Accueil Site Page 1146

LGBTHOVEN


Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne!


Pauvre Ludwig ! Ce n’était pas assez de perdre l’oreille à 25 ans. Pas assez de voir son anniversaire saboté par un microbe (né en 1770, 2020 est son quart de millénaire, la fiesta promettait). Pas assez. Il faut encore se faire gommer par les effacistes.

Du passé faisons table rase…

« Cancel culture » qu’ils disent. Culture à effacer avec Colbert, Schœlcher, Polanski et Woody. Donc, comme cadeau de deux-cent-cinquantenaire, les effacistes effacent Beethoven. Son crime ? Avoir composé la Cinquième symphonie. Pompompompom : cri primal du colon dominateur. Quelques Black Lives Avengers comme le critique James Bennett II avaient lancé l’alerte. Deux thermidoriens new age, le journaliste pop Charlie Harding et son double musicologue Nate Sloan, rejoignent aujourd’hui le comité de salut public sur le média américain Vox. « Depuis la création en 1808, écrivent nos experts, les auditoires ont interprété ce parcours [du pompompompom initial à l’ut final, NDLR] comme une métaphore de la résilience personnelle de Beethoven face à la surdité. » Mais en vrai, ce que raconte la Cinquième, c’est la marche triomphale du macho « blanc et riche » à la tête de sa légion réactionnaire. « Pour d’autres groupes – personnes LGBTQ+, personnes de couleur – la symphonie de Beethoven peut surtout rappeler que la musique classique est une histoire de l’exclusion et de l’élitisme. »

À lire aussi, Jeremy Stubbs : La « cancel culture », cette effrayante intolérance progressiste

Selon cette théorie pas tellement nouvelle, Mozart était cool parce qu’on pouvait applaudir entre les mouvements de ses concertos et bouffer des chips pendant ses opéras, alors que Beethoven aurait inventé l’Œuvre avec un gros Œ, qui domine, qui intimide, qui écrase le public. Pas tousser, pas hurler, pas bouger, « signifiants de la classe bourgeoise ». D’où « un mur entre la musique classique et un public nouveau et divers. » Mur inauguré truelle en main par Beethoven. Et vive la pop citoyenne qui vous cause d’égal à égal.
Vous direz : laissez ces tarés tarer. Mais voyez-vous, ces maîtres-là ont des disciples, plein de disciples, chaque semaine plus nombreux. Et depuis que Notre Castex a fermé les salles de concert, si on ne vole pas au secours du brave Ludwig, qu’est-ce qu’il va devenir ?
Alors. Déjà tomber sur Beethoven relève du parfait opportunisme, genre tu vas voir comment ton anniv ça être ta fête. Bach non plus, il n’en a rien à foutre de ton moi écoresponsable : il compose directement pour Dieu, pour prouver Dieu comme dirait Pascal. Et le mégalo Michel-Ange, tu crois qu’il t’inclut inclusivement ? Depuis que l’art est art y’en a des qui chatouillent et des qui gratouillent (et des qui ni l’un ni l’autre). Et puis ?

À qui le tour ?

Et puis, question mur, la pop ne se gêne pas tant. Le Floyd, dans The Wall justement, il se mouche du genou ? D’ailleurs qui leur a dit, aux effacistes, que Beethoven était un militant hétéro à la recherche des bourgeois en fleur ? Il leur crachait dessus, aux bourgeois. Depuis deux siècles la Cinquième reste un mystère sans classe, à la fois le plus écrasant et le plus populaire.

À lire aussi, Edouard Girard : Une considération actuelle : David Doucet, La Haine en ligne

Élitiste ? Si on admet que le marché a changé d’élite. À l’époque de Beethoven, ses patrons roulaient en carrosse et lui en carriole ; à l’époque de Rihanna, Madame roule en Lamborghini et ses fans en métro. Cherchez le bourgeois.
Et maintenant à qui le tour ? Accusé de child abuse, voilà un candidat solide, qui s’écriait « I’m not gay », n’aimait la peau que blanche, se voyait très au-dessus de nous autres et se comparait publiquement à Jésus. Je propose donc d’effacer Michael Jackson.

La Haine en ligne: Enquête sur la mort sociale

Price: 18,90 €

20 used & new available from 2,63 €

Vu en Amérique... Bientôt en France

Price: 20,90 €

23 used & new available from 2,49 €

Luc-Olivier d’Algange ou l’Europe secrète

0

On réédite quatre titres de l’écrivain néo-païen qui en appelle au déconfinement de la pensée. 


Lecteur de Balzac, disciple du gnostique Raymond Abellio et du mystique monarchiste Henry Montaigu, Luc-Olivier d’Algange poursuit depuis des décennies une quête exigeante, nourrie d’immenses lectures, de Platon à Nietzsche, et dont l’objectif est toujours de « sauvegarder en soi, contre les ricaneurs, le sens de la tragédie et de la joie ».

Pensée orphique et contre modernité

Même s’il en appelle parfois au Christ, un Christ solaire et victorieux à des années lumières du dolorisme ecclésiastique, Luc-Olivier d’Algange se révèle Hellène, adepte d’une pensée de type orphique. Contre-moderne résolu, allergique aux « voies ferrées » de l’infralittérature officielle, il résiste à toutes les formes d’hébétude et d’anesthésie, à la massification globale comme aux formes nouvelles d’obscurantisme.

Il y a chez lui du paladin de l’ancienne France royale et du mystique de l’Allemagne secrète. Par son travail de recherche et d’approfondissement effectué dans la solitude et dans l’indifférence aux modes, l’homme prépare un « dé-confinement » esthétique et spirituel, une sortie de la Caverne ainsi qu’un recours à l’essentielle leçon des Grecs, nos Pères : faire de l’homme « la mesure de toute chose » pour citer le Protagoras de Platon. Il s’agit bien de faire contrepoids aux langueurs du déclin : « L’exil intérieur est source de folles sagesses dont aucune ne se soumet à la tristesse ».

Ombre de Venise et souvenir de Dominique de Roux

C’est dire s’il faut applaudir la réédition revue et augmentée de quatre de ses livres dans la belle collection Théôria que dirige Pierre-Marie Sigaud chez L’Harmattan, et qui a pris la suite de la regrettée collection Delphica des éditions L’Âge d’Homme. Il s’y retrouve en bonne compagnie aux côtés de Françoise Bonardel, de Jean Borella ou de Frithjof Schuon. L’ombre de Venise, le salut aux mânes de Dominique de Roux, les relectures de Dante et d’Hölderlin, l’alchimie et Henry Corbin peuplent des pages marquées au sceau de l’exigence.

Luc-Olivier d’Algange ou le Bon Européen, celui « qui ne se soumet point au temps » !

Luc-Olivier d’Algange, L’Âme secrète de l’Europe, L’Harmattan.

L'âme secrète de l'Europe: Oeuvres, mythologies, cités emblématiques

Price: 41,50 €

13 used & new available from 13,79 €

M. le président, il faut économiser sa honte!

0

Après les violences subies par Michel Zecler lors de son interpellation par des policiers, le président semble rejoindre ceux qui s’indignent et ont manifesté bruyamment ce samedi 28 novembre. L’analyse de Philippe Bilger.


Le président de la République a délivré un long message sur Facebook où il faisait part de sa « honte » face aux images « insupportables » de la brutalité durable et raciste dont Michel Zecler, un producteur noir, a été la victime à l’intérieur du studio comme à l’extérieur de la part de trois fonctionnaires de police, un quatrième jetant une bombe lacrymogène.


Pourquoi ces vidéos ont-elles indigné bien au-delà du cercle des opposants compulsifs de la police quoi qu’elle fasse, des idéologues aspirant à ce qu’elle seule soit livrée pieds et poings liés à ceux voulant « bouffer du flic »?

Parce que ce déchaînement de violence, apparemment, a surgi comme une malfaisance inspirée par rien d’autre que le besoin de libérer une agressivité folle à l’encontre de cet homme traité de « sale nègre ». Parce que ce dernier, contrairement à tant de polémiques imputant à la police les comportements non civiques de ceux la fuyant ou se battant avec elle, n’a eu rigoureusement rien à se reprocher, bien au contraire, dans cette trop longue fureur exclusivement policière.

Cet unanimisme mêlant président, ministres, élus, droite et gauche, journalistes, célébrités, footballeurs, humanistes patentés et compassionnels conjoncturels, pourrait réjouir alors que tout démontre que notre démocratie est rien moins qu’unie. Pourquoi cependant, face à un tel maelström, est-ce que je me sens un peu gêné, comme si c’était trop?

A lire aussi, Driss Ghali: Le noir, le bibelot et le tapis de bain

Ces dernières semaines, tant de choses nous ont sollicités qui sur les plans sanitaire, de l’ordre, de la sécurité et de la police ne brillaient pas par la cohérence et la limpidité qu’on a le droit de réfléchir au-delà de cet odieux épisode. La gestion totalement erratique d’un article 24 pourtant nécessaire pour protéger la police, notamment dans sa sphère privée, a constitué cet article comme un repoussoir instrumentalisé par les journalistes avant que le Premier ministre ajoute à la confusion par ses fluctuations.

La sincérité de Gérald Darmanin questionnée

Si le président de la République a semblé transmettre récemment des dates susceptibles de nous rassurer sur l’existence d’un dessein gouvernemental, il n’empêche que tous les exclus de novembre et de décembre, rejetés jusqu’en janvier, sont dans un état de désespérance et de colère où l’incompréhension le dispute à un sentiment puissant d’injustice. Il apparaît qu’il y aurait un « sanitaire » deux poids deux mesures et qu’on peut craindre que notre société déjà largement éprouvée s’enfonce l’année prochaine dans un gouffre tragiquement mesurable.

Sur la police elle-même, on est heureux d’apprendre que le préfet de police a demandé à ses troupes de respecter « une ligne républicaine ». Je suis persuadé qu’il ne s’oublie pas dans cet avertissement. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin devient une cible commode. Il est vrai que lui-même mène une politique qui ne plaît pas à ce qu’il y a de gauche dans LREM et le fait de telle manière en mêlant, ces derniers jours, juste rigueur et démagogie précipitée qu’il peut faire douter de la constance et de la sincérité de son projet. Il donne trop l’impression d’avoir des embardées contradictoires plus qu’une plénitude digne de ce nom.

Gerald Darmanin photographié avant son entretien au journal de 20 heures de France 2, le 26 novembre 2020 © Thomas COEX / AFP.
Gerald Darmanin photographié avant son entretien au journal de 20 heures de France 2, le 26 novembre 2020 © Thomas COEX / AFP.

Mais à tout seigneur tout honneur. Le président de la République n’a pas seulement eu « honte ». Il a affirmé qu’il « croyait en la République exemplaire et en une police exemplaire » et qu’il attendait rapidement qu’on lui soumette des mesures pour lutter contre les discriminations dans la police. Incitant à ne jamais succomber à la violence, d’où qu’elle vienne, il ne risquait pas, avec ces nobles banalités, d’être contredit. L’action est malaisée: le verbe généreux compense et console.

Le terme « croire » est signifiant. Il manifeste comme l’exigence ne relève pas de la volonté mais du souhait.

Pour cette République exemplaire, serait-ce enfin l’irruption bienfaisante d’un nouveau monde de l’éthique quand depuis 2017 l’ancien a dominé?

Pour cette police exemplaire, il convient surtout de ne pas tirer de la brutalité inouïe que Michel Zecler a subie, des conclusions qui globaliseraient.

Mais qu’on me permette de ne pas tomber dans une absurde stupéfaction révélant à la fois une méconnaissance de la réalité et une naïveté face à la difficulté des missions policières. Dans la mesure où j’ai toujours soutenu que l’usage de la force légitime par la police était conforme à l’esprit républicain, je n’ai jamais minimisé les rares violences illégitimes que certains fonctionnaires pouvaient commettre, de sorte que je ne suis pas surpris, mais tétanisé par leur caractère délibéré.

Les manifestants du 28 novembre oublient les violences dont sont victimes les policiers

Je n’oublie pas non plus que pendant qu’on compatissait avec ce producteur, d’autres policiers, au quotidien, étaient victimes de scandaleuses résistances, de graves atteintes et que par exemple dans le même trait de temps une quinzaine de voyous, en Seine-et-Marne, s’en prenaient à des fonctionnaires attirés dans un guet-apens.

A lire aussi, du même auteur: Ils voient dans les nécessaires lois sécuritaires notre « asservissement de demain »…

Je ne rappelle pas ces évidences pour faire preuve de mauvaise foi mais pour mettre sur un plateau de la balance l’intolérable d’agressions ponctuelles comme celle à l’égard de Michel Zecler, et sur l’autre les mille offenses verbales et physiques causées à des policiers dans l’accomplissement de leur mission. Il me semble que ma démarche n’est pas inutile alors qu’une foule impressionnante défile à Paris le 28 novembre, mais contre les seules violences policières et la loi « sécurité globale » qui n’avait rien de liberticide.

Mollo!

En même temps, dans cet étrange climat où le pouvoir semble même dépassé par le cours d’événements qu’il a pourtant initiés, la cote du président monte, celle de plusieurs ministres, comme si le pays ne se sentait pas vraiment concerné dans ses profondeurs par l’écume des anecdotes politiciennes mais jugeait passable, voire en progrès l’action du gouvernement. Mais de grâce, que le président économise sa honte et économisons la nôtre avec lui! On a pu déjà en dépenser beaucoup depuis 2017 et il y aura, dans notre avenir agité, mille opportunités d’indignation, de mépris, de révolte: il faudra qu’il nous en reste encore.

Car un pouvoir jamais assez exemplaire, une police jamais assez exemplaire et des citoyens jamais assez républicains !

Le Mur des cons

Price: 18,90 €

46 used & new available from 2,60 €

Des contradictions de la République et de l’idolâtrie dans l’islam

0

Michel Orcel explore deux paradoxes du conflit qui nous oppose à l’islamisme: la République oublie qu’elle est la fille de la Terreur, tandis que l’islamiste ne se rend pas compte qu’il commet le péché d’idolâtrie en condamnant les caricatures.


L’épouvantable décapitation d’un professeur de collège au prétexte qu’il avait choqué la foi religieuse de quelques adolescents nous invite à observer d’abord que c’est au seul concept de République que nos hommes politiques se réfèrent pour condamner cette exécution. Référence absurde, car il existe toutes sortes de républiques où la liberté ne s’exerce pas, et surtout parce qu’aucun régime n’a mieux développé que la Révolution française la décapitation de masse pour justifier une idéologie totalitaire.

La République française n’est pas un principe, mais un régime

Et qu’on ne nous rétorque pas, comme certains, qu’il y a rupture entre la Révolution et la Ve République : sa devise, son hymne, ses principes, sa négation des corps intermédiaires, son centralisme, sa prétention à créer un homme nouveau délivré de toutes contingences naturelles ou historiques (« mariage pour tous », lois dites bioéthiques, extension de l’avortement, PMA « pour toutes et tous », etc.), enfin le gouvernement actuel d’un parti si autoritariste qu’il en est venu à réprimer violemment des manifestations pacifiques, contrôler nos plus simples sorties ou interdire momentanément l’exercice du culte, montrent assez que notre République est historiquement la fille de la Révolution jacobine.
La République française n’est pas un principe, mais un régime ; et la France transcende de loin l’histoire si récente et si meurtrière de ce régime-là. Ce n’est donc pas tant la République que bouleverse cette décapitation (une république qui, à travers l’immigration, est largement responsable, par laxisme, angélisme, calcul ou complicité, de l’émergence d’un islamisme aujourd’hui meurtrier) que la France : le vin, la musique, la politesse, la galanterie, la pensée libre, ne sont pas républicaines, mais françaises.

Évidemment, aménager la loi pour de petits groupes (les juifs de France au XIXe siècle, par exemple) est tout à fait concevable : l’ancienne France était même fondée sur des privilèges divers et variés, qui respectaient les coutumes locales, les droits corporatifs, les libertés communales. N’ayons pas peur de dire que la réification des personnes à l’état d’individus interchangeables telle que l’a conçue et voulue la République rousseauiste et jacobine – Georges Bernanos ou François Furet, pour ne citer qu’eux, l’avaient bien vu – a fait le lit de tous les terrorismes.

L’islam contemporain est-il en mesure de nous respecter ?

Les mesures radicales qu’il serait nécessaire d’adopter pour endiguer la terreur islamiste qui gagne notre pays (mesures que je ne suis pas seul à préconiser mais qui semblent impossibles dans le cadre législatif européen), ce n’est pas un islamophobe, loin s’en faut, qui les soutient ici. Si la civilisation musulmane est endormie depuis plusieurs siècles, on ne saurait ignorer ses très riches apports, pas plus que l’abondance et la profondeur de sa poésie et de sa mystique, par exemple. J’aime et respecte l’islam – que j’ai longuement fréquenté –, et la figure de Lyautey m’est très chère. Pour protéger l’islam marocain des insolences coloniales, il fit édicter l’interdiction des lieux de culte aux non-musulmans. Mais la France n’est pas un pays musulman et nous devons aux fidèles de cette religion le respect qu’on doit à tout homme, dans la mesure où il accepte notre culture et nos lois. Or telle est la question qui se pose aujourd’hui : l’islam contemporain est-il en mesure de nous respecter ? L’islam d’aujourd’hui – c’est-à-dire le fondamentalisme islamique – a-t-il encore quelque chose à voir avec l’islam traditionnel, historiquement si proche de nous encore, et si amical : pensons aux unités musulmanes de l’armée française actives jusqu’à la guerre d’Indochine, à leur double allégeance manifestée notamment dans leurs insignes et leurs devises (« Allahou akbar »[tooltips content= »5e Régiment de tirailleurs algériens. »](1)[/tooltips] ! ou « Dieu, l’islam et la France »[tooltips content= »200e bataillon de pionniers nord-africains. « ](2)[/tooltips]), aux harkis, ou même aux vieux et respectueux Algériens transplantés en France que nous avons tous connus dans notre jeunesse ?…

À lire aussi, André Sénik : Le couac de Jean-Yves Le Drian doit être corrigé

Je ne serai pas le premier à répondre par la négative. Dans l’islam traditionnel, le djihad offensif était considéré comme désormais clos depuis le XIVe siècle. Seul l’agression du dar al-islam appelait à la guerre sainte (l’Algérie avec le grand Abdelkader, qui, une fois défait, devint un ami de la France et un défenseur des chrétiens de Syrie, en est le meilleur exemple). Ajoutons que terorisme et suicide sont rigoureusement contraires à la tradition musulmane du « petit » djihad (la guerre sainte). Même le précédent des Assassins (Hashashins), auquel certains ont eu recours pour trouver une généalogie au djihadisme moderne, est tout à fait inopérant, non seulement parce qu’il s’agissait d’actions émanant d’une minuscule secte ismaélite, mais aussi parce que leurs victimes n’étaient que des souverains. D’autres facteurs marquent donc la rupture doctrinale entre l’islam ancien et l’islamisme qui se développe chaque jour un peu plus dans le monde musulman.

Islam : l’ancien et le nouveau

Le facteur essentiel est très évidemment la mondialisation, et son corollaire : la puissance des États les plus riches. Le wahhabisme saoudien, qui, voilà un siècle encore, n’était qu’une petite secte hérétique de l’islam, a diffusé sa doctrine dans le monde musulman, soit directement, soit à travers la mouvance salafiste, qui en est dogmatiquement très proche. Alors que l’ancien islam présentait un éventail très varié de coutumes et de croyances ainsi qu’une littérature foisonnante (juridique, littéraire, spirituelle), le fondamentalisme favorise l’extrême pauvreté de la pensée et l’adoption de règles passe-partout, fort commodes pour enrôler les masses incultes, en jouant sur le réflexe communautariste de l’oumma. Et il n’est pas peu curieux d’observer que la secte wahhabite, qui passe son temps à lutter contre toute vénération qui ne s’adresse pas à Dieu (la majorité des sanctuaires et lieux historiques de La Mecque ont été détruits, et le tombeau même du prophète a été menacé, sous prétexte qu’ils suscitent des vénérations idolâtriques), n’a eu d’autre résultat que de favoriser, non seulement la mondialisation du « voile », mais l’idolâtrie de la figure du prophète…

À lire aussi, Ferghane Azihari : Islam radical: et si la solution passait par l’apostasie des musulmans?

