent des glapissements d’indignation et on va même jusqu’à crier au totalitarisme; ils manient aussi habilement les techniques linguistiques orwelliennes: l’exclusion, c’est l’inclusion; la fermeture devient l’ouverture; l’inégalité homme-femme, c’est l’égalité. On brandit le lacrymal épouvantail de l’exode des persécutées, notamment chez les enseignantes, complaisamment véhiculé par la télévision d’État, Radio-Canada, qui, comme par hasard, vient d’obtenir une fort belle enveloppe dans le cadre du récent budget déposé par le gouvernement Carney.

(Note historique : les religieux de toutes tendances, qui ont été des bourreaux pendant des siècles, ont souvent l’effronterie de jouer les crucifiés dès qu’ils perdent un gramme de pouvoir dans la société civile. Rappelons que, en France, on s’insurgea contre « l’école sans Dieu » instaurée par Jules Ferry en 1882; même si l’Église catholique s’était ralliée à contrecœur à la République en 1892, le pape Pie X rejeta violemment la loi de 1905).

La semaine de travail hebdomadaire légale est de 37,5 heures, mais, comme en 2019, on feint d’ignorer que les croyants disposent, quand même, de 130,5 heures (moins le temps consacré au sommeil évidemment) pour déambuler avec tous les signes religieux imaginables (hommage aux Hare Krishna) et fréquenter les innombrables lieux de culte de leur choix.

(Sauf erreur, n’est répertorié nul cas de fonctionnaire croyant(e) en tenue de ville frappé(e) par les foudres divines pendant son quart de travail; semble donc discutable l’efficacité des talismans, textiles ou autres).

Le hijab, toujours volontaire, cela va de soi

Là encore, les controverses portent surtout sur la signification du hijjab. Pour la femme (de plus de neuf  ans d’âge) qui est affublée (toujours volontairement, cela va de soi) de ce tissu, il n’aurait qu’une banale connotation « identitaire » (apparemment plus légitime que les revendications « identitaires » des civilisations occidentales, mais passons).

Au Québec, les trudeauesques multiculturalistes scandent sournoisement ce mantra : « N’est-ce pas ce qu’il y a dans la tête et non sur la tête qui compte ? ».

(Incidemment, la formule est piquante au regard d’un récent scandale scolaire à Montréal : des enseignants (si l’on peut dire), et parfois… délégués syndicaux… mus par d’étranges pulsions cérébrales, se sont permis d’escamoter certaines matières scientifiques, d’instaurer un climat de terreur passé de mode dans la pédagogie occidentale moderne et de faire de leurs écoles un mini-califat. [cf. « l’affaire Bedford[1] »]. Que l’on se rassure, à ce stade, ils sont bien protégés par leur syndicat et leur convention collective. Mais revenons aux dessus de tête).

Tant au Québec qu’en France, ainsi que le rappellent inlassablement des combattantes québécoises et françaises issues de milieux islamiques et ayant recouvré leur liberté, un accoutrement n’est pas toujours « neutre », ainsi que feignent de le croire les affidés du lobby religieux. Il peut constituer l’équivalent d’un étendard, d’un drapeau, donc le vecteur d’un message, par conséquent un instrument de prosélytisme, sans même être assorti d’un discours audible. La sympathique et douce professeure de mathématiques qui explique à ses élèves les cabalistiques mystères des équations du second degré et les postulats d’Euclide, affublée du hijjab, proclame simultanément, haut et fort, qu’« il n’y a qu’un seul Dieu et Mahomet est son Prophète » et affirme comme vérité historique la chevauchée du prophète sur son bourak à destination de la place du temple de Jérusalem, d’où il a fait son ascension vers le paradis; jadis, il en allait d’ailleurs de même des bonnes sœurs, dont les cornettes et la croix informaient leurs élèves de cette vérité historique incontestable, à savoir que le fils du charpentier a guéri des lépreux, a multiplié les pains et les poissons, a marché sur les eaux, etc., et surtout, est mort pour l’humanité, puis est ressuscité.

Bref, des vêtements peuvent synthétiser de riches doctrines.

D’ailleurs, nul fonctionnaire ne peut afficher des signes politiques, même s’il lui attribue une signification identitaire. Pour mémoire, est sanctionné par la loi pénale le port d’un uniforme policier ou militaire par un civil, tout muet fût-il.

(Note : pour mieux comprendre les modes de communication non-verbale, on consultera avec profit les traités de sémiotique, discipline scientifique qui étudie des processus de signes et de la fabrication du sens).

Qu’elles le sachent ou non, qu’elles le veuillent ou non, les têtes voilées sont les petites mains d’un projet politique : les aspirations conquérantes de l’oumma.

Pour un éclairage sur cette délicate question, allons aux antipodes, au pays de « Crocodile Dundee ».

Australie : Pauline Hanson fait scandale

Il y a quelques jours, la sénatrice Pauline Hanson a adopté une intéressante initiative pédagogique dans la haute assemblée. Comme il lui a été refusé de présenter une proposition de loi portant interdiction du port de la burqa en public dans le pays, en guise de protestation, elle est pacifiquement revenue siéger revêtue d’une burqa noire. Il ne s’agit pas ici de porter un quelconque jugement général sur le programme de son parti « One Nation » en matière d’immigration, mais simplement de tirer l’enseignement de ce seul incident.

