Pardon de parler de moi… Mais cela peut éclairer l’angle de notre discussion.
J’appartiens à une génération (celle de 1968) qui a grandi dans les années 1970-1980. À l’époque, la classe moyenne française vivait bien, modestement, mais bien. Mes parents avaient une Renault 16, puis une Renault 21. On avait une maison à la campagne. Habitant près de Grenoble, on allait faire du ski l’hiver, c’était quasiment gratuit, à Chamrousse ou à Autrans. On avait une chaîne hi-fi achetée à la Fnac. Deux teckels et un chat. A Noël, le sapin sentait bon la forêt (les sapins ne sentent plus rien). Il y avait des portraits d’écrivains sur les billets de banque. Les grands films français en noir et blanc passaient à la télé à 20h30. La France avait encore une industrie et une agriculture, une armée, les élèves avaient peur des profs (et pas le contraire), les grands cuisiniers français faisaient la une de Paris Match, l’équipe de France de foot ne gagnait rien mais Rocheteau, Marius Trésor et Platini avaient des têtes sympathiques. Bref, par rapport à aujourd’hui, c’était plutôt chouette…
Tous les matins, en buvant mon café d’Ethiopie fraîchement moulu, j’écoute Radio Classique. J’en suis venu à me demander si cette radio n’était pas subventionnée par les médicaments Prozac, tant le tableau donné de notre pays est cataclysmique. J’ai ainsi appris, la semaine dernière, que les assureurs internationaux notaient la France au même niveau que le Nigéria et l’Afrique du Sud pour le risque d’émeutes… Tous les matins, donc, David Abiker enfonce un peu plus le clou. Comment a-t-on fait pour en arriver-là ? Trahison des élites ?
En plus, comme beaucoup de mes compatriotes et confrères journaleux, je n’ai plus un radis en poche pour fêter Noël, et ça, c’est vraiment grave, vu ma passion maladive pour la nourriture.
Heureusement, comme disait le slogan de 1974 : « en France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées ! ».
Angoissé, j’ai donc pris mon téléphone et appelé mon ami cuisinier Michel Husser, célèbre chef alsacien étoilé de l’auberge du Cerf, à Marlenheim, près de Strasbourg, surnommé « le Robert Redford de la choucroute » :
« Allô Michel ? Dis-moi, est-ce que tu serais capable d’imaginer un menu de Noël pour les néo-prolo qui lisent Causeur ? Oui, ils sont de plus en plus nombreux, hélas. Un menu à 10 euros par personne, quoi, à faire à la maison, en famille, tranquille, mais délicieux et festif, pour oublier l’horreur du temps présent ? Pas de doubitchou roulé sous les aisselles de monsieur Preskovic ! Ni de saumon fumé d’élevage de Norvège bourré de cochonneries. Un menu facile élaboré à partir de produits simples. »
« No problemo » fut sa réponse, comme disait Homer Simpson.

Le menu de Noël que nous vous proposons ici a donc été inventé en Alsace, rien que pour vous : du sur-mesure ! Pour les vins, Michel Husser m’a conseillé un vigneron de son village de Marlenheim, le domaine Fritsch, qui est en bio et qui produit d’admirables Riesling à un peu moins de 10 euros la bouteille… À défaut, je vous conseille juste de vous rendre chez un bon caviste de quartier (non dans une grande surface) : le caviste est un « libraire du vin », un médiateur passionné capable de vous dénicher une bonne bouteille à petit prix ! Faites-lui confiance.