Sans revenir aux origines de l’islam et en s’en tenant à l’histoire canonique, la figure de Mahomet a été à la fois contestée, et très tôt vénérée. Vénérée comme celle d’un homme choisi par Dieu, comme un véhicule de la parole divine ; mais jamais comme un dieu, cela va de soi. Cette vénération, associée à l’iconoclasme sémite (partagé avec le judaïsme), a beaucoup réduit la représentation picturale du prophète, dont on trouve cependant de belles et nombreuses traces (le visage découvert ou voilé d’un linge blanc) dans le monde persan, l’Inde moghole ou l’empire ottoman. Si elle n’est pas courante, la figuration du prophète jouit donc d’une réelle tradition. Par ailleurs, le prophète de l’islam s’est toujours gardé de se comparer aux grands prophètes juifs, notamment Jésus, « Verbe de Dieu » (IV, 171), dont les miracles sont chantés dans le Coran, et annonce clairement : « Je ne suis qu’un simple mortel, envoyé par Dieu à mes semblables » (Coran XVII, 93). Si la tradition légendaire lui attribue quelques prodiges, le prophète admettait lui-même que son seul miracle était la descente du Coran – ce qui revenait à attribuer le miracle à Dieu et à confirmer la nature purement humaine de son envoyé.

Le paradoxe du péché d’idolâtrie

Ce petit excursus nous permet de revenir à l’objet de cet article : l’islamisme – même s’il a déjà gangréné les représentations officielles (les Musulmans de France, le CCIF, etc.) – ne représente heureusement pas la pensée de tous les musulmans français, dont beaucoup sont parfaitement intégrés à notre culture.

On comprend néanmoins que la masse des fidèles, même modérés, puissent être violemment choqués par des caricatures auxquelles leur histoire ne les a pas habitués ; mais, en s’enflammant contre elles au point de justifier le meurtre de leurs auteurs ou de ceux qui les colportent, les fondamentalistes (et ils sont de plus en plus nombreux : les services secrets viennent d’en avertir l’Élysée) commettent sans en avoir conscience le péché le plus condamnable de l’islam : l’idolâtrie.

Ils divinisent le prophète et se font ainsi les spectateurs d’une adoration qui, aux yeux de l’islam, est considérée comme impie. Ajoutons que ces musulmans auraient beaucoup à apprendre des chrétiens occidentaux, lesquels, depuis des décennies, supportent les railleries les plus ordurières au sujet du Christ (notamment dans Charlie Hebdo), parce qu’ils savent bien que ces figurations ne sauraient affecter en quoi que ce soit la nature du Dieu infini dans lequel ils croient.

L'invention de l'islam: Enquête historique sur les origines

Price: 9,62 €

8 used & new available from

Et Diego s’envola avec la balle…

0

Thomas Morales se souvient de ses douze ans: dimanche 22 juin 1986 – Costa Brava/Stade Azteca


Cette année-là, nous étions partis en Espagne plus tôt, pour affaires. J’avais 12 ans et abrégé une année scolaire pour le moins chaotique et déprimante. Une raquette de tennis de marque Le Coq Sportif, témoignage d’un autre mois de juin, Roland-Garros 1983, m’accompagnait dans tous mes déplacements. Je me souviens que Miguel Bosé chantait à la radio le titre Nena. Je m’empiffrais de churros l’après-midi et fit honneur à la boisson locale, le Fanta naranja et limón durant tout l’été. Peu rassurante, la Guardia Civil faisait des rondes dans un Land Rover badgé Santana.

L’été espagnol

Il y avait comme un parfum d’Occupation dans l’air, malgré la poussée culturelle de la Movida. De jeunes catalans sortaient du lycée en bermuda, au guidon de petites Montesa de trial. Mon père m’avait promis de ramener une cinquante centimètres cube dans notre pluvieux Berry. Les mères espagnoles de la classe aisée portaient des colliers de perles sur des polos Lacoste de couleur jaune paille ou bleu lavande. Il y avait encore dans les rues, quelques grosses voitures américaines assoupies, comme à la Havane, héritage d’une industrie du tourisme en pleine expansion, largement amorcée en son temps par Franco et l’arrivée de capitaux étrangers, dès les années 1950. Les socialistes au pouvoir continuaient cette même politique économique, jouant sur une peseta basse, donc attractive. Felipe González ressemblait à un Michel Leeb mexicain. L’immobilier assurait des fortunes aussi rapides que suspectes.

Un voisin britannique, vieux lord maquillé comme une poule de luxe sorti d’une nouvelle de Truman Capote, quittait tous les soirs à 21 heures sa villa au volant d’une Rolls-Royce Silver Shadow. De ma terrasse, j’observais son manège espérant capter l’attention d’une Hollandaise âgée de quinze/seize ans arrivée avec sa famille dans un break Chevrolet Caprice. Son profil d’Anita Ekberg batave m’avait tapé dans l’œil. Sur le court en terre battue, ma mère me faisait travailler mon revers, insistant sur l’amplitude du geste comme aux grandes heures de Suzanne Lenglen.

Une orange déguisée en footballeur

Nous armions démesurément nos coups ce qui donnait une certaine élégance à nos mouvements à défaut d’efficacité tennistique. Chez nous, formés à l’école du rugby, le football était banni par idéologie et par esprit de dissidence. Je ne fus jamais inscrit au club de mon village ce qui handicapa largement mon insertion et ma sociabilité. Ah si j’avais tapé dans un ballon rond, j’aurais eu certainement une autre carrière ! Ce sport nous apparaissait alors dépourvu d’intérêt et de profondeur nostalgique. Réfractaires au ballon, nous subissions donc la méfiance de notre entourage et la hargne des supporters.

A relire, du même auteur: Le logo des JO et les athlètes de l’écrit

À dire vrai, je m’étais passionné, en secret, quatre ans plus tôt, toujours en Espagne, pour Naranjito, la mascotte de la Coupe du Monde 1982, une orange déguisée en footballeur. J’achetais alors tous les produits dérivés de cet étrange personnage, des timbres édités par la Poste espagnole aux figurines en plastique. Est-ce à cause des caprices de la météo ou du tennis-elbow de mon père que ce dimanche-là, nous fumes contraints de regarder la télévision ? Nous n’avions aucunement envie de communier sur l’autel de la baballe et de nous vautrer dans l’émotion collective. Nous nous pensions bien au-delà des cultures de masse et des foules ahuries. L’Argentine affrontait l’Angleterre dans un quart de finale devenu aujourd’hui homérique, sanctifié par toute la planète. Du football, nous ne connaissions que les ânonneurs de pelouses, les pousseurs affabulateurs et le pragmatisme viril des Allemands. Des gesticulateurs aussi peu recommandables que des politiciens en campagne électorale.

Râblé comme un plâtrier

Viva les bleus tube à l’irrédentisme joyeux entonné par l’immense Carlos n’avait pas réussi à nous intéresser à l’événement. Ce jour-là pourtant, nous étions devant notre poste, les commentateurs en castillan dans les oreilles et rencontrions, pour la première fois, la foulée céleste de Diego Armando Maradona. La patte gauche de dieu nous faucha en pleine soirée. Le ballon collé à ses basques. Bas, démesurément bas. Au ras de la terre.

Râblé comme un plâtrier, un maçon ou un carreleur, le numéro 10 courait jusqu’au but. Inarrêtable. Celui qui le stopperait n’était pas du genre humain. Avec cette geste communicative, la violence naturelle et jouissive du buteur, il ne reculerait pas, il driblerait, il se jouerait de la défense, la narguerait, avec la volonté de l’humilier. Ce n’était pas très propre, pas tellement fluide, mais époustouflant d’adresse, de vista et de combat au corps-à-corps.

Le commentateur pouvait alors s’interroger, les larmes dans la voix : de que planeta viniste, oui on se le demande aujourd’hui encore de quelle planète pouvait-il bien venir ce gars-là, né dans la banlieue sud de Buenos Aires ? Le commentateur utilisait des formules magiques : barrilete cosmico et corrida memorable. Bulldozer féerique de tout un peuple en liesse. Ce jour-là, nous avons appris que le football était une terre nouvelle et qu’un Argentin d’1,65 mètre était son conquistador éclairé. « Je veux dire que les autres existent plus ! Les autres romanciers !… tous ceux qu’ont pas encore appris à écrire en « style émotif »….y a plus eu de nageurs « à la brasse » une fois le crawl découvert »…

S’il l’avait connu, Céline aurait pu rajouter qu’après Maradona, le football n’était plus un jeu lointainement inventé par les Français et popularisé par les Anglais mais une affaire argentine. Cette année-là, j’ai troqué ma raquette pour le maillot de l’albicéleste.

Paris-berry nouvelle vague

Price: 12,00 €

5 used & new available from 9,47 €

Le noir, le bibelot et le tapis de bain

0

Montées en épingle par le petit marigot politico-médiatique, les images de la bavure policière sur le producteur de rap Michel Zecler permettent aussi de remettre une pièce dans la machine de la victimisation racialiste. Les difficultés importantes de la police nationale, que la loi “sécurité globale” entendait combattre, sont-elles oubliées ?


 

Aux yeux des élites françaises et occidentales, le noir est devenu une sorte de bibelot, un objet fragile et précieux que l’on installe dans la pièce la plus luxueuse de la maison, là où on fait salon en compagnie de la bonne société. Un fétiche rapporté d’un voyage lointain, un masque africain qu’il faut garder à une certaine température et sous certaines conditions d’humidité. Et à chaque fois que la femme de ménage passe, on a un haut-le-cœur de crainte qu’elle ne fasse tomber le bibelot ou qu’elle marque de ses gros doigts sa délicate texture.

C’est ainsi que l’on peut décrire l’état d’esprit de nos élites. Dès qu’un noir est victime de violence, le racisme est systématiquement convoqué comme la seule et unique explication. Et ce n’est pas n’importe quel racisme, c’est le racisme systémique issu du privilège blanc c’est-à-dire un crime collectif qui exige bien entendu une punition collective de tous les Français, tous coupables au fond. 

La vidéosurveillance ne dit pas le réel

Le tabassage d’un producteur musical par des policiers indignes de leur uniforme est une répétition générale de ce que nous venons de décrire. La femme de ménage blanche a encore cassé le bibelot noir. O indignation, ô exaspération, les élites font la moue, elles sont désolées de la grossièreté des manières de leurs sous-fifres.  

Des images de vidéosurveillance montrent le producteur de rap battu par la police © MICHEL ZECLER / GS GROUP / AFP
Des images de vidéosurveillance montrent le producteur de rap battu par la police © MICHEL ZECLER / GS GROUP / AFP

Personne n’attend les résultats de l’enquête pour être sûr que les policiers étaient motivés par le racisme. Moi, je n’en sais rien et vous non plus ne devriez pas sauter aux conclusions car une vidéo n’a jamais remplacé la vérité. Si la vidéosurveillance urbaine disait le réel, nous pourrions économiser des centaines de postes de commissaire et de magistrat ! Les seuls qui savent réellement ce qui s’est passé cette nuit-là dans le 17e arrondissement sont les mis en cause (les policiers) et les victimes (le producteur et les jeunes musiciens). Si on les laisse s’exprimer sans mettre de mots à leur bouche, l’on entendra peut-être les échos de la peur (toujours mauvaise conseillère), de la colère (ennemie du discernement) et peut-être du racisme le plus abject.  

A lire aussi: Ils voient dans les nécessaires lois sécuritaires notre «asservissement de demain»…

Or, nos élites se fichent éperdument de la vérité et de la justice, elles courent après la nausée (pensez à la une de Libération le 27 novembre). Cette nausée leur permet de poser leur supériorité morale et de se distinguer de la plèbe qui ne peut goûter de tels tourments. Le peuple est trop occupé à survivre pour s’autoflageller. Le luxe a été toujours le privilège du petit nombre.

liberation-uneEt peu importe que ce hobby de riches finisse par créer chez certains noirs un syndrome de persécution qui les amène à craindre réellement la police et les blancs qui sont leurs concitoyens, leurs collègues et leurs frères. Victimes éternelles et systémiques, ces noirs sont repoussés dans les marges, loin des centres de décision et des cercles d’influence.

Si Frantz Fanon était encore de ce monde, il serait très en colère contre cette nouvelle aliénation de l’homme noir, sans cesse empêché d’être un homme comme les autres. Ses drames sont toujours vus comme le fruit d’un complot ourdi par les méchants blancs. Et ses succès sont toujours présentés comme des justes réparations

Fétichisation raciale

L’arabe lui aussi a été fétichisé par les bien-pensants qui le placent au-delà de tout, même de la morale la plus basique. Il a le droit de voler et de détruire car lui, plus que tout autre, est victime de la pauvreté et des discriminations. Pensez toujours au bibelot que l’on pose soigneusement sur un meuble en acajou, derrière une vitrine qui l’isole de la poussière, du froid et de la chaleur c’est-à-dire de la vie. On l’aime mais on le méprise en même temps car on l’estime indigne de vivre dans la réalité, celle des droits et des devoirs. Le monde des adultes en somme.  

La gouvernance dont je viens d’esquisser les contours a pensé aussi aux blancs et aux Français de souche. Elle leur assigne le rôle du tapis de bain. Leur place est symboliquement par terre, au contact du carrelage froid et humide.

A lire aussi, Driss Ghali: Carrefour et le racisme imaginaire

Le blanc est le souffre-douleur. Les faits divers dont il est la victime sont passés sous silence. Quand il est attaqué par un noir, un arabe ou un tchétchène, ce n’est jamais un crime raciste mais un simple contentieux qui mérite une médiation et non une punition.

Du matin au soir, il est l’objet d’un procès de Nuremberg, instruit à charge par les universités et les médias autorisés. Certains jours, le service public audiovisuel me rappelle un peu la Radio des Mille Collines, dans sa monomanie obsessive et sa diabolisation systématique d’une partie de la population. Le blanc est coupable de tous les crimes imprescriptibles : esclavage, colonialisme, racisme, machisme, masculinité toxique, homophobie, réchauffement climatique etc. De là à considérer licite sa disparition, de là à justifier les agressions dont il est victime au quotidien, il n’y a qu’un pas… 

Naufrage

Pas besoin d’être gaulois pour être blanc, il suffit d’être policier : combien de gardiens de la paix issus de l’immigration ont été agressés voire tués sans que cela ne fasse la une des journaux ? L’on peut aussi être déclassé c’est-à-dire passer du statut du bibelot au statut du tapis de bain si on « pense mal » ou l’on « s’exprime mal ». C’est ce qui arrive, je crois, à votre humble serviteur à chaque fois qu’il n’adopte pas le point de vue attendu d’un maghrébin. Je suis, comme tant d’autres, assigné à résidence : je dois condamner la colonisation, excuser la délinquance et disculper l’Islam de toute dérive fanatique. Sinon, eh bien sinon je deviens un « arabe de service » donc un compagnon de route et d’infortune du Français de souche.

Défaite de la pensée. Naufrage de l’esprit français. Le pays des Lumières s’est laissé brûler par le soleil américain. À force de nous frotter au contre-modèle anglo-saxon, nous sommes en train de devenir une annexe du Bronx où rien ne pousse à part le ressentiment croisé. Un mur de lamentation doublé d’un mur de séparation entre les races et les religions. Quelle honte.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Flics Lives Matter

La mission première de la génération actuelle est de dynamiter ce mur. Elle doit recommencer à penser l’homme dans sa plénitude. Elle doit faire l’autodafé de l’idéologie dominante qui réduit tout à la couleur de la peau, au genre et à l’orientation sexuelle. Si les élites nous veulent myopes, achetons-nous des lunettes pour voir loin. Si les puissants nous prennent par les émotions (pour ne pas dire autre chose), réfugions-nous dans les idées. Prendre de la hauteur, c’est déjà résister.

Quand quelqu’un vous intime de vous agenouiller au nom du racisme, méfiez-vous. Dans neuf cas sur dix, il veut vous empêcher de voir la pleine lune et vous priver de sa lumière céleste. Rebellez-vous quitte à lui mordre le doigt. 

L’imbroglio de l’article 24

La loi sécurité globale est bien mal partie! Et l’on peut redouter que le déni d’autorité et la haine anti-flic aient encore de beaux jours devant eux.

D’importantes manifestations sont prévues ce samedi pour protester contre le fameux article 24 (qui veut punir la diffusion malveillante d’images de policiers). Des députés de la majorité LREM, Richard Ferrand et le président du Sénat Gérard Larcher pestent contre la nomination – voulue par le Premier ministre – d’une commission indépendante, chargée de réécrire l’article incriminé.

Les images de l’arrestation violente du producteur de musique dans le 17e par des policiers douteux sont venues perturber, encore d’avantage, cette situation politique déjà passablement compliquée autour de la loi “sécurité globale”.

Pendant ce temps, l’écrasante majorité de policiers fait convenablement son travail et est oubliée, quand elle n’est pas vilipendée dans son ensemble par des médias mainstream trop contents de nous rejouer une affaire George Floyd, version tricolore. Pendant que toute l’attention est portée sur une bavure, pendant que médias et politiques pinaillent, les violences contre les forces de l’ordre ont doublé en dix ans, 7399 policiers ont été blessés en intervention en 2019 (soit une vingtaine par jour!) et 59 se sont suicidés. Depuis janvier, 63 commissariats ont été ciblés par des attaques.
La rédaction.

Mon père, le Maroc et moi: Une chronique contemporaine

Price: 18,00 €

12 used & new available from 18,00 €

Patrice Leconte : cadreur supérieur


Le roi de la comédie populaire a su mettre en scène tout le monde, de l’équipe des Bronzés à Alain Delon en passant par Johnny. Même avec Jean Rochefort, il a fini par s’entendre. Mais pour lui, ses échecs sont plus intéressants que ses triomphes. Entretien. 


Il possède l’art de montrer des silhouettes extravagantes soumises à des métamorphoses qui nous laissent pantois et mélancoliques. La grande galerie des burlesques cinématographiques s’honore, par exemple, des portraits de Jean Rochefort, dans Le Mari de la coiffeuse (1990), dont la destination, au-delà du mot fin, ne saurait être que l’asile, et de Jean-Pierre Marielle dans Le Parfum d’Yvonne (1994).
Une partie de la critique française a éreinté Leconte sans nuance ; c’est le droit de la critique d’être sans nuance : il est arrivé à François Truffaut d’en manquer lorsqu’il fustigeait la « qualité française » dans « Une certaine tendance du cinéma français » (Cahiers du cinéma, janvier 1954). Il l’a reconnu.
Est-il donc si difficile d’admettre que Patrice Leconte a donné quelques chefs-d’œuvre ou, si l’on préfère, des bijoux d’observation, et que ses « caractères », portés par une fiction implacable et frôlés par les ailes d’un ange bouffon, sont bien propres à hanter nos mémoires ?

Causeur. Les vécés étaient fermés de l’intérieur est traversé par une loufoquerie d’époque. Malgré l’esprit du scénario, il paraît que Jean Rochefort vous a rendu la vie difficile.

Patrice Leconte. C’est très simple et très triste. Je rêve de faire du cinéma depuis l’enfance. Mon rêve se réalise. Me voilà sur un plateau de cinéma, je suis metteur en scène. Et c’est une catastrophe ! Jean Rochefort m’a pris pour un incapable. Par son attitude, il a cherché à le faire savoir pendant toute la durée du tournage. Je peux dire que j’ai connu l’enfer.

Jean Rochefort a-t-il été seulement irrité par un jeune maladroit ou a-t-il voulu « casser » un débutant ?

Il s’est mal comporté, certes, mais j’étais sans doute très maladroit. À cette époque, j’étais avant tout attentif à la technique, le cadre, un travelling, j’ai donc certainement négligé mes rapports avec les comédiens, chose que je ne ferais évidemment plus aujourd’hui. Quand on est réalisateur, il vaut mieux s’y connaître en technique, les objectifs, la lumière, le son, etc., mais cette technique n’est jamais une fin en soi.

Vous êtes le cadreur de vos films, n’est-ce pas ?

Cadrer, c’est montrer, c’est choisir. Réaliser moi-même les images qui me trottent en tête, sans déléguer, est une liberté magnifique.

Revenons à votre « premier Jean Rochefort ».