Ō surprise, ce geste fut accueilli par d’intenses et aigus cris d’orfraie. Un geste odieusement islamophobe, raciste; il y aurait eu de sa part un manque de respect envers la foi musulmane; on parle même de doigt d’honneur. Qui vaut à Mme Hanson, réduite au silence, une censure et une suspension de sept jours. Pourtant, elle n’a violé aucune règle : il est constant que nul code vestimentaire ne s’impose aux législateurs et la vociférante sénatrice Fatima Payman, bien emmitouflée dans son hijab, qui s’exprime avec l’accent de Paul Hogan (même si elle est née en… Afghanistan), le sait pourtant mieux que personne. Au contraire, Mme Hanson renouvelait son invitation à l’assemblée à voter en faveur de sa proposition.

En 2017, elle avait fait la même démarche, qui lui valut la réprimande suivante du sénateur George Brandis, reprise à son compte il y a quelques jours par la sénatrice Penny Wong :

I am not going to pretend to ignore the stunt that you have tried to pull today by arriving in the chamber dressed in a burqa when we all know that you are not an adherent of the Islamic faith; I will caution and counsel you with respect to be very very careful of the offense you may do to the religious sensibilities of other Australians. (En v.o.)

Je ne feindrai pas d’ignorer le coup de pub que vous avez tenté en arrivant à la chambre revêtue d’une burqa alors que nous savons tous que vous n’adhérez pas à la foi islamique; je vous mets respectueusement en garde et vous conseille d’être très très prudente car vous risquez de blesser la sensibilité religieuse d’autres Australiens. (En v.f.)

Un exposé on ne peut plus correct de la situation.

Cela dit, il faut en assumer la conclusion logique : la burqa devient alors un habit liturgique sacré, dont le port est interdit aux kafirs (comme les uniformes militaires dont sont exclus les civils), sous peine de sacrilège.

Il faut donc féliciter M. Brandis et Mme Wong d’avoir ainsi fait la preuve éclatante qu’un vêtement peut bel et bien avoir une signification contextuelle. QED.

Et, sous le soleil austral, la lumière fut. Espérons qu’il éclairera aussi l’autre hémisphère.


[1] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2111640/ecole-bedford-intimidation-clan-enseignants

La parole libérée, victorieuse de la gauche cloueuse de bec?

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Le président Macron Emmanuel Macron s’adresse aux lecteurs de La Voix du Nord à Arras le 19 novembre 2025 dans le cadre de la réunion "La démocratie à l'épeuve des réseaux sociaux et des algorhithmes" © Sebastien Courdji-POOL/SIPA

Ivan Rioufol remis en liberté. Dans sa chronique, notre collaborateur s’inquiète du fameux label préconisé par Emmanuel Macron afin de distinguer le vrai du faux dans les gazettes et sur internet…


« Qu’ils se taisent ! » : la pensée mondaine s’horripile du réveil des Français silencieux. L’élite ne voit que des ploucs dans ce peuple qui relève la tête. Les salonnards s’indignent, par exemple, du succès des banquets populaires du Canon français, où bourgeois et prolos franchouillards chantent, dansent et boivent autour de cochons à la broche. Le Monde (8 novembre) y a vu « un repli identitaire » et la marque du « milliardaire réactionnaire Pierre-Édouard Stérin » supposé être derrière ces fêtes « idéologiques et politiques ». Une même indignation a répondu à la nouvelle politique de l’enseignement catholique consistant – quel toupet ! – à vouloir affirmer son caractère religieux. Guillaume Prévost, le patron, est décidé à « redonner clairement le droit à une enseignante de faire une prière le matin avec ses élèves, parce que c’est le cœur du projet éducatif ». Les évêques semblent décidés, cette fois, à tenir bon dans leur soutien à celui qui veut « parler du Christ » dans les écoles cathos.

Dans le même temps, des apparatchiks du journalisme se joignent à Emmanuel Macron dans leur commune obsession d’un contrôle du récit médiatique. Le 6 novembre, dans un café parisien, Laurent Joffrin a invité à débattre, dans l’entre-soi de la corporation, sur les « menaces sur l’info » que ferait peser la nouvelle presse d’opposition. Le Figaro y a rendu compte des propos de l’éditorialiste modèle, Thomas Legrand, suggérant d’interdire CNews et d’arrêter Vincent Bolloré. Le 12 novembre, le chef de l’État, participant à son tour à un débat organisé par La Dépêche du Midi sur « la démocratie à l’épreuve des réseaux sociaux », est reparti à l’assaut du numérique et de ses libertés, en envisageant de quitter X afin de « sonner le tocsin ». Le 19, avec La Voix du Nord, Macron a remis ça à Arras, en parlant du « far west » de l’internet. Les accusations en « complotisme » et en « extrémisme » unissent les censeurs.

