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Le dernier témoin d’Arthur Rimbaud

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Au plus près de Rimbaud, Alain Vircondelet accompagne les derniers pas de l’homme aux semelles de vent, alors que le poète s’en revient mourant de Aden…


Il est des livres d’ensorcellement, on les ouvre et l’on est pris, on se laisse entraîner dans leur vacarme et l’on suit leur éblouissant progrès. Nous consentons à être leur « captif amoureux ».

Rimbaud: dernier voyage, d’Alain Vircondelet[tooltips content= »Éditions Écriture »](1)[/tooltips] remplit superbement les conditions fixées par Charles Baudelaire pour que naisse et dure une entreprise littéraire: « De la langue et de l’écriture, prises comme opérations magiques, sorcellerie évocatoire. » (Fusées, XI)

Le sujet Rimbaud se prête à toutes les manipulations. L’adolescent rêveur – d’une beauté foudroyante, il est vrai, et l’air têtu des voyous supérieurs – qui égrenait des rimes a la gueule de l’emploi: il fait une icône parfaite pour les niaiseries murales du street artiste JR, et pour les fabricants de T-shirts. Alain Vircondelet, écrivain confirmé, styliste impeccable, ne courait certes pas ce risque. Il faut entendre ce texte, le lire à haute voix ; c’est Rimbaud qui halète, c’est Arthur qui geint mais, quand il s’interrompt, subclaquant, c’est Alain qui prend le relais, défie son vertige et soutient sans faiblir le train de sa mélancolie.

Au plus près d’Arthur

Le 20 mai 1891, un homme assez grand, maigre, remarquable par son regard d’un bleu intense cerné d’ombre, est admis à l’hôpital de la Conception. Il aura bientôt 37 ans si l’on en croit son état civil, mais toute sa personne paraît épuisée. Il subit le martyre d’une tumeur du genou très évoluée[tooltips content= »« … Je suis réduit à l’état de squelette par cette maladie de ma jambe gauche -il se trompe, c’est la jambe droite- qui est devenue à présent énorme et ressemble à une énorme citrouille. » (Cette lettre à sa mère et à sa sœur, de Marseille, datée du 23 mai 1891, a été adjugée 175 000 euros par l’étude Binoche & Giquello le 9 octobre 2018. »](2)[/tooltips]. Ce patient vient d’arriver d’Aden ; il se trouvait, quelques heures auparavant, à bord de la goélette à vapeur L’Amazone, affrétée par la compagnie des Messageries maritimes. En Abyssinie, où il exerçait la profession de commerçant, il jouit d’une bonne réputation. Avant la maladie, c’était un homme robuste, capable de mener une caravane sur des pistes de cailloux, d’affronter les grandes déconvenues.

Il est amputé le 27. Le geste chirurgical a été large[tooltips content= »« Aujourd’hui j’ai essayé de marcher avec des béquilles, mais je n’ai pu faire que quelques pas. Ma jambe est coupée très haut, et il m’est difficile de garder l’équilibre. » (Ibid.) »](3)[/tooltips].

Arthur Rimbaud, le piéton du monde, est désormais un estropié à l’équilibre précaire. Son cancer osseux généralisé ne lui laissera pas le temps de devenir l’homme aux béquilles de vent…[tooltips content= »Du vivant de Rimbaud, on disait qu’il était « L’Homme aux semelles de vent » (l’expression serait de Verlaine). »](4)[/tooltips]

Avant d’embarquer, il avait parcouru 300 kilomètres d’une contrée désertique, dans des conditions d’épouvante[tooltips content= » Il est accompagné par son fidèle et très estimé serviteur, Djami Wadaï »](5)[/tooltips], afin d’atteindre le port de Zeilah, puis de gagner par bateau Aden, pour une consultation médicale. On lui a diagnostiqué « une synovite arrivée à un point très dangereux » qu’on ne peut opérer qu’en France. La traversée ne lui sera que souffrance et désespoir.

C’est à ce moment précis que Vircondelet, passager clandestin de L’Amazone, s’approche de la civière de Rimbaud pour ne plus le quitter. Penché sur lui, recueillant ses râles, ses confidences et ses délires considérables que suscitent à la fois son génie et la drogue, il accompagne ce frère qu’il s’est donné depuis toujours, auquel il tiendra la main et le souffle jusqu’au terme. Il se place ainsi au plus près d’Arthur, qui achève son itinéraire humain, semé de sarcasmes et de chagrins : le 10 novembre 1891, il connaîtra enfin sa mort et sa résurrection poétique.

Le roi Arthur

Sa dernière saison, proprement infernale, commence sur ce trois-mâts élégant, qui « troue l’océan de sa coque d’acier, le fend comme une pièce de soie bleue. […] Pour faire ses besoins, il réclame un bassin, un pistolet, alors il se roule sur le côté. Il a une technique très éprouvée, c’est fou comme ces choseslà s’apprennent facilement, deviennent coutumières. Il […] fiche son sexe dans le goulot de verre du pistolet et pisse, pisse. L’urine gicle doucement sur les parois, chauffe le ballon de verre. C’est un moment heureux, libérateur. Il ne lit pas, il écrit, fait et refait ses comptes, gère ses 37 000 francs acquis de si haute lutte. » (Vircondelet, p. 26)

Il fut, autrefois, un prince dédaigneux, mais aujourd’hui ? « C’est moi, le roi nègre, le roi des caravanes, qui veut ma camelote ? Mes perles de verre, mes pièces de madras, mes belles peaux de panthère, ces cornes d’ivoire et ces fusils ? Tout cet or ? Rimb’, roi de l’Afrique lointaine, roi des Bédouins, et des tribus inaccessibles, roi de rien, qui m’en vais revoir ma mère au lieudit de Roche, dans les Ardennes profondes, où givrent trop souvent les champs ! Rimbaud glousse sous le ciel de lin blanc. Il faudrait qu’ils le voient, oui, les symbolistes confinés dans leurs cabinets de bois de rose, au milieu de leurs chinoiseries et de leurs collections de papillons, et les décadents, qui se gargarisent, diton des Illuminations ! Qu’il vienne, Gavoty, le directeur de La France moderne, qui lui a envoyé par le consulat de France d’Aden cette lettre enfin parvenue au Harar, et qui lui demande de collaborer à sa revue. Et il verrait le pauvre roi d’Abyssinie, Rimbaud en personne, la jambe gauche scellée dans son bandage, et les traces des coups de couteau dans tout son corps, rien qu’au visage qui se crispe et devient bleu. Mais voilà où l’avaient conduit le goût des rinçures, ces vers de rien du tout, cette littérature de cris et d’anathèmes : Absurde, ridicule, dégoûtant ! » (p. 33)

Quel homme allait disparaître tandis qu’il agonisait ? Un cavalier qui lui ressemblait, lancé dans une ultime course au milieu d’un paysage idéal, les joues caressées par une brise sèche et tendre ? Le fils et le frère des deux femmes de sa vie ? Son avant-dernier soupir serait pour elles. Le génial poète de 17 ans ? La petite brute qui vitupérait l’ordre et la dignité, et proférait des jurons hypercritiques, le chamelier soupçonneux qui portait en permanence une lourde ceinture contenant toute sa fortune, le géographe, l’ingénieur, l’explorateur des contrées compliquées et lointaines ? Alain Vircondelet les convoque tous dans la chambre du supplicié en stade terminal.

Il avait tant souffert, Arthur ! Il eut encore un soupir, le dernier : fût-il de soulagement ? 

Rimbaud: dernier voyage, Alain Vircondelet, Ecriture, 2021.

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Ne comptez pas trop sur moi pour donner un avis sur le 3e confinement!


Comme beaucoup de monde, Philippe Bilger est lassé de l’effervescence politico-médiatique après l’allocution d’Emmanuel Macron mercredi


Sur le plan de la gestion de l’épidémie, avant même l’allocution du président de la République le 31 mars, la France était partagée en plusieurs familles : les « enfermistes », les « rassuristes » et les béats.

J’oublie une dernière catégorie : les ignorants qui se subdivisent en optimistes ou pessimistes, en silencieux (les moins nombreux) et en personnes sommées de donner un avis par jour et traitées d’incertaines ou de frileuses si elles y répugnent.

Ce n’est pas minimiser l’état de la France, ne pas se soucier de ses morts et oublier les détresses économiques, sociales et psychologiques que d’exprimer un ras-le-bol sur le plan médiatique. Il n’est pas une émission dont la Covid-19 ne soit pas le sujet principal. Dans notre quotidien, rares sont ceux qui ne dissertent pas sur le fléau, avec peur ou espérance. Osons dire qu’à la lassitude, la résignation ou face au désespoir des Français, il n’est pas nécessaire d’ajouter la profusion et l’inutilité verbales.

Philippe Bilger D.R.
Philippe Bilger D.R.

J’entends bien que n’importe quel citoyen peut être tenté de s’immiscer dans la cacophonie politique et médicale, puisqu’elles surabondent et qu’elles ont donné libre cours à une multitude d’interventions intempestives.

D’ailleurs les réactions après le discours du Président ont été parfaitement partisanes comme on pouvait s’en douter. Rien n’a trouvé grâce aux yeux de l’opposition: incohérence, Waterloo…

A lire aussi, Jérôme Leroy: Macron: quand l’hubris n’est pas un vain mot

Pour aborder le fond de mon billet, si parfois j’ai succombé au péché que je dénonce, la plupart du temps je n’ai pas hésité à faire état de mon ignorance qui m’interdisait d’avoir la prétention d’offrir un apport substantiel aux échanges. J’ai beaucoup réfléchi sur le juste milieu à trouver entre prolixité péremptoire et effacement ridicule.

Je fais une distinction capitale entre ce que le citoyen curieux et informé a le droit de critiquer quand la réalité le justifie et les analyses et propositions sanitaires techniques que je serais bien incapable d’énoncer. Au risque de choquer beaucoup d’adeptes du « il n’y a qu’à » ou de procureurs manichéens, il y a une multitude de propos qui sur les plateaux télévisés ont à peu près autant de légitimité que si je me mettais à disserter sur la physique quantique. La démagogie consistant à décrier les experts, parmi lesquels il en est d’authentiques (ce sont les plus modérés), ne doit pas laisser croire à n’importe qui que sa parole est attendue et vaut de l’or.

En revanche je maintiens que ce n’est pas sortir de son rôle que pourfendre ce qui depuis tant de mois crève les yeux du Français et exaspère le citoyen. Toutes les polémiques sur les masques et les tests, sur le manque de lits de réanimation et l’immobilisme face à cette pénurie, sur l’infinie lenteur de notre appareil bureaucratique et sanitaire, sur notre manque de réactivité, sur le fiasco initial de la vaccination difficilement redressé – le volontarisme du président sur ce plan ne va pas comme par magie créer les doses – ont été utiles puisqu’elles n’ont fait que renvoyer au pouvoir politique l’image sinon de son incompétence du moins de sa relative impuissance, voire de son contentement injustifié.

Le président Macron s'adresse aux Français à la télévision le 31 mars 2021, et annonce un troisième confinement pour lutter contre le Covid-19 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA Numéro de reportage : 01012419_000018
Le président Macron s’adresse aux Français à la télévision le 31 mars 2021, et annonce un troisième confinement pour lutter contre le Covid-19 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA Numéro de reportage : 01012419_000018

J’accepte donc volontiers, au risque d’être bousculé, de prendre acte d’un constat négatif relevant de l’infrastructure, de la matérialité, de données objectivement négatives mais de m’abstenir de donner des conseils à un pouvoir qui lui-même, d’abord soumis au savoir des professeurs et du Conseil scientifique, s’en est délié à la fin du mois de janvier avec, en retour, l’acrimonie de certains spécialistes furieux d’avoir été dépossédés et aggravant ainsi, par leurs chiffres surestimés pour le futur, la sinistrose.

Et on voudrait que j’ajoute mon grain de sel à cette effervescence, mon écot à ce rapport orageux qui, sous l’apparence, est bien plus politique que technique ? À cette lutte d’influence dont les Français ne méritent pas de pâtir ?

Mon ignorance n’a pas à choisir un camp, mon devoir est d’être modeste et responsable. Si, sur ce plan, je pouvais être contagieux, je serais comblé.

Thomas Clavel ou le deuil du regard


Hôtel Beauregard est un conte philosophique et pandémique par l’auteur déjà remarqué de la dystopie Un traître mot


Mon jeune confrère Thomas Clavel, qui enseigne le français en zone prioritaire, avait, l’an dernier, publié un salubre et courageux premier roman, plus exactement un conte philosophique, Un traître mot.

Dans une France où les crimes de langue seraient punis avec une toute autre sévérité que les crimes de sang, où l’imposture victimaire et la traque des phobies les plus absurdes seraient devenues la règle, il imaginait les mésaventures d’un jeune normalien qui, à la suite d’un dérapage verbal et d’une plainte déposée par une étudiante « issue de la Diversité »  pour une note d’examen jugée oppressive, se voyait traîné comme un malpropre au tribunal et condamné séance tenante à une peine de prison ferme. Un traître mot décrivait non sans humour son incarcération et sa rééducation lexicale, et surtout sa résistance victorieuse au lavage de cerveau néo-obscurantiste.

A lire aussi: Le conte cruel de Thomas Clavel

La présente pandémie lui inspire un autre conte philosophique, Hôtel Beauregard, d’après le nom d’un hôtel abandonné du vieux Nice, qui sert de refuge à quelques rebelles au nouvel ordre sanitaire instauré après la cinquième vague d’un virus au nom imprononçable. Axelle, jeune doctorante en microbiologie marine, vit le énième confinement, entre son laboratoire de Monaco et ses prothèses électroniques, smartfaune étincelant de nuit comme de jour et ordinateur nomade, « source facile et intarissable du commun abreuvoir ». Thomas Clavel voit bien à quel point cet univers numérique, en fait parallèle, constitue un inframonde « ayant abandonné l’antique scène tellurique, cosmique, céleste ».

