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Le cas Jablonka ; ou quand la révolution woke mange ses propres enfants

Le patriarcat dénoncé par un patriarche déguisé en féministe


Le cas Jablonka ; ou quand la révolution woke mange ses propres enfants
Ivan Jablonka a obtenu le prix Médicis en 2016 pour "La Fin des hommes" © LEWIS JOLY/SIPA Numéro de reportage : 00779376_000006.

Au cours de ses publications et interventions médiatiques, l’historien qui s’auto-proclame féministe et ennemi du patriarcat s’est évertué à reproduire la bouillie répétitive et décérébrée du discours woke. Sans même réussir à plaire à son public cible. Analyse de l’oeuvre d’un « être-à-pénis » apparemment incapable de se débarrasser de son privilège masculin.


Dans un article récent paru dans ces colonnes, Antoine Desjardins nous a narré les dernières mésaventures de l’historien et écrivain Ivan Jablonka, l’autoproclamé farouche allié des femmes prêt à tout pour les soutenir, y compris, semble-t-il, à plagier grossièrement les écrits névrotiques de l’une d’entre elles. Pour quelqu’un qui se targue de valoriser la gent féminine, ça la fiche mal. Malheureusement pour lui, ce n’est pas la première fois que cet auteur tout ce qu’il y a de plus woke est la cible de celles qu’il entend pourtant défendre bec et ongles. Souvenez-vous…

En 2019, après avoir ingurgité toute la soupe féministe d’obédience rousseauiste (tendance Sandrine, pas Jean-Jacques), Ivan Jablonka la régurgitait sous la forme d’un livre au titre éloquent : Des hommes justes. Du patriarcat aux nouvelles masculinités. Résumons l’ouvrage en question : selon l’auteur, les hommes dominent les femmes depuis la nuit des temps (scoop : « Déjà, autour de -20 000 et de -10 000, les femmes enfantent et les hommes chassent ») ; ça a persisté comme ça jusqu’à nos jours car « toutes les statistiques montrent que les tâches ménagères ainsi que la charge mentale incombent encore aux femmes dans la plupart des pays » ; ce patriarcat ancestral « sous-pensé » serait passé sous les radars contemporains car « les programmes scolaires n’en parlent pas » ; les hommes sont sournois et malins, la preuve : la « masculinité » a pu dominer en exhibant vigueur et courage mais aussi « en intégrant une ambiguïté féminine », c’est « cette plasticité qui permet cette incroyable longévité, millénaire après millénaire ».

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L’auteur ayant définitivement chaussé ses lunettes idéologiques, il distingue des « points aveugles » un peu partout : « Les femmes demeurent aujourd’hui un point aveugle de la démocratie », dira-t-il sur France Inter« Les masculinités sont un point aveugle de l’histoire, de la philosophie et de la morale », écrira-t-il dans Télérama. Sa vue perdant toutefois de son acuité au fur et à mesure que sa pensée s’égarera dans la fumée de sa propre conception, Jablonka provoquera un journaliste en lui intimant l’ordre de citer, s’il le peut, « un auteur classique qui a pensé le masculin, hormis pour dire que c’est un modèle à imiter ! » Il poussera en outre la drôlerie jusqu’à laisser penser qu’il surpasse Aristote et Rousseau (Jean-Jacques, pas Sandrine) qui, selon lui, « sont passés à côté d’une question aussi importante que la justice de genre »