A lire aussi, Didier Desrimais: France Inter: ce que le militantisme fait à l’humour…

Cependant, ces menaces sont vaines. Les nostalgiques de la gauche impériale prennent des airs de fantômes. France Inter, havre de la pensée conforme, a perdu 460 000 auditeurs (source Médiamétrie de novembre) sans avoir rien vu venir. Plus les médias alternatifs sont hués par le pouvoir et ses toutous, plus ces indésirables s’imposent comme l’authentique quatrième pouvoir. L’internet, où tout se dit, déverrouille la démocratie. Les Oubliés n’ont pas fini de faire hurler les oligarques. Lors du dixième anniversaire des attentats islamistes du 13-Novembre, il a été loisible de lire davantage de messages qui invitaient, comme celui-ci vu place de la République, à « écraser l’infâme hydre islamiste ». Naguère, il était convenable de reprendre: « Vous n’aurez pas ma haine. » Désormais, des vérités veulent être dites. La glasnost, la parole libérée, a fait tomber l’URSS…

La gauche cloueuse de bec a perdu. Son rejet de la parole dissidente l’entraîne vers les régimes obtus. Parce qu’il a refusé de se plier aux interdits des dogmes et des tyrannies, Boualem Sansal a été emprisonné par l’Algérie et abandonné à son sort, un an durant, par une grande partie de l’intelligentsia française. La libération, le 12 novembre, de l’écrivain franco-algérien, est celle d’un homme qui ne cessera de répéter que l’islam importé, qu’il ne différencie pas de l’islamisme, est une menace pour la nation: propos « d’extrême droite », récitera encore la pensée pavlovienne. Mais qui la prend encore au sérieux ?


Cette chronique est à retrouver dans le numéro de décembre du magazine Causeur, en vente mercredi 3.

Quand le théâtre se fait ballet et le ballet comédie

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© Agathe Poupeney

Une scène comme un tableau de Degas ! Des ovations ! Mieux, un triomphe pour saluer les comédiens du Théâtre Français quand le rideau tombe sur L’Ecole de danse de Goldoni, mise en scène de Clément Hervieu-Léger.


Un triomphe qui sans doute comble les acteurs, autant qu’il réjouit des spectateurs heureux de manifester leur enthousiasme à l’issue d’un spectacle si remarquablement mis en scène, si bien interprété, si parfaitement réussi.

Créée en 1759, à Venise, cette comédie fut un échec cinglant, humiliant pour Carlo Goldoni qui bientôt ira s’établir à Paris où il mourra dans l’indigence trente ans plus tard, en 1793, parce que la pension que lui versait le Roi avait été stupidement suspendue par la République.

Oubliée depuis, L’Ecole de danse n’est peut-être pas la plus éclatante de ses œuvres, mais une pièce secondaire de Goldoni demeure toujours du Goldoni. Et cette tumultueuse tranche de vie saisie au vol dans une école de danse entre un maître de ballet cupide et tyrannique et ses élèves ivres d’espérances et de vitalité, entre ces jeunes femmes désireuses de s’affranchir et de vivre libres et ces jeunes hommes qui sont pour elles le passage obligé pour accéder à une (précaire) émancipation par la voie du mariage, est comme une fenêtre ouverte sur un passé certes lointain, mais qui à certains égards demeure furieusement actuel.

Plongée dans l’univers de ballet

Clément Hervieu-Léger qui donne des cours d’art dramatique aux futurs membres du Ballet de l’Opéra de Paris a hérité en retour pour sa mise en scène de l’aide précieuse d’une Première danseuse de l’Académie de Musique et de Danse, Muriel Zusperreguy.  Elle a familiarisé les jeunes comédiens du Théâtre Français avec le quotidien des danseurs, de telle sorte que tout apparaît sur scène d’un naturel confondant et qu’on y évite les singeries qui surgissent d’ordinaire quand le monde du ballet est évoqué par des individus qui lui sont étrangers. La plongée dans l’univers du ballet est donc parfaitement réussie. Elle bénéficie de surcroît du concours d’un pianiste-répétiteur, Philippe Cavagnat, l’une de ces encyclopédies musicales qui soutiennent au clavier les cours matinaux ou les répétitions de toutes les compagnies de ballet, ce qui nous vaut ici d’entendre à bon escient des fragments de Carmen ou du Lac des cygnes aussi bien que de La Bayadère.

Avec cela L’Ecole de danse se déroule dans un cadre très remarquablement conçu par Eric Ruf, mais qui ne rappelle pas tant celui des anciennes salles de danse nichées sous la coupole de l’Opéra de Napoléon III que celles où s’ébrouaient jadis des troupes de province comme le Ballet de l’Opéra de Nice.

L’odieux sieur Rigadon

Cinq jeunes femmes, cinq jeunes hommes : ils sont, dans L’Ecole de danse, dix comédiens métamorphosés en danseurs. Et tous, en formant un groupe d’une remarquable homogénéité derrière laquelle on sent la griffe de leur conseillère, tous sont d’un naturel désarmant, d’une insolence et d’une rouerie infiniment séduisantes.

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Sur eux règne en tyran le sieur Rigadon qui est une mordante caricature de ces maîtres de ballet sans doute perfectionnistes, mais mesquins, mais rigides, sinon quelque peu sadiques, tels qu’on les voyait récemment encore dans les théâtres et les écoles de danse. Dans ce rôle, Denis Podalydès est étourdissant jusque dans les moindres de ses mimiques et de ses gestes. Et le contempler est un régal… même s’il court fugitivement le risque de forcer un peu trop le trait dans les ultimes instants du spectacle.