Après quelques jours, alors que je veux lui expliquer le plan que nous allions faire, il m’interrompt : « Patrice, ne me parle pas, ne me parle plus jamais ! Ne m’adresse plus la parole ! Je suis anéanti d’avoir signé ce film. » Peut-on vivre un moment plus humiliant, plus violent, alors qu’on réalise son premier film, qu’on est très jeune et qu’on manque d’assurance ? Vous imaginez dans quel état d’esprit je me suis trouvé ! Je me rendais chaque matin sur le plateau totalement désespéré. Je me suis dit que je m’étais trompé de voie, de métier, de vocation. Après cela, j’ai traversé une période… déplaisante, trois années sombres, vraiment. Mais je n’ai pas abandonné. Puis Les Bronzés sont arrivés, et le ciel s’est ouvert.

Vous devenez un cinéaste de « divertissement » : Les Bronzés font du ski (1979), Viens chez moi, j’habite chez une copine (1981), Les Spécialistes (1985)… Le public vous suit, une certaine critique boude. Et voilà que vous sollicitez Jean Rochefort pour l’un des deux grands rôles de Tandem (1987).

Avec Jean Rochefort, nous ne nous étions jamais revus. Mais j’allais le voir dans les films des autres. Et, malgré ce qu’il m’avait fait vivre sur ce premier film, je continuais à trouver qu’il était un acteur merveilleux, fêlé et rare. Et, confusément, quand j’ai eu le projet de Tandem, j’ai voulu sans doute lui prouver qu’il s’était trompé sur mon compte et que j’étais un type formidable. Au total, nous avons tourné sept films ensemble, mais nous n’avons jamais évoqué le cauchemar qu’il m’avait fait vivre, jamais ! Une fois seulement, il a prononcé cette phrase, alors que nous achevions Tandem : « Vois-tu Patrice, nous avons naguère mangé notre pain noir, aujourd’hui, nous goûtons à notre pain blanc ! »

Dans les deux premiers Bronzés, les principaux rôles suscitent à la fois notre rire et notre détestation. Leur méchanceté nous ravit parce qu’elle nous acquitte de la nôtre. Mais voici le troisième, Amis pour la vie, et l’on peut s’interroger : cet avenir, que vous leur donnez, nous intéresse-t-il ? Hier, ils pouvaient encore changer, aujourd’hui, il n’y a plus d’issue.

Les Bronzés constituent une série incroyable, que j’aime infiniment. Je suis à jamais reconnaissant à l’équipe du Splendid d’avoir mené cette aventure avec moi ; le premier Bronzés est une adaptation de leur pièce Amour, coquillages et crustacés : nous étions de la même génération, nous riions des mêmes choses, ensemble nous avons connu le succès. Néanmoins, avec le recul, j’analyse plus précisément les limites du dernier. Auparavant, les acteurs n’étaient pas installés dans la renommée cinématographique. Ils étaient tous très jeunes, ils n’étaient pas encore « fameux ». Dans le troisième tome de leurs aventures, ils se sont en quelque sorte embourgeoisés : ce sont des vedettes. Du fait de leur réussite, nous ne considérons plus leurs personnages avec une semblable indulgence. Dans Amis pour la vie, celui que je trouve le plus attachant, c’est Jérôme (Christian Clavier). Il est au bout du rouleau, il n’a plus aucune ressource matérielle, sa vie a été un échec, il pourrait s’effondrer, or, il fait encore preuve de cette énergie, de cette combativité qui le sauvera peut-être.

Les Bronzés, comédie réalisée par Patrice Leconte, 1978. © Jean-Pierre Fizet/Bridgeman images
Les Bronzés, comédie réalisée par Patrice Leconte, 1978. © Jean-Pierre Fizet/Bridgeman images

Vous avez confié à Michel Blanc le rôle dans Monsieur Hire (1989), sans aucun rapport avec le type qui chante à tue-tête Étoile des neiges sur son siège de téléphérique. De même, Gérard Jugnot dans Tandem (1987) n’a rien de commun avec le râleur agressif que nous adorions détester ! Et que dire de Johnny Hallyday, remarquable dans L’Homme du train (2002) ! On oublie le rocker, on est en présence d’un comédien.

Michel Blanc éprouvait quelque crainte de s’aventurer sur ce terrain, mais les comédiens comiques sont avant tout des comédiens : ils sont très souvent bouleversants et vrais dans un registre dramatique. En tout cas, Jugnot et Blanc sont de ceux-là. Johnny Hallyday, je l’ai rencontré à une soirée des Césars. Je ne le connaissais pas personnellement. Nous nous croisons dans les coulisses, et, spontanément, il s’adresse à moi. Il me parle aimablement de mes films, puis il pose sa main sur mon épaule et presque en murmurant : « J’aimerais bien être dirigé par toi. » Sa proposition m’est restée en mémoire : elle est à l’origine du couple cinématographique, parfait et inattendu, Johnny Hallyday/Jean Rochefort. Pour moi, la rencontre et le tournage sont de très beaux souvenirs : Johnny était un type charmant, touchant même. À aucun moment je n’ai vu seulement percer l’idole, la rock star capricieuse.

Ce n’était pas évident, car l’oeuvre de Modiano semble échapper à toute adaptation possible

Dans Le Parfum d’Yvonne, toute la difficulté consistait à traduire à l’écran l’ambiance modianesque : il fallait rendre son étrangeté suggestive, son ambiguïté parfois inquiétante. Vous réussissez parfaitement toutes les épreuves : le choix des comédiens, des lieux, le scénario, la mise en scène… Modiano est merveilleusement servi. Mais la critique n’a pas aimé, le public n’est pas venu.

Je suis un lecteur fervent de Modiano. Ce monde incertain, le passé qui vient brouiller le temps du présent, tout cela me parle. Je me sens bien dans son univers, mais je n’imaginais pas adapter un de ses romans. Un jour, l’un de mes amis me dit : « J’ai dans ma poche une histoire faite pour toi. » Et il sort de sa poche Villa triste. Je l’avais lu, je l’ai relu, je l’avais aimé, je l’ai re-aimé. Ce n’était pas évident, car l’œuvre de Modiano semble échapper à toute adaptation possible. Je me suis souvenu d’une leçon que Jean-Claude Carrière nous avait donnée, alors que j’étudiais le cinéma. Il nous avait parlé de l’adaptation qu’il avait faite du Journal d’une femme de chambre, d’Octave Mirbeau, pour Luis Buñuel. Il nous avait dit : « Lisez le livre une fois, deux fois, vingt fois, refermez-le et ne le rouvrez plus jamais. » C’est ce que j’ai fait avec Villa triste. Il s’est alors produit un phénomène d’infusion comparable à celle d’un sachet de thé dans une eau chaude, une secrète osmose entre mon projet et le texte original. J’ai donc respecté plutôt son esprit que sa lettre, et c’est ainsi que Jean-Pierre Marielle compose un éblouissant René Meinthe, plus âgé que celui de Modiano.

Ce film fut un échec incompréhensible. La carrière de Sandra Majani, qui s’annonçait sous les meilleurs auspices, s’est arrêtée. Pour les spectateurs qui se rappellent sa grâce, c’est une perte irréparable !

Quand on débute, il arrive qu’on ne se relève pas d’un échec dont on n’est pas responsable. Sandra Majani possédait le talent, la beauté ; l’avenir, à l’évidence, lui souriait. Cette jeune femme, parfaite incarnation d’une héroïne de Modiano, aurait pu devenir une vedette si le film avait été un succès, parce qu’il y avait une place pour elle dans le paysage du cinéma français. Elle est à présent tapissière quelque part en France…

Nous ne verrons jamais ce qui aurait pu être le film ultime d’Alain Delon. Je me réjouissais : avec lui, j’espérais que vous solliciteriez votre veine « crépusculaire », bien cachée sous l’humour…

C’est vrai, j’ai une face nord, un versant assez sombre.

Et puis… rien !

Depuis Une chance sur deux (1998), dans lequel j’avais réuni Alain Delon, Jean-Belmondo et Vanessa Paradis, nous ne nous étions pas éloignés, Delon et moi. Il n’ignore pas que je l’admire et je sais qu’il m’aime bien. Je vous disais que, souvent, une idée m’est apportée par un tiers, ce fut là encore le cas. C’est bel et bien Delon qui se trouve à l’origine du projet. Interrogé par Laurent Delahousse, sur France 2, il avait glissé dans la conversation qu’il souhaiterait vivement faire son dernier film avec moi. Il m’a immédiatement confirmé ce vœu : « Ce ne sont pas des paroles en l’air. Je veux que tu m’écrives mon dernier film ! » Je me suis mis au travail avec Jérôme Tonnerre. Notre scénario portait ce titre, qui m’évoquait Simenon : « La Maison vide ». Le sujet présentait un aspect « crépusculaire », en effet. Je l’ai apporté à Delon. Peu après, il m’appelle : « Patrice, j’ai les larmes aux yeux, quand commençons-nous ? » J’avais songé à Juliette Binoche pour lui donner la réplique, qui avait accepté, bref, toutes les planètes étaient impeccablement alignées. Puis tout s’est lentement désintégré. Delon a connu des ennuis de santé, après son rétablissement Juliette Binoche n’était plus disponible, les signatures n’arrivaient pas. Quant à moi, je ne pouvais attendre indéfiniment. Ce qui promettait de devenir un beau film, vraiment, s’est perdu dans les obstacles, les complications. En outre, il n’est pas impossible qu’au dernier moment Alain ait hésité devant ce dernier rôle, ce clap de fin, ce film ultime comme vous dites, malgré son désir réel de travailler avec moi, sa fidélité, son implication initiale sincère. J’en éprouve encore un profond regret.

Leconte sur le papier

Faites la tête
Depuis le temps qu’il nous observe : voici sa première collection de portraits écrits et illustrés.
Sont convoquées à ce dîner de tête la fameuse Tête de linotte, l’immortelle Tête de lit, l’éminente Tête de clou, la glorieuse Tête de gondole, l’illustre Tête de l’emploi, l’inoubliable Tête de gland, la célèbre Tête de mule, la légendaire Tête de nœud. Elles nous donnent rendez-vous… en tête-à-tête.
Pour les enfants, pour leurs parents.
Faites la tête, textes et dessins de Patrice Leconte, Flammarion, 2020.

Deux passantes dans la nuit
Voici Anna et Arlette, deux jeunes femmes dans Paris, la nuit. On y parle français, bien sûr, et allemand en deuxième langue : cela se passe sous l’occupation. Patrice Leconte et Jérôme Tonnerre ont écrit le scénario de leurs aventures, Alexandre Coutelis les a dessinées. Ses superbes aplats servent l’errance de ces noctambules traqués, au plus près de la peur…
Deux passantes dans la nuit, tome 1 : Arlette (scénario de Patrice Leconte et Jérôme Tonnerre, dessins d’Alexandre Coutelis), Bamboo, 2020.

La France face à l'(in)sécurité globale

0

Retour sur une semaine d’hystérie médiatique autour de la proposition de loi dite «sécurité globale».


Du côté du gouvernement, des bruits disent que la réussite de l’actuelle séquence « régalienne » conditionnerait à elle seule l’élection présidentielle de 2022, partant l’avenir d’Emmanuel Macron et de son petit lieutenant Gérald Darmanin. Pourtant, à y regarder de plus près, le texte est purement technique. Beaucoup de bruit pour rien ?

Un premier volet consensuel

Composé de quatre titres principaux, le texte du projet de loi « sécurité globale » traite dans ses deux premières parties des polices municipales et des entreprises de sécurité privée. Le ministère de l’Intérieur a pris en compte l’évolution des menaces de la délinquance quotidienne et du terrorisme, nécessitant l’emploi de forces de sécurité diverses allant bien au-delà de la police nationale et de la gendarmerie. On l’a récemment constaté à Nice, où une police municipale solidement équipée et entraînée a pu intervenir immédiatement pour neutraliser le terrorisme islamiste qui a tué trois personnes dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption le jeudi 29 octobre.

Nice, le 29 octobre 2020 © LAURENT VU/SIPA Numéro de reportage: 00988176_000001
Nice, le 29 octobre 2020 © LAURENT VU/SIPA Numéro de reportage: 00988176_000001

Les policiers municipaux peuvent désormais se retrouver en première ligne lors d’une attaque terroriste. Que le fonctionnement de ces forces de défense de proximité soit rationnalisé par la loi et leurs compétences élargies est donc une mesure de bon sens, réclamée de longue date par les spécialistes de la sécurité. Longtemps réfractaires à cette idée, les syndicats de la police nationale ont d’ailleurs fini par s’y ranger, conscients des failles françaises pour faire face à la diversité et l’intensité des menaces dans les villes.

A lire ensuite: «Que font-ils chez vous?»: la réaction des Asiatiques devant notre trop grande mansuétude

Entre 1999 et 2019, les effectifs de la police municipale ont quasiment doublé (de 13.000 à 23.934 agents), confortant leur place essentielle dans le dispositif de sécurité intérieure. Répondant aux arrêtés municipaux des maires des communes dans lesquelles ils exercent leurs fonctions, les policiers municipaux étaient naguère mal considérés, vu comme des vigiles améliorés. Ce n’est plus du tout le cas maintenant. Pour preuve, les « municipaux » toulousains sont tous entraînés au tir, les policiers nationaux s’entrainant même dans leur stand. La réalité imposait donc d’étendre le champ de leurs missions, comme le demandaient de nombreux élus locaux et parlementaires à l’image de Louis Aliot ou de certains sénateurs des Républicains.

Ils seront donc en capacité de constater davantage d’infractions en dressant des procès-verbaux, assureront la sécurisation de manifestations sportives et pourront même dans certains cas faire parvenir des procès-verbaux au maire et au procureur sans en référer à un officier de police judiciaire. Autant d’annonces bienvenues qui faciliteront le travail de la police municipale comme celle de la police nationale, déchargée de missions pénibles qu’elle peut ne pas avoir le temps ou les moyens d’effectuer. Procédant d’une même logique, la réorganisation des forces de sécurité privée sur le territoire s’imposait tant pour éviter les dérives d’une activité trop peu régulée que pour la rendre plus efficace.

Mal encadré, le secteur de la sécurité privée avait besoin d’un coup de polish au même titre que la police municipale. Employée sur tout le territoire national pour des missions qui devraient parfois être dévolues à la police nationale – des sociétés de Tchétchènes opèrent ainsi dans les quartiers de la drogue à Toulouse à la demande des OPH pour des contrats à six chiffres -, les forces de sécurité privée étaient trop opaques en matière de recrutement et de fonctionnement, employant parfois des étrangers ne maitrisant même pas la langue française. Ce ne sera plus possible avec la loi sécurité globale puisque ses articles 10 à 19 édictent des règles très strictes pour l’accès à ces professions ; imposant le port de tenues ne prêtant pas à confusion, l’interdiction professionnelle en cas de condamnations à une peine correctionnelle ou à une peine criminelle inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire, une connaissance suffisante de la langue française, la possession d’un titre de séjour en règle depuis au moins cinq ans pour les ressortissants étrangers ne relevant pas de l’article L 121-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers, etc.

A lire aussi: Ils voient dans les nécessaires lois sécuritaires notre «asservissement de demain»…

Encore une fois, il s’agit de bon sens. Avec un agent de sécurité pour un policier présent sur le territoire, il n’était plus possible de confier une partie de la sécurité quotidienne des Français à des troupes supplétives inquiétantes, parfois composées de semi-voyous brutaux qui salissent l’image de cette profession dont les rangs sont majoritairement occupés par des indépendants et des auto-entrepreneurs. Depuis la série noire d’attentats islamistes de 2015, les besoins en sécurité privée se sont accrus sans que les professionnels comme le public s’y retrouvent ; la règle des appels d’offres publics étant malheureusement le moins-disant qui encourage la sous-traitance en cascade à des travailleurs non déclarés et insuffisamment formés.

Les relations public-privé  seront désormais normalisées, bornées et plus au fait des dangers d’un secteur nécessaire mais trop noyauté par des sociétés suspectes. Rappelons à cette occasion que l’assassin tchétchène de Samuel Paty devait travailler dans le secteur avec l’appui de son professionnel de père… Comme à Rome où l’on confiait les frontières à des barbares, nous confions les frontières intérieures françaises à des supplétifs qui ne nous veulent pas toujours du bien. Les spécialistes s’inquiètent même de la porosité du secteur de la sécurité privée avec les trafiquants de drogue et les clans mafieux des quartiers de non-droit…

Un second volet polémique

Aux deux premiers titres plutôt consensuels – c’est toutefois nouveau tant la police municipale était naguère mal vue de la gauche française – et fondés sur des problématiques concrètes répondent deux titres sujets à polémique. Les titres III et IV de la loi « sécurité globale », respectivement nommés « vidéoprotection et captation d’images » et « dispositions relatives aux forces de sécurité intérieure ». Evidemment, les associations sont vent debout, décrivant une loi qui entérinerait non pas la « sécurité globale » mais la surveillance généralisée, la restriction des libertés individuelles et publiques, et le laisser-faire pour les forces de l’ordre. Bref, une loi policière et autoritariste sous prétexte de lutte contre l’insécurité, bien réelle quoi qu’ils puissent en dire.

De l’expulsion filmée de migrants à Paris – la vraie question à se poser est pourquoi se trouvent-ils en France en situation d’illégalité, mais passons – à l’affaire « Michel », du nom de ce producteur de rap arrêté brutalement, il semblerait que certains activistes souhaitent installer un climat façon « George Floyd » en France dans une optique de contestation de l’autorité. Comme à l’accoutumée, des images et des cas soigneusement choisis, parfois coupés avec malice et rapportés sans contexte, sont utilisés pour faire avancer l’agenda prétendument « progressiste ». Le journaliste Etienne Baldit l’a parfaitement résumé : « Griezmann, Mbappé… Si les sportifs les plus médiatiques du pays, les plus en réussite et les plus aimés de la jeunesse s’impliquent dans le débat sur les violences policières, dans la lignée de Black Lives Matter, le débat public peut changer de dimension. »

À l’origine des polémiques, l’article 24 de la loi sécurité globale, il est vrai mal rédigé et confus. Cet article prévoit que la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou d’un gendarme en intervention, lorsque celle-ci a pour but de porter « atteinte à son intégrité physique ou psychique », serait pénalisée d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende, « sans préjudice du droit d’informer ». Partant d’une bonne intention, des images de policiers aux visages reconnaissables ayant conduit à du harcèlement et des menaces contre des familles, parfois à la mort comme ce fut le cas à Magnanville, le texte pourrait toutefois créer des difficultés opérationnelles. Une réécriture au Sénat et une saisie du Conseil constitutionnel pourraient-elles lever les doutes et laisser la place à un texte plus compréhensible, plus efficace ?

A lire aussi: Terrorisme et Covid-19: une atmosphère de fin du monde

Depuis quelques années, des vidéos d’interventions policières sont diffusées … toujours montées de A à Z. Les procès contre les mauvais comportements policiers ne doivent pas être faits sur les réseaux sociaux par des foules d’utilisateurs vengeurs mais bien devant les tribunaux au terme d’enquêtes menées dans le calme et le sérieux. Il est loisible que la réponse du ministère de l’Intérieur se fonde sur une problématique légitime posée à l’Etat et aux forces de l’ordre, sous pression et subissant des menaces, mais la réponse de Gérald Darmanin était probablement trop précipitée et mue par des intérêts politiciens à court terme. De fait, la responsabilité de l’Etat dans la dégradation des rapports entre les Français et la police est patent. Ils ont trop utilisé la police pour des opérations de maintien de l’ordre parfois non nécessaires, soumettant les fonctionnaires de police à des cadences infernales que ne pouvaient compenser à elles seules les primes financières.

Un coup pour rien?

Au fond, la loi sécurité globale est un prétexte pour le gouvernement comme pour ses opposants. Pour les premiers, il s’agit avant tout de communication, de montrer « qu’on en a » et qu’on ne reculera pas face à l’insécurité. Pourquoi alors hurler avec les loups quand des clandestins sont expulsés sous les caméras soigneusement placées par les associations qui cherchent à obtenir des images pour montrer le « martyr » de personnes qui n’ont tout simplement rien à faire en France ? Pour les seconds, l’objectif est toujours le même : faire croire aux Français que le sentiment d’insécurité n’est pas justifié, que l’immigration est une chance pour la France, que la police française est raciste, etc. C’est le programme de la gauche américaine, celui du Washington Post qui fait croire au monde que la France fiche les enfants musulmans ou que des « populations racisées » sont assassinées en toute impunité dans les rues de la capitale. Un discours qui justifiera demain de nouveaux attentats qui tueront des citoyens français ou des policiers en exercice.

