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Selon la cour d’appel, Sandra Muller a eu raison de diffamer Eric Brion

Entretien avec l'avocate Marie Burguburu


Selon la cour d’appel, Sandra Muller a eu raison de diffamer Eric Brion
Marie Burguburu © NIVIERE/SIPA Numéro de reportage : 00615652_000013

En septembre 2019 en première instance, l’initiatrice de Balance ton porc Sandra Muller avait été condamnée pour diffamation. L’avocate du malheureux Eric Brion réagit à l’arrêt terrifiant rendu hier par la cour d’appel, qui annule la condamnation


Publiés en 2017 sur Twitter et à l’origine du mouvement “Balance ton porc”, les messages de Sandra Muller[tooltips content= »« Toi aussi raconte en donnant le nom et les détails d’un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends. » Puis, « Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit. Éric Brion, ex-patron de Equidia #BalanceTonPorc. » « ](1)[/tooltips] ont déclenché un tsunami délateur pour quelques-uns, ou une merveilleuse “libération de la parole” pour le reste de notre société connectée. L’histoire est connue: après les accusations Brion perd sa compagne et sa réputation, les portes se ferment, il a honte pour ses deux filles, prend du poids et tombe en dépression. Mais il porte plainte contre Sandra Muller, et rétablit son honneur, cette dernière étant condamnée en première instance à retirer les messages et à verser 15 000 € de dommages pour diffamation. Hier, la cour d’appel rendait un curieux arrêt invalidant toutes les demandes de Brion. 

Le bénéfice de la bonne foi

Pour la cour, “les mouvements #balancetonporc et #MeToo ont été très suivis, ont été salués par diverses autorités ou personnalités et ont contribué à libérer la parole des femmes de façon positive.” Aussi, selon les juges, “même si Eric Brion a pu souffrir d’être le premier homme dénoncé sous le #balancetonporc, le bénéfice de la bonne foi doit être reconnu à Sandra Muller.” 

Cette décision est potentiellement inquiétante

Dans l’arrêt, on peut enfin lire que “les propos [de Mme Muller NDLR] poursuivis s’inscrivent bien dans le cadre d’un débat d’intérêt général, dès lors qu’ils visent à dénoncer les comportements à connotation sexuelle et non consentis de certains hommes vis à vis des femmes, afin que ces agressions physiques ou verbales très longtemps tolérées ou passées sous silence soient largement connues et ne puissent ainsi se perpétuer”… 

Sandra Muller le 25 septembre 2019, après sa condamnation judiciaire © Thibault Camus/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22381700_000003
Sandra Muller le 25 septembre 2019, après sa condamnation judiciaire © Thibault Camus/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22381700_000003

Peut-être, mais suite aux propos de Madame Muller, Monsieur Brion demeure un harceleur sexuel aux yeux de beaucoup de gens. Les juges ont-ils dit le droit ou ont-ils donné raison à un mouvement plus large qui traverse la société ? Défendu par Nicolas Bénoit et Marie Burguburu, Brion pourrait ne pas en rester là. Nous avons questionné cette dernière.

Causeur. Comment interprétez-vous l’arrêt de la cour d’appel qui tout en reconnaissant les propos « diffamatoires » de Madame Muller, retient la « bonne foi » de cette dernière, et déboute votre client de l’ensemble de ses demandes ?

Me Marie Burguburu. Les juges semblent avoir eu quelques difficultés pour justifier leur décision. Les propos de Mme Muller ont bien été jugés diffamatoires, mais ne condamnent pas son auteur pour la seule raison que M. Brion a spontanément reconnu avoir tenu les propos rapportés dans le tweet. C’est assez remarquable, car en réalité, c’est parce que mon client a reconnu des propos [tenus à Cannes un soir en 2012 NDLR] et s’en est excusé, que Sandra Muller échappe à la condamnation pour diffamation ! Pour le reste, ses propos sont bien diffamatoires : et surtout, l’arrêt reconnait que M. Brion n’a commis absolument aucun harcèlement sexuel au travail. Or, tel était le débat qui portait non pas tant sur les propos– dont il a reconnu la teneur – mais sur un prétendu harcèlement sexuel au travail. Et la Cour a bien précisé qu’Éric Brion n’avait commis aucune infraction. 

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Les faits en question se seraient déroulés lors d’une soirée professionnelle, mais Eric Brion et Sandra Muller ne travaillaient pas dans la même structure. Rappelons qu’il n’y a eu ni d’agression ni contact physique. De plus, la dénonciation de Sandra Muller est intervenue bien après l’incident.

Le harcèlement est défini par le caractère répété ou par la pression exercée contre la victime. Une phrase vulgaire n’est pas du harcèlement, c’est une phrase vulgaire. Effectivement, Sandra Muller et mon client n’ont jamais travaillé ensemble, il n’y a jamais eu le moindre rapport hiérarchique. Donc il n’y a pas de harcèlement sexuel, et a fortiori  de harcèlement sexuel au travail. On est très loin de tout cela. Il s’agit de propos déplacés. Et on parle de deux phrases.