© Agathe Poupeney

Vivacité, humour, élégance

Incarnant des personnages venus de l’extérieur de l’école, les autres rôles masculins, pour être moins hauts en couleur, n’en sont pas moins servis par d’excellents comédiens, éperonnés par une exceptionnelle direction d’acteurs. On s’est trop souvent morfondu à la Comédie Française devant des interprètes fades, inodores, inaudibles, mal distribués et mal dirigés, pour ne pas jouir sans réserve du travail intelligent que Clément Hervieu-Léger a déployé avec le Don Fabrizio d’Eric Genovèse, le Ridolfo de Stéphane Varupenne, l’Anselmo comtal de Loïc Corbery, et même avec le notaire que joue Noam Morgensztern ou le Tognino d’Adrien Simion. Vivacité, humour, dégaine, élégance : une approche enlevée et subtile vise à un parfait naturel chez chacun des interprètes, lesquels ne sont plus des acteurs du Français, mais de ces artistes à qui Molière soufflait simplement: « Tâchez d’être ce que vous représentez ».    

Des compositions ébouriffantes 

Et l’on n’a encore rien dit des compositions ébouriffantes de Florence Viala et de Clotilde de Bayser. L’une en sœur du maître de ballet, vieille fille assez vaine pour se croire désirable, jouant aux grandes dames, mais au fond plus touchante qu’irritante dans ses vanités d’amoureuse défraîchie; l’autre, la crinière en bataille, la tenue tapageuse, en mère abusive, envahissante, amère, de ces mères qui réapparaissent à toutes époques, pensant réaliser leurs rêves par l’entremise de leur enfant qu’elles étouffent: ici la Rosina de la délicieuse Léa Lopez.  

Dans les costumes remarquables de Julie Scobeltzine qui font écho au beau décor d’Eric Ruf, sous les éclairages savants de Bertrand Couderc, Claire de La Rue du Can (farouche, impertinente et par la même attachante Felicita), Pauline Clément (rusée, habile Giuseppina), Marie Oppert  (mignonne Rosalba), Jean Chevalier (Filippino), Charlie Fabert (Carlino), mais encore Lila Pélissier, Diego Andres et Alessandro Sanna: tous, incarnant les danseurs avec une aisance qui n’exclut pas une imperceptible gaucherie de néophytes. Ils nous font glisser dans des tableaux vivants à la Degas dont les filles surtout évoquent à merveille le climat. Ce n’est pas là le moindre des plaisirs de ce spectacle irréprochable qui n’a d’autre prétention que de servir avec intelligence, efficacité, ironie et sensibilité le théâtre et Goldoni, à l’aide d’artistes qui ne refusent pas d’être les serviteurs de deux maîtres: l’humilité et le talent.


Toutes les prochaines représentations affichent complet rue de Richelieu et place Colette. Et il faudra patienter jusqu’à la reprise du spectacle à la prochaine saison. Mais il est des attentes, toutes cruelles soient-elles, qui rendent encore plus vif le plaisir de la découverte.

Toutes les  prochaines représentations affichent complet rue de Richelieu et place Colette. Mais, assure le théâtre, il est chaque soir possible de trouver les places à l’entrée de la Comédie Française.

Royaume Uni: l’insécurité culturelle en VO

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Le Premier ministre britannique Keir Starmer, au centre-gauche, et sa ministre de l’Intérieur Shabana Mahmood, au centre-droit, visitent la mosquée de Peacehaven, en Angleterre, le 23 octobre 2025 © Peter Nicholls/AP/SIPA

Comme en France, le malaise identitaire britannique plonge ses racines dans une immigration mal maîtrisée et un profond vide culturel, voire civilisationnel. Mais, il a en plus trouvé dans le modèle politique du Royaume-Uni un terreau idéal pour prospérer. Analyse.


Les trois mandats de Tony Blair, Premier ministre du Royaume-Uni de 1997 à 2007, avaient popularisé l’idée de la « Cool Britannia » – un clin d’œil à la chanson patriotique de 1740 « Rule Britannia ». Pour schématiser, le Royaume-Uni serait une nation tolérante et multiculturelle, confortable avec une identité certes affirmée mais non exclusive – à l’opposé d’une France crispée sur son identité républicaine et assimilationniste, mal à l’aise avec l’ouverture des frontières induites par la mondialisation.

Shabana Mahmood contre la submersion migratoire

Sauf que, outre le vote en faveur du Brexit en 2016, deux évènements récents sont venus remettre en cause cette belle image : la tenue d’une manifestation ouvertement anti-immigration dans le centre de Londres le samedi 13 septembre (la barre des 100.000 manifestants a été dépassée, dans un pays peu enclin à descendre dans la rue) et l’annonce en novembre d’un durcissement sans précèdent des règles régissant l’asile. Ironiquement, la ministre de l’Intérieur qui adopta une position aussi intransigeante s’appelle Shabana Mahmood et est elle-même descendante d’immigrés pakistanais. Elle met ainsi ses pas dans ceux de ses prédécesseurs conservatrices, Priti Patel et Suella Braverman, toutes deux issues de familles d’origine indienne. En fait, rien de très étonnant quand on connait la façon dont s’est construit le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.