C’est précisément de ces abysses que surgira le malheur quand un simple cliché posté tous azimuts par un collègue étourdi déclenche un mécanisme digne d’une tragédie grecque. Car ces réseaux sociaux se trouvent piratés par des êtres maléfiques, nouveaux possédés, venus du fin fond des Enfers : dénonciateurs anonymes ou fanfarons, puritains de clavier, vengeurs en tous genres y pullulent, pareils aux démons de l’imagerie médiévale. Le fameux cliché d’Axelle démasquée attire l’attention de Nahama, blogueuse à moitié illettrée devenue toute-puissante influenceuse et même, par la grâce du pouvoir, Ambassadrice de l’Hygiène publique. Les lecteurs du Zohar se souviendront que Nahama, épouse de Noé, engendre des démons, comme Lilith.

Subtile méditation sur le visage

Cette opportuniste lance contre l’inoffensive Axelle une chasse à l’homme (ou faut-il désormais écrire « à la femme » ?) où la haine incandescente, la surenchère la plus effroyable – toujours au nom de l’Empire du Bien – vont porter leurs fruits les plus vénéneux.

A lire aussi, Thomas Clavel: Covid-19: les professeurs sommés d’aller au front

Subtile méditation sur le visage, le masque et l’incarnation, Hôtel Beauregard suscite l’effroi et la réflexion. Ce conte pâtit, ce sera mon unique bémol, du style oral adopté par un ou deux personnages, qui parlent « jeune » – argot qui vieillira vite… et qui m’écorche les oreilles. Dieux merci, Thomas Clavel écrit un français classique et poétique, ces quelques dialogues mis à part. Ce jeune écrivain prometteur fait sienne la réflexion d’Artaud, dans Le Théâtre et son double, « Bienfaisante, car poussant les hommes à se voir tels qu’ils sont, la peste fait tomber le masque, découvre le mensonge, la veulerie, la bassesse, la tartufferie. »

Thomas Clavel, Hôtel Beauregard, La Nouvelle Librairie. Chez le même éditeur, Un traître mot.

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Strasbourg: la mosquée de la conquête


Proche d’Erdogan, l’association Milli Gorus se félicite de construire « le plus grand monument islamique d’Europe » à Strasbourg, avec l’aide de la mairie qui subventionne le chantier à hauteur de 2,5 millions d’euros. Analyse.


Tous ceux qui se pincent le nez quand on leur parle des tentations hégémoniques de l’islam – ou d’un certain islam – doivent visionner d’urgence la vidéo de promotion de la mosquée Eyüp Sultan de Strasbourg. Pour appâter le donateur, ces fiers bâtisseurs font preuve d’une insistance lourdingue sur la taille de l’édifice, « le plus grand monument islamique d’Europe », est-il mentionné plusieurs fois. On voit alors défiler une image de la Tour Eiffel. Comprenne qui voudra. 

Une mosquée de 14 étages

Le vote, par la municipalité écolo, d’une subvention de 2,5 millions d’euros au chantier, le 22 mars, a suscité un chœur de protestations outrées et de plaidoyers pour la République-qui-ne cèdera-pas, surtout dictés par le désir de nuire à des adversaires politiques (qui le méritent bien d’ailleurs) ou par celui de s’adapter à l’air du temps. Sauf que le financement public n’est que la cerise sur ce gâteau indigeste – on n’ose parler d’étouffe-chrétien. Tout d’abord, les dirigeants de cette mosquée représentent à la fois une tendance de l’islam de France et un mouvement missionnaire turc proche du pouvoir (Milli Gorus). Alors que les relations entre Paris et Ankara sont glaciales et que le président turc se verrait volontiers en Saladin des musulmans d’Europe, dont beaucoup, notamment dans la jeunesse, le tiennent pour un héros, cette double appartenance n’est pas un vecteur d’influence, mais d’ingérence. Rappelons que, pour Recep Tayyip Erdoğan, l’assimilation est un crime contre l’humanité. On a donc quelques raisons de soupçonner ses porte-flingues en Alsace de confondre pays d’adoption et terre de mission. Surtout quand on sait que la mosquée Eyüp Sultan, à Istanbul, fut la première bâtie après la chute de Constantinople en 1453[tooltips content= »Que Gil Mihaely soit remercié pour cette information. »](1)[/tooltips]. Autant dire que ce nom est synonyme de conquête.  

A lire aussi, Céline Pina: Strasbourg: quand Jeanne Barseghian s’abrite derrière le concordat pour financer l’islam politique

C’est le projet même de bâtir en France un monument islamique aussi gigantesque qui aurait dû faire scandale : 14 étages, deux minarets de 36 mètres, 30 coupoles, la nouvelle mosquée sera, précisent les communicants, « la fierté des musulmans ». Nul ne voudrait, bien sûr, que les musulmans éprouvent de la honte. Sauf qu’en l’occurrence, l’antonyme de la fierté serait plutôt la discrétion. Le choix de l’ostentation architecturale montre que les dirigeants de l’islam turc (et probablement de tout l’islam de France) ne se voient pas comme les représentants d’une culture minoritaire appelée à s’intégrer à un pays et à un peuple lui préexistant, mais comme ceux d’une communauté dotée des mêmes droits que toutes les autres dans l’espace public. Pour eux, la culture française ne saurait bénéficier d’un quelconque droit d’aînesse. On ne saurait pas plus attendre d’eux qu’ils prennent en considération les inquiétudes que suscite chez leurs concitoyens le séparatisme islamiste. Au contraire, elles sont une preuve supplémentaire des torts faits aux musulmans.  

Les dégâts du multiculturalisme

Quant à nos gouvernants, ils ne disposent pas de la boite à outils idéologiques qui leur permettrait de contrer cette prétention à la visibilité pour la bonne raison qu’ils n’ont cessé de la flatter – récemment encore, quand le président a demandé qu’on dresse une liste de Français issus de la diversité pour baptiser rues et bâtiments. Erdogan et ses partisans ne font que pousser sa logique d’encouragement aux identités minoritaires dans ses ultimes conséquences. Le multiculturalisme, à la fois honteux et gentillet chez le Français, est sûr de son droit et dominateur chez le Raïs ottoman, les erdoganistes strasbourgeois et les escouades numériques qui relaient leur propagande. Dans leur vidéo, les responsables de la mosquée Sultan Eyüp exposent leur conception du vivre-ensemble, qu’ils entendent favoriser, précisent-ils, « en portant nos valeurs, notre culture, notre civilisation ». Il n’y a pas de place en France, ni d’ailleurs dans aucun pays, pour deux civilisations. Sur un territoire donné, l’égalité des cultures est un leurre. Il y en a toujours une qui veut être plus égale que les autres. À nous, citoyens français, de décider laquelle aura le dernier mot en France.

Selon la cour d’appel, Sandra Muller a eu raison de diffamer Eric Brion


En septembre 2019 en première instance, l’initiatrice de Balance ton porc Sandra Muller avait été condamnée pour diffamation. L’avocate du malheureux Eric Brion réagit à l’arrêt terrifiant rendu hier par la cour d’appel, qui annule la condamnation


Publiés en 2017 sur Twitter et à l’origine du mouvement “Balance ton porc”, les messages de Sandra Muller[tooltips content= »« Toi aussi raconte en donnant le nom et les détails d’un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends. » Puis, « Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit. Éric Brion, ex-patron de Equidia #BalanceTonPorc. » « ](1)[/tooltips] ont déclenché un tsunami délateur pour quelques-uns, ou une merveilleuse “libération de la parole” pour le reste de notre société connectée. L’histoire est connue: après les accusations Brion perd sa compagne et sa réputation, les portes se ferment, il a honte pour ses deux filles, prend du poids et tombe en dépression. Mais il porte plainte contre Sandra Muller, et rétablit son honneur, cette dernière étant condamnée en première instance à retirer les messages et à verser 15 000 € de dommages pour diffamation. Hier, la cour d’appel rendait un curieux arrêt invalidant toutes les demandes de Brion. 

Le bénéfice de la bonne foi

Pour la cour, “les mouvements #balancetonporc et #MeToo ont été très suivis, ont été salués par diverses autorités ou personnalités et ont contribué à libérer la parole des femmes de façon positive.” Aussi, selon les juges, “même si Eric Brion a pu souffrir d’être le premier homme dénoncé sous le #balancetonporc, le bénéfice de la bonne foi doit être reconnu à Sandra Muller.” 

Cette décision est potentiellement inquiétante

Dans l’arrêt, on peut enfin lire que “les propos [de Mme Muller NDLR] poursuivis s’inscrivent bien dans le cadre d’un débat d’intérêt général, dès lors qu’ils visent à dénoncer les comportements à connotation sexuelle et non consentis de certains hommes vis à vis des femmes, afin que ces agressions physiques ou verbales très longtemps tolérées ou passées sous silence soient largement connues et ne puissent ainsi se perpétuer”… 

Sandra Muller le 25 septembre 2019, après sa condamnation judiciaire © Thibault Camus/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22381700_000003
Sandra Muller le 25 septembre 2019, après sa condamnation judiciaire © Thibault Camus/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22381700_000003

Peut-être, mais suite aux propos de Madame Muller, Monsieur Brion demeure un harceleur sexuel aux yeux de beaucoup de gens. Les juges ont-ils dit le droit ou ont-ils donné raison à un mouvement plus large qui traverse la société ? Défendu par Nicolas Bénoit et Marie Burguburu, Brion pourrait ne pas en rester là. Nous avons questionné cette dernière.

Causeur. Comment interprétez-vous l’arrêt de la cour d’appel qui tout en reconnaissant les propos « diffamatoires » de Madame Muller, retient la « bonne foi » de cette dernière, et déboute votre client de l’ensemble de ses demandes ?

Me Marie Burguburu. Les juges semblent avoir eu quelques difficultés pour justifier leur décision. Les propos de Mme Muller ont bien été jugés diffamatoires, mais ne condamnent pas son auteur pour la seule raison que M. Brion a spontanément reconnu avoir tenu les propos rapportés dans le tweet. C’est assez remarquable, car en réalité, c’est parce que mon client a reconnu des propos [tenus à Cannes un soir en 2012 NDLR] et s’en est excusé, que Sandra Muller échappe à la condamnation pour diffamation ! Pour le reste, ses propos sont bien diffamatoires : et surtout, l’arrêt reconnait que M. Brion n’a commis absolument aucun harcèlement sexuel au travail. Or, tel était le débat qui portait non pas tant sur les propos– dont il a reconnu la teneur – mais sur un prétendu harcèlement sexuel au travail. Et la Cour a bien précisé qu’Éric Brion n’avait commis aucune infraction. 

A lire aussi: Sandra Muller balance tout… sauf la vérité

Les faits en question se seraient déroulés lors d’une soirée professionnelle, mais Eric Brion et Sandra Muller ne travaillaient pas dans la même structure. Rappelons qu’il n’y a eu ni d’agression ni contact physique. De plus, la dénonciation de Sandra Muller est intervenue bien après l’incident.

Le harcèlement est défini par le caractère répété ou par la pression exercée contre la victime. Une phrase vulgaire n’est pas du harcèlement, c’est une phrase vulgaire. Effectivement, Sandra Muller et mon client n’ont jamais travaillé ensemble, il n’y a jamais eu le moindre rapport hiérarchique. Donc il n’y a pas de harcèlement sexuel, et a fortiori  de harcèlement sexuel au travail. On est très loin de tout cela. Il s’agit de propos déplacés. Et on parle de deux phrases.

Vous semblez étonnée, scandalisée par cette décision de justice.

Je ne suis pas scandalisée, mais je constate que c’est un courant qui n’est pas nouveau et qui s’intensifie, que l’on peut aujourd’hui diffamer sans difficulté, sans pour autant commettre le délit de diffamation. Donc la liberté d’expression, à laquelle je suis profondément attachée, est quasi absolue, voire absolue ; on peut tout dire, et c’est potentiellement inquiétant. Il ne faudrait pas que cet arrêt soit un laisser-passer – c’est le vrai risque –  permettant à tout le monde de balancer des noms et procéder sans retenue à la délation sur les réseaux sociaux. 

Dites-vous que cet arrêt pourrait faire jurisprudence, et auquel cas serait une mauvaise nouvelle pour le droit des personnes à ne pas être diffamées ?

On verra. Il nous reste la possibilité du pourvoi en cassation. Mais oui, cela pourrait même inciter toutes les personnes à ne plus jamais rien reconnaître, puisque manifestement cela semble pouvoir se retourner contre vous ! C’est notamment à cet égard que l’arrêt est surprenant en ce qu’il a en quelque sorte déplacé le débat. Et ce, d’autant plus que la cour d’appel n’a pas appliqué la jurisprudence habituelle sur l’appréciation de la bonne foi. Ils ont, en effet, reconnu le bénéfice de la bonne foi à Sandra Muller. Or, en principe, depuis toujours, la bonne foi s’apprécie avec des éléments qui sont antérieurs ou concomitants aux propos litigieux. Or là, ils ont pris prétexte de la reconnaissance spontanée et hors procès de M. Brion, mais qui est postérieure, pour faire bénéficier de la bonne foi à Sandra Muller. 

De son côté, votre client m’a dit qu’il reste combattif. Avez-vous donc encore des recours ? 

Oui, on peut former un pourvoi devant la cour de cassation. Et on y réfléchit. M. Brion a été très courageux, il n’a ni à regretter ni à baisser la tête. L’arrêt est rédigé de manière assez particulière. Et s’il y a cet arrêt, il y a aussi eu le jugement qui lui avait donné intégralement raison. On voit donc bien que les choses ne sont pas si simples. Et contrairement à Sandra Muller, M. Brion lui a offert la possibilité de pouvoir s’exprimer, d’avoir recours à des avocats, d’être jugée par de vrais juges et même de pouvoir obtenir, d’une certaine manière, gain de cause. Même si elle n’est pas venue au procès en appel. 

Dans cette affaire, comment se sont comportés les médias  ? 

La parole est évidemment donnée de manière beaucoup plus facile et plus large à Sandra Muller et à tous ceux qui portent ces mouvements de libération ou délation en fonction des cas. C’était beaucoup plus difficile de se faire entendre pour alerter sur les dérives graves que risquent d’occasionner ces déchainements incontrôlés au nom de la libération de la parole, qui n’est pas toujours sincère et qui condamne sur la place publique sans autre forme de procès. 

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Ceci est mon sang

Brion est victime de Balance Ton Porc, mais n’y a-t-il dans ce mouvement que du mauvais ?