En plus d’ignorer ses propres limites, M. Jablonka ne sait rien ou ne veut rien savoir des « figures du masculin », pour parler comme lui, que recèle la littérature classique, cette exploratrice des profondeurs humaines, figures qui ne sont pas toujours, loin s’en faut, des « modèles à imiter ». Il feint d’ignorer l’existence des hommes que la littérature a décrits sous les lumières les plus cruelles, les plus sordides, les plus sombres, l’incommensurable foule d’hommes fourbes, manipulateurs, crétins, amourachés, paresseux, débiles, égoïstes, hommes de cette humanité que M. Jablonka passe sous silence, hommes cruels de cette partie de l’humanité cruelle, hommes bêtes de cette partie de l’humanité bête, hommes fous de cette partie de l’humanité folle, mais aussi hommes sublimes de cette partie de l’humanité sublime, loin des stéréotypes dessinés vulgairement et paradoxalement par tous ceux qui disent lutter contre les stéréotypes et réduisent pourtant le « masculin » à une culture de vestiaire, à la violence et l’agressivité, à des porcs, à des dominants

Comme ses congénères wokes, M. Jablonka veut du simple, du binaire, du systématique. Il veut aussi, impitoyable époque de délation, des coupables en pagaille, des procès anachroniques, des renversements dans l’air du temps. Il dénonce donc en vrac l’homophobie, le racisme, le patriarcat et… la masculinité. L’auteur de la pénible et narcissique plainte autobiographique intitulée Un garçon comme vous et moi (Éditions du Seuil, 2022) demande aux hommes de « remettre en cause leurs prérogatives et leur aristocratie de genre ». Sur France Inter, il réclame une « nuit du 4 août où les hommes renonceraient à leurs privilèges » et regrette que le mot « patriarcat » soit aussi peu employé. Sans doute M. Jablonka est-il resté cloîtré chez lui, enfermé dans son bureau à réfléchir puissamment à la « masculinité toxique », à déborder d’idées nouvelles pour « dérégler le patriarcat », et n’a-t-il pas pris le temps de suivre l’actualité – car jamais le mot « patriarcat » n’a été employé avec autant d’allant que cette dernière décennie, en particulier dans toutes les parties du globe où le patriarcat n’est plus, et depuis un moment déjà, qu’un macchabée. Il en va ainsi de certaines choses qui ont disparu et que seul rappelle au bon souvenir le mot lui-même et seulement lui. C’est donc à un combat sans grand risque que se livre M. Jablonka en fichant des coups de pied dans un cadavre. Il n’est pas le seul. Les féministes les plus paresseuses et les plus opportunistes se glorifient de cette bataille gagnée d’avance – en prenant soin de ne pas évoquer un autre patriarcat, un patriarcat d’importation, pourrait-on dire, autrement plus vivace et redoutable que celui qu’elles dénoncent et qui prend de plus en plus ses aises dans notre pays. 

Quoi qu’il en soit, par les temps qui courent, vouloir dénoncer la masculinité toxique et flatter les combats féministes lorsqu’on est un homme peut s’avérer risqué. Mme Camille Froidevaux-Metterie, philosophe, professeure de science politique et chargée de mission égalité-diversité (sic) à l’université de Reims, l’a rappelé à M. Jablonka juste après la parution de Des hommes justes, dans un réjouissant article paru dans Libération : « Ivan Jablonka retrace une histoire du patriarcat et de l’émancipation féminine en faisant peu ou pas référence aux travaux des femmes qui ont pensé et analysé la domination masculine ». La philosophe n’a pas accusé l’auteur de plagiat mais a refermé son livre en pleurs, indignée et « stupéfaite devant la superficialité de l’analyse et le mépris dans lequel sont tenues les autrices qui ont pensé la domination patriarcale ». Florilège des griefs que Dame Froidevaux-Metterie adressait alors au Sieur Jablonka : il ne citait pas suffisamment les travaux des femmes féministes et ne proposait de soi-disant nouveaux concepts que pour faire le malin et se distinguer des travaux écrits par des femmes ; il établissait une nouvelle hiérarchie qui laissait accroire que le penseur de la masculinité qu’il prétendait être voyait mieux et plus loin que les penseuses féministes qu’il ignorait ou minorait ; il osait prétendre que les représentantes du féminisme ne sont pas toujours d’accord entre elles ; il ne parlait passuffisamment du féminisme radical et des études de genre et n’évoquait que superficiellement le féminisme intersectionnel. Un vrai travail de gougnafier mâle, voilà ce qu’a pensé notre chargée de mission égalité-diversité-fessée du bouquin de M. Jablonka. Un dernier coup de règle sur les doigts du paltoquet en guise de conclusion : « On aurait apprécié qu’il pense la révolution féministe comme un projet au sein duquel les hommes ont, certes, une place à tenir, mais certainement pas celle de pionniers ». Ouille ! 