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Car outre-Manche, « uni » n’a jamais été synonyme d’« uniforme » : le cadre institutionnel du pays a toujours été plus proche d’un conglomérat de territoires qu’un Etat centralisé, sans pour autant adopter une forme fédérale. Un tel agencement est difficile à comprendre pour des Français dont la nation a été construite par l’Etat (incarné par la monarchie absolue puis par une République forte) dans une logique centralisatrice et autour d’une langue bien définie. Au contraire, la nation britannique se structura en agrégeant divers territoires sans jamais chercher à les « angliciser ». Même une fois réalisée la fusion de l’Ecosse et de l’Angleterre en 1707 par la dissolution du parlement d’Edimbourg (des députés écossais siégeront désormais au parlement de Westminster), les territoires écossais garderont un droit local (sur la propriété notamment) qui ne sera jamais remis en cause. De même, si l’Ecosse utilise la Livre sterling, les billets de banque écossais sont différents de ceux en circulation dans le reste de la Grande-Bretagne : les coupures sont de couleurs différentes et ornées de personnages de l’histoire écossaise. Il faudrait encore ajouter au tableau les « crown depencies » (Jersey, Guernesey et l’ile de Man), des territoires qui ne font pas partie du Royaume-Uni mais sont rattachés à la couronne britannique, et les « British Overseas Territories » (Gibraltar, les Bermudes et quelques autres archipels). Concrètement, ce statut spécifique leur permet de bénéficier d’un régime fiscal particulier (leur réputation de paradis fiscaux est bien établie), mais cela signifie également que leurs habitants, lorsqu’ils viennent étudier en Angleterre, sont considérés comme des étrangers (avec à la clef des frais de scolarité bien plus élevés). Une telle hétérogénéité et l’absence quasi-totale d’un projet politique unificateur à l’instar de celui porté par la IIIème République française explique par ailleurs l’incroyable variété d’accents que compte le Royaume-Uni: pour prendre un exemple extrême, l’anglais parlé à Liverpool sonne d’une toute autre manière que l’idiome en usage à Manchester, alors que les deux villes ne sont distantes que de 31 miles (environ 50km).

Tolérance britannique

Cette construction par ajouts successifs est illustrée par la façon dont fut créé le drapeau britannique, l’Union Jack, dont l’origine remonte à 1603 lorsque James VI d’Ecosse devient James I d’Angleterre, réunissant les deux pays sous une même couronne. Un étendard commun est alors composé en superposant la croix rouge sur fond blanc de saint Georges, saint patron de l’Angleterre avec la croix blanche en X sur fond bleu de saint Andrew, patron de l’Ecosse (saint André aurait par humilité envers le Christ refusé de subir le martyre sur une croix similaire). La croix de saint Patrick, patron de l’Irlande, un X rouge sur fond blanc, ne sera ajoutée que deux cents plus tard en 1801 et survivra à l’indépendance de l’Irlande en 1920. Quant au Pays de Galles, il n’est pas représenté pour la bonne et simple raison que les terres galloises étaient passées sous contrôle anglais depuis l’échec de la rébellion des princes gallois en 1402.

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L’Angleterre étant l’entité la plus riche et la plus puissante au sein du Royaume-Uni, il n’est pas étonnant que l’identité anglaise se confonde si souvent avec la britannique : les Ecossais peuvent se sentir écossais d’abord, britannique ensuite, de même pour les Gallois et les Irlandais. Pour les Anglais, la chose est un peu plus difficile, ainsi que le souligne le sociologue américain Krishan Kumar dans son ouvrage de 2003, The making of English national identity. Alors que certaines nations se définissent par ce qu’elles ne sont pas (les Français par rapport aux Allemands, et inversement), les Anglais ne se conçoivent « ni par l’exclusion ni par l’opposition, mais par l’inclusion et l’expansion non pas vers l’intérieur mais tournée vers l’extérieur. Les Anglais se voient dans le miroir des grandes entreprises dont ils furent les initiateurs durant la plus grande part de leur histoire. Ils ont fondé leur identité comme bâtisseurs de la Grande-Bretagne, créateurs de l’Empire britannique, pionniers de la toute première civilisation industrielle au monde. (…) Une telle conception diffère du nationalisme classique en ce qu’elle déplace la focale sur les créateurs à leur création ».

Cette tolérance des Anglais envers les différences culturelles à l’intérieur de la Grande-Bretagne se retrouve dans l’attitude des Britanniques envers leurs colonies. L’expansion coloniale étant d’abord motivée par la protection des routes maritimes et l’accès à des sources de matières premières (coton, bois…) et de produits de grande consommation tels que le thé, puis par l’ouverture de nouveaux débouchés commerciaux pour les productions de l’industrie manufacturière, la colonisation elle ne s’est jamais accompagnée du désir de faire des colonisés de bons petits Anglais (ou Ecossais). Sauf que, comme le souligne K. Kumar, « les problèmes surgissent quand ces projets [d’expansion vers l’extérieur] n’existent plus. Quand l’empire arrive à sa fin, quand la suprématie industrielle n’est plus, quand la création la plus ancienne et la plus pérenne, la Grande-Bretagne elle-même, menace de se dissoudre ».