Non ! Le simple fait de dénoncer des comportements ou des actes répréhensibles ou même seulement inacceptables ou intolérables, c’est tout à fait salutaire. En revanche, à partir du moment où on décide de balancer des noms sur les réseaux sociaux ou dans la presse sans que les personnes concernées puissent répondre et se défendre, c’est évidemment autre chose. Je suis parfaitement favorable à ces mouvements de libération de la parole, à la dénonciation des comportements, mais contre la délation des gens. Balancer des noms sur les réseaux sociaux ou dans la presse sans permettre à la personne accusée de pouvoir se défendre, ce n’est pas tolérable dans un État de droit. C’est en cela que cette décision est potentiellement inquiétante. Cela signifierait-il qu’on peut dire n’importe quoi sur les réseaux sociaux ? À l’aune de cet arrêt, la réponse est quasiment oui. D’ailleurs, c’est ce qu’on constate. Aujourd’hui, on peut tout dire.

Votre client est-il toujours confronté à des gens qui le considèrent comme un agresseur ? 

Oui ! Sandra Muller a créé cet amalgame. On parle de deux phrases vulgaires, mais en réalité elle l’a indirectement assimilé à Harvey Weinstein, notamment au travers du mot « porc ». Les gens ne savent plus vraiment ce qu’on lui reproche, mais se souviennent qu’on lui a reproché quelque chose, probablement sexuel et donc grave, alors que ce n’est absolument pas le cas. Il ne s’agit une fois encore que de deux phrases vulgaires, prononcées il y a presque 10 ans ! Et tout cet aspect-là qui est essentiel, la cour d’appel ne l’a pas du tout pris en compte et c’est très regrettable. 

Le regard libre d’Élisabeth Lévy
« Sale temps pour la justice, les hommes et les femmes qui les aiment »

Retrouvez la chronique d’Elisabeth Lévy tous les matins à 8h15 dans la matinale de Sud Radio

Ce qui rend notre époque formidable


Un billet de Roland Jaccard qui déprimera à peu près tout le monde… sauf lui!


Il est rare que quatre conflits décisifs pour les prochaines décennies se livrent simultanément : autant dire qu’observé de Sirius, nous assistons à un spectacle que seuls quelques esprits perspicaces avaient pressenti. Comme il semble loin le temps où finalement deux forces en présence, l’impérialisme américain et le communisme mondialisé, s’anathémisaient sans réelle volonté de s’anéantir, provocant par là-même une certaine lassitude chez tous ceux qui jugeaient cet « équilibre de la terreur », cette guerre de plus en plus tiède – glaciale, il est vrai, à l’époque de Staline et de Mao – un peu vaine, voire totalement kitsch.

Et nous voici maintenant à l’heure où quatre conflits qui concernent notre humanité même, se déroulent sous nos yeux, même si la plupart d’entre nous préfèrent ne rien voir, convaincus qu’ils sont que le vivre-ensemble est encore de mise. Nous aimerions leur donner raison et croire que tout est bien qui finit bien. Nous doutons que ce sera le cas car nous sommes en présence de forces incompatibles qui n’aboutiront à aucune paix, aucune guerre n’étant vraiment déclarée. Ce qui se joue est d’autant plus passionnant à observer, presque autant que la coupe du monde de football, et chacun peut parier sur l’issue de ces conflits.

Le premier oppose, bien sûr, l’islamisme à la culture judéo-chrétienne. À titre personnel, je ne donne pas cher de cette dernière. Seuls les musulmans sont encore capables de mourir pour leur foi, ce qui leur donne un avantage considérable.

Le deuxième dont nous observons chaque jour, navrés ou satisfaits, la progression, est ce qu’il est convenu d’appeler le néo-féminisme qui aspire à prendre une revanche sur le patriarcat qui aurait soumis pendant des siècles des pauvres petites femmes sans défense. Allons-nous assister à l’agonie du vieux mâle blanc sous la lumière des halogènes? Je n’en serais guère surpris.

Le troisième conflit oppose les mondialistes et les souverainistes. Il fut un temps où il était du dernier chic d’affirmer qu’un homme qui se respecte n’a pas de patrie et de revendiquer le statut d’apatride. Ce temps est révolu. On peut le regretter – c’est mon cas – mais il n’est plus question d’être chic, juste de défendre ou non sa patrie. Les mondialistes ont quelques longueurs d’avance, mais la partie n’est pas jouée. Le mondialisme aurait pour conséquence la victoire du dragon chinois. Et, à tort ou à raison, nombreux sont ceux qui prônent une position de repli. Sans doute est-ce un peu tard…

Avec la pandémie qui occupe les esprits quotidiennement, au-delà des problèmes strictement médicaux, ce sont enfin deux conceptions de nos sociétés qui s’affrontent : l’une que l’on peut qualifier de biocratique, les nazis en rêvaient, et l’autre un peu vieux jeu de démocratique. Michel Foucault avait prévu l’avènement de la biocratie. Les faits semblent lui donner raison. Certains, comme Malraux , avaient annoncé que le vingt et unième siècle serait religieux ou ne serait pas. Le pari est perdu. Je me garderai bien de jouer au prophète, mais même du point de vue de Sirius, l’avenir, à supposer qu’il y en ait un, s’annonce moins réjouissant que certains ne l’espéraient et plus sombre que ce qu’un président constamment en état d’ébriété narcissique avait nommé « le monde d’après », qui est celui qui avive notre nostalgie. Le spectacle n’en reste pas moins passionnant pour autant.

Macron: quand l’hubris n’est pas un vain mot


Même lors de son allocution, Emmanuel Macron n’a pas esquissé l’ombre d’une autocritique, faisant passer ses erreurs d’appréciations pour autant de victoires. La faute à ce que les Grecs anciens appelaient, avec inquiétude, l’hubris.


Rarement on aura vu un homme d’État représenter à ce point cette vieille notion grecque de l’hubris. S’il est impossible de traduire exactement l’hubris, -« démesure » est juste mais n’en épuise pas le sens-, c’est parce que ce mot n’a pas d’équivalent : il désigne un ensemble de comportements, en même temps qu’une psychologie, qui aboutissent à des catastrophes pour celui qui en est possédé, mais aussi pour tous ceux qui l’entourent…

L’hubris finit par vous rendre sincère dans le déni

L’hubris, c’est le joueur qui refuse de se retirer après avoir déjà beaucoup gagné. C’est là-dessus que misent les tenanciers de casino, d’ailleurs, pour ruiner le joueur à la fin. Rappelons que l’indécent Macron a parlé ou a laissé dire qu’il s’agissait d’un « pari » de ne pas reconfiner. Un pari en matière de santé publique ? Pourquoi pas un pari sur le nombre de morts la semaine prochaine, avec tickets à retirer auprès de la Française des jeux ? Hier soir, comme un aveu implicite, il a évidemment dit… qu’il n’avait jamais parlé de pari. Quant au totem des écoles, autour duquel Blanquer a dansé la grande danse du déni pour parler de la circulation du virus, Macron l’a fait tomber hier soir. Ce n’est pas avant le 3 mai que tous les élèves, de la maternelle au lycée, retrouveront, en théorie, leurs salles de classe. Mais n’imaginez pas que ce soit une défaite du président : c’est plutôt, comme disait l’état-major en mai 40, « une retraite stratégique » quand il fallait cacher une débâcle totale.

Macron croit-il à ce qu’il dit?

Alors, la question qui se pose, pour notre propre sécurité de citoyens, c’est : Macron croit-il à ce qu’il dit ? C’est hélas très probable : l’hubris, encore elle, est aussi une auto-intoxication. À vrai dire, Macron n’aurait jamais dû être président dans le cadre de la Vème république, ivre des pouvoirs que lui donne une constitution devenue décidément obsolète, avec une parole attendue religieusement à 20 heures, commentée inlassablement deux jours avant et deux jours après. Il faudrait avoir des nerfs d’acier pour ne pas se laisser griser par ce pouvoir immense et ce n’est pas le cas de Macron, qui est souvent incapable de se contrôler, comme il le montre périodiquement par des saillies qui trahissent, malgré lui, son mépris de classe.

A lire aussi, Sophie de Menthon: Les simagrées de la culture de l’excuse

L’hubris, c’est ainsi se persuader que l’on est, parce que président et détenteur de tous les pouvoirs, plus fort que les virologues et les épidémiologistes, qu’on comprend mieux qu’eux l’immunologie, les modélisations, la cinétique… C’est laisser dire à vos courtisans et vos valets, je cite, « que vous challengez les scientifiques » ou, comme Blanquer dans le Monde il y a encore quelques jours : « Il consulte toutes les études, dès qu’elles sont publiées. Au point que, parfois, le président peut en évoquer une que les experts en face de lui n’ont même pas lue. » Comment ne voulez-vous pas, avec ce genre de chose, perdre les pédales dans votre grand bureau ?

Syndrome d’Icare

C’est ainsi que l’hubris, parce qu’elle est démesure, finit par déformer la réalité elle-même, par vous rendre sincère dans le déni. J’ai vu qu’on demandait ici et là à Macron un mea culpa ou tout au moins admettre qu’un autre choix aurait été possible en confinant en janvier ou même en février pour éviter une catastrophe sanitaire, humaine et in fine, économique quand même. Macron, contrairement à la protestante et modeste Merkel, en est incapable. C’est forcément les autres qui se trompent, qui font mal : les Français qui se relâchent, les épidémiologistes qui donnent de fausses courbes, les Anglais ou les Allemands qui ne jouent pas le jeu avec les vaccins. C’est que l’hubris vous empêche même d’imaginer que vous puissiez avoir tort.

Jusqu’au moment où, comme tous ceux que l’hubris a possédé, comme Icare par exemple, vous tombez de haut. 

De très haut.

Daft Punk, les Beatles de la génération Y

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Voilà un mois que Daft Punk a annoncé sa séparation


Il y a un mois, le légendaire tandem de la musique électronique laissait derrière lui une carrière longue de 28 ans, seulement quatre albums studio (comme Jimi Hendrix – il en faut peu pour être un géant!) et un parterre de fans sidérés, ou au moins surpris, dans le monde entier. On nous avait pourtant juré que 2021 serait une meilleure année, il semblerait que cette nouvelle ne soit venue infirmer nos belles croyances !

Dernière apparition publique en 2016

Annoncée dans un court métrage nommé « Épilogue », la séparation de Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo fait suite à des années d’absence totale, puisque leur dernier album remonte à 2013, et leur dernière apparition publique aux Grammy Awards de 2016.

L’émotion largement partagée indique que Daft Punk parle au plus grand nombre. Entre deux vagues de Covid, la nouvelle aurait pu paraitre dérisoire. Leur album « Discovery » (2001) mériterait de figurer parmi les grands albums du dernier siècle, aux côtés de « Abbey Road », « Sticky Fingers » et « Kind of Blue ». Il aura marqué toute une génération de jeunes qui, des Etats-Unis au Japon, ont connu des soirées sans masques dans lesquelles le DJ passait plusieurs fois leur grand tube planétaire « One more time ».

Un sens rare de l’harmonie

Mais Daft Punk ne se résume pas à une machine à tubes. S’ils laissent un souvenir si unanime, c’est qu’ils ont également su parler aux plus mélomanes et que les « punk idiots » ont su convaincre les critiques. Les jeux de texture sonore sur l’album HomeWork ou les mélodies cosmiques de « Voyager » ou de « Beyond » montrent un sens rare de l’harmonie, apportée par Thomas Bangalter, couplé à une recherche technique du son idéal mené par Guy-Manuel de Homem-Christo.

A lire aussi, Simon Collin: Rencontre avec Nicoletta

Tous les arts ne se valent pas, de même que tous les styles de musique n’ont pas la même exigence ni la même hauteur. Seuls les grands talents sont capables d’élever un art ou un style au rang des plus nobles. Les Daft Punk sont de ces artistes qui font l’histoire de leur art: ils ont anobli la musique électronique. Ce n’est pas là qu’une parole de fan ; si des artistes aussi exigeants que Giorgio Moroder, Nils Roger ou Akira Matsumoto ont bien voulu collaborer avec Daft Punk, c’est qu’ils ont perçu en eux l’indépendance et l’exigence qui font les grands musiciens.

Les raisons musicales de leur grand succès étant données, Daft Punk incarne également dans son imagerie ce que Hegel appelle le « Zeitgeist », ou « l’esprit du temps ». Ils symbolisent l’épopée d’une jeunesse des années 80 et 90, ayant assisté jeune au passage au troisième millénaire, et à la transition vers l’ère des ordinateurs. Leur esthétique, faite de manga japonais et d’un son grunge, que l’on retrouve dans Human After All, synthétise des tendances très différentes qui ont traversé les décennies passées.

Robot rock

Les casques de robot qu’ils décidèrent de porter dès la fin des années 1990 donnent le la d’une génération biberonnée à Internet, où la célébrité et l’anonymat se côtoient, et aussi l’avènement proche de l’époque des robots et d’une certaine disparition de l’Homme. Sans tomber ni dans la facilité ni dans le glauque, le groupe a su extraire de cette modernité technique une forme de poésie. Leur incarnation de l’époque ne les empêche pas d’être tout à fait à rebours sur certains sujets: leurs apparitions et concerts se sont faits extrêmement rares, au moment où les vedettes actuelles désirent apparaitre le plus possible et quotidiennement sur nos écrans.

La France doit beaucoup à Daft Punk culturellement. Pour la première fois depuis longtemps, l’hexagone a été un précurseur musical, si bien que la galaxie d’artistes qui a emboité le pas à Daft Punk a été bien mal nommée – puisqu’en anglais – : « French Touch 2.0 ». Depuis le walkman que nous trainions dans les années 1990 jusqu’à notre application de musique actuelle, Daft Punk n’a rien perdu de sa saveur. Intemporelle. En dépit de mon jeune âge, l’écoute de Daft Punk me fait me sentir vieux. Ce sont les Beatles de ma génération.

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Présence et distance par temps de Covid


Le distanciel est l’accomplissement d’un vieux rêve de la modernité : effacer le temps et la distance nécessaires à une rencontre.


