La notion de laïcité mérite d’être éclaircie
La laïcité à la française est la chose du monde la moins comprise à l’étranger. Comparée à nos fromages, nos vins et nos parfums, c’est peu dire qu’elle n’est pas notre meilleur produit d’exportation. Elle est incomprise et durement contestée par nos amis anglo-saxons, qui la trouvent trop répressive, au nom de leur conception de la liberté. Et elle est carrément combattue par les pays musulmans qui la trouvent sacrilège et « islamophobe », au nom de leur conception du sacré qui doit s’imposer à tous.
Il faut admettre que la laïcité à la française associe génialement deux impératifs complémentaires mais différents : la protection de la liberté des croyants, au nom de la liberté de conscience, et le droit à l’irrespect à l’égard des religions, au nom de la liberté de pensée et d’expression.
Cette difficile compréhension est une bonne raison pour que nos ministres qui l’évoquent à l’étranger – dans le but politiquement louable de calmer le feu – soient au plus clair sur ce sujet dans leurs têtes et dans leurs mots.
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Ce ne semble pas avoir été le cas de notre apprécié ministre des Affaires étrangères dans son récent discours au Caire.
«J’ai rappelé et je rappelle ici le profond respect que nous avons pour l’islam», a dit le ministre français au cours d’une conférence de presse. «Ce que nous combattons c’est le terrorisme, c’est le détournement de la religion c’est l’extrémisme», a-t-il ajouté en assurant qu’il venait «expliquer, si besoin était, ce combat» ainsi que «le combat (pour le) respect de la liberté de croire».
Faire preuve d’irrespect envers une religion est un droit relevant de la liberté d’expression
Dans ce court message, deux bévues sont à corriger.
En premier lieu, parler du « détournement d’une religion », qui serait donc en elle-même innocente, c’est porter jugement sur elle, ce qui n’est pas du ressort d’un ministre d’une République laïque.
Sur ce point, hélas, le ministre faisait écho au Président de la République qui, dans sa ferme réponse au Financial Times, attribue la terreur islamiste au « dévoiement de la religion », ajoutant que ses crimes sont commis « au nom d’une religion dévoyée. »Répétons que la République française n’a pas à donner quitus à une religion quelle qu’elle soit.
D’autre part mais dans le même sens erroné, affirmer que « la France possède un profond respect de l’Islam », c’est implicitement condamner ceux qui lui manquent de respect. Or faire preuve d’irrespect envers n’importe quelle religion est en France un droit relevant de la liberté de pensée et d’expression. Ce droit n’est pas négociable.
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Parce qu’elle est laïque, la France, ne « possède un profond respect » pour aucune religion quelle qu’elle soit. Elle éprouve un profond respect pour la liberté de croyance de tous ses citoyens, une liberté qu’elle protège sans discrimination ni privilèges.
Elle éprouve un profond respect pour tous les individus, qu’ils soient catholiques, protestants, juifs, musulmans, bouddhistes, agnostiques ou athées, et particulièrement pour ceux qui respectent la laïcité et les valeurs de la République.
Il importe au plus haut point, tant à la clarté dans nos rapports avec l’étranger, qu’à la paix civile à l’intérieur, qu’un ministre et son Président ne confondent pas publiquement le respect qui s’impose envers les croyants et le respect qui ne s’impose nullement envers une religion.
PS : Dans l’article 1 de la Constitution de 1958, il est dit que la France « respecte toutes les croyances ». Peut-on en conclure que Jean-Yves Le Drian s’en est tenu à ce principe constitutionnel quand il a déclaré que « la France a un profond respect pour l’Islam » ? Il apparait cette fois encore que le mot « respect » exige toujours d’être précisé, pour éviter qu’il soit brandi comme une injonction plus ou moins menaçante à ne froisser la susceptibilité de personne. Si la formulation utilisée et répétée par Jean-Yves Le Drian était conforme à ce qui est écrit dans notre Constitution, celle-ci affirmerait que » la France a un profond respect pour toutes les croyances ». Un profond respect pour toutes les croyances, y compris les plus absurdes, les plus dangereuses, les plus contradictoires entre elles ? Cette interprétation est indéfendable. En réalité, le respect de toutes les croyances s’assimile à la liberté de conscience et non à la sacralisation des croyances.
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