A lire aussi, Driss Ghali sur l’affaire « Michel »: Le noir, le bibelot et le tapis de bain

Hormis les ajustements relatifs à la police municipale et à la sécurité privée, la loi sécurité globale n’aura pas d’effets sur la sécurité des Français. Dans les quartiers de la drogue, on continuera à se tuer au fusil automatique en plein jour, à l’image des Izards à Toulouse. Dans les transports, on aura toujours peur d’être volé, violé ou tabassé. La menace islamiste ne disparaitra pas par magie, pas plus que celle des terroristes du quotidien au mode de vie fondé sur la violence et l’incapacité à faire face à la frustration, ainsi que l’a démontré le pédopsychiatre Maurice Berger. Gérald Darmanin peut toujours monter sur ses ergots, nous sommes loin d’en avoir fini.

Dernier arrêt avant la soumission


L’effroyable assassinat de Samuel Paty a obligé les athlètes du déni à ouvrir les yeux. Beaucoup les ont déjà refermés. Les Français, eux, savent que le compte à rebours a commencé. Il est encore temps de contrer la progression islamiste dans le cadre de l’État de droit. Mais le respect du droit n’interdit pas l’usage de la force. Faute de quoi nous devrons choisir demain entre la guerre civile et la résignation. 


Le déni c’est fini. Cette fois, ça ne peut pas continuer. Le 16 octobre, c’est ce que beaucoup ont pensé, la rage au cœur, en apprenant qu’un professeur avait été décapité en pleine rue à quelques encablures de son collège. L’horreur du mode opératoire, le statut de professeur de la victime, encore porteur d’une vague effluve de sacralité même si depuis plusieurs décennies, on s’est efforcé, avec succès, d’en effacer toutes les expressions, y compris la plus simple qui consistait à se lever quand il pénétrait dans la classe (habitude abandonnée au cours de ma propre scolarité qui ne date pas d’hier), sans oublier la nature du crime qui lui était reproché, avoir essayé d’acclimater ses élèves à la liberté d’expression : tout devrait conspirer à réveiller les somnambules qui foncent vers l’abîme en insultant ceux qui tentent de les arrêter et, ce qui est plus fâcheux, en les entraînant avec eux.

Pourtant, on ne nous la fait plus. On ne croit plus aux rituels usés, auxquels les masques omniprésents ajoutent un zeste de grotesque: le Premier ministre qui se rend sur les lieux, les chaînes info qui basculent en « édition spéciale », les mots et proclamations martiales d’usage, la République et ses valeurs, la laïcité et ses défenseurs, nous ne céderons pas, sans oublier le ridicule « ils ne passeront pas » du président, alors qu’ils sont passés et depuis longtemps. On a du mal à croire que derrière ces signifiants fétichisés il y ait encore des référents. Depuis 2015, on connaît la chanson : plus il y a de mots, moins il y a d’actes.

L’islamo-gauchisme assommé par un grand coup de réel

Il est vrai qu’on a un peu moins abusé que d’habitude (que nous ayons pris ce genre d’habitude est éloquent) des nounours, bougies petits cœurs, qu’on a laissés aux adolescents venus pleurer leur professeur assassiné et peut-être, sans le savoir, la fin de l’insouciance et de l’innocence. On nous a aussi épargné quelques jours durant le déluge de compréhension et le flot d’excuses – de pauvreté, de minorité, d’insanité – qui, en pareil cas, s’attachent à amoindrir, sinon l’horreur du geste, sa portée. Au contraire, quelques heures après l’attentat, de nombreux procureurs, plus ou moins légitimes dans la fonction, dressaient la liste des coupables par omission, complices par dénégation et tueurs par procuration – les imbéciles fanatisés qui, pour oublier leur impuissance, vitupèrent et maudissent derrière leur écran, et dans une langue à peine articulée, tous ceux qui leur refusent (à eux et/ou à leurs croyances) ce « respect » dont ils semblent croire qu’il leur est dû par naissance ou par essence. Le gotha de la soumission était pointé du doigt. Et on a beau détester les lynchages, avouons qu’on ressentait un brin de joie mauvaise à voir enfin dénoncés ceux qui, depuis si longtemps, insultent le doigt pour ne pas voir la lune. On peut savourer la victoire, même quand elle est obtenue par l’intimidation morale – car soyons honnête, à ce stade, il aurait été hardi, voire suicidaire, de faire entendre un avis divergent.

À lire aussi, Alain Finkielkraut: Samuel Paty, le dévoilement et le déni

Au lendemain du crime, l’islamo-gauchisme semblait donc défait par les faits, assommé par un grand coup de réel. Pas un de ses thuriféraires avisés ni de ses idiots utiles, me semble-t-il, n’a osé prononcer le mot « islamophobie » sur un média grand public (en fouinant chez Mediapart, on doit bien trouver quelques pépites en dehors de ce malencontreux billet de blog s’indignant que la police ait abattu l’assassin). Tous voulaient soudain « désigner l’ennemi ». Et tous sommaient cet État auquel ils reprochaient la veille d’être brutal et arbitraire d’agir vite et fort.

On a donc assisté à un impayable bal des Tartuffe le dimanche 18 octobre place de la République à Paris. Pas gênés pour deux ronds, les représentants de toutes les boutiques de la gauche pleurnicharde jouaient des coudes pour qu’on les voie « refuser l’inacceptable » et « nommer l’innommable ». Tous Charlie, tous Paty, tout est pardonné. Il y avait SOS racisme qui depuis des années, pourchasse de sa vindicte Zemmour et tous les « nauséabonds », rendus responsables des fractures françaises ; la Ligue des droits de l’homme qui, deux jours plus tôt, adressait à ses amis et alliés une tribune contre la loi « séparatisme » (devenue la loi « laïcité ») et qui s’est illustré comme auxiliaire zélé du djihad judiciaire mené par le CCIF ; des syndicalistes qui se bouchaient le nez quand un de leurs collègues était suspect de laïcisme exagéré. Et bien d’autres encore qui ont déployé une énergie considérable pour empêcher que l’on voie ce que l’on voyait. Tous les compassionnels qui, au motif de protéger les musulmans (de leurs compatriotes ?) les ont englués dans un statut victimaire où beaucoup se complaisent alors qu’il fait d’eux les objets impuissants de leur propre destin.

L’islamisme est une partie de l’islam

On ne va pas se plaindre que tous ces experts en escamotage aient enfin vu la lumière – si on peut dire s’agissant d’une aussi sombre réalité. Nul ne leur demande de faire leur autocritique publique – nous ne sommes pas des progressistes ! –, mais un brin d’examen de conscience de nuit pas. Qu’ils aient retourné leur veste sans le dire, en feignant au contraire d’avoir toujours pensé ce qu’ils prétendent penser aujourd’hui, suggère plutôt qu’ils ont fait le dos rond pour se mettre à la mode idéologique et émotionnelle du moment en attendant que la roue de l’émotion tourne. La brutalité et l’unanimité des conversions n’augurent nullement de leur authenticité. On fera donc doublement crédit à Aurélien Taché, premièrement de ne pas s’être renié et, deuxièmement, de venir porter la contradiction chez l’adversaire.

Nous ne voulons pas vivrensemble avec des gens qui sortent leur poignard quand ils entendent le mot culture française

Pour le coup, on n’a pas été déçus en bien. La quinzaine de la vérité a duré moins d’une semaine et nombre d’yeux se sont fermés aussi promptement qu’ils s’étaient ouverts. On a donc vu refleurir, sinon les justifications, les minimisations et les occultations. La petite musique du « rienàvoirisme », terme forgé par Jean Birnbaum, s’est à nouveau fait entendre : ce crime effroyable n’aurait rien à voir avec l’islam. Pas d’amalgame. Certes, tous les islamistes ne sont pas terroristes (heureusement) et tous les musulmans ne sont pas des islamistes. Mais il est presque impossible de ne pas voir que l’islamisme est une partie de l’islam, peut-être son surmoi. Si on en croit les très nombreuses et très sérieuses études sur le sujet, l’imprégnation islamiste, qui fait de l’appartenance à l’islam le socle absolutiste de l’identité personnelle, concerne un bon tiers des musulmans de France et la moitié de la jeunesse – musulmans d’abord et souvent musulmans seulement. Ils condamnent sincèrement les assassins. Mais ils continuent à refuser, en tout cas à ne pas comprendre, que l’on puisse se moquer de leur religion. Il ne s’agit pas de fétichiser les caricatures, ce qu’on a commencé à faire après avoir tout fait pour oublier leur existence. Qu’elles puissent offenser les musulmans, et tous les autres croyants, ne fait guère de doute. La ligne de fracture du séparatisme passe entre ceux qui acceptent la souffrance de la liberté et ceux qui demandent ou exigent qu’on s’adapte à leur susceptibilité. Être pleinement français, c’est pratiquer l’acceptation des offenses. Et si possible y répondre par une moquerie ou un mot d’esprit. Nous ne voulons pas vivrensemble avec des gens qui sortent leur poignard quand ils entendent le mot culture française. Élisabeth Badinter a parlé d’un deuxième peuple en référence à ces Français qui, pour pacifiques qu’ils soient, vivent dans un autre monde culturel et même anthropologique que le nôtre. Il y a de la place en France pour toutes sortes d’individus. Pas pour un deuxième peuple.

Et pourtant, on se dit que, cette fois, tout ne sera pas comme avant, que le rideau qui s’est déchiré ne retombera pas sur la réalité.

Une colère qui monte 

C’est que, cette fois, la colère est plus forte que la tristesse et même que la peur, qui pourtant s’insinue partout, des salles des profs aux rédactions en passant par les commissariats. Assez ! ça suffit ! Dans tout le pays, on a poussé le même cri de révolte en découvrant l’étendue du désastre. On croyait encore, en dépit des vicissitudes, que l’école avait le pouvoir magique de fabriquer des Français. Et on découvre qu’elle est l’un des hauts lieux de la déconstruction de la France.

Tout le monde le sent, il est minuit moins le quart, peut-être même minuit passé. Il n’est plus le temps de jouer les belles âmes en ouvrant nos frontières et nos bras. Pas seulement parce que nous les avons trop souvent ouverts à de futurs assassins. Nous avons assez à faire avec des centaines de milliers de Français qui n’aiment ni la culture ni les mœurs ni les lois de leur pays pour accueillir toute la misère du monde, plus attirée (et on le comprend) par les charmes de l’État-providence que par les rigueurs de nos libertés.

Cérémonie d'hommage national à Samuel Paty à la Sorbonne, Paris, 21 octobre 2020. © François Mori/ POOL/ AFP
Cérémonie d’hommage national à Samuel Paty à la Sorbonne, Paris, 21 octobre 2020. © François Mori/ POOL/ AFP

Bien sûr, on se paiera encore de mots, on expliquera qu’il ne faut pas exagérer, que ce n’est pas si grave, on dira qu’il faut les comprendre avec les discriminations, le racisme sans oublier le colonialisme. On expliquera que tout ça c’est la faute de l’extrême droite. Sauf que plus personne n’y croit.

Les représentants officiels de l’islam ont-ils entendu cette colère qui pourrait nourrir d’injustes amalgames ? Toujours est-il que beaucoup ne se sont pas contentés de dire « non » à la violence, ils ont dit « oui » aux caricatures. L’un deux a même appelé les musulmans de France à défendre les intérêts de leur pays contre les appels au boycott, l’autre à en finir avec les discours victimaires. Certes, leur influence sur une jeunesse qui les considère comme des « vendus », voire des « Français » est quasi nulle. En revanche, ils peuvent contribuer à faire tomber du bon côté les hésitants et les tiraillés. Ceux qui, dans les repas de famille, pourraient prendre la défense des professeurs et engueuler le cousin qui explique à son fils que ce qu’on lui enseigne en classe est haram. Alors peu importe, dans le fond, que leurs proclamations républicaines soient dictées par leurs convictions profondes ou par sens du rapport de forces.

Le spectre de la guerre civile

Reste à apprécier la détermination de nos gouvernants et leur capacité à insuffler un peu de courage à tous les étages de la puissance publique. Nous avons besoin de fonctionnaires capables d’aller au conflit.

Emmanuel Macron a peut-être accompli une révolution intellectuelle et compris la gravité de la situation. Il doit encore prouver qu’il peut affronter la réprobation du Monde, la haine des réseaux sociaux et les froncements de sourcils de sa majorité – sans oublier les offuscations du New York Times. En plus de son patriotisme, on peut peut-être compter sur son sens des réalités électorales. Et sur sa peur de rester dans l’Histoire comme celui qui aura laissé l’islam politique gagner et le multiculturalisme s’installer. Pour commencer.

À lire aussi, Aurélien Marq: Le projet de loi “confortant les principes républicains” ne tourne-t-il pas autour du pot?

Si personne ne veut prononcer ou écrire le mot, le spectre de la guerre civile hante les esprits. Sans doute, elle n’est pas pour demain. Mais si on n’arrête pas le processus en cours, beaucoup en déduiront qu’elle est la seule alternative à la soumission. Pour Élisabeth Badinter, il est trop tard pour que la reconquête se déroule pacifiquement. Mais il est encore possible de la mener dans le cadre de l’État de droit, si celui-ci cesse d’être un carcan synonyme de désarmement. Respecter le droit n’interdit nullement d’employer la force – ne dit-on pas que force doit rester à la loi ? Or, aujourd’hui, souligne Marcel Gauchet dans Le Figaro, les normes juridiques, telles qu’elles sont interprétées par un empilement de juridictions, protègent d’abord les individus contre les empiétements de l’État. Résultat, les caprices de millions d’individus s’opposent à la volonté du peuple, en particulier à la première, qui est de continuer à exister comme communauté politique. Nos gouvernants feraient bien de s’en souvenir : on peut changer les lois. Pas le peuple.

Les Rien-pensants

Price: 23,56 €

24 used & new available from 3,34 €

La gauche contre le réel

Price: 26,00 €

29 used & new available from 2,42 €

Comment on a laissé l'islamisme pénétrer l'école

Price: 22,00 €

34 used & new available from 2,14 €

Les forces de l’esprit

0

Un livre de Christine Goguet sur le rapport des grands hommes à la divinité


Lors de ses ultimes vœux télévisés au peuple français, le 31 décembre 1994, François Mitterrand a surpris en disant : « Je crois aux forces de l’esprit, je ne vous quitterai pas. » Catholique de tradition familiale, élevé chez les jésuites d’Angoulême, le président socialiste a toujours cherché la foi sans qu’elle parvienne à s’imposer à lui. Il entrait dans les églises, priait, sans savoir qui au fond.

Mitterrand le mystique

Il espérait qu’il atteindrait à une forme d’éternité sans dire s’il la devrait à Dieu ou à l’Histoire. C’était un mystique avant tout, quêtant le moindre signe de l’Invisible. Il avait surpris son entourage en partant en Égypte, en décembre 1987. Il avait décidé de gravir le mont Sinaï, là où Dieu avait confié les Dix Commandement à Moïse, malgré le cancer et la douleur, les cailloux, le froid, la nuit. Il avait testé sa résistance sous les hourras des touristes espagnols qui l’avaient reconnu. Parvenu au point sacré, il se tenait droit dans ses chairs meurtris, la volonté intacte, à guetter le soleil se lever. Il vit alors un disque jaune, des rayons orange, une lumière de plus en plus vive, le paysage grandiose enfin. Il y eut le silence. Mitterrand redescendit. L’Invisible avait délivré son message. Son entourage avait compris qu’il serait candidat à sa propre succession.

Je me suis souvenu de ce moment extraordinaire en lisant l’excellent livre de la journaliste Christine Goguet, directrice de la mission mécénat et partenariats au centre des monuments nationaux, dans lequel elle raconte le rapport à la foi de treize personnalités : Charles de Gaulle, Albert Einstein, Winston Churchill, Victor Hugo, Napoléon, Mère Teresa, Van Gogh, François Mitterrand, etc. Sa démarche consiste à montrer comment le divin les a durablement inspirés et a influencé leur action.

Le portrait du général de Gaulle montre un homme que la foi a toujours habité. Il y avait en lui une dimension messianique. À un moment crucial de l’Histoire, il serait amené à sauver la France. Ce pays avait une âme catholique, il savait se ressaisir lorsque tout semblait perdu, à condition que quelqu’un se dressât pour indiquer le chemin à suivre. Le Général et son épouse furent durement éprouvés lorsqu’ils apprirent que leur fille, Jeanne, était née trisomique. De Gaulle : « Son âme était dans un corps qui n’était pas fait pour elle. » Mais il parvint à surmonter l’ordalie. À son aumônier, il déclara, humblement : «  Lorsque cette enfant vint au monde, elle fut la source d’un immense chagrin. Aujourd’hui, c’est un don de Dieu. »

Dieu, pour tenir en respect la souffrance

Christine Goguet rappelle les mots de son petit-fils, Yves de Gaulle : « Mon grand-père se reconnaissait particulièrement dans une valeur chrétienne : la liberté. » Il ajoute: « L’étoile du berger domine sa trajectoire. Pour lui, le monde était un chaos mais avec au bout l’espérance. »

Le cas Van Gogh est passionnant. Son père est pasteur dans l’Église calviniste. Il est sévère, froid, rugueux. Vincent développe un caractère mélancolique. Après une jeunesse austère, il finit par découvrir la vie de Jésus, son sacrifice. C’est décidé, il sera pasteur. Il étudie la théologie à l’université d’Amsterdam. Il mange peu, travaille beaucoup, s’affaiblit. Il rate ses examens. Puis il suit des cours à l’école protestante de Laeken, en Belgique. Dépressif, rebelle, c’est un nouvel échec. Christine Goguet raconte son parcours qui le conduit à partager son amour du Christ avec les mineurs de Borinage. Il vit avec eux, prêche l’Évangile, tente d’adoucir les maux des travailleurs brisés. Les autorités ecclésiales traditionalistes lui mettent alors des bâtons dans les jambes. Ce prédicateur ouvrier dérange. Ils suspendent sa mission. Vincent retourne chez ses parents. Il est violent. Le père veut le faire interner. Il trouvera le salut dans la peinture. Dans ses œuvres, on retrouve la puissance du divin, son mouvement, ses ciels tourmentés où luisent les étoiles des brûlés de Dieu. Mais cet écorché vif, ce solitaire sans amour, finit par se suicider à 37 ans. Dans une lettre à Émile Bernard, Vincent écrit: « Le Christ a vécu sereinement, en artiste plus grand que tous les artistes, dédaignant et le marbre et l’argile et la couleur, travaillant en chair vivante… » Que peut-on ajouter ?

Préface posthume de Denis Tillinac

Comme le note le regretté Denis Tillinac, dans sa préface, Napoléon vécut « une spiritualité tourmentée ». Ce n’est qu’au soir de sa vie qu’il eut un « véritable retour de foi ». Christine Goguet rappelle les paroles de l’Empereur au général Bertrand : « Je connais les hommes et je vous dis que Jésus n’était pas un homme. »

La France voit ses églises désertées, transformées en hôtel ou en brocante, détruites. La marchandisation du monde est implacable. La nation française n’y échappe pas. Nous vivons des temps où les spectres s’agitent pour nous précipiter dans la dictature de l’uniformisation et de l’égalitarisme. Les politiques sont dépassés, ils mettent en avant la laïcité. Mais la laïcité ne peut pas tout. Il conviendrait également de réaffirmer les valeurs fondamentales du christianisme, sans lesquelles la France ne serait pas. Le livre de Christine Goguet rencontre le succès parce qu’il rappelle que, sans la spiritualité qui élève, il ne peut y avoir de liberté.

Christine Goguet, Les grands hommes & Dieu, préface de Denis Tillinac, Editions du Rocher.

Les grands hommes et Dieu

Price: 16,90 €

24 used & new available from 2,26 €

LGBTHOVEN

0
© Soleil

Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne!


Pauvre Ludwig ! Ce n’était pas assez de perdre l’oreille à 25 ans. Pas assez de voir son anniversaire saboté par un microbe (né en 1770, 2020 est son quart de millénaire, la fiesta promettait). Pas assez. Il faut encore se faire gommer par les effacistes.