Si vous n’en pouvez plus des écrans, des gestes barrières et des visages masqués, relisez Réelles présences de George Steiner : cela vous rappellera que la liquidation de la présence – vivante, rayonnante, dérangeante – est une vieille affaire qui a stérilisé notre approche de la création artistique, et qui va de pair avec la fascination de la modernité pour les artéfacts. L’instauration de distances sanitaires entre les personnes n’est à cet égard que l’amplification spectaculaire d’une mise à distance des êtres et des choses bien plus ancienne, bien plus structurelle. Pour une part justifiée par le souci d’objectivation propre au regard scientifique, la distanciation a également touché le théâtre, envahi l’art contemporain devenu « conceptuel » alors même que quelques réfractaires tentent en vain de dire leur inquiétude devant cette incapacité grandissante à entretenir avec le monde une relation charnelle qui ne dissocie ni ne confonde le proche et le lointain : « Il n’y a plus de puissance des icônes », déplorait Merleau-Ponty dans ce manifeste en faveur de la « présence réelle » qu’est L’Œil et l’Esprit (1964).

Que nous ressasse-t-on en effet à longueur de journée comme on enseignerait à des analphabètes les rudiments d’un nouvel alphabet ? Que le « distanciel » – opposé par les circonstances au « présentiel » – pourrait être davantage qu’un ersatz de rencontre véritable : une véritable opportunité désormais à portée de main grâce à la technologie et dont nos parents n’ont pas eu la chance de bénéficier alors qu’ils traversaient une guerre bien plus ravageuse que cette épidémie. Qu’était en ce temps-là la voix, tant bien que mal portée par les ondes, au regard de la puissance actuelle des images sur des écrans qui n’ont pas besoin d’être géants pour être fascinants ? La personne avec qui vous conversez n’est-elle pas vraiment là, à l’instant même où vous lui parlez ? Que lui manque-t-il donc pour qu’elle soit bel et bien « présente » tout en étant à distance ? Tout est fait pour nous persuader que le sentiment d’un manque est la trace d’un attachement déraisonnable à l’ancien monde qui ne connaissait encore rien des joies de l’ubiquité.

Car le « distanciel » accomplit en fait le rêve de la modernité en créant ce que Steiner nomme une « simultanéité nivelante » : rendre simultanément « présents » des êtres qui auraient eu besoin de temps pour se rencontrer s’ils s’étaient déplacés. Maître de l’espace, on le devient aussi du temps en créant une nouvelle forme de présence dont la nature est d’autant plus floue qu’on ne la perçoit pas comme une image dont il y aurait lieu de se demander si elle est fidèle à son modèle. Un double spéculaire plutôt, voire un simulacre dont l’apparition, disait Jean Baudrillard, remodèle notre rapport à la réalité : une manière d’être là sans y être physiquement, et de n’y être qu’en cadrant son environnement réduit à un décor modifiable à volonté. Une esthétique de fond d’ordinateur et de plateau télé. Quelque chose doit pourtant bien clocher dans ce dispositif performant (« ça marche ! ») pour que les étudiants qui ne quittent plus leur écran soient aussi déprimés et les enseignants si épuisés.

Faut-il donc être le dernier des demeurés pour douter du fait que la communication à distance soit « mieux que rien », voire qu’au fond elle ne change rien ? Même certains psychanalystes en sont maintenant convaincus, qui devraient dès lors se demander pourquoi Freud leur a fait perdre tant de temps en installant ses patients derrière lui sur un divan. Pourquoi, sinon parce que la technologie encore peu développée, et suspectée d’avoir des effets secondaires indésirables, ne permettait pas comme aujourd’hui de penser qu’une possibilité technique porte en soi la preuve de son opportunité par rapport au problème à traiter. Comme on démontrait jadis l’existence de Dieu en contemplant la rotation des planètes et la perfection des organismes, on prouve désormais le caractère incontournable des dispositifs techniques en montrant qu’ils répondent, de manière quasi providentielle, aux difficultés du moment.

Or cette logique, n’en déplaise aux chantres du Progrès, est celle de la modernité dans son rapport paradoxal à la présence et à la distance, ou plutôt à ce qu’elle tient pour telles. Car depuis ses débuts, elle est tiraillée, cette modernité, entre deux idéaux, deux projets dont l’incompatibilité commence à devenir manifeste : un idéal social qui encourage le rapprochement des individus, la suppression des frontières et des distances, la fraternisation universelle à travers de grands rassemblements festifs dont le manque, cruellement ressenti par temps de Covid, est aussi le symptôme d’une addiction émotionnelle parmi tant d’autres. Mais cette même modernité a également mis en œuvre un projet intellectuel de grande envergure qui, d’abstractions en théorisations, de réserve critique en soupçon systématique, ne cesse d’accroître la distance entre le monde vécu et ses représentations. Chargée de trop d’impondérables, la « présence » charnelle finit par faire figure d’archaïsme, de surplus d’humanité dont on devrait apprendre à se passer dès qu’il présente une quelconque dangerosité. Que le « distanciel » fasse aujourd’hui figure de recours contre le risque de contamination lié au « présentiel » s’inscrit dans une telle logique et n’a donc rien d’anecdotique.

Toutes les grandes cultures, toutes les œuvres d’art qui attirent aujourd’hui encore notre regard comme toutes les relations humaines qui valent d’être vécues, reposent sur une étroite et étrange connivence entre présence et distance. En effet la distance n’est pas seulement ce qui abolit la présence ; elle est aussi ce qui la rehausse en la délivrant de ce qu’il peut y avoir en elle d’insistant. De ces jeux, de ces chassés-croisés entre présence et distance se sont nourries la plupart des grandes entreprises humaines et des œuvres de l’esprit. Il se pourrait donc, comme le craignait Yves Bonnefoy, que les temps à venir soient peu propices à la poésie ; celle-ci ne consistant pas seulement à faire œuvre de poète, mais imprégnant aussi tout ce qui, dans notre manière d’habiter le monde, permet d’y « accueillir la présence[tooltips content= »Yves Bonnefoy, « L’Acte et le lieu de la poésie », L’Improbable, Paris, Mercure de France, 1980, p. 127.« ]This triggers the tooltip[/tooltips] ».

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« Valeurs actuelles » s’est planté: bienvenue au club

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Le site de l’hebdomadaire a pris au sérieux le témoignage bidon d’un pseudo-prof alsacien confronté à des élèves islamisés. Niveau de gravité sur l’échelle des boulettes journalistiques ? Mineur. Passage en revue de quelques faits d’armes de la grande confrérie des enquêteurs.


Matin saumâtre à la rédaction de Valeurs Actuelles. Le site de l’hebdomadaire s’est fait rouler dans la farine par un quidam ayant inventé de toutes pièces une histoire de professeur alsacien confronté à des élèves islamisés jusqu’à la caricature. Et pour cause, tout était inventé ! Facteur aggravant, nos confrères de Valeurs actuelles ont contacté eux-mêmes le farceur, qu’ils avaient repéré sur Twitter.

La confrérie des enquêteurs se gausse, mais pas trop fort quand même. Et pour cause : la question n’est pas de savoir si la mésaventure leur est arrivé, mais quand.

Le 27 août 1991, le Monde sort un scoop retentissant, titré pleine page « Scandale à Panama ». Edwy Plenel révèle que le sinistre général Noriega a financé le Parti socialiste français pour la campagne présidentielle de 1988. L’enquêteur-star du Monde produit des lettres de l’ambassade à l’appui de ses dires. Avec le recul (cet ingrédient magique qui rend tout limpide), c’est le détail qui tue: quel politique mouillerait l’ambassade dans une telle combine ? Les lettres en question étaient des faux grossiers, il n’y avait pas d’affaire.

1989. Alors que le régime communiste s’effondre en Roumanie, on découvre un charnier dans la ville de Timisoara. C’est celui, explique TF1, « des jeunes gens vidés de leur sang » que le dictateur Ceausescu, « atteint de leucémie », utilisait pour renouveler le sien. « Dracula était communiste », titre L’Evènement du Jeudi du 28 décembre. Belle formule. Toute la presse embraye, alors que les corps en question étaient ceux du charnier de la morgue locale, tout bêtement.

Tailler une histoire pour les médias est en réalité très facile. Il ne faut surtout pas craindre de forcer le trait

2003, Toulouse. L’ancien maire Dominique Baudis (décédé en 2014) est au cœur d’un scandale sordide. Il est accusé d’avoir participé à des orgies sanglantes, mêlant sexe et meurtres rituels. Une équipe de TF1, suivie par France 2, déniche un témoin, Djamel. Il a tout vu. Il y était. Les chaines diffusent son témoignage. Hors antenne, pourtant, Djamel a rajouté des détails qui auraient dû alerter : il affirme être le fils caché de Mickael Jackson et soutient que Tony Blair était également impliqué dans les partouzes mortelles. Rétropédalage en moins de 48 heures, Djamel était un déséquilibré manipulé par une prostituée.

2010. Le Point tombe un peu dans le même panneau que Valeurs Actuelles, faisant état du témoignage d’une Malienne polygame vivant en région parisienne. C’était en réalité un canular monté par un fixeur (un intermédiaire connaissant le terrain, dans le jargon de la presse), sollicité par le journaliste du Point. Pourtant très expérimenté, ce dernier s’est fait berner par un jeune homme ayant contrefait la voix d’une femme au téléphone.

En mars 2013, le Parisien a donné crédit à une mythomane se faisant passer pour une mère porteuse rémunérée. C’était une femme fragile, sans arrière-pensée. Contrairement au jeune homme qui a roulé Valeurs Actuelles, elle croyait à ses propres bobards (selon sa mère citée par BFM, qui a dévoilé le pot-au-rose). Cela la rendait sans doute particulièrement convaincante.

Illustration_ObsMais être convaincant est-il vraiment indispensable ? Tailler une histoire pour les médias est en réalité très facile. Il ne faut surtout pas craindre de forcer le trait. Exemple: un médecin nazi a trafiqué des insectes afin de les rendre plus dangereux pour l’homme, dans le cadre de recherches menées dans un laboratoire ultrasecret aux Etats-Unis. Hélas, quelques insectes se sont échappés. Ils se sont attaqués aux enfants d’un village, avec des résultats effrayants, avant d’essaimer partout dans le monde. Les autorités nous cachent la vérité, pour ne pas affoler la population, mais la pandémie est en cours ! Trop énorme ? Pas pour le Nouvel Observateur de juillet 2016: ce scénario de série Z était la trame d’un dossier de Une consacré à la maladie de Lyme. Il repose sur un livre ahurissant[tooltips content= »Lab 257: The Disturbing Story of the Government’s Secret Germ Laboratory, février 2004, non traduit. Ed. William Morrow, par Michael C. Carroll. »](1)[/tooltips] écrit par un aimable farfelu américain, enquêteur autodidacte.

Le Nouvel Obs n’a pas publié de démenti, ce qui n’a rien d’étonnant. De nombreuses boulettes ont été discrètement jetées aux oubliettes…

Le 18 février 2013, le Monde a publié un long article sur l’illettrisme des cadres. Il commençait par un témoignage fort, celui d’un trader illettré, « Mickael », 32 ans, travaillant dans une salle de marché située dans une  tour donnant sur l’esplanade de la Défense. Diplômé de l’Inseec, une école supérieure de commerce parisienne, cet « as des équations mathématiques », comme le présentait le quotidien, était incapable d’écrire et de lire. « Mickael » se faisait aider par un collègue pour déchiffrer notes, comptes-rendus et mails. Un témoignage complètement bidon… Une seule salle de marché donnait alors sur l’esplanade de la Défense, celle de la Société Générale. Il a fallu très peu de temps pour vérifier qu’aucun diplômé de l’Inseec (ni d’aucune autre école !) n’y officiait sans savoir lire, les traders passant au contraire leur temps à lire. À ce jour, rien ne permet de déterminer si le Monde a été victime d’un témoin facétieux, d’un mythomane, ou d’un journaliste trop imaginatif…

Certains bidonneurs ont fait de belles carrières, à l’image de Jacques Chapus (1922-2011), figure respectée de la corporation, présentateur star de RTL de 1978 à 1991. En 1952, Chapus couvrait l’affaire Dominici pour France Soir. Le fait divers passionnait alors le pays tout entier. Pour des raisons encore inconnues à ce jour, une famille britannique avait été assassinée dans les Basses-Alpes. Le 9 août 1952, Chapus sort un scoop. Il s’agit du journal intime d’Elizabeth Drummond, la fille de la famille. Le journal débute à l’arrivée des Drummond sur le territoire français, le 27 juillet, et se termine quelques heures avant leur assassinat, dans la nuit du 4 au 5 août. Voici les dernières lignes écrites par Elizabeth Drummond : La lune est haute et brillante. Nous campons. Je viens de réaliser un désir très cher : seule, je me suis baignée dans la Durance, comme dans un film, ou dans un rêve ! C’est merveilleux ! Pour qu’ils ne s’en aperçoivent pas, j’ai enfilé mon pyjama sur mon corps encore mouillé. C’est froid…  « Deux heures après avoir écrit ces dernières lignes », précise Jacques Chapus, « Elizabeth Drummond agonisait au bord de la Durance, le crâne défoncé, prenant le temps de mourir en gémissant sous la lune déclinante et indifférente ». Émouvant, mais bidon : le journal intime avait été écrit par Jacques Chapus, qui fut cité comme témoin de l’accusation au procès de Gaston Dominici, accusé du triple meurtre. Son témoignage était heureusement anecdotique, sur le fond. Ce n’est pas lui qui a envoyé Dominici en prison.

Pour conclure, balayons devant notre porte. L’auteur de ces lignes lui-même s’est planté comme un javelot dans le sable, accusant un élu d’avoir travaillé en cachette pour le groupe Véolia, sur la base d’un seul témoignage vérifié superficiellement. L’élu en question (ancien maire de la ville natale du journaliste, honte suprême), a attaqué en diffamation et a gagné. Le fond de l’affaire était une bête homonymie. Une info plus un démenti égale, deux infos. Mais il faut dix bonnes années pour arriver à en sourire.

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Le dernier témoin d’Arthur Rimbaud

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Au plus près de Rimbaud, Alain Vircondelet accompagne les derniers pas de l’homme aux semelles de vent, alors que le poète s’en revient mourant de Aden…


Il est des livres d’ensorcellement, on les ouvre et l’on est pris, on se laisse entraîner dans leur vacarme et l’on suit leur éblouissant progrès. Nous consentons à être leur « captif amoureux ».