Désintégration

Le vent d’optimisme des années Blair avait mis sous le boisseau la question identitaire. Un contrôle minimal de l’immigration (tant de travail que de regroupement familial) était assumée, autant par idéalisme (faire mentir la prédiction du député conservateur Enoch Powell que la hausse des immigrés dans la population britannique aboutirait à des « rivers of blood ») que par intérêt économique – les étrangers soutenaient la croissance et le marché immobilier, tout en maintenant des salaires bas, surtout dans les secteurs peu qualifiés de la construction ou des services. La décentralisation (devolution process) a permis de limiter les revendications d’indépendance : les Ecossais et les Gallois ont leurs propres parlements avec des prérogatives étendues mais limitées, et leur « First Minister » (par opposition au « Prime minister » britannique) – ce qui durant le Covid donna lieu à des différences de régimes de confinements qui apparaitraient insupportables a des Français. L’Union Jack était partout, du mug au caleçon en passant par la robe des Spice Girls, les Ecossais commençaient à faire de même avec la croix de Saint-André, sans qu’il y ait le moindre soupçon de chauvinisme. Vingt ans plus tard, afficher la croix de Saint-Georges, qui généralement n’apparaissait que sur les maillots des équipes de foot ou rugby, passe pour de la xénophobie.

Mouvement « Raise the colors », Hertford, 27 août 2025 © Lawrie/LNP/Shutterstock/SIPA

Le paradoxe est que contrairement à la France, parler d’identité n’a jamais été tabou en Grande-Bretagne. Au fond, le malaise identitaire que ressentent autant les Britanniques que les Français tire son origine de la fragmentation des sociétés contemporaines couplée à un grand vide culturel, voire civilisationnel – que l’immigration de masse met à nu. En effet, comment s’intégrer à un espace désintégré ? Mais il est outre-Manche exacerbé par des traits de caractère typiquement anglais – voire britanniques : une politesse légèrement hypocrite mêlée a une peur panique de la confrontation. Loin d’être une faveur faite aux étrangers afin qu’ils se sentent plus confortables sur le sol britannique, le multiculturalisme pourrait être interprété comme une indifférence gênée envers les « continentals and foreigners », et viserait avant tout à les mettre suffisamment à distance – avec politesse bien sûr, et bonne conscience, deux qualités somme toute très britanniques. Car s’il existe pléthore d’ouvrages sur « How to be British », consacres aux « Very English problems » ou encore proposant d’expliquer « the art of English humour », comme le fait remarquer le journaliste David Goodhart dans son essai de 2017 The road to somewhere : The Populist Revolt and the Future of Politics: « Nous demeurons réticents à donner aux nouveaux arrivants un plan clair de ce qu’il leur est demandé (et ce qu’ils sont en droit d’attendre de nous) ».

Champagne: la revanche des «petits»

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Le monde du champagne est entré dans une nouvelle ère. À l’ombre des grandes maisons, une centaine de vignerons indépendants élaborent des vins peu gazeux et profonds qui ont leur identité propre, tels de grands Bourgogne. Les amateurs en raffolent, et ils sont de plus en plus nombreux.


« Avant, le champagne, c’était des bulles. Aujourd’hui, c’est du vin ! En tout cas, c’est ce que nous essayons de faire, nous autres petits vignerons… » Ces quelques mots prononcés par Didier Vergnon, au village du Mesnil-sur-Oger, montrent bien que le monde du champagne est entré dans une nouvelle ère ces dernières années. Oui, l’essentiel est dans le vin, et donc dans les raisins, dans la terre, cette terre bénie que les moines champenois goûtaient autrefois pour savoir quel goût aurait leur vin en fonction des parcelles, pas dans ces satanées bulles (certains vignerons, comme Cédric Bouchard, les détestent et s’en passeraient bien !), ces bulles qui servirent longtemps aux grandes maisons de « cache-misère » alors qu’elles ne sont en réalité que les messagères des secrets du vin.

Pionniers

L’idée selon laquelle on pourrait faire en Champagne des vins authentiques et profonds, ayant une identité, à la manière des grands vins de Bourgogne, est (ré)apparue au début des années 2000 essentiellement chez trois vignerons de génie : Anselme Selosse, Pascal Agrapart (tous deux implantés au village d’Avize) et Francis Egly-Ouriet (à Ambonnay). Peut-être y en a-t-il eu d’autres (la maison Philipponnat passe pour avoir été la première à produire un champagne de parcelle, le Clos des Goisses). En tout cas, si la notion de « vin de Champagne » a un sens, c’est bien chez ces trois pionniers dont les champagnes peu dosés, issus de petits rendements et élevés en fûts de chêne, se vendent aujourd’hui à prix d’or et au compte-gouttes (inutile donc d’aller les voir).

Historiquement, la révolution a germé dans les années 1970 quand une poignée de vignerons s’est révoltée contre le productivisme chimique qui était en train de détruire la nature (les poubelles de Paris étaient alors acheminées pour servir d’engrais, et à certains endroits, les plastiques jonchent les sols cinquante ans après !). Rendons hommage à ces pionniers : Jacques Beaufort (Ambonnay), Jean Bliard (Hautvillers), Serge Faust (Vandières), Roger Fransoret (Mancy), Georges Laval (Cumières), Yves Ruffin (Avenay-Val-d’Or), Pierre Thomas (Oger).