Permettez-moi aussi de vous dire un mot sur les Husser. Leur majestueuse auberge campagnarde (bâtie en 1739 !) avait été autrefois un relais de diligence sur la route Paris-Strasbourg. Quand les grands-parents de Michel l’a reprennent, en 1930, ils commencent par y proposer leurs spécialités alsaciennes, et notamment leur fameux presskopf (fabriqué avec des têtes et des langues de porc) qu’ils servent sur une tranche de jambon salé et fumé maison avec des radis, des cornichons et des tomates du jardin potager, une livre de beurre baraté par le fermier du coin, une miche de pain paysan cuit au feu de bois, le tout accompagné d’une carafe de vin rosé du village, bien frais, aux notes de fraises des bois ! Le paradis. La tarte aux prunes et la charlotte au kirsch et gelée de groseilles deviennent vite réputées dans tout le département ! Jacques Chirac aimait tellement cette adresse qu’il y invitera à déjeuner le chancelier Schroeder. Protestant de naissance, Michel Husser a été élevé chez les Franciscains catholiques avant de faire l’armée dans la marine : discipline, rigueur ! Au début des années 1980, il part cuisiner à Paris auprès du grand chef Alain Senderens, spécialiste mondial des accords mets-vins : une révélation ! En rentrant chez lui, en Alsace, il décide alors d’injecter au Cerf une dose de créativité, d’où les deux étoiles Michelin qui vont lui tomber dessus au fil des ans. Il remporte aussi l’équivalent du concours « Masterchef » au Japon ce qui lui vaut d’être photographié dans Playboy entre deux donzelles seins nus… (jeune, Michel ressemblait un peu à Kevin Costner, en plus baraqué). La photo, hélas, a été planquée quelque part.
Michel Husser est aussi un pédagogue qui a formé de nombreux jeunes chefs, dont Kei, le seul Japonais à avoir trois étoiles Michelin à Paris aujourd’hui.
Avec le temps, il s’est lassé de la cuisine gastronomique pleine de chichis et est revenu aux sources de son terroir en proposant deux plats de légende indémodables qui figurent depuis trente ans à sa carte : la choucroute « fil d’or » au riesling, aux épices, au boudin noir et au foie gras, et la bouchée à la reine au ris de veau et aux morilles ! Rien que pour elles, vous devez aller à Marlenheim (on peut passer la nuit au Cerf), car il n’y a l’équivalent nulle part ailleurs…
Aujourd’hui, Michel est en train de passer le relai à son fils Lucas, 29 ans : « il est encore plus doué que moi ! » Voir le père et le fils cuisinier ensemble à quatre mains est un sacré spectacle… L’auberge reste dans le giron familial.
Restautant Le Cerf, 30 rue du Général-de-Gaulle, Marlenheim, 67520, France
Voici donc le menu de Noël tant attendu, pas cher, facile à réaliser !
Entrée
Tartare de daurade mariné au raifort.
Plat
Fameuse bouchée à la reine du Cerf (vous pouvez remplacer le ris de veau par de la volaille, moins coûteuse, et mettre un autre champignon à la place de la morille).
Dessert
Tarte feuilletée aux clémentines de Corse
Recettes
Tartare de daurade, mariné façon maatjes, fleurette au raifort
Ingrédients pour 4 personnes
| Filet de daurade sans peau et sans arêtes | 300g |
| Vinaigre de Chardonnay | 2cl |
| Huile d’olive | 1cl |
| Saké | 1cl |
| Cressonnette | 100g |
| Petites pommes de terre cuites en robe des champs | 3 |
| Cébettes ciselées | 50g |
| Cornichons aigre-doux en brunoise | 80g |
| Pomme granny smith en brunoise | 80g |
| Persil, ciboulette, cerfeuil haché | 20g |
| Raifort | 15g |
| Citron pressé | 1/2 |
| Crème fleurette | 2dl |
| Pomme granny smith | 1 |
- Mélanger la crème avec le jus de citron et le raifort, saler.
- Mélanger les cébettes, cornichons, pommes granny smith et les herbes avec un peu de crème au raifort.
- Couper les pommes de terre en rondelles, les tenir au chaud avec le reste de la crème.
- Couper la daurade en petits cubes, l’assaisonner de sel, poivre, huile d’olive, vinaigre de Chardonnay, saké.
- Garnir le pourtour des assiettes avec la cressonnette, puis le milieu de l’assiette avec les pommes de terre tièdes.
- A l’aide de cercle, dresser la garniture à la crème sur les pommes de terre, puis le tartare de daurade.
- Décorer le dessus du tartare avec de la cressonnette et une julienne de pomme granny smith.