Rimbaud: dernier voyage, d’Alain Vircondelet[tooltips content= »Éditions Écriture »](1)[/tooltips] remplit superbement les conditions fixées par Charles Baudelaire pour que naisse et dure une entreprise littéraire: « De la langue et de l’écriture, prises comme opérations magiques, sorcellerie évocatoire. » (Fusées, XI)

Le sujet Rimbaud se prête à toutes les manipulations. L’adolescent rêveur – d’une beauté foudroyante, il est vrai, et l’air têtu des voyous supérieurs – qui égrenait des rimes a la gueule de l’emploi: il fait une icône parfaite pour les niaiseries murales du street artiste JR, et pour les fabricants de T-shirts. Alain Vircondelet, écrivain confirmé, styliste impeccable, ne courait certes pas ce risque. Il faut entendre ce texte, le lire à haute voix ; c’est Rimbaud qui halète, c’est Arthur qui geint mais, quand il s’interrompt, subclaquant, c’est Alain qui prend le relais, défie son vertige et soutient sans faiblir le train de sa mélancolie.

Au plus près d’Arthur

Le 20 mai 1891, un homme assez grand, maigre, remarquable par son regard d’un bleu intense cerné d’ombre, est admis à l’hôpital de la Conception. Il aura bientôt 37 ans si l’on en croit son état civil, mais toute sa personne paraît épuisée. Il subit le martyre d’une tumeur du genou très évoluée[tooltips content= »« … Je suis réduit à l’état de squelette par cette maladie de ma jambe gauche -il se trompe, c’est la jambe droite- qui est devenue à présent énorme et ressemble à une énorme citrouille. » (Cette lettre à sa mère et à sa sœur, de Marseille, datée du 23 mai 1891, a été adjugée 175 000 euros par l’étude Binoche & Giquello le 9 octobre 2018. »](2)[/tooltips]. Ce patient vient d’arriver d’Aden ; il se trouvait, quelques heures auparavant, à bord de la goélette à vapeur L’Amazone, affrétée par la compagnie des Messageries maritimes. En Abyssinie, où il exerçait la profession de commerçant, il jouit d’une bonne réputation. Avant la maladie, c’était un homme robuste, capable de mener une caravane sur des pistes de cailloux, d’affronter les grandes déconvenues.

Il est amputé le 27. Le geste chirurgical a été large[tooltips content= »« Aujourd’hui j’ai essayé de marcher avec des béquilles, mais je n’ai pu faire que quelques pas. Ma jambe est coupée très haut, et il m’est difficile de garder l’équilibre. » (Ibid.) »](3)[/tooltips].

Arthur Rimbaud, le piéton du monde, est désormais un estropié à l’équilibre précaire. Son cancer osseux généralisé ne lui laissera pas le temps de devenir l’homme aux béquilles de vent…[tooltips content= »Du vivant de Rimbaud, on disait qu’il était « L’Homme aux semelles de vent » (l’expression serait de Verlaine). »](4)[/tooltips]

Avant d’embarquer, il avait parcouru 300 kilomètres d’une contrée désertique, dans des conditions d’épouvante[tooltips content= » Il est accompagné par son fidèle et très estimé serviteur, Djami Wadaï »](5)[/tooltips], afin d’atteindre le port de Zeilah, puis de gagner par bateau Aden, pour une consultation médicale. On lui a diagnostiqué « une synovite arrivée à un point très dangereux » qu’on ne peut opérer qu’en France. La traversée ne lui sera que souffrance et désespoir.

C’est à ce moment précis que Vircondelet, passager clandestin de L’Amazone, s’approche de la civière de Rimbaud pour ne plus le quitter. Penché sur lui, recueillant ses râles, ses confidences et ses délires considérables que suscitent à la fois son génie et la drogue, il accompagne ce frère qu’il s’est donné depuis toujours, auquel il tiendra la main et le souffle jusqu’au terme. Il se place ainsi au plus près d’Arthur, qui achève son itinéraire humain, semé de sarcasmes et de chagrins : le 10 novembre 1891, il connaîtra enfin sa mort et sa résurrection poétique.

Le roi Arthur

Sa dernière saison, proprement infernale, commence sur ce trois-mâts élégant, qui « troue l’océan de sa coque d’acier, le fend comme une pièce de soie bleue. […] Pour faire ses besoins, il réclame un bassin, un pistolet, alors il se roule sur le côté. Il a une technique très éprouvée, c’est fou comme ces choseslà s’apprennent facilement, deviennent coutumières. Il […] fiche son sexe dans le goulot de verre du pistolet et pisse, pisse. L’urine gicle doucement sur les parois, chauffe le ballon de verre. C’est un moment heureux, libérateur. Il ne lit pas, il écrit, fait et refait ses comptes, gère ses 37 000 francs acquis de si haute lutte. » (Vircondelet, p. 26)

Il fut, autrefois, un prince dédaigneux, mais aujourd’hui ? « C’est moi, le roi nègre, le roi des caravanes, qui veut ma camelote ? Mes perles de verre, mes pièces de madras, mes belles peaux de panthère, ces cornes d’ivoire et ces fusils ? Tout cet or ? Rimb’, roi de l’Afrique lointaine, roi des Bédouins, et des tribus inaccessibles, roi de rien, qui m’en vais revoir ma mère au lieudit de Roche, dans les Ardennes profondes, où givrent trop souvent les champs ! Rimbaud glousse sous le ciel de lin blanc. Il faudrait qu’ils le voient, oui, les symbolistes confinés dans leurs cabinets de bois de rose, au milieu de leurs chinoiseries et de leurs collections de papillons, et les décadents, qui se gargarisent, diton des Illuminations ! Qu’il vienne, Gavoty, le directeur de La France moderne, qui lui a envoyé par le consulat de France d’Aden cette lettre enfin parvenue au Harar, et qui lui demande de collaborer à sa revue. Et il verrait le pauvre roi d’Abyssinie, Rimbaud en personne, la jambe gauche scellée dans son bandage, et les traces des coups de couteau dans tout son corps, rien qu’au visage qui se crispe et devient bleu. Mais voilà où l’avaient conduit le goût des rinçures, ces vers de rien du tout, cette littérature de cris et d’anathèmes : Absurde, ridicule, dégoûtant ! » (p. 33)

Quel homme allait disparaître tandis qu’il agonisait ? Un cavalier qui lui ressemblait, lancé dans une ultime course au milieu d’un paysage idéal, les joues caressées par une brise sèche et tendre ? Le fils et le frère des deux femmes de sa vie ? Son avant-dernier soupir serait pour elles. Le génial poète de 17 ans ? La petite brute qui vitupérait l’ordre et la dignité, et proférait des jurons hypercritiques, le chamelier soupçonneux qui portait en permanence une lourde ceinture contenant toute sa fortune, le géographe, l’ingénieur, l’explorateur des contrées compliquées et lointaines ? Alain Vircondelet les convoque tous dans la chambre du supplicié en stade terminal.

Il avait tant souffert, Arthur ! Il eut encore un soupir, le dernier : fût-il de soulagement ? 

Rimbaud: dernier voyage, Alain Vircondelet, Ecriture, 2021.

Rimbaud, dernier voyage

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Ne comptez pas trop sur moi pour donner un avis sur le 3e confinement!

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Lille, mars 2021 © Michel Spingler/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22550164_000047

Comme beaucoup de monde, Philippe Bilger est lassé de l’effervescence politico-médiatique après l’allocution d’Emmanuel Macron mercredi


Sur le plan de la gestion de l’épidémie, avant même l’allocution du président de la République le 31 mars, la France était partagée en plusieurs familles : les « enfermistes », les « rassuristes » et les béats.

J’oublie une dernière catégorie : les ignorants qui se subdivisent en optimistes ou pessimistes, en silencieux (les moins nombreux) et en personnes sommées de donner un avis par jour et traitées d’incertaines ou de frileuses si elles y répugnent.

Ce n’est pas minimiser l’état de la France, ne pas se soucier de ses morts et oublier les détresses économiques, sociales et psychologiques que d’exprimer un ras-le-bol sur le plan médiatique. Il n’est pas une émission dont la Covid-19 ne soit pas le sujet principal. Dans notre quotidien, rares sont ceux qui ne dissertent pas sur le fléau, avec peur ou espérance. Osons dire qu’à la lassitude, la résignation ou face au désespoir des Français, il n’est pas nécessaire d’ajouter la profusion et l’inutilité verbales.

Philippe Bilger D.R.
Philippe Bilger D.R.

J’entends bien que n’importe quel citoyen peut être tenté de s’immiscer dans la cacophonie politique et médicale, puisqu’elles surabondent et qu’elles ont donné libre cours à une multitude d’interventions intempestives.

D’ailleurs les réactions après le discours du Président ont été parfaitement partisanes comme on pouvait s’en douter. Rien n’a trouvé grâce aux yeux de l’opposition: incohérence, Waterloo…

A lire aussi, Jérôme Leroy: Macron: quand l’hubris n’est pas un vain mot

Pour aborder le fond de mon billet, si parfois j’ai succombé au péché que je dénonce, la plupart du temps je n’ai pas hésité à faire état de mon ignorance qui m’interdisait d’avoir la prétention d’offrir un apport substantiel aux échanges. J’ai beaucoup réfléchi sur le juste milieu à trouver entre prolixité péremptoire et effacement ridicule.

Je fais une distinction capitale entre ce que le citoyen curieux et informé a le droit de critiquer quand la réalité le justifie et les analyses et propositions sanitaires techniques que je serais bien incapable d’énoncer. Au risque de choquer beaucoup d’adeptes du « il n’y a qu’à » ou de procureurs manichéens, il y a une multitude de propos qui sur les plateaux télévisés ont à peu près autant de légitimité que si je me mettais à disserter sur la physique quantique. La démagogie consistant à décrier les experts, parmi lesquels il en est d’authentiques (ce sont les plus modérés), ne doit pas laisser croire à n’importe qui que sa parole est attendue et vaut de l’or.

En revanche je maintiens que ce n’est pas sortir de son rôle que pourfendre ce qui depuis tant de mois crève les yeux du Français et exaspère le citoyen. Toutes les polémiques sur les masques et les tests, sur le manque de lits de réanimation et l’immobilisme face à cette pénurie, sur l’infinie lenteur de notre appareil bureaucratique et sanitaire, sur notre manque de réactivité, sur le fiasco initial de la vaccination difficilement redressé – le volontarisme du président sur ce plan ne va pas comme par magie créer les doses – ont été utiles puisqu’elles n’ont fait que renvoyer au pouvoir politique l’image sinon de son incompétence du moins de sa relative impuissance, voire de son contentement injustifié.

Le président Macron s'adresse aux Français à la télévision le 31 mars 2021, et annonce un troisième confinement pour lutter contre le Covid-19 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA Numéro de reportage : 01012419_000018
Le président Macron s’adresse aux Français à la télévision le 31 mars 2021, et annonce un troisième confinement pour lutter contre le Covid-19 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA Numéro de reportage : 01012419_000018

J’accepte donc volontiers, au risque d’être bousculé, de prendre acte d’un constat négatif relevant de l’infrastructure, de la matérialité, de données objectivement négatives mais de m’abstenir de donner des conseils à un pouvoir qui lui-même, d’abord soumis au savoir des professeurs et du Conseil scientifique, s’en est délié à la fin du mois de janvier avec, en retour, l’acrimonie de certains spécialistes furieux d’avoir été dépossédés et aggravant ainsi, par leurs chiffres surestimés pour le futur, la sinistrose.

Et on voudrait que j’ajoute mon grain de sel à cette effervescence, mon écot à ce rapport orageux qui, sous l’apparence, est bien plus politique que technique ? À cette lutte d’influence dont les Français ne méritent pas de pâtir ?

Mon ignorance n’a pas à choisir un camp, mon devoir est d’être modeste et responsable. Si, sur ce plan, je pouvais être contagieux, je serais comblé.

Thomas Clavel ou le deuil du regard

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Image d'illustration Unsplash

Hôtel Beauregard est un conte philosophique et pandémique par l’auteur déjà remarqué de la dystopie Un traître mot


Mon jeune confrère Thomas Clavel, qui enseigne le français en zone prioritaire, avait, l’an dernier, publié un salubre et courageux premier roman, plus exactement un conte philosophique, Un traître mot.

Dans une France où les crimes de langue seraient punis avec une toute autre sévérité que les crimes de sang, où l’imposture victimaire et la traque des phobies les plus absurdes seraient devenues la règle, il imaginait les mésaventures d’un jeune normalien qui, à la suite d’un dérapage verbal et d’une plainte déposée par une étudiante « issue de la Diversité »  pour une note d’examen jugée oppressive, se voyait traîné comme un malpropre au tribunal et condamné séance tenante à une peine de prison ferme. Un traître mot décrivait non sans humour son incarcération et sa rééducation lexicale, et surtout sa résistance victorieuse au lavage de cerveau néo-obscurantiste.

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La présente pandémie lui inspire un autre conte philosophique, Hôtel Beauregard, d’après le nom d’un hôtel abandonné du vieux Nice, qui sert de refuge à quelques rebelles au nouvel ordre sanitaire instauré après la cinquième vague d’un virus au nom imprononçable. Axelle, jeune doctorante en microbiologie marine, vit le énième confinement, entre son laboratoire de Monaco et ses prothèses électroniques, smartfaune étincelant de nuit comme de jour et ordinateur nomade, « source facile et intarissable du commun abreuvoir ». Thomas Clavel voit bien à quel point cet univers numérique, en fait parallèle, constitue un inframonde « ayant abandonné l’antique scène tellurique, cosmique, céleste ».

C’est précisément de ces abysses que surgira le malheur quand un simple cliché posté tous azimuts par un collègue étourdi déclenche un mécanisme digne d’une tragédie grecque. Car ces réseaux sociaux se trouvent piratés par des êtres maléfiques, nouveaux possédés, venus du fin fond des Enfers : dénonciateurs anonymes ou fanfarons, puritains de clavier, vengeurs en tous genres y pullulent, pareils aux démons de l’imagerie médiévale. Le fameux cliché d’Axelle démasquée attire l’attention de Nahama, blogueuse à moitié illettrée devenue toute-puissante influenceuse et même, par la grâce du pouvoir, Ambassadrice de l’Hygiène publique. Les lecteurs du Zohar se souviendront que Nahama, épouse de Noé, engendre des démons, comme Lilith.