Si vous voulez donc découvrir le goût que peut avoir un vrai champagne de vigneron, voici une liste de gens que j’aime et chez qui on peut encore acheter des bouteilles sur place, sachant que sur les 16 000 vignerons champenois, la plupart vendent toujours leurs raisins aux grandes maisons, 400 seulement sont répertoriés comme « indépendants » et une centaine, à mon avis, élaborent des vins remarquables : Benoît Déhu à Fossoy, Benoît Lahaye à Bouzy, Benoît Bernard à Dizy, Pierre Larmandier-Bernier à Vertu, Julien Launois au Mesnil-sur-Oger, Anthony et Clémence Toullec à Rilly-la-Montagne, Davy Dosnon à Avirey-Lingey, Marianne et Jean-François Gamet à Mardeuil, Olivier Horiot aux Riceys. Allez-y les yeux fermés !

Escapade

J’ai toujours aimé l’idée d’escapade : on part tôt le matin et l’on s’en va explorer le vignoble champenois, façonné au lendemain du baptême de Clovis (le jour de Noël 496) par des générations d’évêques et de moines ! (Un peu trop catho tout cela, non ?)

Prenez donc la direction du village du Mesnil-sur-Oger, à 14 kilomètres d’Épernay. On est ici au sud de la côte des Blancs. Les vins y sont exclusivement à base de chardonnay. Ciselés et tendus, fins comme de la dentelle, ils possèdent un éclat unique. Construit à flanc de coteau, ce village marqué par la guerre de 14-18 est mondialement connu pour ses deux champagnes de légende : Clos du Mesnil de Krug et Salon.

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Né ici, Didier Vergnon est un vrai Champenois, têtu, fier et cabochard ; il se souvient du bruit des sabots des chevaux sur les pavés, de tous les commerces qui faisaient vivre son village: « Il y avait trois boucheries, deux boulangeries, une épicerie, un coiffeur, un bar-restaurant, un cordonnier… » Aujourd’hui il n’y a plus rien: « Il ne nous reste plus qu’à boire. »

Le père de Didier, Jean-Louis, a créé son domaine en 1950, un geste rare à l’époque, où tous les vignerons préféraient vendre leurs raisins à la coopérative du Mesnil, alors que cultiver la betterave rapportait plus. Quatre hectares situés exactement sur le même terroir que Krug et Salon, mais chez les Vergnon, la bouteille se vend à partir de 36 euros, un peu comme si on trouvait du Pomerol à ce prix-là sur le terroir de Pétrus ! « Mon père a été le pionnier du champagne peu dosé. Ce style tendu et minéral était une nouveauté à l’époque, aujourd’hui, c’est la marque des champagnes de gastronomie. Il est mort devant son pressoir en 1989. »

Didier a passé le relais à son fils Clément qui, à 36 ans, perpétue le savoir-faire familial: « Les raisins sont toujours récoltés manuellement et pressés lentement sur place. On bloque la fermentation malolactique par le froid afin de privilégier la vivacité et la fraîcheur », nous dit-il.

En buvant leurs champagnes, élevés dans de vieux fûts de chêne qui leur apportent élégance et complexité, on sent bien le vin, la craie, le citron, la pomme verte et les fleurs blanches ; en vieillissant, ils développent des senteurs de frangipane et de brioche. Ils se marient bien avec la cuisine asiatique. À Paris, Pierre Gagnaire et Yannick Alléno les ont inscrits sur leur carte, une belle reconnaissance pour de « petits » vignerons.


Domaine Jean-Louis Vergnon, 1, grande rue, 51190 Le Mesnil-sur-Oger, Tél. : 03 26 57 53 86, champagne-jl-vergnon.com.

À table !

Pour déjeuner, précipitez-vous à La Grillade Gourmande à Épernay.

Né à Lyon en 1967, Christophe Bernard a été formé chez Paul Bocuse qui lui a transmis le flambeau de la cuisine française généreuse avec des os, de la crème, de la sauce et des produits qui ont le goût de ce qu’ils sont. Sa force est la cuisson des viandes et des poissons au feu de bois qui les dégraisse et apporte des arômes subtils. Il faut découvrir ses rouelles de homard à l’escalope de foie gras chaud grillé sur la braise, son pigeonneau désossé au chou, cuit en feuilleté, avec une sauce parfumée à la truffe noire… Un régal avec un rosé de saignée bien vineux !

La Grillade Gourmande, 16, rue de Reims, 51200 Épernay, menus à 29, 47 et 69 euros, lagrilladegourmande.com.

Le philosophe Sénèque entre otium et suicide

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Le philosophe et écrivain français Maxime Rovere © Pascal Ito / Flammarion

Une nouvelle traduction des « Lettres à Lucilius » est un événement important pour les admirateurs du philosophe stoïcien.