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Pionnier, il semblerait donc qu’Ivan Jablonka ne l’ait pas été non plus en utilisant le concept, au demeurant stupide, de « culture du féminicide » (voir son livre, La Culture du féminicide, Éditions du Seuil, 2025). « Ivan Jablonka, auteur deHommes justes, est un homme injuste, en raison de sa condition de privilégié en tant qu’homme blanc et européen, par rapport au travail universitaire et à la production intellectuelle d’une femme noire latino-américaine », a baragouiné sur X, en charabia woke, Esther Pineda G. Cette « chercheuse » vénézuélienne reproche à M. Jablonka d’avoir plagié son travail et de lui avoir piqué l’idée de « culture du féminicide ». Comme nombre de ces êtres médiocres ayant suivi un cursus sociologique empreint de wokisme, cette dame fait feu de tout bois pour tenter d’élargir son auditoire – son féminisme radical et son antiracisme de circonstance ne sont en réalité que des poses opportunistes, le moyen d’atteindre une position avantageuse dans les milieux culturels ou universitaires sans se fouler le tempérament. 

Il semblerait bien qu’aucun pays ne soit à l’abri de ce genre d’énergumènes. En France, on ne compte plus les adeptes de la religion woke et de ses ramifications écologistes et féministes s’appropriant les misérables « concepts » progressistes qui engorgent le système médiatico-universitaire. Chacun espère bien entendu une invitation sur France Culture ou une publicité dans Le Monde ou Télérama lors de la parution d’un énième opuscule dérisoire sur tel ou tel sujet progressisteéculé, usé jusqu’à la corde, flétri d’avoir déjà tant servi. Après la culture du viol, le privilège blanc et l’hégémonie hétéronormative, voici venu le temps de la culture du féminicide que M. Jablonka appelle également idéologie gynocidaire. Plagiat, pas plagiat ? Plagiat, évidemment – mais plagiat de plagiat, car du néo-féminisme au racialisme, de la théorie du genre à l’écologisme, les essais wokes se plagient mutuellement et se ressemblent tous : mêmes notions déconstructivistes, même langue cachectique, mêmes obsessions anti-occidentales, mêmes larmoiements victimaires, mêmes références remâchées, mêmes slogans anémiés, mêmes platitudes intellectuelles, mêmes tripatouillages conceptuels, bref, même bouillie informe et répétitive sans aucune once d’intelligence ou d’originalité. 

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Pour surnager durablement à la surface de cette soupe et en tirer tous les bénéfices escomptés, il manque à M. Jablonka, malgré de notables efforts pour s’en approcher le plus possible, la médiocrité intellectuelle, la négligence littéraire et la bêtise intrinsèque d’une Mona Chollet, par exemple. De plus, malgré ses dénégations, il reste, aux yeux des féministes radicales, un « mâle », c’est-à-dire un objet de détestation : « Quand on est féministe, on est nécessairement misandre », affirme Mme Froidevaux-Metterie dans Le Monde (25 mai 2025). Le destin de cet indéfectible allié du néo-féminisme, de ce repenti du « système masculiniste », de cet « être-à-pénis devenu puissant socialement », ainsi qu’il se définit lui-même, est dès lors tout tracé. La révolution woke, comme toute révolution, mangera jusqu’au dernier de ses enfants avant de sombrer dans l’indifférence puis dans l’oubli. De l’inconsistant et rachitique Ivan Jablonka, elle ne fera qu’une bouchée. 

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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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