Subtile méditation sur le visage

Cette opportuniste lance contre l’inoffensive Axelle une chasse à l’homme (ou faut-il désormais écrire « à la femme » ?) où la haine incandescente, la surenchère la plus effroyable – toujours au nom de l’Empire du Bien – vont porter leurs fruits les plus vénéneux.

A lire aussi, Thomas Clavel: Covid-19: les professeurs sommés d’aller au front

Subtile méditation sur le visage, le masque et l’incarnation, Hôtel Beauregard suscite l’effroi et la réflexion. Ce conte pâtit, ce sera mon unique bémol, du style oral adopté par un ou deux personnages, qui parlent « jeune » – argot qui vieillira vite… et qui m’écorche les oreilles. Dieux merci, Thomas Clavel écrit un français classique et poétique, ces quelques dialogues mis à part. Ce jeune écrivain prometteur fait sienne la réflexion d’Artaud, dans Le Théâtre et son double, « Bienfaisante, car poussant les hommes à se voir tels qu’ils sont, la peste fait tomber le masque, découvre le mensonge, la veulerie, la bassesse, la tartufferie. »

Thomas Clavel, Hôtel Beauregard, La Nouvelle Librairie. Chez le même éditeur, Un traître mot.

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Strasbourg: la mosquée de la conquête

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Le chantier de la mosquée à Strasbourg, mars 2021 © Jean-Francois Badias/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22551720_000004

Proche d’Erdogan, l’association Milli Gorus se félicite de construire « le plus grand monument islamique d’Europe » à Strasbourg, avec l’aide de la mairie qui subventionne le chantier à hauteur de 2,5 millions d’euros. Analyse.


Tous ceux qui se pincent le nez quand on leur parle des tentations hégémoniques de l’islam – ou d’un certain islam – doivent visionner d’urgence la vidéo de promotion de la mosquée Eyüp Sultan de Strasbourg. Pour appâter le donateur, ces fiers bâtisseurs font preuve d’une insistance lourdingue sur la taille de l’édifice, « le plus grand monument islamique d’Europe », est-il mentionné plusieurs fois. On voit alors défiler une image de la Tour Eiffel. Comprenne qui voudra. 

Une mosquée de 14 étages

Le vote, par la municipalité écolo, d’une subvention de 2,5 millions d’euros au chantier, le 22 mars, a suscité un chœur de protestations outrées et de plaidoyers pour la République-qui-ne cèdera-pas, surtout dictés par le désir de nuire à des adversaires politiques (qui le méritent bien d’ailleurs) ou par celui de s’adapter à l’air du temps. Sauf que le financement public n’est que la cerise sur ce gâteau indigeste – on n’ose parler d’étouffe-chrétien. Tout d’abord, les dirigeants de cette mosquée représentent à la fois une tendance de l’islam de France et un mouvement missionnaire turc proche du pouvoir (Milli Gorus). Alors que les relations entre Paris et Ankara sont glaciales et que le président turc se verrait volontiers en Saladin des musulmans d’Europe, dont beaucoup, notamment dans la jeunesse, le tiennent pour un héros, cette double appartenance n’est pas un vecteur d’influence, mais d’ingérence. Rappelons que, pour Recep Tayyip Erdoğan, l’assimilation est un crime contre l’humanité. On a donc quelques raisons de soupçonner ses porte-flingues en Alsace de confondre pays d’adoption et terre de mission. Surtout quand on sait que la mosquée Eyüp Sultan, à Istanbul, fut la première bâtie après la chute de Constantinople en 1453[tooltips content= »Que Gil Mihaely soit remercié pour cette information. »](1)[/tooltips]. Autant dire que ce nom est synonyme de conquête.  

A lire aussi, Céline Pina: Strasbourg: quand Jeanne Barseghian s’abrite derrière le concordat pour financer l’islam politique

C’est le projet même de bâtir en France un monument islamique aussi gigantesque qui aurait dû faire scandale : 14 étages, deux minarets de 36 mètres, 30 coupoles, la nouvelle mosquée sera, précisent les communicants, « la fierté des musulmans ». Nul ne voudrait, bien sûr, que les musulmans éprouvent de la honte. Sauf qu’en l’occurrence, l’antonyme de la fierté serait plutôt la discrétion. Le choix de l’ostentation architecturale montre que les dirigeants de l’islam turc (et probablement de tout l’islam de France) ne se voient pas comme les représentants d’une culture minoritaire appelée à s’intégrer à un pays et à un peuple lui préexistant, mais comme ceux d’une communauté dotée des mêmes droits que toutes les autres dans l’espace public. Pour eux, la culture française ne saurait bénéficier d’un quelconque droit d’aînesse. On ne saurait pas plus attendre d’eux qu’ils prennent en considération les inquiétudes que suscite chez leurs concitoyens le séparatisme islamiste. Au contraire, elles sont une preuve supplémentaire des torts faits aux musulmans.  

Les dégâts du multiculturalisme

Quant à nos gouvernants, ils ne disposent pas de la boite à outils idéologiques qui leur permettrait de contrer cette prétention à la visibilité pour la bonne raison qu’ils n’ont cessé de la flatter – récemment encore, quand le président a demandé qu’on dresse une liste de Français issus de la diversité pour baptiser rues et bâtiments. Erdogan et ses partisans ne font que pousser sa logique d’encouragement aux identités minoritaires dans ses ultimes conséquences. Le multiculturalisme, à la fois honteux et gentillet chez le Français, est sûr de son droit et dominateur chez le Raïs ottoman, les erdoganistes strasbourgeois et les escouades numériques qui relaient leur propagande. Dans leur vidéo, les responsables de la mosquée Sultan Eyüp exposent leur conception du vivre-ensemble, qu’ils entendent favoriser, précisent-ils, « en portant nos valeurs, notre culture, notre civilisation ». Il n’y a pas de place en France, ni d’ailleurs dans aucun pays, pour deux civilisations. Sur un territoire donné, l’égalité des cultures est un leurre. Il y en a toujours une qui veut être plus égale que les autres. À nous, citoyens français, de décider laquelle aura le dernier mot en France.

Selon la cour d’appel, Sandra Muller a eu raison de diffamer Eric Brion

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Marie Burguburu © NIVIERE/SIPA Numéro de reportage : 00615652_000013

En septembre 2019 en première instance, l’initiatrice de Balance ton porc Sandra Muller avait été condamnée pour diffamation. L’avocate du malheureux Eric Brion réagit à l’arrêt terrifiant rendu hier par la cour d’appel, qui annule la condamnation


Publiés en 2017 sur Twitter et à l’origine du mouvement “Balance ton porc”, les messages de Sandra Muller[tooltips content= »« Toi aussi raconte en donnant le nom et les détails d’un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends. » Puis, « Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit. Éric Brion, ex-patron de Equidia #BalanceTonPorc. » « ](1)[/tooltips] ont déclenché un tsunami délateur pour quelques-uns, ou une merveilleuse “libération de la parole” pour le reste de notre société connectée. L’histoire est connue: après les accusations Brion perd sa compagne et sa réputation, les portes se ferment, il a honte pour ses deux filles, prend du poids et tombe en dépression. Mais il porte plainte contre Sandra Muller, et rétablit son honneur, cette dernière étant condamnée en première instance à retirer les messages et à verser 15 000 € de dommages pour diffamation. Hier, la cour d’appel rendait un curieux arrêt invalidant toutes les demandes de Brion. 

Le bénéfice de la bonne foi

Pour la cour, “les mouvements #balancetonporc et #MeToo ont été très suivis, ont été salués par diverses autorités ou personnalités et ont contribué à libérer la parole des femmes de façon positive.” Aussi, selon les juges, “même si Eric Brion a pu souffrir d’être le premier homme dénoncé sous le #balancetonporc, le bénéfice de la bonne foi doit être reconnu à Sandra Muller.” 

Cette décision est potentiellement inquiétante

Dans l’arrêt, on peut enfin lire que “les propos [de Mme Muller NDLR] poursuivis s’inscrivent bien dans le cadre d’un débat d’intérêt général, dès lors qu’ils visent à dénoncer les comportements à connotation sexuelle et non consentis de certains hommes vis à vis des femmes, afin que ces agressions physiques ou verbales très longtemps tolérées ou passées sous silence soient largement connues et ne puissent ainsi se perpétuer”… 

Sandra Muller le 25 septembre 2019, après sa condamnation judiciaire © Thibault Camus/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22381700_000003
Sandra Muller le 25 septembre 2019, après sa condamnation judiciaire © Thibault Camus/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22381700_000003

Peut-être, mais suite aux propos de Madame Muller, Monsieur Brion demeure un harceleur sexuel aux yeux de beaucoup de gens. Les juges ont-ils dit le droit ou ont-ils donné raison à un mouvement plus large qui traverse la société ? Défendu par Nicolas Bénoit et Marie Burguburu, Brion pourrait ne pas en rester là. Nous avons questionné cette dernière.

Causeur. Comment interprétez-vous l’arrêt de la cour d’appel qui tout en reconnaissant les propos « diffamatoires » de Madame Muller, retient la « bonne foi » de cette dernière, et déboute votre client de l’ensemble de ses demandes ?

Me Marie Burguburu. Les juges semblent avoir eu quelques difficultés pour justifier leur décision. Les propos de Mme Muller ont bien été jugés diffamatoires, mais ne condamnent pas son auteur pour la seule raison que M. Brion a spontanément reconnu avoir tenu les propos rapportés dans le tweet. C’est assez remarquable, car en réalité, c’est parce que mon client a reconnu des propos [tenus à Cannes un soir en 2012 NDLR] et s’en est excusé, que Sandra Muller échappe à la condamnation pour diffamation ! Pour le reste, ses propos sont bien diffamatoires : et surtout, l’arrêt reconnait que M. Brion n’a commis absolument aucun harcèlement sexuel au travail. Or, tel était le débat qui portait non pas tant sur les propos– dont il a reconnu la teneur – mais sur un prétendu harcèlement sexuel au travail. Et la Cour a bien précisé qu’Éric Brion n’avait commis aucune infraction. 

A lire aussi: Sandra Muller balance tout… sauf la vérité

Les faits en question se seraient déroulés lors d’une soirée professionnelle, mais Eric Brion et Sandra Muller ne travaillaient pas dans la même structure. Rappelons qu’il n’y a eu ni d’agression ni contact physique. De plus, la dénonciation de Sandra Muller est intervenue bien après l’incident.

Le harcèlement est défini par le caractère répété ou par la pression exercée contre la victime. Une phrase vulgaire n’est pas du harcèlement, c’est une phrase vulgaire. Effectivement, Sandra Muller et mon client n’ont jamais travaillé ensemble, il n’y a jamais eu le moindre rapport hiérarchique. Donc il n’y a pas de harcèlement sexuel, et a fortiori  de harcèlement sexuel au travail. On est très loin de tout cela. Il s’agit de propos déplacés. Et on parle de deux phrases.

Vous semblez étonnée, scandalisée par cette décision de justice.

Je ne suis pas scandalisée, mais je constate que c’est un courant qui n’est pas nouveau et qui s’intensifie, que l’on peut aujourd’hui diffamer sans difficulté, sans pour autant commettre le délit de diffamation. Donc la liberté d’expression, à laquelle je suis profondément attachée, est quasi absolue, voire absolue ; on peut tout dire, et c’est potentiellement inquiétant. Il ne faudrait pas que cet arrêt soit un laisser-passer – c’est le vrai risque –  permettant à tout le monde de balancer des noms et procéder sans retenue à la délation sur les réseaux sociaux. 

Dites-vous que cet arrêt pourrait faire jurisprudence, et auquel cas serait une mauvaise nouvelle pour le droit des personnes à ne pas être diffamées ?

On verra. Il nous reste la possibilité du pourvoi en cassation. Mais oui, cela pourrait même inciter toutes les personnes à ne plus jamais rien reconnaître, puisque manifestement cela semble pouvoir se retourner contre vous ! C’est notamment à cet égard que l’arrêt est surprenant en ce qu’il a en quelque sorte déplacé le débat. Et ce, d’autant plus que la cour d’appel n’a pas appliqué la jurisprudence habituelle sur l’appréciation de la bonne foi. Ils ont, en effet, reconnu le bénéfice de la bonne foi à Sandra Muller. Or, en principe, depuis toujours, la bonne foi s’apprécie avec des éléments qui sont antérieurs ou concomitants aux propos litigieux. Or là, ils ont pris prétexte de la reconnaissance spontanée et hors procès de M. Brion, mais qui est postérieure, pour faire bénéficier de la bonne foi à Sandra Muller. 

De son côté, votre client m’a dit qu’il reste combattif. Avez-vous donc encore des recours ? 

Oui, on peut former un pourvoi devant la cour de cassation. Et on y réfléchit. M. Brion a été très courageux, il n’a ni à regretter ni à baisser la tête. L’arrêt est rédigé de manière assez particulière. Et s’il y a cet arrêt, il y a aussi eu le jugement qui lui avait donné intégralement raison. On voit donc bien que les choses ne sont pas si simples. Et contrairement à Sandra Muller, M. Brion lui a offert la possibilité de pouvoir s’exprimer, d’avoir recours à des avocats, d’être jugée par de vrais juges et même de pouvoir obtenir, d’une certaine manière, gain de cause. Même si elle n’est pas venue au procès en appel. 

Dans cette affaire, comment se sont comportés les médias  ? 

La parole est évidemment donnée de manière beaucoup plus facile et plus large à Sandra Muller et à tous ceux qui portent ces mouvements de libération ou délation en fonction des cas. C’était beaucoup plus difficile de se faire entendre pour alerter sur les dérives graves que risquent d’occasionner ces déchainements incontrôlés au nom de la libération de la parole, qui n’est pas toujours sincère et qui condamne sur la place publique sans autre forme de procès. 

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Brion est victime de Balance Ton Porc, mais n’y a-t-il dans ce mouvement que du mauvais ?