Du passé faisons table rase…

« Cancel culture » qu’ils disent. Culture à effacer avec Colbert, Schœlcher, Polanski et Woody. Donc, comme cadeau de deux-cent-cinquantenaire, les effacistes effacent Beethoven. Son crime ? Avoir composé la Cinquième symphonie. Pompompompom : cri primal du colon dominateur. Quelques Black Lives Avengers comme le critique James Bennett II avaient lancé l’alerte. Deux thermidoriens new age, le journaliste pop Charlie Harding et son double musicologue Nate Sloan, rejoignent aujourd’hui le comité de salut public sur le média américain Vox. « Depuis la création en 1808, écrivent nos experts, les auditoires ont interprété ce parcours [du pompompompom initial à l’ut final, NDLR] comme une métaphore de la résilience personnelle de Beethoven face à la surdité. » Mais en vrai, ce que raconte la Cinquième, c’est la marche triomphale du macho « blanc et riche » à la tête de sa légion réactionnaire. « Pour d’autres groupes – personnes LGBTQ+, personnes de couleur – la symphonie de Beethoven peut surtout rappeler que la musique classique est une histoire de l’exclusion et de l’élitisme. »

À lire aussi, Jeremy Stubbs : La « cancel culture », cette effrayante intolérance progressiste

Selon cette théorie pas tellement nouvelle, Mozart était cool parce qu’on pouvait applaudir entre les mouvements de ses concertos et bouffer des chips pendant ses opéras, alors que Beethoven aurait inventé l’Œuvre avec un gros Œ, qui domine, qui intimide, qui écrase le public. Pas tousser, pas hurler, pas bouger, « signifiants de la classe bourgeoise ». D’où « un mur entre la musique classique et un public nouveau et divers. » Mur inauguré truelle en main par Beethoven. Et vive la pop citoyenne qui vous cause d’égal à égal.
Vous direz : laissez ces tarés tarer. Mais voyez-vous, ces maîtres-là ont des disciples, plein de disciples, chaque semaine plus nombreux. Et depuis que Notre Castex a fermé les salles de concert, si on ne vole pas au secours du brave Ludwig, qu’est-ce qu’il va devenir ?
Alors. Déjà tomber sur Beethoven relève du parfait opportunisme, genre tu vas voir comment ton anniv ça être ta fête. Bach non plus, il n’en a rien à foutre de ton moi écoresponsable : il compose directement pour Dieu, pour prouver Dieu comme dirait Pascal. Et le mégalo Michel-Ange, tu crois qu’il t’inclut inclusivement ? Depuis que l’art est art y’en a des qui chatouillent et des qui gratouillent (et des qui ni l’un ni l’autre). Et puis ?

À qui le tour ?

Et puis, question mur, la pop ne se gêne pas tant. Le Floyd, dans The Wall justement, il se mouche du genou ? D’ailleurs qui leur a dit, aux effacistes, que Beethoven était un militant hétéro à la recherche des bourgeois en fleur ? Il leur crachait dessus, aux bourgeois. Depuis deux siècles la Cinquième reste un mystère sans classe, à la fois le plus écrasant et le plus populaire.

À lire aussi, Edouard Girard : Une considération actuelle : David Doucet, La Haine en ligne

Élitiste ? Si on admet que le marché a changé d’élite. À l’époque de Beethoven, ses patrons roulaient en carrosse et lui en carriole ; à l’époque de Rihanna, Madame roule en Lamborghini et ses fans en métro. Cherchez le bourgeois.
Et maintenant à qui le tour ? Accusé de child abuse, voilà un candidat solide, qui s’écriait « I’m not gay », n’aimait la peau que blanche, se voyait très au-dessus de nous autres et se comparait publiquement à Jésus. Je propose donc d’effacer Michael Jackson.

La Haine en ligne: Enquête sur la mort sociale

Price: 18,90 €

20 used & new available from 2,63 €

Vu en Amérique... Bientôt en France

Price: 20,90 €

23 used & new available from 2,49 €

Luc-Olivier d’Algange ou l’Europe secrète

0
Luc-Olivier d'Algange D.R.

On réédite quatre titres de l’écrivain néo-païen qui en appelle au déconfinement de la pensée. 


Lecteur de Balzac, disciple du gnostique Raymond Abellio et du mystique monarchiste Henry Montaigu, Luc-Olivier d’Algange poursuit depuis des décennies une quête exigeante, nourrie d’immenses lectures, de Platon à Nietzsche, et dont l’objectif est toujours de « sauvegarder en soi, contre les ricaneurs, le sens de la tragédie et de la joie ».

Pensée orphique et contre modernité

Même s’il en appelle parfois au Christ, un Christ solaire et victorieux à des années lumières du dolorisme ecclésiastique, Luc-Olivier d’Algange se révèle Hellène, adepte d’une pensée de type orphique. Contre-moderne résolu, allergique aux « voies ferrées » de l’infralittérature officielle, il résiste à toutes les formes d’hébétude et d’anesthésie, à la massification globale comme aux formes nouvelles d’obscurantisme.

Il y a chez lui du paladin de l’ancienne France royale et du mystique de l’Allemagne secrète. Par son travail de recherche et d’approfondissement effectué dans la solitude et dans l’indifférence aux modes, l’homme prépare un « dé-confinement » esthétique et spirituel, une sortie de la Caverne ainsi qu’un recours à l’essentielle leçon des Grecs, nos Pères : faire de l’homme « la mesure de toute chose » pour citer le Protagoras de Platon. Il s’agit bien de faire contrepoids aux langueurs du déclin : « L’exil intérieur est source de folles sagesses dont aucune ne se soumet à la tristesse ».

Ombre de Venise et souvenir de Dominique de Roux

C’est dire s’il faut applaudir la réédition revue et augmentée de quatre de ses livres dans la belle collection Théôria que dirige Pierre-Marie Sigaud chez L’Harmattan, et qui a pris la suite de la regrettée collection Delphica des éditions L’Âge d’Homme. Il s’y retrouve en bonne compagnie aux côtés de Françoise Bonardel, de Jean Borella ou de Frithjof Schuon. L’ombre de Venise, le salut aux mânes de Dominique de Roux, les relectures de Dante et d’Hölderlin, l’alchimie et Henry Corbin peuplent des pages marquées au sceau de l’exigence.

Luc-Olivier d’Algange ou le Bon Européen, celui « qui ne se soumet point au temps » !

Luc-Olivier d’Algange, L’Âme secrète de l’Europe, L’Harmattan.

L'âme secrète de l'Europe: Oeuvres, mythologies, cités emblématiques

Price: 41,50 €

13 used & new available from 13,79 €

M. le président, il faut économiser sa honte!

0
Graves débordements lors des manifestations anti-police le 28 novembre 2020, Paris © Francois Mori/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22517666_000025

Après les violences subies par Michel Zecler lors de son interpellation par des policiers, le président semble rejoindre ceux qui s’indignent et ont manifesté bruyamment ce samedi 28 novembre. L’analyse de Philippe Bilger.


Le président de la République a délivré un long message sur Facebook où il faisait part de sa « honte » face aux images « insupportables » de la brutalité durable et raciste dont Michel Zecler, un producteur noir, a été la victime à l’intérieur du studio comme à l’extérieur de la part de trois fonctionnaires de police, un quatrième jetant une bombe lacrymogène.


Pourquoi ces vidéos ont-elles indigné bien au-delà du cercle des opposants compulsifs de la police quoi qu’elle fasse, des idéologues aspirant à ce qu’elle seule soit livrée pieds et poings liés à ceux voulant « bouffer du flic »?

Parce que ce déchaînement de violence, apparemment, a surgi comme une malfaisance inspirée par rien d’autre que le besoin de libérer une agressivité folle à l’encontre de cet homme traité de « sale nègre ». Parce que ce dernier, contrairement à tant de polémiques imputant à la police les comportements non civiques de ceux la fuyant ou se battant avec elle, n’a eu rigoureusement rien à se reprocher, bien au contraire, dans cette trop longue fureur exclusivement policière.

Cet unanimisme mêlant président, ministres, élus, droite et gauche, journalistes, célébrités, footballeurs, humanistes patentés et compassionnels conjoncturels, pourrait réjouir alors que tout démontre que notre démocratie est rien moins qu’unie. Pourquoi cependant, face à un tel maelström, est-ce que je me sens un peu gêné, comme si c’était trop?

A lire aussi, Driss Ghali: Le noir, le bibelot et le tapis de bain

Ces dernières semaines, tant de choses nous ont sollicités qui sur les plans sanitaire, de l’ordre, de la sécurité et de la police ne brillaient pas par la cohérence et la limpidité qu’on a le droit de réfléchir au-delà de cet odieux épisode. La gestion totalement erratique d’un article 24 pourtant nécessaire pour protéger la police, notamment dans sa sphère privée, a constitué cet article comme un repoussoir instrumentalisé par les journalistes avant que le Premier ministre ajoute à la confusion par ses fluctuations.

La sincérité de Gérald Darmanin questionnée

Si le président de la République a semblé transmettre récemment des dates susceptibles de nous rassurer sur l’existence d’un dessein gouvernemental, il n’empêche que tous les exclus de novembre et de décembre, rejetés jusqu’en janvier, sont dans un état de désespérance et de colère où l’incompréhension le dispute à un sentiment puissant d’injustice. Il apparaît qu’il y aurait un « sanitaire » deux poids deux mesures et qu’on peut craindre que notre société déjà largement éprouvée s’enfonce l’année prochaine dans un gouffre tragiquement mesurable.

Sur la police elle-même, on est heureux d’apprendre que le préfet de police a demandé à ses troupes de respecter « une ligne républicaine ». Je suis persuadé qu’il ne s’oublie pas dans cet avertissement. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin devient une cible commode. Il est vrai que lui-même mène une politique qui ne plaît pas à ce qu’il y a de gauche dans LREM et le fait de telle manière en mêlant, ces derniers jours, juste rigueur et démagogie précipitée qu’il peut faire douter de la constance et de la sincérité de son projet. Il donne trop l’impression d’avoir des embardées contradictoires plus qu’une plénitude digne de ce nom.

Gerald Darmanin photographié avant son entretien au journal de 20 heures de France 2, le 26 novembre 2020 © Thomas COEX / AFP.
Gerald Darmanin photographié avant son entretien au journal de 20 heures de France 2, le 26 novembre 2020 © Thomas COEX / AFP.

Mais à tout seigneur tout honneur. Le président de la République n’a pas seulement eu « honte ». Il a affirmé qu’il « croyait en la République exemplaire et en une police exemplaire » et qu’il attendait rapidement qu’on lui soumette des mesures pour lutter contre les discriminations dans la police. Incitant à ne jamais succomber à la violence, d’où qu’elle vienne, il ne risquait pas, avec ces nobles banalités, d’être contredit. L’action est malaisée: le verbe généreux compense et console.

Le terme « croire » est signifiant. Il manifeste comme l’exigence ne relève pas de la volonté mais du souhait.

Pour cette République exemplaire, serait-ce enfin l’irruption bienfaisante d’un nouveau monde de l’éthique quand depuis 2017 l’ancien a dominé?

Pour cette police exemplaire, il convient surtout de ne pas tirer de la brutalité inouïe que Michel Zecler a subie, des conclusions qui globaliseraient.

Mais qu’on me permette de ne pas tomber dans une absurde stupéfaction révélant à la fois une méconnaissance de la réalité et une naïveté face à la difficulté des missions policières. Dans la mesure où j’ai toujours soutenu que l’usage de la force légitime par la police était conforme à l’esprit républicain, je n’ai jamais minimisé les rares violences illégitimes que certains fonctionnaires pouvaient commettre, de sorte que je ne suis pas surpris, mais tétanisé par leur caractère délibéré.

Les manifestants du 28 novembre oublient les violences dont sont victimes les policiers

Je n’oublie pas non plus que pendant qu’on compatissait avec ce producteur, d’autres policiers, au quotidien, étaient victimes de scandaleuses résistances, de graves atteintes et que par exemple dans le même trait de temps une quinzaine de voyous, en Seine-et-Marne, s’en prenaient à des fonctionnaires attirés dans un guet-apens.

A lire aussi, du même auteur: Ils voient dans les nécessaires lois sécuritaires notre « asservissement de demain »…

Je ne rappelle pas ces évidences pour faire preuve de mauvaise foi mais pour mettre sur un plateau de la balance l’intolérable d’agressions ponctuelles comme celle à l’égard de Michel Zecler, et sur l’autre les mille offenses verbales et physiques causées à des policiers dans l’accomplissement de leur mission. Il me semble que ma démarche n’est pas inutile alors qu’une foule impressionnante défile à Paris le 28 novembre, mais contre les seules violences policières et la loi « sécurité globale » qui n’avait rien de liberticide.

Mollo!

En même temps, dans cet étrange climat où le pouvoir semble même dépassé par le cours d’événements qu’il a pourtant initiés, la cote du président monte, celle de plusieurs ministres, comme si le pays ne se sentait pas vraiment concerné dans ses profondeurs par l’écume des anecdotes politiciennes mais jugeait passable, voire en progrès l’action du gouvernement. Mais de grâce, que le président économise sa honte et économisons la nôtre avec lui! On a pu déjà en dépenser beaucoup depuis 2017 et il y aura, dans notre avenir agité, mille opportunités d’indignation, de mépris, de révolte: il faudra qu’il nous en reste encore.

Car un pouvoir jamais assez exemplaire, une police jamais assez exemplaire et des citoyens jamais assez républicains !

Le Mur des cons

Price: 18,90 €

46 used & new available from 2,60 €

Des contradictions de la République et de l’idolâtrie dans l’islam

0
Manifestations des Indonésiens musulmans suite aux déclarations de Macron défendant le droit à la caricature, Jakarta, 2 novembre 2020. © INA Photo Agency/Sipa USA/SIPA Numéro de reportage : SIPAUSA30241760_000003

Michel Orcel explore deux paradoxes du conflit qui nous oppose à l’islamisme: la République oublie qu’elle est la fille de la Terreur, tandis que l’islamiste ne se rend pas compte qu’il commet le péché d’idolâtrie en condamnant les caricatures.


L’épouvantable décapitation d’un professeur de collège au prétexte qu’il avait choqué la foi religieuse de quelques adolescents nous invite à observer d’abord que c’est au seul concept de République que nos hommes politiques se réfèrent pour condamner cette exécution. Référence absurde, car il existe toutes sortes de républiques où la liberté ne s’exerce pas, et surtout parce qu’aucun régime n’a mieux développé que la Révolution française la décapitation de masse pour justifier une idéologie totalitaire.

La République française n’est pas un principe, mais un régime

Et qu’on ne nous rétorque pas, comme certains, qu’il y a rupture entre la Révolution et la Ve République : sa devise, son hymne, ses principes, sa négation des corps intermédiaires, son centralisme, sa prétention à créer un homme nouveau délivré de toutes contingences naturelles ou historiques (« mariage pour tous », lois dites bioéthiques, extension de l’avortement, PMA « pour toutes et tous », etc.), enfin le gouvernement actuel d’un parti si autoritariste qu’il en est venu à réprimer violemment des manifestations pacifiques, contrôler nos plus simples sorties ou interdire momentanément l’exercice du culte, montrent assez que notre République est historiquement la fille de la Révolution jacobine.
La République française n’est pas un principe, mais un régime ; et la France transcende de loin l’histoire si récente et si meurtrière de ce régime-là. Ce n’est donc pas tant la République que bouleverse cette décapitation (une république qui, à travers l’immigration, est largement responsable, par laxisme, angélisme, calcul ou complicité, de l’émergence d’un islamisme aujourd’hui meurtrier) que la France : le vin, la musique, la politesse, la galanterie, la pensée libre, ne sont pas républicaines, mais françaises.

Évidemment, aménager la loi pour de petits groupes (les juifs de France au XIXe siècle, par exemple) est tout à fait concevable : l’ancienne France était même fondée sur des privilèges divers et variés, qui respectaient les coutumes locales, les droits corporatifs, les libertés communales. N’ayons pas peur de dire que la réification des personnes à l’état d’individus interchangeables telle que l’a conçue et voulue la République rousseauiste et jacobine – Georges Bernanos ou François Furet, pour ne citer qu’eux, l’avaient bien vu – a fait le lit de tous les terrorismes.

L’islam contemporain est-il en mesure de nous respecter ?

Les mesures radicales qu’il serait nécessaire d’adopter pour endiguer la terreur islamiste qui gagne notre pays (mesures que je ne suis pas seul à préconiser mais qui semblent impossibles dans le cadre législatif européen), ce n’est pas un islamophobe, loin s’en faut, qui les soutient ici. Si la civilisation musulmane est endormie depuis plusieurs siècles, on ne saurait ignorer ses très riches apports, pas plus que l’abondance et la profondeur de sa poésie et de sa mystique, par exemple. J’aime et respecte l’islam – que j’ai longuement fréquenté –, et la figure de Lyautey m’est très chère. Pour protéger l’islam marocain des insolences coloniales, il fit édicter l’interdiction des lieux de culte aux non-musulmans. Mais la France n’est pas un pays musulman et nous devons aux fidèles de cette religion le respect qu’on doit à tout homme, dans la mesure où il accepte notre culture et nos lois. Or telle est la question qui se pose aujourd’hui : l’islam contemporain est-il en mesure de nous respecter ? L’islam d’aujourd’hui – c’est-à-dire le fondamentalisme islamique – a-t-il encore quelque chose à voir avec l’islam traditionnel, historiquement si proche de nous encore, et si amical : pensons aux unités musulmanes de l’armée française actives jusqu’à la guerre d’Indochine, à leur double allégeance manifestée notamment dans leurs insignes et leurs devises (« Allahou akbar »[tooltips content= »5e Régiment de tirailleurs algériens. »](1)[/tooltips] ! ou « Dieu, l’islam et la France »[tooltips content= »200e bataillon de pionniers nord-africains. « ](2)[/tooltips]), aux harkis, ou même aux vieux et respectueux Algériens transplantés en France que nous avons tous connus dans notre jeunesse ?…

À lire aussi, André Sénik : Le couac de Jean-Yves Le Drian doit être corrigé

Je ne serai pas le premier à répondre par la négative. Dans l’islam traditionnel, le djihad offensif était considéré comme désormais clos depuis le XIVe siècle. Seul l’agression du dar al-islam appelait à la guerre sainte (l’Algérie avec le grand Abdelkader, qui, une fois défait, devint un ami de la France et un défenseur des chrétiens de Syrie, en est le meilleur exemple). Ajoutons que terorisme et suicide sont rigoureusement contraires à la tradition musulmane du « petit » djihad (la guerre sainte). Même le précédent des Assassins (Hashashins), auquel certains ont eu recours pour trouver une généalogie au djihadisme moderne, est tout à fait inopérant, non seulement parce qu’il s’agissait d’actions émanant d’une minuscule secte ismaélite, mais aussi parce que leurs victimes n’étaient que des souverains. D’autres facteurs marquent donc la rupture doctrinale entre l’islam ancien et l’islamisme qui se développe chaque jour un peu plus dans le monde musulman.

Islam : l’ancien et le nouveau

Le facteur essentiel est très évidemment la mondialisation, et son corollaire : la puissance des États les plus riches. Le wahhabisme saoudien, qui, voilà un siècle encore, n’était qu’une petite secte hérétique de l’islam, a diffusé sa doctrine dans le monde musulman, soit directement, soit à travers la mouvance salafiste, qui en est dogmatiquement très proche. Alors que l’ancien islam présentait un éventail très varié de coutumes et de croyances ainsi qu’une littérature foisonnante (juridique, littéraire, spirituelle), le fondamentalisme favorise l’extrême pauvreté de la pensée et l’adoption de règles passe-partout, fort commodes pour enrôler les masses incultes, en jouant sur le réflexe communautariste de l’oumma. Et il n’est pas peu curieux d’observer que la secte wahhabite, qui passe son temps à lutter contre toute vénération qui ne s’adresse pas à Dieu (la majorité des sanctuaires et lieux historiques de La Mecque ont été détruits, et le tombeau même du prophète a été menacé, sous prétexte qu’ils suscitent des vénérations idolâtriques), n’a eu d’autre résultat que de favoriser, non seulement la mondialisation du « voile », mais l’idolâtrie de la figure du prophète…

À lire aussi, Ferghane Azihari : Islam radical: et si la solution passait par l’apostasie des musulmans?