Le stoïcisme est une philosophie antique qui, de nos jours, connaît un certain regain d’intérêt. Peut-être parce que les temps sont durs, et que nos contemporains cherchent à affermir leur âme devant les vicissitudes de l’existence. La définition qu’en donne Alain Rey, dans son Dictionnaire historique, nous éclaire : pour le stoïcisme, « le bonheur est dans la vertu » et il prône avant tout « l’indifférence devant ce qui affecte la sensibilité ». Cette doctrine a été illustrée par des philosophes comme Marc Aurèle, Épictète, et bien d’autres encore, dont Sénèque, sans conteste l’un des meilleurs, et auteur notamment des Lettres à Lucilius. Celles-ci font justement l’objet d’une nouvelle traduction intégrale, proposée par l’écrivain-philosophe Maxime Rovere, connu pour ses travaux sur Spinoza. Il publie en parallèle un court essai, dans lequel il donne son point de vue sur cette somme essentielle de la philosophie stoïcienne. Le livre est intitulé Vivre debout et mourir libre, « Les dernières leçons de Sénèque » et paraît chez Flammarion. Il est prévu que ces Lettres reparaissent plus tard dans la collection de poche GF Flammarion. Ainsi, ni les étudiants, ni les honnêtes gens ne pourront plus prétexter : « Sénèque, connais pas ! »

Caractériser l’œuvre de Sénèque

D’abord quelques mots sur cet essai de Maxime Rovere, dont le titre Vivre debout est déjà tout un programme. Rovere cherche à voir dans l’œuvre de Sénèque une approche positive de la vie. Il pense qu’avec cet auteur, « la philosophie devient une voie royale orientée par des ambitions grandioses ». Le livre de Rovere, c’est peut-être son défaut, regorge de telles affirmations contestables, même si des références aux Lettres sontindiquées dans la marge, pour que le lecteur puisse aller en vérifier par lui-même le bien-fondé et se faire son opinion. Rovere lance ainsi des pistes variées qui, parfois, laissent perplexe. Il écrit par exemple que Sénèque réussit à « atteindre sans délai une immortalité si assurée, si vécue, qu’elle éradique définitivement toute crainte de la mort ». Je ne voyais pas les choses comme ça. Selon moi, l’enthousiasme n’était pas le fort de Sénèque, philosophe rassis. Il avait, comme on sait, médité sur la mort chaque jour de sa vie ; et le suicide, en particulier, lui semblait une échappatoire recommandable. Rovere, si j’ai bien compris, essaie de nous convaincre que le suicide, revu et corrigé par Sénèque, est seul porteur de liberté pour l’homme : « la mort volontaire et la philosophie, écrit-il, révèlent la liberté de l’individu à l’égard de sa propre existence… » Certes, peut-être, mais encore ? Comment peut-on expliquer ceci ?

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Le texte même de Sénèque

En fait, pour en avoir le cœur net, il faut revenir au texte même de Sénèque. C’est le moment, alors, de se plonger, ou de se replonger, dans ces Lettres à Lucilius, gros pavé de plus de 700 pages, dans lequel Sénèque offre un panorama passionnant du stoïcisme, avec au premier plan évidemment la question de la mort. La précédente traduction remontait à une cinquantaine d’années. C’était celle de Paul Veyne, que j’appréciais moins. On disposait aussi de l’édition bilingue aux Belles Lettres, une traduction universitaire non dénuée d’intérêt. Rovere, lui, a fait porter ses efforts sur l’accessibilité du texte, afin d’obtenir un résultat aisé à lire. Je dois dire que c’est une vraie réussite. La phrase est fluide, très contemporaine aussi. On reconnaît ce langage, le langage de Sénèque, comme nôtre. Cette version sera peut-être démodée dans x années, au gré de l’air du temps, mais c’est celle qu’il faut lire en 2025 pour sentir la modernité de Sénèque.

Mettre à profit l’oisiveté

La philosophie de Sénèque, nous dit Rovere, « ne se satisfait pas d’une adhésion intellectuelle ». Elle demande davantage : qu’on la vive vraiment. Avant toute chose, Sénèque préconise — lui aussi — l’otium, c’est-à-dire l’oisiveté, ces instants où l’homme est seul avec lui-même, près de ses livres, et où il peut s’occuper spécialement d’acquérir la sagesse, avant de l’appliquer dans la société. Chez les Romains, le désœuvrement devait être mis à profit. Ce n’était pas du temps perdu. Au reste, les Lettres à Lucilius ont été écrites justement alors que Sénèque s’était éloigné de la cour, et n’exerçait plus aucune fonction politique auprès de Néron. Il se doutait cependant que ce repos n’aurait qu’un temps, et que le tyran lui enverrait un centurion pour lui intimer l’ordre de se supprimer. Le prétexte en fut la conjuration de Pison, à laquelle Sénèque fut mêlé de très loin. Je n’ai pas la place ici de vous raconter en détail sa mort, mais elle se déroula dans la pure tradition du stoïcisme : son suicide fut l’accomplissement d’une sagesse. Le vieil historien de Rome, Pierre Grimal, la raconte comme un morceau d’anthologie, dans son livre sur Sénèque. Cette fin fut presque aussi grandiose que celle de Caton et contribua à la renommée posthume des livres du philosophe, comme le précisait Grimal. En effet, Sénèque avait acquis, ce faisant, la réputation de ne pas mentir. Il répondait de ce qu’il avait écrit. Il était évident qu’on pouvait faire confiance à un tel homme. On peut aussi faire confiance à la traduction de Maxime Rovere, ce qui est plutôt une bonne nouvelle.


Sénèque, Lettres à Lucilius. Traduction intégrale de Maxime Rovere. Éd. Flammarion. 832 pages.

Maxime Rovere, Vivre debout et mourir libre, « Les dernières leçons de Sénèque ». Éd. Flammarion. 224 pages.

Pierre Grimal, Sénèque ou la conscience de l’Empire. Paris, 1978.