Non ! Le simple fait de dénoncer des comportements ou des actes répréhensibles ou même seulement inacceptables ou intolérables, c’est tout à fait salutaire. En revanche, à partir du moment où on décide de balancer des noms sur les réseaux sociaux ou dans la presse sans que les personnes concernées puissent répondre et se défendre, c’est évidemment autre chose. Je suis parfaitement favorable à ces mouvements de libération de la parole, à la dénonciation des comportements, mais contre la délation des gens. Balancer des noms sur les réseaux sociaux ou dans la presse sans permettre à la personne accusée de pouvoir se défendre, ce n’est pas tolérable dans un État de droit. C’est en cela que cette décision est potentiellement inquiétante. Cela signifierait-il qu’on peut dire n’importe quoi sur les réseaux sociaux ? À l’aune de cet arrêt, la réponse est quasiment oui. D’ailleurs, c’est ce qu’on constate. Aujourd’hui, on peut tout dire.

Votre client est-il toujours confronté à des gens qui le considèrent comme un agresseur ? 

Oui ! Sandra Muller a créé cet amalgame. On parle de deux phrases vulgaires, mais en réalité elle l’a indirectement assimilé à Harvey Weinstein, notamment au travers du mot « porc ». Les gens ne savent plus vraiment ce qu’on lui reproche, mais se souviennent qu’on lui a reproché quelque chose, probablement sexuel et donc grave, alors que ce n’est absolument pas le cas. Il ne s’agit une fois encore que de deux phrases vulgaires, prononcées il y a presque 10 ans ! Et tout cet aspect-là qui est essentiel, la cour d’appel ne l’a pas du tout pris en compte et c’est très regrettable. 

Le regard libre d’Élisabeth Lévy
« Sale temps pour la justice, les hommes et les femmes qui les aiment »

Retrouvez la chronique d’Elisabeth Lévy tous les matins à 8h15 dans la matinale de Sud Radio

Ce qui rend notre époque formidable

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Un billet de Roland Jaccard qui déprimera à peu près tout le monde… sauf lui!


Il est rare que quatre conflits décisifs pour les prochaines décennies se livrent simultanément : autant dire qu’observé de Sirius, nous assistons à un spectacle que seuls quelques esprits perspicaces avaient pressenti. Comme il semble loin le temps où finalement deux forces en présence, l’impérialisme américain et le communisme mondialisé, s’anathémisaient sans réelle volonté de s’anéantir, provocant par là-même une certaine lassitude chez tous ceux qui jugeaient cet « équilibre de la terreur », cette guerre de plus en plus tiède – glaciale, il est vrai, à l’époque de Staline et de Mao – un peu vaine, voire totalement kitsch.

Et nous voici maintenant à l’heure où quatre conflits qui concernent notre humanité même, se déroulent sous nos yeux, même si la plupart d’entre nous préfèrent ne rien voir, convaincus qu’ils sont que le vivre-ensemble est encore de mise. Nous aimerions leur donner raison et croire que tout est bien qui finit bien. Nous doutons que ce sera le cas car nous sommes en présence de forces incompatibles qui n’aboutiront à aucune paix, aucune guerre n’étant vraiment déclarée. Ce qui se joue est d’autant plus passionnant à observer, presque autant que la coupe du monde de football, et chacun peut parier sur l’issue de ces conflits.

Le premier oppose, bien sûr, l’islamisme à la culture judéo-chrétienne. À titre personnel, je ne donne pas cher de cette dernière. Seuls les musulmans sont encore capables de mourir pour leur foi, ce qui leur donne un avantage considérable.

Le deuxième dont nous observons chaque jour, navrés ou satisfaits, la progression, est ce qu’il est convenu d’appeler le néo-féminisme qui aspire à prendre une revanche sur le patriarcat qui aurait soumis pendant des siècles des pauvres petites femmes sans défense. Allons-nous assister à l’agonie du vieux mâle blanc sous la lumière des halogènes? Je n’en serais guère surpris.

Le troisième conflit oppose les mondialistes et les souverainistes. Il fut un temps où il était du dernier chic d’affirmer qu’un homme qui se respecte n’a pas de patrie et de revendiquer le statut d’apatride. Ce temps est révolu. On peut le regretter – c’est mon cas – mais il n’est plus question d’être chic, juste de défendre ou non sa patrie. Les mondialistes ont quelques longueurs d’avance, mais la partie n’est pas jouée. Le mondialisme aurait pour conséquence la victoire du dragon chinois. Et, à tort ou à raison, nombreux sont ceux qui prônent une position de repli. Sans doute est-ce un peu tard…

Avec la pandémie qui occupe les esprits quotidiennement, au-delà des problèmes strictement médicaux, ce sont enfin deux conceptions de nos sociétés qui s’affrontent : l’une que l’on peut qualifier de biocratique, les nazis en rêvaient, et l’autre un peu vieux jeu de démocratique. Michel Foucault avait prévu l’avènement de la biocratie. Les faits semblent lui donner raison. Certains, comme Malraux , avaient annoncé que le vingt et unième siècle serait religieux ou ne serait pas. Le pari est perdu. Je me garderai bien de jouer au prophète, mais même du point de vue de Sirius, l’avenir, à supposer qu’il y en ait un, s’annonce moins réjouissant que certains ne l’espéraient et plus sombre que ce qu’un président constamment en état d’ébriété narcissique avait nommé « le monde d’après », qui est celui qui avive notre nostalgie. Le spectacle n’en reste pas moins passionnant pour autant.

Macron: quand l’hubris n’est pas un vain mot

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Le président Macron s'adresse aux Français à la télévision le 31 mars 2021, et annonce un troisième confinement pour lutter contre le Covid-19 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA Numéro de reportage : 01012419_000018

Même lors de son allocution, Emmanuel Macron n’a pas esquissé l’ombre d’une autocritique, faisant passer ses erreurs d’appréciations pour autant de victoires. La faute à ce que les Grecs anciens appelaient, avec inquiétude, l’hubris.


Rarement on aura vu un homme d’État représenter à ce point cette vieille notion grecque de l’hubris. S’il est impossible de traduire exactement l’hubris, -« démesure » est juste mais n’en épuise pas le sens-, c’est parce que ce mot n’a pas d’équivalent : il désigne un ensemble de comportements, en même temps qu’une psychologie, qui aboutissent à des catastrophes pour celui qui en est possédé, mais aussi pour tous ceux qui l’entourent…

L’hubris finit par vous rendre sincère dans le déni

L’hubris, c’est le joueur qui refuse de se retirer après avoir déjà beaucoup gagné. C’est là-dessus que misent les tenanciers de casino, d’ailleurs, pour ruiner le joueur à la fin. Rappelons que l’indécent Macron a parlé ou a laissé dire qu’il s’agissait d’un « pari » de ne pas reconfiner. Un pari en matière de santé publique ? Pourquoi pas un pari sur le nombre de morts la semaine prochaine, avec tickets à retirer auprès de la Française des jeux ? Hier soir, comme un aveu implicite, il a évidemment dit… qu’il n’avait jamais parlé de pari. Quant au totem des écoles, autour duquel Blanquer a dansé la grande danse du déni pour parler de la circulation du virus, Macron l’a fait tomber hier soir. Ce n’est pas avant le 3 mai que tous les élèves, de la maternelle au lycée, retrouveront, en théorie, leurs salles de classe. Mais n’imaginez pas que ce soit une défaite du président : c’est plutôt, comme disait l’état-major en mai 40, « une retraite stratégique » quand il fallait cacher une débâcle totale.

Macron croit-il à ce qu’il dit?

Alors, la question qui se pose, pour notre propre sécurité de citoyens, c’est : Macron croit-il à ce qu’il dit ? C’est hélas très probable : l’hubris, encore elle, est aussi une auto-intoxication. À vrai dire, Macron n’aurait jamais dû être président dans le cadre de la Vème république, ivre des pouvoirs que lui donne une constitution devenue décidément obsolète, avec une parole attendue religieusement à 20 heures, commentée inlassablement deux jours avant et deux jours après. Il faudrait avoir des nerfs d’acier pour ne pas se laisser griser par ce pouvoir immense et ce n’est pas le cas de Macron, qui est souvent incapable de se contrôler, comme il le montre périodiquement par des saillies qui trahissent, malgré lui, son mépris de classe.

A lire aussi, Sophie de Menthon: Les simagrées de la culture de l’excuse

L’hubris, c’est ainsi se persuader que l’on est, parce que président et détenteur de tous les pouvoirs, plus fort que les virologues et les épidémiologistes, qu’on comprend mieux qu’eux l’immunologie, les modélisations, la cinétique… C’est laisser dire à vos courtisans et vos valets, je cite, « que vous challengez les scientifiques » ou, comme Blanquer dans le Monde il y a encore quelques jours : « Il consulte toutes les études, dès qu’elles sont publiées. Au point que, parfois, le président peut en évoquer une que les experts en face de lui n’ont même pas lue. » Comment ne voulez-vous pas, avec ce genre de chose, perdre les pédales dans votre grand bureau ?

Syndrome d’Icare

C’est ainsi que l’hubris, parce qu’elle est démesure, finit par déformer la réalité elle-même, par vous rendre sincère dans le déni. J’ai vu qu’on demandait ici et là à Macron un mea culpa ou tout au moins admettre qu’un autre choix aurait été possible en confinant en janvier ou même en février pour éviter une catastrophe sanitaire, humaine et in fine, économique quand même. Macron, contrairement à la protestante et modeste Merkel, en est incapable. C’est forcément les autres qui se trompent, qui font mal : les Français qui se relâchent, les épidémiologistes qui donnent de fausses courbes, les Anglais ou les Allemands qui ne jouent pas le jeu avec les vaccins. C’est que l’hubris vous empêche même d’imaginer que vous puissiez avoir tort.

Jusqu’au moment où, comme tous ceux que l’hubris a possédé, comme Icare par exemple, vous tombez de haut. 

De très haut.

Daft Punk, les Beatles de la génération Y

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Australie, 2007 © WENN/SIPA Numéro de reportage : SIPAUSA31036593_000008

Voilà un mois que Daft Punk a annoncé sa séparation


Il y a un mois, le légendaire tandem de la musique électronique laissait derrière lui une carrière longue de 28 ans, seulement quatre albums studio (comme Jimi Hendrix – il en faut peu pour être un géant!) et un parterre de fans sidérés, ou au moins surpris, dans le monde entier. On nous avait pourtant juré que 2021 serait une meilleure année, il semblerait que cette nouvelle ne soit venue infirmer nos belles croyances !

Dernière apparition publique en 2016

Annoncée dans un court métrage nommé « Épilogue », la séparation de Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo fait suite à des années d’absence totale, puisque leur dernier album remonte à 2013, et leur dernière apparition publique aux Grammy Awards de 2016.

L’émotion largement partagée indique que Daft Punk parle au plus grand nombre. Entre deux vagues de Covid, la nouvelle aurait pu paraitre dérisoire. Leur album « Discovery » (2001) mériterait de figurer parmi les grands albums du dernier siècle, aux côtés de « Abbey Road », « Sticky Fingers » et « Kind of Blue ». Il aura marqué toute une génération de jeunes qui, des Etats-Unis au Japon, ont connu des soirées sans masques dans lesquelles le DJ passait plusieurs fois leur grand tube planétaire « One more time ».

Un sens rare de l’harmonie

Mais Daft Punk ne se résume pas à une machine à tubes. S’ils laissent un souvenir si unanime, c’est qu’ils ont également su parler aux plus mélomanes et que les « punk idiots » ont su convaincre les critiques. Les jeux de texture sonore sur l’album HomeWork ou les mélodies cosmiques de « Voyager » ou de « Beyond » montrent un sens rare de l’harmonie, apportée par Thomas Bangalter, couplé à une recherche technique du son idéal mené par Guy-Manuel de Homem-Christo.

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Tous les arts ne se valent pas, de même que tous les styles de musique n’ont pas la même exigence ni la même hauteur. Seuls les grands talents sont capables d’élever un art ou un style au rang des plus nobles. Les Daft Punk sont de ces artistes qui font l’histoire de leur art: ils ont anobli la musique électronique. Ce n’est pas là qu’une parole de fan ; si des artistes aussi exigeants que Giorgio Moroder, Nils Roger ou Akira Matsumoto ont bien voulu collaborer avec Daft Punk, c’est qu’ils ont perçu en eux l’indépendance et l’exigence qui font les grands musiciens.

Les raisons musicales de leur grand succès étant données, Daft Punk incarne également dans son imagerie ce que Hegel appelle le « Zeitgeist », ou « l’esprit du temps ». Ils symbolisent l’épopée d’une jeunesse des années 80 et 90, ayant assisté jeune au passage au troisième millénaire, et à la transition vers l’ère des ordinateurs. Leur esthétique, faite de manga japonais et d’un son grunge, que l’on retrouve dans Human After All, synthétise des tendances très différentes qui ont traversé les décennies passées.

Robot rock

Les casques de robot qu’ils décidèrent de porter dès la fin des années 1990 donnent le la d’une génération biberonnée à Internet, où la célébrité et l’anonymat se côtoient, et aussi l’avènement proche de l’époque des robots et d’une certaine disparition de l’Homme. Sans tomber ni dans la facilité ni dans le glauque, le groupe a su extraire de cette modernité technique une forme de poésie. Leur incarnation de l’époque ne les empêche pas d’être tout à fait à rebours sur certains sujets: leurs apparitions et concerts se sont faits extrêmement rares, au moment où les vedettes actuelles désirent apparaitre le plus possible et quotidiennement sur nos écrans.

La France doit beaucoup à Daft Punk culturellement. Pour la première fois depuis longtemps, l’hexagone a été un précurseur musical, si bien que la galaxie d’artistes qui a emboité le pas à Daft Punk a été bien mal nommée – puisqu’en anglais – : « French Touch 2.0 ». Depuis le walkman que nous trainions dans les années 1990 jusqu’à notre application de musique actuelle, Daft Punk n’a rien perdu de sa saveur. Intemporelle. En dépit de mon jeune âge, l’écoute de Daft Punk me fait me sentir vieux. Ce sont les Beatles de ma génération.

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Présence et distance par temps de Covid

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©Ethan Miller/Getty Images/AFP

Le distanciel est l’accomplissement d’un vieux rêve de la modernité : effacer le temps et la distance nécessaires à une rencontre.