Sans revenir aux origines de l’islam et en s’en tenant à l’histoire canonique, la figure de Mahomet a été à la fois contestée, et très tôt vénérée. Vénérée comme celle d’un homme choisi par Dieu, comme un véhicule de la parole divine ; mais jamais comme un dieu, cela va de soi. Cette vénération, associée à l’iconoclasme sémite (partagé avec le judaïsme), a beaucoup réduit la représentation picturale du prophète, dont on trouve cependant de belles et nombreuses traces (le visage découvert ou voilé d’un linge blanc) dans le monde persan, l’Inde moghole ou l’empire ottoman. Si elle n’est pas courante, la figuration du prophète jouit donc d’une réelle tradition. Par ailleurs, le prophète de l’islam s’est toujours gardé de se comparer aux grands prophètes juifs, notamment Jésus, « Verbe de Dieu » (IV, 171), dont les miracles sont chantés dans le Coran, et annonce clairement : « Je ne suis qu’un simple mortel, envoyé par Dieu à mes semblables » (Coran XVII, 93). Si la tradition légendaire lui attribue quelques prodiges, le prophète admettait lui-même que son seul miracle était la descente du Coran – ce qui revenait à attribuer le miracle à Dieu et à confirmer la nature purement humaine de son envoyé.

Le paradoxe du péché d’idolâtrie

Ce petit excursus nous permet de revenir à l’objet de cet article : l’islamisme – même s’il a déjà gangréné les représentations officielles (les Musulmans de France, le CCIF, etc.) – ne représente heureusement pas la pensée de tous les musulmans français, dont beaucoup sont parfaitement intégrés à notre culture.

On comprend néanmoins que la masse des fidèles, même modérés, puissent être violemment choqués par des caricatures auxquelles leur histoire ne les a pas habitués ; mais, en s’enflammant contre elles au point de justifier le meurtre de leurs auteurs ou de ceux qui les colportent, les fondamentalistes (et ils sont de plus en plus nombreux : les services secrets viennent d’en avertir l’Élysée) commettent sans en avoir conscience le péché le plus condamnable de l’islam : l’idolâtrie.

Ils divinisent le prophète et se font ainsi les spectateurs d’une adoration qui, aux yeux de l’islam, est considérée comme impie. Ajoutons que ces musulmans auraient beaucoup à apprendre des chrétiens occidentaux, lesquels, depuis des décennies, supportent les railleries les plus ordurières au sujet du Christ (notamment dans Charlie Hebdo), parce qu’ils savent bien que ces figurations ne sauraient affecter en quoi que ce soit la nature du Dieu infini dans lequel ils croient.

L'invention de l'islam: Enquête historique sur les origines

Price: 9,62 €

8 used & new available from

Et Diego s’envola avec la balle…

0
© Colorsport / Shutterstock / SIPA Numéro de reportage: Shutterstock40808452_000003

Thomas Morales se souvient de ses douze ans: dimanche 22 juin 1986 – Costa Brava/Stade Azteca


Cette année-là, nous étions partis en Espagne plus tôt, pour affaires. J’avais 12 ans et abrégé une année scolaire pour le moins chaotique et déprimante. Une raquette de tennis de marque Le Coq Sportif, témoignage d’un autre mois de juin, Roland-Garros 1983, m’accompagnait dans tous mes déplacements. Je me souviens que Miguel Bosé chantait à la radio le titre Nena. Je m’empiffrais de churros l’après-midi et fit honneur à la boisson locale, le Fanta naranja et limón durant tout l’été. Peu rassurante, la Guardia Civil faisait des rondes dans un Land Rover badgé Santana.

L’été espagnol

Il y avait comme un parfum d’Occupation dans l’air, malgré la poussée culturelle de la Movida. De jeunes catalans sortaient du lycée en bermuda, au guidon de petites Montesa de trial. Mon père m’avait promis de ramener une cinquante centimètres cube dans notre pluvieux Berry. Les mères espagnoles de la classe aisée portaient des colliers de perles sur des polos Lacoste de couleur jaune paille ou bleu lavande. Il y avait encore dans les rues, quelques grosses voitures américaines assoupies, comme à la Havane, héritage d’une industrie du tourisme en pleine expansion, largement amorcée en son temps par Franco et l’arrivée de capitaux étrangers, dès les années 1950. Les socialistes au pouvoir continuaient cette même politique économique, jouant sur une peseta basse, donc attractive. Felipe González ressemblait à un Michel Leeb mexicain. L’immobilier assurait des fortunes aussi rapides que suspectes.

Un voisin britannique, vieux lord maquillé comme une poule de luxe sorti d’une nouvelle de Truman Capote, quittait tous les soirs à 21 heures sa villa au volant d’une Rolls-Royce Silver Shadow. De ma terrasse, j’observais son manège espérant capter l’attention d’une Hollandaise âgée de quinze/seize ans arrivée avec sa famille dans un break Chevrolet Caprice. Son profil d’Anita Ekberg batave m’avait tapé dans l’œil. Sur le court en terre battue, ma mère me faisait travailler mon revers, insistant sur l’amplitude du geste comme aux grandes heures de Suzanne Lenglen.

Une orange déguisée en footballeur

Nous armions démesurément nos coups ce qui donnait une certaine élégance à nos mouvements à défaut d’efficacité tennistique. Chez nous, formés à l’école du rugby, le football était banni par idéologie et par esprit de dissidence. Je ne fus jamais inscrit au club de mon village ce qui handicapa largement mon insertion et ma sociabilité. Ah si j’avais tapé dans un ballon rond, j’aurais eu certainement une autre carrière ! Ce sport nous apparaissait alors dépourvu d’intérêt et de profondeur nostalgique. Réfractaires au ballon, nous subissions donc la méfiance de notre entourage et la hargne des supporters.

A relire, du même auteur: Le logo des JO et les athlètes de l’écrit

À dire vrai, je m’étais passionné, en secret, quatre ans plus tôt, toujours en Espagne, pour Naranjito, la mascotte de la Coupe du Monde 1982, une orange déguisée en footballeur. J’achetais alors tous les produits dérivés de cet étrange personnage, des timbres édités par la Poste espagnole aux figurines en plastique. Est-ce à cause des caprices de la météo ou du tennis-elbow de mon père que ce dimanche-là, nous fumes contraints de regarder la télévision ? Nous n’avions aucunement envie de communier sur l’autel de la baballe et de nous vautrer dans l’émotion collective. Nous nous pensions bien au-delà des cultures de masse et des foules ahuries. L’Argentine affrontait l’Angleterre dans un quart de finale devenu aujourd’hui homérique, sanctifié par toute la planète. Du football, nous ne connaissions que les ânonneurs de pelouses, les pousseurs affabulateurs et le pragmatisme viril des Allemands. Des gesticulateurs aussi peu recommandables que des politiciens en campagne électorale.

Râblé comme un plâtrier

Viva les bleus tube à l’irrédentisme joyeux entonné par l’immense Carlos n’avait pas réussi à nous intéresser à l’événement. Ce jour-là pourtant, nous étions devant notre poste, les commentateurs en castillan dans les oreilles et rencontrions, pour la première fois, la foulée céleste de Diego Armando Maradona. La patte gauche de dieu nous faucha en pleine soirée. Le ballon collé à ses basques. Bas, démesurément bas. Au ras de la terre.

Râblé comme un plâtrier, un maçon ou un carreleur, le numéro 10 courait jusqu’au but. Inarrêtable. Celui qui le stopperait n’était pas du genre humain. Avec cette geste communicative, la violence naturelle et jouissive du buteur, il ne reculerait pas, il driblerait, il se jouerait de la défense, la narguerait, avec la volonté de l’humilier. Ce n’était pas très propre, pas tellement fluide, mais époustouflant d’adresse, de vista et de combat au corps-à-corps.

Le commentateur pouvait alors s’interroger, les larmes dans la voix : de que planeta viniste, oui on se le demande aujourd’hui encore de quelle planète pouvait-il bien venir ce gars-là, né dans la banlieue sud de Buenos Aires ? Le commentateur utilisait des formules magiques : barrilete cosmico et corrida memorable. Bulldozer féerique de tout un peuple en liesse. Ce jour-là, nous avons appris que le football était une terre nouvelle et qu’un Argentin d’1,65 mètre était son conquistador éclairé. « Je veux dire que les autres existent plus ! Les autres romanciers !… tous ceux qu’ont pas encore appris à écrire en « style émotif »….y a plus eu de nageurs « à la brasse » une fois le crawl découvert »…

S’il l’avait connu, Céline aurait pu rajouter qu’après Maradona, le football n’était plus un jeu lointainement inventé par les Français et popularisé par les Anglais mais une affaire argentine. Cette année-là, j’ai troqué ma raquette pour le maillot de l’albicéleste.

Paris-berry nouvelle vague

Price: 12,00 €

5 used & new available from 9,47 €

Le noir, le bibelot et le tapis de bain

0
Le producteur de rap frappé par la police répond aux journalistes alors qu'il se rend à l'IGPN, le 26 novembre 2020 © Thibault Camus/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22517147_000001

Montées en épingle par le petit marigot politico-médiatique, les images de la bavure policière sur le producteur de rap Michel Zecler permettent aussi de remettre une pièce dans la machine de la victimisation racialiste. Les difficultés importantes de la police nationale, que la loi “sécurité globale” entendait combattre, sont-elles oubliées ?


 

Aux yeux des élites françaises et occidentales, le noir est devenu une sorte de bibelot, un objet fragile et précieux que l’on installe dans la pièce la plus luxueuse de la maison, là où on fait salon en compagnie de la bonne société. Un fétiche rapporté d’un voyage lointain, un masque africain qu’il faut garder à une certaine température et sous certaines conditions d’humidité. Et à chaque fois que la femme de ménage passe, on a un haut-le-cœur de crainte qu’elle ne fasse tomber le bibelot ou qu’elle marque de ses gros doigts sa délicate texture.

C’est ainsi que l’on peut décrire l’état d’esprit de nos élites. Dès qu’un noir est victime de violence, le racisme est systématiquement convoqué comme la seule et unique explication. Et ce n’est pas n’importe quel racisme, c’est le racisme systémique issu du privilège blanc c’est-à-dire un crime collectif qui exige bien entendu une punition collective de tous les Français, tous coupables au fond. 

La vidéosurveillance ne dit pas le réel

Le tabassage d’un producteur musical par des policiers indignes de leur uniforme est une répétition générale de ce que nous venons de décrire. La femme de ménage blanche a encore cassé le bibelot noir. O indignation, ô exaspération, les élites font la moue, elles sont désolées de la grossièreté des manières de leurs sous-fifres.  

Des images de vidéosurveillance montrent le producteur de rap battu par la police © MICHEL ZECLER / GS GROUP / AFP
Des images de vidéosurveillance montrent le producteur de rap battu par la police © MICHEL ZECLER / GS GROUP / AFP

Personne n’attend les résultats de l’enquête pour être sûr que les policiers étaient motivés par le racisme. Moi, je n’en sais rien et vous non plus ne devriez pas sauter aux conclusions car une vidéo n’a jamais remplacé la vérité. Si la vidéosurveillance urbaine disait le réel, nous pourrions économiser des centaines de postes de commissaire et de magistrat ! Les seuls qui savent réellement ce qui s’est passé cette nuit-là dans le 17e arrondissement sont les mis en cause (les policiers) et les victimes (le producteur et les jeunes musiciens). Si on les laisse s’exprimer sans mettre de mots à leur bouche, l’on entendra peut-être les échos de la peur (toujours mauvaise conseillère), de la colère (ennemie du discernement) et peut-être du racisme le plus abject.  

A lire aussi: Ils voient dans les nécessaires lois sécuritaires notre «asservissement de demain»…

Or, nos élites se fichent éperdument de la vérité et de la justice, elles courent après la nausée (pensez à la une de Libération le 27 novembre). Cette nausée leur permet de poser leur supériorité morale et de se distinguer de la plèbe qui ne peut goûter de tels tourments. Le peuple est trop occupé à survivre pour s’autoflageller. Le luxe a été toujours le privilège du petit nombre.

liberation-uneEt peu importe que ce hobby de riches finisse par créer chez certains noirs un syndrome de persécution qui les amène à craindre réellement la police et les blancs qui sont leurs concitoyens, leurs collègues et leurs frères. Victimes éternelles et systémiques, ces noirs sont repoussés dans les marges, loin des centres de décision et des cercles d’influence.

Si Frantz Fanon était encore de ce monde, il serait très en colère contre cette nouvelle aliénation de l’homme noir, sans cesse empêché d’être un homme comme les autres. Ses drames sont toujours vus comme le fruit d’un complot ourdi par les méchants blancs. Et ses succès sont toujours présentés comme des justes réparations

Fétichisation raciale

L’arabe lui aussi a été fétichisé par les bien-pensants qui le placent au-delà de tout, même de la morale la plus basique. Il a le droit de voler et de détruire car lui, plus que tout autre, est victime de la pauvreté et des discriminations. Pensez toujours au bibelot que l’on pose soigneusement sur un meuble en acajou, derrière une vitrine qui l’isole de la poussière, du froid et de la chaleur c’est-à-dire de la vie. On l’aime mais on le méprise en même temps car on l’estime indigne de vivre dans la réalité, celle des droits et des devoirs. Le monde des adultes en somme.  

La gouvernance dont je viens d’esquisser les contours a pensé aussi aux blancs et aux Français de souche. Elle leur assigne le rôle du tapis de bain. Leur place est symboliquement par terre, au contact du carrelage froid et humide.

A lire aussi, Driss Ghali: Carrefour et le racisme imaginaire

Le blanc est le souffre-douleur. Les faits divers dont il est la victime sont passés sous silence. Quand il est attaqué par un noir, un arabe ou un tchétchène, ce n’est jamais un crime raciste mais un simple contentieux qui mérite une médiation et non une punition.

Du matin au soir, il est l’objet d’un procès de Nuremberg, instruit à charge par les universités et les médias autorisés. Certains jours, le service public audiovisuel me rappelle un peu la Radio des Mille Collines, dans sa monomanie obsessive et sa diabolisation systématique d’une partie de la population. Le blanc est coupable de tous les crimes imprescriptibles : esclavage, colonialisme, racisme, machisme, masculinité toxique, homophobie, réchauffement climatique etc. De là à considérer licite sa disparition, de là à justifier les agressions dont il est victime au quotidien, il n’y a qu’un pas… 

Naufrage

Pas besoin d’être gaulois pour être blanc, il suffit d’être policier : combien de gardiens de la paix issus de l’immigration ont été agressés voire tués sans que cela ne fasse la une des journaux ? L’on peut aussi être déclassé c’est-à-dire passer du statut du bibelot au statut du tapis de bain si on « pense mal » ou l’on « s’exprime mal ». C’est ce qui arrive, je crois, à votre humble serviteur à chaque fois qu’il n’adopte pas le point de vue attendu d’un maghrébin. Je suis, comme tant d’autres, assigné à résidence : je dois condamner la colonisation, excuser la délinquance et disculper l’Islam de toute dérive fanatique. Sinon, eh bien sinon je deviens un « arabe de service » donc un compagnon de route et d’infortune du Français de souche.

Défaite de la pensée. Naufrage de l’esprit français. Le pays des Lumières s’est laissé brûler par le soleil américain. À force de nous frotter au contre-modèle anglo-saxon, nous sommes en train de devenir une annexe du Bronx où rien ne pousse à part le ressentiment croisé. Un mur de lamentation doublé d’un mur de séparation entre les races et les religions. Quelle honte.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Flics Lives Matter

La mission première de la génération actuelle est de dynamiter ce mur. Elle doit recommencer à penser l’homme dans sa plénitude. Elle doit faire l’autodafé de l’idéologie dominante qui réduit tout à la couleur de la peau, au genre et à l’orientation sexuelle. Si les élites nous veulent myopes, achetons-nous des lunettes pour voir loin. Si les puissants nous prennent par les émotions (pour ne pas dire autre chose), réfugions-nous dans les idées. Prendre de la hauteur, c’est déjà résister.

Quand quelqu’un vous intime de vous agenouiller au nom du racisme, méfiez-vous. Dans neuf cas sur dix, il veut vous empêcher de voir la pleine lune et vous priver de sa lumière céleste. Rebellez-vous quitte à lui mordre le doigt. 

L’imbroglio de l’article 24

La loi sécurité globale est bien mal partie! Et l’on peut redouter que le déni d’autorité et la haine anti-flic aient encore de beaux jours devant eux.

D’importantes manifestations sont prévues ce samedi pour protester contre le fameux article 24 (qui veut punir la diffusion malveillante d’images de policiers). Des députés de la majorité LREM, Richard Ferrand et le président du Sénat Gérard Larcher pestent contre la nomination – voulue par le Premier ministre – d’une commission indépendante, chargée de réécrire l’article incriminé.

Les images de l’arrestation violente du producteur de musique dans le 17e par des policiers douteux sont venues perturber, encore d’avantage, cette situation politique déjà passablement compliquée autour de la loi “sécurité globale”.

Pendant ce temps, l’écrasante majorité de policiers fait convenablement son travail et est oubliée, quand elle n’est pas vilipendée dans son ensemble par des médias mainstream trop contents de nous rejouer une affaire George Floyd, version tricolore. Pendant que toute l’attention est portée sur une bavure, pendant que médias et politiques pinaillent, les violences contre les forces de l’ordre ont doublé en dix ans, 7399 policiers ont été blessés en intervention en 2019 (soit une vingtaine par jour!) et 59 se sont suicidés. Depuis janvier, 63 commissariats ont été ciblés par des attaques.
La rédaction.

Mon père, le Maroc et moi: Une chronique contemporaine

Price: 18,00 €

12 used & new available from 18,00 €

Patrice Leconte : cadreur supérieur

0
Patrice Leconte. © HANNAH ASSOULINE

Le roi de la comédie populaire a su mettre en scène tout le monde, de l’équipe des Bronzés à Alain Delon en passant par Johnny. Même avec Jean Rochefort, il a fini par s’entendre. Mais pour lui, ses échecs sont plus intéressants que ses triomphes. Entretien. 


Il possède l’art de montrer des silhouettes extravagantes soumises à des métamorphoses qui nous laissent pantois et mélancoliques. La grande galerie des burlesques cinématographiques s’honore, par exemple, des portraits de Jean Rochefort, dans Le Mari de la coiffeuse (1990), dont la destination, au-delà du mot fin, ne saurait être que l’asile, et de Jean-Pierre Marielle dans Le Parfum d’Yvonne (1994).
Une partie de la critique française a éreinté Leconte sans nuance ; c’est le droit de la critique d’être sans nuance : il est arrivé à François Truffaut d’en manquer lorsqu’il fustigeait la « qualité française » dans « Une certaine tendance du cinéma français » (Cahiers du cinéma, janvier 1954). Il l’a reconnu.
Est-il donc si difficile d’admettre que Patrice Leconte a donné quelques chefs-d’œuvre ou, si l’on préfère, des bijoux d’observation, et que ses « caractères », portés par une fiction implacable et frôlés par les ailes d’un ange bouffon, sont bien propres à hanter nos mémoires ?

Causeur. Les vécés étaient fermés de l’intérieur est traversé par une loufoquerie d’époque. Malgré l’esprit du scénario, il paraît que Jean Rochefort vous a rendu la vie difficile.

Patrice Leconte. C’est très simple et très triste. Je rêve de faire du cinéma depuis l’enfance. Mon rêve se réalise. Me voilà sur un plateau de cinéma, je suis metteur en scène. Et c’est une catastrophe ! Jean Rochefort m’a pris pour un incapable. Par son attitude, il a cherché à le faire savoir pendant toute la durée du tournage. Je peux dire que j’ai connu l’enfer.

Jean Rochefort a-t-il été seulement irrité par un jeune maladroit ou a-t-il voulu « casser » un débutant ?

Il s’est mal comporté, certes, mais j’étais sans doute très maladroit. À cette époque, j’étais avant tout attentif à la technique, le cadre, un travelling, j’ai donc certainement négligé mes rapports avec les comédiens, chose que je ne ferais évidemment plus aujourd’hui. Quand on est réalisateur, il vaut mieux s’y connaître en technique, les objectifs, la lumière, le son, etc., mais cette technique n’est jamais une fin en soi.

Vous êtes le cadreur de vos films, n’est-ce pas ?

Cadrer, c’est montrer, c’est choisir. Réaliser moi-même les images qui me trottent en tête, sans déléguer, est une liberté magnifique.