Poisson de substitution : Truite saumonée, saumon, bar
Vin d’accompagnement : Sylvaner Vieilles Vignes Anne-Marie Schmitt Bergbieten
Les fameuses « bouchées à la reine » du Cerf
Ingrédients pour 6 personnes
| Volaille fermière | 1 |
| Ris de veau | 250g |
| Collet de veau | 500g |
| Pied de veau | 1 |
| Bouillon de volaille | 2l |
| Riesling | 0,5l |
| Croûte en feuilletage au beurre | 6 |
| Légumes aromatiques : | |
| Gros oignon | 2 |
| Carotte | 4 |
| Poireau | 2 |
| Céleri | 150g |
| Thym, 1 feuille de laurier, coriandre, 1 clou de girofle | |
| Tête d’ail | 1 |
| Garniture et sauce : | |
| Champignons de Paris | 300g |
| Crème fleurette | 0,6l |
| Farine | 50g |
| Beurre | 50g |
| Citron | 1/2 |
| Persil, ciboulette | |
| Cerfeuil | |
| Quenelles de volaille : | |
| Crème fleurette | 200g |
| Blanc d’oeuf | 1 |
| Sel, poivre, muscade |
- Séparer les blancs de volaille et les cuisses de la carcasse.
- Après avoir fait dégorger les pieds de veau, les ris de veau, les blanchir à l’eau bouillante. Éplucher les ris de veau.
- Cuire à feu doux le collet de veau, les cuisses et la carcasse de volaille, les ris et le pied de veau dans le bouillon avec les légumes, les épices et aromates et le vin.
- Repêcher tous les ingrédients au fur et à mesure de leur cuisson, d’abord les ris de veau, puis les cuisses de volaille et les légumes et enfin le pied et collet de veau. Laisser réduire le bouillon des 2/3.
- Couper les viandes et les légumes en cube de 2 cm.

Les quenelles de volaille
- Hacher la chair des blancs de volaille très finement et la mettre au congélateur. Réduire la chair congelée en purée au cutter puis ajouter la crème et le blanc d’œuf. Assaisonner avec sel, poivre et muscade.
- Nettoyer les champignons, les faire sauter au beurre avec un peu d’échalote, ajouter du bouillon. Cuire et récupérer le bouillon.
- Faire un roux avec la farine et le beurre. Ajouter le bouillon de champignons, une partie du bouillon de cuisson et la crème. Laisser cuire pendant 20 mn pour faire épaissir. Fouetter énergiquement la sauce avec un mixer plongeant ou un fouet) pour la rendre onctueuse puis ajouter le demi jus de citron. Rajouter la viande, les quenelles et les légumes et garnir les vol-au-vent, puis parsemer des fines herbes hachées.
Astuces
- Cuire les ingrédients à feu très doux (85 à 90°) pour que la viande ne dessèche pas.
- On peut utiliser toute sorte de champignons sauvages (morilles, girolles, rosés des prés) en place des champignons de Paris, qui donneront un goût exquis à la sauce.
- Ne pas oublier de réchauffer les vol-au-vent avant de les garnir.
- Servir avec des pâtes fraîches ou spaetzles.
Vin conseillé : Pinot gris Grand Cru Steinklotz Serge Fend Marlenheim 2010
Tarte feuilletée aux clémentines de Corse
Ingrédients

1 abaisse de pâte feuilletée au beurre (environ 300g) = vous en trouvez des déjà faites au supermarché, par exemple celles de Marie.
1 kg de clémentines de Corse
50 g de sucre roux
50g de poudre d’amande
50 g de couscous (moyen)
50g de beurre
50g de sucre glace
Préparation
- Disposer la pâte feuilletée dans un moule à tarte sans bord
- Piquer la pâte à l’aide d’une fourchette
- Couvrir la pâte avec du papier sulfurisé et des billes et précuite cette pâte à 180 degrés pendant 20 minutes
- Pendant ce temps, coupez les clémentines en fines lamelles
- Mélanger le sucre roux, le couscous et la poudre d’amande
- Étaler ce mélange sur la pâte précuite
- Disposer les lamelles de clémentine en rond en partant du rebord de la tarte vers le centre en les chevauchant
- Faire fondre le beurre, ajoutez le sucre glace et en badigeonner les clémentines à l’aide d’un pinceau
- Cuire la tarte à 180 degrés pendant 20 minutes (chaleur tournante).
- À la sortie du four pulvériser la tarte avec un peu de sucre glace pour la faire briller
Servir tiède avec une glace vanille ou un sorbet mangue ou ananas.
MMMh !…
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