Vous semblez étonnée, scandalisée par cette décision de justice.

Je ne suis pas scandalisée, mais je constate que c’est un courant qui n’est pas nouveau et qui s’intensifie, que l’on peut aujourd’hui diffamer sans difficulté, sans pour autant commettre le délit de diffamation. Donc la liberté d’expression, à laquelle je suis profondément attachée, est quasi absolue, voire absolue ; on peut tout dire, et c’est potentiellement inquiétant. Il ne faudrait pas que cet arrêt soit un laisser-passer – c’est le vrai risque –  permettant à tout le monde de balancer des noms et procéder sans retenue à la délation sur les réseaux sociaux. 

Dites-vous que cet arrêt pourrait faire jurisprudence, et auquel cas serait une mauvaise nouvelle pour le droit des personnes à ne pas être diffamées ?

On verra. Il nous reste la possibilité du pourvoi en cassation. Mais oui, cela pourrait même inciter toutes les personnes à ne plus jamais rien reconnaître, puisque manifestement cela semble pouvoir se retourner contre vous ! C’est notamment à cet égard que l’arrêt est surprenant en ce qu’il a en quelque sorte déplacé le débat. Et ce, d’autant plus que la cour d’appel n’a pas appliqué la jurisprudence habituelle sur l’appréciation de la bonne foi. Ils ont, en effet, reconnu le bénéfice de la bonne foi à Sandra Muller. Or, en principe, depuis toujours, la bonne foi s’apprécie avec des éléments qui sont antérieurs ou concomitants aux propos litigieux. Or là, ils ont pris prétexte de la reconnaissance spontanée et hors procès de M. Brion, mais qui est postérieure, pour faire bénéficier de la bonne foi à Sandra Muller. 

De son côté, votre client m’a dit qu’il reste combattif. Avez-vous donc encore des recours ? 

Oui, on peut former un pourvoi devant la cour de cassation. Et on y réfléchit. M. Brion a été très courageux, il n’a ni à regretter ni à baisser la tête. L’arrêt est rédigé de manière assez particulière. Et s’il y a cet arrêt, il y a aussi eu le jugement qui lui avait donné intégralement raison. On voit donc bien que les choses ne sont pas si simples. Et contrairement à Sandra Muller, M. Brion lui a offert la possibilité de pouvoir s’exprimer, d’avoir recours à des avocats, d’être jugée par de vrais juges et même de pouvoir obtenir, d’une certaine manière, gain de cause. Même si elle n’est pas venue au procès en appel. 

Dans cette affaire, comment se sont comportés les médias  ? 

La parole est évidemment donnée de manière beaucoup plus facile et plus large à Sandra Muller et à tous ceux qui portent ces mouvements de libération ou délation en fonction des cas. C’était beaucoup plus difficile de se faire entendre pour alerter sur les dérives graves que risquent d’occasionner ces déchainements incontrôlés au nom de la libération de la parole, qui n’est pas toujours sincère et qui condamne sur la place publique sans autre forme de procès. 

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Brion est victime de Balance Ton Porc, mais n’y a-t-il dans ce mouvement que du mauvais ?

Non ! Le simple fait de dénoncer des comportements ou des actes répréhensibles ou même seulement inacceptables ou intolérables, c’est tout à fait salutaire. En revanche, à partir du moment où on décide de balancer des noms sur les réseaux sociaux ou dans la presse sans que les personnes concernées puissent répondre et se défendre, c’est évidemment autre chose. Je suis parfaitement favorable à ces mouvements de libération de la parole, à la dénonciation des comportements, mais contre la délation des gens. Balancer des noms sur les réseaux sociaux ou dans la presse sans permettre à la personne accusée de pouvoir se défendre, ce n’est pas tolérable dans un État de droit. C’est en cela que cette décision est potentiellement inquiétante. Cela signifierait-il qu’on peut dire n’importe quoi sur les réseaux sociaux ? À l’aune de cet arrêt, la réponse est quasiment oui. D’ailleurs, c’est ce qu’on constate. Aujourd’hui, on peut tout dire.

Votre client est-il toujours confronté à des gens qui le considèrent comme un agresseur ? 

Oui ! Sandra Muller a créé cet amalgame. On parle de deux phrases vulgaires, mais en réalité elle l’a indirectement assimilé à Harvey Weinstein, notamment au travers du mot « porc ». Les gens ne savent plus vraiment ce qu’on lui reproche, mais se souviennent qu’on lui a reproché quelque chose, probablement sexuel et donc grave, alors que ce n’est absolument pas le cas. Il ne s’agit une fois encore que de deux phrases vulgaires, prononcées il y a presque 10 ans ! Et tout cet aspect-là qui est essentiel, la cour d’appel ne l’a pas du tout pris en compte et c’est très regrettable. 

Le regard libre d’Élisabeth Lévy
« Sale temps pour la justice, les hommes et les femmes qui les aiment »

Retrouvez la chronique d’Elisabeth Lévy tous les matins à 8h15 dans la matinale de Sud Radio



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