Revenons à votre « premier Jean Rochefort ».

Après quelques jours, alors que je veux lui expliquer le plan que nous allions faire, il m’interrompt : « Patrice, ne me parle pas, ne me parle plus jamais ! Ne m’adresse plus la parole ! Je suis anéanti d’avoir signé ce film. » Peut-on vivre un moment plus humiliant, plus violent, alors qu’on réalise son premier film, qu’on est très jeune et qu’on manque d’assurance ? Vous imaginez dans quel état d’esprit je me suis trouvé ! Je me rendais chaque matin sur le plateau totalement désespéré. Je me suis dit que je m’étais trompé de voie, de métier, de vocation. Après cela, j’ai traversé une période… déplaisante, trois années sombres, vraiment. Mais je n’ai pas abandonné. Puis Les Bronzés sont arrivés, et le ciel s’est ouvert.

Vous devenez un cinéaste de « divertissement » : Les Bronzés font du ski (1979), Viens chez moi, j’habite chez une copine (1981), Les Spécialistes (1985)… Le public vous suit, une certaine critique boude. Et voilà que vous sollicitez Jean Rochefort pour l’un des deux grands rôles de Tandem (1987).

Avec Jean Rochefort, nous ne nous étions jamais revus. Mais j’allais le voir dans les films des autres. Et, malgré ce qu’il m’avait fait vivre sur ce premier film, je continuais à trouver qu’il était un acteur merveilleux, fêlé et rare. Et, confusément, quand j’ai eu le projet de Tandem, j’ai voulu sans doute lui prouver qu’il s’était trompé sur mon compte et que j’étais un type formidable. Au total, nous avons tourné sept films ensemble, mais nous n’avons jamais évoqué le cauchemar qu’il m’avait fait vivre, jamais ! Une fois seulement, il a prononcé cette phrase, alors que nous achevions Tandem : « Vois-tu Patrice, nous avons naguère mangé notre pain noir, aujourd’hui, nous goûtons à notre pain blanc ! »

Dans les deux premiers Bronzés, les principaux rôles suscitent à la fois notre rire et notre détestation. Leur méchanceté nous ravit parce qu’elle nous acquitte de la nôtre. Mais voici le troisième, Amis pour la vie, et l’on peut s’interroger : cet avenir, que vous leur donnez, nous intéresse-t-il ? Hier, ils pouvaient encore changer, aujourd’hui, il n’y a plus d’issue.

Les Bronzés constituent une série incroyable, que j’aime infiniment. Je suis à jamais reconnaissant à l’équipe du Splendid d’avoir mené cette aventure avec moi ; le premier Bronzés est une adaptation de leur pièce Amour, coquillages et crustacés : nous étions de la même génération, nous riions des mêmes choses, ensemble nous avons connu le succès. Néanmoins, avec le recul, j’analyse plus précisément les limites du dernier. Auparavant, les acteurs n’étaient pas installés dans la renommée cinématographique. Ils étaient tous très jeunes, ils n’étaient pas encore « fameux ». Dans le troisième tome de leurs aventures, ils se sont en quelque sorte embourgeoisés : ce sont des vedettes. Du fait de leur réussite, nous ne considérons plus leurs personnages avec une semblable indulgence. Dans Amis pour la vie, celui que je trouve le plus attachant, c’est Jérôme (Christian Clavier). Il est au bout du rouleau, il n’a plus aucune ressource matérielle, sa vie a été un échec, il pourrait s’effondrer, or, il fait encore preuve de cette énergie, de cette combativité qui le sauvera peut-être.

Les Bronzés, comédie réalisée par Patrice Leconte, 1978. © Jean-Pierre Fizet/Bridgeman images
Les Bronzés, comédie réalisée par Patrice Leconte, 1978. © Jean-Pierre Fizet/Bridgeman images

Vous avez confié à Michel Blanc le rôle dans Monsieur Hire (1989), sans aucun rapport avec le type qui chante à tue-tête Étoile des neiges sur son siège de téléphérique. De même, Gérard Jugnot dans Tandem (1987) n’a rien de commun avec le râleur agressif que nous adorions détester ! Et que dire de Johnny Hallyday, remarquable dans L’Homme du train (2002) ! On oublie le rocker, on est en présence d’un comédien.

Michel Blanc éprouvait quelque crainte de s’aventurer sur ce terrain, mais les comédiens comiques sont avant tout des comédiens : ils sont très souvent bouleversants et vrais dans un registre dramatique. En tout cas, Jugnot et Blanc sont de ceux-là. Johnny Hallyday, je l’ai rencontré à une soirée des Césars. Je ne le connaissais pas personnellement. Nous nous croisons dans les coulisses, et, spontanément, il s’adresse à moi. Il me parle aimablement de mes films, puis il pose sa main sur mon épaule et presque en murmurant : « J’aimerais bien être dirigé par toi. » Sa proposition m’est restée en mémoire : elle est à l’origine du couple cinématographique, parfait et inattendu, Johnny Hallyday/Jean Rochefort. Pour moi, la rencontre et le tournage sont de très beaux souvenirs : Johnny était un type charmant, touchant même. À aucun moment je n’ai vu seulement percer l’idole, la rock star capricieuse.

Ce n’était pas évident, car l’oeuvre de Modiano semble échapper à toute adaptation possible

Dans Le Parfum d’Yvonne, toute la difficulté consistait à traduire à l’écran l’ambiance modianesque : il fallait rendre son étrangeté suggestive, son ambiguïté parfois inquiétante. Vous réussissez parfaitement toutes les épreuves : le choix des comédiens, des lieux, le scénario, la mise en scène… Modiano est merveilleusement servi. Mais la critique n’a pas aimé, le public n’est pas venu.

Je suis un lecteur fervent de Modiano. Ce monde incertain, le passé qui vient brouiller le temps du présent, tout cela me parle. Je me sens bien dans son univers, mais je n’imaginais pas adapter un de ses romans. Un jour, l’un de mes amis me dit : « J’ai dans ma poche une histoire faite pour toi. » Et il sort de sa poche Villa triste. Je l’avais lu, je l’ai relu, je l’avais aimé, je l’ai re-aimé. Ce n’était pas évident, car l’œuvre de Modiano semble échapper à toute adaptation possible. Je me suis souvenu d’une leçon que Jean-Claude Carrière nous avait donnée, alors que j’étudiais le cinéma. Il nous avait parlé de l’adaptation qu’il avait faite du Journal d’une femme de chambre, d’Octave Mirbeau, pour Luis Buñuel. Il nous avait dit : « Lisez le livre une fois, deux fois, vingt fois, refermez-le et ne le rouvrez plus jamais. » C’est ce que j’ai fait avec Villa triste. Il s’est alors produit un phénomène d’infusion comparable à celle d’un sachet de thé dans une eau chaude, une secrète osmose entre mon projet et le texte original. J’ai donc respecté plutôt son esprit que sa lettre, et c’est ainsi que Jean-Pierre Marielle compose un éblouissant René Meinthe, plus âgé que celui de Modiano.

Ce film fut un échec incompréhensible. La carrière de Sandra Majani, qui s’annonçait sous les meilleurs auspices, s’est arrêtée. Pour les spectateurs qui se rappellent sa grâce, c’est une perte irréparable !

Quand on débute, il arrive qu’on ne se relève pas d’un échec dont on n’est pas responsable. Sandra Majani possédait le talent, la beauté ; l’avenir, à l’évidence, lui souriait. Cette jeune femme, parfaite incarnation d’une héroïne de Modiano, aurait pu devenir une vedette si le film avait été un succès, parce qu’il y avait une place pour elle dans le paysage du cinéma français. Elle est à présent tapissière quelque part en France…

Nous ne verrons jamais ce qui aurait pu être le film ultime d’Alain Delon. Je me réjouissais : avec lui, j’espérais que vous solliciteriez votre veine « crépusculaire », bien cachée sous l’humour…

C’est vrai, j’ai une face nord, un versant assez sombre.

Et puis… rien !

Depuis Une chance sur deux (1998), dans lequel j’avais réuni Alain Delon, Jean-Belmondo et Vanessa Paradis, nous ne nous étions pas éloignés, Delon et moi. Il n’ignore pas que je l’admire et je sais qu’il m’aime bien. Je vous disais que, souvent, une idée m’est apportée par un tiers, ce fut là encore le cas. C’est bel et bien Delon qui se trouve à l’origine du projet. Interrogé par Laurent Delahousse, sur France 2, il avait glissé dans la conversation qu’il souhaiterait vivement faire son dernier film avec moi. Il m’a immédiatement confirmé ce vœu : « Ce ne sont pas des paroles en l’air. Je veux que tu m’écrives mon dernier film ! » Je me suis mis au travail avec Jérôme Tonnerre. Notre scénario portait ce titre, qui m’évoquait Simenon : « La Maison vide ». Le sujet présentait un aspect « crépusculaire », en effet. Je l’ai apporté à Delon. Peu après, il m’appelle : « Patrice, j’ai les larmes aux yeux, quand commençons-nous ? » J’avais songé à Juliette Binoche pour lui donner la réplique, qui avait accepté, bref, toutes les planètes étaient impeccablement alignées. Puis tout s’est lentement désintégré. Delon a connu des ennuis de santé, après son rétablissement Juliette Binoche n’était plus disponible, les signatures n’arrivaient pas. Quant à moi, je ne pouvais attendre indéfiniment. Ce qui promettait de devenir un beau film, vraiment, s’est perdu dans les obstacles, les complications. En outre, il n’est pas impossible qu’au dernier moment Alain ait hésité devant ce dernier rôle, ce clap de fin, ce film ultime comme vous dites, malgré son désir réel de travailler avec moi, sa fidélité, son implication initiale sincère. J’en éprouve encore un profond regret.

Leconte sur le papier

Faites la tête
Depuis le temps qu’il nous observe : voici sa première collection de portraits écrits et illustrés.
Sont convoquées à ce dîner de tête la fameuse Tête de linotte, l’immortelle Tête de lit, l’éminente Tête de clou, la glorieuse Tête de gondole, l’illustre Tête de l’emploi, l’inoubliable Tête de gland, la célèbre Tête de mule, la légendaire Tête de nœud. Elles nous donnent rendez-vous… en tête-à-tête.
Pour les enfants, pour leurs parents.
Faites la tête, textes et dessins de Patrice Leconte, Flammarion, 2020.

Deux passantes dans la nuit
Voici Anna et Arlette, deux jeunes femmes dans Paris, la nuit. On y parle français, bien sûr, et allemand en deuxième langue : cela se passe sous l’occupation. Patrice Leconte et Jérôme Tonnerre ont écrit le scénario de leurs aventures, Alexandre Coutelis les a dessinées. Ses superbes aplats servent l’errance de ces noctambules traqués, au plus près de la peur…
Deux passantes dans la nuit, tome 1 : Arlette (scénario de Patrice Leconte et Jérôme Tonnerre, dessins d’Alexandre Coutelis), Bamboo, 2020.

La France face à l'(in)sécurité globale

0
Gerald Darmanin photographié avant son entretien au journal de 20 heures de France 2, le 26 novembre 2020 © Thomas COEX / AFP.

Retour sur une semaine d’hystérie médiatique autour de la proposition de loi dite «sécurité globale».


Du côté du gouvernement, des bruits disent que la réussite de l’actuelle séquence « régalienne » conditionnerait à elle seule l’élection présidentielle de 2022, partant l’avenir d’Emmanuel Macron et de son petit lieutenant Gérald Darmanin. Pourtant, à y regarder de plus près, le texte est purement technique. Beaucoup de bruit pour rien ?

Un premier volet consensuel

Composé de quatre titres principaux, le texte du projet de loi « sécurité globale » traite dans ses deux premières parties des polices municipales et des entreprises de sécurité privée. Le ministère de l’Intérieur a pris en compte l’évolution des menaces de la délinquance quotidienne et du terrorisme, nécessitant l’emploi de forces de sécurité diverses allant bien au-delà de la police nationale et de la gendarmerie. On l’a récemment constaté à Nice, où une police municipale solidement équipée et entraînée a pu intervenir immédiatement pour neutraliser le terrorisme islamiste qui a tué trois personnes dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption le jeudi 29 octobre.

Nice, le 29 octobre 2020 © LAURENT VU/SIPA Numéro de reportage: 00988176_000001
Nice, le 29 octobre 2020 © LAURENT VU/SIPA Numéro de reportage: 00988176_000001

Les policiers municipaux peuvent désormais se retrouver en première ligne lors d’une attaque terroriste. Que le fonctionnement de ces forces de défense de proximité soit rationnalisé par la loi et leurs compétences élargies est donc une mesure de bon sens, réclamée de longue date par les spécialistes de la sécurité. Longtemps réfractaires à cette idée, les syndicats de la police nationale ont d’ailleurs fini par s’y ranger, conscients des failles françaises pour faire face à la diversité et l’intensité des menaces dans les villes.

A lire ensuite: «Que font-ils chez vous?»: la réaction des Asiatiques devant notre trop grande mansuétude

Entre 1999 et 2019, les effectifs de la police municipale ont quasiment doublé (de 13.000 à 23.934 agents), confortant leur place essentielle dans le dispositif de sécurité intérieure. Répondant aux arrêtés municipaux des maires des communes dans lesquelles ils exercent leurs fonctions, les policiers municipaux étaient naguère mal considérés, vu comme des vigiles améliorés. Ce n’est plus du tout le cas maintenant. Pour preuve, les « municipaux » toulousains sont tous entraînés au tir, les policiers nationaux s’entrainant même dans leur stand. La réalité imposait donc d’étendre le champ de leurs missions, comme le demandaient de nombreux élus locaux et parlementaires à l’image de Louis Aliot ou de certains sénateurs des Républicains.

Ils seront donc en capacité de constater davantage d’infractions en dressant des procès-verbaux, assureront la sécurisation de manifestations sportives et pourront même dans certains cas faire parvenir des procès-verbaux au maire et au procureur sans en référer à un officier de police judiciaire. Autant d’annonces bienvenues qui faciliteront le travail de la police municipale comme celle de la police nationale, déchargée de missions pénibles qu’elle peut ne pas avoir le temps ou les moyens d’effectuer. Procédant d’une même logique, la réorganisation des forces de sécurité privée sur le territoire s’imposait tant pour éviter les dérives d’une activité trop peu régulée que pour la rendre plus efficace.

Mal encadré, le secteur de la sécurité privée avait besoin d’un coup de polish au même titre que la police municipale. Employée sur tout le territoire national pour des missions qui devraient parfois être dévolues à la police nationale – des sociétés de Tchétchènes opèrent ainsi dans les quartiers de la drogue à Toulouse à la demande des OPH pour des contrats à six chiffres -, les forces de sécurité privée étaient trop opaques en matière de recrutement et de fonctionnement, employant parfois des étrangers ne maitrisant même pas la langue française. Ce ne sera plus possible avec la loi sécurité globale puisque ses articles 10 à 19 édictent des règles très strictes pour l’accès à ces professions ; imposant le port de tenues ne prêtant pas à confusion, l’interdiction professionnelle en cas de condamnations à une peine correctionnelle ou à une peine criminelle inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire, une connaissance suffisante de la langue française, la possession d’un titre de séjour en règle depuis au moins cinq ans pour les ressortissants étrangers ne relevant pas de l’article L 121-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers, etc.

A lire aussi: Ils voient dans les nécessaires lois sécuritaires notre «asservissement de demain»…

Encore une fois, il s’agit de bon sens. Avec un agent de sécurité pour un policier présent sur le territoire, il n’était plus possible de confier une partie de la sécurité quotidienne des Français à des troupes supplétives inquiétantes, parfois composées de semi-voyous brutaux qui salissent l’image de cette profession dont les rangs sont majoritairement occupés par des indépendants et des auto-entrepreneurs. Depuis la série noire d’attentats islamistes de 2015, les besoins en sécurité privée se sont accrus sans que les professionnels comme le public s’y retrouvent ; la règle des appels d’offres publics étant malheureusement le moins-disant qui encourage la sous-traitance en cascade à des travailleurs non déclarés et insuffisamment formés.

Les relations public-privé  seront désormais normalisées, bornées et plus au fait des dangers d’un secteur nécessaire mais trop noyauté par des sociétés suspectes. Rappelons à cette occasion que l’assassin tchétchène de Samuel Paty devait travailler dans le secteur avec l’appui de son professionnel de père… Comme à Rome où l’on confiait les frontières à des barbares, nous confions les frontières intérieures françaises à des supplétifs qui ne nous veulent pas toujours du bien. Les spécialistes s’inquiètent même de la porosité du secteur de la sécurité privée avec les trafiquants de drogue et les clans mafieux des quartiers de non-droit…

Un second volet polémique

Aux deux premiers titres plutôt consensuels – c’est toutefois nouveau tant la police municipale était naguère mal vue de la gauche française – et fondés sur des problématiques concrètes répondent deux titres sujets à polémique. Les titres III et IV de la loi « sécurité globale », respectivement nommés « vidéoprotection et captation d’images » et « dispositions relatives aux forces de sécurité intérieure ». Evidemment, les associations sont vent debout, décrivant une loi qui entérinerait non pas la « sécurité globale » mais la surveillance généralisée, la restriction des libertés individuelles et publiques, et le laisser-faire pour les forces de l’ordre. Bref, une loi policière et autoritariste sous prétexte de lutte contre l’insécurité, bien réelle quoi qu’ils puissent en dire.

De l’expulsion filmée de migrants à Paris – la vraie question à se poser est pourquoi se trouvent-ils en France en situation d’illégalité, mais passons – à l’affaire « Michel », du nom de ce producteur de rap arrêté brutalement, il semblerait que certains activistes souhaitent installer un climat façon « George Floyd » en France dans une optique de contestation de l’autorité. Comme à l’accoutumée, des images et des cas soigneusement choisis, parfois coupés avec malice et rapportés sans contexte, sont utilisés pour faire avancer l’agenda prétendument « progressiste ». Le journaliste Etienne Baldit l’a parfaitement résumé : « Griezmann, Mbappé… Si les sportifs les plus médiatiques du pays, les plus en réussite et les plus aimés de la jeunesse s’impliquent dans le débat sur les violences policières, dans la lignée de Black Lives Matter, le débat public peut changer de dimension. »

À l’origine des polémiques, l’article 24 de la loi sécurité globale, il est vrai mal rédigé et confus. Cet article prévoit que la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou d’un gendarme en intervention, lorsque celle-ci a pour but de porter « atteinte à son intégrité physique ou psychique », serait pénalisée d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende, « sans préjudice du droit d’informer ». Partant d’une bonne intention, des images de policiers aux visages reconnaissables ayant conduit à du harcèlement et des menaces contre des familles, parfois à la mort comme ce fut le cas à Magnanville, le texte pourrait toutefois créer des difficultés opérationnelles. Une réécriture au Sénat et une saisie du Conseil constitutionnel pourraient-elles lever les doutes et laisser la place à un texte plus compréhensible, plus efficace ?

A lire aussi: Terrorisme et Covid-19: une atmosphère de fin du monde

Depuis quelques années, des vidéos d’interventions policières sont diffusées … toujours montées de A à Z. Les procès contre les mauvais comportements policiers ne doivent pas être faits sur les réseaux sociaux par des foules d’utilisateurs vengeurs mais bien devant les tribunaux au terme d’enquêtes menées dans le calme et le sérieux. Il est loisible que la réponse du ministère de l’Intérieur se fonde sur une problématique légitime posée à l’Etat et aux forces de l’ordre, sous pression et subissant des menaces, mais la réponse de Gérald Darmanin était probablement trop précipitée et mue par des intérêts politiciens à court terme. De fait, la responsabilité de l’Etat dans la dégradation des rapports entre les Français et la police est patent. Ils ont trop utilisé la police pour des opérations de maintien de l’ordre parfois non nécessaires, soumettant les fonctionnaires de police à des cadences infernales que ne pouvaient compenser à elles seules les primes financières.

Un coup pour rien?