Si vous n’en pouvez plus des écrans, des gestes barrières et des visages masqués, relisez Réelles présences de George Steiner : cela vous rappellera que la liquidation de la présence – vivante, rayonnante, dérangeante – est une vieille affaire qui a stérilisé notre approche de la création artistique, et qui va de pair avec la fascination de la modernité pour les artéfacts. L’instauration de distances sanitaires entre les personnes n’est à cet égard que l’amplification spectaculaire d’une mise à distance des êtres et des choses bien plus ancienne, bien plus structurelle. Pour une part justifiée par le souci d’objectivation propre au regard scientifique, la distanciation a également touché le théâtre, envahi l’art contemporain devenu « conceptuel » alors même que quelques réfractaires tentent en vain de dire leur inquiétude devant cette incapacité grandissante à entretenir avec le monde une relation charnelle qui ne dissocie ni ne confonde le proche et le lointain : « Il n’y a plus de puissance des icônes », déplorait Merleau-Ponty dans ce manifeste en faveur de la « présence réelle » qu’est L’Œil et l’Esprit (1964).

Que nous ressasse-t-on en effet à longueur de journée comme on enseignerait à des analphabètes les rudiments d’un nouvel alphabet ? Que le « distanciel » – opposé par les circonstances au « présentiel » – pourrait être davantage qu’un ersatz de rencontre véritable : une véritable opportunité désormais à portée de main grâce à la technologie et dont nos parents n’ont pas eu la chance de bénéficier alors qu’ils traversaient une guerre bien plus ravageuse que cette épidémie. Qu’était en ce temps-là la voix, tant bien que mal portée par les ondes, au regard de la puissance actuelle des images sur des écrans qui n’ont pas besoin d’être géants pour être fascinants ? La personne avec qui vous conversez n’est-elle pas vraiment là, à l’instant même où vous lui parlez ? Que lui manque-t-il donc pour qu’elle soit bel et bien « présente » tout en étant à distance ? Tout est fait pour nous persuader que le sentiment d’un manque est la trace d’un attachement déraisonnable à l’ancien monde qui ne connaissait encore rien des joies de l’ubiquité.

Car le « distanciel » accomplit en fait le rêve de la modernité en créant ce que Steiner nomme une « simultanéité nivelante » : rendre simultanément « présents » des êtres qui auraient eu besoin de temps pour se rencontrer s’ils s’étaient déplacés. Maître de l’espace, on le devient aussi du temps en créant une nouvelle forme de présence dont la nature est d’autant plus floue qu’on ne la perçoit pas comme une image dont il y aurait lieu de se demander si elle est fidèle à son modèle. Un double spéculaire plutôt, voire un simulacre dont l’apparition, disait Jean Baudrillard, remodèle notre rapport à la réalité : une manière d’être là sans y être physiquement, et de n’y être qu’en cadrant son environnement réduit à un décor modifiable à volonté. Une esthétique de fond d’ordinateur et de plateau télé. Quelque chose doit pourtant bien clocher dans ce dispositif performant (« ça marche ! ») pour que les étudiants qui ne quittent plus leur écran soient aussi déprimés et les enseignants si épuisés.

Faut-il donc être le dernier des demeurés pour douter du fait que la communication à distance soit « mieux que rien », voire qu’au fond elle ne change rien ? Même certains psychanalystes en sont maintenant convaincus, qui devraient dès lors se demander pourquoi Freud leur a fait perdre tant de temps en installant ses patients derrière lui sur un divan. Pourquoi, sinon parce que la technologie encore peu développée, et suspectée d’avoir des effets secondaires indésirables, ne permettait pas comme aujourd’hui de penser qu’une possibilité technique porte en soi la preuve de son opportunité par rapport au problème à traiter. Comme on démontrait jadis l’existence de Dieu en contemplant la rotation des planètes et la perfection des organismes, on prouve désormais le caractère incontournable des dispositifs techniques en montrant qu’ils répondent, de manière quasi providentielle, aux difficultés du moment.

Or cette logique, n’en déplaise aux chantres du Progrès, est celle de la modernité dans son rapport paradoxal à la présence et à la distance, ou plutôt à ce qu’elle tient pour telles. Car depuis ses débuts, elle est tiraillée, cette modernité, entre deux idéaux, deux projets dont l’incompatibilité commence à devenir manifeste : un idéal social qui encourage le rapprochement des individus, la suppression des frontières et des distances, la fraternisation universelle à travers de grands rassemblements festifs dont le manque, cruellement ressenti par temps de Covid, est aussi le symptôme d’une addiction émotionnelle parmi tant d’autres. Mais cette même modernité a également mis en œuvre un projet intellectuel de grande envergure qui, d’abstractions en théorisations, de réserve critique en soupçon systématique, ne cesse d’accroître la distance entre le monde vécu et ses représentations. Chargée de trop d’impondérables, la « présence » charnelle finit par faire figure d’archaïsme, de surplus d’humanité dont on devrait apprendre à se passer dès qu’il présente une quelconque dangerosité. Que le « distanciel » fasse aujourd’hui figure de recours contre le risque de contamination lié au « présentiel » s’inscrit dans une telle logique et n’a donc rien d’anecdotique.

Toutes les grandes cultures, toutes les œuvres d’art qui attirent aujourd’hui encore notre regard comme toutes les relations humaines qui valent d’être vécues, reposent sur une étroite et étrange connivence entre présence et distance. En effet la distance n’est pas seulement ce qui abolit la présence ; elle est aussi ce qui la rehausse en la délivrant de ce qu’il peut y avoir en elle d’insistant. De ces jeux, de ces chassés-croisés entre présence et distance se sont nourries la plupart des grandes entreprises humaines et des œuvres de l’esprit. Il se pourrait donc, comme le craignait Yves Bonnefoy, que les temps à venir soient peu propices à la poésie ; celle-ci ne consistant pas seulement à faire œuvre de poète, mais imprégnant aussi tout ce qui, dans notre manière d’habiter le monde, permet d’y « accueillir la présence[tooltips content= »Yves Bonnefoy, « L’Acte et le lieu de la poésie », L’Improbable, Paris, Mercure de France, 1980, p. 127.« ]This triggers the tooltip[/tooltips] ».

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« Valeurs actuelles » s’est planté: bienvenue au club

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Image d'archive © A. Gelebart / 20 MINUTES/SIPA Numéro de reportage: 00664152_000010

Le site de l’hebdomadaire a pris au sérieux le témoignage bidon d’un pseudo-prof alsacien confronté à des élèves islamisés. Niveau de gravité sur l’échelle des boulettes journalistiques ? Mineur. Passage en revue de quelques faits d’armes de la grande confrérie des enquêteurs.


Matin saumâtre à la rédaction de Valeurs Actuelles. Le site de l’hebdomadaire s’est fait rouler dans la farine par un quidam ayant inventé de toutes pièces une histoire de professeur alsacien confronté à des élèves islamisés jusqu’à la caricature. Et pour cause, tout était inventé ! Facteur aggravant, nos confrères de Valeurs actuelles ont contacté eux-mêmes le farceur, qu’ils avaient repéré sur Twitter.

La confrérie des enquêteurs se gausse, mais pas trop fort quand même. Et pour cause : la question n’est pas de savoir si la mésaventure leur est arrivé, mais quand.

Le 27 août 1991, le Monde sort un scoop retentissant, titré pleine page « Scandale à Panama ». Edwy Plenel révèle que le sinistre général Noriega a financé le Parti socialiste français pour la campagne présidentielle de 1988. L’enquêteur-star du Monde produit des lettres de l’ambassade à l’appui de ses dires. Avec le recul (cet ingrédient magique qui rend tout limpide), c’est le détail qui tue: quel politique mouillerait l’ambassade dans une telle combine ? Les lettres en question étaient des faux grossiers, il n’y avait pas d’affaire.

1989. Alors que le régime communiste s’effondre en Roumanie, on découvre un charnier dans la ville de Timisoara. C’est celui, explique TF1, « des jeunes gens vidés de leur sang » que le dictateur Ceausescu, « atteint de leucémie », utilisait pour renouveler le sien. « Dracula était communiste », titre L’Evènement du Jeudi du 28 décembre. Belle formule. Toute la presse embraye, alors que les corps en question étaient ceux du charnier de la morgue locale, tout bêtement.

Tailler une histoire pour les médias est en réalité très facile. Il ne faut surtout pas craindre de forcer le trait

2003, Toulouse. L’ancien maire Dominique Baudis (décédé en 2014) est au cœur d’un scandale sordide. Il est accusé d’avoir participé à des orgies sanglantes, mêlant sexe et meurtres rituels. Une équipe de TF1, suivie par France 2, déniche un témoin, Djamel. Il a tout vu. Il y était. Les chaines diffusent son témoignage. Hors antenne, pourtant, Djamel a rajouté des détails qui auraient dû alerter : il affirme être le fils caché de Mickael Jackson et soutient que Tony Blair était également impliqué dans les partouzes mortelles. Rétropédalage en moins de 48 heures, Djamel était un déséquilibré manipulé par une prostituée.

2010. Le Point tombe un peu dans le même panneau que Valeurs Actuelles, faisant état du témoignage d’une Malienne polygame vivant en région parisienne. C’était en réalité un canular monté par un fixeur (un intermédiaire connaissant le terrain, dans le jargon de la presse), sollicité par le journaliste du Point. Pourtant très expérimenté, ce dernier s’est fait berner par un jeune homme ayant contrefait la voix d’une femme au téléphone.

En mars 2013, le Parisien a donné crédit à une mythomane se faisant passer pour une mère porteuse rémunérée. C’était une femme fragile, sans arrière-pensée. Contrairement au jeune homme qui a roulé Valeurs Actuelles, elle croyait à ses propres bobards (selon sa mère citée par BFM, qui a dévoilé le pot-au-rose). Cela la rendait sans doute particulièrement convaincante.

Illustration_ObsMais être convaincant est-il vraiment indispensable ? Tailler une histoire pour les médias est en réalité très facile. Il ne faut surtout pas craindre de forcer le trait. Exemple: un médecin nazi a trafiqué des insectes afin de les rendre plus dangereux pour l’homme, dans le cadre de recherches menées dans un laboratoire ultrasecret aux Etats-Unis. Hélas, quelques insectes se sont échappés. Ils se sont attaqués aux enfants d’un village, avec des résultats effrayants, avant d’essaimer partout dans le monde. Les autorités nous cachent la vérité, pour ne pas affoler la population, mais la pandémie est en cours ! Trop énorme ? Pas pour le Nouvel Observateur de juillet 2016: ce scénario de série Z était la trame d’un dossier de Une consacré à la maladie de Lyme. Il repose sur un livre ahurissant[tooltips content= »Lab 257: The Disturbing Story of the Government’s Secret Germ Laboratory, février 2004, non traduit. Ed. William Morrow, par Michael C. Carroll. »](1)[/tooltips] écrit par un aimable farfelu américain, enquêteur autodidacte.

Le Nouvel Obs n’a pas publié de démenti, ce qui n’a rien d’étonnant. De nombreuses boulettes ont été discrètement jetées aux oubliettes…

Le 18 février 2013, le Monde a publié un long article sur l’illettrisme des cadres. Il commençait par un témoignage fort, celui d’un trader illettré, « Mickael », 32 ans, travaillant dans une salle de marché située dans une  tour donnant sur l’esplanade de la Défense. Diplômé de l’Inseec, une école supérieure de commerce parisienne, cet « as des équations mathématiques », comme le présentait le quotidien, était incapable d’écrire et de lire. « Mickael » se faisait aider par un collègue pour déchiffrer notes, comptes-rendus et mails. Un témoignage complètement bidon… Une seule salle de marché donnait alors sur l’esplanade de la Défense, celle de la Société Générale. Il a fallu très peu de temps pour vérifier qu’aucun diplômé de l’Inseec (ni d’aucune autre école !) n’y officiait sans savoir lire, les traders passant au contraire leur temps à lire. À ce jour, rien ne permet de déterminer si le Monde a été victime d’un témoin facétieux, d’un mythomane, ou d’un journaliste trop imaginatif…

Certains bidonneurs ont fait de belles carrières, à l’image de Jacques Chapus (1922-2011), figure respectée de la corporation, présentateur star de RTL de 1978 à 1991. En 1952, Chapus couvrait l’affaire Dominici pour France Soir. Le fait divers passionnait alors le pays tout entier. Pour des raisons encore inconnues à ce jour, une famille britannique avait été assassinée dans les Basses-Alpes. Le 9 août 1952, Chapus sort un scoop. Il s’agit du journal intime d’Elizabeth Drummond, la fille de la famille. Le journal débute à l’arrivée des Drummond sur le territoire français, le 27 juillet, et se termine quelques heures avant leur assassinat, dans la nuit du 4 au 5 août. Voici les dernières lignes écrites par Elizabeth Drummond : La lune est haute et brillante. Nous campons. Je viens de réaliser un désir très cher : seule, je me suis baignée dans la Durance, comme dans un film, ou dans un rêve ! C’est merveilleux ! Pour qu’ils ne s’en aperçoivent pas, j’ai enfilé mon pyjama sur mon corps encore mouillé. C’est froid…  « Deux heures après avoir écrit ces dernières lignes », précise Jacques Chapus, « Elizabeth Drummond agonisait au bord de la Durance, le crâne défoncé, prenant le temps de mourir en gémissant sous la lune déclinante et indifférente ». Émouvant, mais bidon : le journal intime avait été écrit par Jacques Chapus, qui fut cité comme témoin de l’accusation au procès de Gaston Dominici, accusé du triple meurtre. Son témoignage était heureusement anecdotique, sur le fond. Ce n’est pas lui qui a envoyé Dominici en prison.

Pour conclure, balayons devant notre porte. L’auteur de ces lignes lui-même s’est planté comme un javelot dans le sable, accusant un élu d’avoir travaillé en cachette pour le groupe Véolia, sur la base d’un seul témoignage vérifié superficiellement. L’élu en question (ancien maire de la ville natale du journaliste, honte suprême), a attaqué en diffamation et a gagné. Le fond de l’affaire était une bête homonymie. Une info plus un démenti égale, deux infos. Mais il faut dix bonnes années pour arriver à en sourire.

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