Au fond, la loi sécurité globale est un prétexte pour le gouvernement comme pour ses opposants. Pour les premiers, il s’agit avant tout de communication, de montrer « qu’on en a » et qu’on ne reculera pas face à l’insécurité. Pourquoi alors hurler avec les loups quand des clandestins sont expulsés sous les caméras soigneusement placées par les associations qui cherchent à obtenir des images pour montrer le « martyr » de personnes qui n’ont tout simplement rien à faire en France ? Pour les seconds, l’objectif est toujours le même : faire croire aux Français que le sentiment d’insécurité n’est pas justifié, que l’immigration est une chance pour la France, que la police française est raciste, etc. C’est le programme de la gauche américaine, celui du Washington Post qui fait croire au monde que la France fiche les enfants musulmans ou que des « populations racisées » sont assassinées en toute impunité dans les rues de la capitale. Un discours qui justifiera demain de nouveaux attentats qui tueront des citoyens français ou des policiers en exercice.

A lire aussi, Driss Ghali sur l’affaire « Michel »: Le noir, le bibelot et le tapis de bain

Hormis les ajustements relatifs à la police municipale et à la sécurité privée, la loi sécurité globale n’aura pas d’effets sur la sécurité des Français. Dans les quartiers de la drogue, on continuera à se tuer au fusil automatique en plein jour, à l’image des Izards à Toulouse. Dans les transports, on aura toujours peur d’être volé, violé ou tabassé. La menace islamiste ne disparaitra pas par magie, pas plus que celle des terroristes du quotidien au mode de vie fondé sur la violence et l’incapacité à faire face à la frustration, ainsi que l’a démontré le pédopsychiatre Maurice Berger. Gérald Darmanin peut toujours monter sur ses ergots, nous sommes loin d’en avoir fini.

Dernier arrêt avant la soumission

0
@ Causeur

L’effroyable assassinat de Samuel Paty a obligé les athlètes du déni à ouvrir les yeux. Beaucoup les ont déjà refermés. Les Français, eux, savent que le compte à rebours a commencé. Il est encore temps de contrer la progression islamiste dans le cadre de l’État de droit. Mais le respect du droit n’interdit pas l’usage de la force. Faute de quoi nous devrons choisir demain entre la guerre civile et la résignation. 


Le déni c’est fini. Cette fois, ça ne peut pas continuer. Le 16 octobre, c’est ce que beaucoup ont pensé, la rage au cœur, en apprenant qu’un professeur avait été décapité en pleine rue à quelques encablures de son collège. L’horreur du mode opératoire, le statut de professeur de la victime, encore porteur d’une vague effluve de sacralité même si depuis plusieurs décennies, on s’est efforcé, avec succès, d’en effacer toutes les expressions, y compris la plus simple qui consistait à se lever quand il pénétrait dans la classe (habitude abandonnée au cours de ma propre scolarité qui ne date pas d’hier), sans oublier la nature du crime qui lui était reproché, avoir essayé d’acclimater ses élèves à la liberté d’expression : tout devrait conspirer à réveiller les somnambules qui foncent vers l’abîme en insultant ceux qui tentent de les arrêter et, ce qui est plus fâcheux, en les entraînant avec eux.

Pourtant, on ne nous la fait plus. On ne croit plus aux rituels usés, auxquels les masques omniprésents ajoutent un zeste de grotesque: le Premier ministre qui se rend sur les lieux, les chaînes info qui basculent en « édition spéciale », les mots et proclamations martiales d’usage, la République et ses valeurs, la laïcité et ses défenseurs, nous ne céderons pas, sans oublier le ridicule « ils ne passeront pas » du président, alors qu’ils sont passés et depuis longtemps. On a du mal à croire que derrière ces signifiants fétichisés il y ait encore des référents. Depuis 2015, on connaît la chanson : plus il y a de mots, moins il y a d’actes.

L’islamo-gauchisme assommé par un grand coup de réel

Il est vrai qu’on a un peu moins abusé que d’habitude (que nous ayons pris ce genre d’habitude est éloquent) des nounours, bougies petits cœurs, qu’on a laissés aux adolescents venus pleurer leur professeur assassiné et peut-être, sans le savoir, la fin de l’insouciance et de l’innocence. On nous a aussi épargné quelques jours durant le déluge de compréhension et le flot d’excuses – de pauvreté, de minorité, d’insanité – qui, en pareil cas, s’attachent à amoindrir, sinon l’horreur du geste, sa portée. Au contraire, quelques heures après l’attentat, de nombreux procureurs, plus ou moins légitimes dans la fonction, dressaient la liste des coupables par omission, complices par dénégation et tueurs par procuration – les imbéciles fanatisés qui, pour oublier leur impuissance, vitupèrent et maudissent derrière leur écran, et dans une langue à peine articulée, tous ceux qui leur refusent (à eux et/ou à leurs croyances) ce « respect » dont ils semblent croire qu’il leur est dû par naissance ou par essence. Le gotha de la soumission était pointé du doigt. Et on a beau détester les lynchages, avouons qu’on ressentait un brin de joie mauvaise à voir enfin dénoncés ceux qui, depuis si longtemps, insultent le doigt pour ne pas voir la lune. On peut savourer la victoire, même quand elle est obtenue par l’intimidation morale – car soyons honnête, à ce stade, il aurait été hardi, voire suicidaire, de faire entendre un avis divergent.

À lire aussi, Alain Finkielkraut: Samuel Paty, le dévoilement et le déni

Au lendemain du crime, l’islamo-gauchisme semblait donc défait par les faits, assommé par un grand coup de réel. Pas un de ses thuriféraires avisés ni de ses idiots utiles, me semble-t-il, n’a osé prononcer le mot « islamophobie » sur un média grand public (en fouinant chez Mediapart, on doit bien trouver quelques pépites en dehors de ce malencontreux billet de blog s’indignant que la police ait abattu l’assassin). Tous voulaient soudain « désigner l’ennemi ». Et tous sommaient cet État auquel ils reprochaient la veille d’être brutal et arbitraire d’agir vite et fort.

On a donc assisté à un impayable bal des Tartuffe le dimanche 18 octobre place de la République à Paris. Pas gênés pour deux ronds, les représentants de toutes les boutiques de la gauche pleurnicharde jouaient des coudes pour qu’on les voie « refuser l’inacceptable » et « nommer l’innommable ». Tous Charlie, tous Paty, tout est pardonné. Il y avait SOS racisme qui depuis des années, pourchasse de sa vindicte Zemmour et tous les « nauséabonds », rendus responsables des fractures françaises ; la Ligue des droits de l’homme qui, deux jours plus tôt, adressait à ses amis et alliés une tribune contre la loi « séparatisme » (devenue la loi « laïcité ») et qui s’est illustré comme auxiliaire zélé du djihad judiciaire mené par le CCIF ; des syndicalistes qui se bouchaient le nez quand un de leurs collègues était suspect de laïcisme exagéré. Et bien d’autres encore qui ont déployé une énergie considérable pour empêcher que l’on voie ce que l’on voyait. Tous les compassionnels qui, au motif de protéger les musulmans (de leurs compatriotes ?) les ont englués dans un statut victimaire où beaucoup se complaisent alors qu’il fait d’eux les objets impuissants de leur propre destin.

L’islamisme est une partie de l’islam

On ne va pas se plaindre que tous ces experts en escamotage aient enfin vu la lumière – si on peut dire s’agissant d’une aussi sombre réalité. Nul ne leur demande de faire leur autocritique publique – nous ne sommes pas des progressistes ! –, mais un brin d’examen de conscience de nuit pas. Qu’ils aient retourné leur veste sans le dire, en feignant au contraire d’avoir toujours pensé ce qu’ils prétendent penser aujourd’hui, suggère plutôt qu’ils ont fait le dos rond pour se mettre à la mode idéologique et émotionnelle du moment en attendant que la roue de l’émotion tourne. La brutalité et l’unanimité des conversions n’augurent nullement de leur authenticité. On fera donc doublement crédit à Aurélien Taché, premièrement de ne pas s’être renié et, deuxièmement, de venir porter la contradiction chez l’adversaire.

Nous ne voulons pas vivrensemble avec des gens qui sortent leur poignard quand ils entendent le mot culture française

Pour le coup, on n’a pas été déçus en bien. La quinzaine de la vérité a duré moins d’une semaine et nombre d’yeux se sont fermés aussi promptement qu’ils s’étaient ouverts. On a donc vu refleurir, sinon les justifications, les minimisations et les occultations. La petite musique du « rienàvoirisme », terme forgé par Jean Birnbaum, s’est à nouveau fait entendre : ce crime effroyable n’aurait rien à voir avec l’islam. Pas d’amalgame. Certes, tous les islamistes ne sont pas terroristes (heureusement) et tous les musulmans ne sont pas des islamistes. Mais il est presque impossible de ne pas voir que l’islamisme est une partie de l’islam, peut-être son surmoi. Si on en croit les très nombreuses et très sérieuses études sur le sujet, l’imprégnation islamiste, qui fait de l’appartenance à l’islam le socle absolutiste de l’identité personnelle, concerne un bon tiers des musulmans de France et la moitié de la jeunesse – musulmans d’abord et souvent musulmans seulement. Ils condamnent sincèrement les assassins. Mais ils continuent à refuser, en tout cas à ne pas comprendre, que l’on puisse se moquer de leur religion. Il ne s’agit pas de fétichiser les caricatures, ce qu’on a commencé à faire après avoir tout fait pour oublier leur existence. Qu’elles puissent offenser les musulmans, et tous les autres croyants, ne fait guère de doute. La ligne de fracture du séparatisme passe entre ceux qui acceptent la souffrance de la liberté et ceux qui demandent ou exigent qu’on s’adapte à leur susceptibilité. Être pleinement français, c’est pratiquer l’acceptation des offenses. Et si possible y répondre par une moquerie ou un mot d’esprit. Nous ne voulons pas vivrensemble avec des gens qui sortent leur poignard quand ils entendent le mot culture française. Élisabeth Badinter a parlé d’un deuxième peuple en référence à ces Français qui, pour pacifiques qu’ils soient, vivent dans un autre monde culturel et même anthropologique que le nôtre. Il y a de la place en France pour toutes sortes d’individus. Pas pour un deuxième peuple.

Et pourtant, on se dit que, cette fois, tout ne sera pas comme avant, que le rideau qui s’est déchiré ne retombera pas sur la réalité.

Une colère qui monte 

C’est que, cette fois, la colère est plus forte que la tristesse et même que la peur, qui pourtant s’insinue partout, des salles des profs aux rédactions en passant par les commissariats. Assez ! ça suffit ! Dans tout le pays, on a poussé le même cri de révolte en découvrant l’étendue du désastre. On croyait encore, en dépit des vicissitudes, que l’école avait le pouvoir magique de fabriquer des Français. Et on découvre qu’elle est l’un des hauts lieux de la déconstruction de la France.

Tout le monde le sent, il est minuit moins le quart, peut-être même minuit passé. Il n’est plus le temps de jouer les belles âmes en ouvrant nos frontières et nos bras. Pas seulement parce que nous les avons trop souvent ouverts à de futurs assassins. Nous avons assez à faire avec des centaines de milliers de Français qui n’aiment ni la culture ni les mœurs ni les lois de leur pays pour accueillir toute la misère du monde, plus attirée (et on le comprend) par les charmes de l’État-providence que par les rigueurs de nos libertés.

Cérémonie d'hommage national à Samuel Paty à la Sorbonne, Paris, 21 octobre 2020. © François Mori/ POOL/ AFP
Cérémonie d’hommage national à Samuel Paty à la Sorbonne, Paris, 21 octobre 2020. © François Mori/ POOL/ AFP

Bien sûr, on se paiera encore de mots, on expliquera qu’il ne faut pas exagérer, que ce n’est pas si grave, on dira qu’il faut les comprendre avec les discriminations, le racisme sans oublier le colonialisme. On expliquera que tout ça c’est la faute de l’extrême droite. Sauf que plus personne n’y croit.

Les représentants officiels de l’islam ont-ils entendu cette colère qui pourrait nourrir d’injustes amalgames ? Toujours est-il que beaucoup ne se sont pas contentés de dire « non » à la violence, ils ont dit « oui » aux caricatures. L’un deux a même appelé les musulmans de France à défendre les intérêts de leur pays contre les appels au boycott, l’autre à en finir avec les discours victimaires. Certes, leur influence sur une jeunesse qui les considère comme des « vendus », voire des « Français » est quasi nulle. En revanche, ils peuvent contribuer à faire tomber du bon côté les hésitants et les tiraillés. Ceux qui, dans les repas de famille, pourraient prendre la défense des professeurs et engueuler le cousin qui explique à son fils que ce qu’on lui enseigne en classe est haram. Alors peu importe, dans le fond, que leurs proclamations républicaines soient dictées par leurs convictions profondes ou par sens du rapport de forces.

Le spectre de la guerre civile

Reste à apprécier la détermination de nos gouvernants et leur capacité à insuffler un peu de courage à tous les étages de la puissance publique. Nous avons besoin de fonctionnaires capables d’aller au conflit.

Emmanuel Macron a peut-être accompli une révolution intellectuelle et compris la gravité de la situation. Il doit encore prouver qu’il peut affronter la réprobation du Monde, la haine des réseaux sociaux et les froncements de sourcils de sa majorité – sans oublier les offuscations du New York Times. En plus de son patriotisme, on peut peut-être compter sur son sens des réalités électorales. Et sur sa peur de rester dans l’Histoire comme celui qui aura laissé l’islam politique gagner et le multiculturalisme s’installer. Pour commencer.

À lire aussi, Aurélien Marq: Le projet de loi “confortant les principes républicains” ne tourne-t-il pas autour du pot?

Si personne ne veut prononcer ou écrire le mot, le spectre de la guerre civile hante les esprits. Sans doute, elle n’est pas pour demain. Mais si on n’arrête pas le processus en cours, beaucoup en déduiront qu’elle est la seule alternative à la soumission. Pour Élisabeth Badinter, il est trop tard pour que la reconquête se déroule pacifiquement. Mais il est encore possible de la mener dans le cadre de l’État de droit, si celui-ci cesse d’être un carcan synonyme de désarmement. Respecter le droit n’interdit nullement d’employer la force – ne dit-on pas que force doit rester à la loi ? Or, aujourd’hui, souligne Marcel Gauchet dans Le Figaro, les normes juridiques, telles qu’elles sont interprétées par un empilement de juridictions, protègent d’abord les individus contre les empiétements de l’État. Résultat, les caprices de millions d’individus s’opposent à la volonté du peuple, en particulier à la première, qui est de continuer à exister comme communauté politique. Nos gouvernants feraient bien de s’en souvenir : on peut changer les lois. Pas le peuple.

Les Rien-pensants

Price: 23,56 €

24 used & new available from 3,34 €

La gauche contre le réel

Price: 26,00 €

29 used & new available from 2,42 €

Comment on a laissé l'islamisme pénétrer l'école

Price: 22,00 €

34 used & new available from 2,14 €

Les forces de l’esprit

0
Christine Goguet Photo D.R.

Un livre de Christine Goguet sur le rapport des grands hommes à la divinité


Lors de ses ultimes vœux télévisés au peuple français, le 31 décembre 1994, François Mitterrand a surpris en disant : « Je crois aux forces de l’esprit, je ne vous quitterai pas. » Catholique de tradition familiale, élevé chez les jésuites d’Angoulême, le président socialiste a toujours cherché la foi sans qu’elle parvienne à s’imposer à lui. Il entrait dans les églises, priait, sans savoir qui au fond.

Mitterrand le mystique

Il espérait qu’il atteindrait à une forme d’éternité sans dire s’il la devrait à Dieu ou à l’Histoire. C’était un mystique avant tout, quêtant le moindre signe de l’Invisible. Il avait surpris son entourage en partant en Égypte, en décembre 1987. Il avait décidé de gravir le mont Sinaï, là où Dieu avait confié les Dix Commandement à Moïse, malgré le cancer et la douleur, les cailloux, le froid, la nuit. Il avait testé sa résistance sous les hourras des touristes espagnols qui l’avaient reconnu. Parvenu au point sacré, il se tenait droit dans ses chairs meurtris, la volonté intacte, à guetter le soleil se lever. Il vit alors un disque jaune, des rayons orange, une lumière de plus en plus vive, le paysage grandiose enfin. Il y eut le silence. Mitterrand redescendit. L’Invisible avait délivré son message. Son entourage avait compris qu’il serait candidat à sa propre succession.

Je me suis souvenu de ce moment extraordinaire en lisant l’excellent livre de la journaliste Christine Goguet, directrice de la mission mécénat et partenariats au centre des monuments nationaux, dans lequel elle raconte le rapport à la foi de treize personnalités : Charles de Gaulle, Albert Einstein, Winston Churchill, Victor Hugo, Napoléon, Mère Teresa, Van Gogh, François Mitterrand, etc. Sa démarche consiste à montrer comment le divin les a durablement inspirés et a influencé leur action.

Le portrait du général de Gaulle montre un homme que la foi a toujours habité. Il y avait en lui une dimension messianique. À un moment crucial de l’Histoire, il serait amené à sauver la France. Ce pays avait une âme catholique, il savait se ressaisir lorsque tout semblait perdu, à condition que quelqu’un se dressât pour indiquer le chemin à suivre. Le Général et son épouse furent durement éprouvés lorsqu’ils apprirent que leur fille, Jeanne, était née trisomique. De Gaulle : « Son âme était dans un corps qui n’était pas fait pour elle. » Mais il parvint à surmonter l’ordalie. À son aumônier, il déclara, humblement : «  Lorsque cette enfant vint au monde, elle fut la source d’un immense chagrin. Aujourd’hui, c’est un don de Dieu. »

Dieu, pour tenir en respect la souffrance

Christine Goguet rappelle les mots de son petit-fils, Yves de Gaulle : « Mon grand-père se reconnaissait particulièrement dans une valeur chrétienne : la liberté. » Il ajoute: « L’étoile du berger domine sa trajectoire. Pour lui, le monde était un chaos mais avec au bout l’espérance. »

Le cas Van Gogh est passionnant. Son père est pasteur dans l’Église calviniste. Il est sévère, froid, rugueux. Vincent développe un caractère mélancolique. Après une jeunesse austère, il finit par découvrir la vie de Jésus, son sacrifice. C’est décidé, il sera pasteur. Il étudie la théologie à l’université d’Amsterdam. Il mange peu, travaille beaucoup, s’affaiblit. Il rate ses examens. Puis il suit des cours à l’école protestante de Laeken, en Belgique. Dépressif, rebelle, c’est un nouvel échec. Christine Goguet raconte son parcours qui le conduit à partager son amour du Christ avec les mineurs de Borinage. Il vit avec eux, prêche l’Évangile, tente d’adoucir les maux des travailleurs brisés. Les autorités ecclésiales traditionalistes lui mettent alors des bâtons dans les jambes. Ce prédicateur ouvrier dérange. Ils suspendent sa mission. Vincent retourne chez ses parents. Il est violent. Le père veut le faire interner. Il trouvera le salut dans la peinture. Dans ses œuvres, on retrouve la puissance du divin, son mouvement, ses ciels tourmentés où luisent les étoiles des brûlés de Dieu. Mais cet écorché vif, ce solitaire sans amour, finit par se suicider à 37 ans. Dans une lettre à Émile Bernard, Vincent écrit: « Le Christ a vécu sereinement, en artiste plus grand que tous les artistes, dédaignant et le marbre et l’argile et la couleur, travaillant en chair vivante… » Que peut-on ajouter ?

Préface posthume de Denis Tillinac

Comme le note le regretté Denis Tillinac, dans sa préface, Napoléon vécut « une spiritualité tourmentée ». Ce n’est qu’au soir de sa vie qu’il eut un « véritable retour de foi ». Christine Goguet rappelle les paroles de l’Empereur au général Bertrand : « Je connais les hommes et je vous dis que Jésus n’était pas un homme. »

La France voit ses églises désertées, transformées en hôtel ou en brocante, détruites. La marchandisation du monde est implacable. La nation française n’y échappe pas. Nous vivons des temps où les spectres s’agitent pour nous précipiter dans la dictature de l’uniformisation et de l’égalitarisme. Les politiques sont dépassés, ils mettent en avant la laïcité. Mais la laïcité ne peut pas tout. Il conviendrait également de réaffirmer les valeurs fondamentales du christianisme, sans lesquelles la France ne serait pas. Le livre de Christine Goguet rencontre le succès parce qu’il rappelle que, sans la spiritualité qui élève, il ne peut y avoir de liberté.

Christine Goguet, Les grands hommes & Dieu, préface de Denis Tillinac, Editions du Rocher.

Les grands hommes et Dieu

Price: 16,90 €

24 used & new available from 2,26 €